Les « jurisprudences établies » de la Cour européenne des droits de l’homme
Qu’est-ce qu’une « jurisprudence établie » au sens de la Cour européenne des droits de l’homme ? L’expression diffère-t-elle de celle de « jurisprudence constante » ? Comment comprendre l’apparition récente du vocable « jurisprudence consolidée » ? C’est à ces questions que l’étude systématique de plus de 2500 décisions rendues par la Cour permet notamment de répondre. Si, de prime abord, la variété des expressions laisse présager le développement d’une pluralité de significations, c’est en réalité une unité conceptuelle que l’on peut esquisser entre les « jurisprudences établies » : celle de jurisprudences stabilisées temporellement et/ou hiérarchiquement. Plus encore, le Palais des droits de l’homme a assigné à l’ensemble des « jurisprudences établies » une unité fonctionnelle : qu’elles soient désignées comme « établie », « bien établie », « constante », « consolidée », elles servent un même discours de la Cour ainsi que de mêmes finalités dans le procès qui se tient devant elle.
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Pierre Bruegel l’Ancien, La Tour de Babel, 1563, Peinture sur bois, 114×155 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum.
Aussi la nomma-t-on Babel, car c’est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre (Genèse 11.9)
Comme les hommes après que Dieu a confondu leur langage, la Cour européenne des droits de l’homme utilise parfois des mots différents pour désigner un même objet. Il en va ainsi de ce que l’on pourrait regrouper sous le nom générique de « jurisprudences établies ». Ce terme, mis au pluriel, ne figure pas dans les décisions de la Cour. Il s’agit là d’une construction doctrinale ayant pour point de départ l’étude d’une pluralité de vocables qui sont eux employés à Strasbourg. Derrière la variété, quand la Cour fait référence à une « jurisprudence établie », à une « jurisprudence bien établie » », à une « jurisprudence constante » ou encore à une « jurisprudence consolidée », se cache une même idée. Ce paradoxe entre l’apparence – la diversité – et la réalité – l’unité – justifie le recours à une expression particulière permettant de mettre en lumière le lien qui existe entre ces diverses déclinaisons : les « jurisprudences établies ».
L’affirmation de l’existence d’un tel lien est, évidemment, contre-intuitive. De prime abord, la multiplicité des vocables se présentait comme un premier argument en faveur d’une diversité des significations. Qui plus est, l’existence, quoique marginale, d’association de qualificatifs comme dans l’expression « jurisprudence établie et constante » 1 semblait venir à l’appui d’une telle hypothèse. Pourtant, une étude menée sur un corpus total de plus de 2500 décisions permet de soutenir la proposition inverse.Pour parvenir à étayer le propos, il a fallu définir une méthode qui se caractérise, avant toute chose, par l’étude systémique de ce que l’on pourrait désigner sous le nom de « jurisprudence massive » 2. En repérant des « mots-clés » récurrents dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, nous avons pu relever diverses occurrences dans un panel significatif de décisions. Ainsi, apparaissent une ou plusieurs fois l’expression « jurisprudence établie » dans 324 décisions ; « jurisprudence établie et constante » dans 2 décisions, sans que son alter ego la « jurisprudence constante et établie » ne soit jamais mentionnée ; « jurisprudence bien établie » dans 655 décisions et « jurisprudence consolidée » dans 33 décisions. L’expression la plus fréquemment maniée au Palais des droits de l’homme demeure néanmoins « jurisprudence constante », employée dans 2009 décisions, dont 232 rendues en Grande chambre. Ce tour d’horizon permet également de noter que, très souvent, dans la même décision, la Cour – ou ses juges dans les opinions séparées – peuvent employer plusieurs de ces expressions.La dispersion des termes a conduit à s’interroger sur leurs définitions usuelles. L’étude statistique se double ainsi d’une approche lexicale. Le qualificatif « établi » est peut-être le plus difficile à appréhender, dans la mesure où il n’est pas répertorié dans l’ensemble des dictionnaires 3. Le Dictionnaire Le Littré en donne surtout des synonymes tels que « fixé et assis », « institué », « reçu, admis » 4. Quant au Larousse, il propose « être stable, solide » ou « être solidement ancré quelque part ; être en place, être admis, reconnu et respecté comme tel » 5. La signification de l’adjectif « constant » se présente de manière plus sédimentée. Construit au XIIIème siècle à partir du latin constans, –antis, « ferme, inébranlable », « constant » est le participe présent de constare, « s’arrêter, se tenir ferme ». Il est souvent défini par rapport au substantif « constance », qui renvoie à la « persévérance » ou la « stabilité » 6, à la « fermeté », à la « permanence » voire à la « fidélité » 7 ainsi qu’à la « patience » 8. C’est que ce qui est « constant » a tout à voir avec la durée, et particulièrement la longue durée, en renvoyant à « ce qui ne varie pas » 9, ce qui « dure ou se reproduit » 10. Ainsi, dans une acception simple, être « constant » est proche d’être « bien établi » 11, quand dans une acception enrichie, il paraît signifier être « bien établi » dans le temps. La pluralité des vocables, et leur proximité lexicale, conduit alors à s’interroger sur la généalogie de chacun des termes employés. Par exemple, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme fait référence à la « jurisprudence bien établie » pour la première fois, cela se fait sous l’influence juge Rudolf Bernhart 12. Or ce dernier a fait sa thèse d’habilitation sur l’interprétation des traités internationaux (1963) 13, dont les règles contiennent la référence à la « jurisprudence bien établie » 14). La présence du juge Bernhart a certainement joué dans son intégration à la jurisprudence européenne. Cela semble confirmé par le fait qu’il est le premier à employer l’expression dans l’opinion dissidente qu’il émet sur l’arrêt Öztürk contre Allemagne 15. On peut donc émettre l’hypothèse que, pour comprendre cette expression, il est nécessaire de prendre en compte son origine en droit international, ainsi que sa modélisation par le juge Rudolf Bernhart, sans pour autant considérer que l’expression en droit européen en soit un simple décalque. Cette précaution vaut d’autant plus que l’étude des « jurisprudences établies » ne peut s’opérer sans s’intéresser à la question du multilinguisme 16 des arrêts : il est essentiel de faire des allers-retours entre le français et l’anglais, langues officielles de la Cour, pour prendre la mesure de la richesse de chaque expression. Si certaines d’entre elles se traduisent toujours de la même manière du français vers l’anglais et inversement, comme « jurisprudence bien établie » qui donne invariablement « well established case-law », d’autres, à l’instar de « jurisprudence constante », sont traduites très diversement. Les variations dans les traductions obligent ainsi à aller plus loin qu’une opposition entre les termes. « Constant » peut être tout aussi bien évoqué par la forme adjectivale « constant » que « established » ou « well-established » ou par des constructions grammaticales plus complexes où la Cour favorisera tantôt l’idée de complétude – « all the decisions » – tantôt l’idée d’homogénéité – « uniform on this point ».En croisant les différentes approches méthodologiques, il est apparu que nous ne pouvions nous satisfaire de l’idée que la pluralité des vocables traduisait une pluralité de significations. C’est tout l’inverse que donne à voir la Cour européenne des droits de l’homme. La véritable richesse de sa jurisprudence en la matière réside dans la capacité à créer une unité conceptuelle (I) et une unité fonctionnelle (II) des « jurisprudences établies ».
I- L’unité conceptuelle des « jurisprudences établies »
L’idée de « concept » dans la science et dans la théorie du droit a fait l’objet de débats et de critiques, portées notamment par les différentes écoles du réalisme juridique 17. S’y référer, en parlant d’« unité conceptuelle » pour traiter des « jurisprudences établies » de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait s’inscrire dans cette controverse. Levons immédiatement l’équivoque : le « concept » est entendu ici comme renvoyant à un outil de communication « systématisant des règles » et dont l’utilité réside en ce qu’il permet « de clarifier et ordonner un ensemble complexe de règles juridiques » 18. À cet égard, les « jurisprudences établies » se présentent comme un concept rendant possible la systématisation de règles qui, prises isolément, masquent une unité (A), laquelle a besoin d’être construite grâce à une entreprise de clarification et d’ordonnancement d’un ensemble complexe (B)
A- Une unité masquée
Qu’on lise les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en français (1) comme en anglais (2) l’unité conceptuelle des « jurisprudences établies » n’apparaît pas de manière évidente : elle est masquée.
1- Une unité masquée dans la version française des arrêts
Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sont riches d’expressions sémiologiquement distinctes, mais sémantiquement proches. Parmi les différentes expressions, on trouve : « jurisprudence bien établie » ; « jurisprudence bien établie et constante » ; « jurisprudence consolidée » ; « jurisprudence constante » ; « jurisprudence constante et limpide » ; « jurisprudence de longue date » ; « jurisprudence de principe » ; « jurisprudence établie » ; « jurisprudence établie en la matière » ; « jurisprudence établie et constante » ; « jurisprudence établie et publiée » ; « jurisprudence prévisible » ; « nouvelle jurisprudence établie » ; « jurisprudence établie depuis longtemps ».
À s’en tenir à cette énumération, le premier élément remarquable réside dans les diverses déclinaisons de la « jurisprudence établie ». Cela peut être expliqué par le caractère chronologiquement premier de l’expression, que l’on trouve dès 1971 dans les affaires dites du « vagabondage » mentionnée dans l’opinion séparée des juges Balladore Pallieri et Verdross 19. Sa proche cousine, la « jurisprudence bien établie », est quant à elle la première à figurer dans la motivation de la Cour 20. Leur prédominance s’explique certainement par la formation en droit international des juges Giorgio Balladore Pallieri 21, Alfred Verdross 22 et Rudolf Bernhart 23 – et donc à la connaissance qu’ils avaient des standards d’interprétation de la Cour international de justice 24) -, ainsi qu’à la position éminente de deux d’entre eux au sein du Palais des droits de l’Homme. Exclusivement utilisées jusqu’en 1995, « jurisprudence établie » et « jurisprudence bien établie » sont concurrencées à partir de cette date par l’apparition de l’expression « jurisprudence constante » 25. La référence à la « jurisprudence constante » se fait alors progressivement de plus en plus fréquente, jusqu’à atteindre une récurrence maximale dans les arrêts de la Cour de Strasbourg. Il ne faudrait pas croire cependant que, de 1971 à aujourd’hui, les expressions aient succédé les unes aux autres, avec quelques périodes de chevauchement marquant une transition entre elles. Les « jurisprudences établies » ne se substituent pas les unes aux autres : elles coexistent dans leurs diverses variations. Ce constat ne s’est pas démenti au fil des années ; il vaut encore aujourd’hui. On peut d’ailleurs observer que cette coexistence est double. Il s’agit d’abord, effectivement, d’une concomitance, c’est-à-dire une coexistence temporelle. Mais c’est aussi une correspondance, autrement dit, une coexistence spatiale. En effet, la Cour peut utiliser dans un même arrêt plusieurs des variations qui ont été mises en évidence.
À l’occasion de l’affaire Gasus Dosier, la Cour emploie, à quelques paragraphes d’intervalles et lors de l’examen de la violation du même article de la Convention, l’article 1P1, les expressions « jurisprudence bien établie » 26 et « jurisprudence établie » 27. Cohabitent, à la même période, quoique dans la motivation de la Cour et dans celle de l’opinion dissidente du juge Gölcüklü, les termes « jurisprudence bien établie » 28 et « jurisprudence constante » 29. Elles sont, depuis, parfois elles aussi utilisées ensemble par la Cour lorsqu’elle se penche sur la violation d’un même article de la Convention 30, de même que par certains juges dans un même paragraphe de leur opinion séparée 31.Le constat de la concomitance et de la correspondance des diverses « jurisprudences établies » peut être prolongé pour l’ensemble des expressions qui ont été relevées. Indéniablement, une telle variété apparaît de prime abord incompatible avec l’idée d’une unité conceptuelle. L’une des pistes envisagées pour lever cet obstacle a été de se servir du multilinguisme qui caractérise les arrêts de la Cour, en s’appuyant sur l’autre version linguistique officielle, l’anglais.
2- Une unité masquée dans la version anglaise des arrêts
Une fois que la variété des expressions a été caractérisée en français, trois hypothèses pouvaient être faites quant à la saisie, par l’anglais, des « jurisprudences établies ». Première hypothèse, celle de la transcription : à chaque expression française correspondrait une même expression anglaise. Deuxième hypothèse, celle de la réduction : à l’ensemble des expressions françaises correspondrait une seule et unique expression anglaise. La variété laisserait alors place à la singularité. Troisième hypothèse, celle de la translation : une expression en français correspondrait à diverses expressions en anglais, et inversement. C’est là l’hypothèse d’une traduction au sens propre.
Un rapide tour d’horizon permet de constater que c’est cette dernière hypothèse qui se vérifie, quoique dans une variante légèrement atténuée. Certes, une expression en français peut correspondre à diverses expressions en anglais, mais certaines manifestations des « jurisprudences établies » sont tout de même majoritairement ou essentiellement traduites d’une seule manière. Les deux cas de figure les plus symptomatiques de cette oscillation impliquent les expressions « jurisprudence établie » ou « jurisprudence bien établie », d’une part et l’expression « jurisprudence constante », d’autre part.
Ainsi, « jurisprudence établie » se traduit systématiquement par « established case-law », « jurisprudence bien établie » donnant quant à elle « well-established case-law ». À l’inverse, « jurisprudence constante » connaît un certain polymorphisme en anglais. Si elle est majoritairement traduite par « established case-law » 32, « well-established case-law » 33 ou encore « settled case-law » 34, surtout lorsqu’il s’agit d’arrêts de Grande chambre, elle peut aussi être rendue par les expressions « constant case-law » 35 ou « consistent case-law » 36. Le radical « consistent » peut d’ailleurs donner lieu à d’autres formules, comme dans la proposition « The Court has consistently held » 37. Si, dans une approche littérale, celle-ci peut se traduire par « La Cour a constamment jugé », elle est aussi l’une des manières de dire « Selon la jurisprudence constante de la Cour », au même titre que les propositions « According to the Court’s established case-law » ou « In accordance to the Court’s established case-law ». On peut également trouver des phrases telles que « As the Court has repeatedly ruled », qui met l’emphase sur la répétition d’une jurisprudence, « long-established case-law » 38, avec l’idée de longue durée, ou bien « apparent in all the Commission’s decisions » 39, rendant plutôt l’idée de complétude d’un corpus jurisprudentiel, voire « are uniform on this point » 40, dont la signification tend plus à souligner l’homogénéité de solutions, et qui sont néanmoins toutes traduites en français par « jurisprudence constante ».Le passage à l’anglais nous permet de tirer plusieurs enseignements quant au concept de « jurisprudences établies ». D’abord, l’anglais connaît des nuances sémantiques similaires au français. Les expressions « (well) established case-law » et « settled case-law » sont surreprésentées : elles concernent respectivement 1815 décisions et 725 décisions, soit l’essentiel du corpus à elles seules. Cela se retrouve également en langue française avec la domination quantitative de « jurisprudence constante » et de « jurisprudence (bien) établie ». En revanche, certaines expressions répertoriées en français ne connaissent pas de véritable équivalent en anglais. Il en va ainsi de « jurisprudence consolidée », mentionnée dans 32 décisions dans leur version française. Ce manque s’explique, avant tout, par le fait que les décisions concernées sont rarement traduites en anglais : à peine 4 sur 33. Et, lorsque la traduction existe, elle présente un fort polymorphisme, avec quatre expressions différentes : « established case-law » 41, « well-established case-law » 42, « settled case-law » 43 ainsi que « consolidated case-law » 44 qui constitue en soi une occurrence tout à fait exceptionnelle dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Au final, l’expérience de la traduction nous permet de montrer, grâce à la présence d’un phénomène que l’on pourrait qualifier de « translation atténuée » des expressions des « jurisprudences établies », que les distinctions entre les divers syntagmes présents dans la version linguistique française doivent a minima être relativisées. Nous irons plus loin, en défendant l’idée que les diverses manifestations des « jurisprudences établies » participent à la construction d’un même concept.
B- Une unité construite
L’utilisation de nombreuses expressions par la Cour européenne des droits de l’homme pourrait être un obstacle à la reconnaissance d’une unité conceptuelle des « jurisprudences établies ». Pourtant, la manière qu’a la Cour de Strasbourg d’utiliser les expressions témoigne de ce qu’elle a su créer pragmatiquement les conditions de construction de cette unité (1) dont on peut rendre compte doctrinalement (2).
1- Une unité construite pragmatiquement
Au Palais des droits de l’homme, les « jurisprudences établies » ne connaissent pas d’unité formelle, mais bien une unité de sens dont on peut supposer qu’elle provient en partie de la constitution de la Cour de Strasbourg. La composition de la Cour, où l’on trouve des juges venant de chacun des États membres du Conseil de l’Europe, rend nécessaire que ces derniers puissent discuter et délibérer entre eux, ce qui implique de partager un langage commun. Concrètement, cette communauté de langage a pu être mise en place par la règle de la dualité de langues officielles 45, le français et l’anglais. Ainsi, les délibérations font l’objet d’une traduction simultanée du français vers l’anglais ou de l’anglais vers le français 46 et les décisions 47 et arrêts 48 sont rendus soit en français, soit en anglais, soit dans ces deux langues 49.Comme le souligne James Brannan, cela signifie que « les juristes de la Cour […] rédigent donc dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle » 50, à moins d’être francophones ou anglophones. D’où une conséquence importante : « l’existence d’un « garde-fou » : le contrôle linguistique (language checking) par un locuteur natif […] assuré à la fois par des traducteurs et par une équipe de correcteurs linguistiques » 51. Ce service n’est pas obligatoire, quoique très fréquemment utilisé pour les décisions et arrêts les plus importants, et n’a été mis en place qu’à partir de 2007. Dans la pratique, cela signifie que « la correction linguistique donne lieu à un échange entre le linguiste et le juriste » 52. Au vu de ces divers éléments, tout choix linguistique se présente alors comme un « compromis » 53. Cela signifie par conséquent que si l’on peut se fier aux mots, il ne faut pas considérer ces derniers dans un sens figé, avec toutes les gradations que l’on pourrait leur accorder soit en français, soit en anglais, mais plutôt rechercher là où se situe la jonction en termes de compréhension, a minima entre le français et l’anglais 54.Partant de ce que les choix terminologiques sont des compromis linguistiques, on peut alors envisager de manière souple les différentes épithètes que sont « constante », « établie », ainsi que leurs combinaisons, soit entre elles (établie et constante), soit avec un adverbe (bien établie), ce qui permet d’envisager leur rapprochement. Celui-ci est d’ailleurs facilité par les usages en langue anglaise, dont nous avons vu qu’ils témoignaient, eux aussi, du caractère labile de la traduction. Au fond, l’emploi des différents adjectifs ne serait qu’un phénomène symptomatique de la capacité de la Cour européenne des droits de l’homme à manier le « compromis linguistique », il ne serait qu’un « outil de communication » 55 au service d’un « régime linguistique » propre à la Cour.L’idée de « compromis linguistique », qui sert indéniablement celle de l’unité conceptuelle des « jurisprudences établies », laisse une question en suspens, liée à la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme : les traducteurs à la Cour se sont-ils déjà penchés sur le cas des « jurisprudences établies » pour chercher à les harmoniser ou éventuellement pour rejeter cette option ? Pour le dire autrement, a-t-il déjà été envisagé de créer un « précédent linguistique » 56 concernant les « jurisprudences établies » ? Pouvoir y répondre aiderait certainement à comprendre de quelle manière s’est construit le concept de « jurisprudences établies » ; ne pas avoir accès aux éléments de réponse n’empêche toutefois pas d’effectuer un autre pas en avant pour dévoiler la consistance de celui-ci.Ainsi, rien, dans la pratique de la Cour, n’empêche de penser la construction des « jurisprudences établies » comme concept unitaire. Au contraire, l’ensemble des éléments récoltés permet de mettre en évidence les ressorts qui l’ont rendu possible. Il nous revient alors de le construire – ou plutôt de le reconstruire – d’un point de vue doctrinal.
2- Une unité construite doctrinalement
Pour tenter de construire l’unité conceptuelle des « jurisprudences établies », partons des définitions que l’on peut trouver dans la doctrine interne et externe à la Cour européenne des droits de l’homme, avant de proposer grâce aux autres indices précédemment collectés, une définition de son contenu.
Au sein de la Cour, le premier texte à tenter de définir une jurisprudence bien établie est le rapport explicatif au Protocole n° 14 à la Convention européenne des droits de l’homme. À suivre l’explication donnée, la jurisprudence bien établie de la Cour « est la plupart du temps une jurisprudence constante d’une Chambre » 57. En pratique, il y a donc une large correspondance entre jurisprudence bien établie et jurisprudence constante, ou encore entre well-established case-law et case-law which has been consistently applied by a Chamber 58. Le rapport précise qu’il « est néanmoins possible, par exception, qu’un seul arrêt de principe de la Cour constitue une « jurisprudence bien établie », particulièrement s’il s’agit d’un arrêt de la Grande Chambre » 59. Lorsque la constance ne peut être caractérisée, il faut donc être face à une jurisprudence de principe pour considérer la présence d’une jurisprudence bien établie. On comprend alors mieux la formule « jurisprudence établie et constante », qui désigne une jurisprudence de principe qui a été appliquée de manière constante par la Cour 60. Une autre définition, cette fois par la négative, a été récemment proposée par le juge Pinto de Albuquerque dans son opinion séparée à l’arrêt G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, où il cherche à faire la part entre « jurisprudence bien établie » et « jurisprudence consolidée » 61. Le juge portugais commence d’abord en soulignant « l’apparente similitude » entre l’une et l’autre, sans pour autant désigner ce qui les rapproche. On peut penser que la similitude va, en quelque sorte, de soi si l’on s’en tient au sens comment des adjectifs « établi » et « consolidé ». Par la suite, il met en exergue le jeu d’opposition entre jurisprudence bien établie/well-established case-law et jurisprudence consolidée/consolidated case-law. La position du juge Pinto de Alburquerque peut alors être résumée ainsi : sur le plan des notions, jurisprudence bien établie et jurisprudence consolidée sont assimilables tandis que sur le plan des fonctions, elles doivent être distinguées. Il n’est d’ailleurs pas innocent que, très rapidement dans son argumentaire, le juge Pinto de Alburquerque abandonne l’expression qu’emploie parfois la Cour de jurisprudence consolidée, pour celui de droit consolidé/consolitaded law qu’il préfère d’ailleurs manier en italien – diritto consolidato – afin de le réinscrire dans son contexte d’origine, celui de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne. Ainsi, l’opinion séparée nous informe plus sur la fonction discursive des « jurisprudences établies » que sur le concept lui-même. Nous y reviendrons. Avant cela, faisons un tour à l’extérieur de la Cour, où la doctrine n’hésite pas à parler de « notions synonymes » 62 lorsqu’il est question de « jurisprudence constante » et de « jurisprudence bien établie ». La différence n’est d’ailleurs pas toujours faite entre l’une et l’autre, souvent visées ensemble, en ajoutant, généralement, l’expression « jurisprudence établie ». Chemin faisant, cela amène parfois les auteurs à attribuer à ces dernières des qualités qui ne sont pas forcément vérifiées 63), peut-être à force d’une trop grande focalisation sur un seul item. Dès lors, et bien que ces approches soient basées sur des éléments fondés, elles achoppent pour rendre compte de ce que sont les « jurisprudences établies ». Cela s’explique peut-être parce que la doctrine a préféré, jusqu’à présent, prendre les « jurisprudences établies » comme un donné de la Cour, sans véritablement s’interroger sur son caractère construit. En outre, lorsque les auteurs ont cherché à analyser les différentes expressions, ils se sont souvent attardés sur l’une d’entre elles pour généraliser aux autres. Il est alors arrivé que l’on prête à une expression des caractères qui ne lui convenaient pas toujours, influençant le contenu qui lui était attribué. Or, en considérant les « jurisprudences établies » comme un concept au sens d’« outil de communication » 64 de la Cour européenne des droits de l’homme, dont les propriétés résident dans sa capacité de systématisation, de clarification et d’ordonnancement des règles juridiques, il est possible d’en proposer un contenu global spécifique.Selon nous, les « jurisprudences établies » s’entendent comme des jurisprudences stabilisées par la Cour hiérarchiquement et/ou temporellement. Plusieurs remarques doivent être faites : le terme « stabilisé » a été préféré à celui de « stable », dont on pourrait penser qu’il était voisin de ceux d’« établi », « bien établi », « constant », « consolidé », etc. « Stabiliser » signifie en effet « rendre stable, améliorer la stabilité de » 65, et permet de mettre en évidence un processus plutôt qu’un état. Cela présente plusieurs avantages : permettre tout d’abord d’envisager une gradation dans la stabilisation, plutôt que de considérer un état figé ; rendre possible la prise en compte d’une dynamique où la Cour, en disant ce qui est établi, construit elle-même la stabilisation des jurisprudences ; donner à voir les moyens pour y parvenir, plutôt que le seul résultat. À cet égard, nous avons fait le choix de préciser « hiérarchiquement et/ou temporellement » afin de souligner la pluralité de forces à l’œuvre dans ce processus. Ainsi, une chambre peut décider de désigner une jurisprudence comme étant « bien établie », sans que la Grande chambre l’ait fait auparavant comme dans l’affaire Fredin c. Suède (n°1) 66. Autrement dit, les « jurisprudences bien établies » ne sont pas toujours actées par la Grande chambre : un simple critère temporel, de simple antériorité ou de récurrence, manié par une chambre peut suffire, quoiqu’il puisse tout aussi bien être complété par un critère hiérarchique 67. Enfin, une définition fondée sur l’idée de « stabilisation » permet de s’interroger sur la raison d’être d’un tel processus.
C’est pourquoi il est maintenant temps de questionner la fonction des « jurisprudences établies » de la Cour européenne des droits de l’homme en tant que processus de stabilisation.
II- L’unité fonctionnelle des « jurisprudences établies »
La fonction désigne le rôle, la destination ou encore l’activité joués par un élément dans un ensemble ou le rôle exercé au sein d’une activité 68. Elle permet, étymologiquement, de s’acquitter d’un acte 69. Étudier la fonction des « jurisprudences établies » de la Cour européenne des droits de l’homme revient alors à évaluer la manière dont le recours à ces dernières opère. Là encore, l’étude de l’ensemble du corpus des arrêts permet de démontrer une unité dans le rôle attribué par la Cour de Strasbourg aux diverses manifestations des « jurisprudences établies ». Originellement, cette unité fonctionnelle concerne la construction du discours de la Cour (A), à laquelle s’est ajoutée, progressivement, une unité processuelle (B).
A- Une unité discursive
Pourquoi se référer aux « jurisprudences établies » ? On peut supposer que si la Cour européenne des droits de l’homme n’y trouvait aucune utilité, elle ne s’embarrasserait pas de telles circonvolutions langagières. L’hypothèse peut donc être faite que l’unité fonctionnelle des « jurisprudences établies » sert un discours au sein de la Cour visant à assurer son autonomie (1) ainsi que son autorité (2).
1- Une unité servant l’autonomie de la Cour
Sans que l’on puisse affirmer que « les jurisprudences établies » puissent être rangées parmi les « notions autonomes » de la Cour européenne des droits de l’homme au sens de « technique d’interprétation uniforme » 70 visant à « détache[r] » des notions « du contexte juridique national pour les doter d’un sens « européen » valable pour tous les États contractants » afin d’assurer « l’indispensable uniformité d’interprétation de celle-ci et tend[re] à éviter que les normes européennes de protection des droits de l’homme ne varient selon les qualifications juridiques propres aux droits nationaux » 71, il n’en reste pas moins qu’elles participent à construire l’autonomie de la Cour de Strasbourg. Cette autonomie est triple : elle se manifeste d’abord comme une autonomie de la juridiction par rapport à ses juges ; elle se présente ensuite comme une autonomie du système conventionnel par rapport aux systèmes juridiques nationaux ; elle peut enfin être comprise comme une autonomie vis-à-vis de Cours, nationales et internationales, hors Conseil de l’Europe.
Ainsi, la motivation de la Cour ne peut être ramenée à celle de ses juges, quand bien même il apparaît que ceux-ci ont influencé ou étaient en mesure d’influencer la signification de l’une ou l’autre des expressions des « jurisprudences établies ». Dès lors, si l’on peut trouver pour telle expression une parenté avec tel juge, cela n’influence pas pour autant la généalogie du concept 72, qui appartient à la seule Cour européenne des droits de l’homme. Par exemple, quand bien même le juge Bernhart aurait participé à l’import de l’expression « jurisprudence bien établie », dont on peut penser qu’elle était riche, dans son initiative, de la signification en émanant dans ses travaux de recherche, on ne peut que remarquer la judicieuse irrévérence de la Cour elle-même envers son ancien Président. L’hypothèse peut être ainsi émise que le développement d’autres vocables, en parallèle de celui de « jurisprudence bien établie », a permis au Palais des droits de l’homme de construire une autonomie face aux propositions discursives du juge Rudfolf Bernhart, autant d’ailleurs que vis-à-vis de la Cour internationale de justice qui est à la source de cette expression 73.
À une période plus proche de la nôtre, s’observe également un jeu d’influence et d’autonomisation autour du couple jurisprudence consolidée/consolidated case-law 74), similaire dans les rapports qu’il met en évidence entre la Cour et ses juges, mais dont il est possible de tirer d’autres leçons. Un peu d’analyse statistique tout d’abord : sur les 35 décisions où apparaissent les syntagmes jurisprudence consolidée ou consolidated case-law, 31 concernent l’Italie. Dans l’ensemble de ces cas, l’expression est employée pour viser un certain type d’interprétation judiciaire présente de l’autre côté des Alpes. Elle se rapporte alors à la jurisprudence consolidée des tribunaux italiens, renvoyant à ce que l’on nomme la « doctrine du droit vivant » 75, développée par la Cour constitutionnelle italienne 76). En italien déjà, l’assertion du Palazzo de la Consulta est synthétisée, « traduite » par la doctrine, comme signifiant « la loi selon son interprétation consolidée » 77. Or à qui doit-on cette expression ? À Gustavo Zagrebelsky 78 ! À cet égard, il n’est pas anodin que l’expression jurisprudence consolidée n’apparaisse devant le prétoire de Strasbourg qu’à partir du moment où ce dernier est nommé juge, en 2001.
Mais, en même temps qu’elle est massivement utilisée pour parler d’une certaine interprétation jurisprudentielle culturellement liée au système italien et doctrinalement apparentée à Gustavo Zagrebelsky, on peut observer un phénomène progressif de « détachement » de l’adjectif de son contexte géographique. À partir de 2011 et de l’arrêt Halat c. Turquie, l’expression est en quelque sorte « captée » par la Cour européenne des droits de l’homme 79 qui en décale l’usage : c’est alors que l’on peut considérer qu’elle fait partie des manifestations des « jurisprudences établies ». Depuis lors, il est possible de parler d’autonomisation de l’usage de l’expression « jurisprudence consolidée ». Le fait que Gustavo Zagrebelsky ait quitté la Cour en 2010 ne paraît pas, lui non plus, étranger à ce phénomène.
Reste que le processus d’autonomisation qui a cours sous nos yeux peut engendrer une certaine confusion, car dans une partie des arrêts de la Cour, ceux qui concernent l’Italie, la « jurisprudence consolidée » se rapporte à une fonction interprétative d’une Cour étatique tandis que dans une autre partie, pour les arrêts rendus contre d’autres États, son sens s’autonomise pour participer aux « jurisprudences établies » au sens de la Cour européenne des droits de l’homme. D’où la tentative de systématisation et de distinction proposée par le juge portugais Pinto de Albuquerque dans son opinion séparée sur l’arrêt G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie entre « jurisprudence bien établie » et « jurisprudence consolidée ».
Au départ de sa réflexion, se trouve un arrêt de la Cour constitutionnelle italienne 80 sur l’articulation entre le droit conventionnel et le droit constitutionnel. Ne souhaitant ni la « confrontation directe » 81, ni la « subordination directe » 82 à la Cour européenne des droits de l’homme, le Palazzo della Consulta estime que « les arrêts de la Cour de Strasbourg n’avaient pas la même importance selon qu’ils étaient ou non le produit de la procédure pilote et selon qu’ils s’inscrivaient ou on dans une ligne de jurisprudence bien établie » 83, considérant in fine que les tribunaux ordinaires n’ont à suivre l’interprétation de la Cour de Strasbourg pour trancher un litige particulier que dans la mesure où cette interprétation relève d’un « arrêt pilote » ou d’une « jurisprudence établie » de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle italienne fait alors jouer à la « jurisprudence établie » un rôle similaire à celui de sa propre « jurisprudence consolidée » dans le système italien. C’est justement cette équivalence fonctionnelle qui est remise en cause par le juge Pinto de Albuquerque. Et, dans le très dense argumentaire où il démêle ce qui relève de la « jurisprudence consolidée » et ce qui relève de la « jurisprudence établie », on observe que le juge lui-même se prend au jeu de l’autonomisation : « jurisprudence consolidée » est progressivement abandonnée dans le discours pour « droit consolidé » ou « diritto consolitado » lorsqu’il est question de l’interprétation italienne.
Le phénomène d’autonomisation, qui se produit au long cours en intégrant au fur et à mesure des expressions nouvelles, est parfois revendiqué 84). D’où l’idée qu’en la matière il existerait une véritable volonté de la Cour de Strasbourg de ne pas s’attacher à un terme en particulier 85 : ni « jurisprudence bien établie », trop liée au droit international, ni « jurisprudence consolidée », trop liée à un système national, et qu’elle ait refusé toute importation de formules entièrement exogènes au système conventionnel 86). Avec un autre avantage : asseoir l’autorité de ses décisions.
2- Une unité servant l’autorité de la Cour
L’autorité des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ne peut être réduite à une autorité de la chose jugée ; elle est aussi une autorité de la chose interprétée. Pour la Professeure Aurélia Schahmaneche, c’est la motivation qui « va permettre le passage de la règle juridictionnelle à la jurisprudence » 87. Au sein de celle-ci, la référence aux « jurisprudences établies » joue alors un rôle particulier qu’Élisabeth Lambert 88 avait déjà pu mettre en évidence concernant le cas spécifique de la radiation du rôle, mais qui peut être élargi hors de ce cadre, notamment parce qu’elle participe des « nombreux efforts [de la Cour] pour améliorer la cohérence et la constance de son œuvre prétorienne et assurer, par là même, aux décisions la pleine et entière légitimité et autorité qu’elles méritent aux yeux de l’auditoire » 89, et particulièrement auprès des autres juridictions.
Auprès des cours nationales, la Cour européenne des droits de l’homme va utiliser les « jurisprudences établies » de deux manières différentes. Selon la première manière, la Cour va dire quelles sont, au sein des jurisprudences nationales, les « jurisprudences établies » 90. Il ne s’agit pas seulement de reprendre les arguments des requérants ou du gouvernement, ce qui pourrait apparaître comme une simple citation des prétentions de l’une des parties. Dans un certain nombre de cas, la Cour, en constatant l’existence d’une « jurisprudence établie », « bien établie » ou « constante », affirme qu’elle est face à une disposition législative au sens de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg a par exemple recours à la rhétorique des « jurisprudences établies » en matière d’atteinte au droit aux biens rappelant que « l’espérance légitime de pouvoir continuer à jouir du bien doit reposer sur une « base suffisante en droit interne », par exemple lorsqu’elle est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux » 91. Avec une conséquence, puisque cela lui permet de considérer que l’un des critères d’applicabilité de la Convention est rempli : ouvrir l’une des portes lui permettant d’exercer son contrôle. La référence aux « jurisprudences établies » est donc un instrument d’accroissement de l’applicabilité du contrôle de la Cour.
En outre et selon une deuxième manière, la Cour européenne des droits de l’homme va dire quelles sont, parmi ses propres jurisprudences, celles qui sont « établies ». Ce faisant, la Cour va justifier son positionnement dans une affaire par un certain classicisme quant à la solution adoptée, reliée à une ou plusieurs autres. Sa démarche se rapproche, en la matière, de celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui procède, de plus en plus, par la construction de ce que la Professeure Brunessen Bertrand dénomme les « blocs de jurisprudence » 92. Mais, en mentionnant expressément, les « jurisprudences établies », la Cour européenne des droits de l’homme ne laisse pas à son auditoire la possibilité de dessiner de lui-même la « continuité » 93 ou la « discontinuité » 94 jurisprudentielle : elle impose elle-même ses propres lignes jurisprudentielles.
Le paradoxe se trouve alors dans la manière qu’a la Cour de présenter les « jurisprudences établies », après y avoir fait référence. On peut noter trois cas de figures. En premier lieu, la Cour de Strasbourg peut, après avoir dit qu’elle « rappelait » ou qu’elle « réitérait » une jurisprudence constante ou établie, citer quelques arrêts 95. En opérant de la sorte, la Cour intègre la décision dans le corpus jurisprudentiel 96, dont on peut remarquer qu’il est lui-même évolutif, puisque les arrêts choisis ne sont pas toujours les mêmes pour un même principe 97. En deuxième lieu, la Cour peut ne viser qu’un seul arrêt 98. En troisième lieu, la Cour peut simplement affirmer qu’elle suit une jurisprudence établie, sans en justifier l’existence 99 : au lecteur de dessiner le lien. Cette variété dans la motivation peut laisser soupçonner que la Cour puisse instrumentaliser les « jurisprudences établies ». Pour cette raison, et aussi parce qu’elle peut créer un doute chez les destinataires de la norme au-delà des Cours elles-mêmes 100, il semble préférable que la Cour vise le ou les arrêts qui sont appelés au renfort de la jurisprudence visée.
La bonne réception des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme est, nous semble-t-il, à ce prix-là, qu’il s’agisse de la réception par les Cours nationales comme de celle faite par la Cour de Justice de l’Union Européenne. Dans l’arrêt Bosphorus, où la Cour pour la première fois examine au fond un grief concernant des mesures d’application du droit communautaire prises sans marge d’appréciation par un État, posant la règle de la protection équivalente du droit communautaire, le juge Ress fait valoir, dans son opinion séparée, le rôle que peuvent être amenées à remplir les « jurisprudences établies » dans les rapports entre la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg. Ainsi, pour ce dernier, l’existence d’une « jurisprudence bien établie » de la Cour européenne des droits de l’homme est le gouvernail permettant à la Cour de Justice de l’Union européenne de s’assurer qu’elle poursuit bien une « protection équivalente ».
Pour le juge allemand, « si la question qui est à l’origine de l’affaire concerne une interprétation ou une application de la Convention (ou de ses Protocoles) qui font déjà l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour », alors « on conclurait que la protection du droit garanti par la Convention est entachée d’une insuffisance manifeste si, en tranchant la question principale dans une affaire, la CJCE s'[en] écartait ». La difficulté se poserait dans les cas « concernant des questions nouvelles d’interprétation ou d’application d’un droit garanti par la Convention ». En effet, « il se pourrait que la CJCE suive dans ses arrêts une direction que la CEDH ne serait pas disposée à emprunter dans des affaires futures, mais il serait difficile en pareil cas de dire que l’insuffisance était déjà manifeste ». D’où la nécessité d’assurer la bonne réception de ce que sont les « jurisprudences établies » en les étayant par des exemples d’arrêts stabilisant la jurisprudence en cause.
La fluctuation dans la justification du caractère véritablement stabilisé des « jurisprudences établies », et ce qu’elle implique quant à la volonté de la Cour européenne des droits de l’Homme d’asseoir son autorité, explique peut-être la réticence des cours nationales françaises à s’y référer afin de ne pas s’y sentir trop liées. À notre connaissance 101, seule la Cour d’appel de Paris a fait mention expresse de l’une des « jurisprudences établies » de la Cour de Strasbourg, en la désignant comme telle. Dans une affaire de divorce, la Cour d’appel relève que la défenderesse « estime que le juge aux affaires familiales a violé le contradictoire et porté atteinte aux droits de la défense, protégés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme établie par un arrêt du 24 février 1995, ainsi que les articles 15 et 16 du nouveau code de procédure civile » 102). L’arrêt auquel il est fait référence est l’arrêt McMichael c. Royaume-Uni 103. Or la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais présenté cette décision comme fondant ou s’intégrant au sein de ses « jurisprudences établies ». Cette distorsion témoigne d’à quel point le discours sur les « jurisprudences établies » cristallise des enjeux de pouvoirs, et de son potentiel en matière d’autorité pour la Cour qui les manie. C’est pourquoi la moindre des précautions pour la Cour européenne des droits de l’homme est d’en renforcer la motivation, afin d’énoncer un discours pleinement légitime.
En outre, renforcer la motivation de ses décisions quant à ce qu’intègrent les « jurisprudences établies », n’entraînerait pas seulement, pour la Cour, un accroissement de son autorité. Cela ajouterait aussi une plus-value à l’unité processuelle des « jurisprudences établies ».
B- Une unité processuelle
L’autre fonction des « jurisprudences établies » a trait au déroulement du procès devant la Cour européenne des droits de l’homme. En faisant le partage entre ce qui est établi et ce qui ne l’est pas, la Cour « stabilise » la jurisprudence (1). Cela n’a pas uniquement un impact sur le justiciable qui argumentera pour la continuité ou la rupture ; désormais, le juge européen est lui-même concerné, dans la mesure où les « jurisprudences établies » permettent d’accélérer le jugement de l’affaire (2).
1- Une unité dans la stabilisation des arrêts
Les « jurisprudences établies » de la Cour européenne des droits de l’homme ont ceci de particulier qu’elles ne figent ni ne sont figées : elles permettent la stabilisation des arrêts en désignant une jurisprudence qui, elle-même, est caractérisée par le renvoi à des décisions dont l’énumération peut varier dans le temps. Elles possèdent par conséquent une nature flexible, malléable, plastique, tout en présentant une certaine solidité.
La fonction de stabilisation des « jurisprudences établies » peut être appréhendée grâce à quelques arrêts dans lesquels leur rôle est précisé, lorsqu’il est question des jurisprudences établies par les juridictions nationales. En 2009, pour la première fois dans l’arrêt Unedic c. France, il est ainsi affirmé que « les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante » 104. Deux ans plus tard, dans l’arrêt Legrand, la Cour ajoute qu’« une évolution de la jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice, dès lors que l’absence d’une approche dynamique et évolutive empêcherait tout changement ou amélioration » 105. L’articulation de ces deux points a donné lieu à un considérant de principe 106, que le juge de Strasbourg développe exceptionnellement en soulignant qu’« il [ne lui] appartient pas […] d’apprécier l’opportunité des choix de politique jurisprudentielle opérés par les juridictions internes » 107. Si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas procédé à de pareilles spécifications quant aux « jurisprudences établies » par sa propre juridiction, rien dans sa jurisprudence n’indique que l’on ne puisse retenir une même approche quant à leur fonction.
D’où le schéma suivant : la fonction de stabilisation des « jurisprudences établies » participe des exigences de sécurité juridique et de confiance légitime des justiciables ; elle n’exclut pas le dynamisme et l’évolutivité ; elle reste un choix politique au sens où il relève de l’arbitrage entre la stabilité et la mutabilité. En se fondant sur ces trois points, on modélisera alors le processus de stabilisation par analogie avec les lois de Newton en physique mécanique. Selon la première loi du mouvement, également dénommée « principe d’inertie », « tout corps persévère dans l’état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force n’agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d’état ». Ici, le « corps » est un principe de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans le référentiel « galiléen » des « jurisprudences établies », est généralement « inerte », « au repos ». La Cour peut décider d’exercer sur lui une force qui le contraindra à « changer d’état », à évoluer. Cette évolution ne remet pas en cause le référentiel des « jurisprudences établies », elle en est une des conditions. Ainsi, dès lors que la force d’évolution cesse d’être appliquée sur le principe en cause, celui-ci redevient inerte : la stabilisation ne requiert pas l’immuabilité dudit principe, ce qui est « établi » n’est pas pour autant « figé ».
Une telle conceptualisation entraîne deux séries de remarques, l’une sur la nature, l’autre sur l’intensité des « jurisprudences établies » considérées dans leur fonction de stabilisation. En elle-même, la fonction de stabilisation des « jurisprudences établies » conduit à les rapprocher, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des « précédents », et ce d’autant plus que l’on adopte une « définition large » de ces derniers, entendus comme « l’arrêt ou la décision rendue par la Cour ou la Commission et servant ultérieurement de référence au sein de la motivation d’un autre arrêt ou d’une autre décision de la Cour » 108. En s’inscrivant dans cette perspective, il est alors possible de considérer que les « jurisprudences établies » sont une forme de précédent ou, du moins, une forme d’utilisation de ces derniers. Frédéric Zénati relève à ce titre que lorsqu’une jurisprudence est qualifiée de « constante », cela est un gage de sûreté pour l’auditoire qui la réceptionne, et particulièrement pour le juge, avec pour particularité que « la certitude affecte non pas la détermination [de celui-ci], mais le précédent lui-même, dans sa vocation à être contredit ou abandonné » 109. La particularité des « jurisprudences établies » résiderait alors dans ce qu’elles ne peuvent faire l’objet d’un revirement : elles peuvent seulement, éventuellement, l’acter. Par exemple, d’un point de vue doctrinal, il est tout à fait possible d’envisager que les arrêts J.K. et autres c. Suède 110 et Paposhvili c. Belgique 111 puissent constituer des revirements vis-à-vis d’une « jurisprudence établie » de la Cour en matière de risques de mauvais traitement dans le pays de destination suite à une mesure d’expulsion 112, sauf que la Cour ne désigne pas la jurisprudence antérieure comme étant « établie », « bien établie », « constante » ou « consolidée ». Ce faisant elle empêche un phénomène de « déstabilisation » des « jurisprudences établies ». Celles-ci ne connaissent alors qu’un phénomène de stabilisation.
Dans cette optique, il est alors possible, dans un second temps, de considérer la question de l’intensité des « jurisprudences établies ». Car celles-ci portent en elles une gradation. Pour le dire autrement, elles sont « plus ou moins établies », indépendamment d’ailleurs du vocable employé « établie », « bien établie », « constante », « consolidée », etc. Là encore, il est possible de réfléchir à partir des lois de Newton, et plus particulièrement de la deuxième loi. D’après celle-ci, « les changements qui arrivent dans le mouvement sont proportionnels à la force motrice ; et se font dans la ligne droite dans laquelle cette force a été imprimée ». On en déduit alors que l’accélération subie par ce corps dans un référentiel galiléen est proportionnelle à la résultante des forces qu’il subit, et inversement proportionnelle à sa masse m. Il est ainsi possible d’imaginer qu’un principe, selon qu’il est « plus ou moins établi », « pèse » plus ou moins lourd. En fonction de la « masse » qui est la sienne, il faudra donc, pour le remettre en cause, des forces plus ou moins fortes. Avec une question : qu’est-ce qui peut moduler la « masse » du principe ? Dans le référentiel des « jurisprudences établies », il nous semble possible de distinguer au moins deux facteurs de variation. Il y aurait, d’une part, une variation temporelle, mettant en tension arrêt de principe et répétition d’arrêts et, d’autre part, une gradation hiérarchique, entre les chambres et la Grande chambre 113.
Cette hypothèse paraît corroborée par l’autre fonction processuelle des « jurisprudences établies », que nous avons choisi de dénommer « fonction d’accélération ».
2- Une unité dans l’accélération des arrêts
Le recours aux « jurisprudences bien établies » possède une fonction plus récente dans le système de la Convention européenne des droits de l’homme : une fonction d’accélération du procès 114. Ce sont les protocoles n° 14 et n° 15 à la Convention ainsi que la pratique de la Cour relative aux demandes de renvoi formulées au titre de l’article 43 de la Convention qui permettent de mettre celle-ci en évidence.
Le Protocole n° 14 vient modifier l’article 28 de la Convention européenne des droits de l’homme en élargissant les compétences des comités de trois juges. Faisant expressément référence à la « jurisprudence bien établie », l’article 28 1.b énonce qu’« un comité saisi d’une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 peut, par vote unanime, la déclarer recevable et rendre conjointement un arrêt sur le fond lorsque la question relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour ». Le rapport explicatif à ce protocole considère que « par rapport à la procédure contradictoire ordinaire de la Chambre, elle sera simplifiée et accélérée en ce sens que la Cour se limitera à porter l’affaire (éventuellement un groupe d’affaires semblables) à la connaissance de la Partie défenderesse en précisant qu’elle concerne une question qui fait l’objet d’une jurisprudence bien établie » 115. La fonction d’accélération est bien l’une des fonctions attribuées aux « jurisprudences établies » au sein du procès qui se déroule à Strasbourg.
Il convient alors de souligner que les fonctions de stabilisation et d’accélération ne sont évidemment pas exclusive l’une de l’autre. Plus encore, l’accélération ne peut se faire sans stabilisation. À suivre le rapport explicatif, cela apparaît d’autant plus fortement que « la Partie défenderesse a la possibilité de contester l’application de l’article 28, paragraphe 1.b – par exemple si […] le cas d’espèce diffère, selon elle, des requêtes qui ont donné lieu à la jurisprudence bien établie » 116. Par conséquent, s’il y a contestation fondée sur le caractère « bien établi » de la jurisprudence il n’y aura pas d’accélération du procès et l’on peut même se demander si un débat sur ce point ne serait pas en mesure d’éventuellement le retarder. Il en ressort que si la Cour veut être en mesure de mettre en œuvre la fonction d’accélération, elle doit travailler à leur stabilisation, notamment grâce à la motivation pour laquelle elle opte, en visant le ou les arrêts qui établissent lesdites jurisprudences.
Ce travail vaut d’autant plus que les Etats membres du Conseil de l’Europe semblent vouloir favoriser des règles de droit processuel pouvant être lues comme favorisant l’accélération du jugement. Il en va ainsi par exemple du Protocole n° 15, qui prévoit la modification de l’article 30 de la Convention européenne des droits de l’homme afin que les parties ne puissent plus s’opposer au dessaisissement d’une affaire par une chambre en faveur de la Grande Chambre. Selon le rapport explicatif relatif à ce protocole, « cette mesure est destinée à contribuer à la cohérence de la jurisprudence de la Cour, qui a indiqué qu’elle envisageait de modifier son Règlement (article 72) de manière à ce que les chambres soient tenues de se dessaisir en faveur de la Grande Chambre lorsqu’elles envisagent de s’écarter d’une jurisprudence bien établie » 117. La suppression du droit des parties au dessaisissement en faveur de la Grande chambre peut alors être considérée comme un facteur d’accélération du jugement.
La réflexion sur l’accélération du jugement, de plus en plus prégnante dans les textes additionnels à la Convention et leurs explications, est certainement le résultat d’une pratique de la Cour européenne des droits de l’homme dans ce sens. En juin 2011, le Bureau approuvait la proposition du greffier adjoint de la Cour consistant à « communiquer aux États un exposé général de la pratique du Collège [de la Grande chambre] qui donnerait des indications claires sur les affaires qui risquent d’être rejetées et sur celles qui sont susceptibles d’être acceptées » 118. L’exposé distingue les « affaires où une demande de renvoi peut être acceptée » et celles des « demandes en principe rejetées ». Parmi ces dernières, quatre cas sont présentés, dont celui de « l’application de la jurisprudence bien établie ». En la matière, la pratique de la Cour veut que « sauf si le collège estime que le moment est venu de faire évoluer la jurisprudence de la Cour […], les affaires ayant donné lieu à une application « normale » de la jurisprudence constante de la Cour ne sont en principe pas renvoyées devant la Grande Chambre » 119. Les « jurisprudences bien établies » favorisent ainsi l’accélération du procès : en vouant à l’échec, par principe, le renvoi devant la Grande chambre, il permet d’obtenir plus rapidement un arrêt de chambre définitif en clôturant le procès devant la Cour de Strasbourg.
Reste que, dans l’ensemble de ces cas, l’accélération recherchée ne peut avoir lieu que dans la mesure où les « jurisprudences bien établies » ont, au préalable, rempli leur fonction de stabilisation. La nouvelle fonction des « jurisprudences établies » constitue donc une fonction non seulement récente, mais dépendante de la fonction de stabilisation. Le lien entre elles est fort, dans la mesure où il semble, en l’état actuel des textes conventionnels, que ce n’est qu’au moyen d’une stabilisation suffisamment prégnante des « jurisprudences établies » que pourra s’envisager l’accélération du procès à Strasbourg.
***
Au départ, il y a la variété : variété des expressions et variété des domaines d’utilisation des « jurisprudences établies ». La Cour européenne des droits de l’homme se réfère aux jurisprudences « établie », « constante », « bien établie », « consolidée », lorsqu’elle examine la recevabilité de la requête, lorsqu’elle statue au fond sur les violations de la Convention, quel que soit l’article en cause, ainsi qu’en matière de satisfaction équitable. La première intuition est alors d’envisager que chacune des expressions ait une signification particulière ou un usage spécifique. Poussant l’idée à son paroxysme, on regardera alors volontiers si « jurisprudence constante » mobilisée sur une question de recevabilité équivaut à « jurisprudence constante » considérée sur le fond, démultipliant à l’envi en fonction des violations alléguées. Puis, on comparera si « jurisprudence constante » dans le premier cas n’est pas proche de « jurisprudence établie » dans le second cas. Prise dans un tourbillon de significations potentielles on se demande alors si la Cour n’a pas perdu son latin, entraînant son auditoire avec elle. Bien heureusement, non. Forte de sa composition, solide dans le syncrétisme de ses influences, pointilleuse quant à son autonomie, la Cour s’est appuyée sur la souplesse du langage et la flexibilité du multilinguisme pour créer une unité des « jurisprudences établies ». Ces dernières se doivent d’être prises comme un tout, tant d’un point de vue conceptuel que d’un point de vue fonctionnel. Considérées comme des jurisprudences stabilisées par la Cour hiérarchiquement et/ou temporellement, elles sont elles-mêmes stabilisantes. Cette dialectique porte avec elle bien d’autres avantages à la Cour. Mais pour qu’elle soit pleinement légitime à en profiter, encore est-il nécessaire qu’elle affermisse la motivation les concernant, notamment en veillant toujours à viser le ou les arrêts qui participent de la stabilisation des jurisprudences dites « établies ».
Notes:
- Cour eur. dr. h., arrêt Bourdov c. Russie (n° 2), 15 janvier 2009, § 114 ; arrêt Kalinkin et autres c. Russie, 17 avril 2012, § 36 ↩
- Marie-Anne FRISON-ROCHE, Serge BORIES, « Chronique. La jurisprudence massive », D., 1993, n° 39, p. 287. Voy. également : Serge BORIES, « L’informatisation des données judiciaires et doctrinales : une contribution à la connaissance et à la recherche juridiques », Documentaliste – Science de l’information, 2003, n° 4, vol. 40, p. 80 ↩
- Ni le Dictionnaire de l’Académie française, ni Trésor de la langue française ne connaissent d’autre « établi » que de table longue et étroite ↩
- Dictionnaire Le Littré, en ligne, « établi », consultable sur : www.littre.org ↩
- Dictionnaire Le Larousse, en ligne, « établi », consultable sur : www.larousse.fr ↩
- Dictionnaire Le Littré, « constance », consultable en ligne : www.littre.org ↩
- Dictionnaire de L’Académie française, « constance », consultable en ligne : http://www.cnrtl.fr/definition/academie ↩
- Dictionnaire Le Larousse, « constance », consultable en ligne : www.larousse.fr ↩
- Dictionnaire Le Littré, « constant », consultable en ligne : www.littre.org ; Dictionnaire de l’Académie française, « constant », consultable en ligne : www.cnrtl.fr/definition/academie ; Dictionnaire Le Larousse, « constant », consultable en ligne : www.larousse.fr ↩
- Dictionnaire Trésor de la langue française, « constant », consultable en ligne : www.cnrtl.fr/definition. Le Dictionnaire de l’Académie française propose « Caractère de ce qui ne change pas, se répète invariablement ou reste identique » ↩
- Dictionnaire Le Littré, « constant », consultable en ligne sur : www.littre.org ↩
- Cour eur. dr. h., arrêt Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §67 ↩
- Rudolf BERNHART, Die Auslegung völkerrechtlicher Verträge, [Th. Hab : Université d’Heidelberg], 1963 ↩
- Cour I.J., Affaire du temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) exceptions préliminaires, 26 mai 1961, Recueil 1961, p. 17 : « Ce faisant, la Cour doit appliquer ses règles normales d’interprétation dont la première est, d’après sa jurisprudence bien établie, qu’il faut interpréter les mots d’après leurs sens naturel et ordinaire dans le contexte où ils figurent » (Nous soulignons ↩
- Cour eur. dr. h., arrêt Öztürk c. Allemagne, 21 février 1984, opinion dissidente du juge Bernhart ↩
- Sur ce sujet, voir not. : F. OST, Traduire. Défense et illustration du multilinguisme, Paris, Fayard, 2009 ↩
- Voy. C. M. HERRERA et A. LE PILLOUER (dir.), Comment écrit-on l’histoire constitutionnelle ?, Kimé, 2012 ↩
- É. MILLARD, « Le concept : outil de communication », Revue de la Recherche Juridique – Droit prospectif, PUAM, 2012, p. 2179 [p. 2185] ↩
- Cour eur. dr. h., De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique (au principal), 18 juin 1971, opinion séparée commune aux juges Balladore Pallieri et Verdross ↩
- Cour eur. dr. h., Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, préc., § 67 ↩
- Giorgio Balladore Pallieri est juge de 1959 à 1980. Il préside la Cour entre 1974 et 1980 ↩
- Alfred Verdross est juge de 1959 à 1977 ↩
- Rudolf Bernhart est juge de 1981 à 1998. Il préside la Cour quelques mois durant l’année 1998 ↩
- La Cour internationale de justice fait mention pour la première fois de l’expression « d’après sa jurisprudence bien établie » dans l’arrêt rendu sur l’affaire du temple de Préah Vihéar (Cour I.J., Affaire du temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) exceptions préliminaires, 26 mai 1961, préc.). Elle renvoie implicitement, ce faisant, à deux autres de ses décisions où elle fonde son interprétation sur le sens naturel et ordinaire des mots : l’avis consultatif du 3 mars 1950 (Cour I.J., Avis consultatif sur la compétence de l’assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations Unies, 3 mars 1950, Recueil 1950, p. 4 : « La Cour croit nécessaire de dire que le premier devoir d’un tribunal, appelé à interpréter et à appliquer les dispositions d’un traité, est de s’efforcer de donner effet, selon leur sens nature et ordinaire, à ces dispositions prises dans leur contexte ») et l’avis consultatif du 8 juin 1960 (Cour I.J., Avis consultatif sur la composition du comité de la sécurité maritime de l’organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime, 8 juin 1960, Recueil 1960, p. 150 : « Les termes de l’article 28 a) doivent être interprétés suivant leur signification naturelle et ordinaire, selon le sens qu’ils ont normalement dans leur contexte » ↩
- Cour eur. dr. h., Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 62 ↩
- Cour eur. dr. h., Gasus Dosier-Und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995, § 62 ↩
- Ibid., § 72 ↩
- Cour eur. dr. h., Akdivar c. Turquie, 16 septembre 1996, opinion dissidente de M. le juge Gölcücklü, § 16. Voy. également : Cour eur. dr. h., Aydin c. Turquie, 25 septembre 1997, opinion dissidente de M. le juge Gölcücklü ↩
- Cour eur. dr. h., Akdivar c. Turquie, 16 septembre 1996, préc., § 78. Voy. également : Cour eur. dr. h., Aydin c. Turquie, 25 septembre 1997, préc., § 70 ↩
- Cour eur. dr. h., Frydlender c. France, 27 juin 2000, § 29 « jurisprudence constante » et § 30 « jurisprudence bien établie» ↩
- Cour eur. dr. h., Ilhan c. Turquie, 27 juin 2000, opinion dissidente de M. Gölcüklü, § 11 : « 11. Dans la présente affaire, la Cour, ignorant sa jurisprudence constante, s’est bel et bien livrée à des « calculs d’actuaire » spéculatifs, mais elle a de surcroît estimé juste et raisonnable d’allouer au requérant une somme plus qu’exorbitante (80 000 livres sterling (GBP)), jamais atteinte à ce jour. Les montants ordinairement accordés se situent entre 15 000 et 20 000 GBP. J’estime que la crédibilité et la force de conviction des décisions de justice proviennent de la constance et du suivi de la jurisprudence établie, ce qui exclut les hauts et bas extrêmes » (Nous soulignons). ↩
- Voy. par ex. : Cour eur. dr. h., Loizidou c Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, préc., § 62 ↩
- Voy. par ex. : Cour eur. dr. h., Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 74 ↩
- Voy. par ex. : Cour eur. dr. h., Tanrikulu c. Turquie, 8 juillet 1999, § 67 ↩
- Voy. par ex : Cour eur. dr. h., N. c Royaume-Uni, 27 mai 2008, § 29 ↩
- Voy. par ex : Cour eur. dr. h., Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, 27 juin 2000, § 86 ↩
- Voy. par exemple : Cour eur. dr. h., Liechtenstein c. Allemagne, 12 juillet 2001, § 91 ↩
- Cour eur. dr. h., Medvedyev et autres c. France, 29 mars 2010, § 124 ↩
- Cour eur. dr. h., Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 29 ↩
- Cour eur. dr. h., De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, préc., § 37 ↩
- Cour eur. dr. h., Beneficio Cappella Paolini c. Saint-Marin, 13 juillet 2004, § 16. ↩
- Cour eur. dr. h., Del Rio Prada c. Espagne, 10 juillet 2012, § 28 ↩
- Cour eur. dr. h., Avotins c. Lettonie, 23 mai 2016, § 52 ↩
- Cour eur. dr. h., G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, 28 juin 2018, opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque ↩
- Article 28.1 du règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 1202 (1999) adoptée le 4 novembre 1999) avec modifications ultérieures du Règlement ; art. 34.1 du règlement de la Cour ↩
- A. SCHAHMANECHE, La motivation des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, [Th. doct. : Droit public : Université Montpellier I], L.G.D.J., 2012, p. 185, nbp n° 1002 ↩
- Article 57.1 du règlement de la Cour ↩
- Article 77.2 du règlement de la Cour ↩
- Rappelons que jusqu’à l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 en novembre 1998, tous les arrêts étaient rendus dans les deux langues officielles. Sur le « régime linguistique » de la Cour européenne des droits de l’homme et le rôle du traducteur, voir J. BRANNAN, « Le rôle du traducteur à la Cour européenne des droits de l’homme », Traduire. Revue française de la traduction, 2009, n° 220 : Organisations internationales, p. 24 ↩
- J. BRENNAN, Loc. Cit. Bien que les juges ne soient pas tous francophones ou anglophones, composition de la Cour européenne des droits de l’homme oblige, ils doivent avoir acquis ou acquérir rapidement entre leur nomination et leur prise de fonction les « connaissances linguistiques nécessaires » à l’exercice de leur office (A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 185). ↩
- J. BRENNAN, Loc. Cit. ↩
- Ibid. ↩
- J. BRENNAN, Loc. Cit. ↩
- On peut d’ailleurs s’interroger sur l’uniformité de sens de certains mots ou de certaines expressions au sein de la francophonie et de l’anglophonie ↩
- Cela vaut d’autant plus que « la question de la traduction des arrêts de la Cour est une question cruciale car elle subordonne la connaissance de la jurisprudence de la Cour » (F. TULKENS, « Quelle réforme pour la Cour européenne des droits de l’homme ? Les réformes à droit constant », R.U.D.H., 2002, n° 7-8, vol. 14, p. 265). ↩
- M. WESTON, « Characteristics and constraints of producing bilingual judgments: the example of the European Court of Human Rights », in GEMAR J.-C. and KASIRER N. (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits – Jurilinguistics: Between Law and Language, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 458 ↩
- Protocole additionnel n° 14, rapport explicatif, STCE n° 194, p. 13 ↩
- Protocol n° 14, Explanatory report, CETS 194, p. 12 ↩
- Protocole additionnel n° 14, Rapport explicatif, Loc. Cit. ↩
- En ce sens voir : Cour eur. dr. h., Kalinkin et autres c. Russie, 17 avril 2012, préc. La Cour se dit « surtout frappée par le fait que les deux seuls exemples de jurisprudence interne invoqués par le Gouvernement à l’appui de sa thèse dans la présente affaire sont exactement les mêmes que ceux déjà cités dans de très nombreuses autres affaires jugées par elle depuis plusieurs années. Elle tient à redire à cet égard que les jugements en question constituent des cas exceptionnels et isolés et non la preuve d’une jurisprudence établie et constante (Bourdov (no 2), précité, §§ 92 et 114-115). Le fait que le Gouvernement présente à la Cour depuis des années les mêmes rares exemples d’application du chapitre 59 du code civil relativement à l’indemnisation de retards dans l’exécution de décisions de justice internes confirme amplement cette conclusion » ↩
- Cour eur. dr. h., G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, 28 juin 2018, préc., opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque ↩
- A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 160 ↩
- Ainsi, pour Élisabeth Lambert, une jurisprudence constante présente deux caractéristiques : elle ne doit jamais avoir été contredite ; elle doit être suffisamment claire. Déjà, la Professeure Aurélia Schahmaneche avait montré qu’il « fa[llait] désormais relativiser l’importance de cette première qualité », au regard notamment du Protocole additionnel n° 14 (A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 161 ↩
- É. MILLARD, Loc. Cit. ↩
- Dictionnaire Trésor de la Langue française, « stabiliser », consultable en ligne : http://tfli.org ↩
- Cour eur. dr. h., Fredin c. Suède (n°1), 18 février 1991, § 51 : « Selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1-2) doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l’article (voir, en dernier lieu, l’arrêt Mellacher et autres précité, série A no 169, p. 27, § 48) » ↩
- On remarque d’ailleurs que ce sont les chambres qui mentionnent principalement les « jurisprudences établies ». Les chiffres sont les suivants : « Jurisprudence établie » : expression mentionnée dans 53 arrêts de Grande chambre et 275 arrêts de chambre ; « Jurisprudence bien établie » : expression mentionnée dans 77 arrêts de Grande chambre et 484 arrêts de chambre ; « Jurisprudence constante » : expression mentionnée dans 238 arrêts de Grande chambre et 1790 arrêts de chambre ; « Jurisprudence consolidée » : expression mentionnée dans 2 arrêts de Grande chambre et 31 arrêts de chambre ↩
- Dictionnaire Le Larousse, en ligne, « fonction », consultable sur : www.larousse.fr ↩
- Le mot « fonction » dérive du latin functionem, de fumgor, je m’acquitte ↩
- D. EVRIGENIS, « Réflexions sur la dimension nationale de la CEDH », in Actes du colloque sur la CEDH par rapport à d’autres instruments internationaux pour la protection des droits de l’homme, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1979, p. 71 ↩
- F. SUDRE, « Le recours aux notions autonomes », in F. SUDRE, L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, p. 94 ↩
- Sur l’an-historicité des concepts : M. TROPER, « Les concepts de l’histoire constitutionnelle » in C. M. HERRERA et A. LE PILLOUER (dir.), Op. Cit., p. 57 ↩
- Il ne nous semble pas que d’étude spécifique ait été réalisée sur les notions de « jurisprudence bien établie » ou de celle, plus rare, de « jurisprudence établie » devant la Cour internationale de justice. Pour notre part, nous notons simplement, au vu des quelques recherches que nous avons pu mener pour cette étude que lorsque la Cour internationale de justice emploie l’expression, elle renvoie indifféremment à ses arrêts ou à ses avis consultatifs. Ainsi, dans l’arrêt rendu sur l’affaire du temple de Préah Vihéar (Cour I.J., Affaire du temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) exceptions préliminaires, 26 mai 1961, préc.), elle met en évidence une « jurisprudence bien établie » au regard de deux avis consultatifs (Cour I.J., Avis consultatif sur la compétence de l’assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations Unies, 3 mars 1950, préc. et Cour I.J., Avis consultatif sur la composition du comité de la sécurité maritime de l’organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime, préc.). En outre, la Cour internationale de justice renvoie parfois à une « règle bien établie » (voy. par ex. : Cour I.J., Avis consultatif sur le différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la commission des droits de l’homme, Recueil 1999, p. 62 : « Selon une règle bien établie du droit international, le comportement de tout organe d’un Etat doit être regardé comme un fait de cet Etat »). Nous pensons qu’alors que « jurisprudence bien établie » renvoie à une fonction d’interprétation de la Cour, une « règle bien établie » a plutôt trait au fond du droit. Nous laissons de prochaines recherches faire la lumière sur ce point ↩
- Revenons quelques instants à un problème terminologique. Du français vers l’anglais, « consolidé » donne « established », « settled » ou « consolidated » ; de l’anglais vers le français « consolidated » est rendu soit par « consolidé », soit par « constant » (Cour eur. dr. h., Axel Springer AG c. Germany, 7 février 2012, opinion dissidente du juge Lopez Guerra à laquelle se rallient les juges Jungwiert, Jaeger, Villiger et Poalelungi).
Le terme « consolidated » est d’ailleurs extrêmement rare en anglais, puisqu‘il ne figure que dans 4 décisions (outre les arrêts Cour eur. dr. h., Axel Springer AG c. Allemagne, 7 février 2012, préc. et Cour eur. dr. h., G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, 28 juin 2018, préc., voy. : Cour eur. dr. h., Azienda Agricola Silverfunghi S.A.S. et autres c. Italie, 24 juin 2014, § 50 et § 81), dont seulement la moitié existe dans les deux versions linguistiques. Il est parfois doublé d’un autre adjectif, comme dans l‘expression « consistent consolidated case-law » (Cour eur. dr. h., Azienda Agricola Silverfunghi S.A.S. et autres c. Italie, 24 juin 2014, préc. ↩
- Sur ce thème : C. SEVERINO, La doctrine du droit vivant, Economica-Puam, Paris, 2003 ; J.-J. PARDINI, « Réalisme et contrôle des lois en Italie », C.C.C., juin 2007, n° 22 (Dossier : Le réalisme en droit constitutionnel) ; G. ZAGREBELSKY, « La doctrine du droit vivant et la question de constitutionnalité », Constitutions, mars 2010, n° 1, p. 9 ↩
- La Cour de Rome considère en effet, depuis un arrêt du 15 juin 1956, qu’elle doit prendre en considération « l’interprétation jurisprudentielle constante qui confère au principe législatif sa valeur effective dans la vie juridique s’il est vrai – et cela est vrai – que les normes ne sont pas telles qu’elles apparaissent fixées dans l’abstrait, mais telles qu’elles sont appliquées dans l’œuvre quotidienne du juge qui s’attache à les rendre concrètes et efficaces » (Corte costituzionale, Sentenza 15 Giugno 1956, 3/1956, § 6 ↩
- Gustavo ZAGREBELSKY, Loc. Cit. ↩
- On note que, d’une manière plus indirecte, la conception de Gustavo Zagrebelsky a aussi influencé la conception du « droit vivant » au sein du Conseil constitutionnel. Sur ce sujet, voy. : M. KAMAL, Le Conseil constitutionnel et le temps, [Thèse doct. : Droit public], 2018, p. 594 et s. ↩
- Cour eur. dr. h., Halat c. Turquie, 8 novembre 2011, opinion partiellement dissidente des juges Tulkens et Raimondi ; arrêt Del Rio Prada c. Espagne, 10 juillet 2012, préc., § 28 ; arrêt Avotins c. Lettonie, 23 mai 2016, préc., § 52 ; arrêt Arrozpide Sarasola et autres c. Espagne, 23 octobre 2018, § 119 ↩
- Cour constitutionnelle italienne, 1er avril 2015, n° 49/2015 ↩
- Cour eur. dr. h., G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, 28 juin 2018, préc., opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque ↩
- Ibid. ↩
- Pour reprendre les mots de la juge Motoc : Cour eur. dr. h., G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, 28 juin 2018, préc., opinion séparée de la juge Motoc ↩
- En témoigne ainsi l’opinion dissidente des juges Tulkens et Jociene sur l’arrêt Sabri Günes c. Turquie (Cour eur. dr. h., Sabri Günes c. Turquie, 24 mai 2011 ↩
- On en retrouve une trace dans l’Exposé général de la pratique suivie par le collège de la grande chambre pour statuer sur les demandes de renvoi formulées au titre de l’article 43 de la Convention (octobre 2011). Ainsi, dans un titre dédié aux « Demandes en principe rejetées » dans lequel figure un sous-titre « d) L’application de la jurisprudence bien établie » (nous soulignons), il est expliqué que « Sauf si le collège estime que le moment est venu de faire évoluer la jurisprudence de la Cour (voir point IV b) ci-dessus), les affaires ayant donné lieu à une application « normale » de la jurisprudence constante de la Cour ne sont en principe pas renvoyées devant la Grande Chambre ↩
- Il nous semble ainsi tout à fait significatif que la formulation américaine « unbroken line of decisions », appartenant à la Cour suprême des Etats-Unis et inspirée de la métaphore du roman de Ronald Dworkin, n’ait pas du tout prospéré à Strasbourg (Cour eur. dr. h., Sergueï Zolotoukine c. Russie, 10 février 2008, § 44. La Cour européenne des droits de l’homme cite un arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis où il est mention de « jurisprudence constante » (version française), traduction choisie pour l’original anglais « unbroken line of decisions » ↩
- A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 325 ↩
- É. LAMBERT, Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 297 ↩
- A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 192 ↩
- Voy. pour la première utilisation : Cour eur. dr. h., Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 67 ↩
- Cour. eur. dr. h., Ceni c. Italie, 4 février 2014, §39 ; Valle Pierimpiè Societa Agricola S.P.A. c. Italie, § 38 ↩
- B. BERTRAND, « Les blocs de jurisprudence », R,T,D, Eur., 2012, p. 741 ↩
- Ibid. ↩
- Ibid. ↩
- Voy., parmi beaucoup d’autres : Cour eur. dr. h., Probstmeier c. Allemagne, 1er juillet 1997, § 46 et Cour eur. dr. h., M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, § 365 ↩
- A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 192 ↩
- Prenons par exemple la motivation relative aux « jurisprudences établies », en lien avec l’article 3 de la Convention (non combiné avec l’article 14), et le point particulier de l’examen des faits par la Cour. Dans l’arrêt Selmouni c. France (Cour eur. dr. h., Selmouni c. France, 28 juillet 1999, § 86), la Cour vise « notamment », au titre de sa « jurisprudence constante » les arrêts Cruz Varas et autres c. Suède, McCann et autres c. Royaume-Uni et Aksoy c. Turquie. Quelques années plus tard, c’est l’arrêt Selmouni c. France qui devient l’une des références d’une « jurisprudence bien établie », avec les arrêts Assenov et autres c. Bulgarie, Raninen c. Finlande, V. c. Royaume-Uni, Chahal c. Royaume-Uni, Klaas c. Allemagne et Labita c. Italie [GC], dans les arrêts Zeynep Avci c. Turquie (Cour eur. dr. h., Zeynep Avci c. Turquie, 6 février 2003, § 62), Karagöz c. Turquie (Cour eur. dr. h., Karagöz c. Turquie, 8 novembre 2005, § 73), Oya Ataman c. Turquie (Cour eur. dr. h., Oya Ataman c. Turquie, 5 décembre 2006, § 24), Ciloglu c. Turquie (Cour eur. dr. h., Ciloglu c. Turquie, 6 mars 2007, § 25), sans qu’aucun de ses arrêts, pourtant rendus chacun à une ou plusieurs années d’intervalle, ne figure parmi les références choisies par la Cour ↩
- Voy. parmi beaucoup d’autres : Cour eur. dr. h., Nikolova c. Bulgarie, 25 mars 1999, § 69 et Cour eur. dr. h., Taddeucci et McCall c Italie, 30 juin 2016, § 81 ↩
- Voy. parmi beaucoup d’autres : Cour eur. dr. h., Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège, 20 mai 1999, § 84 et Cour eur. dr. h., M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, préc., § 422 ↩
- A. SCHAHMANECHE, Op. Cit., p. 160 ↩
- En se fondant sur une recherche menée sur les bases de données de Legifrance (www.legifrance.gouv.fr) relatives aux jurisprudences constitutionnelle, administrative et judiciaire ↩
- Cour d’appel de Paris, 28 février 2002, n° 2001/04343 (Nous soulignons ↩
- Cour eur. dr. h., McMichael c. Royaume-Uni, 24 février 1995 ↩
- Cour eur. dr. h., Unedic c. France, 18 décembre 2009, § 74 ↩
- Cour eur. dr. h., Legrand c. France, 26 mai 2011, § 37 ↩
- Cour eur. dr. h., Nedjet Sahin et Perihan Sahin c. Turquie, 20 octobre 2011, § 58 : « La Cour précise toutefois que les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante (Unédic c. France, n° 20153/04, § 74, 18 décembre 2008). En effet, une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait susceptible d’entraver tout changement ou amélioration (Atanasovski c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », n° 36815/03, § 38, 14 janvier 2010). ». Voy. également : Cour eur. dr. h., Vuckovic et autres c. Serbie, 28 août 2012., § 54 vi) ; Ferreira Santos Pardal c. Portugal, 30 juillet 2015, § 42 g) ; arrêt Hayati Celebi et autres c. Turquie, 9 février 2016, § 52 g) ; arrêt Paroisse Gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, 29 novembre 2016, § 116 c) ; arrêt Allègre c. France, 12 juillet 2018, § 52 ↩
- Cour eur. dr. h., Fazli Aslaner c. Turquie, 4 mars 2014, § 53 ↩
- A. PALANCO, Le précédent dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, [Th. Doct. : Droit public : Université de Montpellier], 2017, p. 16 ↩
- F. ZENATI, La jurisprudence, Dalloz, 1991, p. 163 ↩
- Cour eur. dr. h., J.K. c. Suède, 23 août 2016 ↩
- Cour eur. dr. h., Paposhvili c. Belgique, 13 décembre 2016 ↩
- C. HUSSON-ROCHCONGAR et M. AFROUKH, « Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RDLF 2017, chron. n° 13 ↩
- Cette hypothèse, particulièrement stimulante, mériterait à partir de l’ensemble des jurisprudences collectées dans ce corpus de 2500 décisions, de déterminer chacun de ces critères, mais aussi leur pondération afin de dessiner la courbe du rapport de forces entre les uns et les autres ↩
- Sur la notion d’accélération, voy. part. : P. GÉRARD, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, L’accélération du temps juridique, 1ère éd., Facultés universitaires Saint Louis, 2000 ; H. ROSA, Accélération. Une critique sociale du temps, 2ème éd., Paris, Éditions La Découverte/Poche, 2013. ; H. ROSA, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, 2ème éd., Paris, Éditions La Découverte, 2014 ; B. BASTARD et al., Justice ou précipitation. L’accélération du temps dans les tribunaux, 1ère éd., PUR, 2016 ↩
- Protocole additionnel n° 14, Rapport explicatif, STCE n° 194, préc., p. 13 (Nous soulignons). ↩
- Ibid., p. 13 ↩
- Protocole additionnel n° 15, Rapport explicatif, STCE n° 213, préc., p. 3 (Nous soulignons). ↩
- Exposé sur la pratique suivie par le collège de la Grande chambre pour statuer sur les demandes de renvoi formulées au titre de l’article 43 de la Convention, préc., p. 1, nbp n° 1 ↩
- Ibid., p. 13 ↩