Internet dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
Félix Tréguer est doctorant à l’EHESS 1
Cet article passe en revue les tendances jurisprudentielles de la Cour européenne des droits de l’Homme vis-à-vis d’Internet. Dans un premier temps, nous nous attachons à mettre en évidence l’application des principes généraux de la jurisprudence européenne en matière de liberté d’expression à la communication sur Internet. Nous montrons ensuite que, lorsqu’ils mettent en exergue la nature spécifique d’Internet en tant que moyen de communication, les juges de Strasbourg tendent à en faire un « espace dangereux » justifiant des restrictions de liberté plus larges que celle traditionnellement admises.
En décembre 2012, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) rendait son premier jugement relatif au blocage de sites Internet dans l’affaire Yildrim c/ Turquie du 18 décembre 2012 2. Si l’État turc fut condamné par la Cour pour ne pas avoir assuré la prévisibilité et la proportionnalité de la mesure de blocage incriminée, les juges ne sont pas allés aussi loin que l’on pouvait l’espérer. Dans son opinion concordante, le juge portugais Pinto De Alburquerque a d’ailleurs regretté la réserve de ses collègues. En effet, selon lui, la Cour aurait dû « avoir une approche de principe de ces questions nouvelles et complexes, afin d’éviter une jurisprudence erratique, voire contradictoire […]. Il existe un besoin impérieux de lignes directrices claires qui soient en conformité avec les normes de la Cour applicables en la matière ». Dans son opinion, il fait même des propositions en la matière et fournit ainsi une contribution importante au débat sur l’encadrement des mesures restrictives de la liberté d’expression en ligne.
Dans l’analyse qui suit, nous proposons de caractériser l’approche de la Cour vis-à-vis de l’expression en ligne 3. De fait, même si Internet est encore un objet juridique nouveau pour la CEDH, les tendances jurisprudentielles qui se dessinent au fil de ses arrêts relatifs à la liberté d’expression sur Internet laissent justement augurer d’une approche « erratique » et « contradictoire », et laissent transparaître une certaine méfiance des juges de Strasbourg à l’égard de ce réseau de communication. Nous montrons d’abord que, de manière générale, les juges de Strasbourg s’emploient à transposer les principes généraux liés à la protection de la liberté d’expression et d’accès à l’information dans les médias traditionnels (première partie). Toutefois, lorsque les juges soulignent la « nature spécifique » d’Internet par rapport aux médias traditionnels, c’est souvent pour justifier des restrictions de libertés plus grandes que celles tolérées pour les médias traditionnels, ou dégager des « devoirs et des responsabilités » particuliers incombant à ceux qui s’expriment sur Internet (seconde partie).
Nous concluons en rappelant qu’en dépit de la réputation libérale de la Cour sur les questions de liberté d’expression, cette dernière adopte parfois des postures conservatrices. Or, les difficultés juridiques posées par Internet pourraient la conduire à en rester au statu quo, refusant de faire évoluer sa jurisprudence traditionnelle relative à la liberté d’expression construite dans un environnement communicationnel dominé par les médias de masse, quand bien même cette jurisprudence risque d’inhiber le potentiel démocratique d’Internet.
1. Les principes généraux relatifs à la liberté d’expression s’appliquent à la communication sur Internet
Comme l’avait fait avant eux le Conseil constitutionnel français dans sa décision relative à la loi HADOPI du 10 juin 2009 4, les juges de Strasbourg notent dans l’arrêt Yildrim que : « Internet est aujourd’hui devenu l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur droit à la liberté d’expression et d’information : on y trouve des outils essentiels de participation aux activités et débats relatifs à des questions politiques ou d’intérêt public » (§54).
Ce constat général les a naturellement conduit à transposer les grands principes de leur jurisprudence relative à la liberté d’expression – protégée par l’article 10, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme – à la communication sur Internet. La Cour a notamment rappelé que les règles juridiques relatives à l’activité journalistique devaient s’appliquer aussi bien dans les médias traditionnels que sur Internet (1.1). Ce dernier ne justifie pas non plus de casuistique particulière en ce qui concerne le plus haut degré de protection dont bénéficient les discours politiques (1.2), ou lorsqu’il s’agit de faire respecter les « limites de la critique admissible » (1.3).
1.1 La protection et l’encadrement du travail journalistique
Le droit de la presse doit s’appliquer à Internet. Dans un arrêt du 5 mai 2011 5, la Cour européenne des droits de l’Homme a pour la première fois indiqué clairement que l’article 10 de la Convention devait être interprété comme imposant aux États une obligation positive de garantir un cadre juridique assurant une protection effective de la liberté d’expression des journalistes sur Internet. L’affaire Comité de rédaction Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine concernait un journal papier (d’une circulation de 3000 exemplaires) ayant reproduit dans une édition de septembre 2003 une lettre anonyme – obtenue sur Internet – mettant en cause les services de sécurité de la région d’Odessa et leurs présumés liens avec le crime organisé. La reproduction était accompagnée d’un lien vers la source Web de la lettre ainsi que d’un commentaire indiquant que les informations présentées pouvaient être fausses et invitant les lecteurs à commenter et à compléter cette information. Le président de la fédération ukrainienne de boxe Thaï, désigné dans la lettre comme membre des réseaux criminels, engagea des poursuites contre le journal pour diffamation. En mai 2004, le journal fut condamné à publier une rétractation et à payer plus de 2000 euros de dommages et intérêts. Le tribunal ordonna également au directeur de publication du journal de publier une lettre d’excuses.
Dans son arrêt, la CEDH conclut à la violation de l’article 10. Tout d’abord, les juges européens estime que la lettre d’excuses n’était pas une sanction prévue par la loi ukrainienne. Surtout, cette dernière protège la publication d’informations déjà publiées par d’autres médias, à l’exclusion d’Internet : « Compte tenu du rôle joué par Internet pour les activités des médias professionnels et, plus généralement de son importance pour le droit à la libre expression, la Cour considère que l’absence d’un cadre juridique suffisant permettant aux journalistes d’utiliser des informations accessibles sur Internet sans crainte de sanctions obère l’exercice de la fonction de »chien de garde » dévolue à la presse » (§64).
Selon la Cour, l’exclusion de ces informations du cadre d’application des dispositions législatives protégeant les libertés des journalistes donne lieu à une ingérence injustifiée avec la liberté de la presse couverte par l’article 10 de la Convention.
Précédemment, l’arrêt Times Newspaper c. Royaume-Uni du 10 mars 2009 6 avait également permis à la CEDH de rappeler que les obligations auxquelles sont tenus les journalistes – à savoir s’exprimer « de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations »fiables et précises » dans le respect de l’éthique journalistique » 7 – s’appliquent aussi à Internet. Cette affaire concernait des poursuites en diffamation engagées en décembre 2000 contre la publication en ligne d’archives comprenant un article publié un an plus tôt et pour lequel le journal était déjà poursuivi en diffamation. Pour le Times, cette seconde assignation devait être rejetée car elle intervenait après le délai de prescription applicable en l’espèce. La cour britannique rejeta cet argument, invoquant que dans le cadre d’Internet, chaque consultation de l’article équivalait à une publication. Le journal fit appel de ce jugement, faisant valoir qu’il plaçait la presse dans une situation d’insécurité juridique trop grande, décourageant la publication d’archives sur Internet. Mais les juges d’appel confirmèrent le jugement de première instance, expliquant que le fait de maintenir des archives n’était qu’un aspect relativement mineur de la liberté d’expression, et ajoutant que, « lorsque l’on sait que des documents archivés sont diffamatoires ou susceptibles de l’être , l’insertion d’un avertissement déconseillant aux lecteurs d’y ajouter foi suffit en principe à leur retirer toute causticité ».
La CEDH estime en l’espèce que : « La mise à disposition d’archives sur Internet contribue grandement à la préservation et à l’accessibilité de l’actualité et des informations. Les archives en question constituent une source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques, notamment en qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites » (§45).
La Cour refusa cependant de se prononcer sur la règle relative à la publication sur Internet et le moment à partir duquel doit courir le délai de prescription. D’une part, parce que les États bénéficient d’une marge d’appréciation plus large pour établir un équilibre entre les intérêts concurrents lorsque les informations sont archivées et portent sur des événements passés dont la diffusion ne revêt aucun caractère d’urgence. D’autre part, parce que la première action en diffamation intervenait bien en deçà du délai de prescription d’un an applicable en l’espèce, et que la seconde assignation relative aux archives du journal était intervenue alors que la procédure relative à la première action en justice était toujours pendante. La CEDH estima donc que les juridictions britanniques étaient fondées à condamner le journal pour avoir manqué à ses obligations de diligence, qui auraient du lui imposer d’alerter les lecteurs de la nature potentiellement diffamatoire de l’article archivé. Elle conclut à la non-violation de l’article 10.
1.2 Le plus haut degré de protection pour l’expression politique ou militante
De la même manière que les droits et les responsabilités incombant aux journalistes doivent s’appliquer aussi bien dans les médias traditionnels que sur Internet, les catégories de discours protégés et les différents degrés de protection octroyés à ces catégories sont identiques quelque soit le moyen de communication utilisé. Ainsi, dans l’affaire Renaud c. France 8, la Cour estime que l’expression politique d’un élu, et plus largement les discours politiques et militants, bénéficient d’un degré renforcé de protection 9. L’affaire concernait un opposant à un projet d’urbanisme porté par le maire de la commune de Sens. Il était poursuivi par cette dernière pour diffamation et injure envers un citoyen chargé d’un mandat public, le maire en l’occurrence, en raison de propos tenus sur le site Internet d’une association de quartier dont il était président. Relaxé pour le délit de diffamation puisque les propos en question relevaient de la libre critique politique, l’opposant fut néanmoins déclaré coupable d’injure publique, et épuisa ses voix de recours sans obtenir gain de cause.
Dans son arrêt, la CEDH relève tout d’abord que les propos incriminés s’inscrivaient dans le cadre d’une polémique entre la municipalité de Sens et l’association présidée par le requérant à propos de la politique d’urbanisme conduite par le maire et son équipe municipale, et que la plaignante était visée en sa qualité de maire. Il s’agissait donc bien d’une expression « politique et militante », pour laquelle l’article 10 exige un niveau élevé de protection.
« S’agissant des autres propos imputés au requérant, la Cour note qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une polémique d’une vivacité patente entre l’association du requérant et la mairie. L’un (« Alors cynique, schizophrène ou menteuse, MLF ? »), relève d’une critique générale de la politique de la municipalité en lien direct avec ce contexte tendu. Quant à l’autre (« c’est je m’en mets plein les poches »), s’il ne s’appuie sur aucun fait de nature à laisser supposer un enrichissement personnel de la plaignante, il s’inscrit incontestablement dans le cadre des interrogations que répercute l’association du requérant quant à la légalité et aux motivations réelles des projets mis en cause » (§38).
La Cour « retient que, même s’ils ne s’inscrivent pas dans le cadre de la liberté d’expression d’un membre de l’opposition à proprement parler, ces propos relèvent de l’expression de l’organe représentant d’une association portant les revendications émises par ses membres sur un sujet d’intérêt général dans le cadre de la mise en cause d’une politique municipale » (§40). Elle conclut donc à la violation, estimant que l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant ne correspondait à aucun besoin impérieux compte tenu de la nécessité « d’assurer le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout entière » (§41).
1.3 Les « limites de la critique admissible »
Pour Internet comme pour les médias traditionnels, la Cour valide certains interdits d’expression pour des catégories de discours dont elle estime qu’ils dépassent « les limites de la critique admissible ». Dans l’affaire Willem c. France 10 en fournit un exemple. En 2002, un maire avait annoncé, au cours de la réunion du conseil municipal de la ville de Seclin et en présence de journalistes, son intention de boycotter les produits israéliens sur le territoire de sa commune. Devant le tollé suscité par ses propos, il s’en justifiait quelques jours plus tard dans une lettre ouverte publiée sur le site Internet de la commune. Relaxé en première instance du délit de provocation à la discrimination nationale, raciale, religieuse par parole, écrit ou moyen de communication audiovisuelle (articles 23 et 24 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881) 11, le maire fut reconnu coupable en appel et condamné à une peine d’amende de 1000 euros.
La CEDH, tout en reconnaissant que l’intention du requérant était de dénoncer la politique du premier ministre israélien, estime que l’appel boycott exprimé en public et diffusé sur le site Internet de la commune correspondait à une démarche discriminatoire, et qu’il est de ce fait condamnable (§38). Même si conformément à sa jurisprudence traditionnelle 12, la Cour prend soin de rappeler que tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général peut « recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, c’est-à-dire d’être quelque peu immodéré dans ses propos », elle conclut néanmoins à 6 voix contre une à la non-violation de l’article 10.
Dans Féret c. Belgique 13, le président du Front National belge, député à la Chambre des représentants de Belgique, fit l’objet d’une série de plaintes pour la diffusion de tracts critiquant la politique d’immigration du gouvernement belge, et relatant un discours anti-immigrés particulièrement odieux, dont plusieurs furent également diffusés sur Internet. Le procureur entreprit de demander la levée de l’immunité parlementaire du requérant à la Chambre des représentants, ce à quoi il s’opposa sans succès, faisant valoir qu’il était accusé d’un délit d’opinion alors que les propos incriminés étaient directement motivés par ses fonctions électives et devaient donc, selon lui, être couverts par l’immunité parlementaire. En 2006, il fut condamné par la cour d’appel de Bruxelles à une peine de 250 heures de travail à exécuter dans le secteur de l’intégration des personnes de nationalité étrangère, avec un emprisonnement subsidiaire de dix mois et à une période d’inéligibilité de dix ans.
La CEDH conclut à la non-violation de l’article 10. Si elle rappelle que « les partis politiques ont le droit de défendre leurs opinions en public, même si certaines d’entre elles heurtent, choquent ou inquiètent une partie de la population », elle souligne que ces derniers « doivent éviter de le faire en préconisant la discrimination raciale et en recourant à des propos ou des attitudes vexatoires ou humiliantes, car un tel comportement risque de susciter parmi le public des réactions incompatibles avec un climat social serein et de saper la confiance dans les institutions démocratiques » (§77). Le requérant a donc, en critiquant une politique perçue comme trop favorable aux immigrés, dépassé les limites de la critique admissible.
La Cour ajoute aussi, comme pour justifier le danger que constitue une telle expression anti-immigrés, qu’ « un tel discours est inévitablement de nature à susciter parmi le public, et particulièrement parmi le public le moins averti, des sentiments de mépris, de rejet, voire, pour certains, de haine à l’égard des étrangers » (§69). Ce parti pris est d’ailleurs critiqué par trois juges dans une opinion dissidente rédigée par le juge hongrois András Sajó, qui estime que « toutes ces spéculations quant au danger nient le pouvoir de la contre-argumentation et de l’indépendance de jugement. Si la notion de ”discours dangereux” fait son entrée dans la jurisprudence de la Cour, on assistera, sans raison impérieuse, à une extension de la sphère de propos susceptibles de donner lieu à un délit quelles que soient par ailleurs les conditions et les circonstances réelles dans lesquelles ces propos auront été tenus ». En dépit de ces débats internes à la Cour sur les limites de la liberté d’expression, Internet ne justifie pas, en l’espèce, d’inflexion aux conceptions traditionnelles qui structurent sa jurisprudence relative à l’article 10.
2. La nature spécifique d’Internet peut justifier de plus grandes restrictions de liberté
Dans les arrêts que nous venons de présenter, la Cour s’emploie à appliquer sa doctrine traditionnelle en matière de liberté d’expression à ce nouvel espace de communication qu’est Internet. Il arrive cependant que ce dernier justifie une casuistique spécifique, les juges de Strasbourg arguant alors des risques inhérents aux « réseau des réseaux » (2.1) pour renforcer les « devoirs et responsabilités » incombant aux locuteurs (2.2).
2.1 Internet, un espace dangereux ?
Bien que la CEDH ait eu l’occasion de rappeler son importance pour l’exercice des droits et libertés couverts par l’article 10, certaines décisions tendent à faire d’Internet un moyen de communication à part, créant de nouveaux risques qui justifieraient des restrictions de droit particulières.
Dans l’affaire Mouvement raëlien suisse c/ Suisse 14, la branche suisse de cette célèbre association (qui a, rappelons-le, pour but d’assurer « de bonnes relations entre l’espèce humaine et les extra-terrestres » et défend notamment le clonage reproductif ainsi qu’une forme de démocratie sélective basée sur le coefficient intellectuel – la« géniocratie ») s’était vue refuser par la police la possibilité de mener une campagne d’affichage pour faire la promotion de son site Internet. Le motif invoqué par les autorités était que ladite association, considérée en France comme une secte, se livrait à des activités contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Les juridictions suisse rejetèrent les recours successifs du Mouvement raëlien, estimant que le site auquel renvoyait explicitement la publicité donnait accès des contenus litigieux. Parmi eux, le site de l’entreprise Clonaid proposait par exemple des services de clonage et d’eugénisme. On y trouvait aussi des passages de livres invitant les adultes à avoir des relations sensuelles voire sexuelles avec des mineurs, ainsi que des propos sur la « géniocratie et les critiques sur les démocraties actuelles », dont les juges suisses estimèrent qu’ils étaient « susceptibles de porter atteinte à l’ordre, à la sécurité et à la moralité publics ». Le mouvement raëlien suisse saisit donc la CEDH, arguant que la liberté de religion et la liberté d’opinion protégées respectivement par les articles 9 et 10 de la Convention avaient été violés. Selon les requérants, la décision des autorités suisses faisait directement obstacle à la diffusion de ses idées, non seulement par l’interdiction de l’affiche litigieuse mais aussi par la sanction indirecte du contenu de son site internet et des écrits de Raël, mis en cause dans les décisions successives des tribunaux suisses.
Dans sa décision du 13 juillet 2012, la Grande Chambre de la Cour rappelle les « reproches » formulés contre les membres de l’association et leurs activités sexuelles revendiquées avec des mineurs et indique « que les autorités internes ont pu raisonnablement considérer, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, qu’il était indispensable d’interdire la campagne en cause aux fins de la protection de la santé et de la morale, de la protection des droits d’autrui et de la prévention du crime ». Dans son arrêt du 13 janvier 2011, la première section de la chambre était parvenue à la même conclusion, insistant sur le fait que la mesure litigieuse devait être examinée en tenant compte des moyens modernes de diffusion d’informations. Ainsi, au-delà de l’affiche, elle s’intéressa également, comme les autorités suisses, aux idées propagées dans les ouvrages et le contenu du site Internet du mouvement raëlien, ainsi que les autres sites auxquels il renvoyait. Comme le résume la Grande Chambre :« Prenant en compte le cadre global dans lequel l’affiche se situait, notamment les idées propagées par le site Internet de la requérante ainsi que les liens accessibles depuis ce site, la chambre a rappelé que les moyens modernes de diffusion d’information et le fait que le site était accessible à tous, y compris aux mineurs, auraient démultiplié l’impact d’une campagne d’affichage » (§33).
Il ressort de cette jurisprudence une conception d’Internet qu’on peut qualifier d’« exceptionnaliste ». En l’occurrence, elle ne justifie non pas des garanties particulières pour l’expression en ligne, mais au contraire de plus grandes restrictions de libertés. Très clairement, pour la CEDH, la nature répréhensible d’un message est aggravée par sa publication en ligne, d’une part parce qu’Internet permet une plus grande « publicité de l’information », du fait de sa nature de réseau mondial permettant une communication « asynchrone », et d’autre part – mais cela est lié – car des mineurs risquent de l’utiliser pour accéder à des contenus préjudiciables. Sur ce point précis, il est d’ailleurs est intéressant de noter que Cour n’envisage pas l’importance des filtres parentaux permettant de contrôler les informations consultées par des mineurs, quand bien même ces derniers ont fait l’objet de travaux de la part du Conseil de l’Europe 15.
Cette analyse de la Cour se retrouve dans d’autres arrêts précités. Ainsi, dans l’affaire Pravoye, juste avant d’insister sur le rôle joué par Internet pour la liberté d’expression et l’accès à l’information, la Cour émettait cette réserve importante : « L’Internet est certes un outil d’information et de communication qui se distingue particulièrement de la presse écrite, notamment quant à sa capacité à emmagasiner et diffuser l’information. Ce réseau électronique, desservant des milliards d’usagers partout dans le monde, n’est pas et ne sera peut-être jamais soumis aux mêmes règles ni au même contrôle. Assurément, les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée » (§63).
Même si ces propos sur le risque que pose Internet du point de vue du droit à la vie privée peuvent sembler de bon sens, ils suggèrent néanmoins une certaine méfiance de la Cour vis-à-vis d’Internet. On peut dès lors craindre que cette position ne serve à justifier des restrictions de la liberté d’expression plus grandes que celles traditionnellement admises, par exemple dans des affaires où le droit à la vie privée ou la réputation des personnalités politiques seraient mis en cause dans ce gigantesque espace public qu’est Internet, et ce même si le degré de protection accordé aux personnalités publiques est généralement moindre 16.
Cela étant dit, les arrêts de la Cour justifiant des restrictions de la libre expression afin de protéger le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8) ne concernent pour l’instant que des affaires dans lesquelles les victimes sont des mineurs. Dans l’affaire K.U c. Finlande 17, la Finlande a été condamnée pour ne pas avoir prévu des dispositions législatives permettant à la police ou au tribunaux d’exiger l’identité d’une personne ayant publié une annonce à caractère sexuel sur un site de rencontres en ligne et figurant un garçon de douze ans. Pour la CEDH, la publication de cette annonce devait être sanctionnée pénalement, en particulier parce que l’auteur avait désigné le mineur en question comme un cible pour des pédophiles. D’après la Cour, le législateur finlandais aurait du prévoir un cadre juridique permettant de concilier la confidentialités des communications sur Internet (anonymat qui est l’une des composantes de la liberté d’expression en ligne 18) avec la la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des droits et libertés d’autrui, en particulier ceux des enfants et des autres personnes vulnérables. En l’espèce elle a donc conclu à la violation de l’article 8. Pour la Cour : « Sans préjudice de la question de savoir si, compte tenu de sa nature répréhensible, la conduite de la personne ayant passé l’annonce illégale sur internet relève ou non de la protection des articles 8 et 10, le législateur aurait dû en tout cas prévoir un cadre permettant de concilier les différents intérêts à protéger dans ce contexte. Un tel cadre n’était pas en place au moment des faits, de sorte que la Finlande n’a pu s’acquitter de son obligation positive à l’égard du requérant » (§49).
On retrouve néanmoins cette conception « exceptionnaliste » dans d’autres décisions. Dans l’arrêt Fatullayev c. Azerbadjian 19, dont il est question ci-dessous, la Cour insiste ainsi sur le fait que l’effet des contenus diffusés sur Internet n’est « pas moins puissant » que lorsqu’ils sont diffusés par voie de presse 20.
Pour autant, cette solution qui consiste à souligner les risques spécifiques liés à la communication sur Internet divise la Cour. Dans une opinion dissidente déjà citée, le juge Sajó parvient ainsi à une conclusion différente. Il concède que l’évaluation de la gravité du discours et son caractère potentiellement délictueux doit se fonder sur une analyse du moyen de communication utilisé. Mais selon lui, par leur caractère de médias de masse et du fait qu’ils sont imposés aux téléspectateurs sans contre-argumentation possible, l’impact de la radio et de la télévision sur la commission effective d’actes coordonnés de discrimination ou de violence est bien plus grand que pour des contenus diffusés sur Internet 21. Dans une phrase qui évoque la jurisprudence de la Cour suprême américaine 22, il distingue également Internet de la presse : « Les sites web se distinguent d’autres formes de distribution parce qu’on peut les “télécharger” à son gré (les intéressés doivent rechercher eux-mêmes activement l’information). Autrement dit, les opinions ne sont pas “imposées” comme elles le sont lors de la divulgation de documents papier ».
Selon cette analyse, Internet est donc un moyen de communication moins problématique que la radio, la télévision ou la presse. La majorité de la Cour tend cependant en faire une circonstance aggravante.
2.2 Le renforcement des « devoirs et responsabilités » sur Internet
Comme nous l’avons déjà évoqué, la Cour transpose l’encadrement traditionnel du travail journalistique à Internet. Elle ne s’arrête cependant pas là : il semble en effet que les risques supposés liés à la communication sur Internet la conduisent à imposer aux journalistes, « chiens de garde de la démocratie », des « devoirs et des responsabilités » particuliers.
L’expression de « devoirs et responsabilités » est relativement vague, et est directement issue du texte de l’article 10, paragraphe 2 23. Cette notion a été récemment davantage mise en exergue par la Cour, la doctrine s’accordant à dire qu’elle est ainsi venue contrebalancer la prétendue « surprotection » qu’offriraient les juges de Strasbourg en matière de liberté d’expression. D’après Mario Oetheimer 24, juriste à la Division de la Recherche du Greffe de la CEDH, ce vocable inspiré de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 25 permet à la Cour de renforcer sa conception « fonctionnaliste » de la liberté d’expression, en « responsabilisant les médias » et en consacrant un peu plus dans le droit le rôle prépondérant des journalistes dans la collecte et la diffusion d’informations de qualité sur les questions d’intérêt général : « L’ancienne Cour et la Commission européennes avaient déjà très tôt souligné l’importance des “devoirs” et “responsabilités” pesant sur l’individu se prévalant du droit à la liberté expression. Les affaires portées à Strasbourg durant les années 80-90 ont permis de souligner que ces notions devaient être prises en compte notamment par un certain nombre de membres de professions spécifiques (magistrats, haut fonctionnaires, militaires etc.). (…) Avec le recul, on se rend compte que l’évolution de la jurisprudence de la nouvelle Cour s’inscrit bien dans la continuité de celle tracée par les organes européens avant 1998. A l’époque, nous avions pu estimer que : les notions de “devoirs” et “responsabilités” n’étaient pas restées “lettre morte” dans la jurisprudence européenne, elles participaient de façon incidente au cadre général du contrôle européen. La nouvelle Cour a, en définitive, déplacé ce que nous avions considéré comme incident vers un élément dominant du contrôle européen de la liberté d’expression des professionnels des médias » 26.
Au gré de sa jurisprudence sur les devoirs et responsabilités journalistiques, la Cour s’estime ainsi fondée à déterminer les critères de qualité et de déontologie du travail journalistique, alors même qu’elle rappelait encore en 1992 que, « en invoquant, pour justifier une limitation de la liberté d’expression, les “devoirs” et “responsabilités” inhérents à l’exercice de celle-ci au terme l’article 10, on oublie que pareille limitation doit remplir les exigences du paragraphe 2 » 27. Peu à peu, le respect de la déontologie journalistique semble bel et bien conditionner le bénéfice de la protection accordée par l’article 10. Ainsi dès 1993, la Cour marque un infléchissement qui s’est depuis accentué : « En raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l’exercice de la liberté d’expression, la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique » 28.
En 1997, dans l’affaire Haes et Gijsels c. Belgique 29, la Cour déclare qu’il n’y a pas violation de l’article 10, dans une affaire où deux journalistes avaient diffamé plusieurs magistrats : « La Cour rappelle que la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique: si elle ne doit pas franchir certaines limites, notamment quant à la réputation et aux droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général, y compris celles qui concernent le fonctionnement du pouvoir judiciaire » (§37).
Oetheimer concède ainsi, en référence aux arrêts Flux c. Moldova 30 et Stoll c. Suisse 31, que « dans certaines affaires (…), on reste perplexe face au contrôle des règles déontologiques opéré par la Cour, qu’il s’agisse des règles liées au professionnalisme ou de celles assimilées à la technique journalistique » 32. Il faut par ailleurs noter que ce renforcement des exigences pesant sur les journalistes caractérise aussi l’approche de la CEDH quant aux propos tenus par des hommes politiques, du fait notamment de leur position d’autorité dans le débat public 33.
Qu’en est-il de l’application des « devoirs et responsabilités » pour Internet ? Dans la mesure où la Cour a déjà souligné les risques spécifiques du « réseau des réseaux », il n’est pas étonnant qu’elle ait cherché à transposer cette notion de « devoirs et responsabilités » dans le contexte de l’expression en ligne. Le principe est d’abord rappelé dans l’affaire Stoll c. Suisse : « Dans un monde dans lequel l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue » (§104).
Dans l’affaire Times, déjà évoquée, la Cour souligne aussi que « la protection que l’article 10 offre aux journalistes est subordonnée à la condition qu’ils agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect des principes d’un journalisme responsable » (§42). Pour rappel, des articles archivés par le Times et potentiellement diffamatoires étaient en cause. Or, pour la Cour, puisque ces articles en ligne restaient accessibles dans la durée sur Internet et que leur publication était de ce fait dénuée du caractère d’urgence, le devoir de vérification était encore plus strict. En effet, « le devoir de la presse de se conformer aux principes d’un journalisme responsable en vérifiant l’exactitude des informations publiées est vraisemblablement plus rigoureux en ce qui concerne celles qui ont trait au passé – et dont la diffusion ne revêt aucun caractère d’urgence – qu’en ce qui concerne l’actualité, par nature périssable » (§45).
Dans l’arrêt Fatullayev c. Azerbaïdjan évoquée plus haut – où la Cour de Strasbourg indiquait que l’effet des contenus diffusés sur Internet n’est « pas moins puissant » que pour les médias traditionnels –, cette notion de « devoirs et responsabilités » incombant aux journalistes est appliquée de manière plus problématique. Dans cette affaire, le journaliste Eynulla Emin oglu Fatullayev avait été condamné à deux ans et demi de prison ferme pour diffamation, après qu’il ait mis en cause la version communément admise des massacres de civils dans la ville de Khodjaly, lors du conflit du Haut-Karabagh au printemps 1992. Les propos incriminés avaient été tenus dans un article de presse et des commentaires publiés plus d’un après la parution de l’article sur un forum Internet. La Cour, qui conclut à la violation de l’article 10 en raison du caractère disproportionné de la condamnation, reconnaît néanmoins que les commentaires publiés sur Internet manquaient de base factuelle. De ce fait, les juges estiment que le journaliste a manqué à son obligation de fournir des informations exactes et fiables. Ils posent ainsi le principe selon lequel les devoirs et responsabilités de journalistes exerçant leur liberté d’expression s’appliquent également lorsqu’ils s’expriment sur Internet sous leur nom en dehors du site du média qui les emploie. De ce point du vue, il semble bien que ce soit la tendance au renforcement des exigences pesant sur les journalistes qui domine la jurisprudence de la Cour, voire à la création de « devoirs et responsabilités » spécifiques à Internet.
Une telle évolution amène à s’interroger : ce renforcement des devoirs et responsabilités incombant à ceux qui exercent leur droit à la libre expression peut-il tenir à l’heure de la démocratisation radicale de l’accès aux moyens de communication induite par Internet ? Certes, la Cour semble prête à étendre la protection dont bénéficient les journalistes à tout type d’acteurs participant à des débats d’intérêt général (et ce même si cette protection n’a à notre connaissance jamais été explicitement étendu aux « citoyens ordinaires » qui chercheraient à intervenir dans le débat démocratique). Ainsi, au sujet des associations militantes, non sans mentionner le fondement législatif qui en l’espèce reconnaît un rôle de « chien de garde » à l’association visée, les juges affirment : « Dans une société démocratique, même des petits groupes militants non-officiels (…) doivent pouvoir mener leur activité de manière effective et qu’il existe un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du courant dominant à contribuer au débat public par la diffusion d’information et d’opinion sur des sujets d’intérêt général comme la santé et l’environnement » 34. Ils ajoutent : « En tant qu’organisation non gouvernementale spécialisée en la matière, la requérante a donc exercé son tôle de “chien de garde” conféré par la loi sur la protection de l’environnement ».
Toutefois, pour la CEDH, les devoirs et les responsabilités qui incombent aux journalistes professionnels doivent s’appliquer de la même manière aux groupes militants ou à tout autre type de locuteur. La Cour est très claire sur ce point : « La garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (…) ; la même règle doit s’appliquer aux autres personnes qui s’engagent dans le débat public » 35.
Suivant une logique similaire, dans l’arrêt Chauvy et autres c. France 36, la CEDH juge ainsi acceptable la condamnation pénale pour diffamation publique d’un historien auteur d’un livre mettant en cause des figures historiques de la résistance, car il n’avait pas « respecté les règles essentielles de la méthode historique » (§77).
D’où une conception qu’on peut qualifier de « fonctionnaliste » de la liberté d’expression, qui instrumentalise tout type de locuteur ayant accès aux moyens de communication pour réguler le débat démocratique. Une conception qui conduit la Cour à interpréter de manière parfois restrictive ce qui relève de ces catégories de discours bénéficiant d’une protection étendue. Surtout, comme on l’a vu, elle se traduit par des règles contraignantes pour la participation au débat démocratique, construites autour de la notion de « devoirs et responsabilités » journalistiques. C’est dans son approche de ces deux notions – « discours politique » et « devoirs et responsabilités » – que la Cour de Strasbourg se distingue de la doctrine presque libertaire qu’a la Cour suprême américaine de la liberté d’expression.
Or, à l’heure d’Internet, des enjeux cruciaux pour l’avenir de la démocratie se joue autour de ces deux notions juridiques, qui risquent d’inhiber la reconnaissance des « citoyens ordinaires » dans le débat démocratique. Qu’il s’agisse de WikiLeaks, d’organisations citoyennes fondées sur des collaborations citoyennes telles que le copwatching (activité de surveillance citoyenne de la police, qui s’est développé sur Internet ces dernières années) ou encore des militants de la culture libre qui revendiquent de tenir un échec un droit d’auteur délégitimé, Internet regorge de formes d’engagement politique qui relèvent de la « citoyenneté incurrectionnelle » 37. Autant de formes de participation politique qui remettent en cause les limites et les usages traditionnels de l’espace public traditionnel, et défient le droit de la communication.
Conclusion : Pour une nouvelle conception de la liberté d’expression
Quelle sera l’attitude de la CEDH lorsqu’elle aura à se prononcer sur des contentieux impliquant ces différents mouvements citoyens, alors même qu’elle tend à insister sur les risques inhérents à la communication sur Internet ? Appelée à juger de la conventionnalité du blocage de sites Internet ordonnée par l’État turc dans l’affaire Yildrim, elle a choisi une condamnation a minima de la mesure incriminée. Comme le souligne implicitement le juge Pinto de Alberquerque, ses collègues ont décidé de ne pas fixer des « lignes directrices claires » sur les mesures de restriction des libertés en ligne adoptées par les États partis à la Convention. Or, des analyses prospectives tendent à montrer que les mesures de blocage sont par leur nature même contraires à l’État de droit 38. La CEDH semble donc prête à ménager les États qui mettent en œuvre ces mesures répressives. Si l’on ajoute à ces considérations le fait que la Cour a une conception restrictive des expressions relevant du « discours politique » ou portant sur des « questions d’intérêt général » – catégories bénéficiant traditionnellement d’un degré de protection renforcé – et sa conception des « devoirs et responsabilités » incombant aux locuteurs, il y a des raisons de ne pas céder à l’optimisme. Considérons deux exemples hypothétiques : Si le contentieux contre WikiLeaks qu’a failli enclencher le gouvernement français au moment du « Cablegate » avait abouti 39, la CEDH aurait-elle estimé que Julian Assange et ses acolytes étaient des journalistes publiant des informations d’intérêt public 40, en respectant les règles déontologiques attachées à l’activité journalistique et devant bénéficier du droit à la protection des sources ? Aurait-elle accepté que les câbles diplomatiques hébergés pendant un temps à Roubaix par l’entreprise OVH soient mis hors ligne sur décision de justice 41 ? Au regard de sa jurisprudence en matière de secret diplomatique dans l’affaire Stoll c. Suisse 42, il est fort probable qu’elle se serait prononcée contre WikiLeaks. De même, les condamnations répétées du site Copwatch par les tribunaux français pour injures et diffamation envers les forces de l’ordre 43 seraient très probablement validées par la Cour,. En dépit de ce que pourrait laisser penser l’arrêt Willem, déjà évoqué, elle refuse en effet de voir dans de tel propos un « expression politique » qui exigerait une protection renforcée, même s’ils répondent à un abus de pouvoir de la police 44.
Ces questions se posent pour l’ensemble des formes de citoyenneté insurrectionnelle qu’on voit émerger sur Internet, qui opèrent aux frontières de la légalité et qui se radicalisent à mesure que les États adoptent des dispositifs répressifs pour contrôler les communications en ligne. De même que le combat pour la liberté de la presse était un combat pour une émancipation de la presse vis-à-vis du pouvoir politique, Internet est à l’origine d’une nouvelle demande d’autonomisation de la société civile vis-à-vis des pouvoirs en place, y compris le pouvoir médiatique. Ce que Benjamin Loveluck désigne sous le terme de « libéralisme informationnel » 45. Or, le cadre édicté à la fin du XIXème siècle pour garantir la liberté de la presse – et qui constitue aujourd’hui encore le fondement de la doctrine européenne en matière de liberté d’expression – semble désormais étriqué pour répondre à cette demande.
Une réforme pragmatique, favorable aux potentialités démocratiques d’Internet, cherchant à concilier les revendications citoyennes en matière de participation politique et la nécessaire protection des droits d’autrui et de « l’ordre public », est nécessaire. Le Conseil de l’Europe a bien entamé des travaux visant à faire évoluer la « notion de média » pour y inclure ces nouveaux acteurs de la discussion démocratique 46. Apparemment échaudé par les réactions violentes des États à la publication des câbles diplomatiques par WikiLeaks fin 2010 – et le recours à peine voilé à des moyens de censure extra-légaux contre cette organisation –, le Conseil a pris conscience que l’espace public connaît des transformations majeures. Si ses initiatives sont louables et sans doute avant-gardistes, les remèdes actuellement en discussion ne permettent pas, à mon sens, de résoudre les inadéquations majeures du droit européen de la liberté d’expression, car ils restent attachés à certains de ses présupposés, tels que le caractère professionnel de l’activité journalistique 47. La liberté d’expression de citoyens ou groupes militants reprenant à leur compte les fonctions traditionnellement dévolues aux médias sans pour autant respecter entièrement les normes professionnelles qui incombent à ces derniers reste malheureusement négligée.
Photo : By Max Braun from San Francisco, USA (Wikileaks Protester) [CC-BY-SA-2.0], via Wikimedia Commons
Notes:
- Félix Tréguer réalise depuis 2010 une thèse consacrée aux enjeux démocratiques de la protection de la liberté de communication sur Internet, sous la direction de Marcela Iacub (CRH-CNRS/EHESS). Il a été pendant trois ans chargé des affaires juridiques au sein de La Quadrature du Net, une association de défense des libertés sur Internet dont il est membre fondateur. Diplômé de Sciences-Po Paris mention « Affaires Publiques » et titulaire d’un Master 2 « Droit de la Communication » de l’université Paris-II Panthéon-Assas, il a réalisé en 2010 un stage en tant qu’assistant de recherche au Berkman Center for Internet and Society à l’université d’Harvard. ↩
- CourEDH, 18 décembre 2012, Yildrim c. Turquie, n°63111/10. ↩
- Notre analyse s’appuie sur le document suivant : Division de la recherche, 2011, Internet : la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, Conseil de l’Europe ↩
- « Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : » La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ». Conseil constitutionnel, Décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009, considérant 12 ↩
- CourEDH, 5 mai 2011, Comité de rédaction Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, n°33014/05. ↩
- CourEDH, 10 mars 2009, Times Newspapers c. Royaume-Uni, n°3002/03. ↩
- CourEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France, n°29183/95, §54. ↩
- CourEDH, 25 février 2010, Renaud c. France, n°13290/07. ↩
- Elle réaffirme ainsi un principe constant de sa jurisprudence. Voir par exemple CourEDH, 8 janvier 1999, Ceylan c. Turquie, n°23556/94, §34, : « La Cour rappelle toutefois que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général (…) ». ↩
- CourEDH, 16 juillet 2009, Willem c. France, n°10883/05. ↩
- Par un jugement du 26 mars 2003, le tribunal correctionnel de Lille prononça la relaxe du requérant, aux motifs suivants : « (…) Attendu que le fait d’appeler à une telle mesure, (à savoir le boycott des jus de fruits israéliens) de nature commerciale, vise des produits et n’entre donc pas dans les prévisions du texte visé dans les poursuites ; qu’il ne s’agit pas en effet d’une discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; Attendu que le prévenu, en l’espèce, n’a fait qu’utiliser sa liberté d’expression, liberté fondamentale garantie par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (…) » ↩
- CourEDH, 7 novembre 2006, Mamère c. France, n°12697/03. ↩
- CourEDH, 16 juillet 2009, Féret c. Belgique, n°15615/07. ↩
- CourEDH, 13 juillet 2012, Mouvement raëlien suisse c/ Suisse [GC], n°16354/06. ↩
- Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les mesures visant à promouvoir le respect de la liberté d’expression et d’information au regard des filtres internet, adoptée le 26 mars 2008. ↩
- Voir, récemment: CourEDH, 7 février 2012, Springer c. Allemagne [GC], n°39954/08; CourEDH, 7 février 2012, Von Hannover c. Allemagne [GC], n°40660/08. ↩
- CourEDH, 2 décembre 2008, K.U. c. Finlande, n°2872/02. ↩
- Voir notamment les travaux du Conseil de l’Europe : « Afin d’assurer une protection contre les surveillances en ligne et de favoriser l’expression libre d’informations et d’idées, les États membres devraient respecter la volonté des usagers de l’Internet de ne pas révéler leur identité. Cela n’empêche pas les États membres de prendre des mesures et de coopérer pour retrouver la trace de ceux qui sont responsables d’actes délictueux, conformément à la législation nationale, à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et aux autres traités internationaux dans le domaine de la justice et de la police ». Déclaration du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la liberté de la communication sur l’Internet, adoptée le 28 mai 2003. ↩
- CourEDH, 22 avril 2010, Fatullayev c. Azerbadjian, n°40984/07, ↩
- Voir §94 et 95 et de l’arrêt. Notamment : « In the present case, it is not clear whether the applicant intended to post these statements in his capacity as a journalist providing information to the public, or whether he simply expressed his personal opinions as an ordinary citizen in the course of an Internet debate. Nevertheless, it is clear that, by posting under the username “Eynulla Fatullayev”, the applicant, being a popular journalist, did not hide his identity and that he publicly disseminated his statements by posting them on a freely accessible popular Internet forum, a medium which in modern times has no less powerful an effect than the print media ». ↩
- « Nul besoin de préciser que l’impact de la radio et de la télévision sur une action coordonnée est différent de celui de tracts disparates et de sites web ». ↩
- Dans l’arrêt de référence Reno vs. ACLU, en 1997, le juge Stevens de la Cour suprême américaine soulignait la nature non invasive d’Internet, expliquant que « sur Internet, il est rare que les internautes soient exposés à un contenu ”par accident”». Reno vs. ACLU, 521 U.S. 844 (1997). ↩
- Le paragraphe 2 de l’article 10 dispose: « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». L’expression fut utilisée pour la première fois par la Cour dans l’arrêt Handyside : « Quiconque, y compris un journaliste, exerce sa liberté d’expression assume des « devoirs et responsabilités » dont l’étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé ». CourEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni [P], n°5493/72, série A n°24. ↩
- OETHEIMER, Mario, 2008. « Les devoirs et responsabilités des journalistes : une garantie à l’exercice de la liberté d’expression ? ». Séminaire « La protection européenne de la liberté d’expression : réflexions sur des évolutions restrictives récentes ». Strasbourg. 10 octobre 2008. p. 3. ↩
- Le paragraphe 3 de l’article 19 du PIDCP dispose : « L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales (…) ». ↩
- OETHEIMER, op. cit., p. 2. ↩
- CourEDH, 25 juin 1992, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, n°13778/88, §64, série A n°239. ↩
- CourEDH, 10 décembre 1992, Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège [GC], n°21980/93, §65. ↩
- CourEDH, 24 février 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, n°19983/92. ↩
- CourEDH, 29 juillet 2008, Flux c. Moldova (n°6), n°22824/04, §34. ↩
- CourEDH, 12 décembre 2007, Stoll c. Suisse [GC], n°69698/01,§151. ↩
- OETHEIMER, op. cit., p. .7. ↩
- La Cour semble ici s’écarter de la notion traditionnelle qui voudrait accorder aux représentants démocratiquement élus une liberté de parole plus grande que celle admise pour les autres citoyens (voir par exemple CourEDH, 23 avril 1992, Castells c. Espagne, n°11798/85, §42,série A n°236), pour au contraire leur reconnaître des devoirs et de responsabilités renforcés du fait de leur influence sur la conduite du débat démocratique. Cette position est très bien exprimée dans l’arrêt Poyraz c. Turquie, la Cour estimant que « dans la détermination de ces devoirs et responsabilités, la position privilégiée dont les personnes investies de responsabilités publiques bénéficient dans l’accès au média, du fait de leur position d’autorité, constitue un aspect important. Dans l’exercice de leur liberté d’expression, les personnes investies de responsabilités publiques doivent faire montre de retenue pour ne pas créer une situation de déséquilibre lorsqu’elles se prononcent publiquement au sujet de citoyens ordinaires qui, eux, ont un accès plus limité à ces mêmes média (…) » (CourEDH, 7 décembre 2010, Poyraz c. Turquie, n°15966/06, § 78). Dans l’affaire Willem précitée, relative au maire français qui avait appelé – notamment sur le site Internet de la commune – au boycott de produits d’origine israélienne, la Cour relève que, « en sa qualité de maire, le requérant avait des devoirs et des responsabilités » (§ 37). Pour elle, le maire se devait de conserver une certaine neutralité et disposait d’un devoir de réserve dans ses actes lorsque ceux-ci engagent la collectivité territoriale qu’il représente dans son ensemble. Dans une logique similaire, la Cour estime dans l’affaire Féret qu’il est d’une « importance cruciale que les hommes politiques, dans leurs discours publics, évitent de diffuser des propos susceptibles de nourrir l’intolérance. Elle estime que les politiciens devraient être particulièrement attentifs à la défense de la démocratie et de ses principes, car leur objectif ultime est la prise même du pouvoir » (§75). Cette position suscite des critiques du juge Sajó, qui résume ainsi la position de la Cour dans l’opinion dissidente dont il est l’auteur : « Les hommes politiques sont plus responsables car leur objectif à terme est de prendre le pouvoir ». Or, selon lui, « il n’y a rien de mal à prendre le pouvoir politique dans le cadre d’élections démocratiques : en démocratie, les élections ne constituent pas une source de danger imposant des restrictions particulières au discours. Au contraire, la liberté d’expression est ce qui permet un choix politique intelligent et un comportement responsable ». ↩
- CourEDH, 15 février 2005, Steel et Morris c. Royaume-Uni, n°68416/01. Cette jurisprudence avait déjà été esquissée dans une autre affaire : « Une telle participation d’une association étant essentielle pour une société démocratique, la Cour estime qu’elle est similaire au rôle de la presse tel que défini par sa jurisprudence constante ». Par conséquent, « pour mener sa tâche à bien, une association doit pouvoir divulguer des faits de nature à intéresser le public, à leur donner une appréciation et contribuer ainsi à la transparence des activités des autorités publiques ». CourEDH, 27 mai 2004, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, n°57829/00, §42. ↩
- Steel et Morris c. Roayume-Uni, §90. ↩
- CourEDH, 29 juin 2004, Chauvy et autres c. France, n°64915/01. ↩
- Le socio-anthropologue James Holston qui a travaillé sur les villes brésiliennes, renvoie par ce terme aux multiples formes de mobilisation ou de pratiques quotidiennes qui portent des revendications identitaires, sociales, économiques ou politiques et interpellent la société sur la signification de l’appartenance à l’État moderne et sur le sens de la démocratie. Il s’agit d’une citoyenneté « insurgée », car elle se manifeste par des formes de participation politique qui opèrent à la frontière de la légalité et tendent à subvertir l’ordre établi. HOLSTON, James, 2008. Insurgent Citizenship: Disjunctions of Democracy and Modernity in Brazil. Princeton University Press. Pour une esquisse de la transposition de ce concept à Internet, voir : TRÉGUER, Félix. Internet, espace d’une citoyenneté insurrectionnelle. We The Net [en ligne]. 3 septembre 2012. ↩
- Pour une évaluation des mesures de blocage du point de vue de la Convention européenne des droits de l’Homme, voir : CALLANAN, Cormac, GERCKE, Marco, DE MARCO, Estelle et DRIES-ZIEKENHEINER, Hein, 2009. Internet Blocking: Balancing Cybercrime Responses in Democratic Societies. Aconite Internet Solutions [en ligne]. ↩
- L’hébergement de WikiLeaks en France menacé. Le Monde.fr [en ligne]. 12 mars 2010. ↩
- Ces questions sont d’ailleurs au cœur du procès de Bradley Manning, la « source » à l’origine des publication des câbles diplomatiques américains aux États-Unis. Pour une mise en perspective du débat juridique américain relatif à WikiLeaks, voir : BENKLER, Yochai, 2011. A Free Irresponsible Press: Wikileaks and the Battle over the Soul of the Networked Fourth Estate. Harvard Civil Rights-Civil Liberties Law Review. Vol. 46, n°2, p. 311‑397. ↩
- L’original de l’ordonnance du Tribunal de Grande Instance de Paris du 6 décembre 2010 (résultant de la saisine de la société OVH suite aux pressions du gouvernement français) contient ainsi des phrases dactylographiées et finalement barrés par le juge. Elle qualifient le contenu du site WikiLeaks de « manifestemment illégal ». ↩
- Dans l’affaire Stoll c. Suisse précitée, la CEDH a validé la condamnation du journaliste Martin Stoll qui, en janvier 1997, avait fait paraître deux articles contenant des extraits d’un rapport « confidentiel » de l’ambassadeur Suisse aux États-Unis consacré aux négociations alors en cours entre son pays et le Congrès juif mondial. En matière de relations diplomatiques, la Cour reconnaît aux États une grande marge d’appréciation. ↩
- TGI de Paris, 14 octobre 2011, ordonnance de référé dans l’affaire dite « Copwatch »; TGI de Paris, 10 février 2012, ordonnance de référé dans l’affaire dite « Copwatch 2 ». ↩
- L’affaire Janowski c. Pologne illustre cette jurisprudence. Alors que des gardes municipaux sommaient des vendeurs sur la voie publique de « déguerpir » d’une place publique, le requérant, Józef Janowski, invita ces derniers à rester, faisant valoir que la demande des agents était dénuée de tout fondement et reprochant à ces derniers un abus d’autorité. S’ensuivit un « vif échange de propos » avec les gardes municipaux, auquel assistèrent des témoins. Janowski fut condamné pour injures envers fonctionnaires pour qualifié les policiers de « goujats » et d’ « idiots » (« ćwoki » et « głupki »). D’après les autorités judiciaires polonaises, ces mots sont généralement considérés comme injurieux et, en les utilisant, le requérant avait outrepassé les limites de la liberté d’expression. La Cour valida la condamnation à une amende équivalent à un moins d’allocations chômage. Dans une opinion dissidente, le juge Bonello critiqua l’arrêt de la Cour en ces termes : « Je n’ai aucun mal à accepter un régime juridique offrant une protection particulière à des fonctionnaires qui s’acquittent de leurs devoirs. J’ai en revanche scrupule à approuver la protection de fonctionnaires qui abusent de leur pouvoir ». Il faut toutefois noter la différence avec les propos condamnés dans l’affaire Copwatch, qui ne s’adressaient non pas à des individus mais aux forces de l’ordre dans leur ensemble. CourEDH, 21 janvier 1999, Janowski c. Pologne [GC], n°25716/94, § 63. ↩
- LOVELUCK, Benjamin, 2012. La Liberté par l’information: Généalogie politique du libéralisme informationnel et des formes de l’auto-organisation sur Internet. Thèse de doctorat. EHESS. ↩
- Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe recommande par exemple aux États d’ « adopter une conception des médias, nouvelle et élargie, qui englobe tous ceux qui participent à la production et à la diffusion, à un public potentiellement vaste, de contenus (informations, analyses, commentaires, opinions, éducation, culture, art et divertissements sous forme écrite, sonore, visuelle, audiovisuelle ou toute autre forme) et d’applications destinées à faciliter la communication de masse interactive (…) ». Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur une nouvelle conception des médias, adoptée le 21 septembre 2011. ↩
- Parmi les critères évoqués pour déterminer leur nature de « média » justifiant des « droits et privilèges » particuliers en matière de liberté d’expression, la recommandation relative à la nouvelle conception des médias évoque par exemple « l’adhésion à des normes professionnelles et éthiques caractéristiques des médias », et des aspects organisationnels renvoyant au caractère « professionnels » de ces médias. Idem. ↩
2 commentaires