Le droit de se porter candidat aux élections : observations sur le droit français de la probité à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, Galan c. Italie, n° 63772/16 et Miniscalco c. Italie, n° 55093/13, 17 juin 2021)
Par Camille Aynès, Post-doctorante à l’Université Paris Nanterre (CTAD)/ComUE Paris Lumières
Dans un contexte pré-électoral et de condamnations parfois exemplaires d’(anciens) élus, il est fort probable que la question de l’opportunité d’admettre comme candidats des personnes condamnées pénalement pour des faits qu’une partie de l’opinion considère comme incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif soit de nouveau soulevée. Cette étude entend précisément réexaminer le droit français de la probité, à la lumière notamment de deux décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme le 17 juin 2021 – les premières à se prononcer sur des dispositions qui font découler directement de condamnations pénales la perte des conditions à remplir pour se porter candidat. Nous nous proposons de démontrer qu’une interdiction d’éligibilité de ce type, en droit français, devrait être interprétée comme conforme non seulement à la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi à la Constitution.
Dans un contexte pré-électoral et de condamnations parfois exemplaires d’(anciens) élus, il est fort probable que la question de l’opportunité d’admettre comme candidats des personnes condamnées pénalement pour des faits qu’une partie de l’opinion considère comme incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif soit de nouveau soulevée[1]. Qu’aussi il n’est pas inutile de réexaminer le droit français de la probité[2], à la lumière notamment de deux décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme le 17 juin 2021, les premières à se prononcer sur des dispositions qui font découler directement de condamnations pénales la perte des conditions à remplir pour se porter candidat.
En 2013, la Cour avait déjà été saisie dans une autre affaire d’un recours contre les mêmes dispositions[3]. En l’espèce, Silvio Berlusconi, ancien président du Conseil des ministres de l’Italie, avait été rendu inéligible et déchu de son mandat de sénateur en raison de sa condamnation pour fraude fiscale, en application du décret-loi n° 235/2012 du 31 décembre 2012. Dans le cadre de la lutte contre la corruption et contre l’illégalité dans l’administration, ledit décret législatif a codifié les normes – pour certaines déjà existantes – en matière d’ « interdiction de se porter candidat » aux élections (incandidabilità) et d’interdiction d’exercer des fonctions électives et de Gouvernement (divieto di ricoprire cariche elettive e di Governo) consécutives à des condamnations définitives pour certaines infractions. Selon le type de mandat concerné (régional, parlementaire, de Gouvernement), les dispositions du décret-loi (dit « Severino ») précisent le type de condamnations définitives qui interdisent de se porter candidat[4]. Dans sa requête, M. Berlusconi alléguait que ces dispositions, entrées en vigueur en 2013, après que sa condamnation pour des faits commis en 2004 a acquis de force jugée, ne pouvaient lui être appliquées sans contrevenir au principe de non-rétroactivité des peines garanti par l’article 7 de la Convention. Il arguait également de ce qu’en méconnaissance de l’article 3 du Protocole additionnel n° 1, la déchéance violait son droit à exercer son mandat électif et portait atteinte à l’espérance légitime du corps électoral de le voir accomplir son mandat de sénateur. L’affaire ayant été rayé du rôle en 2018 après que Berlusconi a été réhabilité, la Cour – alors réunie en grande chambre – n’a pas eu l’occasion de se prononcer.
C’est chose faite avec ses deux décisions rendues le 17 juin 2021 dans les affaires Galan c. Italie et Miniscalco c. Italie. En cause, l’interdiction de M. Miniscalco d’être candidat aux élections régionales et la déchéance du mandat de député de M. Galan en raison de leurs condamnations respectives du chef d’abus de pouvoir et de corruption. À la différence du droit français qui a renoncé en 2017[5] à créer une obligation de casier judiciaire vierge de certaines condamnations au motif que pareille disposition aurait le caractère d’une punition et risquerait de contrevenir au principe d’individualisation des peines que consacre l’article 8 de la Déclaration de 1789, la Cour de Strasbourg a jugé dans ces espèces que l’interdiction du droit de se porter candidat et d’exercer un mandat public électif – qu’elle tient pour synonyme du « droit d’éligibilité »[6] – n’est pas une peine, mais la conséquence de la perte d’une condition nécessaire à l’accès et à l’exercice des fonctions considérées, à savoir l’ « aptitude morale ».
On mesure l’intérêt de ces décisions. Par elles, la Cour confirme et précise sa jurisprudence sur les droits électoraux « passifs » (le droit de se présenter à une élection en tant que candidat) (I) dont elle souligne la singularité au regard des droits « actifs » (soit le droit de participer à une élection en tant qu’électeur). Son raisonnement n’eût probablement pas été le même si les requérants avaient perdu leur droit de vote au lieu ou en sus de leur droit d’éligibilité. Quand bien même ces décisions qui reposent sur une notion autonome de peine ne peuvent être transposées en l’état au droit français, elles invitent en second lieu à revisiter le « tropisme » français qui, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 relative à l’incapacité d’exercer une fonction publique élective applicable de plein droit à toute personne physique à l’égard de laquelle a été prononcée la faillite personnelle[7], interprète toutes les mesures privatives des droits civiques et politiques de « sanctions ayant le caractère d’une punition », indépendamment du ou des droits concernés (II). Nous n’entendons pas ici situer à proprement parler le débat sur le terrain de l’opportunité de procéder autrement que ne l’a fait le législateur en créant, à partir de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, une peine complémentaire « obligatoire » d’inéligibilité. On se demandera plutôt s’il eût été possible de retenir une solution différente, en replaçant le questionnement sur le terrain du droit[8]. On se propose en particulier de démontrer que la façon même dont la question est formulée tend à méconnaître l’existence d’une spécificité du droit d’éligibilité au regard du droit de vote, à traiter en d’autres termes des droits dits « politiques »[9] comme d’une catégorie en tout point unifiée.
I – La conventionnalité de l’interdiction d’être candidat en raison de condamnations pénales dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
Au regard de sa jurisprudence antérieure, l’apport des deux décisions du 17 juin 2021 de la Cour européenne des droits de l’homme est double. D’une part, la Cour affirme pour la première fois en ces termes que quand bien même elle serait déclenchée par une condamnation pénale, l’interdiction de se porter candidat ou de continuer à exercer son mandat ne ressort pas de la matière pénale (A). D’autre part, elle accepte d’interpréter la « dignité morale » – déduite de l’absence de condamnations déterminées – comme une condition d’éligibilité, condition qui en l’espèce, ne porte pas une atteinte injustifiée ou disproportionnée aux droits tirés de l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention (B).
A- Une mesure non constitutive d’une peine
Les décisions Galan et Miniscalco s’inscrivent dans la ligne jurisprudentielle de la Cour (1). Les précisions qu’elles apportent n’en sont pas moins dignes d’être relevées (2).
1- Le rappel de la jurisprudence antérieure
La Commission et la Cour européenne des droits de l’homme ont traditionnellement refusé de considérer que les restrictions apportées par les États au droit d’éligibilité en matière électorale, commerciale et constitutionnelle relèvent de la matière pénale au sens de l’article 6 §1 de la Convention. Elles l’ont établi à l’occasion de contentieux dans lesquels l’inéligibilité (et/ou la déchéance du mandat électif) résultait du non-respect des règles relatives aux dépenses électorales (Estrosi c. France et PierreBloch c. France)[10], d’une procédure de mise en liquidation judiciaire (Tapie c. France)[11] ou encore d’une procédure d’impeachment pour manquement à la Constitution ou au serment constitutionnel (Paksas c. Lituanie)[12]. Dans ces affaires, il a été retenu que la sanction de l’inéligibilité n’imposait pas, au regard des critères alternatifs de définition de la notion autonome de « matière pénale » identifiés dans l’arrêt Engel[13], la « pénalisation » du contentieux en cause.
En effet, les textes définissant « l’infraction » et la sanction que les dispositions en cause y attachent ne ressortent pas, en droit interne, du droit pénal, mais du droit électoral, du droit commercial ou du droit de la responsabilité, en application de la Constitution. Il est vrai que dans certaines législations, en droit français notamment, l’inéligibilité est aussi l’une des formes de privation des droits civiques prévues par le droit pénal. Le fait que cette sanction soit également une « peine prévue par le Code pénal frappant des personnes convaincues d’avoir commis diverses infractions graves »[14] ne suffit cependant à prouver que dans les espèces jugées, et dans les affaires Estrosi, Pierre Bloch et Tapie en particulier, l’inéligibilité appliquée aux requérants aurait eu un but répressif qui lui aurait donné une coloration pénale. Du reste, la qualification retenue en droit interne n’est que l’un des critères alternatifs de la notion autonome de peine, qui repose aussi sur la gravité et la nature de la sanction qui doivent être appréciées au regard de sa finalité. Dans ces décisions, les juges strasbourgeois ont noté que l’interdiction d’exercer une fonction publique élective s’apparentait à ce que la doctrine qualifierait de « mesure de sûreté ». Par elle, il s’agit de forcer au respect du plafond des dépenses électorales et d’assurer de la sorte le bon déroulement des élections et l’égalité entre les candidats. En Lituanie, la destitution et l’inéligibilité ont pour objet de protéger la confiance portée à l’institution de la présidence de la République et à l’autorité de l’État dans son ensemble et de préserver, ce faisant, l’ordre démocratique.
2- Son application à l’espèce
Considérant que les notions d’ « accusation en matière pénale » et de « peine » contenues dans les articles 6 et 7 de la Convention se correspondent[15], la Cour européenne des droits de l’homme applique les mêmes critères dans ses décisions du 17 juin 2021[16]. En recourant auxdits critères, sa réponse n’était pas aussi évidente qu’elle n’y paraît. En effet, contrairement aux affaires précédemment examinées, l’inéligibilité dans le décret-loi Severino est imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale, élément qui représente « le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une « peine » »[17]. En outre, les juges ont indiqué dans l’arrêt Pierre-Bloch que si l’inéligibilité attachée au non-respect des règles des comptes de campagne se distinguait de celle qui peut être prononcée sur le fondement de l’article 131-26 c. pén., c’est aussi parce que la seconde, à la différence de la première, tirait sa nature pénale de la peine principale qu’elle complète. En d’autres termes, l’article L.113 c. élect. ne relevait pas de la matière pénale dès lors qu’il n’accompagnait pas une peine. En s’engouffrant dans l’interstice qu’ils ont laissé vacant, les juges auraient pu retenir dans les affaires Galan et Miniscalco qu’a contrario, dès lors que c’est la condamnation à une peine au sens strict qui interdit aux requérants d’être candidat, les dispositions querellées du décret-loi Severino ont une nature pénale. C’est du reste en s’appuyant sur cette argumentation que le Conseil d’État a jugé contre toute attente dans ses arrêts Ousty et Gravier de 2005 que l’article L. 7 c. élect. relevait du champ d’application matériel de l’article 6 §1 de la Convention dans son volet pénal[18]. Le Conseil d’État, aux conclusions conformes d’E. Glaser, a transposé la réserve formulée dans les décisions Estrosi et Pierre-Bloch à l’interdiction automatique d’inscription sur les listes électorales pendant cinq ans applicable de plein droit aux personnes condamnées du chef de manquement au devoir de probité. Il a énoncé que la perte du droit de vote pendant cinq ans (laquelle entraînait une inéligibilité d’une durée de dix ans) tirait sa nature pénale de celle de la peine principale dont elle découle, peu important, alors, qu’elle figure non dans le code pénal, mais dans le code électoral.
En l’espèce, la Cour n’a pas repris ce raisonnement. Plus exactement, elle a souscrit à la position des juridictions italiennes selon lesquelles dans les dispositions litigieuses et celles analogues qui régissaient la matière avant le décret-loi de 2012, l’inéligibilité n’est pas une peine nouvelle, ni même un effet de la condamnation et de l’infraction commise sur le plan pénal[19]. Elle est la « conséquence de la perte d’une condition permettant l’accès aux fonctions en considération et leur exercice »[20]. Autrement dit, « la condamnation pénale est [ici] une simple condition préalable à laquelle se trouve liée une évaluation d’inaptitude morale à exercer certains mandats électifs : la condamnation constitue […] une condition négative aux fins de l’exercice [accès et maintien] des mandats en question »[21]. À la suite de la Cour constitutionnelle italienne, la Cour européenne des droits de l’homme constate que le candidat déchu de ses fonctions ou dont le nom a été rayé de la liste de candidature
n’est pas sanctionné en fonction de la gravité des faits qui lui ont été reprochés et pour lesquels il a été condamné par les juridictions pénales ; il est exclu de la liste parce qu’il a perdu l’aptitude morale, condition essentielle pour pouvoir accéder aux fonctions de représentant des électeurs[22].
L’inéligibilité n’a pas pour but de réprimer les personnes auxquelles elle s’applique, mais de fixer des exigences plus strictes pour l’accès à certaines fonctions. Les dispositions en cause ne visent pas les élus d’hier, mais ceux de demain. On est là dans un système préventif et non pas répressif. La Cour rappelle sur le sujet que ces mesures ont été introduites en droit italien afin de préserver la bonne conduite et la transparence de l’administration et des assemblées élues dans le cadre des politiques anti-corruption et de lutte contre l’infiltration de la criminalité organisée. L’objectif, d’après le gouvernement italien, est « de garantir la crédibilité de l’Administration envers le public, et par conséquent le rapport de confiance des citoyens envers les institutions »[23]. Inscrit « dans [une] action de reconquête de la confiance de l’électorat vis-à-vis des institutions »[24], le fondement de cette condition de « moralité » pour l’accès aux fonctions électives n’est donc pas lui-même moral, mais politique. L’enjeu est de garantir la confiance qui est essentielle à la démocratie représentative. La Cour européenne ajoute qu’à la différence de l’interdiction d’exercer une fonction publique régie par l’article 28 du code pénal italien – sanction expressément qualifiée de pénale par le législateur et qui prive le condamné, entre autres, du droit de vote et d’éligibilité, de tout autre droit politique et de toute fonction publique (ainsi que de la qualité de tuteur ou de curateur, des grades et dignités académiques et de la possibilité de les obtenir, des salaires, pensions et indemnités à charge de l’État ou d’un autre organisme public) –, la déchéance et l’incapacité prévues par le décret de 2012 n’ont de conséquences qu’en termes de capacité électorale « passive ». Par suite, la gravité de la mesure n’est pas suffisante pour lui attribuer un caractère pénal[25]. Le droit politique en cause – la capacité électorale « passive » et non pas la capacité électorale « active » – est déterminant dans le rejet du grief de l’article 7.
B- Une atteinte aux droits électoraux justifiée et proportionnée
La singularité du régime des droits électoraux passifs (1) est également décisive dans le constat de non-violation des dispositions de l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention (2).
1- Le régime singulier des droits électoraux « passifs »
Depuis l’arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt[26], la Cour européenne des droits de l’homme et la Commission s’accordent à reconnaître qu’en dépit de sa formulation particulière qui a pu laisser penser que les États parties au Protocole en auraient été les seuls destinataires, l’article 3 du Protocole n° 1 implique aussi des droits subjectifs, dont le droit de vote, « le droit de se porter candidat à des élections »[27] et celui « de tout élu d’exercer son mandat »[28]. Pour autant, le fait que ces droits individuels soient déduits d’une disposition libellée en des termes collectifs et généraux n’est pas sans conséquence sur leur régime. Leur régime est distinct de celui d’autres droits aussi essentiels dans une société démocratique, tels la liberté d’expression (art. 10) ou la liberté d’association (art. 11). Les normes à appliquer pour établir la conformité à l’article 3 du Protocole n° 1 sont moins strictes que celles qui concernent les articles 8 à 11 de la Convention. Du reste, contrairement à ces dernières dispositions, l’article 3 Prot. n° 1 ne précise ni ne limite les buts qu’une restriction doit viser pour être justifiée. Une grande variété de buts peut se trouver compatibles avec lui. Par suite, la Cour est plus prudente dans son appréciation des restrictions portées aux droits tirés de l’article 3 Prot. n° 1 qu’elle ne l’est relativement à la liberté d’expression ou à la liberté d’association.
Elle l’est plus particulièrement encore lorsqu’elle est appelée à examiner des restrictions au droit de se présenter aux élections législatives, que les États peuvent encadrer par des exigences plus rigoureuses que le droit de vote. La limite irréductible de la marge d’appréciation des États en ce domaine tient à « la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif qui doit être garantie dans tous les cas ». Apparaît alors une tension, dont on peut s’étonner qu’elle ne soit pas relevée dans les arrêts commentés. D’un côté, les juges ont souligné dans l’arrêt Ždanoka[29] que « dans le cadre de l’examen de la proportionnalité […], l’article 3 du Protocole n° 1 n’exclut pas que des restrictions aux droits électoraux soient infligées à un individu qui, par exemple, a commis de graves abus dans l’exercice de fonctions publiques ou dont le comportement a menacé de saper l’État de droit ou les fondements de la démocratie »[30]. D’un autre côté, ils ont établi à l’occasion de l’affaire Paksas c. Lituanie précitée que « la décision de refuser tout mandat législatif futur à un haut responsable qui s’est rendu indigne de ses fonctions appartient avant tout aux électeurs, auxquels il revient de décider à l’occasion des scrutins s’il y a lieu [d’accorder] leur confiance à l’intéressé »[31]. En l’espèce, le requérant, ancien Président de la République lituanienne, faisait l’objet d’une interdiction définitive de se présenter aux élections législatives à raison de sa destitution, intervenue à l’issue d’une procédure d’impeachment. Ce dernier avait commis une grave violation de la Constitution : en échange d’une contribution financière à sa campagne électorale, il avait accordé illégalement la nationalité lituanienne à un individu et l’avait informé de la mise sur écoute de sa ligne téléphonique. La gravité des faits et les responsabilités particulières qui incombent au Président de la République n’ont pas « suffit toutefois pour convaincre la Cour que l’inéligibilité définitive et irréversible […] répond[ait] de manière proportionnée aux nécessités de la défense de l’ordre démocratique. Elle a réaffirmé à cet égard que « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » doit dans tous les cas être préservée »[32]. Tout autant qu’une limitation du droit de se porter candidat ou d’exercer un mandat de la personne condamnée, l’inéligibilité prive les électeurs de leur liberté de choisir leurs représentants.
2- L’absence d’arbitraire de l’interdiction d’éligibilité
Ce moyen qui a été soulevé par le requérant dans l’arrêt Miniscalco[33] n’a pas été examiné en tant que tel. La Cour a conclu à l’absence d’arbitraire en relevant notamment que la mesure litigieuse n’est pas applicable de manière générale et indifférenciée à tous les condamnés. Citant sa célèbre jurisprudence Scoppola c. Italie de 2012[34], la Cour retient qu’il suffit que le législateur ait modulé l’inéligibilité en fonction de la nature de l’infraction commise et/ou de la durée de la peine d’emprisonnement prononcée. Au regard de la décision Scoppola dans laquelle la privation du droit de vote attachée de plein droit par la loi pénale italienne à certaines condamnations a été jugée conforme à l’article 3 Prot. add. n° 1, il eût été délicat que la restriction du droit d’éligibilité prévue par le décret législatif du 31 décembre 2012 ne le soit pas. Certes, le contexte de forte tension dans lequel l’arrêt Scoppola a été rendu n’est plus depuis que le Conseil de l’Europe a retenu que les menues réformes proposées en 2018 par le Royaume-Uni sur le droit de vote des prisonniers constituent une solution acceptable[35]. On rappellera que la décision Scoppola faisait figure de « compromis »[36] après la jurisprudence Hirst[37] qui s’était attirée les foudres du Royaume-Uni. Nonobstant l’évolution des circonstances, la solution retenue en 2012 que la Cour rappelle dans les affaires Galan et Miniscalco demeure inchangée.
Priver de leur droit de se porter candidat aux élections ou déchoir de leur mandat électif les personnes condamnées pour certaines infractions à certaines peines (qu’une peine d’inéligibilité ait ou non été prononcée par le juge pénal) est donc conforme à la Convention. Ce constat vaut en l’espèce tant pour les élections parlementaires que pour les élections régionales qui en Italie, relèvent aussi d’élections « législatives » selon la Cour. Les organes de la Convention ont certes jugé que les organes des autorités locales, tels les conseils municipaux en Belgique, les conseils de comtés métropolitains au Royaume-Uni et les conseils régionaux en France ne font pas partie du « corps législatif » au sens de l’article 3 du Protocole n° 1[38]. Dans le cadre de la structure constitutionnelle italienne toutefois, la Constitution fonde le pouvoir législatif des Régions en leur accordant une grande latitude d’action. Par suite, l’on peut considérer que les conseils régionaux italiens font partie du corps législatif[39].
II- Interdire d’être candidat en raison de condamnations pénales en droit français ? Retour sur les débats et reformulation de leurs enjeux sur le terrain du droit
En ayant cette spécificité italienne à l’esprit, quelle portée donner à ces décisions ? Que peut-on en retenir quant au droit français de la probité en particulier ? S’il peut à première vue sembler délicat de vouloir tirer quelque enseignement de ces arrêts quant à la conventionnalité d’une disposition analogue en France (A), on s’attachera à démontrer qu’ils invitent à tout le moins à réévaluer à nouveaux frais la jurisprudence et les débats français qui présument qu’un tel dispositif serait nécessairement contraire à la Constitution (B). Affirmer que « la perte des droits civiques, quand elle ne résulte pas de la perte des facultés mentales, ne peut être que constitutive d’une peine »[40] – estimer autrement dit qu’hypothèse des « incapables » mise à part, toute privation des droits civiques a nécessairement le caractère d’une punition –, c’est ne pas tenir compte de la singularité du droit d’éligibilité qu’admet pourtant non seulement le droit européen, mais également le droit public français.
A- Sur le terrain de la conventionnalité : la portée des décisions Galan et Miniscalco
Dans son évaluation du grief tiré de la violation de l’article 3 dans les affaires Galan et Miniscalco, la Cour prend le soin de souligner « le contexte national »[41] spécifique des dispositions analysées. On sait que toute législation électorale doit être appréciée à la lumière de l’évolution politique du pays concerné. Cela implique que des caractéristiques inacceptables dans le cadre d’un système puissent se justifier dans le contexte d’un autre[42] – pour autant du moins que le système adopté réponde à des conditions assurant la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. En tenant compte entre autres du contexte, la Cour a déclaré que si l’interdiction de se porter candidat aux élections parlementaires des personnes ayant collaboré avec le parti communiste en Lettonie était conforme aux dispositions de l’article 3[43], l’inéligibilité du président de la République destitué en Lituanie ne l’était pas[44]. Dans le premier cas, l’inéligibilité a été adoptée par le législateur eu égard au fait que le parti communiste a participé à l’organisation de tentatives de coup d’État contre le régime démocratique naissant. Accepter au Parlement des personnes dont les idées pouvaient conduire à la restauration d’un régime totalitaire aurait représenté une menace grave pour le nouvel ordre démocratique. Sans nier le fait que la Lituanie soit aussi une jeune démocratie, la Cour a constaté que l’enjeu de l’inéligibilité du Président de la République destitué pour la préservation de l’ordre démocratique n’était pas comparable. En outre, tenir compte du contexte historico-politique implique que l’inéligibilité puisse être réévaluée en fonction de l’évolution du pays. Dans la mesure où elle était définitive, irréversible et qui plus est, gravée dans le marbre de la Constitution, la disposition lituanienne ne répondait pas de manière proportionnée aux nécessités de la défense de l’ordre démocratique.
Dans les affaires Galan et Miniscalco, la Cour relève que les dispositions litigieuses visent à remédier à la situation grave d’illégalité dans l’administration publique. Elles s’inscrivent dans un plan national de lutte contre la corruption dont l’introduction était devenue une exigence compte tenu, d’une part, des conclusions de l’évaluation effectuée par le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) et, d’autre part, du constat selon lequel la plupart des États européens possédaient déjà un tel plan : « dans ce contexte national, l’application immédiate de l’interdiction de se porter candidat aux élections est cohérente avec le but affiché par le législateur, c’est-à-dire écarter des procédures électorales les personnes condamnées pour des délits graves et protéger ainsi l’intégrité du processus démocratique »[45]. En raison du contexte particulier d’infiltration de la mafia dans la vie politique italienne, il n’est pas assuré que l’on puisse généraliser la solution adoptée par la Cour dans ses décisions du 17 juin 2021. On peut en particulier faire l’hypothèse que la conformité à la Convention d’une inéligibilité qui n’est pas limitée dans le temps pour les élections régionales soit liée audit contexte. En l’espèce, la Cour s’est limitée à relever que les requérants ont la faculté d’introduire devant le tribunal de l’application des peines compétent une demande de réhabilitation – l’intéressé lui-même ayant pu se porter candidat à des nouvelles élections régionales en 2017 après avoir obtenu sa réhabilitation.
C’est donc toute proportion gardée que l’on peut conclure de ces décisions à la conventionnalité d’une éventuelle interdiction de se porter candidat liée au casier judiciaire en droit français. On relèvera en outre qu’à la différence des propositions faites en France, dans les dispositions examinées, 1) c’est la condamnation qui importe, indépendamment de sa mention au bulletin B2 du casier judiciaire ; 2) les condamnations interdisant de se porter candidat ne sont pas fonction seulement de l’infraction commise (du type d’atteinte – au devoir de probité, à l’administration, etc. – et/ ou de la peine encourue – une peine maximale de réclusion qui ne peut être inférieure à 4 ans par exemple) mais aussi de la peine prononcée. On peut supposer que si elle était introduite en droit français, l’inéligibilité devrait aussi tenir compte de la peine prononcée, qui est un indice de sa gravité. En l’absence d’un contexte d’infiltration mafieuse semblable à celui de l’Italie, l’interdiction devrait enfin être de durée limitée.
B- Sur le terrain de la constitutionnalité : la réévaluation du « tropisme » français
En elles-mêmes, les décisions Galan et Miniscalco ne permettent pas davantage d’affirmer qu’une interdiction de ce type ne serait pas interprétée, en droit français, comme une « punition » et qu’elle ne serait pas contraire, ce faisant, au principe d’individualisation des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration de 1789. Pour le dire autrement, la nature non pénale de l’interdiction au sens de la Convention (et sa non-soumission, par suite, au principe de non-rétroactivité de la loi pénale) ne présume pas de sa nature non punitive au regard de la Constitution (et de sa non-soumission, partant, au principe d’individualisation des peines). Pour rendre efficace les protections offertes par les articles 6 §1 et 7, c’est en effet de façon « autonome », selon des critères qui lui sont propres, que la Cour apprécie si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » (1). De surcroît, d’aucuns soutiennent que quand bien même on n’interprèterait pas l’inéligibilité comme une sanction punitive mais comme une condition, elle serait contraire au texte et à la jurisprudence constitutionnelle relative à l’article 3 de la Constitution de 1958 (2). Ce sont ces deux affirmations que l’on entend réévaluer.
1- L’applicabilité des dispositions de l’article 8 de la Déclaration de 1789 en question
La jurisprudence française illustre avec éclat l’autonomie de la notion de « peine » telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme (a). Plusieurs arguments laissent toutefois à penser qu’en droit français aussi, l’interdiction du droit d’être candidat devrait s’interpréter comme une mesure non répressive (b).
a- « Matière pénale » au sens de la Convention et « sanction ayant le caractère d’une punition » au regard de la Constitution
En appliquant les critères que la Cour européenne a identifiés, les juridictions françaises et le Conseil constitutionnel ont toujours jugé que l’inéligibilité consécutive à la méconnaissance des règles de financement des campagnes électorales[46] ou à la mise en liquidation judiciaire[47] n’était pas constitutive d’une peine au sens des dispositions de la Convention. S’appuyant sur les décisions rendues par la Commission et la Cour européenne, l’avocat général Jacques-Henri Stahl avance dans ses conclusions sous l’affaire Tapie que « par nature, une inéligibilité touche à l’exercice de droits politiques qui nous paraissent hors des prévisions de l’article 6 §1 »[48]. Et d’ajouter que « cette inéligibilité n’est pas une sanction en elle-même, mais la conséquence accessoire que la loi a attachée à une procédure civile depuis près de deux siècles et dans un but éminent d’intérêt public »[49], celui d’écarter de la gestion des affaires de la cité ceux qui ont été déclarés par le juge commercial incapables de gérer leurs affaires privées.
La jurisprudence française a en revanche conclu à la nature de « sanction ayant le caractère d’une punition » desdites dispositions au regard de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi de la décision du Conseil constitutionnel n° 99-410 du 15 mars 1999 précitée sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie[50], qui applique le principe de nécessité des peines à l’incapacité d’exercer une fonction publique élective résultant de plein droit du prononcé de la faillite personnelle. Il a été déclaré qu’en vertu de ce principe, pareille incapacité « ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce ». Cette position a été confirmée par la fameuse décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010[51] qui censure l’article L. 7 du code électoral issu de la loi n° 9565 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique. À l’instar de la Cour de cassation et du Conseil d’État[52], le Conseil constitutionnel a consacré la nature pénale de cette disposition. Il en a fait de même en 2012 à propos de l’interdiction définitive de l’inscription sur les listes électorales applicable de plein droit aux notaires destitués[53]. Par ces décisions, les Sages de la rue Montpensier ont complété le travail entrepris dans le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994. Ce travail a consisté, pour le législateur, à supprimer les peines accessoires en général, et celles qui portent sur les droits civiques et politiques en particulier. En disposant qu’ « aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée », l’article 13217 c. pén. met fin au système des peines aveugles et occultes attachées de plein droit à la loi, sans que le juge ait à les prononcer. L’art. 13221 al. 1 c. pén précise plus particulièrement que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ». Le Conseil constitutionnel a parachevé l’ouvrage du législateur en censurant les interdictions électorales automatiques qui subsistaient dans le code de commerce, dans le code électoral et dans l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.
À la lumière de cette jurisprudence[54], les propositions visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats aux élections locales et nationales qui ont été portées par l’Assemblée nationale en 2016 et en 2017[55] n’ont pas été adoptées. On a fait valoir qu’ « en interdisant automatiquement, sans qu’une juridiction ne se prononce, à ceux qui ne disposent pas d’un casier judiciaire vierge – le fameux B2 – de se présenter aux élections, on porte[rait] atteinte au principe de nécessité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe d’individualisation des peines qui en découle »[56]. Pour pallier la très grande réticence des magistrats à prononcer des sanctions d’inéligibilité[57] sans sacrifier au principe de nécessité et d’individualisation des peines, le législateur a instauré en 2016 un mécanisme rendant cette peine non pas automatique, mais davantage systématique[58].
b- Arguments en faveur d’une interprétation non punitive de l’inéligibilité en droit français
Confrontés à la divergence systématique de qualification de l’inéligibilité en droit européen et en droit français, on a pu s’étonner, d’un côté, de ce que la CEDH soit moins protectrice que le droit interne. En forgeant la « notion autonome » de peine, en allant « au-delà des apparences », la Cour vise d’ordinaire à accorder les garanties de la matière pénale à des dispositions qui n’en sont pas en droit interne, plutôt que l’inverse. Commentant l’arrêt Pierre-Bloch[59], d’aucuns l’ont expliqué par le souci de la Cour de ne pas devenir juge du « noyau dur de la souveraineté » des États ou de « ne pas introduire une asymétrie dans la garantie des droits politiques : étroitement limitée sur le plan matériel dans le cadre de l’article 3 du protocole n° 1, celle-ci pourrait, en cas d’ouverture de l’article 6 au contentieux des élections parlementaires, profiter sur le terrain processuel, d’une protection substantielle »[60]. On peut inversement s’interroger selon nous sur ce que dans l’ensemble des affaires dans lesquelles il ait eu à connaître de mesures de privation des droits civiques et politiques relevant du droit commercial, du droit disciplinaire et du droit électoral, le Conseil constitutionnel ait jugé de façon systématique et parfois lapidaire que lesdites sanctions avaient toutes un « caractère de punition ». Dans ses conclusions portant sur la nature de l’article L. 7 c. élect., le commissaire du gouvernement E. Glaser a souligné à cet égard que « ces inéligibilités sont bifaces »[61], ajoutant « que, pour sa part, il continue à voir d’abord l’objectif d’intérêt général plutôt que la peine individuelle »[62]. La lecture des travaux préparatoires relatifs à certaines des dispositions querellées et l’examen de leur histoire invitent à s’interroger sur leur qualification de « punition » qui n’allait pas de soi et qui prend l’allure, au regard du droit comparé, d’un « tropisme » français[63].
Enfin, quand bien même l’on suivrait le raisonnement du Conseil constitutionnel, la qualification d’une disposition interdisant aux personnes ayant fait l’objet de certaines condamnations de se porter candidat devrait être différente : si l’article L. 7 du code électoral s’est vu appliquer la jurisprudence sur les peines car, selon le commentaire de la décision de 2010, cet article « n’était pas une simple mesure de sûreté destinée à « moraliser » le monde politique [mais] avait été conçue comme une punition et son but était répressif »[64], on en déduit a contrario que l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge, qui relèverait des « incapacités » dont la finalité première et explicite est de moraliser l’accès à la fonction d’élu, n’en serait pas une[65]. Par suite, elle ne relèverait pas du champ d’application ratione materiae de l’article 8 de la Déclaration de 1789 et ne pourrait être censurée en raison de son automaticité. L’article 5-3o de la loi du 13 juillet 1983 portant statut des fonctionnaires qui prive du droit d’accès aux fonctions publiques les personnes dont les mentions portées au bulletin n° 2 de leur casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions n’a jamais été interprété comme une punition. De la même manière, la perte du droit d’éligibilité et du droit d’exercer un mandat électif consécutive à certaines condamnations pénales déterminées par la loi devrait s’interpréter comme une mesure qui n’est pas répressive mais qui vise à préserver la confiance des citoyens, au fondement de la démocratie représentative.
Sur le sujet, l’étude de la motivation des peines d’inéligibilité dans la jurisprudence de la Cour de cassation témoigne bien de ce que le critère déterminant est celui du « discrédit [jeté par les faits condamnés sur] les agents publics et particulièrement les élus »[66] et l’atteinte portée à la confiance des citoyens qui en résulte. Dans une affaire impliquant un fonctionnaire territorial condamné pour détournement de fonds publics, il est ainsi relevé qu’ « au-delà de l’atteinte aux intérêts financiers de la collectivité, [les faits] jettent le discrédit sur le fonctionnement de la collectivité locale et obèrent la confiance que les citoyens doivent pouvoir placer, de façon générale, dans les institutions démocratiques »[67]. À un maire condamné pour propos diffamatoires à l’égard des Roms de la commune, qui arguait que « sanctionner les propos d’un élu par une peine d’inéligibilité susceptible d’avoir un effet dissuasif sur tous les débats d’idées concernant des sujets de société p[ouvait] restreindre de manière importante le libre débat sur des questions d’intérêt général sans lequel il n’est pas de société démocratique »[68], les juges ont répondu que « compte tenu de la personnalité du prévenu et de la gravité des faits qui lui [étaient] reprochés », qui ont « insufflé la haine »[69], l’inéligibilité était motivée.
À la lumière de ces éléments, il y a des raisons de penser que conditionner, dans le code électoral, l’accès aux mandats à un casier judiciaire vierge (ou à l’absence de certaines condamnations), et ce pour une durée limitée, i) ne serait pas constitutif d’une punition et ii) ne serait par conséquent pas contraire, quelle que soit l’automaticité de l’interdiction, à l’article 8 de la Déclaration de 1789.
2- La conformité aux dispositions constitutionnelles garantissant le droit d’éligibilité en question
À supposer qu’une interdiction de ce type ne soit pas interprétée comme une sanction ayant le caractère d’une punition mais comme une condition d’aptitude et d’accès aux fonctions électives, cette condition serait-elle conforme aux dispositions de la Constitution qui consacrent le droit d’éligibilité ? C’est ce que l’on établira (b), en mettant en évidence les limites du raisonnement qui soutient la thèse adverse (a).
a- Les fondements du refus d’instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour l’accès aux mandats électifs
On notera que le droit italien examiné par la Cour européenne des droits de l’homme ne contient pas de dispositions spécifiques dans sa Constitution qui lieraient l’éligibilité à une condition d’aptitude morale. La Cour constitutionnelle italienne tire le fondement de ladite condition des dispositions qui confient au législateur le soin d’organiser les services publics de manière à assurer le bon fonctionnement et l’impartialité de l’administration et de celles qui imposent aux citoyens auxquels des « fonctions publiques » sont confiées « le devoir de les remplir avec discipline et honneur ». En droit français, c’est l’article 6 de la Déclaration de 1789 – qui admet que pour l’admissibilité à « toutes dignités, places et emplois publics », une distinction puisse être opérée sur la base des « vertus » – qui est invoqué pour justifier l’obligation de casier judiciaire vierge de condamnations incompatibles avec un mandat électif. Ce mécanisme est déjà exigé des aspirants à la fonction publique. Or, l’article 6 protégerait de façon identique l’accès à un mandat électif et à la fonction publique[70]. Par suite, cette nouvelle condition d’éligibilité serait conforme à la Constitution.
Loin de faire l’unanimité, cette analogie entre fonction publique d’un côté et mandat électif de l’autre côté divise, pour plusieurs raisons. Il est tout d’abord soutenu dans les débats parlementaires qu’à la différence de l’accès à la fonction publique, qui s’apprécie au regard de l’article 6 de la Déclaration et de la « vertu », le droit d’éligibilité se fonderait exclusivement sur l’article 3 de la Constitution. Or, en la matière, le Conseil constitutionnel a en 1982 dégagé de manière limitative quatre motifs pouvant conditionner l’éligibilité, à savoir l’âge, l’incapacité, la nationalité et la préservation de la liberté de l’électeur ou de l’indépendance de l’élu[71]. Le critère fondé sur la moralité n’en fait pas partie. Il n’appartient pas au législateur d’ajouter un cinquième motif à la liste. En second lieu, il est avancé que l’on ne peut comparer fonction publique et mandat électif – ou plus exactement interdiction professionnelle et inéligibilité – compte tenu de l’hétérogénéité des droits en cause. Qu’est-ce à dire ? Commentant sa décision relative à l’article L. 7 c. élect., le Conseil constitutionnel a indiqué que « l’exercice d’un mandat électif ne peut être assimilé à une interdiction professionnelle » [72], pour la raison qu’« il y a un droit fondamental à voter »[73], non à exercer telle ou telle profession ou fonction (publique). Les droits politiques ont pour particularité d’être des droits fondamentaux. Dans le raisonnement du Conseil constitutionnel, ils ne peuvent par conséquent être soumis à une condition de moralité : « si le législateur est fondé à définir les conditions de moralité d’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions publiques […], de telles conditions de moralité pour l’inscription sur la liste électorale, c’est-à-dire l’exercice de la citoyenneté, [poserait] un problème constitutionnel »[74]. Au demeurant, c’est aussi parce que les droits politiques sont des droits fondamentaux de premier rang que le Conseil constitutionnel considère que toutes les mesures qui les restreignent doivent être encadrées par les garanties les plus protectrices qui soient, à savoir celles du droit pénal[75]. C’est ce qui explique que le Conseil constitutionnel ait qualifié toutes les mesures privatives des droits politiques qui lui ont été soumises de sanctions ayant un caractère de punition. En d’autres termes, la préférence du Conseil pour la qualification de punition s’explique par le régime traditionnellement plus strict qui s’y attache. Le régime répressif, plus protecteur que le régime « commun », dicte ici la nature de la mesure. Le commentaire aux Cahiers de la décision du 11 juin 2010 systématise ce raisonnement en indiquant que « la perte des droits civiques, quand elle ne résulte pas de la perte des facultés mentales, ne peut être que constitutive d’une peine »[76]. Au terme de ce raisonnement, une interdiction semblable à celle qu’a examinée la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Galan et Miniscalco devrait nécessairement s’analyser en une « sanction ayant le caractère d’une punition » relevant, ce faisant, du champ d’application de l’article 8 de la Déclaration de 1789. Elle le devrait à raison de la nature du droit en cause – un droit politique –, et ce quand bien même la finalité de l’interdiction serait moins répressive (châtier le délinquant) que préventive (garantir la probité des gouvernants et des élus).
b- Leurs limites
Ce raisonnement qui traite des « droits civiques et politiques » comme d’une catégorie unifiée a pour limite d’assimiler le droit de vote et le droit d’éligibilité. Le droit public, historiquement, a toujours distingué la nature et le régime de ces deux droits. La doctrine considère au XIXe siècle que l’éligibilité est « une aptitude d’ordre administratif, aptitude à la fonction ou au mandat que l’élection a pour but de conférer »[77].
Toutes les dispositions qui se rapportent à l’éligibilité, à l’inéligibilité, […] intéressent assurément la personnalité de l’électeur ou de l’élu, néanmoins elles ne sont pas considérées comme se rattachant à des droits personnels dans le sens juridique du mot, comme celles relatives à l’électorat. Ici, en effet, la loi procède d’un autre principe et a pour but de protéger d’autres intérêts. L’intérêt individuel disparaît, en quelque sorte, pour faire place à l’intérêt général et l’on se trouve dans le domaine plus élevé de l’élection elle-même et du régime des corps élus[78].
L’une des conséquences est qu’à la différence du droit de vote, ce n’est pas au juge judiciaire qu’a été attribué le pouvoir de statuer sur toutes les questions qui se rattachent à l’éligibilité. Comme celles-ci tiennent à « l’exercice du pouvoir politique et à l’administration générale du pays »[79], c’est à la Chambre vérifiant les pouvoirs – à laquelle s’est substitué en 1958 le Conseil constitutionnel – et à la juridiction administrative que ce pouvoir a été conféré. Au-delà de ses conséquences sur leur régime contentieux, la différence de nature entre le droit de vote et le droit d’éligibilité est aussi ce qui justifie que les conditions puissent être plus restrictives pour le second que pour le premier. Si le droit de se porter candidat est souvent une dépendance du droit de suffrage – la première de toutes les conditions pour être éligible étant d’avoir la capacité électorale –, tout électeur n’est pas par là même éligible. Depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 par exemple, tous les majeurs protégés peuvent voter, indépendamment du degré d’altération de leurs facultés cognitives. Ils restent néanmoins privés des droits politiques et civiques que sont l’éligibilité[80] et le droit d’être juré[81]. L’éligibilité demeure soumise à une condition d’aptitude plus élevée. Cette aptitude est explicitement intellectuelle ou mentale, dans le cas des « incapables ». Elle est aussi implicitement « morale » : en multipliant les peines d’inéligibilité, en allongeant leur durée, en élargissant le nombre d’infractions auxquelles elles s’appliquent, en les rendant obligatoires, le législateur établit indirectement une condition de ce type. Le régime des droits du citoyen n’est donc pas unifié. Quand bien même le droit d’éligibilité est considéré aujourd’hui comme un droit fondamental, quand bien même il s’est « subjectivisé » sous l’influence du droit des droits de l’homme, il reste un droit subjectif particulier. La volonté même de « moraliser » la vie politique en recourant à une notion – la probité – directement issue du monde des professions[82] et consacrée dans l’ordre étatique par le droit de la fonction publique témoigne du reste de ce que l’exercice d’un mandat public électif n’est pas radicalement étranger à l’idée d’exercice d’une fonction.
De ce constat fondé sur le droit positif, on peut tirer deux enseignements. D’une part, en reprenant le raisonnement du Conseil constitutionnel selon lequel la qualification des incapacités dépend (aussi) du type de droits concernés et du degré de protection que leur restriction appelle, la privation du droit d’éligibilité ne devrait pas nécessairement s’analyser, contrairement au droit de vote, comme une sanction ayant le caractère d’une punition. D’autre part, il y a des raisons de penser que le droit de se porter candidat aux élections ne se fonde pas uniquement sur l’article 3 de la Constitution. Il peut également s’apprécier au regard de l’article 6 de la Déclaration de 1789. Enfin, sur le terrain même de l’article 3, le droit admet que l’éligibilité puisse être restreinte pour d’autres causes que celles qui sont explicitement énumérées et qui tiennent à l’âge, à l’incapacité, à la nationalité ou à la préservation de la liberté de l’électeur ou de l’indépendance de l’élu. C’est notamment le cas de ceux qui ne justifient pas avoir satisfait aux obligations imposées par le code du service national (art. L. 45 c. élect.). En conséquence, il n’est pas certain que l’obligation d’un casier judiciaire vierge de certaines condamnations soit contraire à la Constitution. Pour Ferdinand Mélin-Soucramanien, le caractère « extrêmement libéral » du droit électoral français en matière de définition des conditions d’éligibilité des personnes résulte moins de la lettre de la Constitution que de la jurisprudence (récente) du Conseil constitutionnel[83].
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À travers l’analyse des décisions Galan et Miniscalco de la Cour européenne des droits de l’homme et un bref aperçu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, cette contribution a cherché à mettre en évidence ce que l’on s’est proposé de qualifier de « tropisme » français. Le contentieux constitutionnel français de la privation des droits civiques et politiques se caractérise par une double singularité. Singularité des griefs formulés tout d’abord : contrairement à ce que l’on observe dans les décisions des Cours suprêmes d’un certain nombre d’États et dans la jurisprudence de la Cour européenne, la conformité à la Constitution ou à la Convention européenne des sanctions en question n’a jamais été contestée au motif qu’elles porteraient une atteinte injustifiée ou disproportionnée aux droits politiques des intéressés[84]. Là où en droit comparé, « la privation des droits politiques, comme sa défense, se fonde sur des considérations liées davantage à la démocratie qu’à la justice pénale »[85], les requérants français ont déplacé la question du terrain de la citoyenneté et de la démocratie à celui de la pénalité[86]. La singularité du droit français tient aussi, on l’a dit, à l’interprétation systématique de ces incapacités, y compris de l’inéligibilité, en des termes répressifs.
Cette « absorption » du droit constitutionnel par le droit pénal s’explique par plusieurs raisons. Du côté des requérants, l’entrée en vigueur du nouveau code pénal au 1er mars 1994 a assurément joué un rôle non négligeable. L’interdiction des peines accessoires, dans le nouveau code pénal, éclaire le fait que les justiciables aient été enclins à faire valoir que les incapacités dont ils étaient frappés de plein droit étaient inconventionnelles ou inconstitutionnelles en raison de leur automaticité – plutôt qu’en raison de leur objet, c’est-à-dire des droits que ces incapacités limitaient[87]. L’interprétation du Conseil constitutionnel paraît quant à elle en très grande partie déterminée par le caractère fondamental du droit de vote et l’alignement du régime du droit d’éligibilité sur celui de ce dernier.
Si l’on ne peut certes transposer le raisonnement de la Cour européenne sur le sujet au contrôle de constitutionnalité, les arrêts Galan et Miniscalco présentent l’intérêt de rappeler la différence qui existe entre lesdits droits, en droit européen mais aussi en droit français.
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[1] Sur l’exigence d’exemplarité politique, la doctrine est divisée. Pour sa défense, v. É. Buge, « Exemplarité et démocratie. Réflexions à partir du cas des institutions athéniennes », RFDC, 2021/2, n° 126, p. 3-29 ; sur ses potentielles dérives, v. J.-F. Kerléo, « Controverses sur l’exigence d’exemplarité politique », Constitutions, 2018, p. 383.
[2] Sur l’existence d’un « droit de la probité » compris comme ensemble cohérent et systémique de mesures visant spécifiquement les élus de la République, c’est-à-dire les personnes tenues par un mandat électif public obtenu par l’élection, pour lutter contre les conflits d’intérêts et la corruption dans l’espoir de renouer le lien de confiance entre représentants et représentés, v. parmi les travaux récents : B. Guillemont, Recherches sur le droit de la probité des élus de la République, th. dactyl., Université de Toulouse 1, 2021.
[3] CEDH, gde ch., Berlusconi c. Italie, 30 août 2018, req. n° 58428/13.
[4] Ces condamnations sont fonction à la fois de l’infraction commise et de la peine prononcée. Aux termes de l’article 1 du décret-loi n° 235/2012, sont inéligibles par exemple aux élections parlementaires les personnes condamnées à une peine de plus de deux ans de réclusion : pour association de malfaiteurs (a) ; pour avoir commis, en tant qu’agent public, une infraction contre l’administration publique (b) ; pour avoir commis une infraction intentionnelle pour laquelle la peine d’emprisonnement maximale prévue est d’au moins quatre ans (c).
[5] Voir infra.
[6] Dans son arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique du 2 mars 1987 (req. n° 9267/81) déjà, la Cour emploie successivement les termes de « “droit de vote” et [d]e “droit de se porter candidat lors de l’élection du corps législatif” », puis de « droits de vote et d’éligibilité » et enfin ceux de « droit de vote et [de] droit de se présenter au suffrage » (voir respectivement §51, 52 et 54). Le droit de se porter candidat à une élection implique que l’individu ait aussi « le droit de siéger en qualité de membre une fois son élection acquise » (M. c. Royaume-Uni, décision de la Commission, 1984). Pour une défense de la singularité du « droit de se porter candidat » au regard du « droit d’éligibilité », v. S. Josso, « Le droit à candidater aux élections législatives : un droit malmené », RFDC, 2013/2, n° 94, p. 371-395. En ce qui concerne plus précisément le droit italien ici examiné, la Cour constitutionnelle italienne a affirmé à plusieurs reprises que « l’interdiction de se porter candidat doit être considérée comme une cause très particulière d’inéligibilité » (v. Déc. n° 407 du 29 oct. 1992 et n° 141 du 6 mai 1996).
[7] Cons. const., déc. n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 51.
[8] Dans le même sens, v. R. Rambaud, « Confiance dans la vie politique : la révolution attendra… », AJDA, 2017, p. 2237.
[9] Le Conseil constitutionnel, comme le législateur dans le code pénal, emploie l’expression de droits « civiques » lorsqu’il se réfère aux mesures de privation des droits de vote et d’éligibilité. La cour européenne des droits de l’homme parle à leur propos de « droits politiques ». Dans cette contribution, on utilisera de façon indifférenciée les deux expressions.
[10] Comm. EDH, 30 juin 1995, Estrosi c. France, req. n° 24359/94, D.R. 82, p. 56 ; Comm. EDH, rapport du 1er juill. 1996, Pierre-Bloch c. France, req. n° 24194/94 ; CEDH, 21 oct. 1997, PierreBloch c. France, Rec. 1997-VI, p. 2236-2237. Sur l’inapplicabilité de l’art. 6 §1 de la Convention au contentieux électoral, v. not. Y. Lécuyer, Les droits politiques dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Paris, Dalloz, 2009, p. 87 s.
[11] Comm. EDH, 13 janv. 1997, Tapie c. France, req. n° 32258/96.
[12] CEDH, gde ch., 6 janv. 2011, Paksas c. Lituanie, req. n° 34932/04.
[13] CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, req. n° 5100/71, Série A, n° 22, p. 35, §82.
[14] CEDH, 21 oct. 1997, PierreBloch c. France, cit., §45.
[15] V. Galan, §71 ; Miniscalco, §51. Voir aussi, mutatis mutandis, Paksas, précité, §68 et CEDH, gde ch., Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande, 22 déc. 2020, req. n° 68273/14 et 68271/14, §112.
[16] La Cour ne cite pas l’arrêt Engel mais celui Del Río Prada c. Espagne [gde ch.], 21 oct. 2013, req. n° 42750/09.
[17] Del Río Prada, §82 ; Welch c. Royaume-Uni, 9 févr. 1995, req. n° 17440/90, §28.
[18] CE, 1er juill. 2005, M. Ousty, n° 261002 ; 1er juill. 2005, M. Gravier, n° 276521, 276524, RFDA, 2006, p. 258, concl. E. Glaser.
[19] Cour const. it., déc. n° 236 du 20 oct. 2015.
[20] Ibid. (nous insistons).
[21] Ibid.
[22] Galan, §89 ; Miniscalco, §67 (nous insistons).
[23] Miniscalco, §82.
[24] Galan, §121.
[25] Galan, §96 ; Miniscalco, §72.
[26] CEDH, 2 mars 1987, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, req. n° 9267/81.
[27] Ibid., §51.
[28] V. not. CEDH, Sadak et autres c. Turquie (n° 2), 11 juin 2002, req. n° 25144/94 et 8 autres, §33 ; Sitaropoulos et Giakoumopoulc. Grèce [gde ch.], 15 mars 2012, req. n° 42202/07, §63.
[29] CEDH, gde ch., Ždanoka c. Lettonie, 16 mars 2006, req. n° 58278/00.
[30] Ibid., §110.
[31] CEDH, Paksas c. Lituanie, préc., §104.
[32] Ibid., §105.
[33] Miniscalco, §81.
[34] CEDH, gde ch., Scoppola c. Italie [n° 3], 22 mai 2012, req. n° 126/05.
[35] Ces modifications ont une portée bien plus limitée que celles qui étaient prévues dans les propositions de réforme initiales. Le Royaume-Uni n’a pas amendé sa législation mais s’est limité à des réformes administratives. Le principal changement adopté en 2018 ne concerne finalement que les détenus purgeant leur peine dans le cadre d’un « Home detention curfew » (équivalent d’une mesure de semi-liberté pour les détenus condamnés à moins de 4 ans de prison) et ceux qui bénéficient d’une libération sous licence temporaire (ROTL), c’est-à-dire qui sont libérés temporairement dans la communauté à des fins spécifiques telles l’exercice d’un emploi, le maintien des liens familiaux ou la réception d’un traitement médical. Ces deux catégories de détenus disposent à nouveau de leur droit de voter. Le Conseil de l’Europe a accueilli favorablement ces modifications. En septembre 2018, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a classé les affaires pendantes sur cette question. Pour une partie de la doctrine, ces modifications de nature purement administratives qui laissent le Representation of the People Act 1983 inchangé demeurent insuffisantes et ne répondent que très partiellement aux décisions de la Cour.
[36] Sur la « stratégie du roseau » de la Cour qui plie sous la tempête pour éviter de se rompre, v. N. Hervieu, « Le droit de vote des détenus : histoire sans fin pour un contentieux décisif (CEDH, Gr. ch., Scoppola [n° 3] c. Italie, 22 mai 2012) », RTDH, 2013, vol. 94, p. 437.
[37] CEDH, gde ch., 6 oct. 2005, Hirst c. Royaume-Uni (n° 2), req. n° 74025/01.
[38] Pour la France, v. Comm. EDH, Malarde c. France, 5 sept. 2000, req. n° 46813/99.
[39] Miniscalco, §78.
[40] Commentaire aux Cahiers, déc. n° 2011-114 QPC du 1er avril 2011, M. Didier P.
[41] Galan, §116 ; Miniscalco, §99.
[42] Voir, notamment, les affaires Mathieu-Mohin et Clerfayt et Podkolzina c. Lettonie, req. n° 46726/99.
[43] CEDH, gde ch., Ždanoka c. Lettonie, préc.
[44] CEDH, Paksas c. Lituanie, préc.,
[45] Galan, §116 ; Miniscalco, §99 (nous soulignons).
[46] V. CE, 20 oct. 1993, Sorgniard, Élections cantonales de Jargeau, n° 144799, Lebon, p. 789 ; 7 juill. 1993, Mme Roustan, Élections cantonales de Nice 12, n° 142798, Lebon, p. 801 ; v. aussi Cons. const., déc. n° 88-1113 AN du 8 nov. 1988, Seine-Saint-Denis (6è circ.), Rec. p. 196.
[47] Sur la conformité des articles 194 et 195 de la loi du 25 janvier 1985 avec l’article 6 §1 de la Convention dans son volet pénal, v. Cass., com., 9 juill. 1996, Tapie c. SDBO, n° 95-13424, Bull. civ. IV, n° 207, p. 178 ; D. 1996, p. 465, concl. R. De Gouttes. Dans la même affaire, v. aussi CE, 8 janv. 1997, Tapie, n° 183363, Lebon, p. 9 ; D. 1997, p. 259, concl. J.-H. Stahl.
[48] Concl. J.-H. Stahl, préc.
[49] Ibid.
[50] Cons. const., déc. n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 51.
[51] Cons. const., déc. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, Rec. p. 111.
[52] V. Cass., 2e civ., 20 déc. 2000, Nicoletti c. Piollet, n° 00-60149, Bull. civ. II, n° 174, p. 125 ; CE, 25 oct. 2002, M. Vii, n° 239885, Lebon, p. 354 et 12 janv. 2005, Élections régionales de Guadeloupe, n° 266252, Lebon, p. 89.
[53] Cons. const., déc. n° 2011-211 QPC du 27 janv. 2012, M. Éric M., Rec. p. 87.
[54] La jurisprudence constitutionnelle sur la nature de l’inéligibilité qui résulte du non-respect des règles de financement des campagnes électorales est plus ambiguë. Sans se prononcer expressément sur la nature de la mesure, le Conseil constitutionnel a jugé « qu’en tout état de cause, cette disposition ne méconnaît pas les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines » (Cons. const., déc. n° 2011-117 QPC du 8 avril 2011, M. Jean-Paul H., Rec. p. 186). Pour le Conseil d’État, ladite disposition institue bien une peine au sens du droit interne (CE, 10 juin 1996, Élections cantonales de Toulon (3e canton), n° 162481-162679, RFDA, 1996, p. 697, concl. S. Fratacci).
[55] Voir l’art. 19 II de la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016 (« Sapin II »), issu d’un amendement introduit et adopté en séance publique par l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement et de la commission des lois. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel car prévue par une loi ordinaire et non par une loi organique (déc. n° 2016-741 DC du 8 déc. 2016) ; v. égal. les deux propositions de lois organique (n° 4291) et ordinaire (n° 4289) visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats aux élections nationales (présidentielle et parlementaire) et locales, adoptées à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 1er févr. 2017 ; v. enfin la tentative avortée de rétablir par amendement, lors de la discussion parlementaire relative à la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, cette obligation.
[56] Déb. parl., Ass. Nat., 1re séance du lundi 24 juill. 2017.
[57] Les magistrats sont souvent réticents à prononcer ce type de sanctions, estimant que la décision d’écarter un responsable public de la vie politique appartient aux seuls électeurs. Sur le sujet, v. not. J.-L. Nadal, Renouer la confiance publique. Rapport au Président de la République sur l’exemplarité des responsables publics, La Documentation française, 2015.
[58] La loi « Sapin II » a inscrit à l’art. 131-26-2 c. pén. une « peine complémentaire obligatoire » d’inéligibilité pour des délits limitativement énumérés. Ces peines dites obligatoires se distinguent des peines accessoires en ce qu’elles doivent nécessairement être prononcées par le juge qui peut en outre faire varier leur durée (dans une limite de 10 ans). Il est à noter cependant que la « juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue par le présent article, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». Le mécanisme des peines complémentaires obligatoires a été déclaré conforme à la Constitution (Cons. const., 29 sept. 2010, déc. QPC n° 2010-40, M. Thierry B. et n° 2010-41, Société Cdiscount et autre, Rec. p. 255 et p. 257). La loi du 15 septembre 2017 a élargi le champ d’application de la peine obligatoire d’inéligibilité qui ne sanctionne plus seulement les manquements au devoir de probité, la fraude (fiscale et électorale) mais aussi les discriminations, les agressions sexuelles, etc.
[59] CEDH, 21 oct. 1997, PierreBloch c. France, préc., RFDA 1998. 999, note P. Jan ; AJDA 1998. 65, note L. BurgorgueLarsen ; Cah. Cons. const. 1998-4, p. 123, note J.F. Flauss.
[60] J.-F. Flauss, « L’applicabilité de la Convention européenne des droits de l’homme au contentieux des élections parlementaires », Cah. Cons. const., 1998, préc.
[61] E. Glaser, concl. sous CE, Sect., 1er juill. 2005, Ousty et Gravier, RFDA, 2006, p. 258.
[62] Ibid. Le commissaire précise que c’est par cohérence avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’État qu’il a invité la Haute juridiction à qualifier l’art. L. 7 c. élect. de sanction ayant une nature pénale.
[63] Sur le sujet, que l’on nous permette de renvoyer à notre thèse La privation des droits civiques et politiques. L’apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté, th. dactyl., Institut Universitaire Européen de Florence, 2020 (Dalloz, à paraître en avril 2022) et à « La privation des droits politiques en France et aux États-Unis. L’apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté », in O. Beaud et F. Saint-Bonnet (dir.), La citoyenneté comme appartenance au corps politique, Paris, Éd. Panthéon-Assas, 2021, p. 219-242.
[64] Comm. aux Cahiers sur Cons. const., déc. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, préc.
[65] Dans le même sens, v. R. Rambaud, « Confiance dans la vie politique : la révolution attendra… », AJDA, 2017, p. 2237.
[66] Cass., crim., 31 janv. 2018, n° 17-81876, Bull. crim., n° 29.
[67] Cass., crim., 17 avril 2019, n° 18-84.055, non publié au bull. (nous soulignons).
[68] Cass., crim., 1er févr. 2017, n° 15-84511, Bull. crim., n° 30.
[69] Ibid.
[70] Cf. Rapport n° 4404 et 4408 fait au nom de la Commission des Lois par Mme Fanny Dombre Coste visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge, déposé à l’Assemblée nationale le 25 janv. 2017, p. 10.
[71] « La qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu » : v. Cons. const., déc. n° 82146 DC du 18 nov. 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, Rec. p. 66.
[72] Commentaire aux Cahiers, déc. n° 2011-114 QPC du 1er avril 2011, M. Didier P. L’étude d’impact sur le projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique du 14 juin 2017 rappelle cet argument : « selon le Conseil constitutionnel, l’interdiction d’exercer un mandat électif ne peut pas être considérée comme une interdiction professionnelle car l’exercice d’un mandat électif n’est pas assimilable à l’exercice d’une profession » (p. 11).
[73] Commentaire aux Cahiers, déc. n° 2011-114 QPC, préc.
[74] Ibid.
[75] A contrario, c’est parce qu’il n’y a pas un droit fondamental à être juge consulaire par exemple que le législateur peut restreindre l’accès à ces fonctions sans que les exigences constitutionnelles en matière répressive soient applicables.
[76] Ibid.
[77] É. Laferrière, Traité de la justice administrative et des recours contentieux, 2e éd., Paris, Berger-Levrault et Cie, 1896, t. 2, p. 332.
[78] V° « Élections », in L. Béquet, Répertoire du Droit administratif, Paris, Dupont, 1885, t. 15, p. 471.
[79] A. Chante-Grellet, Traité des élections, Paris, Paul Dupont éd., 1898, p. 262.
[80] C. élect., art. L. 200 et L. 230.
[81] C. proc. pen., art. 256, al. 8.
[82] V. J.-M. Brigant, Contribution à l’étude de la probité, Aix-en-Provence, PUAM, 2012.
[83] A.N., Rapports n° 4404 et 4408 sur les propositions de loi n° 4291 et n° 4289 visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats aux élections nationales et locales, déposés par Mme F. Dombre Coste, 25 janv. 2017, p. 10 (citant le Professeur Mélin-Soucramanien, déontologue de l’Assemblée nationale).
[84] S’ils existent, les griefs tirés de l’atteinte que le droit français porterait au droit de vote et d’éligibilité que les requérants tiennent de l’art. 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention et de la Constitution sont fort rares.
[85] M. Plaxton, H. Lardy, « Prisoner Disenfranchisement: Four Judicial Approaches », Berkeley Journal of International Law, 2010, vol. 28, n° 1, p. 103, note 9 (nous insistons).
[86] L’inéligibilité consécutive à la faillite en constitue l’exemple le plus éclatant. Alors que dans une série d’affaires italiennes, les requérants ont tous argué de ce que la privation des droits électoraux qu’emportait la faillite en Italie constituait une atteinte disproportionnée à l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention – moyen accueilli par la Cour européenne –, c’est sur l’article 6 §1 – que la Cour européenne a pourtant toujours déclaré inapplicable au contentieux des droits politiques – que s’est fondé sans succès M. Tapie. Sur les affaires italiennes, v. parmi d’autres les arrêts de 2006 Bova (req. n° 25513/02) ; Pantuso (n° 21120/02) ; Vertucci (n° 29871/02) ; Chiumiento (n° 3649/02) ; Albanese (n° 77924/01) ; Vitiello (n° 77962/01).
[87] Ce d’autant que cette interdiction a acquis une valeur constitutionnelle avec la décision n° 93-325 du 13 août 1993 qui applique pour la première fois l’article 8 de la Déclaration de 1789 pour censurer une sanction automatique.
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