Autorités administratives indépendantes et libertés – actualités de l’année 2022
Cette chronique a pour objectif de couvrir, de manière annuelle, l’actualité des autorités administratives indépendantes (AAI), telles qu’elle sont listées dans la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, en y incluant également les autorités qui, tout en étant exclues de cette liste, se définissent elles-mêmes comme indépendantes, à l’instar de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Cette actualité vise à questionner la capacité des AAI à constituer des lieux de contre-pouvoirs par les analyses et les techniques de contrôle qu’elles mettent en œuvre pour la défense des droits et libertés. Elle interroge également la place institutionnelle des AAI qui constituent désormais aussi des lieux de pouvoir et d’influence. Co-dirigée par Emilie Debaets, Valérie Palma-Amalric et Julia Schmitz, cette chronique a été réalisée avec la participation d’Arnaud Bonfort, Capucine Colin, Julien Marguin, Zakia Mestari et Valentine Vigné.
L’année 2022 a été marquée par une importante activité des AAI[1]. Certaines AAI connaissent, depuis quelques temps, un mouvement de hausse des recours par les pouvoirs publics ou les individus. Les rapports d’activité annuels rendus notamment par le MNE (rapport d’activité 2021), le DDD (rapport d’activité 2021), la CNIL (rapport annuel 2021) ou le rapport de mandature de la CNCDH (rapport de mandature couvrant les années 2019-2022) attestent de ce mouvement. Malgré les difficultés liées au nombre grandissant de recours, la place et la légitimité de ces AAI dans le paysage institutionnel n’en sont que renforcées.
Certaines AAI ont également été mises sur le devant de la scène médiatique en raison soit des circonstances, comme l’ASN dont l’action a été amplifiée par les crises énergétique et climatique, soit en raison d’évolutions législatives. Les pouvoirs publics sont plusieurs fois intervenus pour élargir le champ de compétence de certaines AAI ou renforcer leurs moyens d’action afin de les rendre plus efficaces. La loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a ainsi étendu le contrôle de la CRE dans le cadre du régime administratif spécial de l’installation rapide de terminaux méthaniers flottants. La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a quant à elle créé une procédure de sanction simplifiée au sein de la CNIL pour les dossiers les moins complexes et de faible gravité à côté de la procédure existante, désormais dite procédure ordinaire. Si le nombre de plaintes est désormais stabilisé autour de 14 000 plaintes par an depuis l’entrée en application du RGPD, le faible nombre de mises en demeure et de sanctions pour l’année 2021 montrait l’inadaptation de la procédure de sanction (rapport annuel 2021, p. 8). En confiant un nouveau contrôle au juge judiciaire des mesures d’isolement et de contention dans les établissements de soins sans consentement, la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique a pour sa part entrainé une forte demande de formation et d’expertise auprès du CGLPL (rapport d’activité 2021, p. 176-177).
Au-delà de ces modifications ponctuelles, certaines AAI ont par ailleurs été entièrement refondues pour mettre en place une régulation adaptée. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) ont en effet été fusionnés au 1er janvier 2022 pour donner naissance à l’Arcom en vertu de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère économique. Soucieux d’avoir un régulateur unique pour garantir la liberté de communication et le pluralisme des courants de pensées et d’opinion face à d’importants acteurs, notamment d’envergure internationale, le législateur a confié à l’Arcom de nombreuses missions : lutte contre la manipulation de l’information et contre la haine en ligne, protection des publics et en particulier de la jeunesse, soutien à la création française et européenne, lutte contre le piratage. La création de ce nouveau régulateur n’a pas seulement été l’occasion de fusionner les compétences des deux AAI à périmètre constant, mais elle a aussi été l’occasion de repenser ses compétences et de lui transférer des compétences jusque-là exercées par d’autres. Tel est le cas du contrôle du bien-fondé des demandes de retrait, de blocage et de déréférencement des sites et des contenus à caractère terroriste et à caractère pédopornographique jusque-là confié à une personnalité qualifiée de la CNIL (Communiqué de presse de la CNIL du 19 mai 2022). En vertu de l’article 41 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, ce contrôle est effectué, depuis le 7 juin 2022, par une personnalité qualifiée au sein de l’Arcom qui doit désormais faire face à un accroissement conséquent du nombre de contenus illicites ayant fait l’objet d’une intervention de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (Rapport d’activité 2021 de la personnalité qualifiée de la CNIL) et à l’entrée en vigueur du règlement européen 2021/784 du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne visant notamment à faire retirer dans un délai d’une heure les contenus concernés.
Enfin d’autres AAI ont su mobiliser les moyens mis à leur disposition, notamment les moyens spécifiques à certaines d’entre elles, afin de promouvoir leurs actions et améliorer leur fonctionnement. Dans un rapport publié en novembre 2022 Dénouer les litiges du quotidien dans les communes : la voie de la médiation, le DDD rappelle ainsi son action de médiation au sein des communes grâce à son réseau territorial de relais locaux. Le CGLPL a également amplifié son action de contrôle par l’utilisation répétée de la procédure d’urgence à quatre reprises au cours de l’année 2022 lui permettant de dénoncer une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté par une publication rapide au Journal officiel (recommandations concernant les centres pénitentiaires de Bois d’Arcy (16 décembre 2022) et de Bordeaux-Gradignan (13 juillet 2022) ainsi que les centres de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens (1er mars 2022) et de Vendée à La-Roche-sur-Yon (27 octobre 2022)).
L’année 2022 a également été à nouveau l’occasion de réfléchir à la question de l’indépendance des AAI. La doctrine a notamment émis un doute persistant sur l’indépendance du Civen pourtant transformé en AAI par la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013. Suite à la censure par le Conseil constitutionnel des modalités de renversement de la présomption de causalité que cette autorité met en œuvre pour l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires (Cons. const., déc. n° 2021-955 QPC, Mme Martine B.), la doctrine en vient d’ailleurs à questionner l’utilité même de cette AAI[2]. De manière plus générale, l’indépendance des AAI fait l’objet de toutes les attentions de la part des pouvoirs publics comme en atteste l’énième clarification relative à la rémunération des membres des AAI, notamment celle des personnes exerçant les fonctions de présidents par interim[3].
Sans remettre en cause leur indépendance, le contrôle juridictionnel portant sur leur activité permet de garantir qu’elles n’outrepassent pas leurs pouvoirs. D’une part, le juge est amené à contrôler l’interprétation du droit qu’elles retiennent dans leur activité consultative. Ainsi, le dans un arrêt du 9 novembre 2022 n° 449863, le Conseil d’État a par exemple remis en cause l’interprétation restrictive de la communicabilité des listes électorales retenue par le ministère de l’intérieur et confirmée par la CADA afin de garantir le principe d’égalité des candidats aux élections locales[4]. D’autre part, le contrôle juridictionnel peut aussi s’exercer sur l’activité répressive des AAI et prend alors une autre dimension par la possible remise en cause de la proportionnalité des sanctions prononcées ou par le rappel des principes du procès équitable. La décision n° 20-D-04 du 16 mars 2020 prise par l’Autorité de la concurrence pour condamner la société Apple ainsi que deux autres sociétés, le groupe Tech Data et le groupe Ingram, à payer une amende cumulée supérieure à 1,24 Md€ témoigne de l’importance de son pouvoir de sanction contre les pratiques anti-concurentielles[5]. La Cour d’appel de Paris a néanmoins réformé la décision rendue par l’Autorité de la concurrence pour réduire le montant de l’amende à 416 Ms€, encadrant ainsi le pouvoir de dissuasion du régulateur (6 octobre 2022, Société Apple France, n° 20/085827). Le pouvoir de sanction de la CNCCFP a également fait les frais du contrôle du juge administratif cette fois. Dans un arrêt du 14 octobre 2022, n° 462762, le Conseil d’Etat a remis en cause l’invalidation par la CNCCFP des comptes de campagne de deux conseillers départementaux ayant entrainé leur inéligibilité. Le juge précise en effet que si la Commission n’est pas tenue d’inviter les candidats à régulariser les manquements qu’elle constate, elle doit les informer des motifs pour lesquels elle envisage de rejeter leurs comptes, afin de leur permettre de les régulariser avant qu’elle ne statue, rappelant ainsi le régulateur des élections au respect du principe du contradictoire.
Qu’elles soient confortées ou non dans leurs missions et leurs compétences, les AAI ont continué à déployer leurs efforts au cours de l’année 2022 dans leurs rôles d’affirmation des droits (I), de participation au fonctionnement démocratique (II) et d’accompagnement des transformations sociétales (III).
Emilie Debaets, Valérie Palma-Amalric et Julia Schmitz, Maîtres de conférences en droit public – Institut Maurice Hauriou, Université Toulouse Capitole
I. L’affirmation des droits
Les AAI contribuent à garantir l’effectivité des droits et libertés fondamentaux, mais également à mieux les reconnaître, voire, dans une perspective plus doctrinale, à mieux les connaître. Il en est ainsi du droit à l’intimité dont la réaffirmation par certaines AAI soulève la question des moyens de sa protection (A). De manière générale, si la vigilance des AAI se porte sur la question des effets de la consécration de chacun des droits qui sont au cœur de leur mission, l’effectivité des droits devient en elle-même l’objet d’une interrogation transversale et collective (B).
A. La reconnaissance du droit à la protection de l’intimité
Si le droit à la vie privée est depuis longtemps reconnu[6], le droit à l’intimité fait l’objet d’une identification plus confuse[7]. Il apparaît souvent comme une des composantes du droit à la vie privée, lié à la vie sentimentale ou sexuelle, ou comme une prérogative l’accompagnant[8]. Le CGLPL et le DDD se sont saisis de cette notion, pour approfondir la question des moyens de sa protection.
De la définition de l’intimité comme droit de se cacher des autres. Du latin intimus, « ce qui est le plus en dedans, au fond », l’intimité se rapporte à ce qui se trouve dans la couche profonde de la vie privée, pour en constituer le noyau dur. Elle renvoie ainsi au for intérieur, à ce qui constitue la personne ou la détermine et déborde alors du droit à la vie privée pour entrer en contact avec d’autres droits et libertés tels que le droit à l’intégrité physique et morale ou la liberté de conscience et de religion. Comme le montrent les analyses des deux AAI, l’intimité peut alors se manifester à travers une multitude de dimensions, corporelle, sexuelle, spirituelle, familiale, ou relationnelle. Ces études révèlent également que la caractéristique du droit à l’intimité réside dans la capacité d’une personne à maintenir sa sphère privée, son intériorité, à l’abri des regards extérieurs. Comme le rappelle le CGLPL dans son étude sur L’intimité au risque de la privation de liberté, « est intime ce qui « est tout à fait privé, et généralement tenu caché aux autres » » (Préface, p. XV). Le rapport annuel 2022 du DDD relatif aux droits de l’enfant intitulé La vie privée : un droit pour l’enfant évoque ce qui relève de l’intime comme « ce que l’on ne souhaite pas soumettre aux regards des autres, ce qui doit n’appartenir qu’à soi » (Introduction, p. 7)[9].
La protection de l’intimité et la privation de liberté. L’atteinte à l’intimité se manifeste plus particulièrement lorsque la personne se trouve en situation de vulnérabilité en raison de sa dépendance à une autorité dans ce qu’elle peut avoir de plus intrusif, comme dans les lieux de privation de liberté. Puisque les personnes privées de liberté se trouvent sous l’entière dépendance des autorités chargées de leur garde, c’est-à-dire de leur surveillance mais aussi de leur protection, l’ensemble de leur existence se trouve sous leur regard constant. Afin de mettre en évidence « cette dissimulation constante de soi », le regard du CGLPL cartographie toutes les situations d’atteinte à l’intimité des personnes dans les différents lieux de privation de liberté (Préface, p. XIV).
A commencer par une soumission permanente au regard des autres en raison de la promiscuité, ainsi qu’à celui des personnels de surveillance. La logique du Panopticon telle qu’a pu la décrire Michel Foucault[10], est ainsi symbolisée par l’œilleton des portes de cellules, les façades vitrées des geôles de commissariat, les fenestrons des établissements de soins psychiatriques (pp. 2-4), ou par les dispositifs de surveillance visuelle ou auditive à distance (p. 11). L’atteinte à l’intimité des personnes peut également provenir de « l’absence de maîtrise de la luminosité » (p. 16) comme le soulignait déjà une autre étude transversale du CGLPL publiée en 2019 sur La nuit dans les lieux de privation de liberté (p. 15).
De même si la pratique des fouilles à nu en prison est symptomatique de l’atteinte à l’intimité des personnes en ce qu’elle touche à la question de la nudité, des dispositifs d’investigation moins intrusifs se retrouvent dans tous les lieux de privation de liberté et contraignent les personnes à subir des palpations répétées, à révéler ou à se défaire de leurs effets personnels selon des modalités qui sont parfois vécues comme autant d’humiliations (pp. 22-43). Il en est de même des moyens de contrainte physique auxquelles les personnes peuvent être soumises tels que le port de menottes, de ceinture abdominale ou de liens de contention qui les exposent au regard des autres en les stigmatisant par un rapport de soumission et exacerbent la dépendance des personnes enfermées aux personnels. Il en est ainsi de certains actes intimes que les personnes ne peuvent plus réaliser seules ou sans un regard extérieur : « uriner et déféquer, se moucher ou se gratter le nez, manger, rester propre, etc. » (pp. 45-46 et 52-55).
Si l’intimité au sens corporel, comme la satisfaction des besoins primaires, est fortement impactée dans les lieux de privation de liberté, il en est de même de l’intimité au sens spirituel, ce que l’on peut nommer le « jardin secret », « le domaine réservé des sentiments ou pensées intimes que l’on souhaite garder exclusivement pour soi et en soi » (p. 59), qui est menacée par le contrôle permanent des relations familiales, sociales, sexuelles, des correspondances, des entretiens, des besoins médicaux ou des activités par les autorités de prise en charge, ainsi que par l’intrusion dans les consciences des personnes privées de liberté par les dispositifs d’évaluation de la dangerosité (p. 64).
La protection de l’intimité des enfants. Comme le souligne le CGLPL, l’exigence de protection de l’intimité est renforcée pour la personne mineure placée en centre éducatif fermé qui a droit au « respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité » (art. L 311-3 du code de l’action sociale et des familles). C’est tout l’intérêt du rapport du DDD de montrer que pour les mineurs également, le droit à l’intimité se détache plus nettement de la notion de vie privée et familiale. Les mineurs évoluent, tout comme les personnes privées de liberté, dans une situation de dépendance, soumis à l’autorité parentale ou aux contraintes des institutions qui les prennent en charge dans toutes les dimensions de leur existence, là encore pour assurer leur développement, leur sécurité et leur santé. L’intimité y apparaît alors comme le moyen de protéger l’effectivité de leur vie privée, « leur espace d’intimité », « de préserver leurs secrets » (Éditorial, p. 4), y compris face au cercle familial.
Le droit à l’intimité des enfants entre également en contact avec d’autres droits, lesquels, s’ils sont bafoués, portent alors une double atteinte. Ainsi en est-il du droit d’être protégé contre toute forme de violence, de connaître ses parents, d’être entendu, du droit à l’image ou à la protection des données personnelles, à l’information, au consentement et au secret médical. Les situations de violence constituent particulièrement des atteintes amplifiées à l’intimité de l’enfant, en raison d’une atteinte à la fois directe mais aussi indirecte par la multiplication des contrôles et des intrusions le forçant à s’exposer au public (Éditorial, p. 4 et pp. 20-21). Autre caisse de résonnance du droit à l’intimité des enfants, la révolution numérique invite à « une vigilance particulière » en ce que les réseaux sociaux perturbent les frontières de leur vie privée (pp. 11-14).
Pouvoir doctrinal et propositions normatives. Mettant ainsi en œuvre leur pouvoir doctrinal, ces deux AAI ont permis d’ouvrir des pistes de recherche et d’évolution normative stimulantes. Les recommandations du CGLPL font référence aux Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté publiées au Journal officiel le 4 juin 2020. Ce renvoi prend ici tout son sens. Adeline Hazan, alors Contrôleure générale, avait en effet précisé que ce « droit souple » pouvait permettre d’aller au-delà du droit positif et combler ses lacunes[11]. Le respect du droit à l’intimité des personnes privées de liberté en est une, même s’il commence à faire de timides apparitions dans la législation.
Le législateur est ainsi venu encadrer l’atteinte à l’intimité des personnes enfermées par les dispositifs de vidéosurveillance dans les cellules des établissements pénitentiaires[12] (art. L 223-11 du code pénitentiaire) et dans les locaux de garde-à-vue[13] (art. L 256-3 du code de la sécurité intérieure) pour préciser qu’un pare-vue doit être fixé pour garantir « l’intimité de la personne tout en permettant la restitution d’images opacifiées ». Également, la rédaction à droit pourtant constant du nouveau code pénitentiaire publié le 1er mai 2022, a finalement pris en compte le droit vivant en intégrant au sein des dispositions relatives à la propreté des locaux de détention une jurisprudence du Conseil d’Etat du 19 octobre 2020 pour préciser que « lorsqu’une cellule est occupée par plus d’une personne, un aménagement approprié de l’espace sanitaire est réalisé en vue d’assurer la protection de l’intimité des personnes détenues » (art. R321-3 du code pénitentiaire).
Le respect de l’intimité des enfants constitue également un angle mort du droit positif car, comme le souligne le rapport du DDD, si le droit à la vie privée des enfants est consacré par l’article 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant, il est « peu reconnu en pratique et doit être concilié avec leur besoin de protection » (Introduction, p. 7) et n’a en réalité « rien d’une évidence » (Editorial, p. 4). Son respect n’est pas non plus consacré par la récente loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. S’écartant de l’appréhension classique de la garantie du droit à la vie privée par l’abstention des autorités extérieures, le DDD invite à rechercher ce que respecter l’intimité des enfants « impose de faire plutôt que de ne pas faire » (Éditorial, p. 4). Ses recommandations portent ainsi sur des mesures concrètes : disposer de lieux dont les portes peuvent être verrouillées de l’intérieur, disposer d’un logement permettant de se mettre à l’écart, développer tout ce qui peut permettre à l’enfant de maîtriser la préservation de sa vie privée, de se construire et se déterminer en tant que personne, comme l’éducation à la sexualité, au numérique, aux droits.
Julia Schmitz, Maître de conférences en droit public
B. Les réflexions sur l’effectivité des droits
En 2022, la CNCDH a rappelé dans son Avis sur l’accès aux droits et les non-recours « l’inutilité de créer des droits sans mise en œuvre effective ». Ce que souligne l’AAI ici est que la proclamation de normes, si nombreuses soient-elles, ne garantit pas nécessairement la protection effective des droits et libertés. Une remarque analogue peut être faite au sujet des condamnations par les juridictions supranationales. Par exemple, la condamnation de la France par la CEDH en 2020 dans l’arrêt J.M.B c. France n’a pas eu le retentissement escompté dans l’amélioration effective du respect de la dignité humaine en détention (CNCDH, Avis A-2022-5 sur l’effectivité des droits fondamentaux en prison). C’est donc de façon globale que la protection des droits et libertés doit être envisagée, en intégrant la question de l’effectivité des droits a posteriori de l’édiction des normes[14]. L’effectivité des droits peut être définie comme le « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »[15]. Derrière la question de l’effectivité des droits, se pose dès lors donc celle de l’application de ces derniers, de leur concrétisation dans le monde des faits et ainsi de leurs effets[16]. Cette problématique fait l’objet d’une réflexion collective des AAI, parfois par le biais de rapports entièrement dédiés à cette question (CNCDH, Avis sur l’accès aux droits et les non-recours ou encore CNCDH, Rapport « Orientation sexuelle, identité de genre, intersexuation : de l’égalité à l’effectivité des droits »). Cette réflexion et les solutions proposées par les AAI s’articulent autour de deux points de vue. D’abord celui des individus pour permettre une effectivité relativement directe des droits. Ensuite celui plus collectif dans lequel une refonte des politiques publiques est proposée pour assurer l’effectivité des droits de façon pérenne. Enfin, il est essentiel de noter le rôle déterminant des AAI comme supports et soutiens privilégiés de l’effectivité des droits.
Renforcer les moyens financiers et humains pour favoriser rapidement l’effectivité des droits. Afin d’assurer l’effectivité des droits des individus de façon relativement immédiate et pratique, les AAI recommandent l’octroi de moyens supplémentaires, tant sur le plan purement financier que sur le plan humain. Cela passe par le recrutement de personnes qualifiées ou encore la mise à disposition de locaux adaptés afin que les droits soient matériellement effectifs. Ce type de recommandation est particulièrement visible au sein d’institutions clairement identifiées à l’instar des écoles ou des prisons.
Dans les écoles, le DDD rappelle en 2022 (Rapport sur l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap) la mauvaise adaptation structurelle des établissements tant dans les locaux que dans les enseignements et la pédagogie. Ces lacunes sont ici accentuées par le manque de moyens humains, particulièrement d’accompagnants des élèves en situation de handicap dont le statut précaire ne permet naturellement pas un recrutement suffisant et pérenne pour assurer aux élèves un accompagnement durable. Cette inadaptation de l’institution ne permet pas alors d’assurer le respect des textes nationaux et internationaux assurant aux enfants un droit à l’éducation[17]. De la même façon, dans son rapport La vie privée un droit pour l’enfant, le DDD rappelle que pour assurer la protection de la vie privée des enfants davantage de moyens doivent être engagés pour prévoir des logements décents aux enfants mal logés.
Dans les établissements pénitentiaires, le constat accablant de l’ineffectivité du respect de la dignité humaine est souligné par la CNCDH qui demande dans son Avis sur l’effectivité des droits fondamentaux en prison l’amélioration des conditions matérielles de détention par la rénovation, la restructuration des cellules de prison et de l’ensemble des locaux pour assurer le droit au respect de l’intégrité physique et psychique, ou encore de la vie privée. Comme le rappelle le CGLPL (Avis du 11 février 2022 relatif à l’interprétariat et à la compréhension des personnes privées de liberté), le manque, à tous les moments de la privation de liberté, de personnel formé dans l’interprétariat empêche de fait l’effectivité de nombreux droits liés à l’accès à des informations essentielles sur leur situation du point de vue de la justice, de l’administration ou de la santé.
Enfin, c’est également le manque de ressources humaines, empêchant alors l’effectivité du droit à la protection de la santé, qui a conduit la HAS à se prononcer positivement sur l’élargissement des compétences vaccinales à de nouveaux personnels de santé (infirmiers, pharmaciens, sage-femmes) afin d’améliorer la couverture vaccinale (Recommandation du 23 juin 2022).
Repenser les politiques publiques pour assurer durablement l’effectivité des droits. En plus de ces solutions ciblées et pratiques, les AAI proposent des réflexions et recommandations collectives pour endiguer le phénomène de l’ineffectivité des droits. Dans cette perspective, l’avis de 2022 de la CNCDH sur l’Accès aux droits et les non-recours est exemplaire. En effet la Commission rappelle ici la nécessité « de ne pas faire reposer sur les citoyens la responsabilité des non-recours ». C’est donc l’ensemble de la « chaîne » de l’effectivité des droits qui doit être repensée, à savoir la formulation des droits, l’accès aux recours, ou encore la possibilité de connaitre l’existence des droits.
Une réflexion sur les modifications systémiques à opérer dans les politiques publiques doit d’abord passer par une démarche évaluative de l’effectivité des droits. Dans le cas de l’avis précité de la CNCDH, il s’agit d’identifier les causes et les ressorts du non-recours aux droits pour trouver des solutions adaptées afin d’y répondre à l’avenir. Dans cette perspective, le DDD a publié les résultats d’une enquête relative aux discriminations (Premiers résultats de l’enquête ACADISCRI) diffusée au sein des universités à partir de 2021. Cela a permis d’établir l’ineffectivité de nombreux textes, notamment des directives européennes contre les discriminations, en dépit de l’existence des politiques sensées les appliquer (près d’une personne sur deux relate avoir subi un traitement inégalitaire). La densité de l’enquête a également permis d’identifier les personnes visées ainsi que le type de discriminations subies et, là encore, de réfléchir à des politiques publiques mieux ciblées.
Ce type d’évaluation met donc en exergue la nécessité d’insérer d’autres critères dans les politiques publiques pour améliorer l’effectivité des droits. Cela est précisément recommandé par la CNCDH dans son Avis relatif aux inégalités sociales de santé publié en 2022. Constatant l’impact des facteurs socio-professionnels sur l’espérance de vie et entrainant une inégale « garantie du droit à la santé », la CNCDH recommande d’associer à l’élaboration des politiques de réduction des inégalités les facteurs socio-économiques grâce à la collaboration de la médecine scolaire, de celle du travail mais aussi, de façon plus originale, de la Délégation interministérielle de l’hébergement et l’accès au logement. Il convient de noter que dans une démarche réflexive, certaines AAI ont-elles mêmes fait évoluer leurs propres méthodes de travail afin de renforcer l’effectivité des droits. C’est le cas de la HAS qui intègre depuis 2020, les critères du sexe et du genre dans la méthodologie de recherche de l’ensemble de ses travaux afin de mieux protéger les droits des personnes concernées (Rapport « Sexe, genre et santé » : et après ?).
Enfin, une réflexion collective sur l’effectivité des droits passe nécessairement par la démocratisation de l’élaboration des politiques publiques. Dans le même avis sur les inégalités sociales, la CNCDH souligne l’importance du levier de la démocratie sanitaire, grâce au soutien des ARS, pour associer les usagers et patients dans les orientations politiques. Sur un sujet tout autre, mais avec une démarche analogue, la même Commission suggère dans l’Avis sur L’effectivité des droits fondamentaux en prison de « changer de paradigme pour lutter contre la surpopulation carcérale » grâce à la mise en place d’une grande réflexion associant la société civile pour opérer des changements systémiques des politiques pénales et pénitentiaires.
Les AAI : interlocutrices privilégiées pour l’effectivité des droits. Enfin, en attendant la mise en œuvre de politiques plus satisfaisantes sur le plan de l’effectivité des droits, certaines AAI sont des leviers immédiats de la protection des droits et libertés. En ce sens, la plateforme AntiDiscriminations proposée par le DDD à destination des victimes, mais aussi des témoins, de propos haineux, violents ou de potentielles discriminations apparait comme particulièrement intéressante. Son fonctionnement très pragmatique permet le recours à l’expertise de juristes afin de qualifier juridiquement les situations rapportées et éventuellement d’orienter les victimes vers une aide du DDD.
Cette volonté d’être un acteur clef en faveur de l’effectivité des droits est également visible pour le CGLPL. En effet, grâce à la création d’une « banque de données fiables et impartiales des prisons » l’autorité entend jouer un rôle déterminant auprès des différentes personnes et institutions (magistrats, avocats, captifs) en lien avec les lieux de privation de liberté (Rapport d’activité 2021). La mise à disposition de ces « fiches prisons » est un moyen de mettre ses activités de visites et de contrôles au service de la réussite des recours juridictionnels, notamment celui contre les conditions de détention indignes créé par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021, avec l’idée qu’un recours effectif permettra l’effectivité du principe de dignité.
Valentine Vigné, Doctorante en droit public, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
II. La participation au fonctionnement démocratique
En parallèle de leur rôle de garantie des droits et libertés, les AAI constituent également des garde-fous dans le maintien des conditions générales dans lesquelles l’Etat de droit peut s’épanouir. Faisant œuvre de sentinelles démocratiques, elles veillent à la garantie de la transparence (A), à la nécessité du débat public et politique (B) ainsi qu’à l’exigence de déontologie en matière d’action publique (C).
A. L’exigence de transparence
La transparence comme fondement du droit à participation du public. L’objectif de transparence est satisfait par la transmission d’informations. Délivrer une information fiable et complète est essentiel pour une participation effective du public à l’élaboration des projets ou politiques publiques, en particulier en matière environnementale. La CNDP garantit le droit à l’information et à la participation sur les projets ou les politiques qui ont un impact sur l’environnement, elle se positionne comme un intermédiaire vecteur de transparence. Afin de contribuer à la réalisation de ces missions, plusieurs évolutions récentes sont à souligner.
En tirant les conséquences de 25 ans d’expérience, la CNDP a conclu que le public a pour ambition d’être davantage consulté sur les projets qui impactent son environnement (Communiqué de presse du 3 juin 2021). Il faut d’ailleurs noter une forte progression des sollicitations de la commission depuis 2017, surtout pour les « grands projets » (Rapport d’activité 2021). Cependant, l’exercice du droit à participation est indissociable du droit à l’information : la participation ne peut intervenir que lorsque l’ensemble des informations liées aux projets est transmis. La commission a développé une nouvelle identité visuelle qui a « vocation à fixer un cadre cohérent et facilement reconnaissable permettant au public de savoir que le débat public ou la concertation sont garantis par la CNDP » (v. Communiqué de presse du 3 juin 2021). Son nouveau site internet offre aussi la possibilité à chacun de s’informer sur les procédures encadrées par la CNDP, ce qui contribue ainsi à une participation effective du public. Afin de clarifier ses missions et son champ d’intervention, la commission a publié en avril 2022 un guide juridique et pratique intitulé « mode d’emploi de la CNDP ». À destination des décideurs mais aussi du public, ce guide a pour ambition de leur permettre de mieux connaître le droit et les procédures applicables. Développé dans une perspective de transparence et de lisibilité, il est articulé autour de trois éléments clés : le rôle de la CNDP, les circonstances pouvant conduire à la solliciter et les mesures qu’elle peut mettre en œuvre (Mode d’emploi de la CNDP).
Délivrer une information fiable et complète est essentiel également dans la recherche d’un « comportement facilitateur »[18] notamment en période de crise comme le montre l’exemple de l’accident nucléaire ou radiologique. L’ASN « place l’information des publics au cœur de son activité » (Rapport d’activité 2021). La gestion d’un accident nucléaire ou radiologique impose une réaction rapide, à court terme, afin de stabiliser l’installation et mettre fin aux rejets toxiques, il s’agit d’une phase d’urgence. À cette phase d’urgence succède une phase post-accidentelle, d’abord marquée par une période de transition lors de laquelle il s’agit d’évaluer la contamination de l’environnement, puis une période de long terme où la contamination du territoire est durable, avec une exposition faible mais chronique aux substances toxiques. Outre l’intervention des experts et des pouvoirs publics une fois l’incident survenu, la potentialité d’un tel événement impose d’anticiper la gestion du risque, en s’appuyant sur l’implication totale des populations concernées. Dans ces circonstances, la transmission d’information doit conduire la population à adopter un « comportement facilitateur ».
Le Comité Directeur pour la gestion de la phase Post Accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (CODIRPA) mis en place par l’ASN en 2005, a dressé un ensemble de recommandations à destination des acteurs de la gestion post-accidentelle (Recommandations pour la gestion post-accidentelle d’un accident nucléaire). Ces recommandations mettent en évidence la nécessité d’impliquer la population et les élus le plus tôt possible dans la gestion de la phase post-accidentelle mais aussi de renforcer la formation et la sensibilisation des populations autour des sites nucléaires. L’objectif est de développer en amont une culture de sécurité et de radioprotection avec la préparation des populations, de faire en sorte que les citoyens « acquièrent les bons réflexes » dans la mesure où « le retour d’expérience des crises récentes montre qu’une gestion efficace de la crise requiert l’information et la participation des citoyens dès la préparation des plans d’urgence et lors des exercices » (Note d’information – Sensibilisation au risque nucléaire lors de la Journée de la résilience). Afin d’accroitre la sensibilisation et l’information des populations, des supports pédagogiques ont été élaborés grâce à l’intervention d’experts. Le CODIRPA a compilé dans un guide publié en 2022 près de 200 questions liées aux risques et aux conséquences sur la santé d’un accident nucléaire ou radiologique. Par ailleurs, l’ASN poursuit ses actions de sensibilisation des populations sur le terrain par la réalisation d’expositions grand public en collaboration avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ou encore par la participation à des exercices de crise nucléaire (v. op. cit.).
La transparence et le contrôle des politiques et décideurs publics. « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », telle est la formule retenue par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Ce contrôle se réalise notamment par l’accès aux archives et aux documents administratifs.
Les demandes formulées par les journalistes et les ONG occupent une part croissante des demandes de communication formulées auprès de la CADA (Rapport d’activité 2021). Dans la continuité de l’interprétation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (Conv. EDH) retenue par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 8 novembre 2016 Magyar Helsinki Bizottsag c. Hongrie n°18030/11) et le Conseil d’État (CE 3 juin 2020 n°421615, CE 12 juin 2020 n°422327), la CADA accorde un statut particulier à ces professionnels en cas de formulation d’une demande de consultation anticipée des archives dans le cadre du premier alinéa de l’article L 213-3 du code du patrimoine. Cette évolution traduit une subjectivisation dans la communication de ces documents puisque la commission met en balance la qualité du demandeur et son intérêt dans la transmission des documents demandés avec les intérêts que la loi a entendu protéger. Comme le souligne le président Nevache, le mouvement « pousse plus loin dans la transparence en faisant reculer dans certains cas la barrière que constituent les secrets protégés par la loi » (v. Rapport d’activité pour 2021, p. 6).
Cette mise en balance des intérêts a conduit la CADA à rendre un avis favorable pour la communication des cahiers citoyens (Avis 13 janvier 2022 n°20215856) malgré les informations sensibles qu’ils contenaient. La commission s’est appuyée sur les articles 15 de la DDHC et 10 de la Conv. EDH et a pris en compte l’intérêt légitime du demandeur, sa qualité de journaliste et les engagements de confidentialité adoptés. Cette mise en balance résulte d’un « examen minutieux des dossiers et tradui[t] la recherche permanente d’un subtil équilibre entre la transparence administrative et la préservation des secrets » (Rapport d’activité préc., p. 29).
En dépit d’un changement de position en ce qui concerne l’accès aux archives, la CADA a réaffirmé l’absence de hiérarchie entre les demandeurs concernant l’accès aux documents administratifs tel que prévu par l’article L 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, alors même que le tribunal administratif de Paris a indemnisé un journaliste pour le préjudice matériel et moral résultant du retard pris dans la communication de documents administratifs en raison des conséquences de ce retard sur son activité professionnelle (TA de Paris, 11 mars 2021 n°1910674 – 1910661).
Au delà des politiques publiques, le contrôle concerne aussi de plus en plus les responsables politiques et, par conséquent, les partis. Dans son dernier rapport d’activité la CNCCFP a mis en exergue les difficultés rencontrées dans l’exercice de ses missions. Pour y remédier, la conclusion du rapport met en avant trois solutions prenant la forme de suggestions d’évolutions législatives. Elles ont pour ambition d’étendre les droits d’accès à l’information de la CNCCFP. En effet, elle disposerait d’abord de la possibilité de demander directement des justifications complémentaires aux prestataires des candidats. Elle disposerait également d’un pouvoir de consultation du fichier des comptes bancaires FICOBA afin d’identifier le titulaire d’un compte finançant la vie politique, et de la possibilité de saisir Tracfin afin de vérifier que les mouvements financiers sur les comptes alimentant une campagne ont bien fait l’objet de déclaration. Enfin, la dernière proposition lui permettrait d’accéder en temps réel à la comptabilité des partis politiques soutenant les candidats aux élections afin de veiller à ce que les dépenses prises en charge par le parti au profit d’un candidat aient bien été déclarées, justifiées par une pièce et retracées dans le compte de campagne (Conclusion du rapport d’activité pour 2021).
Ces trois propositions ont été reprises et réunies dans un amendement au projet de loi de finances pour 2023. Cependant, cet amendement a été rejeté par la Commission des finances le 21 octobre 2022, en raison du fait qu’il portait sur l’extension des pouvoirs de la CNCCFP et s’inscrivait en dehors du domaine de la loi de finances (Rapport général n°115 pour 2022-2023). Il appartient désormais au législateur de se saisir de ces propositions en dehors de la procédure budgétaire pour étendre et faciliter l’exercice des pouvoirs de contrôle de la commission.
Capucine Colin, Doctorante en droit public, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
B. L’exigence de débat avec et pour le public
Au nom de l’exigence de transparence, l’information ne vaut ainsi que si elle est mobilisée pour répondre à des besoins, clarifier des analyses, instaurer des débats. En cela, par son dynamisme, le débat semble s’incarner comme la forme idéale d’appropriation et d’implication des citoyens au processus décisionnel.
Extension du périmètre du débat public. Dans son rapport d’activité pour l’année 2021, la CNDP a su faire preuve d’exemplarité en montrant que le débat public répondait à une réelle demande sociétale et ne se cantonnait pas à de vaines incantations[19]. Selon ses propres termes, « le besoin de participation s’impose par l’ampleur de la transition écologique qui interroge nos modes de vie et notre modèle de développement. L’exigence de participation est imposée par un public toujours plus défiant et attentif aux risques d’instrumentalisation » (p. 4). Par son action dans le domaine environnemental, cette AAI contribue en effet à garantir l’effectivité de l’article 7 de la Charte de l’environnement proclamant un droit constitutionnel à l’information et à la participation à l’élaboration des décisions publiques. En termes de chiffres, seulement trois projets ont été abandonnés à l’issue des débats publics et près de 60 % ont été modifiés dans leur conception et leurs grandes caractéristiques. Dans cette lignée, la CNDP est aussi toujours très performante dans la promotion de son institution et en profite pour « renouveler » son identité, fière d’un nouveau slogan (ou « baseline ») : « ma parole a du pouvoir ». Derrière une action en communication d’ordre ornemental se profilent plus simplement une clarification et un renforcement de ses missions, déjà entamés depuis plusieurs années. Elle a ainsi rappelé les principes directeurs de sa vision de la participation : la garantie d’un tiers garant indépendant du ou des décideurs et des parties prenantes ; une transparence des « règles du jeu » ; une reddition des comptes ou l’impact concret de la parole du public dans la décision finale ; un principe d’inclusion visant à faciliter l’accès aux débats, quelles que soient les catégories sociales pour adopter une acception la plus large possible du « public ».
Parmi les grands thèmes récemment abordés se retrouve celui de la transition énergétique et nucléaire. En effet, à la suite à sa recommandation du 1er décembre 2021 (avis n° 2021/159), la CNDP a été sollicitée par le ministère de la Transition écologique pour une mission de conseil méthodologique sur la mise en place de la « concertation nationale sur le système énergétique de demain ». Elle a ensuite formulé, le 25 avril 2022, une proposition de thèmes sur la concertation, les méthodes et les « options de gouvernance ». S’inspirant largement de ces propositions, le Gouvernement a lancé ladite concertation, qui s’est déroulée d’octobre 2022 à janvier 2023 et dont le bilan est attendu avec impatience. À noter qu’en parallèle, la CNDP a ouvert un débat public sur le Programme de nouveaux réacteurs nucléaires et d’une première paire de réacteurs EPR2 à Penly, en Normandie, qui a eu lieu d’octobre 2022 à février 2023. Conformément aux dispositions de l’article L. 121-1 du Code de l’environnement, ce débat a été décidé par la CNDP, qui a été seule organisatrice et pilote. Les attentes étaient donc grandes. La Présidente de la CNDP n’a d’ailleurs pas manqué d’appuyer le caractère indispensable de cette mobilisation[20] qui, pour certains, demeure encore trop idéalisée notamment eu égard à la technicité du sujet, dénonçant des concertations relevant « tantôt du café du commerce, tantôt du combat idéologique, sans jamais pouvoir faire émerger un diagnostic qui permettrait aux Français de se forger une opinion raisonnable sur un sujet crucial »[21]. Dans tous les cas, 2023 promet d’être une année riche en décisions et en participation du public dans le domaine de l’énergie. D’ici le 1er juillet 2023, en effet, la loi de programmation sur l’énergie et le climat devra déterminer les priorités d’action de la politique énergétique nationale en fixant les grands objectifs de la future Programmation pluriannuelle de l’énergie et la Stratégie nationale bas-carbone.
Ne s’arrêtant pas là, le débat public poursuit sa conquête des grands débats de société. La CNCDH a elle aussi apporté sa pierre à la réflexion sur la question de la fin de vie (Avis A-2022-2, 17 févr. 2022). Dans un contexte où la crise sanitaire a fait ressortir les faiblesses du système médico-social en matière d’accompagnement de la fin de vie et très récemment, avec les jurisprudences relatives aux directives anticipées (Cons. const., n° 2022-1022 QPC, 10 nov. 2022 ; CE 29 nov. 2022, n° 466082), la Commission constate un phénomène d’acculturation toujours persistant au sein de la société civile, puisque l’existence même du débat demeure encore trop ignorée du public. On revient là à un aspect fondamental de la participation : la nécessité pour ses acteurs potentiels d’être informés des procédures mises à leur disposition. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à le constater. Le rapport d’information du Sénat relatif aux soins palliatifs note lui aussi une carence en information et plaide pour une plus grande implication institutionnelle, notamment du CCNE et du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV). Par ailleurs, à l’occasion des états généraux relatifs à la révision de la loi de bioéthique, deux ans après l’adoption de la loi Claeys Leonetti de 2016, le sujet de la fin de vie a finalement été exclu de la réforme de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Cette carence conforte ainsi la nécessité pour la CNCDH, dans son avis 2022-2, de « réintroduire dans la conscience collective que la mort fait partie intégrante de la vie elle-même et qu’elle doit impérativement être accompagnée dans le respect de la dignité de chacun, jusqu’au bout » (p. 8). Elle y formule, à ce titre, seize recommandations (pp. 28-30) s’orientant principalement sur la nécessité de replacer la question de la fin de la vie au centre du débat public, en s’assurant d’une plus grande participation des personnes au système de santé, de multiplier lieux et moments de rencontres intergénérationnelles dans le secteur médico-social, de favoriser une meilleure prise en compte de la dimension qualitative de la fin de la vie tant dans l’accompagnement que lors de la prise en charge thérapeutique, ou encore d’organiser des états généraux sur la fin de vie. À l’instar des questions énergétiques, la nature du domaine concerné inclut fatalement toutes les populations et générations et met en avant la nécessité de poursuivre la logique d’inclusion propre au débat public.
L’organisation et le contrôle du débat politique. Pour finir, l’exigence du débat sert aussi à la connaissance des affaires politiques. Elle parachève ici le principe de pluralisme démocratique, dont l’expression la plus significative se retrouve dans les débats organisés lors des campagnes électorales. La question de l’effectivité de ce principe a été saisie par l’évaluation de l’Arcom dans son rapport de novembre 2022 sur les campagnes électorales présidentielles et législatives. Pour commencer, l’Autorité conclut à un bilan globalement positif de la couverture des campagnes de 2022, attestant que les principes d’équité et d’égalité en matière d’exposition médiatique des candidats ont été respectés. Si le nombre de plaintes déposées devant elle reste stable par rapport à l’année 2017 (p. 18 et 30), cette dernière regrette néanmoins l’absence de débats lors du premier tour de l’élection présidentielle. Elle évoque, à ce propos, des raisons d’ordre conjoncturel, dont la pandémie, la couverture médiatique importante consacrée à la guerre en Ukraine, ou encore l’annonce tardive de la candidature d’Emmanuel Macron. Malgré ces imprévus, elle ne manque pas pour autant de soulever des points d’amélioration. De manière générale, s’adaptant à l’évolution des médias, elle rappelle qu’un mode opératoire spécifique a été mis en place avec les opérateurs de plateformes pour tenir compte des risques de manipulation de l’information sur les réseaux sociaux en période électorale (p. 44). Elle ne manque pas ensuite de formuler un certain nombre de propositions relatives à l’organisation des élections. Pour les principales, elle recommande, par souci de clarté, de faire coïncider l’entrée en vigueur de ses recommandations avec la date d’ouverture de la période de recueil des parrainages de l’élection présidentielle par une modification du décret n° 2011-213 du 8 mars 2011 portant application de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel (p. 16). Dans une perspective similaire, elle plaide aussi pour une dissociation du temps de parole, correspondant au temps pendant lequel un candidat ou ses soutiens s’expriment, du temps éditorial, représentant l’ensemble des séquences consacrées à un candidat (Ibid.). Par souci d’inclusivité, en outre, elle poursuit sa volonté d’extension de l’accessibilité par la langue des signes à l’ensemble des campagnes audiovisuelles ayant trait à des scrutins nationaux (élections législatives, européennes…). Enfin, c’est surtout sur l’avenir de l’extension du débat qu’il est possible de pointer une autre proposition. Selon ses termes, elle rappelle également qu’elle « n’a pas compétence pour instituer un dispositif contraignant pour les radios et les télévisions. La création d’une commission des débats, à l’instar de ce qui existe dans d’autres démocraties (par exemple le Canada) serait susceptible d’aider à la sensibilisation des candidats et des médias aux avantages qu’ils retireraient de l’organisation de tels débats au bénéfice des électeurs » (p. 14).
L’exigence de débat montre ainsi de nombreuses perspectives quant à son émancipation, notamment par une volonté d’inclure un public toujours plus large et informé des possibilités qui lui sont offertes pour s’impliquer au sein de la communauté politique. Qu’il implique le public ou le personnel politique, qu’il demeure une option ou une obligation inhérente au processus décisionnel, le débat est encore loin d’avoir épuisé tout son potentiel. C’est là toute sa valeur ajoutée pour la démocratie.
Julien Marguin, Docteur en droit public, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
C. L’exigence de déontologie
Bien que trouvant ses inspirations premières dans le domaine de la morale – dans le sens où elle cherche à déterminer si « une action est bonne ou mauvaise, digne ou indigne, qu’elle mérite l’approbation ou le blâme »[22] ‒, la déontologie est principalement une notion juridique traitant de l’« ensemble des devoirs inhérents à l’exercice d’une activité professionnelle »[23]. Elle renvoie avant tout à un « corps de règles que le professionnel se doit de respecter, que ces règles soient d’origine morale ou issues de la réglementation technique »[24]. Si la déontologie a été longtemps inhérente aux professions libérales, son exigence s’est imposée comme une nécessité dans le secteur public[25]. Aussi, ces règles déontologiques se sont graduellement diffusées et multipliées jusqu’à devenir une préoccupation essentielle tant dans la fonction publique que dans le milieu politique. Le rôle des AAI dans cette diffusion n’est plus à démontrer, notamment avec la création de la HATVP. Non seulement le droit positif a su inclure les AAI dans la mise en pratique de la déontologie mais, réciproquement, les AAI ont aussi su s’en saisir. L’année 2022 poursuit la dynamique du développement de l’exigence de déontologie tant sur son contrôle que sur son étendue, confirmant ainsi la continuité du « moment déontologique »[26].
Le contrôle conforté d’une exigence. Sur ce point, la HATVP est le parangon. Depuis la suppression de la commission de déontologie de la fonction publique au profit de la HATVP (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique), les missions de cette dernière se sont intensifiées. Depuis le 1er février 2020, en plus de ses missions déontologiques traditionnelles de contrôle du patrimoine, des conflits d’intérêt et de la mobilité public/privé des responsables politiques, la HATVP a étendu son contrôle au cas de l’ensemble des agents publics. Si le contrôle du patrimoine incluait déjà certains hauts fonctionnaires (Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires), le contrôle de la mobilité public/privé concerne désormais l’ensemble des fonctionnaires et agents publics[27]. S’ajoute à cela le nouveau contrôle des projets de création ou de reprise d’une entreprise par des agents publics. Si le contrôle des incompatibilités avec les obligations de service public dûes aux cumuls d’activité était de la compétence de la commission de déontologie, il relève désormais de la HATVP. Aussi, l’année 2022 devait-elle être celle de la confortation des exigences déontologiques au travers des contrôles traditionnels comme nouveaux. Comme le disait Didier Migaud, président actuel de la HATVP, dans la perspective de l’année 2022, « la Haute Autorité sera pleinement mobilisée pour réaliser l’ensemble de ces contrôles de la manière la plus approfondie possible » (Rapport d’activité 2021). Dans le cas du contrôle classique des reconversions professionnelles des responsables politiques, ce sont 26 avis qui ont été rendus et le résultat affiche plutôt la rigueur de la HATVP : 22 avis de compatibilité avec réserves (85%), 3 avis d’incompatibilité (11%) et 1 seul avis de compatibilité sans réserve (4%). Sur les avis de compatibilité avec réserves, la ligne de la HATVP est claire et constante. Mises en garde et recommandations sont de rigueur face au risque pénal avec le délit de prise illégale d’intérêts, mais aussi face aux risques déontologiques. La compatibilité se trouve donc toujours dépendante d’un certain nombre de recommandations. Dans le cas de Jean-Michel Blanquer (Délib. n° 2022-273), de Jean Castex (Délib. n° 2022-380) ou de Muriel Pénicaud (Délib. n° 2022-434), il est précisé que « dans le cadre de [leur] activité professionnelle », ils « [devront] s’abstenir » d’un ensemble de comportements prohibés et listés qui feront « l’objet d’un suivi régulier par la Haute Autorité ». La HATVP a aussi prononcé des incompatibilités totales à l’encontre de Roselyne Bachelot qui souhaitait rejoindre Radio France (Délib. n° 2022-239), de Jean-Baptiste Djebbari qui voulait embarquer chez l’armateur CMA-CGM (Délib. n° 2022-123) et de Frédérique Vidal qui devait intégrer l’école de commerce Skema Business School (Délib. n° 2022-135). À degrés variables, la difficulté de chacune des situations reposait sur une incompatibilité marquée entre les activités envisagées et les fonctions publiques exercées au cours des trois dernières années. Parce que l’ancienne ministre de la culture « a signé, le 28 avril 2021, les contrats d’objectifs et de moyens des cinq entreprises publiques de l’audiovisuel, dont Radio France », parce que l’ancien ministre délégué était « chargé de suivre les politiques relatives à l’intermodalité, à l’aviation civile et aux applications satellitaires » et qu’il a rencontré à de nombreuses reprises les dirigeants du groupe CMA CGM et, parce que l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur, « a pris plusieurs décisions et conclu plusieurs contrats, au cours des trois dernières années, concernant Skema Business School », l’activité envisagée présente soit des risques « substantiels » d’atteinte à la déontologie (Délib. n° 2022-239 ; Délib. n° 2022-123), soit elle est proprement « incompatible » avec les fonctions gouvernementales qui ont été exercées, « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les risques déontologiques » (Délib. n° 2022-135).
Dans le cadre des nouveaux contrôles des agents publics par la HATVP, il semble qu’ il y ait un parallélisme des exigences déontologiques. Si le cas du contrôle des créations où des reprises d’entreprise n’affiche aucun nouveau cas pour l’année 2022, celui des reconversions professionnelles est plus fourni. Ce sont 12 avis qui ont été publiés, 10 avec réserves (84%), 1 incompatibilité (8%), 1 compatibilité sans réserve (8%)[28]. Si les deux contrôles trouvent des similitudes statistiques, ils en ont aussi dans les exigences. On retrouve dans le contrôle des agents publics exactement la même structure décisionnelle ainsi que la même vigilance que pour les responsables politiques. Sur les compatibilités avec réserves, la même démarche préventive de la HATVP contre le risque pénal puis le risque déontologique apparait. Les avis présentent ces deux volets puis concluent à des réserves strictes en vue de prévenir « tout risque de mise en cause du fonctionnement normal, de l’indépendance ou de la neutralité de l’administration » (Cf. par ex : Délib. n° 2022-284 ; Délib. n° 2022-99 ; Délib. n° 2022-195). En ce qui concerne l’avis d’incompatibilité, la motivation repose également sur une incompatibilité manifeste entre les activités envisagées et les fonctions exercées. L’affaire porte sur un directeur général des services souhaitant intégrer un groupe privé de gestion de cliniques dont, au cours de ses fonctions, il avait contribué à l’implantation (Délib. n° 2022-302).
Une exigence élargie et diffusée. L’année 2022 a été aussi placée sous le signe de l’élargissement du champ des exigences déontologiques comme de leur diffusion[29]. En effet, si les autorités centrales ont été très concernées par l’accroissement des exigences déontologiques, son extension au niveau local reste encore aujourd’hui un enjeu et la HATVP se saisit de la question depuis maintenant quelques années. Depuis le 1er juillet 2022, la HATVP a pris la décision d’étendre son répertoire des représentants d’intérêts à l’échelon local (Actualité, 03 juin 2022). Le lobbying, c’est-à-dire « les actions de représentation d’intérêt », ne concerne plus seulement les rapports avec les décideurs centraux. Les représentants d’intérêts inscrits devront déclarer leurs relations avec les décideurs locaux, tels que les présidents de conseil régional ou départemental, pourtant exclus du répertoire depuis sa création en 2017.
Sur un autre registre, la mise en œuvre du serment doctoral sera également une illustration de la diffusion de la déontologie dans le secteur public. Introduit dans le code de l’éducation par la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 sur la programmation de la recherche à la suite d’un amendement, l’exigence d’un serment doctoral est maintenant intégrée dans le nouvel arrêté du 26 août 2022 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat. Ce texte prescrit à « chaque établissement public d’enseignement supérieur » de faire évoluer leur « charte du doctorat en y intégrant un paragraphe relatif au respect des exigences de l’intégrité scientifique qui contient a minima le texte du serment des docteurs » (Art. 12) et ces derniers, « à l’issue de la soutenance et en cas d’admission », devront prêter serment (Art. 19 bis). Le nouveau dispositif interroge et l’Office Français de l’Intégrité Scientifique ‒ département du Hcères – publie le même jour, à des fins pédagogiques, une fiche documentaire et une fiche pratique sur le sujet. Si le premier document trace la genèse du serment doctoral, la fiche pratique en présente les implications concrètes. Le statut juridique du serment est, certes, « symbolique » mais il contribue à cette diffusion déontologique. Etant identique dans l’ensemble des établissements, il promeut « l’unicité du doctorat, le caractère universel de l’intégrité scientifique », peu importe les poursuites de carrière envisagées. Aussi, tous les doctorants, inscrits ou réinscrits à partir de septembre 2022, seront concernés par la signature des nouvelles chartes doctorales et devront prêter serment à la suite de leur soutenance. Alors que les enseignants-chercheurs étaient déjà concernés par le souci des règles déontologiques[30], les docteurs qui ne poursuivent pas forcément dans la voie académique le sont désormais aussi.
Des nouvelles perspectives de l’exigence. L’année 2022 a fourni une certaine actualité sur la déontologie au travers des AAI, mais elle a été aussi l’année des nouvelles perspectives. Les affaires sur les cabinets de conseil privés tels que McKinsey ont de nouveau stimulé la question de la transparence publique. Le Sénat a constitué une commission d’enquête exclusivement consacrée à la question et Didier Migaud a été justement auditionné par cette dernière. Selon lui, « de nouvelles pratiques, voire de nouvelles règles, sont certainement à définir pour garantir la transparence de ces prestations, s’assurer qu’elles se font dans un cadre déontologique strict » (Propos introductif, Audition du 26 janvier 2022 au Sénat). La commission a ainsi rendu ses conclusions le 16 mars 2022. Il s’agit d’un « phénomène tentaculaire » qui se trouve « au cœur des politiques publiques », là où « la transparence des prestations demeure la grande oubliée » (Rapport n° 578 (2021-2022)). Quelles sont les propositions faites pour endiguer ce dernier ? Il faut « renforcer les règles déontologiques des cabinets de conseil ». Comment ? Il faut « confier à la HATVP une nouvelle mission de contrôle des cabinets de conseil intervenant dans le secteur public » mais également « instituer une obligation de déclaration à la HATVP, par les cabinets de conseil, de leurs actions de démarchage auprès des pouvoirs publics ». Seulement trois mois plus tard, le 6 juin 2022, une proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques a été déposée au Sénat et a été adoptée par une écrasante majorité en première lecture. Cette dernière se trouve désormais à l’Assemblée. L’année 2023 s’annonce également riche en la matière.
Arnaud Bonfort, Doctorant en droit public, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice
III. L’accompagnement des transformations sociétales
Garantes de la reconnaissance et de l’effectivité des droits et libertés et gardiennes des principes structurels de l’Etat de droit, les AAI entendent aussi guider les transformations sociétales et passer au crible les nouvelles politiques publiques qu’elles suscitent en particulier en matière de révolution numérique (A), de changement climatique (B) et de paradigme sécuritaire (C).
A. Révolution numérique et droits fondamentaux
Les enjeux liés à l’exercice des droits fondamentaux face à la révolution numérique sont depuis plusieurs années au cœur des préoccupations des AAI. De manière individuelle ou de manière collective, les AAI ont notamment veillé au cours de l’année 2022 à accompagner les transformations du secteur public et du secteur privé et à définir un certain nombre de lignes rouges face à certains usages des nouvelles technologies en invitant le législateur français et européen à agir. Plus fondamentalement, la révolution numérique pourrait également conduire à la restructuration de certaines AAI d’un rôle de protection des droits fondamentaux à un rôle de régulation de l’innovation.
Accompagner la transformation numérique des secteurs public et privé. Les AAI ont veillé à ce que la révolution numérique fournisse des garanties essentielles pour les personnes concernées en poursuivant notamment les réflexions relatives à la collecte des données de santé par les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) et à la dématérialisation des services publics.
La collecte des données de santé par les OCAM a à nouveau mobilisé la CNIL cette année. Saisie de nombreuses plaintes relatives aux traitements des données de santé qu’elles effectuent, la CNIL a réitéré, en novembre 2022, dans une analyse juridique transmise aux OCAM elles-mêmes et au ministre de la santé, son souhait déjà exprimé en 2020 qu’une loi soit adoptée afin d’encadrer la transmission de ces données et de prévoir des garanties appropriées.
La dématérialisation des services publics entamée depuis plusieurs années s’est également retrouvée à nouveau au cœur de l’action du DDD. Trois ans après le premier rapport sur les risques et les dérives de cette transformation numérique « à marche forcée » (Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics), il est toujours saisi de nombreuses réclamations. Eu égard à l’augmentation de celles-ci et « à l’importance que l’institution attache à l’effectivité de son action » (p. 6), il a donc décidé de se pencher sur les actions mises en œuvre dans un nouveau rapport (Dématérialisation des services publics : trois ans après où en est-on ?). Mais c’est un bilan en demi-teinte. Si le plan d’inclusion numérique visant au renforcement des infrastructures (couverture du territoire en accès internet à haut débit, augmentation du taux de raccordement et de connectivité, etc.) et à l’accompagnement des usagers (espaces France services, conseillers numériques, etc.) profite aux usagers et contribue à améliorer la qualité des services publics, de nombreux dysfonctionnements persistent. Plusieurs catégories de personnes sont en effet toujours dans l’impossibilité juridique (détenus) ou dans l’impossibilité pratique (étrangers, personnes handicapées, personnes âgées, personnes en situation sociale précaire) d’accéder aux services publics et se retrouvent ainsi privés de plusieurs de leurs droits fondamentaux, notamment de leurs droits sociaux. Le Défenseur a ainsi formulé un ensemble de recommandations, déjà préconisées pour certaines en 2019. « La plus importante » d’entre elles « pour éviter une dégradation de la situation des usagers » (p. 6) vise notamment à la conservation de modalités d’accès multiples aux services publics. Le Défenseur affirme clairement que les services publics ne doivent pas enfermer l’usager dans une relation uniquement numérique et que le législateur devrait prévoir dans le code des relations entre le public et l’administration qu’aucune démarche ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. Le rapport s’interroge à cet égard sur le « renversement historique » d’un des principes du service public : l’adaptabilité. Celle-ci semble en effet devenir « une qualité attendue de l’usager, plutôt qu’une exigence qui incombe au service » (p. 25). A contre-courant des politiques publiques encourageant le recours aux téléservices, cette recommandation ne semble pas davantage pouvoir s’appuyer sur la jurisprudence récente du Conseil d’Etat qui reconnaît au pouvoir réglementaire la faculté d’imposer l’utilisation d’un téléservice sous certaines conditions (CE, 3 juin 2022, n° 452798, 452806 et 454716, Conseil national des barreaux et autres). Force est en effet de constater que « le Conseil d’État ne reconnaît aucun principe de non-dématérialisation totale ; il fait même de l’accès physique aux services publics un pis-aller, une solution de substitution valable pour les démarches les plus complexes et les situations les plus délicates, justifiant de démontrer l’insuffisance de l’accès à distance »[31].
Poser des lignes rouges à certains usages des nouvelles technologies. Les AAI sont intervenues à plusieurs reprises pour poser des lignes rouges face aux nouveaux risques pour les droits fondamentaux de certaines technologies en invitant le législateur français et européen à interdire certains usages des caméras intelligentes ou de systèmes d’intelligence artificielle.
La généralisation des caméras intelligentes, très intrusives, présente des risques nouveaux pour les droits fondamentaux : elle conduirait à un risque de surveillance et d’analyse systématique susceptible de modifier, en réaction, les comportements des personnes. Aussi, la CNIL a-t-elle pris position à l’issue d’une consultation publique (Caméras dites « intelligentes » ou « augmentées » dans les espaces publics). Sans remettre en cause l’utilité de certains usages, la CNIL recommande l’adoption d’une loi spécifique, comme celle adoptée en 1995 pour la vidéoprotection, afin de prévoir des garanties appropriées aux différents usages possibles, qui dépassent la seule prévention des infractions envisagée spécifiquement plus loin, et de fixer des lignes rouges telles l’interdiction d’utilisation à des fins de notation des personnes. La position de la CNIL fait d’ailleurs suite au rapport d’information du Sénat sur la reconnaissance biométrique dans l’espace public rendu le 10 mai 2022. Le rapport parlementaire recommande également l’adoption d’une loi d’expérimentation pour créer le débat, déterminer les usages de la reconnaissance biométrique qui pourraient être pertinents et efficaces et fixer des lignes rouges en interdisant la notation sociale, l’analyse d’émotions, la catégorisation des individus en fonction de leur origine, du sexe ou de leur orientation sexuelle ainsi que la surveillance biométrique à distance en temps réel dans l’espace public.
Le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) a quant à lui mobilisé plusieurs AAI. Si l’IA constitue une source de progrès en permettant d’optimiser les performances et la rentabilité du secteur privé et en contribuant à l’amélioration de la qualité du service public, elle est aussi une source de risques pour les droits fondamentaux du fait de l’asservissement de l’humain par la machine, de la manipulation des comportements, de la surveillance de masse, etc. Après la position de la CNIL et de ses homologues présentée en 2021 sur la proposition de règlement de l’UE sur l’IA (Avis conjoint du Comité européen de la protection des données et du Contrôleur européen de la protection 05/2021), plusieurs AAI se sont autosaisies de cette question en 2022, parfois à travers les réseaux européens auxquels elles appartiennent, afin de peser sur la mise en place de ce cadre réglementaire mais aussi sur la négociation, à plus long terme, d’une « convention 108+ de l’IA » dans le cadre du Conseil de l’Europe.
Pour le DDD qui s’est prononcé à travers le réseau européen des organismes de promotion de l’égalité Equinet (Pour une IA européenne protectrice et garante du principe de non-discrimination), il convient notamment de prévenir les atteintes à l’égalité dans le contexte des systèmes algorithmiques (recommandations 1 à 6 du rapport). Afin de « faire du principe de non-discrimination une préoccupation centrale dans toute réglementation européenne dédiée à l’IA », il recommande par exemple de prévoir des mécanismes de plainte et de recours accessibles et efficaces pour les personnes concernées en cas de violation des principes d’égalité et de non-discrimination mais aussi d’imposer des analyses d’impact sur l’égalité ex ante et ex post. La CNCDH a souhaité de son côté « contribuer à nourrir les nécessaires modifications du règlement sur l’IA » (Avis relatif à l’impact de l’intelligence artificielle sur les droits fondamentaux A-2022-6, p. 8). Ses recommandations visent tout d’abord à définir des usages de l’IA à proscrire. En précisant et complétant la liste des interdictions posées par le projet de règlement européen, la CNCDH « se rallie à la position des autorités européennes de protection des données » évoquée plus haut. Les recommandations des AAI ont pour l’heure été partiellement prises en compte dans la position commune adoptée par le Conseil de l’UE en décembre 2022 en vue des négociations à venir en trilogue (Communiqué de presse du Conseil de l’UE du 6 décembre 2022). Les recommandations de la CNCDH visent ensuite à promouvoir certaines garanties pour assurer un encadrement des systèmes algorithmiques respectueux des droits fondamentaux notamment au regard de leurs effets discriminatoires. La CNCDH préconise ainsi la mise en place d’études d’impact, la consultation des parties prenantes et la supervision des systèmes algorithmiques tout au long de leur cycle de vie. Elle appelle par ailleurs à réintroduire l’humain dans le processus de décision automatisée à travers un contrôle du résultat par l’utilisateur et un droit au paramétrage de l’algorithme.
Restructurer les AAI vers une mission de régulation de l’innovation. Le déploiement de l’IA pourrait conduire à une transformation de la CNIL qu’elle anticipe d’ailleurs elle-même. Dans la continuité des dossiers qu’elle instruit depuis plusieurs années sur ce sujet et de ses réflexions menées depuis 2017 sur ces questions (Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Rapport sur les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle), la CNIL a consacré l’évolution de ses missions par la création d’un service de l’IA (Communiqué de presse, 23 janvier 2023). Sans attendre l’intervention du législateur, cette création s’appuie directement sur les recommandations du Conseil d’Etat (Intelligence artificielle et action publique, 2022). Celui-ci préconise d’une part de faire évoluer le rôle de la CNIL pour qu’elle devienne aussi l’autorité de contrôle nationale des systèmes d’IA prévue par le projet de règlement européen sur l’IA. Cette évolution souhaitée par le Conseil d’Etat s’appuie sur la « très forte adhérence » entre la régulation des systèmes d’IA et celle des données, notamment des données personnelles (rapport préc. p. 201). Le Conseil d’Etat invite d’autre part à faire de cette autorité de contrôle nationale une autorité « de coordination, de supervision, de tête de réseau ». La CNIL assurerait alors la coordination d’un réseau d’institutions publiques en matière d’IA : autorités de surveillance de marché existantes (ANSM, DGCCRF, etc.), régulateurs des industries de réseau (ARCEP, CRE, ART, etc.), régulateurs à vocation horizontale (ADLC, AMF, ACPR, etc.) ou encore régulateurs sectoriels (ANJ, Arcom, etc.) (ibid., sp. p. 201). Les recommandations du Conseil d’État vont donc bien au-delà de la création par la CNIL d’un service d’intelligence artificielle et implique en réalité « une transformation profonde » de celle-ci. Elles nécessitent non seulement une augmentation massive de ses capacités, mais elles invitent aussi une évolution de sa mission de protection des droits fondamentaux vers une mission de régulation de l’innovation (ib. sp. p 202).
Cette redéfinition du rôle de la CNIL dont le législateur pourrait prochainement se saisir a conduit d’autres AAI à s’affirmer comme des acteurs à part entière du contrôle des systèmes d’IA. Dans la continuité de ses rapports rendus depuis 2020 (Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations et Technologies biométriques : l’impératif respect des droits fondamentaux) consacrés aux risques d’automatisation des discriminations et de surveillance généralisée, le DDD a poursuivi son action en matière d’IA. L’avis adopté dans le cadre du réseau européen des organismes de promotion de l’égalité Equinet déjà évoqué tend notamment à préserver le rôle de ces organismes (v. les recommandations 7 et 8 de l’avis). Il préconise en effet d’imposer aux nouvelles autorités de contrôle nationales de les consulter ainsi que les autres institutions compétentes en matière de droits fondamentaux et, ce faisant, de clarifier la répartition des compétences entre les multiples autorités impliquées dans le contrôle des systèmes d’IA (avis préc. p. 6).
Au-delà de ces questions pouvant aller jusqu’à la possible redéfinition du rôle des AAI, la révolution numérique invite aussi désormais les AAI à s’interroger sur un développement d’usages numériques plus sobres en carbone et en ressource, afin de maitriser ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’empreinte numérique environnementale depuis la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021.
Emilie Debaets, Maitre de conférences en droit public
B. Urgence climatique, crise énergétique et droits fondamentaux
Depuis l’accroissement des politiques environnementales dans les années 2000, les AAI participent à l’encadrement des diverses transformations climatiques et à l’accompagnement des évolutions législatives dans ce domaine. Si certaines d’entre elles ont toujours eu une compétence naturellement centrée sur l’environnement, l’ensemble des AAI développe désormais ses missions dans le sens de la protection de l’environnement et la transition énergétique. En revanche, la crise énergétique traversée par la France depuis le début de la guerre en Ukraine tend à faire évoluer les préoccupations gouvernementales dans un sens parfois contraire à celui initialement engagé de durabilité et de sauvegarde de l’environnement.
Des AAI aux compétences environnementales marquées. Tel est notamment le cas de la CNDP[32] qui a pour compétence l’encadrement et l’organisation des débats touchant aux projets ou politiques concernant l’environnement tels que le nucléaire, la création de grands parcs éoliens ou encore les déchets. Il convient également de citer l’ASN qui, dans sa mission de contrôle des activités nucléaires civiles françaises, assure la sûreté nucléaire et la radioprotection des personnes et de l’environnement. Cette dernière mission de radioprotection particulièrement axée sur l’environnement fait référence à une discipline jeune et donc assez peu pourvue en travaux de recherche. L’ASN a donc récemment choisi de publier un guide méthodologique pour l’évaluation du risque radiologique pour la faune et la flore sauvages. Ce guide publié en janvier 2022 précise les outils et méthodes devant être déployés dans le cadre des études d’impact des installations et activités nucléaires susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. La méthodologie est fondée sur une double approche : la mesure du risque par comparaison entre l’exposition aux radionucléides envisagée et une exposition de référence (selon les valeurs limites règlementaires) d’une part et l’analyse de la proportionalité des risques aux enjeux d’autre part. Il a vocation à être diffusé aux parties prenantes participant auxdites études d’impact.
Une diffusion des préoccupations environnementales à l’ensemble des AAI. Toutes les autorités sont désormais également attentives aux impacts environnementaux et à la sobriété énergétique de l’ensemble des secteurs et domaines régulés ou contrôlés, alors qu’elles se concentraient auparavant davantage sur la protection des droits et libertés à travers l’individu, personne vulnérable, ou évidemment sur la régulation économique d’un secteur devenu concurrentiel. Cette vision protectrice de l’environnement et en faveur de la transition énergétique est ainsi défendue par des autorités dont le domaine de compétence est a priori éloigné de cette politique. L’AMF en est un bel exemple. Elle a publié le 9 septembre 2022 un dossier finance durable renforçant son engagement écologique après la mise en place, en juillet 2019, d’une commission Climat et finance durable dédiée à ces thématiques transverses. Dans ce dossier, l’AMF prône l’émergence d’un modèle financier intégrant mieux les enjeux de durabilité et contribuant au financement de la transition énergétique. Elle y évoque notamment le reporting climatique c’est-à-dire l’exigence de qualité concernant les données environnementales et sociétales des entreprises qui contribuent à la prise de décision des investisseurs. Elle met également en évidence la notion de gestion responsable et de partage des bonnes pratiques.
L’AMF a également dressé le 9 novembre 2022 un panorama des informations fournies dans les états financiers 2021 sur les effets du changement climatique et des engagements pris par les sociétés. Il vise à établir un état des lieux de l’intégration des effets du changement climatique dans les états financiers, car même si les normes comptables ne traitent pas naturellement de l’environnement, le bureau international des normes comptables (IASB) préconise d’intégrer les impacts potentiels et les informations liés au changement climatique comme le rappelle l’AMF. L’Union européenne s’est également fixée comme objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et a ainsi mis en place une taxonomie verte permettant de transformer l’économie européenne pour la rendre plus durable en réponse à l’urgence climatique. L’AMF évoque quelques illustrations de pratiques entrepreneuriales vertes dans son panorama comme par exemple l’indication de frais de recherche et de développement spécifiques aux risques environnementaux, la comptabilisation des financements verts, des droits d’émission de gaz à effet de serre ou encore d’une provision environnementale du fait d’un changement de règlementation ou d’un contentieux.
Cette tendance des AAI à aller vers la thématique de l’environnement est globalement partagée. Rappelons que l’ARCEP en principe centré sur la révolution numérique mesure désormais l’empreinte numérique environnementale et a effectué cette année sa première enquête annuelle Pour un numérique soutenable. Cette orientation contemporaine des AAI est néanmoins totalement conforme à l’idée que l’on doit se faire de la protection de l’environnement comme une action tridimensionnelle usant des leviers interdépendants que sont l’environnement, la société et l’économie. Le rapport Brundtland rédigé en 1987[33] comme la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992[34] soulignent l’interdépendance de plus en plus manifeste de ces trois phénomènes et ainsi la nécessité de tenir compte des préoccupations écologiques dans le cadre du progrès économique et des évolutions sociétales afin d’assurer la protection durable de l’environnement. Les AAI s’intègrent ainsi totalement dans ce cadre en considérant que l’environnement doit être protégé au même titre que la régulation économique ou l’individu. Sa préservation permet également de garantir les droits de l’individu, notamment le droit à la santé s’illustrant par le droit à une vie et un environnement sains, l’accès à l’eau potable ou à des moyens adéquats d’assainissement ou encore l’accès à des aliments salubres. Cela explique les préocupations contemporaines des AAI et leur désir d’accompagner la transition énergétique, de réduire les gaz à effet de serre ou encore de contribuer au développement des énergies renouvelables ; autant d’objectifs et enjeux actuellement discutés dans le cadre de l’élaboration de la loi de programmation sur l’énergie et le climat devant être votée en juillet 2023 pour répondre à l’urgence climatique.
Une autorité semble encore en retrait de cette politique environnementale : l’Autorité de la concurrence, qui malgré ses nombreux avis et décisions en matière d’ « énergie / environnement » (selon sa propre classification) se cantonne à appliquer les règles permettant une concurrence libre et non faussée. Les décisions du 22 février 2022 (pratiques société EDF – secteur de l’électricité), du 3 mars 2022 (secteur de la collecte et de la gestion des déchets) et du 11 octobre 2022 (pratiques société Gaz de Bordeaux – secteur du gaz) ne font ainsi que lutter contre des abus de position dominante ou des ententes anticoncurrentielles. Quant aux différents avis émis sur le plan environnemental, ils n’évoquent pas plus la question de l’urgence climatique ou de la transition énergétique. Tout au plus, l’avis du 25 juillet 2022 concernant un projet d’ordonnance portant développement des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, sans évoquer ni juger l’urgence climatique, acte le changement climatique et l’utilise comme base de son développement pour constater la détérioration des conditions d’équilibre économique du marché de l’assurance contre les risques climatiques.
Les difficultés liées à la crise énergétique. Au delà de l’urgence climatique, la France traverse une vaste crise énergétique qui précédait la guerre en Ukraine et que cette dernière a renforcé. La crise du gaz et la faible disponibilité du parc nucléaire sont autant de facteurs qui démontrent le retard pris par la France en matière d’innovation et d’énergies renouvelables et qui justifient aujourd’hui des mesures anti-environnementales prises par le gouvernement en situation d’urgence. Les difficultés d’accès au gaz ont ainsi contribué à faire accepter le projet de terminal méthanier flottant au Havre par les pouvoirs publics, après avis de la CRE, alors que les parties prenantes soulignaient l’absence de compatibilité du projet avec les objectifs de transition énergétique et de décarbonation supposant de réduire le recours au gaz fossile. La CRE a quant à elle émis un avis favorable sans évoquer le moindre élément environnemental. Elle le fait néanmoins dans son rapport annuel du 2 juin 2022 Réguler et avancer face à la crise de l’énergie où après avoir mis l’accent sur son rôle de protection du consommateur, elle évoque l’inéluctabilité de la transition énergétique « parce qu′elle est la seule option, sans regret, qui permette de lutter contre le réchauffement climatique et ses conséquences catastrophiques ». Selon la CRE, la transition énergétique doit être l’occasion de renforcer notre indépendance énergétique pour limiter les difficultés actuelles de rupture de l’acheminement du gaz par gazoduc russe par exemple. Cette transition est néanmoins complexe dans le contexte de tension que nous connaissons. Il est en effet regrettable de constater qu’une conciliation entre crise énergétique et exigences environnementales semble malaisée car les deux notions peuvent s’avérer antinomiques en situation d’urgence. C’est dans ce cadre que la loi n°2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat prévoit dans ses articles 29 et 30 des dérogations procédurales pour faciliter l’installation des terminaux méthaniers flottants s’il est nécessaire d’augmenter les capacités nationales de traitement de gaz naturel liquéfié afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement. L’artice 36 de ladite loi va même jusqu’à autoriser un réhaussement du plafond d’émission de gaz à effet de serre applicable aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles. L’indépendance énergétique prime donc sur la protection de l’environnement ce qu’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2022-843 DC du 12 août 2022 après avoir rappelé l’importance de la protection de l’environnement et le nécessaire respect de la charte de l’environnement. Il a précisé que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » que sont « l’indépendance de la Nation ainsi que les éléments essentiels de son potentiel économique ». Néanmoins force est de constater que l’atteinte portée à la charte ne permet pas une censure de la loi et que finalement, au regard du contexte de tension énergétique due à la guerre en Ukraine, les autres intérêts de la Nation prévalent sur le respect de l’environnement. Le Conseil constitutionnel rappelle enfin la compétence de la CRE pour la fixation des prix et le contrôle des terminaux méthaniers flottants.
Dans le même esprit, le gouvernement a déposé le 2 novembre 2022 un projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Le raccourcissement des délais de réalisation de ces projets s’inscrit dans « le contexte, d’une part, de l’urgence d’une crise climatique qui menace nos écosystèmes, nos sociétés, l’avenir des jeunes générations et, d’autre part, d’une crise de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement en énergie en 2022 à la suite du conflit ukrainien ». La question que l’on peut légitimement se poser est celle de savoir si le rôle de l’ASN sera amoindri dès lors que les procédures vont être allégées. Il semble que non, ce qui est conforme à la demande de l’ASN, effectuée dans un éditorial du collège du 1er mars 2022, de placer les préoccupations de sûreté nucléaire au cœur des décisions de politique énergétique.
Au-delà de la rupture constatée entre recherche d’une indépendance énergétique à très court terme et protection de l’environnement, il convient de constater que la crise énergétique renvoie également les AAI vers leur compténce de protection de l’individu à travers le consommateur. Ce dernier en situation de vulnérabilité due à la hausse des prix de l’énergie demande une certaine protection tant à travers la régulation des prix de l’énergie que l’exigence de transparence des offres. Ce rôle est assumé par la CRE et le MNE. La CRE évoque ainsi dans son rapport annuel d’une part le fait que sa mission de régulation s’exerce au service du consommateur et d’autre part que la flambée des prix est venue renforcer sa mission. Elle indique ainsi que « le consommateur est à l′énergie ce que le citoyen est à la République : le pilier, le sujet, l′objet, la pierre d′angle d′un système qui n′a de sens que s′il lui apporte performance, service et apaisement. L′énergie n′est pas un produit de luxe […] [elle] doit parvenir à tout le monde et tout le temps. L′énergie n′est pas un privilège […], [elle] doit, au contraire, arriver de la même manière chez le plus humble comme le plus chanceux », c’est pourquoi la CRE a renforcé sa surveillance dans un contexte de hausse sans précédent des prix de l’énergie en 2021 accentué en 2022 par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Le MNE a également agi en faveur des consommateurs en 2022. Son rapport annuel intitulé « accompagner et protéger les consommateurs » publié le 24 mai 2022 fait d’abord état d’une situation alarmante : la hausse très significative des prix de l’énergie a provoqué une augmentation spectaculaire des recours devant le Médiateur (+150% en 5 ans). Il rappelle donc l’importance de sa mobilisation pour informer et protéger les consommateurs et notamment les petits entrepreneurs, en grande difficulté après l’échéance de leur contrat de fourniture d’énergie du fait de l’impossibilité de trouver de nouveaux contrats de fourniture d’énergie soutenables financièrement. Le Médiateur préconise ainsi que les mesures de protection des consommateurs particuliers prévues par le code de commerce soient étendues aux petits professionnels. Son rapport a ensuite été renforcé par deux lettres. La lettre de septembre 2022 prône la « nécessaire transparence des offres ». Elle se justifie par le fait que certains fournisseurs ont pris la liberté de modifier leurs offres ou les modalités d’indexation des prix des contrats en cours sans en informer les consommateurs. La lettre de décembre 2022 évoque quant à elle les « dispositifs de protection des consommateurs ». Elle recense alors, dans le contexte de forte hausse des prix, les différentes aides à la disposition des consommateurs. Sont ainsi évoqués le bouclier tarifaire, le chèque énergie ou encore les contrats d’énergie à prix fixe.
Valérie Palma-Amalric, Maitre de conférences en droit public
C. Contexte sécuritaire et droits fondamentaux
La volonté de trouver un équilibre entre les exigences de maintien de l’ordre public d’une part et celles de garantie des droits fondamentaux d’autre part se retrouve au cœur de l’activité des AAI. L’extension des moyens de prévention et de sanction des infractions induite par le contexte sécuritaire inquiètent particulièrement les AAI qui appellent à davantage d’encadrement par les pouvoirs publics et à une augmentation de leurs prérogatives de manière à mieux garantir les droits et libertés des personnes. Les nouveaux moyens de prévention des infractions ainsi que l’extension de l’amende forfaitaire délictuelle comme moyen de sanction des infractions illustrent cet équilibre fragile.
Prévenir les infractions par les nouvelles technologies. D’abord, la prévention des infractions a été facilitée par le développement des caméras augmentées qui ont vu leur utilisation croître significativement pendant la crise du Covid-19 puisqu’elles permettaient, notamment, de surveiller le respect du confinement. En effet, ces caméras intelligentes ne permettent pas uniquement une reconnaissance faciale mais bien l’analyse de certains comportements pouvant mener à des verbalisations. La position de la CNIL sur ce dispositif est le fruit d’un long travail de consultation initié en janvier 2022. La Commission souligne les risques de ces dispositifs pour les droits et libertés des personnes en insistant notamment non plus sur le fait que les personnes soient filmées mais « analysées de manière automatisée afin d’en déduire, de façon probabiliste, certaines informations permettant […] une prise de décisions ou de mesures concrètes les concernant » (p. 9). L’un des points d’attention de la CNIL se situe dans le fait que ce dispositif puisse être adapté selon les besoins : « un dispositif de vidéo ‘‘augmentée’’ initialement installé pour réaliser une analyse de la fréquentation d’un lieu […] pourrait, assez simplement, permettre le suivi du parcours de personnes » (p. 9). L’installation de ces dispositifs dans les espaces publics pose un problème majeur en ce que ces espaces publics sont des lieux d’exercice des libertés individuelles. La liberté de manifestation, par exemple, pourrait être mise à mal par l’utilisation massive de ces technologies. La CNIL souligne néanmoins différents degrés « d’intrusivité » pour les personnes en fonction de la finalité du dispositif et des lieux de déploiement. Notant qu’ « aucune disposition du CSI n’encadre, à ce jour, les conditions de mise en œuvre de la vidéo ‘‘augmentée’’ » (p. 11), la Commission appelle à un encadrement strict du dispositif, en fonction de l’utilisation, qui devra « être autorisée par un cadre légal spécifique de nature a minima réglementaire, conforme aux conditions posées par l’article 23 du RGPD. Un tel acte devra justifier la légitimité et la proportionnalité du traitement opéré au regard de l’objectif poursuivi, la nécessité d’exclure la faculté pour les personnes de s’y opposer, tout en fixant des garanties appropriées au bénéfice de ces dernières » (p. 15). La CNIL se positionne alors en faveur d’un triptyque classique légimité-proportionnalité-nécessité pour l’encadrement de ces technologies, de manière à garantir les droits et libertés des personnes dans le constat des infractions. Plus encore, elle souligne la nécessité d’une loi pour encadrer les caméras augmentées mises en œuvre à des fins de police administrative ou de police judiciaire. La CNIL, dans sa délibération n° 2022-118 du 8 décembre 2022 portant avis sur le projet de loi, et la CNCDH, dans une lettre adressée par son Président aux députés, se sont depuis toutes deux opposées à l’utilisation de ces dispositifs dans le cadre des Jeux Olympiques de 2024 mais l’expérimentation, adoptée par le Sénat en première lecture, figure toujours dans le texte débattu actuellement à l’Assemblée nationale.
Prévenir les infractions par les techniques de renseignement. Parallèlement, et de manière plus globale, la prévention des infractions – notamment en matière de lutte contre le terrorisme – passe par une surveillance accrue grâce à différentes techniques de renseignement. La CNCTR a alors pour mission de contrôler ces différentes techniques, dans un cadre législatif déterminé. Ce dernier offre à la Commission des moyens renforcés, bien qu’encore insuffisants. Son dernier rapport d’activité pointe l’extension de ses pouvoirs en matière d’exploitation des données recueillies et de conditions de partage entre les services et la CNCTR se félicite du poids qu’elle a eu dans la décision politique et le nouveau cadre législatif (par exemple l’article L. 822-3 du CSI qui prévoit désormais que peuvent être exploités les renseignements « utiles à la poursuite d’une finalité différente de celle qui a justifié le recueil » mais sous le contrôle de la CNCTR). De la même façon, la Commission contrôle la transmission de renseignements entre services. Ainsi, à mesure que de nouvelles techniques de renseignement sont autorisées ou qu’elles sont élargies, son contrôle est étendu également. Plus généralement, la CNCTR rappelle que ses recommandations sont généralement suivies, par exemple en ce qui concerne l’encadrement des interceptions satellitaires. Néanmoins, elle réaffirme le besoin croissant de ressources humaines dans la mesure où le volume de contrôles à effectuer augmente chaque année. En effet, la méthode du contrôle a posteriori sur pièces et sur place que la Commission privilégie « se heurte néanmoins à la progression continue du nombre de techniques mises en œuvre et à leur degré de complexité croissant alors que les moyens matériels et humains de la CNCTR sont restés stables depuis 2015 » (Rapport d’activité, p. 86). Sans une augmentation de ses effectifs – ou à tout le moins des possibilités de contrôle à distance –, elle ne pourrait continuer à réaliser les contrôles a posteriori et, ainsi, ne pourrait assurer correctement les missions qui lui sont dévolues par la loi. Enfin, la Commission souligne l’insuffisante traçabilité de l’exploitation des données recueillies qui porte atteinte aux droits et libertés des personnes surveillées dans la mesure où elle se voit toujours refuser l’accès aux fichiers intéressant la sûreté de l’État alors même qu’elle demande régulièrement cet accès (Rapport d’activité, p. 106). La CNCTR adopte ainsi une position ambiguë sur l’exercice de son contrôle et formule des demandes claires au Premier ministre.
Sanctionner les infractions. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a inséré dans le code de procédure pénale un article 495-17 qui dispose que « Lorsque la loi le prévoit, l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire délictuelle […] ». L’application de cette nouvelle sanction pénale est limitée, au moment de sa création, aux délits de défaut de permis de conduire et de défaut d’assurance. Alors même que l’AFD a depuis déjà été étendue à d’autres délits, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) prévoyait de la généraliser aux délits punis d’une seule peine d’amende ou d’un an d’emprisonnement au plus (article 14). La CNCDH, dans son communiqué de presse du 3 octobre 2022, appelle les sénateurs devant débattre sur ce projet à rejeter cette généralisation. Selon la Commission, elle « prive[rait] les justiciables des garanties fondamentales qu’offre la procédure judiciaire » puisque cette sanction s’applique en dehors de tout procès, elle « engendre[rait] un risque d’arbitraire » et le texte ne prévoierait pas de garanties suffisantes, notamment en ce qui concerne la possibilité de contester l’amende devant le Procureur de la République puisque la contrainte financière empêcherait l’accès à cette contestation aux personnes mises en cause. Au-delà même de la limitation des droits fondamentaux, c’est plus largement la question de la cohésion sociale qui préoccupe la CNCDH. Néanmoins, dans la version définitive de la LOPMI promulguée le 23 janvier 2023, il apparaît que l’AFD n’a pas été généralisée mais seulement une nouvelle fois étendue à de nouveaux délits, cette extension ayant été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023.
Enfin, le développement des cyberattaques fragilise lui aussi la garantie des droits. La CNIL en particulier se saisit de cette question dans son dernier rapport d’activité en indiquant, d’une part, qu’elle a évalué vingt-deux organismes, dont quinze publics, et constaté que leurs sites étaient « particulièrement vulnérables aux attaques » (p. 98) et, d’autre part, qu’elle a traité plus de 6000 notifications de violations de données personnelles en 2021, ce nombre élevé s’expliquant notamment par « une meilleure prise en compte des enjeux de cybersécurité au sein des organismes » (p. 89). La CNCTR, elle, dans sa délibération n° 1/2022 du 13 janvier 2022, a émis un avis favorable à ce que le nouveau commandement de la gendarmerie dans le cyberespace, créé par arrêté du ministre de l’intérieur du 25 février 2021 pour lutter contre les cybermenaces, soit considéré comme un « service du ‘‘second cercle’’ autorisé à mettre en œuvre des techniques de renseignement » (p. 6). La volonté de garantie des droits par les AAI s’étend ainsi toujours davantage au cyberespace.
Zakia Mestari, Docteure en droit public, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
[1] Les AAI faisant l’objet d’une étude dans le cadre de cette chronique sont présentées par leur acronyme : Autorité de la concurrence (AC) ; Autorité des marchés financiers (AMF) ; Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ; Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ; Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; Autorité nationale des jeux (ANJ) ; Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ; Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) ; Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ; Commission nationale du débat public (CNDP) ; Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP) ; Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ; Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ; Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) ; Commission de régulation de l’énergie (CRE) ; Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ; Défenseur des droits (DDD) ; Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) ; Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ; Haute Autorité de santé (HAS) ; Médiateur national de l’énergie (MNE).
[2] T. Leleu, « Une décision explosive ! », AJDA, 2022 pp. 594 et s. ; M. Lamoureux, « Preuve et expertise en matière nucléaire : de quelques enseignements tirés du régime d’indemnisation des victimes des essais nucléaires », Revue juridique de l’environnement, 2022/3, Vol. 47, pp. 479 et s.
[3] Arrêté du 21 octobre 2022 modifiant l’arrêté du 27 février 2020 pris en application du décret n° 2020-173 du 27 février 2020 relatif aux modalités de rémunération des membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
[4] A. Fourmont, « La communicabilité des listes électorales. Réflexions sur une décision bienvenue du Conseil d’Etat », Blog Jus politicum, 10 janvier 2023.
[5] Ce pouvoir de sanction a été renforcé par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
[6] Son contour apparaît néanmoins très évolutif comme en témoigne la formulation qu’en donne la Cour européenne des droits de l’homme : une notion « large, non susceptible de définition exhaustive », CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, Req. n° 2346/02.
[7] H. Alcaraz, Le droit à l’intimité devant les juges constitutionnels français et espagnol, Thèse de doctorat, Aix-Marseille, 2003.
[8] C’est d’ailleurs ce que révèlent les textes qui traitent des deux notions ensemble (V. par ex art. 9 du code civil ; art. 226-1 du code pénal ; art. 247 du code de procédure civile).
[9] De nombreuses dispositions rappellent d’ailleurs la nécessité de préserver « l’intimité de la vie privée » en matière de procédure juridictionnelle, invitant les magistrats à ne pas tenir d’audience publique si nécessaire (V. par ex art. L 142-1-6 du Code des juridictions financières ; art. R131-19 du code du commerce ; art. R142-10-9 du code de la sécurité sociale ; art. 435 du code de procédure civile…).
[10] M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, coll. « Tel », 2001, p. 290.
[11] A. Hazan, « Les Recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté », AJDA, 2020, p. 1396.
[12] Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
[13] Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.
[14] Y. Leroy, « La notion d’effectivité du droit », Droit et société, vol. 3, no 79, 2011, p. 715‑732.
[15] A.-J. Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 217.
[16] C.-M. Philippe, « Entre effectivité et validité du droit : l’exemple du droit du public à l’information », in V. Champeil-Desplats et D. Lochak (dir.), À la recherche de l’effectivité des droits de l’Homme, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2008, p. 59-71.
[17] V. par ex. les articles 23 et 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant ou l’article 13 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
[18] Intervention de Jean-Marc Sauvé lors de l’Assemblée générale de l’inspection générale de l’administration le 3 juillet 2017.
[19] À ce propos, V. Th. Bertrand, J. Marguin, « La notion de participation à l’aune de la protection de l’environnement et de la procédure de débat public », RJE, 2017, n° 3, pp. 457-493.
[20] Ch. Jouanno, Le Monde, trib., 18 octobre 2022
[21] S. Lauer, Le Monde, chron.,19 septembre 2022
[22] J. Bentham, Déontologie ou science de la morale, Charpentier, 1834, p. 32-33.
[23] « Déontologie » in G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Collection « Quadrige », 14e édition, 2022.
[24] B. Beignier, « Déontologie » in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Collection « Quadrige », 2003, p. 361-362.
[25] D. Truchet, « Le besoin de déontologie », AJDA, 2010, p. 2129.
[26] A. Zarca, « L’instrumentation des déontologies de l’activité professionnelle », in A. Zarca (dir.), Les outils au service de la déontologie. Regards croisés dans la fonction publique et dans l’entreprise, Dalloz, Collection « Thèmes & Commentaires », 2020, p. 1 et p. 16.
[27] La saisie de la HATVP n’est évidemment pas toujours automatique. Dans le cas des agents publics autres que ceux qui occupent « un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » (Art. 34, L. n° 2019-828 du 6 août 2019), le contrôle est internalisé au niveau de l’autorité hiérarchique de leur administration qui, en cas de doute, peut saisir la HATVP.
[28] Il y a en vérité 15 avis mais 3 portent uniquement sur des questions d’incompétence de la HATVP pour statuer sur l’affaire.
[29] Au sens de « diffuser une culture déontologique au sein de la sphère publique » in A. de Moussac et M.-C . Litou, « Le rôle de la HATVP » in A. Zarca (dir.), Les outils au service de la déontologie. Regards croisés dans la fonction publique et dans l’entreprise, op. cit., p. 113
[30] X. Magnon, « Quelle déontologie pour les enseignants-chercheurs ? », Les Cahiers Portalis, vol. 6, n°1, 2019, p. 15-27.
[31] D. Charbonnel, « La dématérialisation contre l’accessibilité spatiale des services publics », RDSS, 2022, p. 789
[32] Cf. supra II. B.
[33] Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, Rapport Brundtland « Our Common Future », 1987. Ce rapport fonde la conception directrice du développement durable.
[34] Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Sommet planète terre, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement – principes de gestion des forêts, Rio de Janeiro, Brésil, 3-14 juin 1992.