Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2016
Par Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS
et Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH
Le contentieux européen des droits de l’homme est toujours le reflet des crises qui traversent l’Europe. Pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2016, des décisions portent par exemple sur l’état d’urgence (à la suite du coup d’Etat en Turquie) et la crise migratoire (migrants débarqués sur les côtes italiennes), avec des solutions qui font preuve d’une compréhension plus ou moins grande à l’égard des Etats. Qu’il nous soit permis de formuler, en guise d’introduction, trois brèves remarques.
En premier lieu, et le point est ici capital, il convient de réfuter l‘idée selon laquelle la Cour européenne se place constamment dans une logique d’extension des obligations conventionnelles. A preuve, les arrêts examinés confirment une valorisation du principe de subsidiarité, la Cour n’hésitant pas, du reste, à s’approprier des solutions moins protectrices adoptées par les juges nationaux comme l’illustre l’arrêt A. B. c/ Norvège du 15 novembre 2016 qui concernait l’application du principe non bis in idem aux procédures mixtes. Sûrement faut-il être moins sévère et caricatural que certains dans les procès menés à l’encontre de la Cour 1. Tirer à boulets rouges sur sa jurisprudence en la présentant systématiquement comme « trop intrusive » et sans égards pour la souveraineté des États n’est guère constructif, la réalité étant bien celle d’une juridiction qui n’opère pas en vase-clos et qui prend davantage en considération les conséquences politiques, économiques, sociales, institutionnelles de ses décisions. Il en est d’ailleurs de même des juridictions nationales qui anticipent de plus en plus d’éventuelles condamnations en s’inspirant des exigences européennes et en mobilisant désormais les techniques de contrôle de la Cour. Topique est, à cet égard, la montée en puissance de la proportionnalité dans le cadre du contrôle concret de conventionnalité 2.
En deuxième lieu, si le juge européen des droits de l’homme ne cesse d’enrichir l’interprétation du corpus conventionnel par référence à des sources extérieures 3, qu’elles soient ou non contraignantes, l’arrêt Mursic c. Croatie rendu en grande chambre le 20 octobre 2016 met en exergue une hypothèse particulière et régressive où la Cour écarte un standard minimum fixé par la soft-law en soulignant la particularité de son office. Plus précisément, elle a jugé que « l’exigence de 3 m2 de surface au sol par détenu en cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l’appréciation des conditions de détention au regard de l’article 3 de la Convention » alors qu’une telle solution s’écarte du standard minimum fixé par le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (4m2). Autant dire que le renvoi à la soft-law est à géométrie variable. Au grand regret du juge portugais Pinto De Albuquerque 4, le fantôme de l’arrêt Demir et Baykara n’a apparemment pas hanté le palais des droits de l’homme lors du délibéré sur l’affaire Mursic (contra., voy. Gde ch., 8 nov. 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, no 18030/11).
L’on notera, en troisième lieu, que la Cour comprend trois nouveaux juges depuis le 1er septembre 2016 : le juge britannique Tim Eicke (ancien avocat du gouvernement…) qui succède à Paul Mahoney, le juge Latif Hüseynov (Professeur de droit international public et ancien Président du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) élu au titre de l’Azerbaïdjan par l’Assemblée parlementaire après que deux listes de candidats proposée par le gouvernement azerbaïdjanais ait été rejetées en 2015 et 2016 et le juge de « L’ex-République yougoslave de Macédoine » Jovan Ilievski (Professeur de droit pénal) qui n’avait pas été considéré comme le « candidat le plus qualifié » par la commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme !. Le constat dressé en 2010 par le regretté Professeur Jean-François Flauss d’une « démultiplication des standards applicables au recrutement des juges de la Cour » (AJDA, 2010, p. 2362) demeure d’actualité. On ne compte plus les listes de juges rejetées par l’Assemblée parlementaire lors de la période récente (Hongrie, République-Slovaque, Géorgie, Albanie…). Enfin, le 20 mars 2017, le juge grec Linos-Alexandre Sicilianos a été élu Vice-Président de la Cour pour un mandat de trois ans.
Il est toujours difficile de tirer des conclusions nettes à partir de l’examen de la jurisprudence sur une période aussi brève qu’un semestre. Pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2016, la Cour a néanmoins rendu de nombreux arrêts traduisant des évolutions significatives de la jurisprudence européenne. Cinq thèmes ont été retenus : justice et État de droit (I), le droit des étrangers (II), les droits politiques (III), le droit de propriété (IV) et le principe non bis in idem (V).
I – Justice et État de droit, deux valeurs en péril ?
Si la justice se trouve à l’honneur dans la jurisprudence récente, c’est à travers ses liens complexes et parfois distendus avec les exigences de l’État de droit. En effet, à travers des problématiques aussi diverses que la restitution d’un lieu de culte (A), l’étendue de la protection garantie à des suspects durant leur interrogatoire ou la possibilité d’exercer un recours effectif contre une mesure prise dans un contexte d’état d’urgence (B), la Cour procède à la redéfinition – pas toujours libérale – des limites procédurales encadrant, dans une société démocratique, la possibilité pour les autorités de s’éloigner du droit commun en certaines circonstances. Dans une perspective un peu différente, elle se prononce également sur la notion de « participation à une procédure » (C).
A) L’absence d’interprétation uniforme de la notion de « droit commun », atteinte à la sécurité juridique
L’affaire Paroisse gréco-catholique Lupeni et a.c/. Roumanie (Gde. ch., 29 nov. 2016, n° 76943/11) concerne le droit de propriété d’une paroisse et les démarches visant la restitution d’un lieu de culte qui avait fait l’objet d’un transfert de propriété à l’Église orthodoxe roumaine en 1967 en vertu d’un décret prévoyant que « si la majorité des fidèles d’une Église devenaient membres d’une autre Église, les biens ayant appartenu à la première seraient transférés dans le patrimoine de la seconde ». En 1990, le culte uniate fut reconnu officiellement par un décret-loi confiant à des commissions composées de représentants des deux cultes la mission de statuer sur la situation juridique des biens transférés en considération de « la volonté des fidèles des communautés détentrices de ces biens ». Depuis une loi de 2005, en cas de désaccord, une action en justice fondée sur le droit commun peut être introduite. Dans un premier temps, constatant que le critère matériel de « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens » est imposé au fond par le droit roumain pour obtenir la restitution des biens (et non un obstacle procédural), la Grande chambre conclut à la non-violation du droit d’accéder à un tribunal (article 6 §1) puisque le droit à un procès équitable ne saurait s’appliquer. Toutefois, contrairement à la solution rendue dans l’arrêt Paroisse gréco-catholique Sambata Bihor (12 janv. 2010, n° 48107/99) qui concernait la période précédente, elle valide (par douze voix contre cinq) l’adoption de ce critère – ambigu – reposant sur la volonté des fidèles, au motif que les modifications procédurales ont garanti aux requérants l’accès à un tribunal en leur permettant une contestation en justice fondée sur le droit commun. Dans un second temps, une « divergence de jurisprudence profonde et persistante » quant à l’interprétation de la notion de « droit commun » l’amène en revanche à conclure unanimement à la violation de l’article 6 §1. En effet, entre 2007 et 2012, la Haute Cour avait adopté des positions « diamétralement opposées » sans que l’on puisse y voir une « évolution de la jurisprudence naturellement inhérente au système judiciaire » puisqu’elle était revenue sur sa position à la fois quant à l’accès à un tribunal et au droit applicable. En l’absence de recours prompt à une procédure d’harmonisation des pratiques judiciaires, cette incertitude avait porté atteinte au principe de sécurité juridique.
B) Possibilité de déroger à une procédure de droit commun et affaiblissement des exigences de l’État de droit : terrorisme 1 – criminalité organisée 0
Les conditions de dérogation à une procédure de droit commun sont tout d’abord examinées dans l’affaire Kiril Zlatkov Nikolov c/ France (10 nov. 2016, n° 70474/11 et 68038/12). Les interrogatoires menés dans le bureau du juge d’instruction dans le cadre de sa mise en examen n’ayant pas été enregistrés, le requérant se plaignait d’une discrimination dans l’exercice de son droit à un procès équitable. En effet, introduit par la loi du 5 mars 2007, le septième alinéa de l’article 116-1 du Code de procédure pénale français excluait la mise en œuvre de cette garantie dans les affaires concernant des crimes relevant de la criminalité organisée, d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et de terrorisme. Bien que cette disposition ait été déclarée inconstitutionnelle car méconnaissant le principe d’égalité 5, le pourvoi en cassation du requérant avait été rejeté, cette décision ne pouvant s’appliquer qu’à compter de la date de sa publication. Considérant toutefois que « rien ne permet d’établir que l’absence d’enregistrement [ait eu] des conséquences significatives sur l’exercice de ses droits dans le cadre de la procédure pénale dont il a été l’objet, ni même, plus largement, sur sa situation personnelle » (Boelens et a. c/ Belgique, Déc. 11 sept. 2012, n° 20007/09), la Cour conclut qu’« en tout état de cause, la discrimination dans la jouissance du droit à un procès équitable » dénoncée par le requérant ne lui avait causé « aucun préjudice important », au sens de l’article 35 § 3 b. Elle déclare donc la requête irrecevable en constatant que « le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles » n’exige pas un examen au fond car l’abrogation de l’alinéa concerné suite à la décision du Conseil constitutionnel et l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2012 montraient tous deux que le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 avait bien été examiné par un tribunal. Elle conclut également à la non-violation de l’article 5 § 3.
C’est de manière plus inquiétante que la possibilité de déroger au droit commun se trouve examinée dans l’affaire Ibrahim et a. c/ Royaume- Uni (Gde. ch., 13 sept. 2016, n° 50541/08), révélant une nouvelle fois la fragilité des choix opérés par les États pour lutter contre le terrorisme. Le 30 mars 2016, la Grande chambre avait examiné une requête présentée au nom d’un homme tué par erreur alors qu’il était soupçonné d’avoir fait partie du groupe de terroristes islamistes ayant posé plusieurs bombes dans les transports publics londoniens le 21 juillet 2005, deux semaines après les attentats-suicides qui avaient fait 56 morts dans des conditions similaires (Armani Da Silva, n° 5878/08). Par un curieux effet miroir, quelques mois plus tard elle se penche sur les droits des individus condamnés pour ces mêmes faits – et avec l’un desquels la victime avait été confondue.
Les trois premiers requérants avaient été privés d’assistance juridique pendant les quatre à huit heures qu’avaient duré leurs « interrogatoires de sûreté », leurs déclarations ayant été admises comme preuves à charge au cours du procès au terme duquel ils avaient été condamnés pour complot d’assassinat. Initialement entendu en qualité de témoin, le quatrième s’était auto-incriminé lors de son interrogatoire sans que les policiers ne lui aient signifié ses droits de garder le silence et d’être assisté par un avocat. Il avait finalement été condamné pour complicité et non-communication d’informations sur les attentats, sa déposition initiale ayant également été produite comme preuve. Tous dénonçant ce défaut d’accès à un avocat ainsi que l’admission de leurs déclarations comme preuves comme des violations des § 1 et 3 c) de l’article 6, la Grande chambre adapte ici au cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste sa jurisprudence Salduz c/ Turquie, dans laquelle elle avait unanimement conclu à la violation de l’article 6 § 3 c) combiné avec son § 1 6. Huit ans plus tard, elle conclut de même à l’égard du quatrième requérant par onze voix contre six mais constate au contraire, de manière moins libérale, sa non-violation à l’égard des trois premiers, par 15 voix contre 2 7.
L’arrêt Salduz ayant posé deux critères permettant d’examiner la compatibilité d’une restriction à l’accès à un avocat avec le droit à un procès équitable (une restriction « justifiée par des raisons impérieuses » et sans incidence sur « l’équité globale de la procédure » quel que soit le type d’infraction), c’est sur leur mise en œuvre que la Cour prétend se pencher ici. L’accès précoce de suspects à l’assistance juridique s’avérant fondamental, le premier critère est d’interprétation stricte, toute restriction devant demeurer exceptionnelle, temporaire et reposer sur une appréciation au cas par cas des circonstances. Vérifier l’existence de « raisons impérieuses » implique donc de rechercher si la restriction avait une base en droit interne « et si la portée et la teneur de toutes les restrictions à cet accès étaient suffisamment encadrées par la loi de sorte à aider les personnes chargées de leur application concrète dans leur prise de décisions ». La Grande chambre estime nécessaire de préciser ce point : certes, établir l’existence d’un « besoin urgent de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique » (directive 2013/48/UE) peut permettre à l’État partie de justifier une restriction 8. En revanche, contrairement à ce qui aurait pu sembler découler de l’arrêt de section, « un risque de fuites invoqué sans autre précision ne saurait s’analyser en une raison impérieuse justifiant une restriction à l’accès à un avocat », seul le recours combiné au second critère permettant alors la solution. Toutefois, en contrepoint, l’absence de raisons impérieuses n’emporte pas à elle seule violation de l’article 6, puisque les droits énoncés en son § 3 « sont non pas des fins en soi mais des aspects particuliers du droit général à un procès équitable », ce qui impose de tenir compte de la procédure dans son ensemble. Ainsi, lorsque l’État parvient à démontrer l’existence de raisons impérieuses de retarder l’assistance juridique, un examen global de la procédure permet de vérifier que l’équité n’en a pas été altérée. Le fait qu’il n’y parvienne pas, induisant une présomption de manque d’équité dans la procédure, implique un contrôle renforcé de la Cour, l’État devant alors « expliquer de façon convaincante pourquoi, à titre exceptionnel et au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, la restriction à l’accès à l’assistance juridique n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale du procès ». Sous couvert d’une explication de l’arrêt Salduz, la Cour opte donc pour une approche beaucoup moins libérale, offrant aux États la possibilité de contourner l’un des principes essentiels du droit à un procès équitable.
De même, jugeant « inhérent au droit de ne pas témoigner contre soi-même, au droit de garder le silence et au droit à une assistance juridique que tout ‘accusé’ au sens de l’article 6 a le droit d’être informé de ces droits », la Cour estime que rien ne peut en principe justifier leur absence de notification. Soulignant néanmoins qu’en pareil cas, l’accès immédiat à un avocat est à même de garantir l’équité de la procédure, elle affirme que l’absence d’assistance juridique immédiate s’assimile à une circonstance aggravante. Paradoxalement, elle en tire l’affirmation en demi-teinte selon laquelle « le défaut de notification fera qu’il sera encore plus difficile au gouvernement de lever la présomption de manque d’équité qui naît en l’absence de raisons impérieuses de retarder l’assistance juridique, ou de démontrer, si le retardement se justifie par des raisons impérieuses, que le procès dans son ensemble a été équitable ». Ce faisant, elle laisse donc à l’État partie une marge de manœuvre censée lui permettre de lutter efficacement contre le risque terroriste, tout en (ne) lui imposant le respect (que) des exigences (les plus minimales) du droit à un procès équitable. Car, si l’existence de raisons impérieuses ne dispense pas l’État de devoir garantir qu’aucune atteinte n’a été portée à l’équité globale du procès, l’absence de telles raisons entraîne quant à elle une présomption de manque d’équité que le gouvernement peut toutefois combattre.
Concluant à l’existence de raisons impérieuses de restreindre temporairement le droit à l’assistance juridique des trois premiers requérants – aux motifs qu’il existait bien un besoin urgent de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique des membres de la population, que la police avait « légitimement » pour priorité absolue de recueillir des informations relatives aux attentats et que la loi prévoyait clairement une possible restriction tout en donnant « des orientations importantes pour la prise de décisions opérationnelles » – la Cour considère que l’ensemble de la procédure les concernant est bien demeurée équitable. Elle estime en revanche que l’État défendeur n’a pas démontré valablement l’existence de raisons impérieuses de poursuivre l’interrogatoire du quatrième après qu’il avait commencé à s’incriminer sans lui avoir notifié d’avertissement et sans l’avoir informé de son droit à une assistance. Associées au « haut niveau d’exigence qui s’applique lorsqu’il y a lieu de présumer un manque d’équité », des « lacunes procédurales » l’amènent à conclure à la violation de l’article 6 § 1 et 3c 9. Suscitant plus de motifs d’inquiétude que de raisons d’apprécier cette volonté proclamée de clarification, cette affaire appelle de nouvelles précisions rapides de la part de la Cour – sous peine de confirmer l’impression délétère que les terroristes parviennent progressivement à leurs fins en conduisant la démocratie européenne à sa perte. Il n’est d’ailleurs pas anodin que ce soit en appelant aux valeurs de la Convention que les juges Sajó et Laffranque dénoncent ici une « reculade » dans l’une des six opinions séparées jointes à l’arrêt, dont certaines particulièrement critiques.
Tout aussi problématique est l’affaire Zihni c/ Turquie (29 nov. 2016, n° 59061/16), la Cour y écartant la possibilité de contester directement devant elle des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sans saisine préalable des juridictions internes. Ex-directeur adjoint d’un lycéen, le requérant contestait le décret-loi l’ayant révoqué de même que plus de 50 000 fonctionnaires turcs suite au coup d’État manqué de juillet 2016. Il dénonçait l’absence de recours effectif susceptible de lui permettre de contester avec succès la mesure dont il avait fait l’objet, au double motif que les mesures prises dans ce contexte seraient insusceptibles de recours et que la Cour constitutionnelle ne serait plus à même d’être impartiale, plusieurs de ses membres ayant été placés en détention provisoire. Face à l’ampleur des mesures restrictives des droits fondamentaux découlant de l’état d’urgence sur le territoire turc, on s’étonnera que la Cour procède à un examen classique, concluant à l’irrecevabilité de la requête sur le fondement de l’article 35 sans s’intéresser aux « controverses » qu’elle constate « dans la doctrine comme dans la jurisprudence » quant à l’effectivité réelle des recours existants. En fait, dans la mesure où il s’agit de « ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux », tout se passe comme si le principe de subsidiarité impliquait une présomption de conformité de l’ordre juridique interne aux exigences de la Convention. La Cour applique donc sa jurisprudence, selon laquelle doivent seuls être épuisés les recours « relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ».
Pour ce faire, elle relève tout d’abord que si le Conseil d’État turc s’est récemment déclaré incompétent pour connaître au fond d’un recours introduit par un magistrat révoqué, c’était au motif que le tribunal administratif devait être saisi en premier ressort et non parce qu’aucun recours n’aurait été envisageable. Elle rappelle avoir déjà jugé que « rien ne permettait d’exclure par avance » que la procédure de recours individuel introduite en 2012 dans la Constitution turque par le nouvel article 148 § 3 « puisse présenter l’effectivité requise ». Ceci l’amène fort simplement à sa conclusion : certes, par un revirement jurisprudentiel de novembre 2016 dans quatre arrêts de principe, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour examiner la constitutionnalité des décrets-lois édictés dans le cadre de l’état d’urgence. Toutefois, cette jurisprudence n’a jusqu’alors concerné que des recours en inconstitutionnalité par voie d’action, sans que la Cour constitutionnelle ne se soit encore prononcée sur sa compétence pour connaître des multiples recours individuels dirigés contre les mesures prises sur le fondement de ces textes. Or, ainsi qu’il ressort d’une interprétation constante initiée par la Commission dans sa décision E.N. v. Ireland (1er déc. 1993, n° 18670/91), « dans un ordre juridique où les droits fondamentaux sont protégés […], il incombe à l’individu lésé d’éprouver l’ampleur de cette protection ». Ceci conduit la Cour à réaffirmer que « le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation du recours en question ». Comme elle l’avait fait dans sa décision Hasan Uzun c/ Turquie (n° 10755/13, 30 avr. 2013), elle conclut donc qu’aucun élément ne lui permet d’affirmer que le recours concerné « ne présentait pas, en principe, des perspectives de redressement approprié des griefs tirés de la Convention ».
Il s’agit là d’une tentative pour ramener la Turquie sur la voie des valeurs démocratiques qu’elle a elle-même contribué à insérer dans la Convention 10. Valorisant le principe de subsidiarité en plaçant l’État face à ses responsabilités – better in than out – cette approche a été adoptée à de nombreuses reprises 11. Il importe cependant de souligner que, jusqu’à l’arrêt Vučković et a. c. Serbie 12, la Cour imposait au requérant d’avoir « éprouvé l’ampleur » de la protection garantie dès lors que les droits fondamentaux étaient protégés « par la Constitution », alors qu’en l’espèce elle se contente d’évoquer le fait qu’ils soient protégés « par la loi ». Cette différence est loin d’être anecdotique alors qu’il s’agit d’évaluer les chances de succès d’un recours individuel en recherchant, conformément aux principes de droit international généralement reconnus, si certaines circonstances particulières pouvaient dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes. Et ce d’autant plus que, dès le 26 juillet 2016, le Commissaire aux droits de l’homme estimait « préoccupant » que le décret KHK/667 « instaure une totale impunité juridique, administrative, pénale et financière pour les autorités administratives agissant dans son cadre et que les tribunaux administratifs n’a[ie]nt pas le pouvoir de surseoir à l’exécution des mesures prévues, même s’ils les jugent contraires à la loi » car ces dispositions « suppriment en pratique les deux principales garanties contre l’application arbitraire du texte ». Évoquant déjà « les procédures simplifiées de révocation des juges, y compris les juges de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême, sans exigences définies en matière de preuve » tout comme « la procédure administrative simplifiée de licenciement de tout agent public […] sans possibilité de recours administratif et sans exigences en matière de preuve », il soulignait que « vu la très large portée et le caractère extrêmement sommaire des procédures qu’il met en place, il y bien peu de chances d’éviter l’arbitraire : les préjudices causés aux personnes physiques ou morales concernées risqu[a]nt d’être irréparables ». Face à cet « affaiblissement du contrôle juridictionnel interne », dénoncé par Nils Muiznieks et à nouveau pointé dans son Mémorandum du 7 oct. 2016 13, il est préoccupant que la Cour choisisse de se retirer du jeu. Certes, en vertu de l’article 15, la Turquie a la faculté de déroger temporairement à certains des droits et libertés garantis depuis qu’elle a informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de son intention de le faire 14. Toutefois, justifié par la nécessité de faire face à une « guerre » ou à tout « autre danger public menaçant la vie de la nation », ce régime dérogatoire ne doit en aucun cas servir la mise en place d’un régime autoritaire en lieu et place de la démocratie. Car c’est bien au nom de la protection des droits et libertés que l’état d’urgence permet de limiter temporairement certains d’entre eux.
Dans ce contexte, si le contrôle très succinct auquel la Cour se livre ici révèle une volonté manifeste de ne pas interférer dans un dossier politique brûlant, ce choix tout en retenue se révèle néanmoins d’autant plus problématique qu’à peine 10 jours plus tard la Commission de Venise allait rendre, à la demande de la Commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, un avis concluant à la disproportion des mesures prises dans le cadre – pourtant légitime – du recours à l’état d’urgence suite à la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 15 : « The Venice Commission is particularly concerned by the apparent absence of access to justice for those public servants who have been dismissed directly by the decree laws, and those legal entities which have been liquidated by the decree laws. If, for practical reasons, the re-introduction of full access to court for public servants is impossible in the current conditions, the Turkish authorities should consider alternative legal mechanisms, which might permit individual treatment of all cases and ultimately give those dismissed their “day in court”. The Venice Commission supports the proposal made by the Secretary General of the Council of Europe concerning the creation of an independent ad hoc body for the examination of individual cases of dismissals, subject to subsequent judicial review ». Faute pour la Turquie de prendre rapidement les mesures d’assouplissement qui s’imposent, il semble donc que la Cour devra modifier sa position si elle entend préserver sa crédibilité en tant que protectrice du modèle démocratique européen 16.
Elle en aura l’occasion en examinant une requête présentée au nom de quatorze personnes qui auraient été intentionnellement tuées par les forces de sécurité turques en février 2016, alors qu’un couvre-feu permanent avait été décrété, interdisant aux habitants de sortir de chez eux 24 heures sur 24, de décembre 2015 à mars 2016 (Yavuzel et a. c/ Turquie, aff. communiquée le 6 déc. 2016, n° 5317/06 et a.). La liberté d’aller et venir ayant fait l’objet d’importantes limitations dans de nombreuses villes du Sud-Est du pays dans le but affiché par les autorités locales de protéger la population contre des explosifs enterrés par des combattants illégaux, l’affaire fait elle aussi largement écho au Mémorandum rendu public par le Commissaire aux droits de l’homme quatre jours avant sa communication, selon lequel « [l]es droits de l’homme d’une population civile très nombreuse sont violés à bien des égards du fait des mesures de couvre-feu et des opérations antiterroristes mises en œuvre dans le sud-est de la Turquie depuis août 2015 », le comportement des forces de l’ordre « confort[ant] souvent la population civile dans l’idée que les couvre-feux et les opérations antiterroristes constituent en réalité une forme de punition collective ».
Selon les requérants, leurs proches auraient fait partie d’un groupe de 170 personnes qui, blessées par balle par les forces de l’ordre, auraient trouvé refuge dans les caves de plusieurs immeubles. Au lieu de répondre à leurs appels d’urgence et d’autoriser à leur porter secours, les forces de sécurité auraient au contraire bombardé l’immeuble. Un recours déposé devant la Cour constitutionnelle ayant été rejeté en raison d’incertitudes concernant la réalité des blessures des individus concernés et leur gravité, leur éventuelle possession d’armes et leur localisation exacte, les requérants allèguent la violation de l’article 2, au motif que l’État aurait manqué à ses obligations positives tant dans son volet matériel qu’en termes d’enquête effective, ainsi que des articles 3, 5, 9 et 34. Souhaitons que la Cour entende, elle aussi, l’appel lancé à la Turquie par M. Muiznieks « à cesser d’utiliser le couvre-feu de cette manière, à enquêter de manière effective sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme par des agents publics et à établir des mécanismes complets de recours et d’indemnisation » 17.
C) L’usage de box vitrés dans les salles d’audience : humiliation ou atteinte au droit de participer effectivement à la procédure ?
En marge des précédentes affaires mais concernant également les exigences de l’État de droit en matière judiciaire, la Cour explicite la notion de « participation effective » à une procédure en examinant les conditions d’audition imposées à un manifestant poursuivi – puis condamné – pour sa participation à des troubles à l’ordre public (Yaroslav Belousov c/ Russie, 4 oct. 2016, n° 2653/13). Pendant les deux premiers mois d’audience, plusieurs heures par jour, trois jours par semaine, le requérant a dû partager un box vitré de 5,44 m² avec 9 co-accusés, avant que le procès ne se tienne dans une autre salle, dans laquelle 2 box de 4,8 m² chacun l’accueillirent avec 8 de ses co-accusés. Si l’aménagement de la deuxième salle lui permit d’éviter « le désagrément et l’humiliation d’une extrême surpopulation », les conditions dans lesquelles il fut en permanence exposé au public dans la première salle, via la couverture du procès par les médias, amènent la Cour à constater unanimement un traitement dégradant. Estimant que, dans de telles conditions de confinement, son impossibilité à prendre part à la procédure et à communiquer avec son avocat pendant l’audience a également pu contribuer à son anxiété et à sa détresse, elle juge toutefois ce grief insuffisant pour entraîner en lui-même une violation de l’article 3 mais considère que les conditions d’audience des deux premiers mois ont entraîné une violation du droit à un procès équitable. En effet, considérant qu’un box vitré offre un aspect moins « sévère » (harsh appearance) qu’une cage métallique, elle estime que le placement dans un tel box n’entraîne pas « par lui-même » une humiliation suffisante pour atteindre le même degré de sévérité que le placement en cage, ce degré devant être envisagé comme un tout. En revanche, ne pouvant communiquer avec son conseil que via un micro et tout près d’un policier, le requérant s’est trouvé placé derrière une « barrière physique réduisant dans une certaine mesure sa participation aux débats », le tribunal n’ayant eu aucune latitude pour ordonner son placement hors du box et ne cherchant pas à « compenser » son impact sur les droits de la défense. Exigeant que toute mesure restreignant cette participation soit nécessaire et proportionnée aux risques spécifiques engendrés par l’affaire et ne devienne pas une « routine », la Cour conclut unanimement à la violation conjointe des § 1 et 3 b et c de l’article 6 eu égard à l’importance des droits de la défense dans une société démocratique.
Enfin, dans la mesure où le requérant, condamné à deux ans et trois mois d’emprisonnement pour sa participation à une manifestation qui avait dégénéré, n’avait pas pris part aux provocations initiales, son implication seulement marginale dans les événements n’en faisait pas un « risque » pour la stabilité politique ni une menace pour l’ordre public. La Cour conclut donc à nouveau unanimement à la violation de l’article 11 en soulignant que « [s]a condamnation pénale […] – et particulièrement la sévérité de la peine – ne pouvait qu’avoir pour effet de le décourager ainsi que les autres militants d’opposition et le public dans son ensemble de participer à des manifestations et, plus généralement, de prendre part au débat public ».
C. H-R
II- Droit des étrangers : où la tension permanente entre réalisme et exigence d’effectivité
Le contentieux relatif à la protection des droits des étrangers a paru, en ce second semestre 2016, animé de tendances opposées. Tandis que des arrêts importants rendus sur le terrain de l’article 3 et de la célèbre jurisprudence « Soering » 18 semblent amorcer un changement de cap jurisprudentiel fondé sur une approche plus extensive des obligations pesant sur les États (A), une approche plus réaliste est de mise lorsqu’est en cause l’article 4 du Protocole n° 4 qui interdit l’expulsion collective des étrangers, la Cour faisant alors primer « les difficultés [que les États] peuvent rencontrer dans la gestion des flux migratoires ou dans l’accueil des demandeurs d’asile » (Gde ch., 15 déc. 2016, Khlaifia et a. c/ Italie, § 241, n° 16483/12) (B).
A- Risques de mauvais traitements dans le pays de destination : « Le changement, c’est maintenant ! »
Le domaine du droit des étrangers a constitué en 2016 le terrain d’élection de l’interprétation dynamique de la Convention – du moins sur le terrain de l’article 3 – c’est-à-dire celle utilisée « aux fins de développement des droits » 19. Cette volonté de garantir l’effectivité du droit protégé à l’article 3 s’est manifestée dans deux arrêts particulièrement importants à l’occasion desquels la Grande chambre a entendu « clarifier » sa jurisprudence, le terme de « clarification » n’étant évidemment pas choisi par hasard… Assurément, les arrêts J.K et a. c/ Suède (23 août 2016, no 59166/12) et Paposhvili c/ Belgique (13 déc. 2016, no 41738/10) rendus en grande chambre feront date.
Le premier (J.K. et a.) est relatif à l’appréciation de l’existence d’un risque réel de traitements contraires à l’article 3 lorsqu’un demandeur d’asile a déjà fait l’objet par le passé de persécutions graves dans le pays de destination. En l’occurrence, était en cause l’expulsion de trois ressortissants irakiens (un couple marié et leur fils) à la suite du rejet de leur demande d’asile. Ils faisaient état de risques de persécution et de maltraitance par « Al-Qaida » au motif que le mari avait dirigé une société à Bagdad qui travaillait exclusivement avec des clients américains. Tout en reconnaissant la crédibilité du récit des requérants, les autorités nationales rejetèrent leur demande d’asile en relevant l’ancienneté des actes de violence allégués et la possibilité d’une protection par les forces de sécurité irakiennes. Dans un arrêt rendu le 4 juin 2015, la cinquième section de la Cour a jugé, par cinq voix contre deux, que les requérants n’avaient pas étayé l’allégation selon laquelle, en cas de retour en Irak, ils courraient un risque réel et concret d’être soumis à un traitement contraire à 3 de la Convention. Le 19 octobre 2015, la demande de renvoi en Grande chambre formulée par les requérants a été acceptée par le collège des cinq juges. D’emblée, dans son arrêt, la Grande chambre souligne l’une des particularités du litige, à savoir le fait les requérants avaient déjà fait l’objet par le passé de persécutions graves dans le pays de destination. Certes, cette situation n’était pas inédite dans la jurisprudence de la Cour mais les précédentes affaires, résolues par à-coups, au gré des considérations factuelles propres à chaque espèce, ne permettaient pas de déterminer avec précision le poids de ces « mauvais traitements antérieurs » dans l’évaluation des menaces futures 20. Dans le droit-fil de l’arrêt F.G. c/ Suède 21, la Grande chambre rappelle clairement les éléments à prendre en considération afin d’évaluer les risques encourus par un étranger sous le coup d’une mesure d’éloignement. A ce titre, elle juge utile de clarifier sa jurisprudence concernant les principes applicables au cas où « un demandeur d’asile allègue qu’il a fait l’objet par le passé de mauvais traitements » (§ 99) en s’appuyant notamment sur le droit de l’Union européenne. Dès la partie en fait de l’arrêt, la Grande chambre cite expressément l’article 4 de la directive 2004/83/CE dite « Qualification » 22, notamment son § 4 qui précise que « le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas » 23. Plus encore, la référence au droit de l’Union européenne se poursuit par le renvoi à trois arrêts de la Cour de Luxembourg dont l’un porte directement sur l’interprétation de l’article 4 de la directive 24. Le « décloisonnement normatif » 25 s’étend aux conclusions du Haut-commissariat aux réfugiés sur la question de la charge de la preuve du demandeur d’asile. Alors que, d’ordinaire, l’examen de la Cour se concentre sur les risques réels futurs de mauvais traitements en cas de retour dans le pays de destination, l’arrêt J.K. reprend quasiment mot pour mot l’article 4. § 4 de la directive « Qualification » pour affirmer que « l’existence de mauvais traitements antérieurs fournit un indice solide d’un risque réel futur qu’un requérant subisse des traitements contraires à l’article 3, dans le cas où il a livré un récit des faits globalement cohérent et crédible qui concorde avec les informations provenant de sources fiables et objectives sur la situation générale dans le pays concerné » (§ 102). Autrement dit, le juge européen semble aligner à la hausse le niveau de protection de l’article 3 de la Convention sur celui de la directive « Qualification ». En plusieurs occasions, il est arrivé ces derniers mois que la Cour mobilise le droit de l’Union européenne de l’asile pour consolider ou faire progresser la protection de l’article 3 dans le domaine du droit des étrangers. En l’espèce, cette clarification de la jurisprudence s’accompagne d’un renversement de la charge de la preuve. Comme l’indique la Cour au paragraphe 91, « concernant la charge de la preuve dans les affaires d’expulsion, la jurisprudence constante de la Cour dit qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 ; et que lorsque de tels éléments sont soumis, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à ce sujet ». Sur la base de ces principes, elle constate in casu que la famille a été exposée à des actes de violence et de persécution en Irak de 2004 à 2010 de la part « d’Al‑Qaïda » et, surtout, qu’elle n’a pas pu obtenir la protection des autorités irakiennes parce que celles-ci étaient infiltrées par « Al-Qaïda ». Or, l’Etat défendeur n’est pas parvenu à dissiper les doutes éventuels au sujet de ce risque. Parmi les éléments essentiels propres à convaincre ici la Cour, figure la prise en considération des sources internationales faisant état d’une menace réelle pesant sur les personnes ayant collaboré avec les autorités des puissances occupantes et des déficiences au niveau des services de sécurité irakiens. A ses yeux, il apparaît qu’en cas d’éloignement, les requérants continueraient à subir des persécutions de la part d’acteurs non étatiques sans pouvoir bénéficier de la protection des autorités de l’État irakien. La Grande chambre conclut ainsi, contrairement à l’arrêt de chambre, à la violation de l’article 3 par dix voix contre sept.
Bien que louable sur le plan de la protection des droits et libertés, la solution de la Cour emporte cependant dans son sillage d’inquiétantes conséquences. En premier lieu, la Cour ne semble pas avoir pris au sérieux la problématique des rapports de systèmes. L’arrêt J.K. c/ Suède mettait en effet, aux prises trois niveaux de protection : le droit suédois de transposition de la directive « Qualification », ladite directive et les obligations conventionnelles de l’Etat au titre de l’article 3. Or, comme en conclut très justement la juge irlandaise S. O’Leary, la nouvelle formule de la Cour « posera quelques difficultés aux autorités compétentes. Comment un juge national est-il censé appliquer l’article 4 § 4 de la « directive qualification » à travers le prisme de la transposition dans la législation nationale, tout en veillant à se conformer aux exigences de l’article 3 de la Convention, pour concilier l’ « indice sérieux » dont parle la directive et l’ « indice solide » dont la Cour fait à présent le critère pertinent au regard de l’article 3 ? ». La Cour est d’avis que « l’existence de mauvais traitements antérieurs fournit un indice solide [là où la directive fait mention d’un « indice sérieux »] d’un risque réel futur qu’un requérant subisse des traitements contraires à l’article 3 » (§ 102). Le juge national doit-il comprendre que les deux termes ont la même signification ? Rien n’est moins sûr. L’approche de la Cour européenne semble plus sévère à l’endroit des Etats comme l’illustre le renversement de la charge de la preuve qui n’est pas prévu par la directive. Ce qui est donc en cause ici est une instrumentalisation de la directive « Qualification », d’autant plus fâcheuse qu’elle place le juge national faisant application du droit de l’Union européenne et de la Convention dans une situation délicate. 26. Une nouvelle fois, la Cour fait preuve d’opportunisme dans l’utilisation du droit comparé pour « établir sa propre norme jurisprudentielle » 27. En second lieu, la Cour donne l’impression troublante que le commencement de preuves des mauvais traitements antérieurs laisse peu de chances à l’Etat pour dissiper les doutes à propos du risque futur de mauvais traitements. Le renversement du régime de la preuve s’apparente davantage à une présomption de responsabilité. Comme le notent les juges dissidents, pour aboutir au constat de violation de l’article 3, la Cour a fait fi des observations du gouvernement en se contentant de noter que les décisions des autorités nationales n’excluaient pas l’existence d’un risque persistant émanant « d’Al-Qaïda ». La solution retenue in fine n’avait rien d’évident, d’autant que certains arguments soulevés par le gouvernement sur l’ancienneté des menaces et la fin de la coopération du premier requérant avec les forces américaines méritaient au moins une réponse 28. Tout en maintenant ce renversement de la charge de la preuve, la Cour pourrait à l’avenir se montrer plus rigoureuse dans la motivation de ses arrêts. La référence à la subsidiarité dans l’arrêt J.K., comme principe devant gouverner le contrôle européen dans les affaires concernant l’expulsion de demandeurs d’asile, milite en ce sens.
Le second, l’arrêt Paposhvili c/ Belgique, remarquable par son audace, est relatif à l’éloignement des étrangers malades, plus particulièrement la question de savoir dans quelle mesure un étranger souffrant d’une maladie grave peut bénéficier de la protection de l’article 3. L’extrême sévérité de la jurisprudence européenne à l’endroit des étrangers malades est connue de longue date. Si dans son premier arrêt rendu sur la question, la juridiction européenne s’était montrée sensible aux implications concrètes d’une décision d’éloignement d’un séropositif en phase terminale et aux conditions de vie défavorables qui l’attendaient sur l’Île de Saint Kitts 29, elle s’est ensuite montrée inflexible en ne reconnaissant pas l’existence de telles « considérations humanitaires impérieuses » 30. C’est ce dont témoigne l’arrêt N. c/ Royaume-Uni 31 dans lequel la Cour européenne s’est contentée de noter que les autorités britanniques avaient fourni à la requérante atteinte de VIH une assistance médicale et sociale financée sur fonds publics pendant neuf années. Elle alla même jusqu’à considérer que « la qualité et l’espérance de vie de la requérante auraient à pâtir de son expulsion vers l’Ouganda » (!) tout en refusant de répondre à l’argument selon lequel elle n’aurait pas les moyens d’acheter des médicaments antirétroviraux en Ouganda. Depuis lors, elle rappelle avec insistance que les Etats n’ont pas l’obligation de fournir des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur leur territoire.
Cette sévérité de la Cour a été fortement critiquée, en son sein même 32, mais aussi, plus largement, en doctrine ; le Professeur Marguénaud ayant par exemple estimé que la Cour contribuait par cette jurisprudence à un « un mouvement de dévitalisation des droits de l’Homme » 33. Nous avions également écrit en 2013 « qu’il était peut-être temps que la Cour infléchisse sa jurisprudence… » 34. A titre comparatif, relevons que la Cour de justice de l’Union européenne a pleinement épousé cette solution pour juger que les étrangers gravement malades ne pouvaient bénéficier de la protection subsidiaire au sens de la directive 2004/83 35. Ce n’est pas le cas de certains juges nationaux qui n’ont pas hésité à aller au-delà du standard minimum énoncé par la Cour européenne, comme le Conseil d’Etat français et le Conseil du contentieux des étrangers en Belgique. S’agissant du Conseil d’Etat, deux arrêts rendus le 7 avril 2010 36 ont jugé que si des possibilités d’accès aux soins dans le pays d’origine existent mais que l’étranger fait valoir qu’il ne peut en bénéficier, parce qu’elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population ou pour des raisons exceptionnelles liées aux particularités de sa situation ou à l’absence de modes de prise en charge adaptés, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier si l’intéressé peut ou non « bénéficier effectivement » d’un traitement approprié dans le pays de renvoi. Les effets de cette solution ont cependant été neutralisés par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et la nationalité 37. Le Conseil du contentieux des étrangers Belge a, pour sa part, interprété l’article 9ter de la loi sur les étrangers – qui prévoit la possibilité d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons médicales – comme impliquant deux hypothèses justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons médicales 38 : en premier lieu, un risque imminent pour la vie de l’étranger ou pour son intégrité physique (hypothèse de l’arrêt N. c/ Royaume-Uni) et un risque de traitement inhumain ou dégradant s’il n’existe pas de traitement adéquat dans le pays de destination. La perspective adoptée n’est de toute évidence pas la même que celle de la Cour de Strasbourg.
In casu, dans l’affaire Paposhvili c/ Belgique, le litige puise son origine dans le refus des autorités belges de délivrer une autorisation de séjour pour raisons médicales au requérant, ressortissant géorgien, condamné à plusieurs reprises en Belgique, qui souffre de plusieurs pathologies graves dont une leucémie lymphoïde chronique et la tuberculose. L’affaire posait une première difficulté. Le requérant étant décédé après l’introduction de la requête, se posait la question de savoir si la Grande Chambre devait rayer l’affaire du rôle (art. 37, § 1er, de la Convention). Tout en relevant le souhait des proches du requérant de poursuivre la procédure, la Grande chambre accorde un poids décisif à l’importance des questions qui se trouvent en jeu dans la présente affaire, « notamment en ce qui concerne l’interprétation de la jurisprudence relative à l’expulsion des étrangers gravement malades » (§ 132). De ce point de vue, l’arrêt ne fait donc que confirmer une jurisprudence bien établie particulièrement depuis l’arrêt Karner c. Autriche (24 juillet 2003, § 26[/foot], à savoir une tendance à privilégier un contrôle objectif débordant le cadre strict de la requête individuelle. La nécessité de dire quel est le droit de la Convention l’emporte sur toute autre considération. Consciente de l’imprécision de sa jurisprudence antérieure, la Cour « est d’avis qu’il y a lieu de clarifier l’approche suivie jusqu’à présent » (§ 182). Une telle clarification est commandée par l’exigence d’effectivité des droits et libertés. Ainsi, sans remettre en cause le seul de gravité élevé applicable dans ce type d’affaires, l’arrêt juge dans un paragraphe qui se veut évidemment de principe qu’« il faut entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever, au sens de l’arrêt N. c/ Royaume-Uni, un problème au regard de l’article 3 les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie » (§ 183). Là réside, sans conteste, l’innovation : par contraste avec la jurisprudence antérieure, le bénéfice de l’article 3 n’est plus réservé à l’étranger qui court « un risque imminent de mourir ». Preuve d’une valorisation en trompe-l’œil de la subsidiarité du contrôle européen, le rappel classique du rôle fondamental des autorités nationales dans l’évaluation des risques encourus par l’étranger dans le pays de destination n’empêche pas la Cour de préciser que les « conséquences du renvoi sur l’intéressé doivent être évaluées en comparant son état de santé avant l’éloignement avec celui qui serait le sien dans l’État de destination après y avoir été envoyé » (§ 184). Ainsi doivent-elles prendre en considération l’existence et disponibilité effective des soins dans le pays d’origine (coût des médicaments et traitements, existence d’un réseau social et familial, distance géographique pour accéder aux soins …). Semblable évaluation faisant défaut en l’espèce – les autorités belges n’ayant pas pris la peine d’évaluer le risque encouru par le requérant « à la lumière des données relatives à son état de santé et à l’existence de traitements adéquats en Géorgie » – le constat de violation de l’article 3 est sans appel. Autant dire qu’en amorçant un aggiornamento de sa jurisprudence, la Cour rejoint la solution audacieuse retenue par le Conseil du contentieux des étrangers belge. Le « dialogue des juges », qui prend ici une forme « inversée », s’avère fructueux. Comme le note le Président Raimondi, « on assiste ici à un dialogue tout à fait intéressant entre le juge interne et notre Cour, où c’est le juge national qui, en quelque sorte, vient nous demander d’adopter une position moins restrictive et plus protectrice des droits des requérants. Les voix qui se sont élevées à Bruxelles ont donc été entendues à Strasbourg » 39. Il reviendra sans doute à la Cour de justice, à l’occasion d’un prochain arrêt, de tirer les conséquences de cette nouvelle approche. La solution de l’arrêt Paposhvili mérite d’être approuvée car elle est en plus en phase avec le caractère absolu de l’article 3, mais elle ne manquera d’être dénoncée par les Etats contrairement à l’affaire Khlaifia et a. c/ Italie…
B- Interdiction des expulsions collectives : assouplissement circonstanciel du contrôle européen
L’affaire Khlaifia concerne la rétention, dans le centre d’accueil de Lampedusa, puis sur des navires amarrés dans le port de Palerme, de migrants après leur sauvetage en mer par des garde-côtes italiens. Après une procédure d’identification personnelle, ceux-ci ont fait l’objet de décrets de refoulement individuels rédigés dans des termes identiques, les seules différences étant les données personnelles des personnes concernées. La question à laquelle la Cour devait répondre était de savoir si l’expulsion des requérants vers la Tunisie était ou non collective au sens de l’article 4 du Protocole n° 4. Autrement dit, l’expulsion des requérants constituait-elle en l’espèce une « mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe » 40 ? Alors que, d’ordinaire, la jurisprudence européenne exige que les autorités nationales prêtent une attention « réelle et différenciée » à la situation individuelle des personnes concernées, l’arrêt Khlaifia assouplit considérablement le contrôle européen. A cette fin, la Cour précise que « l’article 4 du Protocole n° 4 ne garantit pas en toute circonstance le droit à un entretien individuel » (§ 248). Si elle fait valoir « la nature relativement simple et standardisée des décrets de refoulement », la Grande chambre l’explique par la situation des requérants qui « n’étaient en possession d’aucun document de voyage valable et n’avaient allégué ni des craintes de mauvais traitements en cas de renvoi ni d’autres obstacles légaux à leur expulsion » (§ 251). Il s’ensuit, selon elle, que les requérants ne font pas l’objet d’une expulsion collective mais d’une série de décisions de refoulement individuelles (!). Ce passage de l’arrêt suscite la perplexité dans la mesure où les requérants ont été expulsés sur la base de leur nationalité en application d’un accord italo-tunisien d’avril 2011. Prenant l’exact contre-pied de la chambre, la Grande Chambre conclut donc aux termes d’un raisonnement pour le moins laborieux à l’absence de violation de l’article 4 du Protocole n° 4. En statuant de la sorte, elle opte résolument pour une approche minimaliste du contrôle de l’exigence d’un examen suffisamment individualisé en décalage avec sa jurisprudence antérieure 41. On ne peut alors totalement se déprendre de l’impression que la Grande chambre a été très sensible à la situation particulière de l’Etat italien, porte d’entrée des migrants en Europe. La protection des migrants risque désormais d’obéir à un double standard, selon les difficultés rencontrées par l’Etat défendeur….
MA
III- Droits politiques : renforcement et précision des exigences inhérentes au modèle européen de société démocratique
Le second semestre 2016 fut également riche en arrêts clarifiant les exigences propres au modèle européen de société démocratique. En premier lieu, la Cour a enrichi l’obligation de transparence qui pèse sur les pouvoirs publics en reconnaissant, dans certaines hypothèses, un droit d’accès à des informations détenues par des autorités publiques au titre de l’article 10 § 1 de la Convention (A). Visiblement, elle a été divisée sur la pertinence d’une telle réécriture de l’article 10 comme l’attestent les opinions séparées jointes à l’arrêt. L’on retrouve ainsi une opposition récurrente entre deux méthodes d’interprétation de la Convention : interprétation évolutive vs interprétation littérale. En second lieu, la Cour a confirmé, à l’occasion d’un arrêt relatif à la dissolution de deux associations de supporters du Paris-Saint-Germain, que le standard européen de société démocratique repose sur une aversion à l’égard de toutes incitations à l’usage de la violence (B).
A- La consécration timide du droit d’accès aux informations détenues par l’Etat
A titre liminaire, on relèvera que le contentieux de la liberté d’expression est encore alimenté par une affaire hongroise 42 ! Le droit d’accès à l’information ne figure pas en tant que tel dans les matières régies par la Convention européenne des droits de l’homme. Si ce droit est directement protégé par l’article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques et l’article 42 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 10 de la Convention européenne n’en dit mot et se contente de prévoir une « liberté de recevoir ou de communiquer des informations » (art. 10). En l’espèce (Gde ch., 8 nov. 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, préc.), l’Etat défendeur, soutenu par le gouvernement britannique, soulevait une question préalable sur l’applicabilité de l’article 10, estimant que « ni l’approche consistant à considérer la Convention comme un « instrument vivant » ni l’existence d’un consensus européen reflété dans l’adoption par les États parties de lois sur la liberté d’information dans leurs systèmes juridiques internes respectifs ne peuvent justifier que l’on interprète l’article 10 de la Convention comme comprenant un tel droit » (§ 76). L’ONG requérante, qui menait plusieurs études sur le système des avocats commis d’office, s’était vue refuser l’accès à des informations sur les avocats commis d’office dans le ressort de deux services de police (nom des avocats, le nombre de fois où chaque avocat avait été commis…) au motif qu’il ne s’agissait ni d’informations d’intérêt public, ni d’informations soumises à divulgation dans l’intérêt public. D’une pédagogie rare, la Cour nous livre un véritable cours sur l’interprétation évolutive et consensuelle de la Convention. D’abord, la Grande chambre se place sous les auspices de l’exigence d’effectivité des droits et de la spécificité de la Convention (§§ 118-125) et confirme ainsi ce que l’on savait déjà depuis l’arrêt Demir et Baykara 43, à savoir que l’interprétation consensuelle s’étend à toutes les sources internationales existantes, contraignantes et non-contraignantes. Ensuite, l’arrêt rappelle que si le droit d’accès à l’information n’a jamais été reconnu comme étant protégé par l’article 10 de la Convention 44. Au consensus plutôt énigmatique des droits nationaux 45, s’ajoute un large et véritable consensus international fondé sur plusieurs sources (y compris des textes relevant de la soft-law) : l’article 19 du Pacte sur les droits civils et politiques, la jurisprudence du comité des droits de l’homme, les conclusions du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, l’article 42 de la Charte, les textes adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe 46, la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2002. La Cour a donc fait feu de tous bois. A ses yeux, l’ensemble de ces instruments tend à reconnaître la « nécessité de reconnaître un droit individuel d’accès aux informations détenues par l’État afin d’aider le public à se forger une opinion sur les questions d’intérêt général » (§ 148). Mais la position adoptée est moins audacieuse que ne le laissaient suggérer les premiers développements de l’arrêt. En effet, en dépit des évolutions du droit comparé et international, la Cour fait le choix de ne pas abandonner le principe selon lequel l’article 10 ne garantit pas un droit d’accès aux informations publiques mais elle lui apporte des atténuations non négligeables. Préférant privilégier la voie de la clarification de sa jurisprudence et se gardant d’opter pour une solution radicale « dans l’intérêt de sécurité juridique », elle indique qu’un droit d’accès aux informations publiques peut naître « premièrement, lorsque la divulgation des informations a été imposée par une décision judiciaire devenue exécutoire (…) et, deuxièmement, lorsque l’accès à l’information est déterminant pour l’exercice par l’individu de son droit à la liberté d’expression, en particulier « la liberté de recevoir et de communiquer des informations », et que refuser cet accès constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit » (§ 156). L’on peut rester insatisfait de cette attitude schizophrénique qui consiste à suggérer la consécration d’un nouveau droit pour finir par admettre l’existence d’une obligation à la charge de l’Etat dans certaines hypothèses. Tout porte à croire qu’elle a été effrayée par sa propre audace. Chemin faisant, l’arrêt énonce une série de critères entraînant l’application du droit d‘accès à des informations publiques (but de la demande d’information, nature des informations, rôle de la requérante, informations déjà disponibles). La propension de la Cour à raisonner sur la base d’un mode d’emploi précis à destination des juges nationaux se retrouve ici. Appliquant ces critères en l’espèce, l’arrêt relève la nécessité pour l’étude menée par l’ONG requérante, agissant comme organisation de défense des droits de l’homme, et son caractère d’intérêt public manifeste. De là, la Cour pouvait se placer sur le terrain de l’article 10 § 2 pour vérifier notamment si l’ingérence au droit d’accès aux informations était nécessaire dans une société démocratique. Dans le prolongement de sa jurisprudence sur les conflits entre les droits à la liberté d’expression et au respect de la vie privée, elle se livre à un exercice de mise en balance en contrôlant si la divulgation des informations demandées aurait pu porter atteinte au droit au respect de la vie privée des avocats (§ 196). C’est ainsi qu’elle note que les informations demandées « se rapportait principalement à la conduite d’activités professionnelles dans le cadre de procédures publique » et que l’étude menée était « étroitement liée à celle du droit à un procès équitable, droit fondamental reconnu en droit hongrois » (§ 197). Les juridictions hongroises n’ayant attaché aucune importance au respect du droit de la requérante à la liberté d’expression, la Grande chambre conclut à la violation de l’article 10.
B- L’aversion du juge européen à l’égard de toutes incitations à l’usage de la violence
Saisie par deux associations de supporters du PSG dissoutes par le 1er ministre sur le fondement de la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives, la Cour rend un arrêt prévisible qui présente surtout un intérêt pour ses développements sur le terrain de l’article 11 de la Convention (27 oct. 2016, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c/ France, no 4696/11 et 4703/11). Les dissolutions furent prononcées à la suite d’actes de violence en marge du match entre le PSG et l’Olympique de Marseille le 28 février 2010, qui se terminèrent par la mort d’un supporter. L’occasion était donnée à la Cour de confirmer une précédente décision d’irrecevabilité relative à la dissolution de l’Association nouvelle des Boulogne Boys c. France, à laquelle les deux associations ont succédé. Faisant preuve d’une fermeté bienvenue, elle prend bien soin de souligner la légitimité du but poursuivi par le législateur français (loi 5 juillet 2006) en prévoyant la dissolution d’une association de supporters en cas d’actes répétés de violences sur des personnes ou d’incitation à la haine (§ 83). Dans la droite ligne d’une jurisprudence reconnaissant aux Etats une marge d’appréciation des Etats large lorsque sont en cause des discours, actes incitant à l’usage de la violence, la Cour n’entend pas ici se livrer à un contrôler entier. Aussi, les considérations tenant au caractère radical de la dissolution et à l’absence d’actes de violences retenus contre les associations sont écartées au motif que « s’agissant d’associations dont le but officiel est de promouvoir un club de football, la Cour admet qu’elles n’ont pas la même importance pour une démocratie, (…) elles n’ont pas la même importance pour une démocratie qu’un parti politique » (§ 84). C’est dire, en d’autres termes, que le contrôle de nécessité est ici moins rigoureux. A l’instar de sa jurisprudence sur la liberté d’expression, la Cour esquisse une hiérarchie au sein de l’article 11 qui va de pair avec une approche fonctionnelle de la liberté d’association.
MA
IV- La protection du droit de propriété : un contentieux complexe… ou pas
A- Un pas de plus vers la reconnaissance d’un droit autonome à obtenir le versement de prestations sociales ?
L’affaire Bélané Nagy c/ Hongrie (Gde. ch., 13 déc. 2016, n° 53080/13) met en lumière la complexité du contentieux relatif aux prestations sociales, dont la Cour s’est progressivement saisie, à travers la protection des droits garantis par la Convention et ses Protocoles. Déjà posée dans l’affaire Kátai c/ Hongrie (18 mars 2014, n° 939/12) – qui avait donné lieu à une décision d’irrecevabilité car la réforme contestée n’avait pas encore été mise en œuvre – c’est la question de l’existence d’un droit à obtenir le versement de prestations sociales qui est ici centrale. Suite à une réforme conditionnant le versement de sa pension d’invalidité à une durée d’affiliation minimum à la sécurité sociale, la requérante s’est vu priver de son unique moyen de subsistance alors même que son état de santé n’avait connu aucune amélioration. Cette situation, dans laquelle une condition contributive se combine à une condition médicale pour l’attribution d’une prestation, permet à la Grande chambre d’éclairer les liens ambigus unissant les notions de biens, intérêt patrimonial, espérance légitime et créance immédiatement exigible.
En effet, certains droits sociaux ont fait leur entrée dans le champ d’application de l’article 1er du premier Protocole additionnel dès 1974 avec la reconnaissance de leur caractère patrimonial 47. Gagnant en précision autant qu’en complexité, la jurisprudence a progressivement admis que l’existence d’un système de cotisation rend l’article 1er systématiquement applicable de même que le paiement de prestations ; qu’un individu ayant cotisé ne peut se voir refuser l’octroi de la prestation correspondante, une allocation pouvant alors être assimilée à un « droit patrimonial » 48 ; qu’une créance suffisamment établie pour être exigible peut constituer un « bien » 49 jusqu’à considérer récemment qu’un Etat partie ne peut, même dans un légitime souci de réduction des déficits, imposer un « fardeau excessif et disproportionné » à certains en supprimant leur pension d’invalidité 50. Ainsi, sans consacrer un véritable « droit aux prestations sociales » 51, la Cour a néanmoins incorporé de plus en plus étroitement la protection de certaines prestations sociales au cœur de la garantie offerte par le droit de propriété, la Grande chambre semblant notamment inclure « l’intérêt patrimonial » dans la notion de « biens » 52.
En l’espèce, elle juge l’article 1er applicable dans la mesure où la décision de lui accorder une pension avait conféré à la requérante un « bien actuel » et où celle-ci pouvait se prévaloir d’une « espérance légitime » de continuer à toucher une pension tant qu’elle remplissait les critères législatifs antérieurs, laquelle espérance s’analyse en un véritable « droit de propriété » qu’une réforme serait venue lui retirer. Et le fait que le versement de la pension de la requérante ait été interrompu pendant plus d’un an et son taux d’invalidité réexaminé à plusieurs reprises n’y change rien puisqu’elle avait continué à réclamer une prestation d’invalidité et à satisfaire aux conditions législatives de durée de service 53 et de durée de cotisation au régime de la sécurité sociale. Aussi, bien que le refus de ce versement ait été prévu par la loi (via la modification des critères d’octroi) et visé un but légitime de rationalisation budgétaire, la Grande chambre l’estime disproportionné, au motif qu’il privait une personne vulnérable de son unique source de revenus, de manière rétroactive et sans mesures transitoires adaptées. Dans le prolongement de l’arrêt Ádmudsson 54, appliquant le critère dégagé dans l’arrêt Sporrong et Löonroth c/ Suède de 1982, la Grande chambre considère donc qu’« il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés. […] nonobstant l’ample marge d’appréciation dont l’Etat dispose en la matière, la requérante a[yant] dû supporter une charge individuelle exorbitante, ce qui a emporté violation de ses droits protégés » (§ 126).
Obtenue par neuf voix contre huit, cette solution repose donc sur le caractère radical de la mesure imposée à la requérante et le fait qu’elle ne dispose d’aucune autre source de revenus, son handicap l’empêchant de trouver un emploi. La Chambre avait conclu de même, par quatre voix contre trois, au motif que la suppression totale de son allocation d’invalidité avait constitué pour la requérante un changement radical et imprévisible dans ses conditions d’accès à une prestation sociale ayant entraîné une charge exorbitante et disproportionnée. On ne peut toutefois que souligner avec le juge Wojtyczek (qui se livre à un véritable plaidoyer en faveur du système de protection sociale dans son opinion concordante) la faiblesse intrinsèque d’un arrêt dont « le raisonnement repose sur des principes fermement rejetés par neuf juges, ce qui réduit l’autorité de l’arrêt et sa portée en pratique » – surtout car « la notion d’espérance légitime […] apparaît vague et obscure et son articulation avec les notions de droit, de créance et d’intérêt juridiquement protégé n’est pas claire » et car son utilisation « pour désigner des créances exigibles est source de confusion » alors que « la protection qu’offre l’espérance légitime étend la protection de l’individu au‑delà de ce que lui confèrent ses droits subjectifs ». Sans aucun doute, elle entend synthétiser la jurisprudence relative à l’attribution de prestations sociales. Toutefois, s’il ne laisse aucun doute sur la pertinence du projet, le § 79 de l’arrêt permet également d’en mesurer la complexité. Dans un louable effort de clarification, la Cour y affirme que « [n]onobstant la diversité des formulations employées dans la jurisprudence pour décrire l’exigence selon laquelle il doit y avoir une base en droit interne faisant naître un intérêt patrimonial, leur sens général peut se résumer ainsi : pour qu’il puisse faire reconnaître un bien constitué par une espérance légitime, le requérant doit jouir d’un droit sanctionnable qui, en vertu du principe énoncé au § 52 de l’arrêt Kopecký, doit véritablement constituer un intérêt patrimonial substantiel suffisamment établi au regard du droit national » Toute la question est donc de cerner ce type d’intérêt… Et il n’est pas certain que la simplification promise récompense immédiatement les efforts de qui tente l’expérience.
Si c’est bien parce qu’un « intérêt patrimonial » peut s’assimiler à un « bien » que la Cour a pu considérer que le fait de ne plus être éligible au versement d’une prestation relève de la protection de l’article 1er du Protocole additionnel, lorsque cet intérêt résulte d’une « créance » seule une base suffisante en droit interne permet de l’envisager en tant que « valeur patrimoniale ». Sans véritable surprise, on saisit ici qu’en l’absence d’une prise de position forte – mais peu légitime – la Cour se trouve inévitablement ramenée aux choix opérés en droit interne. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’elle a considéré que l’article 1er ne contraint nullement les Etats à instaurer un système de protection sociale, ni à choisir le type ou le niveau des prestations accordées 55. En revanche, depuis son arrêt Stec, une contrainte particulière pèse sur les Etats qui se sont engagés dans la voie d’un tel système 56. C’est donc dans cette perspective que l’apparition non-prévisible d’une nouvelle condition la conduit à constater une violation, au risque de complexifier un peu plus la jurisprudence en semblant ouvrir la porte à la reconnaissance d’un droit aux prestations sociales.
B- La condamnation d’une manipulation du droit de l’urbanisme
Dans l’arrêt Keriman Tekin et a. c/ Turquie (15 nov. 2016, n° 22035/10), la Cour constate la violation de l’article 1 du 1er Protocole du fait de l’impossibilité pour les requérants d’obtenir une indemnisation d’un dommage accidentel de travaux publics ayant rendu leur maison inhabitable. Ayant constaté l’absence de permis de construire et de toute demande de régularisation (pourtant autorisée par la loi), les juridictions internes ont considéré que la situation n’était pas régularisable eu égard au plan d’urbanisme et aux caractéristiques du bien. La Cour établit que l’intérêt patrimonial des requérants était « suffisamment reconnu et important pour constituer un ‘bien’ » car les autorités n’ont jamais intenté d’action en vue d’obtenir la démolition de la maison, elles n’ont pas contesté l’affirmation selon laquelle « aucune construction du territoire administratif concerné ne disposait d’un permis » et ont accepté d’inscrire la maison au registre foncier. Déjà soulignée dans l’affaire Öneryildiz (Gde. ch., 30 nov. 2004, n° 48939/99), cette absence de stratégie urbanistique amène la Cour à conclure unanimement à la violation du droit de propriété au motif que l’absence de permis de construire est ici mobilisée par les autorités afin d’éviter l’engagement de leur responsabilité. Car, si les requérants ont bien habité une maison dont la démolition aurait pu être exigée, une telle décision n’a toutefois jamais été prise. En l’absence de toute politique de lutte contre les constructions illégales et comme le montre l’existence d’une législation relative aux amnisties d’urbanisme, la réglementation sert donc de « prétexte […] dans un seul but financier ».
C. H.-R
IV- Principe non bis in idem : une réinterprétation régressive du « bis » en phase avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de l’Union européenne
Il était attendu par beaucoup. L’arrêt A. B. c/ Norvège (no 24130/11 et 29758/11) rendu en Grande chambre le 15 novembre 2016 relatif à l’application du principe non bis in idem à des « procédures mixtes » pénale et administrative, a logiquement suscité des réactions partagées : salué par certains (les Etats dont la France qui plaidait comme tiers-intervenant) et critiqué par d’autres 57. Que l’on s’en réjouisse ou que l’on s’en inquiète, la Cour se place sous les auspices du principe de subsidiarité 58 au détriment de l’effectivité des droits. Ayant à connaître d’une affaire dans laquelle les requérants ont fait l’objet d’un cumul de sanctions fiscales et pénales pour des faits de fraude fiscale, la Cour retient un constat de non-violation de l’article 4 du Protocole no 7 en reconnaissant le principe d’une double poursuite pénale et fiscale. L’affirmation du Conseil constitutionnel – Déc. QPC n° 2016-545 du 24 juin 2016 – selon laquelle « le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l’engagement de procédures conduisant à l’application de plusieurs sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions » se voit ainsi décerner indirectement un brevet de conventionnalité. Ce qui importe, aux yeux de la Cour, est l’existence d’un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre la procédure fiscale et la procédure pénale, c’est-à-dire que les deux sanctions forment un tout cohérent. On retiendra surtout l’impact de cette solution sur les rapports entre les deux systèmes européen de protection des droits de l’homme. En effet, les jurisprudences des deux cours ont toujours été marquées par un phénomène d’acculturation 59. L’arrêt Zolotoukhine c/Russie, du 10 février 2009, harmonisant le critère de l’identité des faits matériels, s’était ainsi largement inspirée de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Dialogue mis à mal par l’arrêt Åkerberg Fransson 60 dans lequel la Cour de justice a estimé que l’article 50 de la Charte ne s’oppose pas au cumul d’une sanction fiscale et de poursuites pénales pour les mêmes faits dans le but de protéger les intérêts financiers de l’Union, à condition que ce cumul garantisse la sanction effective, proportionnée et dissuasive 61. Alors que la doctrine appelait la Cour de justice à infléchir sa jurisprudence, c’est finalement la Cour européenne qui s’est alignée sur le standard de protection du droit de l’Union moins protecteur … L’arrêt A.B. c/ Norvège montre, ce faisant, que la tendance à l’harmonisation des solutions n’est pas toujours synonyme d’amélioration de la protection des droits fondamentaux…
MA
Notes:
- On songe à des propos tenus lors d’un colloque récent organisé par la fondation « Res publica » sur la souveraineté : http://www.fondation-res-publica.org ↩
- Pour un exemple récent, CE, 31 mai 2016, Gonzalez Gomez, n° 396848 ↩
- Gde ch., Demir et Baykara, 12 nov. 2008, n° 34503/97 ↩
- qui aura marqué ce second semestre par de magistrales opinions séparées : voy. aussi son opinion dissidente sous l’arrêt A.B. c. Norvège précité ↩
- Décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012, M. Kiril ↩
- 27 nov. 2008, n° 36391/02 : condamnation d’un mineur ayant reconnu hors de la présence d’un avocat avoir participé à une manifestation illégale et inscrit un slogan sur une banderole ↩
- la quatrième section avait quant à elle conclu à l’absence de toute violation, par 6 voix contre 1 ↩
- Selon elle, c’est également le sens de l’« exception de sûreté publique » permettant de déroger à la règle Miranda forgée par la Cour suprême des États-Unis en cas de menace à la sûreté publique ↩
- par 11 voix contre six ↩
- C. Husson-Rochcongar, Droit international des droits de l’homme et valeurs. Le recours aux valeurs dans la jurisprudence des organes spécialisés, Bruxelles, Bruylant, p. 537 et s. ↩
- notamment dans l’arrêt Ždanoka c/ Lettonie, Gde. ch., 16 mars 2006, n° 58278/00 ↩
- Gde. ch., 25 mars 2014, n° 17153/11 et a. ↩
- the Human Rights implications of the measures taken under the state of emergency in Turkey ↩
- comm. 25 juil. 2016, 18 oct. 2016 et 6 janv. 2017 ↩
- Opinion on Emergency Decree Laws n° 667-676 adopted following the failed coup of 15 july 2016 ↩
- C. Husson-Rochcongar, « La redéfinition permanente de l’État de droit par la Cour européenne des droits de l’homme », Civitas Europa, 37, déc. 2016, p. 183-220 ↩
- Memorandum on the Human Rights Implications of Anti-Terrorism Operations in South-Eastern Turkey, 2 déc. 2016 ↩
- 7 juill. 1989, Soering c/ Royaume-Uni, A/161 : alors que le droit à ne pas être expulsé ou extradé ne figure pas comme tel au nombre des droits et libertés garantis par la Convention, la Cour estime dans l’arrêt Soering que des risques réels de traitements contraires à l’article 3 dans l’État de destination rendent l’exécution de la mesure d’éloignement constitutive d’une violation de la Convention ↩
- F. Sudre, « A propos du dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme », JCP G, 2001, I 335 ↩
- Aff. citées au § 99 ↩
- Gde ch., 23 mars 2016, voy. obs. C. Picheral dans la précédente livraison ; A. Schamaneche et M. Afroukh, RTDH, 2017, n° 110 note à paraître ↩
- Entièrement refondue par la dir. 2011/95/UE du 13 déc. 2011, JO 2011, L 337/9 ↩
- souligné par nous ↩
- Aff. M.M. c. Minister for Justice, Equality and Law Reform et autres (C-277/11, arrêt du 22 nov. 2012) ; aff. jointes X, Y et Z (C-199/12 à C-201/12, arrêt du 7 nov.2013) ; aff. jointes Salahadin Abdulla et autres c. Bundesrepublik Deutschland (C-175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, arrêt du 2 mars 2010, Rec. I-1493 ↩
- L. Burgorgue-Larsen, « De l’internationalisation du dialogue des juges. Missive doctrinale à l’attention de Bruno Genevois », Le Dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du Président Bruno Genevois, Paris, Dalloz, 2009, pp. 95-130 ↩
- S’agissant du cas français, il faut se référer à l’article L. 723-4 du CESEDA aux termes duquel « le fait que le demandeur a déjà fait l’objet de persécutions ou d’atteintes graves ou de menaces directes de telles persécutions ou atteintes constitue un indice sérieux du caractère fondé des craintes du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe des éléments précis et circonstanciés qui permettent de penser que ces persécutions ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas » ↩
- Opinion concordante de la juge S. O’Leary précitée ↩
- Ces mêmes arguments avaient pourtant convaincu la chambre ↩
- 2 mai 1997, D. c/ Royaume-Uni, Rec. 1997-III ↩
- Pour des illustrations récentes, voy. Cour EDH, 29 janvier 2013, S.H.H c/ Royaume-Uni, n° 60367/10 ; 27 février 2014, Josef c/ Belgique, n° 70055/10. A l’exception notable d’un arrêt Aswat c/ Royaume-Uni du 16 avril 2013 : à propos de la mise à exécution de l’extradition vers les Etats-Unis d’un homme, soupçonné d’actes terroristes, atteint de schizophrénie paranoïaque. Mais le décalage pourrait s’expliquer par le fait que le juge européen s’est plutôt placé sur le terrain très classique de la jurisprudence concernant la détention des personnes malades, en particulier celles souffrant de maladies mentales qui sont particulièrement vulnérables, JCP G 2013, 577, obs. F. Sudre ↩
- Gde ch., 27 mai 2008, n° 26565/05 ↩
- voy. l’opinion partiellement concordante sous l’arrêt Yoh Ekale-Mwanje c/ Belgique du 20 déc. 2011 des juges Tulkens, Jociene, Popovic, Karakas, Raimondi et Pinto De Albuquerque ↩
- Rev. trim. dr. civ., 2008, p. 644 ↩
- JCP G, 2013, 243 ↩
- aff. Mohamed M’Bodj contre État belge, 18 décembre 2014, affaire C‑542/13 ↩
- nos 301640 et 316625, RTDH, 2011, p. 325, nos obs. ↩
- S’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne, le nouvel article L. 313-11, 11° du CESEDA indiquait que la carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit à l’étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve « de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé ». La loi du 3 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a finalement retenu une rédaction plus en phase avec les arrêts du Conseil d’Etat du 7 avril 2010 puisqu’il est fait référence (art. L. 313-11, 11°et L. 511-4 10°) à l’état de santé nécessitant « une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour [l’étranger] des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié » ↩
- jurisprudence citée dans l’arrêt Paposhvili : §§ 101-107 ↩
- Discours prononcé le 27 janvier 2017 lors de l’audience de rentrée solennelle ↩
- 5 févr. 2002, Conka c/ Belgique, § 59, n° 51564/99 ↩
- Le même décalage s’observe également lorsqu’elle estime que l’absence d’effet suspensif des recours contre les décrets de refoulement, § 281 ↩
- nos obs. dans la précédente livraison ↩
- Gde ch., 12 nov. 2008, n° 34503/97 ↩
- Leander c/ Suède, 26 mars 1987, A/116. Sans que cela n’empêche la Cour d’examiner les affaires dans lesquelles « les informations sollicitées concernaient la vie privée et/ou familiale des requérants »), la Cour a pu se prononcer sur des ingérences à un tel droit lorsqu’il était déjà prévu en droit interne (§§ 131-132). Puis, tout en prenant acte du fait que « le droit de « rechercher » des informations a été délibérément omis du texte final de l’article 10 » (§ 134), la Cour douche rapidement les espoirs de l’Etat défendeur en mobilisant tous azimuts l’arme du consensus illustrative ici de « la globalisation des sources du droit de la Convention » (F. Sudre, « L’interprétation constructive de la liberté syndicale, au sens de l’article 11 de la Convention EDH », JCP G, 2009, II 10018 ↩
- § 131 : « la Cour observe que dans la grande majorité des États contractants, et notamment dans les trente et un États étudiés sauf un » sans donner plus de précisions. Le consensus est également fragilisé par le fait que la Convention du Conseil de l’Europe de 2009 sur l’accès aux documents publics n’a été ratifiée que par sept Etats membres du Conseil de l’Europe ↩
- Convention précitée et la recommandation Rec(2002) 2 du comité des Ministres sur l’accès aux documents public ↩
- Par une décision Müller c. Autriche, la Commission considéra que l’obligation de contribuer à un système de protection sociale pouvait donner naissance à un droit de propriété ↩
- Gaygusuz c/ Autriche, 16 sept.1996, n° 17371/90 ↩
- Raffineries grecques Stran et Stratis c/ Grèce, 9 déc. 1994, n° 13427/87 ↩
- Ásmundsson c/ Islande, 12 oct. 2004, no 60669/00 ↩
- Azinas c/ Chypre, 20 juin 2002, n° 56679/00 ↩
- Gde ch., Stec et a. c/ Royaume-Uni, 12 avril 2006, n° 65731/01 ↩
- Plus de 23 ans, « ce qui […] dépasse de beaucoup la durée minimale de cinq ans […] justifiant au moins une prestation d’invalidité réduite selon le code européen de la sécurité sociale et les Conventions nos 102 et 128 de l’OIT », § 103 ↩
- Dans lequel le caractère discriminatoire de la perte du droit avait été retenu ↩
- Kolesnyk et a. et Fakas c/ Ukraine, Déc. 3 juin 2014, no 57116/10 et no 4519/11 ↩
- La Cour a procédé de la même manière en matière de mariage entre individus de même sexe : C. Husson-Rochcongar, « Les apports des revendications de la communauté LGBTI à l’évolution de la notion de ‘famille’ en droit européen des droits de l’homme », in A. Schuster, Rights on the Move. Raimbow families in Europe, Udine, Forumeditrice, 2015, p. 81-107 ↩
- voy. en particulier l’opinion dissidente fleuve du juge Portugais Pinto De Albuquerque ↩
- et implicitement de la marge d’appréciation, ce qui n’est guère compatible avec le caractère indérogeable de l’article 4 du Protocole n° 7 ! ↩
- voy. L. Maulet, « Le principe ne bis in idem, objet d’un « dialogue » contrasté entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2017, p. 107 ↩
- 26 févr. 2013, Åklagaren c. Hans Åkerberg Fransson, C-617/10 ↩
- jurisprudence suivie par la Cour de cassation : Cass. crim., 22 janv. 2014, n° 12-83.579 ↩