Evolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2019
Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH
Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH
Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS
Le millésime 2019 de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est placé sous le signe du dialogue des juges, la Cour européenne ayant rendu son premier avis au titre du protocole n° 16 le 10 avril 2019 1. Le 5 octobre 2018, la Cour de cassation a été la première juridiction en Europe à saisir la Cour d’une demande d’avis relative à la transcription d’un acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA conclue à l’étranger, en ce qu’il désigne la « mère d’intention », indépendamment de toute réalité biologique 2. Le collège de cinq juges avait accepté cette demande d’avis le 16 octobre 2018. Le moins que l’on puisse dire est le juge européen a fait preuve de célérité pour répondre à la demande de la Cour de cassation. L’avis rendu est riche d’enseignements. D’abord, en ce qui concerne le cadre de la procédure, la Grande chambre souligne bien que l’objectif « n’est pas de transférer le litige à la Cour, mais de donner à la juridiction qui a procédé à la demande les moyens nécessaires pour garantir le respect des droits de la Convention lorsqu’elle jugera le litige en instance ». Ce qui lui permet, à l’instar de la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre des questions préjudicielles, de reformuler les demandes d’avis. Ainsi, l’hypothèse où l’enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger est issu des gamètes de la mère d’intention, ou celle de la mère porteuse sont-elles jugées sans lien avec l’objet du litige. Ensuite, sur le fond, l’avis ayant été largement commenté 3, on se contentera de relever que, malgré l’absence de consensus sur la question de la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les enfants nés d’une GPA à l’étranger et les parents d’intention, la grande chambre a estimé que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant né d’une GPA à l’étranger et sa mère d’intention est requis par le droit au respect de la vie privée de l’enfant au sens de l’article 8, laissant cependant à l’Etat le choix des moyens dans l’établissement de ce lien 4. Reste une question, est-on vraiment dans une logique de dialogue ? La Cour de cassation devra suivre « l’avis catégorique » de la Cour. Comme on a pu l’écrire, il ne fait, « aucun doute [que l’avis rendu] doive avoir des effets analogues aux éléments interprétatifs établis par les arrêts de la Cour (laquelle ne semble d’ailleurs pas en douter elle-même puisqu’elle dit expressément que le droit au respect de la vie privée « requiert » une possibilité de reconnaissance de la filiation, ce qui, on en conviendra relève d’un ton particulièrement catégorique) » 5. C’est dire, en d’autres termes, que l’autorité de la Cour en sort renforcée. Ce faisant, comment ne pas voir que le principal apport de cet avis ne concerne pas tant le litige au principal que l’affirmation de la contribution de cette nouvelle procédure à la diffusion de la jurisprudence européenne. Il faut sans aucun doute lire entre les lignes et comprendre que la Cour européenne entend bien utiliser le Protocole n°16 comme un moyen de « dire le droit » 6, mais dans le cadre d’une relation moins verticale avec les juridictions nationales et en développant davantage une logique de persuasion dans sa motivation. En somme, « répondre et rassurer » : tels sont les « enseignements » du premier avis pour paraphraser le Professeur Szymczak 7. D’un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que la saisine de la Cour européenne et la réception de l’avis rendu sont aux mains des juridictions suprêmes des Etats. Comme cela a été montré dans le cadre du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne, elles disposent également d’un réel pouvoir d’influence. On relèvera que la Cour a été saisie d’une seconde demande d’avis le 9 août 2019 par la Cour constitutionnelle arménienne sur l’article 300.1 du code pénal qui pénalise le renversement de l’ordre constitutionnel 8.
Au-delà, le premier semestre 2019 fut jalonné d’arrêts importants qui permirent à la Cour européenne, en particulier la Grande chambre, de se pencher sur des questions majeures. Que l’on songe notamment au premier arrêt en manquement rendu dans l’affaire Ilgar Mammadov c/Azerbaïdjan (29 mai 2019, n°15172/13) ; à l’arrêt Güzelyurtlu et a. c/ Chypre et Turquie précisant la portée du droit à la protection de la vie dans un contexte transfrontalier inédit, impliquant un État contractant (Chypre) et une entité de facto (« République turque de Chypre du Nord ») se trouvant sous le contrôle effectif d’un autre État contractant (Turquie) (29 janv., n°36925/07) ; ou bien à l’affaire Rooman c/ Belgique concernant la question des soins psychiatriques prodigués à un délinquant sexuel interné en raison de sa dangerosité (31 janv., n°18052/11). Les cas dans lesquels le dispositif de l’arrêt de chambre a été renversé par la Grande chambre sont légion 9. Si l’on reconnaît avec Luzius Wildhaber que « la (…) Cour a plus ou moins appris à vivre avec ce genre de désaccords ou de tensions » 10, leur multiplication peut nuire à l’esprit de corps entre juges européens et à l’unité de la Cour. D’autant que les arrêts sont parfois adoptés à une très courte majorité. La fréquence des opinions séparées ne faiblit pas, comme leur longueur d’ailleurs. En outre, et surtout, la tonalité se veut résolument offensive. A cet égard, la lecture de l’opinion en partie concordante en partie dissidente du juge Pinto De Albuquerque sous l’arrêt de grande chambre Fernandes de Oliveira c/ Portugal (relatif au suicide d’un homme souffrant de troubles mentaux) vaut particulièrement le détour. Le juge portugais y stigmatise une approche de la majorité « bâtie sur des faits présumés qui ne se sont tout simplement pas produits », « résultat d’un exercice d’appréciation judiciaire créatif pour un pays imaginaire », « teintée d’idéologie ». Les opinions dissidentes sous un arrêt de chambre se révèlent parfois décisives, en ce qu’elles inspirent directement la solution retenue par la grande chambre.
En ce qui a trait à la composition de la Cour, plusieurs juges ont débuté leur mandat pendant le 1er semestre 2019 : le juge norvégien Arnfinn Bårdsen ; le juge albanais Darian Pavli ; le juge suédois Erik Wennerström ; le juge italien Raffaele Sabato (qui a donc succédé à l’ancien Président Guido Raimondi) ; la juge turque Saadet Yüksel et la juge maltaise Lorraine Schembri Orland. Alors que le mandat de l’ancien juge turc se terminait le 30 avril 2017, il a fallu attendre le 9 avril 2019 pour que la nouvelle juge soit élue par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La procédure a été marquée par le retrait d’une candidature et le rejet de deux listes par la Commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme. Le gouvernement français doit présenter avant le 6 décembre 2019 une liste de trois candidats, puisque le mandat du juge Potocki s’achève le 21 juin 2020. On sait qu’aucun universitaire n’y figurera alors que nous disposions d’une collègue « dotée d’une compétence juridictionnelle de haut niveau, polyglotte et d’un degré incomparable de compétence en droit de la Convention » (pour paraphraser Yannick Lécuyer). De quelque côté qu’on se tourne, une telle pratique, consistant à réserver exclusivement la fonction de juge français à un conseiller d’Etat ou un conseiller à la Cour de cassation, est fort critiquable. Elle est anachronique en ce qu’elle correspond à un privilège digne de l’ancien régime. Elle est injuste et inégalitaire en ce qu’elle conduit à une exclusion de facto des universitaires. Et il n’est guère besoin d’être disert pour démontrer qu’elle est isolée (isolement « pathétique » celui-là…), les autres Etats parties à la Convention n’hésitant pas, pour leur part, à présenter des listes fondées sur la compétence des candidats et leur aptitude à répondre aux exigences posées par l’article 21 de la Convention, et non sur leur appartenance à un grand corps de l’Etat 11. Le Professeur Beaud se posait récemment la question de savoir quand « s’arrêtera donc la colonisation de l’État par le Conseil d’État ? » 12. On pourrait préciser la question et se demander quand s’arrêtera la chasse-gardée des juridictions suprêmes sur le poste de juge français à la Cour européenne. Pour le dire simplement, il est temps de mettre fin à cette pratique et de s’inspirer, par exemple, de la pratique suivie pour la désignation des membres français aux comités onusiens où siègent plusieurs universitaires (le Professeur Sébastien Touzé au CAT, qui vient d’ailleurs d’être réélu ; le Professeur Hélène Tigroudja au CDH ; le Professeur Olivier De Frouville au CED). L’expérience montre qu’un tel effort d’ouverture n’est pas impossible. Si le gouvernement français a pu présenter en 2011 (au moment de la succession du Président Jean-Paul Costa), un député (certes titulaire d’une maîtrise en droit !) dans sa liste de candidats (liste d’ailleurs rejetée…), ouvrir la liste à un universitaire compétent ne devrait pas être insurmontable… Depuis le 5 mai 2019, la Cour a un nouveau président en la personne de Linos-Alexandre Sicilianos, juge à la Cour depuis 2011. Il n’y avait de meilleur candidat à ce poste que celui qui avait décrit, avec beaucoup de finesse et de profondeur, il y a quelques années les défis auxquels est confrontée la Cour 13.
Enfin, au niveau interne, l’analyse du contrôle de conventionnalité opéré au titre de la convention européenne a fait l’objet d’une systématisation par la Cour de cassation avec la publication d’un memento du contrôle de conventionnalité au regard de la Convention européenne (déc. 2018). Il est intéressant de constater que ce document corrige et complète sur certains points le rapport publié en 2017 par la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation. A titre d’illustration, le droit à la vie ne figure plus dans la liste des droits absolus. De même, alors que ce dernier rapport ne disait mot du contrôle de la pertinence et de la suffisance des motifs (dans le cadre du contrôle de proportionnalité), le memento fait justement état d’un contrôle de proportionnalité plus large intégrant ces éléments. Si bien qu’en définitive, les subtilités du contrôle de proportionnalité pratiqué par la Cour de Strasbourg sont mieux appréhendées. C’est au demeurant ce qui ressort des nombreuses références au contrôle si particulier mis en œuvre par le juge européen en cas de conflits de droits. Cette familiarisation avec la jurisprudence de la Cour est perceptible dans l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière le 10 mai 2009 14. Saisie une nouvelle fois de la question de savoir si un Etat peut agir en diffamation sur le fondement de l’article 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, la Cour de cassation répond par la négative en jugeant notamment que l’article 8 de la Convention ne protège pas le droit pour un État de se prévaloir de la protection de sa réputation pour limiter l’exercice de la liberté d’expression. Plusieurs arrêts de la Cour européenne sont cités en ce sens. Dans cette affaire, l’Assemblée plénière a refusé de donner suite à la demande d’avis consultatif visant à interroger la Cour européenne sur la possibilité pour un Etat étranger (en l’espèce, le Royaume du Maroc) d’invoquer devant les juridictions nationales la Convention. Plus discutable est, en revanche, l’affirmation d’un arrêt de 3ème chambre civile du 4 juillet 2019 selon laquelle le droit de propriété est un droit absolu (n°18-17.119), excluant par conséquent tout contrôle de proportionnalité. Semblable approche du droit de propriété est bien éloignée de la conception qu’en retient le juge européen. Pour sa part, le Conseil d’Etat semble bien avoir réduit le contrôle de conventionnalité in concreto à la portion congrue. Dans deux décisions du 17 avril 2019, portant sur un refus d’autorisation d’exportation de gamètes fondé sur un dépassement de l’« âge de procréer » de l’homme du couple demandeur (n°420468 et 420469), il constate « l’absence de circonstances particulières propres au cas d’espèce » propres à justifier la mise à l’écart de la loi. Avec cette formulation, le Conseil d’Etat laisse néanmoins entendre, qu’en présence de telles circonstances, l’application de la condition d’âge posée à l’art. L. 2141-2 pourrait tout à fait être jugée comme portant atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale 15. Ainsi que l’a récemment montré le Professeur Marguénaud dans une étude publiée dans cette Revue, la Cour de cassation retient une approche plus audacieuse.
La Convention européenne a été au cœur de la nouvelle saga-judiciaire dans l’affaire Lambert. Dans un arrêt qui a fait couler beaucoup d’encre, la cour d’appel de Paris a considéré que la décision, prise par l’Etat français de ne pas exécuter une demande de mesure provisoire formulée par le Comité des droits des personnes handicapées constituait une voie de fait 16, en retenant l’atteinte à une liberté individuelle, le droit à la vie « consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme ». Le 28 juin 2019 17, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a cassé cet arrêt en retenant une définition de la voie de fait fidèle aux critères énoncés par le tribunal des conflits dans l’arrêt Bergoend du 17 juin 2013 18. Selon la Cour de cassation, le droit à la vie n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. Si la conclusion paraît on ne plus logique, les développements consacrés au droit à la vie dans l’avis du procureur général ne convainquent guère. Ainsi, peut-on lire « que contrairement à ce que la cour d’appel allègue, la Convention européenne des droits de l’homme ne procède à aucune hiérarchisation des droits fondamentaux et n’érige pas le droit à la vie “en valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme ». À l’évidence, il est fait ici une lecture erronée de la jurisprudence européenne. En faisant référence au droit à la vie comme « valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme », la Cour d’appel n’a fait en effet que reprendre une formule employée par la Cour elle-même dans l’affaire Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne 19. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, cette formulation suggère bien une hiérarchisation des droits garantis par la Convention.
Pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2019, sept thèmes ont été retenus : le premier arrêt en manquement rendu par la Cour (I), les implications procédurales du droit à la vie (II), les droits des étrangers (III), la protection des personnes internées et atteintes de troubles (IV), les exigences du procès équitable (V), le droit au respect de la vie privée et familiale (VI) et les droits politiques (VII).
I. Premier arrêt en manquement (art. 46 § 4 de la Convention EDH)
On sait, pour l’avoir abordé dans une précédente livraison de cette chronique, que l’arrêt Ilgar Mammadov c/Azerbaïdjan rendu par la grande chambre fait suite à l’activation par le Comité des ministres de la procédure en manquement prévue à l’article 46 § 4 de la Convention (issu du Protocole 14), laquelle lui permet de saisir la Cour pour déterminer si un Etat a refusé de se conformer à un arrêt définitif. En l’occurrence, constatant que l’arrêt Mammadov du 22 mai 2014 par lequel la Cour condamna l’Azerbaïdjan (pour l’arrestation et la détention arbitraires du requérant et détournement de pouvoir) n’avait toujours pas été exécuté, le Comité, après mise en demeure l’État défendeur, a adopté une résolution intérimaire 20à la majorité des deux tiers afin de saisir la Cour. Nous écrivions il y a peu que l’arrêt de 2014 supposait conformément à l’obligation de restitio in integrum la libération du requérant, c’est ce juge à l’unanimité la grande chambre dans son arrêt du 19 mai 2019, en estimant que l’Etat défendeur a manqué à l’obligation qui lui incombait, au titre de l’article 46, §1, de se conformer à l’arrêt Ilgar Mammadov du 22 mai 2014 21. À l’instar de l’avis du 10 avril, la grande chambre revêt ici l’habit du « juge pédagogue ». Solidement motivé, l’arrêt synthétise les « Principes généraux relatifs à l’exécution des arrêts de la Cour et découlant de l’article 46 §§ 1 et 2 » (§ 147 et s.) et précise « La tâche de la Cour dans le cadre d’une procédure en manquement fondée sur l’article 46 § 4 ». Sur ce point, la Cour avance prudemment et se montre soucieuse de mettre en exergue la complémentarité de son rôle avec celui du Comité des ministres. Aussi, souligne-t-elle que « la procédure en manquement ne vise pas à rompre l’équilibre institutionnel fondamental entre la Cour et le Comité des Ministres », « c’est au Comité des ministres, en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention, qu’il revient d’apprécier la mise en œuvre des [mesures indiquées par la Cour] » (§ 154). Et d’affirmer, dans le même temps, que « dans une procédure en manquement la Cour est appelée à livrer une appréciation juridique définitive sur la question du respect de l’arrêt en question » (§ 168). Somme toute, le dernier mot revient à l’organe juridictionnel.
Parmi les points précisés par la cour, figure le facteur temporel, c’est-à-dire la période qu’il lui faut prendre en compte pour déterminer si un État a manqué à son obligation de se conformer à un arrêt (§§ 170-171). Rapporté aux faits de l’espèce, ce paramètre était singulièrement important dans la mesure où M. Mammadov a bénéficié d’une libération conditionnelle intervenue le 13 août 2018, après le déclenchement de la procédure en manquement. La Cour se prononçant au moment où elle a été saisie d’une question sur le fondement de l’article 46 § 4 de la Convention, elle constate que les mesures prises avant cette date n’avaient pas permis de placer M. Mammadov une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention.
Le paiement de la satisfaction équitable n’empêche pas la Grande chambre de retenir ici un constat de violation. Pour ce faire, elle mobilisa un principe général du droit international, à savoir l’obligation de faire preuve de bonne foi dans l’exécution des arrêts. Le passage de l’arrêt qui nous intéresse mérite d’être reproduit in extenso : « toute la structure de la Convention repose sur le postulat général que les autorités publiques des États membres agissent de bonne foi. Cette structure englobe la procédure de surveillance, et l’exécution d’un arrêt doit se faire de bonne foi et de manière compatible avec les “conclusions et l’esprit“ de l’arrêt » (§ 214). L’exigence de bonne foi et le souci de protéger des droits concrets et effectifs sont au cœur de ce premier arrêt en manquement.
A la lecture de l’arrêt, on constate que le raisonnement de la Cour, quoique inspiré par la spécificité du droit européen des droits de l’homme, est davantage tourné vers le droit de la responsabilité internationale. En effet, le moins que l’on puisse dire est que le raisonnement retenu confirme le constat formulé par le Professeur S. Touzé selon lequel le contenu des obligations secondaires nées du constat de violation (« obligations de cessation de la violation, de non-répétition et, en cas de préjudice matériel ou/et moral, de réparation »), « bien que faisant appel à une terminologie spécifique au niveau européen, reste défini par le droit de la responsabilité internationale » 22. En effet, l’arrêt indique on peut plus clairement que « les obligations [imposées aux Etats] font écho aux principes de droit international selon lesquels un État responsable d’un acte illicite a le devoir d’assurer une restitution, laquelle consiste dans le rétablissement de la situation qui existait avant que l’acte illicite ne fût commis, pour autant que cette restitution ne soit pas “matériellement impossible“ et “n’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation“ ». En ce sens également, l’appel explicite aux articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, notamment les dispositions relatives aux « garanties de non-répétition » (art. 30) et les « formes de la réparation » (art. 34). Autant dire que si l’arrêt ne permet pas de vider la controverse entre les tenants d’une approche autonome du droit de la Convention et les partisans d’un arrimage du droit de la Convention aux règles du droit international, il révèle bien qu’en matière d’exécution des arrêts cette seconde approche semble avoir la préférence de la Cour. La juge Motoc relève d’ailleurs dans son opinion concordante que l’article 46 de la Convention est un copier-coller de l’article 94 de la Charte des Nations Unies. Au-delà, la montée en puissance que connaît le principe de bonne foi dans la jurisprudence européenne (v. également l’arrêt Güzelyurtlu et autres c/ Chypre et Turquie) illustre cette relation étroite qu’entretient la Convention avec les règles du droit international. Bref, la jurisprudence européenne s’inscrit résolument dans le cadre des principes généraux de la responsabilité internationale.
Pourrait-on envisager d’autres utilisations de l’option nucléaire, pour reprendre l’expression employée par la juge Motoc ? C’est a priori peu probable. Ne serait-ce que parce que les critiques formulées à l’endroit du Comité des ministres dans les nombreuses opinions concordantes risquent d’inciter celui-ci à la prudence. Outre l’empiètement sur la procédure nationale en cours, est souligné un empiètement sur le rôle de la Cour : « la présente espèce soulève une question fort délicate concernant le respect dû à l’indépendance d’un organe judiciaire international de protection des droits de l’homme lorsque celui-ci est appelé à trancher des affaires dans lesquelles les questions posées empiètent sur l’exécution de son précédent arrêt. Pour garantir la bonne administration de la justice par la Cour européenne des droits de l’homme, il est essentiel que tous les acteurs internationaux concernés, y compris les États et les organes du Conseil de l’Europe, respectent l’indépendance de la Cour et s’abstiennent d’intervenir dans l’examen de telle ou telle affaire pendante » 23. Cet arrêt n’est pas de nature à éclaircir la répartition des rôles entre la Cour et le Comité des ministres, qui devra in fine décider des mesures à prendre (art. 46§ 5). La responsabilité de la Cour ne doit pas être ici éludée. En l’espèce, celle-ci n’avait pas indiqué à l’Etat défendeur des mesures précises à prendre pour se conformer au premier arrêt 24.
Mustapha Afroukh
II. Implications procédurales du droit au respect de la vie
L’attention du lecteur mérite d’être attirée sur deux points : l’extension de l’obligation procédurale découlant de l’article 2 via l’applicabilité du droit à la vie aux accidents de la route (Gde. ch., 25 juin 2019, Nicolae Virgiliu Tănase c/ Roumanie, n°41720/13) et la clarification de la portée de cette obligation dans un contexte transfrontalier inédit, impliquant un État contractant et une entité de facto se trouvant sous le contrôle effectif d’un autre État contractant (Güzelyurtlu et a. c/ Chypre et Turquie).
A. L’obligation procédurale de l’article 2 applicable en cas d’accident de la route
Alors que rien ne l’y prédisposait, l’affaire Nicolae Virgiliu Tănase c/ Roumanie a assurément débouché sur l’un des arrêts phares et étonnants de l’année 2019. Elle conduit la Grande chambre à appliquer le droit le plus important de la Convention, l’article 2, à un banal accident de la route impliquant trois véhicules et ayant entraîné de graves lésions internes et fractures pour le requérant ! Une nouvelle fois, on mesure combien la Convention de 2019 n’est plus celle de 1950… tant il paraît clair que le champ d’application du droit à la vie n’a plus rien à voir avec celui imaginé par les auteurs de la Convention. La Cour a, en effet, de longue date forgé un droit à la protection de la vie invocable contre des atteintes indirectes émanant des autorités ou de particuliers, venant compléter l’obligation négative qu’imposait jusqu’alors l’article 2 de la Convention. Il faut ici remonter à la célèbre formule consacrée par l’arrêt de principe L.C.B. c/ Royaume-Uni : « la première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » 25. Par touches successives, ce nouveau droit à la protection de la vie a été jugé applicable dans le domaine de la santé publique, de risques naturels, voire même de risques liés à un défaut de sécurité dans l’espace public… 26. Dans ces situations, le juge européen avait déjà eu l’occasion de préciser que la mise de l’article 2 n’était pas subordonnée au décès de la personne, la question essentielle étant celle de savoir si l’activité dangereuse a fait courir au requérant un risque réel et imminent pour sa vie. In casu, le requérant alléguait une ineffectivité de l’enquête pénale menée à la suite de son accident, en invoquant notamment les articles 2, 3 et 8 de la Convention. Le gouvernement plaidait, pour sa part, l’inapplicabilité de ces dispositions, « faute d’un décès, de blessures suffisamment graves subies par le requérant, de circonstances ou de conséquences qui pourraient clairement être qualifiées de potentiellement mortelles » (§ 105). L’examen des griefs concernant le volet procédural des articles invoqués supposait, au préalable, que la Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, reconnaisse leur applicabilité. Dit autrement, qu’elle admette qu’un accident de la route tombe sous le coup de ces dispositions. Or, sur la question de la qualification de traitements inhumains et dégradants, il est intéressant de relever que la Cour prend clairement position en faveur de l’exclusion des lésions corporelles ou d’autres souffrances administrées par négligence du champ de l’article 3, « même lorsque les traitements en question ont été administrés par des particuliers » (§ 121). Rapportée aux faits de l’espèce, cette position signifie donc que des blessures graves causées par un accident de la route (involontaire) n’atteignent pas le seul de gravité de l’article 3. Conclusion identique sur le terrain de l’article 8, l’arrêt précisant que lésions corporelles causées par un accident de la route ne relèvent pas de la vie privée au sens de l’article 8 (§ 130). Exit donc les articles 3 et 8. A contrario, c’est à une conclusion opposée qu’aboutit la Cour en ce qui concerne l’article 2 de la Convention. L’arrêt dresse un inventaire des différents contextes dans lesquels l’obligation de protection de la vie a été reconnue, en particulier dans les cas d’accidents ou de négligence, et précise l’étendue de l’obligation positive imposée à l’Etat (§ 141). Aussi, le juge européen n’a jamais entendu circonscrire le champ d’application de l’obligation de protection de la vie, les contextes déjà envisagés dans sa jurisprudence n’étant pas « exhaustifs ». Limité initialement aux risques imminents pour la vie, ce devoir de précaution imposé aux Etats au titre de l’article 2 a été étendu aux blessures de nature à mettre gravement en danger la vie humaine. L’arrêt Nicolae Virgiliu Tănase présente cependant un aspect inédit, en ce qu’il applique pour la première fois ces principes dans le cadre de graves blessures causées par un accident de la route 27. Sans se prononcer sur le caractère dangereux de la conduite automobile, la Cour juge que les blessures subies par le requérant pouvaient, au moment de l’accident, raisonnablement apparaître comme suffisamment graves pour mettre sérieusement sa vie en danger. L’imprévisibilité de l’obligation conventionnelle n’empêche pas la Cour de juger l’article 2 applicable, ce qui lui permet d’examiner le grief du requérant sur l’ineffectivité de l’enquête pénale.
Alors que l’enquête pénale a duré plus de huit ans, l’arrêt n’y voit rien à redire, tirant même argument du fait que ce retard s’explique par la complexité de l’enquête ! On admettra que l’on puisse sortir légèrement désorienté d’un tel raisonnement, l’accident, somme toute banal, n’impliquant que trois véhicules… La solution de la Cour démontre une conception très souple de la diligence requise par l’article 2 de la Convention. Peut-être a-t-elle été effrayée par sa propre audace sur le terrain de l’applicabilité du droit à la vie, en reprenant d’une main ce qu’elle a concédé de l’autre. Toujours est-il qu’en retenant l’applicabilité du droit à la vie en l’espèce, la Cour ne fait que se conformer à une politique jurisprudentielle d’élargissement des « normes de comportement » 28 déduites de l’article 2 de la Convention : ici une obligation positive d’enquête effective dans le cas de blessures graves causées par un accident de la route. À l’instar des juges dissidents dans l’affaire Micallef c/ Malte (Gde. ch., 15 oct. 2009) qui dénonçaient « la disproportion entre la modestie des faits et ce luxe, voire cette débauche, de procédures, heurte le sens commun, alors surtout qu’il subsiste dans nombre d’Etats parties des violations graves des droits de l’homme. Notre Cour est-elle exactement faite pour cela ? » 29, on peut se poser la question de savoir si cette application du droit à la vie à un accident de route ne révèle pas la même disproportion, avec un résultat que l’on perçoit déjà depuis quelques années, à savoir une banalisation d’un droit sacré, érigé en valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme, devenu une sorte d’auberge espagnole. Eu égard aux enjeux, voire aux risques d’effets pervers produits par cette jurisprudence, n’aurait-il pas été plus judicieux de retenir une position moins rigide quant à l’applicabilité des articles 3 et 8 ? 30.
B. Quelle portée pour l’obligation procédurale de l’article 2 dans un contexte transfrontalier ?
L’affaire Güzelyurtlu et autres c/ Chypre et Turquie, qui concerne la même obligation procédurale d’enquête dans un contexte transfrontalier, retiendra sans doute l’attention des internationalistes. Etait en cause l’enquête relative à l’homicide de trois ressortissants chypriotes d’origine chypriote turque perpétré en 2005 dans la partie de Chypre contrôlée par le gouvernement chypriote. Après que les suspects aient fui en « République turque de Chypre du Nord » deux enquêtes parallèles furent menées : l’une par les autorités du gouvernement chypriote ; l’autre par les autorités du gouvernement turc, « RTCN » comprise. Ces enquêtes n’ont pas abouti en raison du différend politique profond qui oppose de longue date la République de Chypre et la Turquie. Les griefs soulevés par les requérants, proches des victimes, portent sur l’absence d’enquête effective et le refus des Etats de coopérer (art. 2 et 13). Dans son arrêt de chambre du 4 avril 2017, la Cour avait retenu un constat de violation de l’article 2 en son aspect procédural contre les deux Etats. Il faut croire que le gouvernement turc, qui a quand eu l’audace de soulever une exception d’incompatibilité ratione loci, ignorait toute la jurisprudence de la Cour pertinente sur la notion de juridiction, admettant que le nord de Chypre se trouve sous son contrôle effectif. Pareille attitude est désespérante. Son seul intérêt est de permettre ici à la Cour de réitérer les principes guidant son interprétation de la notion de juridiction au sens de l’article 1 de la Convention (§ 178 et s.). Quand bien même les événements à l’origine de la requête (les homicides) sont intervenus en dehors du territoire de l’Etat contractant (Turquie), le simple que les autorités de cet Etat ouvrent une enquête sur ces événements suffit à établir « un lien juridictionnel aux fins de l’article 1 entre l’État en question et les proches de la victime qui saisissent ultérieurement la Cour » (§ 188). Une telle dissociation de l’enquête du fait constitutif de l’ingérence apparaît comme d’autant plus justifiée que le juge européen s’est prononcé en 2009 en faveur de la détachabilité de l’obligation procédurale résultant de l’article 2 31. En l’espèce, une enquête a bien été ouverte par les autorités de la « RTCN » sur le meurtre des proches des requérants. Au surplus, l’obligation procédurale d’enquête pesait bien sur la Turquie. En prêtant une attention toute particulière à la situation au nord de Chypre et à la fuite des auteurs présumés des meurtres en « RTCN » dont la Turquie avait été informée, l’arrêt entend clairement démontrer que toute autre solution reviendrait à laisser impunies des atteintes au droit à la vie. Par conséquent, l’arrêt écarte l’exception d’incompatibilité ratione loci. À la question de savoir si les Etats défendeurs, Chypre et la Turquie, ont mené des enquêtes effectives sur les meurtres, la grande chambre, faisant sienne la conclusion de l’arrêt de chambre, répond par l’affirmative en soulignant « le caractère globalement adéquat des enquêtes qui ont été menées en parallèle par les autorités de chaque État défendeur » (§ 220). Cela étant, cette conclusion n’épuise pas le débat contentieux qui se porte sur le manque de coopération transfrontière. En effet, s’inscrivant dans le sillage de l’arrêt Ranstev c/ Chypre et Russie 32, elle contrôle, par le jeu des obligations procédurales inhérentes à l’article 2 de la Convention, si les Etats ont respecté leur « obligation (…) de coopérer de manière effective (…) afin d’éclaircir les circonstances de l’homicide et d’en faire traduire les auteurs en justice » (§ 232). Plus qu’une une simple reprise de la jurisprudence antérieure, il s’agit d’une clarification. En ce sens, la Cour précise pour la première fois que « l’article 2 peut imposer aux deux États une obligation bilatérale de coopérer l’un avec l’autre, impliquant dans le même temps une obligation de solliciter une assistance et une obligation de prêter son assistance » (§ 233). La combinaison des principes de bonne foi et d’effectivité est au cœur de cette obligation de coopération. De surcroît, le juge européen prend clairement position sur la portée de cette obligation, « obligation de moyens et non de résultat ». Comme l’obligation de coopérer implique en l’espèce un État contractant (Chypre), une entité de facto (« RCTN ») se trouvant sous le contrôle effectif d’un autre État contractant (Turquie), l’appréciation du manquement procédural à l’obligation de coopération s’en trouve naturellement affectée (relations diplomatiques rompues…), les moyens de coopération utilisés pouvant être « plus informels ou indirects, comme la médiation d’un État tiers ou d’une organisation internationale » (§ 237). À partir de là, la grande chambre examine successivement le respect de cette obligation de coopération par les deux Etats défendeurs. S’agissant, en premier lieu, de la République de Chypre, le juge européen est d’avis qu’elle a fait usage de tous les moyens qui étaient raisonnablement à sa disposition pour chercher à obtenir la remise/l’extradition par la Turquie des auteurs présumés des meurtres (demande à Interpol ; demandes d’extradition à la Turquie par l’intermédiaire de l’ambassade de Turquie à Athènes) et que son refus de remettre toutes les preuves aux autorités de la « RTCN » ou à la Turquie était justifié. Sur ce dernier point, l’arrêt met en scène un scénario diamétralement opposé : alors que la chambre, dans son arrêt du 4 avril 2017, avait estimé que la crainte de la République de Chypre de prêter la moindre légitimité à la « RTCN » n’était pas justifiée – une coopération n’impliquant pas une reconnaissance de la « RTCN » -, la grande chambre, soucieuse de ne pas « élaborer une théorie générale concernant la légalité au regard du droit international d’une coopération en matière pénale avec des entités non reconnues ou de facto » (§ 250), n’y voit aucun manquement à l’obligation procédurale d’enquête. C’est là faire preuve de prudence et de sagesse au regard des principes du droit international : comme l’a souligné notamment le juge Pastor Vilanova dans son opinion dissidente sous l’arrêt de chambre, la reconnaissance d’un État demeure un acte discrétionnaire. In specie, Chypre a pu estimer que la remise des preuves aurait pérennisé une occupation contraire aux principes du droit international 33. Pour conforter la large marge d’appréciation dont disposait Chypre pour refuser de communiquer les éléments de preuve à la « RTCN », la Cour ne manque de s’appuyer sur l’article 2 b) de la Convention d’entraide du Conseil de l’Europe qui permet à l’État requis la possibilité de refuser de prêter son assistance s’il considère que l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels du pays. Par ailleurs, la Cour a jugé que Chypre n’était pas non plus tenue de prendre part à d’autres modes de coopération tels que suggérés par l’UNFICYP 34. Aucune violation de l’article 2 (sous son volet procédural) n’est donc retenue contre Chypre. Quid de la Turquie ? Le traitement de cet aspect de l’affaire était plus aisé, dans la mesure où les autorités de la « RTCN » ont très clairement refusé de livrer les suspects des meurtres au gouvernement de Chypre. Pourtant saisies de plusieurs demandes d’extradition, les autorités turques ont gardé le silence, faisant preuve d’une totale passivité (§ 265). Stigmatisant l’absence d’un niveau minimum d’effort requis dans les circonstances de l’espèce, la grande chambre condamne la Turquie pour violation de l’article 2 sous son volet procédural.
Mustapha Afroukh
III. Droits des étrangers
A. Nouveaux contrastes dans les protections par ricochet contre l’éloignement
1 – L’enracinement de la subsidiarité (bis) dans le contrôle européen des atteintes portées au droit au respect de la vie privée et familiale
Concernant le contrôle des atteintes portées à la vie privée et familiale par une mesure d’éloignement fondée sur l’ordre public, les arrêts du 14 février 2019, Narjis c/ Italie (n° 57433/15) et du 9 avril 2019, I. M. c/ Suisse (n°23887/16) illustrent encore l’empreinte croissante du principe de subsidiarité, déjà signalée le semestre précédent 35. En effet, dans la ligne de l’arrêt Ndidi 36, la Cour s’y emploie principalement à vérifier que les juridictions internes aient dûment mis en balance les intérêts en présence, dans le respect des critères établis par sa jurisprudence Üner 37.
Dans l’affaire I. M. c/ Suisse, c’est donc parce que les tribunaux suisses n’ont pas suffisamment considéré certains desdits critères (tels que l’évolution de la situation et du comportement de l’intéressé depuis la perpétration des infractions) mais se sont livrés à un « contrôle superficiel de la proportionnalité », que le juge européen des droits de l’homme constate une violation de l’article 8. Au contraire, il ressort de l’affaire Narjis que les juridictions italiennes ont soigneusement soupesé l’intérêt du requérant à la protection de sa vie privée et l’intérêt de l’État à la sauvegarde de l’ordre public (§ 49) – notamment, le tribunal administratif régional de Milan qui a exercé « pleinement son rôle de juge conventionnel » (§ 50). Cependant, la conclusion de non-violation ne procède pas en l’occurrence de ces seules considérations procédurales. Si elle ne se livre pas à un contrôle normal de proportionnalité, la Cour ne commence pas moins par une revue sommaire des circonstances de l’espèce qui la conduit à admettre qu’en dépit de la longue durée de séjour du requérant en Italie et de la faiblesse des liens avec son pays d’origine, le parcours délictuel de l’intéressé, l’usage courant de stupéfiants et son apparente incapacité à s’intégrer dans le monde du travail ont légitimement pu faire douter les autorités de la solidité de ses liens sociaux et culturels dans le pays hôte, où il n’a ni femme ni enfants (§§ 44-48). A la lumière de cet argumentaire, qui n’est pas sans évoquer la motivation de l’arrêt Levakovic c. Danemark 38, il semble donc que l’application du principe de subsidiarité modifie la physionomie du contrôle européen sans l’expurger pour autant de toute vérification du juste équilibre. En ce sens, l’examen actuellement opéré par la Cour n’est devenu ni formel, ni purement procédural.
2– La qualification variable au titre de l’interdiction des tortures et traitements inhumains ou dégradants des risques encourus dans un Etat tiers
Cette Chronique a déjà permis de souligner également que depuis près de 20 ans, la Cour n’hésite plus à juger de règles issues de prescriptions coraniques au regard des valeurs de la Convention 39. Après la mort par lapidation 40, une autre peine inspirée de la Charia se trouve ainsi, à nouveau, sur la sellette dans l’arrêt du 4 avril, G.S. c/ Bulgarie (n°36538/17), à la faveur de ce qui est parfois désigné comme l’effet extra-territorial de l’article 3 CEDH. En l’espèce, le requérant – Georgien arrêté en Bulgarie – contestait sa possible extradition vers l’Iran où il était recherché en vue de poursuites pour vol, en alléguant y risquer une condamnation à 74 coups de fouet. Ce n’est pas la première fois que la Cour doit se prononcer sur un tel châtiment judiciaire et l’incompatibilité de la flagellation avec l’article 3 est acquise. D’abord dénoncée comme une « peine inhumaine en soi » 41, elle a en effet été jugée atteindre le seuil de la « torture » dès l’arrêt M.A. c/ Suisse 42. Aussi l’arrêt G.S. ne revêt-il guère qu’une portée confirmative sur ce point (§ 81), sans véritablement permettre de discerner si la qualification de « torture » vaut désormais par principe ou reste tributaire du nombre de coups de fouet applicables et des conditions de leur administration… Dans l’appréciation de la réalité du risque allégué, la motivation se distingue, en revanche, par une disqualification pure et simple des assurances diplomatiques fournies par les autorités iraniennes. Fustigeant, en premier lieu, leur manque de loyauté dans la procédure d’extradition au cas d’espèce (§ 90), la Cour trouve en effet là l’occasion de dénoncer, en second lieu, leur posture générale à l’égard des valeurs portées par le droit international et européen des droits de l’homme. A cet égard, sont successivement évoqués un discours officiel qui tient la flagellation pour « une forme légitime de châtiment faussement qualifiée de dégradant par l’Occident » (§ 90), la tendance apparente de l’Iran à rattacher les peines corporelles à un aspect important de sa souveraineté et de sa tradition légale, la non-ratification par cet Etat de la Convention des Nations-Unies contre la torture ainsi que son refus de suivre les recommandations internationales visant à bannir ces formes de peines judiciaires (§ 91). Last but no least, le constat s’étant fait que la flagellation est à la fois prévue et couramment appliquée en droit iranien, le juge européen rappelle que par principe, toute assurance contre la torture émanant d’un Etat où le phénomène est endémique ou persistant doit être accueillie avec réserve (§ 93). A l’heure où se développent les notions de pays tiers ou d’origine « sûrs », ces motifs de violation potentielle de l’article 3, en cas d’exécution de la décision d’extradition, reviennent donc à désigner l’Iran comme un pays « à risque ».
Non sans quelque opportunisme dans le contexte sécuritaire actuel, l’analyse de la situation prévalant en Algérie à l’égard des personnes impliquées dans des faits de terrorisme s’avère toute différente et renouvelée. Car, quoiqu’il mette en œuvre les mêmes principes jurisprudentiels et souligne en particulier que quels que soient les enjeux et les difficultés de la lutte contre cette forme complexe de criminalité, « la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants » (§ 112), l’arrêt du 24 avril 2019, A.M. c/ France (n°12148/18) rompt par sa motivation et sa conclusion sur le constat répété d’une risque réel et actuel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi vers ce pays 43. Arguant notamment des évolutions normatives et institutionnelles survenues sur le plan national depuis 2015 (§ 121), c’est-à-dire l’époque en cause dans la précédente affaire M.A. c/ France 44, la Cour estime en l’occurrence que « la situation générale en matière de traitement des personnes liées au terrorisme en Algérie n’empêche pas en soi l’éloignement du requérant » (§ 126). Une telle appréciation, qui dépasse les circonstances de la cause, interroge nécessairement, au regard tant de ses conséquences pour l’application de l’article 3 en l’espèce, que de ses fondements. En effet, les conséquences sont déterminantes en l’espèce, dans la mesure où l’évolution de la situation dans le pays de destination contribue, à trois niveaux, à réfuter le risque allégué : d’abord en tant qu’elle en constitue directement le premier paramètre d’évaluation ; ensuite parce c’est « en considération de la situation générale en Algérie » que ni les liens passés du requérant avec une cellule djihadiste, ni la connaissance par les autorités algériennes de sa condamnation en France pour faits de terrorisme ne sont jugés être des motifs personnels de risque convaincants (§ 132) ; enfin parce qu’en l’absence de risque avéré, des garanties diplomatiques ne sont pas considérées comme nécessaires, si bien qu’aucune incidence n’est attachée au refus des autorités algériennes d’en fournir (§ 133). Or, au vu des divers rapports joints en annexe de l’arrêt, l’évolution constatée en matière de traitement des personnes liées au terrorisme en Algérie paraît bien accommodante. Sont ainsi négligés ou minimisés la surdité persistante de l’Algérie, depuis 1997, aux demandes de visites des rapporteurs de l’ONU sur les tortures ; « certaines informations inquiétantes » (§ 122), relatives notamment à l’absence d’interdiction légale des aveux obtenus sous la torture et à l’existence de lieux de détention secrets (§§ 35-36); des caractéristiques problématiques des procédures pénales algériennes, y compris les difficultés potentielles d’accès à un médecin, réputées pouvoir éventuellement faire douter du respect du droit à un procès équitable mais non accréditer l’existence d’un risque général de mauvais traitements sous l’angle de l’article 3 de la Convention pour telle ou telle catégorie de personnes (§ 125) alors qu’en contrepoint, un poids prépondérant est accordé à une décision de la Cour administrative fédérale allemande du 27 mars 2018 dans l’examen de la pratique des Etats parties (§ 124). C’est pourtant sur ces fondements choisis, qu’en écho à la mise en exergue – assez rare dans ce cadre – du principe de subsidiarité (§ 116), la Cour partage en définitive les conclusions de toutes les instances françaises qui ont débouté le requérant (§ 132). Aussi est-on d’autant plus conduit à se demander si l’article 3 n’est pas une « norme absolument relative » plutôt que « relativement absolue » 45.
B. Réaffirmation de l’obligation de protection et de prise en charge des mineurs isolés étrangers par les Etats parties
Relatif à la situation d’un jeune migrant afghan, non accompagné, qui avait échoué comme tant d’autres dans la Lande de Calais où il a vécu pendant 6 mois dans des conditions plus que précaires malgré une ordonnance de placement provisoire dans une structure d’aide sociale à l’enfance, l’arrêt Khan c/ France (28 févr. 2019, n°12267/16) présente ce double intérêt de consolider la protection due aux mineurs isolés étrangers (M.I.E.) et d’autre part, de créer un jeu de miroirs avec la décision du juge des référés du Conseil d’Etat sur les obligations incombant aux autorités à l’égard des migrants rassemblés sur ce même site 46.
Certes, la Cour ne consacre pas de principes inédits dans l’interprétation de l’article 3. Depuis l’arrêt Rahimi c/ Grèce notamment 47, il est non seulement établi que « la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal », mais aussi que les mineurs étrangers non accompagnés en situation irrégulière sont parmi les « personnes les plus vulnérables de la société » , à l’égard desquelles l’article 3 de la Convention fait donc peser sur les Etats une obligation positive de prise en charge et de protection. En outre, on ne saurait négliger que bien d’autres espèces ont été l’occasion d’en faire application, y compris durant ce premier semestre 2019 48. Si l’arrêt Khan mérite néanmoins d’être qualifié d’affaire phare, c’est parce qu’il donne la pleine mesure de cette obligation positive matérielle, dans de nouvelles circonstances. En l’occurrence, en effet, la cause ne porte pas – comme dans de nombreuses affaires grecques 49 – sur l’indifférence des autorités nationales à la vulnérabilité de M.I.E qui leur étaient connus puisqu’elles les avaient arrêtés, mais sur l’absence même d’identification du requérant comme M.I.E avant intervention d’associations et sur l’incapacité, ensuite, des pouvoirs publics à le localiser pour donner exécution à la décision judiciaire de sauvegarde le concernant. Or, loin de les dédouaner, le fait que la situation de Jamil Khan leur ait échappé va accuser leur responsabilité. Logiquement, la Cour stigmatise une carence problématique de l’Etat (§§ 88-89), sans retenir le manque allégué de coopération de l’intéressé (§ 90), ni s’arrêter à la difficulté concrète de le repérer parmi les milliers de personnes présentes sur la lande à l’époque des faits (§ 91). Partant du constat que même si elles n’ont pas été totalement inactives, les autorités n’ont pas fait « tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à leur obligation de protection et de prise en charge (§ 94), l’arrêt Khan condamne donc un traitement dégradant à raison de l’«environnement totalement inadapté à sa condition d’enfant » et de la « précarité inacceptable au regard de son jeune âge » dans lesquels le requérant a vécu (§ 93), examinés ensemble avec l’inexécution de l’ordonnance de placement (§ 94).
De même que la qualification des conditions de vie dans la lande de Calais emprunte largement aux analyses du juge administratif des référés (§§ 80-81), cette conclusion rejoint ainsi l’ordonnance du Conseil d’Etat du 23 novembre 2015, qui avait déjà caractérisé une carence de l’Etat dans la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants vivant sur le site en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable, de nature à exposer ces personnes à des traitements inhumains ou dégradants 50. Et la symétrie des appréciations se dessine d’autant plus que si l’ordonnance ne distingue pas à cet égard la situation des enfants non-accompagnés de celles des autres migrants, elle ne met pas moins en exergue leur particulière vulnérabilité à travers l’injonction de procéder dans les 48 heures au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement 51. Reste que sur ce point précis, le juge administratif ne semble pas s’être fondé sur les exigences de l’article 3, tout en demeurant très mesuré dans sa conception des obligations imputables à l’Etat à l’égard des M.I.E (les limitant à ceux-là seulement qui se trouvent en détresse, sans garantir une prise en charge effective). A cette aune, il est alors permis de considérer que par un effet dialectique, l’arrêt Khan aurait de quoi inspirer au juge national de nouvelles avancées
C. Spécifications sur le droit de recours contre une mesure de rétention
La rétention des migrants, dans l’attente d’un renvoi, d’une clarification de leur statut ou d’une décision sur leur demande de protection internationale, est une pratique qui tend à se justifier dans la jurisprudence européenne, que ce soit celle de la Cour de justice de l’Union européenne 52 ou celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Reprenant les considérations de l’arrêt J.R. et autres c/ Grèce 53, l’arrêt du 21 mars, O.S.A. c/ Grèce (n°39065/16) confirme ainsi la compatibilité avec l’article 5§1 d’un enfermement à fins d’identification et d’enregistrement des étrangers candidats à l’entrée dans l’Union européenne, tandis que prenant acte des heureuses évolutions survenues dans la législation maltaise depuis les constats sévères de l’arrêt Suso Musa c/ Malte 54, l’arrêt du 2 avril, Aboya Boa Jean c/ Malte (n°62676/16) exonère, quant à lui, la rétention d’un demandeur d’asile ivoirien de tout grief d’arbitraire. Dans ce contexte, les garanties accordées aux personnes détenues prennent d’autant plus d’importance et c’est à cet égard, s’agissant plus précisément du droit de recours consacré par l’article 5§4 de la Convention, que les références du printemps 2019 valent d’être signalées.
Concernant le même centre d’identification et d’enregistrement de l’île de Chios, l’arrêt O.S.A, prolonge en effet les conclusions de l’arrêt précité J.R. et autres c/ Grèce 55, par la ferme condamnation du manque d’accessibilité pratique des recours prévus en droit interne, faute non seulement d’informations compréhensibles des intéressés sur les voies de droit existantes, mais aussi d’assistance judiciaire suffisante et de juridiction compétente sur l’île. Ce disant, la Cour apporte donc une sanction juridictionnelle à certains des problèmes pointés dans de nombreux rapports relatifs à la situation des migrants au sein du centre Vial.
L’apport de l’arrêt Aboya Boa Jean c/ Malte se révèle plus mitigé en termes de consolidation du droit de faire contrôler, à bref délai, la légalité d’une privation de liberté. L’affaire offre certes au juge européen l’opportunité de trancher une question de droit inédite. Le requérant se plaignait en effet d’une méconnaissance de son droit de recours, en raison du non-respect des délais maximaux – de deux fois sept jours ouvrables – imposés par la législation nationale pour procéder au premier réexamen automatique de sa rétention. Pour la Cour cependant, et à la différence des principes prévalant au regard de l’article 5§1, pareille irrégularité procédurale « n’emporte pas automatiquement violation de l’article 5 § 4, pour autant que la légalité de la détention du requérant a été examinée rapidement » (§ 80). A partir de là, l’arrêt ne fait que confirmer la grande malléabilité de la notion de « bref délai », qui est fonction des circonstances de chaque espèce, notamment de la nature de la privation de liberté (selon qu’il s’agit d’une incarcération sur condamnation judiciaire, d’un internement d’aliéné, d’une détention en vue d’un éloignement ou comme en l’occurrence, durant l’instruction d’une demande d’asile) et des diligences accomplies par les autorités. En l’occurrence, il est donc tout bonnement déclaré que l’écoulement d’un délai de 20 jours calendaires depuis le début de la rétention – portés à 25 en raison d’une demande d’ajournement formulée par le requérant lui-même – « ne saurait être considéré comme déraisonnable ». C’est dire combien l’article 5§4 est susceptible de s’adapter aux aléas et à la diversité des procédures nationales (le système français apparaissant en comparaison comme un champion de la célérité, en imposant une saisine du juge des libertés et de la détention 48 heures après tout placement en rétention).
Caroline Boiteux-Picheral
IV. La difficile protection des droits des individus dont la santé mentale est altérée
Deux affaires rendues par la Grande chambre le 31 janvier 2019 amènent à constater une fois de plus à quel point la protection des droits des individus atteints de troubles mentaux s’avère difficile pour la Cour, qui insiste pourtant régulièrement sur la nécessité de garantir l’équilibre particulièrement délicat qu’impose la prise en compte de leur vulnérabilité.
La première (Fernandes de Oliveira c/ Portugal) concerne le suicide d’un homme qui, souffrant de troubles mentaux, avait quitté l’établissement où il se trouvait hospitalisé volontairement pour aller se jeter sous un train. Alors que la requérante soutenait que son fils aurait dû se trouver sous surveillance médicale et être empêché de quitter l’hôpital, et contrairement à la chambre qui avait conclu à l’unanimité à la violation de l’article 2 sous son volet matériel, la Grande chambre conclut ici à la non-violation (par 15 voix contre 2) en considérant que les mesures destinées à le protéger s’étaient avérées adéquates. Elle conclut en revanche unanimement à sa violation en son volet procédural en raison de la durée de la procédure en réparation (plus de 11 ans), le Gouvernement portugais ayant lui-même reconnu sa durée excessive.
La Grande chambre rappelle tout d’abord que les États ont l’obligation positive de « mettre en place un cadre réglementaire pour protéger la vie des patients » – dont une procédure judiciaire permettant d’établir les causes du décès d’un individu placé sous la responsabilité de professionnels de santé – obligation à laquelle s’ajoute parfois celle de « prendre préventivement des mesures d’ordre pratique » pour protéger l’individu contre autrui ou contre lui-même (§§ 124 et s.). Si elle précise pour la première fois expressément que cette obligation s’étend aux malades mentaux hospitalisés, qu’ils le soient volontairement ou non (même si leur absence de consentement peut alors l’amener à « appliquer un critère de contrôle plus strict »), la solution adoptée repose en fait très largement sur le critère dégagé dans l’arrêt Keenan c/ Royaume-Uni 56 : les autorités savaient-elles ou auraient-elles dû savoir qu’il existait « un risque réel et immédiat » de voir l’intéressé attenter à ses jours ? Et, si oui, avait-elles fait « tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir ce risque en prenant les mesures de restriction dont elles disposaient » ? 57
Elle rejette ainsi les griefs concernant à la fois l’inexistence à l’hôpital d’installations de sécurité renforcées telles que « des clôtures et des murs aptes à empêcher les patients d’en quitter l’enceinte » en considérant que cet « environnement moins restrictif » était conforme au droit interne comme aux standards internationaux et l’insuffisance de la procédure de surveillance des patients hospitalisés avec leur consentement (établissement d’un emploi du temps régulier, vérification de leur présence au moment des repas et de leur prise de médicaments), jugée conforme aux exigences du droit à la vie privée, la Cour ayant déjà souligné que des mesures de surveillance excessivement restrictives pouvaient, dans ce cadre, soulever des questions sous l’angle des articles 3, 5 et 8 de la Convention. De même, la procédure d’urgence, consistant à prévenir à la fois le médecin d’astreinte, la police et la famille du patient en cas de fuite, est jugée adéquate.
On mesure ici la difficulté d’évaluer juridiquement l’usage que les autorités nationales ont pu faire de la marge de manœuvre qui leur est ainsi laissée par la juridiction strasbourgeoise alors qu’il peut s’avérer extrêmement délicat de déterminer l’existence d’un risque « réel et immédiat » pour la vie du patient. Plus spécifiquement, comment parvenir à établir qu’elles « auraient dû savoir » qu’un tel risque existait ? En effet, la Grande chambre estime que « les autorités portugaises ont pris préventivement les mesures opérationnelles nécessaires en ce qui concerne A.J., qui ne présentait pas un risque réel et immédiat de suicide » 58. Elle note notamment que l’hôpital aurait pu ordonner une hospitalisation d’office et que le médecin aurait pu imposer un régime de surveillance plus restrictif si cela avait été jugé nécessaire. Mais le suicide du fils de la requérante n’est-il pas venu établir – a posteriori – que cela aurait justement été nécessaire, amenant à songer aux mots de Michel Foucault : « Ruse et nouveau triomphe de la folie : ce monde qui croit la mesurer, la justifier par la psychologie, c’est devant elle qu’il doit se justifier » 59 ?
Car, pour saisir une situation individuelle, la Grande chambre se fonde ici sur la « philosophie générale » (§ 130) du droit interne, choix que le juge Pinto de Albuquerque reproche très durement à la majorité, dont il considère qu’elle n’envisage qu’un « pays imaginaire », dans la mesure où ce cadre légal « était de toute évidence inexistant » (pt. 1) car, « en 2000, le Portugal en était au stade de la préhistoire en matière de prévention du suicide chez les patients hospitalisés dans un établissement psychiatrique. Il n’existait ni législation ni réglementation indiquant les types de régimes applicables et précisant qui pouvait les appliquer, dans quelles circonstances et pour quelle durée » (pt. 13). On peut s’étonner, en effet, de cette approche sans doute trop monolithique pour permettre une véritable pesée des intérêts, revenant à faire très largement crédit à l’État. D’autant que le second arrêt présente un caractère plus équilibré.
Cette seconde affaire (Rooman c/ Belgique) concerne la qualité des soins prodigués à un déséquilibré mental interné depuis 2004 dans un établissement dépourvu de personnel médical parlant sa langue 60. La Grande chambre rejette ici la thèse du Gouvernement belge tendant à établir l’absence de lien de causalité entre l’absence de personnel médical germanophone et le défaut de prise en charge thérapeutique de l’état de santé mentale du requérant, voyant au contraire dans cette impossibilité de communiquer « la raison principale » de ce défaut. En effet, si des mesures concrètes avait été préconisées par les instances de défense sociale depuis plus de dix ans, il avait fallu attendre 2010 puis 2014 pour que le requérant puisse avoir accès -de manière temporaire, seulement 61 – à une psychologue parlant sa langue. Par un arrêt du 18 juillet 2017, la Chambre avait conclu unanimement que son maintien en détention pendant treize ans sans encadrement médical approprié avait constitué un traitement dégradant contraire à l’article 3 car, l’allemand étant l’une des langues officielles du pays, les carences identifiées s’identifiaient à une « absence de prise en charge adéquate » de son état de santé, sans que son comportement n’ait dispensé l’État de ses obligations. Considérant que l’établissement dans lequel il se trouvait était néanmoins « a priori adapté » à son état de santé et à sa dangerosité et qu’il y avait toujours eu un lien entre le motif de son internement et sa maladie mentale, elle avait en revanche conclut, par 6 voix contre 1, à la non-violation de l’article 5 § 1 en estimant sa privation de liberté régulière.
Sur le premier point, l’arrêt confirme la solution rendue en 2017 mais contribue à en restreindre la portée car, pour la Grande chambre, ce n’est qu’en l’absence d’autres éléments permettant de compenser ce défaut de communication que l’élément purement linguistique peut être décisif pour déterminer l’existence de soins appropriés. De plus, elle introduit ici un critère subjectif supplémentaire en ajoutant que cela vaut « sous réserve de la coopération de la personne concernée ». Concernant la période 2004-2017, examinée par la Chambre, elle conclut à la violation de l’article 3 par 16 voix contre 1 en constatant que les autorités s’étaient bornées à observer que le personnel ne parlait pas allemand mais que le requérant était trop dangereux pour être transféré dans un établissement germanophone, moins sécurisé. Elle conclut en revanche à la non-violation par 14 voix contre 3 pour la période ultérieure, au triple motif que les autorités avaient « manifesté une volonté réelle de remédier à la situation [par des mesures concrètes] après l’arrêt de la chambre », que « le manque de réceptivité du requérant face à la mise à sa disposition de soins psychiatriques » ne pouvait donc leur être imputé 62 et que « la brièveté de la période écoulée depuis cette évolution n’offr[ait] guère de recul pour évaluer l’impact de la prise en charge » (§ 166).
Sur le second point, en revanche, l’arrêt s’analyse comme une avancée pour la protection des droits des individus internés pour troubles mentaux. En effet, la Grande chambre précise tout d’abord que « l’article 5 tel qu’interprété aujourd’hui ne contient pas une interdiction de la détention fondée sur l’incapacité, à la différence de ce que propose le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU » (§ 205), dès lors que, sous l’angle de l’article 5 § 1 e), la privation de liberté doit viser aussi bien « une fonction sociale de protection » qu’une « fonction thérapeutique », soulignant expressément que « [l]a nécessité d’assurer la première […] ne devrait pas a priori justifier l’absence de mesures visant à accomplir la seconde » (§ 210). « [L]’administration d’un traitement adapté et individualisé fai[san]t partie intégrante de la notion d' »établissement approprié » » (§ 210), elle ne doit donc pas se limiter à considérer le type d’établissement concerné 63 mais, sans qu’il lui appartienne d’analyser le contenu des soins proposés, elle doit être « en mesure de vérifier l’existence d’un parcours individualisé tenant compte des spécificités de l’état de santé mentale de la personne internée dans l’objectif de préparer celle-ci à une éventuelle future réinsertion », en accordant aux autorités « une certaine marge de manœuvre à la fois pour la forme et pour le contenu de la prise en charge thérapeutique ou du parcours médical » (§ 209). Ainsi, « d’éventuelles conséquences négatives sur les chances d’évolution de la situation personnelle du requérant ne conduiraient pas nécessairement à un constat de violation de l’article 5 § 1, sous réserve que les autorités aient déployé des efforts suffisants pour surmonter tout problème entravant la thérapie » (§ 211), les exigences en la matière s’apparentant davantage à une obligation de moyens que de résultats.
Avec une pédagogie très largement absente de l’arrêt précédent, la Grande chambre explicite alors l’articulation de l’analyse des griefs tirés de l’absence alléguée de « soins appropriés » en soulignant que l’intensité de son contrôle « peut différer selon des allégations présentées sous l’angle de l’article 3 ou de l’article 5 § 1 » (§ 213), un constat de violation ou de non-violation du premier n’entraînant pas de conséquence automatique quant à la violation ou non du second puisque le contrôle opéré repose dans un cas sur l’examen d’un « seuil » permettant la mise en œuvre de l’article 3 et dans l’autre sur l’examen du lien entre le but de la privation de liberté et ses conditions d’exécution. Sans que l’article 5 § 1 ne garantisse un droit pour une personne internée à bénéficier de soins dans sa langue, elle relève donc néanmoins « l’importance du facteur linguistique comme moyen de communiquer les informations relatives au traitement » (§ 238), ce qui l’amène à conclure unanimement à la violation de cet article pour la période 2004-2017, faute d’un véritable « parcours thérapeutique », mais à sa non-violation (par 10 voix contre 7) pour la période ultérieure. Jouant les équilibristes entre la liberté de l’individu atteint de troubles psychiques et la vulnérabilité qui amoindrit sa capacité à décider pour lui-même, c’est en soulignant que les autorités restent tenues d’offrir au requérant les soins et l’accompagnement susceptibles de lui offrir « un espoir de sortie » (§ 241) qu’elle conclut ici qu’elles s’étaient bien acquittées de l’obligation de moyens qui pesait sur elles. Au final, la situation du requérant n’a pourtant guère évolué. Ses chances de réinsertion n’ont pas augmenté. Il se voit seulement allouer, en réparation du préjudice moral subi, la somme de 32500 € dont on peut gager qu’il n’aura guère l’usage. Une occasion de méditer, au regard de l’utilité casuistique de la jurisprudence (qui doit refléter la double fonction du juge : dire le droit et rendre la justice), la phrase que G. Tomasi di Lampedusa prête à Tancredi dans Il Gattopardo : « Se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi » 64.
Céline Husson-Rochcongar
V. Exigences du procès équitable
A. Jusqu’où tolérer les « entorses » à la procédure de nomination des juges ?
Dans l’affaire Guðmundur Andri Ástráðsson c/ Islande 65, le requérant alléguait que la nomination irrégulière (reconnue par la Cour suprême) de l’une des juges ayant participé à la formation de jugement chargée de connaître de l’accusation pénale portée contre lui avait violé son droit à un procès équitable au motif que le tribunal n’avait pas été « établi par la loi ». Rappelant que seule une « violation flagrante » du droit interne (tant par sa « nature » que par sa « gravité ») peut l’autoriser à réexaminer l’interprétation retenue par les juridictions nationales, la Cour considère que tel avait bien été le cas en l’espèce du fait du non-respect de la procédure de nomination de magistrats à la Cour d’appel et conclut à la violation de l’article 6 § 1, par 5 voix contre 2. En effet, la ministre de la Justice avait remplacé, sans comparaison approfondie de leurs compétences, quatre des quinze candidats qui figuraient en haut de la liste des personnes considérées comme qualifiées par le comité d’experts spécialement constitué pour l’établir par quatre autres figurant plus bas, ce qui avait entraîné une « défaillance fondamentale » dans la procédure de nomination (§ 116). De même, le Parlement avait violé la règle imposant un vote séparé sur chaque candidat pour préférer une stratégie partisane (§ 119) que le cadre légal cherchait justement à éviter, ce qui constituait également une « grave défaillance dans la procédure de nomination, laquelle a eu une incidence sur l’intégrité de la procédure dans son ensemble » (§ 122).
C’est donc au regard de l’équilibre entre pouvoirs exécutif et législatif que la Cour considère que la procédure avait été violée « au détriment de la confiance que l’ordre judiciaire doit inspirer au public dans une société démocratique [ce qui avait] porté atteinte à l’essence même de l’un des principes fondamentaux de la prééminence du droit, selon lequel un tribunal doit être établi par la loi » (§ 123). Dans leur opinion dissidente, les juges Lemmens et Gritco reprochent pour leur part à la majorité d’avoir ouvert « une boîte de Pandore, en offrant aux prévenus un argument, indéfiniment disponible, pour contester leur condamnation », estimant que la solution retenue constitue « an example of “overkill“ ». « The pilot in this case (the Minister of Justice, followed by Parliament) made a navigation mistake, but that is not a reason to shoot down the plane (the Court of Appeal) ».
B. Droit à un interprète et devoirs de l’interprète
L’affaire Knox c/ Italie 66 concernait une étudiante américaine de 20 ans qui se trouvait en Italie depuis 2 mois lorsqu’elle avait été accusée du meurtre de sa colocataire. Ayant été entendue de nuit et en état de choc par trois agents de police et sans assistance d’un défenseur, elle avait bénéficié de la présence d’une interprète qui avait adopté avec elle une attitude maternelle. Dans ce contexte, elle avait formulé des accusations à l’encontre de D.L., avant d’être arrêtée (ainsi que son petit ami) pour violences sexuelles et meurtre et de se rétracter quelques heures plus tard. Acquittée de ces chefs d’accusation en 2015, elle avait toutefois également été mise en examen en 2008 pour dénonciation calomnieuse et condamnée à trois ans de réclusion.
Rien ne permettant d’établir l’existence de traitements inhumains ou dégradants, la Cour conclut néanmoins unanimement à la violation de l’article 3 en son volet procédural faute d’enquête alors que le comportement « clairement déplacé » de l’interprète et de l’un des agents de police (qui l’avait prise dans ses bras) « fournissant des informations quant au contexte général dans lequel l’audition de la requérante a eu lieu, auraient dû alerter les autorités nationales quant à la possible atteinte au respect de [s]a dignité […] et à sa capacité d’autodétermination » (§ 133) 67.
Toutefois, c’est surtout sous l’angle du droit à un procès équitable que l’affaire doit être examinée, la Cour rendant ici unanimement un double constat de violation après avoir jugé l’article 6 applicable en constatant que la requérante avait fait l’objet d’une « accusation en matière pénale » à partir de 5h45 la nuit du meurtre. Quant à l’article 6 § 1 tout d’abord, elle n’identifie aucune raison impérieuse susceptible de justifier la restriction à l’accès à un avocat de Mme Knox, dont les dépositions litigieuses avaient été utilisées lors de son procès comme constituant en elles-mêmes une infraction pénale et la preuve matérielle menant à un verdict de culpabilité, alors même que le procès-verbal de l’interrogatoire ne faisait pas état de la notification de ses droits procéduraux, l’ensemble ayant porté une « atteinte irrémédiable » à l’équité du procès dans son ensemble. Elle conclut de même quant à l’article 6 § 3 e) en constatant que les autorités n’avaient pas apprécié le comportement de l’interprète, ni cherché à évaluer s’il s’était avéré conforme aux exigences de la Convention ou s’il avait eu un « impact » sur l’issue de la procédure pénale alors qu’il avait bien eu des répercussions sur d’autres droits qui y étaient étroitement liés.
Céline Husson-Rochcongar
VI. Droit au respect de la vie privée et familiale
A. Les mesures d’ordre sécuritaire et leur impact : quel(s) équilibre(s) ?
Bien que s’inscrivant dans des cadres assez divers (collecte et conservation par la police de données personnelles d’un militant pacifiste, latitude conférée aux agents des services de l’immigration dans le contrôle des passagers ou refus d’autoriser des détenus à assister aux obsèques d’un proche), cinq affaires relatives à la mise en œuvre de mesures d’ordre sécuritaire et à leur impact sur le droit au respect de la vie privée ont en commun de refléter une approche relativement libérale de recherche d’équilibre entre intérêts particuliers et intérêt général, spécialement en matière de lutte anti-terroriste. En effet, comme la Cour le répète depuis son arrêt Aksoy c/ Turquie 68, si cette lutte impose aux États une vigilance renforcée qui les amène à mettre en place un ensemble de dispositifs de sécurité et de contrôle, elle ne saurait toutefois leur offrir une latitude illimitée. Les marges de manœuvre dégagées ne sont pourtant pas forcément là où l’on aurait pu les attendre.
Dans la première affaire 69, un militant pacifiste de 94 ans se plaignait de la collecte et surtout de la conservation de données personnelles le concernant dans une base de données policière relative à « l’extrémisme national » (entre mars 2005 et octobre 2009, il avait fait l’objet de 66 inscriptions). Pour la Cour Suprême, cette conservation était prévue par la loi et proportionnée dans la mesure où l’atteinte à son droit à la vie privée avait été « minime », les informations détenues n’étant ni intimes, ni sensibles. La Cour conclut en revanche à la violation de l’article 8 de la Convention au motif que, révélant des opinions politiques, ces données auraient dû bénéficier d’une protection accrue, et ce d’autant plus que le requérant – qui n’avait jamais été violent par le passé et présentait peu de risques de le devenir – ne constituait pas une menace. Estimant qu’il existait certes un besoin impérieux de les recueillir et que leur collecte s’était faite en toute transparence alors que le requérant, militant pour la paix depuis 1948, s’était « associé publiquement aux activités d’un groupe protestataire violent », elle relève surtout l’ineffectivité des garanties procédurales concernant leur conservation. Particulièrement, elle souligne l’absence de durée maximale de celle-ci, pourtant imposée par les résolutions relatives à la protection de la vie privée adoptées par le Comité des ministres 70 et constate que leur réexamen prévu au bout de 6 ans minimum ne semblait guère effectif puisqu’il avait bel et bien été décidé de conserver des données sensibles. Elle fait ainsi mention de sa préoccupation quant à l’effectivité des voies de recours disponibles, dans la mesure où le volume de données conservées concernant le requérant s’était avéré plus important que celui que la police avait initialement reconnu détenir.
Si la lecture des faits ne laissait guère de doute quant à la solution apportée, le raisonnement suivi par la majorité 71 peut néanmoins surprendre. En effet, en s’attachant essentiellement à la « nécessité » de ces mesures et à l’absence de tout « besoin social impérieux » en s’appuyant sur l’arrêt S. et Marper c/ Royaume-Uni 72 (qui l’amène à dépouiller l’État d’une grande partie de sa marge d’appréciation), la Cour semble opter pour la facilité, rendant davantage une solution d’espèce que de principe. Car, si le risque paraît relativement faible qu’elle soit sous peu saisie d’une nouvelle affaire relative à un militant très âgé, il s’avère en revanche nettement plus probable que la question se trouve à nouveau posée concernant des militants encore en âge et en capacité physique de « constituer une menace » pour l’ordre et la sécurité publics. Or, lorsque cela ne manquera pas de se produire, la Cour devra alors envisager de se pencher réellement sur la « qualité de la loi » ayant rendu possible la conservation de données « potentiellement indéfiniment » (§ 120).
Dans la deuxième affaire 73, c’est la législation antiterroriste britannique 74 habilitant les agents des services de l’immigration à interpeller, fouiller et interroger les passagers dans les ports, aéroports et terminaux ferroviaires internationaux qui était en cause dans la mesure où aucune autorisation préalable ni aucun soupçon de participation à une entreprise terroriste n’était nécessaire. Condamnée pour avoir refusé de répondre aux questions posées hors de la présence de son avocat, la requérante avait vu son recours rejeté par la Cour suprême qui avait considéré la loi telle qu’en vigueur lors de son examen, c’est-à-dire modifiée par une loi de 2014 et une nouvelle version du Code of Practice, interdisant tout interrogatoire sans avocat et rendant obligatoire le placement en détention des individus interrogés pendant plus d’une heure et leur remise en liberté après six heures d’interrogatoire (et non plus neuf).
Recherchant si le droit interne encadrait suffisamment l’exercice de ces pouvoirs pour garantir une protection adéquate du droit au respect de la vie privée contre d’éventuels abus, la Cour répond unanimement par la négative et conclut qu’ils n’étaient pas « prévus par la loi », en violation de l’article 8, au terme d’un raisonnement en cinq points : 1. Le fait que ces pouvoirs étendus s’appliquent de manière permanente à l’ensemble des contrôles aux frontières n’était pas « en soi » contraire au principe de légalité ; 2. L’absence de toute condition de « soupçon légitime » n’a pas non plus entraîné l’illégalité de leur exercice car une telle condition aurait affaibli la protection de la sécurité nationale, toute interpellation attirant l’attention de l’individu surveillé. Il convenait donc d’évaluer le dispositif dans son ensemble en distinguant pouvoir d’interroger et de fouiller et pouvoir de détenir (la requérante n’ayant pas été détenue) et en considérant les instructions données aux agents (selon la Cour, ce dispositif a joué un rôle « très précieux » face à la « menace très réelle » que constitue le terrorisme, sans mise en œuvre « abusive ») ; 3. Les agents pouvaient interroger un individu pendant neuf heures hors de la présence d’un avocat, sans « soupçon légitime » et sans le détenir officiellement ; 4. L’absence d’exigence de « soupçon légitime » rendait difficile le contrôle juridictionnel de leur décision ; 5. Le contrôle exercé par l’évaluateur indépendant de la législation antiterroriste n’était pas « de nature à compenser » une telle insuffisance de garantie. Elle n’attribue toutefois aucune indemnité à la requérante… dont l’époux était emprisonné en France pour infractions terroristes 75.
Enfin, dans trois affaires concernant le refus d’autorisation de sortie provisoire opposé à des détenus par les autorités suite au décès de l’un de leurs proches, les solutions adoptées s’attachent à rechercher l’existence d’une prise en compte individualisée de la situation des requérants. Toutefois, là encore, le libéralisme de principe manifesté par la Cour doit se plier aux contraintes matérielles, liées notamment aux conditions de faisabilité de l’organisation de leur sortie, lesquelles sont examinées de manière assez peu approfondie. Par le passé, la Cour avait déjà eu l’occasion d’affirmer que le refus d’une telle autorisation constitue une ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale, même si la détention implique en elle-même une limitation de ce droit 76. Dans l’affaire Vetsev c/ Bulgarie (2 mai 2019, n°54558/15), s’attachant au caractère systématique de la réponse apportée au requérant, elle conclut, dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure, à la violation de l’article 8 au motif que le droit interne ne prévoyait aucune possibilité de sortie sous escorte pour les individus placés en détention provisoire, celle-ci n’étant envisageable qu’en vue d’assurer les transferts entre institutions judiciaires, sans possibilité d’examen individualisé et circonstancié ni de mise en balance des intérêts en présence, droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale d’un côté, impératifs liés à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales de l’autre.
De même, dans l’affaire Ēcis c/ Lettonie (10 janv. 2019, n 12879/09), elle constate une violation, mais de l’article 14 combiné avec l’article 8 77, au motif que le requérant (détenu pour un crime grave dans une prison fermée où il purgeait une peine de vingt ans d’emprisonnement pour enlèvement, meurtre aggravé et extorsion), étant un homme, s’était trouvé soumis au régime de sécurité maximale alors que les femmes se voyaient détenues en établissements partiellement fermés dans des conditions moins strictes, ce qui l’avait notamment empêché de manière automatique de pouvoir assister aux obsèques de son père alors qu’une femme aurait pu y être autorisée en application de la loi sur les régimes carcéraux qui lui avait été appliquée. Faisant écho à celle qui avait été développée dans l’affaire Khamtokhu et Aksenschik c/ Russie 78 commentée sur ce site, l’argumentation adoptée par le requérant repose donc sur l’idée selon laquelle les hommes subiraient, en matière de politique pénale, une discrimination fondée sur le sexe 79 en raison de la différence de traitement dont feraient l’objet les hommes et les femmes reconnus coupables de crimes graves ou particulièrement graves.
Si elle admet partiellement l’argument du Gouvernement selon lequel « les détenues avaient des besoins qui leur étaient propres », notamment en matière de maternité, la Cour refuse en revanche de considérer que « tous les détenus masculins présente[raient] un niveau de dangerosité tellement supérieur qu’une appréciation individuelle des risques ne s[era]it pas nécessaire ». S’appuyant sur les conclusions du CPT dénonçant l’instauration de « périodes d’emprisonnement minimales prédéterminées selon les différents régimes de sécurité » sans évaluation individuelle, elle rappelle que les autorités judiciaires doivent apprécier le bien-fondé de la demande et non se baser exclusivement sur un régime carcéral déterminé par le sexe du détenu. Ainsi, soulignant que « la politique pénitentiaire européenne met de plus en plus l’accent sur la réinsertion, et [que] les liens familiaux constituent un facteur important qui facilite la réintégration dans la société pour les hommes comme pour les femmes », elle conclut à une violation de l’article 8 au motif que l’interdiction générale de sortie imposée aux détenus masculins ne permettait pas de « répondre plus facilement aux besoins particuliers des femmes détenues ». Par cette formulation malheureuse – qui semble laisser entendre que certaines mesures qui le permettraient pourraient quant à elles justifier une atteinte au droit à la vie privée de détenus masculins – la Cour montre qu’elle n’est pas encore parvenue à trouver, en la matière, une argumentation qui n’ait pas l’air de jouer les droits des unes contre ceux des autres.
En revanche, dans l’arrêt Guimon c/ France (11 avr. 2019, n°48798/14), la dangerosité potentielle de la requérante (qui purgeait plusieurs peines pour participation à des actions terroristes et continuait à revendiquer son appartenance à l’ETA) et l’impossibilité matérielle d’organiser une escorte renforcée (entre Rennes, où elle était détenue, et Bayonne, où elle souhaitait se recueillir sur la dépouille de son père) ainsi qu’un repérage des lieux dans un délai très bref amènent au contraire la Cour à juger que l’article 8 n’a pas été violé au regard de la marge nationale d’appréciation des autorités en considérant que le refus d’autorisation était prévu par la loi et que les motifs le justifiant, fondés sur la protection de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, étaient suffisamment prévisibles. Ainsi, bien que la requérante ait « présenté promptement sa demande […], laissant un délai de six jours aux autorités pour organiser une escorte », elle affirme « ne voi[r] aucun élément permettant de remettre en cause l’analyse du Gouvernement selon lequel le délai imparti, une fois l’autorisation de sortie sous escorte définitivement accordée, était insuffisant pour organiser une escorte composée d’agents spécialisés pour le transfert et la surveillance d’une condamnée pour des faits de terrorisme, avec un repérage des lieux préalable » (§ 47) sans se livrer à un examen détaillé de cette « impossibilité » (§ 46). Ne tenant aucun compte de la difficulté de « prévoir » une sortie liée à un décès, elle se contente donc de valider l’argumentation du Gouvernement reposant sur le profil de la requérante et le contexte de sa sortie, exigeant selon lui une escorte « particulièrement renforcée » (§ 47). Paradoxalement, dès lors qu’aucune alternative ne pouvait être envisagée, le fait que la requérante n’ait pas revu son père depuis 2009 – qui avait conduit la chambre de l’application des peines à juger que sa demande « se justifiait sur le plan humain » (§ 45) – ne pèse d’aucun poids dans la décision, amenant à constater une fois de plus que, lorsque l’argument budgétaire est avancé, le contrôle exercé à Strasbourg recule, la Cour s’affirmant, ici encore, « consciente que les sorties sous escorte causent des problèmes de nature financière et logistique » 80.
Céline Husson-Rochcongar
B. Les violences domestiques comme exception au principe du retour immédiat d’un enfant déplacé illicitement
Quoiqu’il s’inscrive dans un contentieux balisé par une jurisprudence bien établie depuis l’arrêt de Grande chambre du 26 novembre 2013, X. c. Lettonie 81 et qu’à ce titre, il ait été rendu par un simple comité, l’arrêt du 21 mai 2019, O. C. I. et autres c/ Roumanie (n°49450/17) se distingue par une ferme application des principes et des valeurs que la Cour place au cœur des rapports de système (entre la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et le règlement 2201/2003 dit « Bruxelles II bis » relatif à la compétence et à la coopération judiciaire civile en matière familiale au sein de l’Union européenne). Était en cause en l’occurrence la décision d’une juridiction roumaine qui, à la demande de leur père et par application de la Convention de La Haye, avait autorisé le retour immédiat en Italie de deux enfants déplacés illicitement en Roumanie, nonobstant les violences paternelles exposées par leur mère au titre de l’exception de « risque grave » prévue par l’article 13 b de cette même Convention. Dans de telles circonstances, il est acquis que le respect de l’article 8 CEDH impose aux autorités nationales saisies d’une demande de restitution de procéder à un examen effectif des « allégations défendables de « risque grave » » soulevées par un parent, en accordant toute la considération due à l’intérêt supérieur de l’enfant, et de motiver spécialement leur décision sur ce point au regard des circonstances de l’espèce 82. Or, comme la Cour le répète ici sous forme de principe général (§ 36), « la dignité des enfants ne peut être garantie si les juridictions internes sont prêtes à accepter une quelconque forme de justification à des actes de mauvais traitement, y compris les châtiments corporels » 83. Les motifs de violation du droit au respect de la vie privée et familiale suggèrent alors un double renforcement par rapport à la jurisprudence X c/ Lettonie (précité).
D’une part et dans la mesure où l’exception prévue par l’article 13, b), de la Convention de La Haye s’y était vue limitée aux « situations qui vont au-delà de ce qu’un enfant peut raisonnablement supporter » 84, la Cour affirme sans ambages – dans la logique de l’arrêt D.M.D c/ Roumanie – que le risque de violences domestiques sur un enfant va par nature au – delà de ce seuil (§43). Aussi la juridiction roumaine ne pouvait-elle valablement considérer, en contradiction flagrante avec l’interdiction absolue des châtiments corporels familiaux dans sa propre loi, que les actes de violences dont les enfants avaient en l’occurrence souffert étaient trop occasionnels pour constituer un « risque grave ».
D’autre part et dans la mesure où la jurisprudence X c/ Lettonie appelle à prendre en compte les mesures susceptibles d’être mises en place par les autorités du pays de résidence habituelle pour évaluer la gravité d’un risque avéré de danger physique ou psychique en cas de retour 85, l’arrêt O.C.I précise que rien – ni dans la Convention de La Haye, ni dans le Règlement Bruxelles II bis, pas même « l’existence, en vertu du droit de l’Union européenne, d’un lien de confiance mutuelle entre les autorités de protection de l’enfance des deux États impliqués » – « ne signifie que l’État vers lequel un enfant a été déplacé illicitement doit ordonner son retour dans un environnement où il sera exposé à des risques graves de violences domestiques, sous prétexte qu’il s’agit de son lieu habituel de résidence et que les autorités du pays sont en mesure de s’occuper de cas d’abus » (§ 45). Si les spécialistes de droit de la famille et de droit international privé jugeront de l’impact sur le système mis en place par la Convention de La Haye, on relèvera cette nouvelle limite à la portée du principe de confiance mutuelle entre Etats membres de l’Union, auquel les juges roumains ne pouvaient donc s’en remettre sans s’assurer au moins que des arrangements spécifiques étaient pris pour garantir la sécurité des enfants (§ 46), un peu de de la même manière que dans l’arrêt Tarakhel, le transfert d’une famille de demandeurs d’asile par application du règlement Dublin III ne pouvait s’opérer de la Suisse vers l’Italie sans obtention préalable de garanties « concernant, d’une part, une prise en charge adaptée à l’âge des enfants et, d’autre part, la préservation de l’unité familiale » 86.
« Malgré le principe de subsidiarité », la Cour conclut, en conséquence, que les allégations de risque grave n’ont pas été appréciées d’une manière compatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 47). Et en substance, sa position à l’égard du risque de violence domestique ne fait que cautionner encore la correcte application de l’article 8 CEDH par la Cour de cassation, qui de jurisprudence constante, y voit également une pleine justification au non-retour de l’enfant dans son lieu de résidence habituelle 87.
Caroline Boiteux-Picheral
C. Le développement de la protection par ricochet du droit à un environnement sain
Dans la construction prétorienne d’un droit à un environnement sain, sur la base du respect dû à la vie privée et familiale et au domicile 88, l’arrêt du 24 janvier, Cordella et autres c/ Italie (n°54414/13) se singularise essentiellement par l’indication de mesures générales dans une affaire de grave pollution industrielle, provoquée par l’un des plus grands centres sidérurgiques d’Europe. En l’occurrence, 161 des 180 requérants, habitant ou ayant résidé dans le voisinage plus ou moins étendu de l’aciérie implantée depuis 1963 à Tarente, sont jugés recevables à se plaindre d’une méconnaissance de leurs droits à raison des carences des autorités publiques dans la gestion des risques environnementaux élevés auxquels ils étaient exposés et dont les effets sur la santé humaine ont été attestés par plusieurs études scientifiques. A ce problème d’une envergure particulière, qui a d’ailleurs donné lieu à condamnation en manquement de l’Italie devant la CJUE 89 et au lancement d’une nouvelle procédure en infraction en 2014, la Cour réserve ainsi un traitement particulier.
S’inscrivant dans une suite assez fournie de décisions de violation 90, l’arrêt Cordella ne renouvelle sans doute pas, en soi, l’interprétation de l’article 8. Compte tenu des obligations positives de règlementation des activités dangereuses et de protection des citoyens qui pèsent sur les Etats, au regard non seulement du droit au respect de la vie(Gde ch., 30 nov. 2004, Oneryildiz c. Turquie, n 48939/99, § 90[/foot] mais aussi du droit au respect de la vie privée et du domicile 91, le juge européen n’a nulle peine à stigmatiser l’impasse où se trouvent les plans destinés à permettre une dépollution de la province de Tarente (§§ 167-168 et § 171), alors que différentes dispositions ont été prises pour assurer la continuation des activités de l’aciérie (§ 169), et donc, à condamner « la prolongation d’une situation de pollution environnementale mettant en danger la santé […] de l’ensemble de la population résidant dans les zones à risque, laquelle reste, en l’état actuel, privée d’informations quant au déroulement de l’assainissement du territoire concerné, notamment pour ce qui est des délais de mise en œuvre des travaux y afférents ». Dans ces circonstances, il était patent qu’un juste équilibre n’a pas été ménagé entre l’intérêt économique général et l’intérêt des requérants de ne pas subir des atteintes graves à l’environnement pouvant affecter leur bien-être et leur vie privée (§ 174). Aussi, ce constat – si salutaire soit-il – n’a-t-il rien que de très logique.
En revanche, l’arrêt innove par l’application de l’article 46 de la Convention. Jusqu’à présent, en effet, la juridiction européenne des droits de l’homme n’avait guère examiné la question des mesures impliquées par l’exécution de ses arrêts, dans ce type de contentieux, que sous l’angle de la satisfaction équitable (article 41 CEDH), sans grand bénéfice. Ainsi s’était-elle retranchée derrière la portée déclaratoire de ses arrêts, dans l’affaire Giacomelli, pour ne pas satisfaire à la demande de la requérante visant une cessation immédiate des activités litigieuses ou au moins un déplacement des installations industrielles 92. De même s’est-elle toujours refusée à prescrire une quelconque obligation spécifique (en l’occurrence, de relogement) au titre de la réparation du préjudice matériel allégué, rappelant seulement qu’un constat de violation de l’article 8 impose aux Etats de prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier à la situation d’un requérant et leur abandonnant encore, in fine, le soin de les déterminer sous le contrôle du Comité des Ministres 93. Conjuguée au principe de subsidiarité, la dimension individuelle du contentieux européen des droits de l’homme apparaissait donc peu propice à la protection environnementale en tant que telle. L’arrêt Cordella, toutefois, renouvelle les perspectives. Car si la complexité technique des mesures à prévoir dissuade la Cour d’appliquer la procédure de l’arrêt-pilote réclamée par les requérants, l’urgence des travaux d’assainissement ne la conduit pas moins à indiquer à l’Etat défendeur une mesure de type général. Dès lors que des dispositions et actions nécessaires à la protection environnementale et sanitaire de la population ont déjà été répertoriées dans un plan environnemental approuvé par les autorités nationales en 2014, ledit plan « devra être mis en exécution dans les plus brefs délais » (§ 182) et non comme en avait décidé le Président du Conseil des ministres italien en aout 2023.
S’esquisse ainsi une forme de droit à une rapide dépollution.
Caroline Boiteux-Picheral
VII. Droits politiques
A. Rappel bienvenu des standards démocratiques relatifs à la liberté d’expression face à la dérive autoritaire des régimes turc et russe
« Pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une société démocratique ». Les termes employés pour qualifier le standard de société démocratique font désormais partie de la vulgate européenne. Il y a encore des tribunaux nationaux qui n’ont pas intégré ces principes qui sous-tendent l’interprétation de l’article 10. L’affaire Mart et a. c/ Turquie (19 mars, n°57031/10) le démontre à l’envi et illustre à quel point l’emprisonnement de journalistes, d’universitaires, de militants défendant des idées considérées comme subversives est devenue monnaie courante en Turquie 94. En l’espèce, les requérants avaient été condamnés à deux ans et six mois d’emprisonnement pour des faits de propagande en faveur de l’organisation illégale MLKP (Parti communiste marxiste-léniniste). Les motifs avancés par la Cour d’assises d’Ankara sont pour le moins déroutants : il leur était notamment reproché d’être des lecteurs des périodiques Atılım et Özgür Gençlik, organes de presse légaux de l’organisation MLKP et d’avoir possédé à leur domicile des livres, périodiques et documents en lien avec cette organisation. Le juge européen n’eut pas de mal à retenir une violation de l’article 10 de la Convention. De jurisprudence constante, la Cour estime que les juges nationaux doivent prendre en considération le contenu des publications litigieuses et surtout le contexte dans lequel elles s’inscrivent (§ 31). Rien de tel ici. Brandir la qualification de discours de haine ou d’incitation à la violence ne suffit pas pour échapper à un constat de violation. Il serait peut-être temps que certaines juridictions turques sortent de leur longue période d’hibernation et comprennent la signification d’une mise en balance entre la liberté d’expression et les buts légitimes poursuivis.
Autre rappel important à l’égard d’un Etat peu enclin à prendre en compte la jurisprudence européenne : la nouvelle condamnation de la Russie en raison du harcèlement subi par Alexei Navalny, l’opposant n°1 à la politique de Vladimir Poutine. Déjà dans un arrêt du 15 novembre 2018 (n°29580/12), la Grande chambre avait jugé que ses multiples arrestations portaient atteinte à ses droits à la sûreté et à la liberté de réunion. Plus encore, avait été retenue une violation de l’article 18 (détournement de pouvoir) en combinaison avec ces dispositions, « les restrictions imposées au requérant lors des cinquième et sixième épisodes [poursuivant] un but inavoué, contraire à l’article 18 de la Convention, à savoir celui d’étouffer le pluralisme politique, qui est un attribut du “régime politique véritablement démocratique“ encadré par la “prééminence du droit“, deux notions auxquelles renvoie le Préambule de la Convention ». La Russie n’en a cure. Saisie de la conventionnalité de nouvelles mesures visant à museler le requérant (assignation à résidence et différentes mesures de restriction de sa liberté d’expression), la Cour retient une nouvelle violation des articles 5 et 10 de la Convention, ainsi que de l’article 18 combiné avec l’article 5. L’arrêt Navalnyy c/ Russie (n°2) en date du 9 avril 2019 (n°43734/14) retient notamment l’attention en ce qui concerne le constat de violation de l’article 10. Les conditions de son assignation à domicile étaient telles que le requérant ne pouvait quitter son appartement, communiquer avec des personnes autres que sa famille proche, utiliser des moyens de communication et internet et faire déclarations sur l’affaire pénale le visant. Or, certaines de ces conditions n’étaient pas même pas prévues par le code de procédure pénale (§ 75) ! Tout en allégeant le régime de l’assignation à domicile en août et octobre 2014, le tribunal de district Zamoskvoretskiy a étendu la liste des moyens de communication prohibés à la télévision et la radio. Au précédent constat de défaut de base légale, s’ajoute ici un constat de défaut de but légitime, le risque de fuite avancé par les juges russes ne correspondant nullement à l’objectif de « prévention du désordre ou du crime » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention (§ 80). On peine en effet à faire le lien entre l’interdiction d’accès à des moyens de communication imposée au requérant et les exigences d’une enquête pénale. En un mot, les atteintes étaient tellement grossières que la Cour n’a pas eu besoin de porter le débat sur le terrain de la nécessité. Pour la Russie, cela ne change rien. La récente campagne de perquisition menée chez les partisans de l’opposant Alexeï Navalny démontre la volonté farouche du Président Poutine d’éliminer toute opposition. Le mécanisme européen de garantie des droits de l’homme est-il vraiment en mesure de faire rentrer dans le rang un pays autoritaire ? On relèvera que deux mois après l’arrêt de la Cour, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a décidé de ratifier les pouvoirs de la délégation russe … qui n’y siégeait plus depuis 2015. Ainsi résumé à grands traits, l’arrêt Navalnyy c/ Russie (n°2) donne à voir l’image d’une juridiction qui prend ses responsabilités, mais qui paraît bien impuissante face aux dérives autoritaires du régime russe.
B. Contestation relative à la validation d’une démission d’une sénatrice : un recul du contrôle européen
Est-il encore besoin de rappeler que le droit parlementaire des Etats n’échappe à l’influence de la Convention. Dans l’arrêt G.K. c/ Belgique 95, était en cause une contestation d’une sénatrice belge qui avait démissionné (sous la pression des membres de son parti) avant de se rétracter en vain, le sénat ayant pris acte de sa démission et validé les pouvoirs de son successeur. La requérante se plaint d’avoir été privée de son mandat de sénatrice et, partant, d’une violation de l’article 3 du 1er protocole additionnel. Pour sa part, le gouvernement insistait sur la particularité de la réglementation en Belgique où la démission d’un parlementaire produit immédiatement ses effets et sur le fait que la question de la démission d’un parlementaire relève de l’autonomie constitutionnelle des États, impliquant dès lors une marge d’appréciation plus importante. Pareille lecture est rejetée sans ambages par la Cour. On le sait, l’article 3 du 1er protocole additionnel garantit le droit de siéger en tant que membre du parlement une fois élu 96. Si l’Etat défendeur est en droit d’invoquer ici une large marge nationale d’appréciation, celle-ci n’en demeure pas moins sous contrôle. Comme le rappelle la Cour dans l’affaire G.K., les conditions imposées ne doivent pas réduire les droits dont il s’agit « au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité » (§ 51). Au cas d’espèce, sous l’effet conjugué de la procéduralisation des droits substantiels et du principe de subsidiarité, le juge européen se contente de vérifier que le processus décisionnel en matière de contentieux électoral comporte un minimum de garanties contre l’arbitraire 97, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un différend sur la démission d’un parlementaire. Primo, l’arrêt pointe du doigt un droit interne imprécis quant au pouvoir discrétionnaire autonome dont jouissait le Sénat pour décider de valider la démission de la requérante (§ 58). Secundo, plusieurs lacunes procédurales sont relevées, en particulier l’absence d’audition de la requérante devant le bureau du Sénat chargé de l’établissement d’un rapport sur l’affaire, bureau qui comportait en son sein deux sénateurs ayant contraint la requérante à démissionner (§ 61). Le constat de violation de l’article 3 du Protocole 1, limité à ces aspects procéduraux, doit être bien compris. La démarche de la Cour est à l’évidence placée sous le signe du self-restreint et traduit son souci d’éviter le débat sur la conventionnalité de l’article 48 de la Constitution qui prévoit que, suite à une démission, le sénat vérifie les pouvoirs du nouveau sénateur, ce qui exclut la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire. En l’espèce, la Cour adopte une attitude de retenue, qui tranche avec sa posture habituelle. Par exemple, dans un arrêt Grosaru c/ Roumanie rendu le 2 mars 2010, elle s’était montrée plutôt sévère à l’égard de l’absence de tout contrôle juridictionnel d’une contestation relative à l’attribution du mandat de député. On comprend mieux pourquoi l’arrêt G.K. ne dit mot des éléments de droit comparé qui vont plutôt dans le sens d’une juridictionnalisation du contentieux postélectoral.
C. Euro-compatibilité attendue de la décision du Tribunal constitutionnel espagnol suspendant la séance plénière du Parlement de la communauté autonome de Catalogne
Enfin, au titre de la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention, la décision Forcadell i Lluis et autres c/ Espagne (7 mai, n°75147/17), concernant la décision du Tribunal constitutionnel espagnol de suspendre provisoirement la séance plénière du Parlement de la communauté autonome de Catalogne, peut-être brièvement évoquée, même si la solution retenue se place dans le sillage de précédents dépourvus d’ambiguïté. Sans qu’il soit nécessaire de revenir sur les questions de recevabilité, on soulignera deux points qui étaient au cœur de l’affaire. D’abord, le respect de l’effectivité des décisions du tribunal constitutionnel. Selon la Cour, en autorisant la tenue d’une séance plénière afin de faire voter une déclaration d’indépendance, le bureau du Parlement de la communauté autonome de Catalogne a sciemment méconnu des décisions du tribunal constitutionnel qui avaient suspendu les lois 19/2017 et 20/2017 sur le referendum d’autodétermination et le processus de transition juridique et de fondation de la République (§ 36). La décision s’appuie largement sur les travaux de la commission de Venise, en particulier l’avis en date du 16 octobre 2015 de la LOTC (n°15/2015), en rappelant « qu’il est obligatoire de se conformer aux arrêts rendus par les tribunaux constitutionnels, ces derniers étant compétents pour pouvoir adopter les mesures qu’ils estiment pertinents pour y parvenir ». Ensuite, la Cour oppose aux requérants sa définition du standard de société démocratique : une conception ouverte au changement mais qui refuse toute violence et projet politique ne respectant pas les règles de la démocratie et une conception qui protège les droits de la minorité (§ 37). Au cas présent, la demande de convocation de la séance plénière a rassemblé 76 députés indépendantistes sur 135 membres que compte le parlement catalan, ce qui signifie que 59 députés n’ont pas pu exercer leurs fonctions du fait d’une procédure constitutionnellement irrégulière. A la question de savoir si la restriction imposée par le Tribunal constitutionnel constituait une violation de la liberté de réunion protégée par l’article 11, la Cour européenne répond par la négative au moyen d’une « simple » décision d’irrecevabilité pour un grief « manifestement mal fondé ». Même son de cloche sur le terrain de l’article 3 du 1er protocole additionnel. Les mêmes arguments firent douter le juge européen de l’applicabilité de cette disposition à une procédure démocratique comme le référendum 98.
Mustapha Afroukh
Notes:
- Demande n°P16-2018-001 ↩
- arrêts n°S 10-19.053 et H 12-30.138 du 4 octobre 2018, obs. J.-P. Marguénaud, RTDCiv., 2018 p. 847 ↩
- voy. notamment H. Fulchiron, « Premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme : un dialogue exemplaire ? », Dalloz, 2019, p. 1084 et J.-P. Marguénaud, « Le renforcement de l’interaction entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation française en matière de filiation de l’enfant né d’une GPA », RTDCiv.,2019, p. 286 ↩
- En particulier que les modalités de reconnaissance de la filiation de l’enfant à l’égard de la mère d’intention prévues par le droit interne « garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en œuvre conformément à l’intérêt de l’enfant » ↩
- « Conclusions », in M. Afroukh et J.-P. Marguénaud, Le protocole n° 16 à la CEDH, Pedone, coll. de l’IIDH, 2019, à paraître ↩
- F. Krenc, «“Dire le droit“ “Rendre la justice“, Quelle Cour européenne des droits de l’homme ? », RTDH, 2008, p. 311 ↩
- «“Répondre et rassurer“ : quelques enseignements à propos du premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2019, p. 955 ↩
- Communiqué de presse du 9 août 2019 disponible sur le site de la Cour. Sur cette demande d’avis, voy. obs. L. Burgorgue-Larsen, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme (janvier – août 2019) », AJDA, 2019 p.1803, qui aborde également les refus de demande d’avis du Conseil d’Etat et du conseil constitutionnel ↩
- v., par exemple, les deux dernières affaires citées : dans l’arrêt Güzelyurtlu et autres c/ Chypre et Turquie, la Grande chambre, contrairement à la chambre, ne condamne pas Chypre pour violation de l’article 2 ; dans l’affaire Rooman, le désaccord porte sur la violation de l’article 3, retenue par la chambre, mais écartée par la grande chambre. Adde Gde ch., 31 janv. 2019, Fernandes de Oliveira c/ Portugal n°78103/14 : alors que la chambre avait conclu à la violation de l’article 2 en ses volets matériel et procédural, la grande chambre ne condamne l’Etat défendeur qu’au titre du volet procédural ↩
- Lucius Wildhaber, « La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme », in La conscience des droits. Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Dalloz, Paris, 2011, pp. 687-702 ↩
- Voy. , parmi les nouveaux juges, le profil de la juge turque ou celui du juge suédois. Autre illustration, l’élection le 3 octobre 2019 de la juge portugaise Ana Maria Guerra Matins, Professeure de droit à la faculté de droit de l’université de Lisbonne ↩
- « La lente décadence du corps des professeurs d’université : la fin d’une juridiction de fond purement universitaire », Dalloz, 2019, p. 1825 ↩
- « La Cour européenne des droits de l’homme face à l’Europe en crise », RTDH, 2016, p. 6) ↩
- n°17-84.509, 17-84.511, 18-82.737 ↩
- contra., CE, 28 déc. 2017, Molénat, n°396571, obs. X. Dupré de Boulois, RDLF 2018 chron. n°04 : qui indiquait qu’aucune circonstance particulière propre à la situation d’un demandeur ne pouvait justifier la mise à l’écart de la loi ↩
- arrêt du 20 mai 2019, N°RG 19/08858, obs. X. Dupré de Boulois, « Affaire Vincent Lambert : la danse macabre continue. Au sujet de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 mai 2019 », – AJDA, 2019, p. 1202 ↩
- 19-17.330 ; 19-17.342 ↩
- n°C3911, Lebon, p. 370 ↩
- Gde. ch., 22 mars 2001, § 94, n°35532/97, 34044/96 et 44801/9 ↩
- CM/ResDH(2017)429 ↩
- Un deuxième arrêt du 16 novembre 2017 avait condamné l’Azerbaïdjan pour violation de l’article 6§ 1 ↩
- « “Le droit européen des droits de l’homme sera international ou ne sera pas… “. Pour une approche autopoïétique du droit international », RGDIP 2018, p. 5 ↩
- Opinion concordante commune aux juges Yudkivska, Pinto De Albuquerque, Wojtyczek, Dedov, Motoc, Polackova et Hüseynov ↩
- Sur les difficultés posées par l’arrêt en termes de répartition des rôles entre les deux organes, voy. E. Decaux, « Coup d’arrêt à Bakou », RTDH, 2019, p. 997 ↩
- 9 juin 1998, § 36, JCP G, 1999, I, 105, chron. F. Sudre ↩
- voy. notre étude, « L’émergence d’un droit à la sécurité des personnes dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RDP, 2015/1, pp. 139-158 ↩
- La Cour avait déjà statué sur des accidents de la route ayant causé le décès de la victime directe : par exemple, 31 juill. 2012, Prynda c/ Ukraine, n°10904/05 ↩
- P.Wachsmann, « Les normes régissant le comportement de l’administration selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », AJDA, 2010, p. 2141 ↩
- Opinion dissidente commune aux juges Costa, Jungwiert, Kovler et Fura ↩
- voy. les opinions séparées jointes à l’arrêt sur ce point ↩
- Gde. ch., 9 avril 2009, Šilih c/ Slovénie, n°71463/01 ↩
- 7 janv. 2010, n°25965/04 ↩
- voy. l’opinion concordante du juge Serghides ↩
- Force des Nations-Unies chargé du maintien de la paix à Chypre ↩
- Voy. cette Chron., RDLF, 2019, n°13, III, obs. C. Boiteux-Picheral ↩
- Cour EDH, 14 sept. 2017, Ndidi c/ Royaume-Uni, n°41215/14, § 76, cette Chron. RDLF, 2018, n° 11, II, obs. C. Boiteux-Picheral ↩
- Cour EDH, Gde ch., 18 oct. 2006, Üner c/ Pays-Bas, n°46410/99, §§ 57-58 ↩
- Cour EDH, 23 oct. 2018, Levakovic c/ Danemark , n°7841/14 ↩
- Voy. cette Chron., RDLF, 2019, n°13, V, obs. M. Afroukh ↩
- Cour EDH, 11 juil. 2000, Jabari c/ Turquie, n°40035/98 : à noter que si la lapidation prévue pour adultère en Iran est bien jugée constituer un risque de « des traitements contraires » à l’article 3, la Cour ne s’étend encore guère sur sa qualification et concentre ses motifs sur les défaillances des autorités turques dans l’évaluation de la situation de la requérante ↩
- Cour EDH, 22 juin 2006, D. et a. c/Turquie n°24245/03, §§ 50-51 ↩
- Cour EDH, 18 nov. 2014, n°52589/13, § 58 ↩
- En ce sens, voy. Cour EDH, 3 déc. 2009, Daoudi c/ France, n°19576/08 ; 22 sept. 2011, H.R c/ France, n°64780/09 ; 1er fév. 2018, M.A. c/ France, n°9373/15 ↩
- préc. ↩
- J. Callewaert, L’article 3 de la Convention : une norme relativement absolue ou absolument relative ?, Liber amicorum M.-A. Eissen, Bruylant-Economica, 1995, p. 13 ↩
- CE, ord., 23 nov. 2015, Ministre de l’intérieur et Commune du Pas-de Calais, n°394540 et n°394508, note D. Roman et S. Slama, RDSS, 2016, n°1, p. 90 ↩
- 5 avr. 2011, n°8687/08, § 87 ↩
- Voy. notamment Cour EDH, 28 févr. 2019, H.A. et autres c/ Grèce, n°19951/16, § 171 ; 13 juin 2019, Sh . D. et autres c/ Grèce, n°14/165/16 ↩
- Rahimi, préc. ; H.A. et autres, préc. ; Sh . D. et autres c/ Grèce,,préc. ↩
- CE, ord., 23 nov. 2015, Ministre de l’intérieur et Commune du Pas-de Calais, préc., cons. 14 ↩
- Ibid., cons. 8 ↩
- Gde ch., 15 fév. 2016, J.N., aff. C-601/15 PPU ; CJUE, 14 sept. 2017, K., aff. C-18/16 ↩
- Cour EDH, 25 janv. 2018, J.R. et autres c/ Grèce, n°22696/16, cette Chron., RDLF, 2018, n°22, IV, obs. C. Boiteux-Picheral ↩
- 13 juil. 2013, n°42337/12 ↩
- Lequel arrêt J.R avait déjà constaté une violation de l’article 5§2, pour manque d’informations adéquates et suffisantes ↩
- 3 avr. 2001, n°17229/95, § 93 ↩
- L’affaire concernant un détenu placé à l’isolement, la Cour y précisait notamment que « pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient incompatibles avec les exigences de l’article 3, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne », § 111 ↩
- car il « se trouvait dans un environnement familier », était « libre de circuler dans le périmètre de l’hôpital » et avait pu « passer des week-ends dans sa famille » même si, « le cas échéant, [son] régime de surveillance avait été renforcé » ↩
- Éloge de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, Tel, 1976 ↩
- Condamné en 1997 pour vol, attentat à la pudeur sur un mineur de moins de 16 ans et viol sur un mineur de moins de 10 ans, le requérant fut interné un mois avant la fin de sa détention suite à une récidive ↩
- 7 mois puis 18 mois ↩
- Elle considère ainsi que le requérant n’avait « pas suffisamment coopéré » et ne s’était pas « montré réceptif aux soins proposés » en ne recourant pas à la psychiatre extérieure à l’établissement mise à sa disposition. Rappelant que, s’il est en droit de refuser ces soins, « en ne coopérant pas, il prend le risque de diminuer les perspectives d’amélioration de son état de santé et, dès lors, celles d’une libération, puisqu’il ne pourra bénéficier d’une telle mesure que si les évaluations démontrent qu’il ne présente plus de danger pour la société » (§ 165), elle fait assez largement peser sur son avocat le reproche de ne pas l’avoir convaincu d’accepter les soins… ↩
- « Le simple accès à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait suffire à ce qu’un traitement donné puisse être jugé approprié et, dès lors, satisfaisant au regard de l’article 5 », § 209 ↩
- « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change » (Le guépard, Paris, Seuil, Points Grands romans, 2007 [1958], p. 32 ↩
- 12 mars 2019, n°26374/18 ↩
- 24 janv. 2019, n°76577/13 ↩
- Selon la Cour d’appel, elle « avait en fait subi un véritable supplice ayant engendré une situation psychologique insupportable de laquelle, pour se sortir, [elle] avait formulé des déclarations incriminantes à l’égard de D.L. », § 130 ↩
- 18 déc. 1996, n 21987/93 ↩
- Catt c/ Royaume-Uni, 24 janv. 2019, n°43514/15 ↩
- V. notamment la Résolution (74) 29 du 20 sept. 1974, principe 4 ↩
- V. l’opinion concordante de la juge Koskelo, à laquelle s’est rallié le juge Felici ↩
- Gde. ch., 14 déc. 2008, n°30562/04 et 30566/04 ↩
- 28 févr. 2019, Beghal c/ Royaume-Uni, n°4755/16 ↩
- Annexe 7 de la loi de 2000 sur le terrorisme ↩
- Le grief selon lequel l’usage de pouvoirs de coercition pour contraindre Mme Beghal à répondre d’une manière qui aurait pu l’incriminer lors d’un procès aurait violé son droit à un procès équitable est jugé irrecevable au motif que les agents lui avaient « explicitement » dit qu’elle n’était ni en état d’arrestation, ni soupçonnée d’être une terroriste. On peut néanmoins se demander dans quelle mesure une telle affirmation peut suffire à éviter à l’État une condamnation… ↩
- Voy. not. 12 nov. 2002, Płoski c/ Pologne, n°26761/95, § 32 ↩
- Dans une opinion dissidente, les juges Grozev et O’Leary déplorent que la manière dont le requérant avait fondé son recours au niveau national les ait empêchés de constater la seule violation de l’article 8 dans la mesure où il ne contestait pas directement l’absence de toute évaluation individuelle de sa situation ↩
- Gde ch., 27 janv. 2017, n 60367/08 et 961/11 ↩
- L’affaire russe de 2017 reposait également sur l’allégation d’une discrimination en raison de l’âge ↩
- § 47. Voy.. Płoski précité, § 37, et 21 avr. 2015, Kubiak c. Pologne, n°2900/11, § 26 ↩
- Gde ch., 26 nov. 2013, X. c. Lettonie, n 27853/09, § 97, D. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ↩
- Gde ch., 26 nov. 2013, X. c. Lettonie, préc., § 106 ↩
- Cour EDH, 3 oct. 2017, D.M.D. c/ Roumanie, n°23022, § 51 ↩
- Gde ch., 26 nov. 2013, X. c. Lettonie, préc., §116 ↩
- Gde ch., 26 nov. 2013, X. c/ Lettonie, préc., § 108 ↩
- Gde ch., 4 nov. 2014, Tarakhel c/ Suisse, n°29217/12, § 120 et § 122 ↩
- Par ex. Cass. 1re civ., 14 févr. 2019, n°18-23.916, RJPF 2019-4/30, obs. I. Corpart ↩
- 9 dé. 1994, Lopez Ostra c/ Espagne, série A n°303-C. ↩
- 31 mars 2011, Commission c/ Italie, aff. C-50/10 ↩
- Voy. notamment Cour EDH, 10 nov. 2004, Taskin c/ Turquie, n°46117/99 ; 9 juin 2006, Fadeïeva c/ Russie, n°55723/00 ; 2 nov. 2006, Giacomelli c/ Italie, n°59909 ; 27 janv. 2009, Tatar c/ Roumanie, n°67021/01 ; 13 juill. 2017, Jugheli et autres c/ Géorgie, n°38342/05 ↩
- 24 juillet 2014, Brincat et autres c/ Malte, n° 60908/11, §§101-102 ↩
- Cour EDH, 2 nov. 2006, Giacomelli c/ Italie, préc., § 100 et § 102 ↩
- Cour EDH, 9 juin 2006, Fadeïeva c/ Russie, préc., § 142 ; 10 fév. 2011, Dubetska et autres c/ Ukraine, n°30499/03, § 162 ↩
- Voy., sur la répression judiciaire de la liberté d’expression des universitaires, l’article écrit par S. Hennette-Vauchez et J. de Gliniasty, « “Caglayan Academy“. Retour sur une mission d’observation en soutien aux universitaires turcs (Academics for Peace) », Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 30 septembre 2019, consulté le 02 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/revdh/7429) ↩
- 21 mai, n°58302/10, commenté par T. Gaudin dans le dernier numéro de la RTDH, « À propos de l’arrêt G.K. c. Belgique et de la vérification des pouvoirs : reculer pour mieux sauter ?, 2019, p. 979 ↩
- 24 mai 2016, Paunović et Milivojević c/ Serbie, § 58, n°41683/06 ↩
- 9 avril 2002, Podkolzina c/ Lettonie, no 46726/99, § 33-35, ↩
- pour une analyse critique de cette décision, voy. F. Savonitto, « La Cour européenne des droits de l’homme, une tortue qui ne dit pas son nom ? », JADE, 2019 ↩