Dangerosité et droits fondamentaux : Dangerosité et milieu éducatif (table ronde n°3)
CONTRIBUTION
Par Anissa HACHEMI, Professeure de droit public, Université de La Réunion
Le 5 septembre 1891, M. Nonus, inspecteur primaire à Quimper, propose au Journal hebdomadaire des instituteurs et des institutrices une dictée au titre évocateur : « De l’instruction obligatoire »[1]. En quelques lignes, elle assène « les raisons […] [qui] ont déterminé les législateurs à rendre obligatoire l’instruction primaire : 1° L’État a le droit de protéger les enfants contre la négligence de certains parents. De même qu’il intervient pour leur garantir la nourriture et les soins corporels, de même il doit agir pour leur assurer l’éducation morale et intellectuelle. – 2° L’État a le droit de prendre des mesures pour qu’il n’y ait pas, dans la société, une catégorie d’individus voués à l’ignorance et incapables de connaître tous leurs droits et tous leurs devoirs. 3° – Le suffrage universel, pour être exercé dans de bonnes conditions, suppose des connaissances auxquelles on ne saurait suppléer, dans la plupart des cas, sans l’enseignement de l’école »[2]. Ce procédé pour le moins autoritaire – la dictée –, comme ce propos pour le moins militant – protection des enfants contre leurs parents, inculcation des droits et des devoirs, préparation au suffrage universel –, donnent un premier aperçu des liens qu’entretiennent milieu éducatif, dangerosité et droits fondamentaux. Mais une vision plus nette implique quelques précisions terminologiques.
L’expression de « milieu éducatif », d’abord, n’a pas véritablement de consistance juridique. Le Code de l’Éducation l’ignore, préférant parler de « système éducatif »[3] ou encore de « vie scolaire »[4]. Légifrance décèle quelques occurrences marginales, dans quelques textes épars[5]. Puisqu’il nous faut alors en donner une définition stipulative, on voudra bien entendre le milieu éducatif comme l’environnement dans lequel se déroule l’instruction obligatoire. Depuis la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance[6],l’âge en a été abaissé à trois ans tandis qu’elle se poursuit toujours jusqu’à seize ans[7]. Si le dernier alinéa de l’article L. 131-1-1 du Code de l’Éducation dispose que « cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement », l’article suivant précise bien qu’elle « peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix »[8]. Contrairement à la formule courante, ce n’est donc pas l’école qui est obligatoire mais l’instruction. Mais celle-ci se déroule en principe dans un établissement scolaire – maternelle, école primaire, collège, lycée – public ou privé. Par exception, elle est dispensée au sein de la sphère familiale[9]. Sauf précision contraire, et par commodité de langage, milieu éducatif et école seront ici indifféremment employés.
Un tel parti pris tient au thème général de ce colloque, intitulé dangerosité et droits fondamentaux. Entendre le milieu éducatif comme le lieu de l’instruction obligatoire nous paraît, en effet, le meilleur moyen de saisir tant l’une que les autres. La dangerosité, tout particulièrement, ne se laisse pas aisément appréhender. L’existence d’un tel concept est, en effet, incertaine. Dès lors, le cadre contraint de l’instruction obligatoire nous paraît de nature à le révéler. À supposer que la dangerosité existe, elle se manifestera avec d’autant plus d’acuité que l’individu ne pourra s’y soustraire. Cela répond d’ailleurs à la logique de la première partie de ce colloque, dans laquelle notre intervention s’inscrit, et qui est consacrée à « l’individu face à la dangerosité ».
Cependant, l’absence de cette entrée dans les dictionnaires de la langue française a souvent été remarquée. Seul le Larousse la définit comme « le caractère dangereux de quelque chose, de quelqu’un ». Mais la dangerosité ne se distingue plus guère alors du danger. Du point de vue du droit administratif, on songe évidemment aux méthodes éducatives dangereuses, susceptibles d’engager la responsabilité sans faute de l’État fondée sur le risque[10]. Dans le même ordre d’idées, plusieurs articles du Code de l’Éducation parlent de danger[11] ou de risque[12], au point que l’un des rares manuels en la matière[13] consacre sa deuxième partie aux « risques de la vie scolaire »[14]. Cet aspect n’en est pas moins mis de côté pour deux raisons. D’abord, M. Olivier Lofficial – Directeur territorial adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse de La Réunion –, et M. Éric Couleau – Proviseur de vie scolaire et conseiller technique de M. le Recteur de l’Académie de La Réunion –, sont indubitablement mieux placés que nous pour l’évoquer[15]. Ensuite, et plus fondamentalement, une telle approche rendrait plus malaisée encore la distinction entre dangerosité, danger et risque.
Si le danger est certain et le risque éventuel, comme le suggère le Littré, la dangerosité demeure évanescente. Partant des travaux du sociologue Robert Castel, Diane Roman soutient néanmoins que « l’émergence de la notion de dangerosité en droit […] semble ainsi plus révéler les tensions auxquelles le droit serait soumis, […] celle, d’une part, révélant une tentative d’objectivation de la dangerosité par le risque ; celle, d’autre part, d’une subjectivation du risque par la désignation de la dangerosité »[16]. En somme, la dangerosité serait la peur du risque, une appréciation subjective non dépourvue de toute dimension politique.
Le droit pénal permet d’étayer cette hypothèse. Alors que le terme de dangerosité surgit de loin en loin, dans divers pans du droit, sans rime ni raison[17], c’est dans le Code de Procédure pénale qu’il apparaît le plus fréquemment. Nos collègues pénalistes ont souligné que ce vocable appartient d’abord à un discours politique qu’il n’est pas déraisonnable de qualifier de délibérément anxiogène[18]. Rebattue à propos de l’objectif de lutte contre la récidive, la dangerosité devient alors la bannière d’une peur autant combattue qu’instrumentalisée. Clément Margaine a ainsi montré que la dangerosité était employée, soit « pour justifier le prononcé d’une mesure de sûreté destinée à prévenir une éventuelle récidive »[19], soit pour apprécier l’opportunité d’un aménagement de peine, soit pour « individualiser le régime pénitentiaire d’un détenu »[20]. En toutes hypothèses, il s’agit « de maintenir un individu considéré comme dangereux dans le champ de la justice pénale, afin de garder un œil sur lui au moyen de mesures de contrôle ou de surveillance » [21]. Surveiller pour mieux punir.
Or cette logique n’est pas étrangère au milieu éducatif. Ainsi n’est-il pas fortuit que l’ouvrage quasi éponyme de Michel Foucault s’appuie notamment sur l’exemple de l’école. La prise de conscience de ce « dressement »[22] marque une étape importante dans l’historiographie de l’école française[23]. Elle met en perspective des travaux qui jusqu’alors s’intéressaient plus volontiers au combat politique d’une IIIe République naissante dont l’école était le fer de lance. S’attacher à la discipline qui règle le milieu éducatif permet de sortir du cadre strictement français, comme en témoigne par exemple Stefan Zweig à propos de l’école viennoise de la fin du XIXe siècle[24]. Ce qu’ont en commun l’école impériale austro-hongroise et l’école républicaine française, c’est alors peut-être la conscience diffuse de la dangerosité d’un lieu devant désormais accueillir massivement la jeunesse[25].
Reste qu’approcher l’école par le versant disciplinaire se justifie également du point de vue du droit administratif. Comme la prison, la caserne et l’école de Foucault, l’école, la caserne et la prison de la jurisprudence administrative ont longtemps été l’enclos des mesures d’ordre intérieur. Pour y avoir consacré sa thèse, Jean Rivero note en 1934 que « l’appartenance à un établissement d’enseignement public, de quelque ordre qu’il soit, produit des effets qui, par leur force, ne se peuvent comparer qu’à ceux de l’incorporation militaire elle-même »[26]. Le champ de ces mesures d’ordre intérieur n’en a pas moins reculé sous l’influence de la CEDH et plus généralement, du développement des droits fondamentaux. La question soulevée par l’arrêt ayant réduit leur périmètre en matière scolaire est à cet égard significative. Il s’agit, en effet, de la célèbre affaire Kherouaa[27], premier arrêt rendu après l’avis du 27 novembre 1989 relatif aux ports de signes d’appartenance religieuse à l’école[28]. Le Conseil d’État y consacre la justiciabilité du règlement intérieur d’un collège dont l’article 13 interdisait le port du foulard islamique. Dans ses conclusions conformes, David Kessler justifie, notamment, cette solution par l’idée qu’ « aujourd’hui […] l’élève est un sujet porteur de droits et que ces droits doivent être respectés y compris par les règlements des établissements »[29]. C’est afin de protéger ces droits que le juge administratif pénètre à l’école.
Si certains ont pu se demander si « la robe rouge du juge remplacerait […] la blouse grise du maître »[30], force est de constater que les droits fondamentaux irriguent désormais le milieu éducatif. Cette fondamentalité peut s’entendre aussi bien au sens formel qu’axiologique[31]. Formellement d’abord, le droit à l’instruction est non seulement législativement, mais encore conventionnellement et constitutionnellement reconnu. L’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 – repris par l’article L. 141-1 du Code de l’Éducation – dispose ainsi que « la nation garantit l’égal accès de l’enfant […] à l’instruction […]. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État »[32]. Dès lors au fondement d’un service public constitutionnel, ce droit-créance à l’instruction se lit également dans de nombreuses normes internationales, préférant parfois l’expression de droit à l’éducation : Déclaration universelle des droits de l’homme[33], Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[34], Convention de New York relative aux droits de l’enfant[35], CEDH[36]. L’article 2 du premier protocole additionnel de cette dernière stipule ainsi que « nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction ». Il ajoute que « l’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». Si le milieu éducatif réalise le droit fondamental de l’enfant à l’instruction, l’école est également tenue de respecter les droits non moins fondamentaux des parents. Ceux des enseignants, on le pressent, compliquent l’équation.
Mais la portée de ces droits est plus large encore, pour peu que l’on entende leur fondamentalité au sens axiologique. La Cour de Strasbourg précise ainsi que « l’éducation des enfants est la somme des procédés par lesquels, dans toute société, les adultes tentent d’inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres valeurs »[37]. Le droit à l’éducation paraît dès lors d’autant plus fondamental qu’il a notamment pour fonction de transmettre des valeurs. En France particulièrement, ces valeurs sont marquées politiquement. L’article L. 111-1 du Code de l’Éducation dispose ainsi que « l’éducation est la première priorité nationale […]. Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l’Éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité »[38].
Dignité de la personne humaine, liberté de conscience, laïcité ; aucun de ces droits fondamentaux que l’école doit inculquer n’est propre à la France. Ce qui semble l’être, en revanche, c’est cette fonction d’ « imprégnation républicaine de la conscience enfantine »[39]. Chacun sait que cette « mission première »[40] de l’École française a d’abord été poursuivie sous la IIIe République. Si ce n’est cette ambition, ce discours politique n’a pas disparu. Mais sa tonalité ne porte guère à l’optimisme. En 2012, suite à l’alternance politique, une concertation sur l’école est ainsi lancée. S’ensuivent un rapport proposant de « refonder l’École pour refonder la République »[41], puis une loi de programmation pour la refondation de l’École de la République[42] modifiant l’article L. 111-1 du Code de l’Éducation dans le sens indiqué[43]. En 2019, l’exposé des motifs de la loi pour une école de la confiance prétend encore qu’ « à la fin du XIXe siècle, l’obligation d’instruction fut l’acte véritablement fondateur de notre République »[44] et ajoute que « cette promesse républicaine […] demande une confiance complète et constante de la société en son école »[45]. Mais réclamer la confiance, c’est avouer qu’on en manque. Le législateur révèle alors l’irréductible dangerosité du milieu éducatif. Cette dangerosité tient à la peur du risque que l’école, parce qu’elle est politiquement indissociable du projet républicain, fait courir aux droits fondamentaux.
La crainte que l’échec de l’école ne sape la République modèle alors l’école. Chargée d’instituer les droits fondamentaux (I), elle prétend n’y parvenir qu’en les circonscrivant en son sein (II)
I. Instituer les droits fondamentaux par l’école
Censée être le socle du modèle républicain français, l’École doit instituer les droits fondamentaux. En les inculquant, elle assurerait ainsi leur pérennité. Rivero le souligne lorsqu’il remarque, a contrario, que « les régimes autoritaires ne s’y trompent pas : ils comptent sur l’endoctrinement de l’enfant par l’école pour assurer le conformisme du citoyen »[46]. Or pour former le bon citoyen républicain (B), l’École entend d’abord émanciper l’individu (A).
A. Émanciper l’individu
Non sans arrière-pensée politique, l’école prétend émanciper l’individu en arrachant l’enfant à la dangerosité de certaines sphères privées : la famille (1) et le milieu social (2).
- Une émancipation familiale
En rendant l’instruction obligatoire et laïque, les lois du 28 mars 1882[47] et du 30 octobre 1886[48] ont voulu – afin d’affermir le régime – soustraire l’enfant à l’influence politique redoutée de sa famille.
Paraphrasant Danton, Paul Bert – l’un des fondateurs de l’école républicaine – déclare tout net à la Chambre des députés que « les enfants appartiennent à la République avant d’appartenir à leurs parents »[49]. Dire que l’anti-cléricalisme de la jeune République est à la mesure de l’anti-républicanisme de l’Église est un truisme. La laïcisation de l’enseignement n’en est pas moins un enjeu politique majeur. C’est précisément ce qui rend insupportable, à l’opposition d’alors, l’école obligatoire. « Ce que M. Jules Ferry souhaite », accuse cette presse, « c’est forcer, sous peine de réprimande, d’affichage, d’amende et de prison, une mère de famille à confier sa fille à une Louise Michel ; un père à jeter l’âme de son enfant en pâture à la libre pensée d’un instituteur sans Dieu »[50]. Le combat de la foi devient celui de la liberté individuelle, l’éducation devant demeurer affaire privée[51]. Admettre l’intervention de l’État en la matière, c’est ouvrir la voie à un socialisme d’autant plus redouté que le souvenir de la Commune demeure vivace.
Pour parer cette objection, les promoteurs de l’école républicaine prétendent protéger les enfants de leurs parents. Cette idée se lisait déjà dans la dictée de M. Nonus[52], elle se lit mieux encore chez Célestin Bouglé, républicain notoire. Si l’instruction est obligatoire, soutient-il, c’est afin de « défendre au besoin le fils contre son père. À celui-ci nous ne reconnaissons pas plus le droit de séquestration intellectuelle que le droit de séquestration matérielle »[53]. Séquestration de l’enfant par son père, Pater familias contre République, enfant sauvé par la République, les termes du débat sont évidemment outrés. Pour autant, ils en révèlent l’enjeu profond qui est bien celui de la nature du régime. Maurice Hauriou le perçoit nettement lorsqu’il note, quelques années plus tard, qu’ « évidemment, dans ce conflit de libertés, il faut choisir entre le droit de l’enfant et celui du père. Cela devient une question de haute politique. Les droits du père de famille cadrent avec une constitution aristocratique. Ils cadrent très mal avec une constitution démocratique comme l’est la nôtre ; la logique de la démocratie est de donner la préférence aux droits qui profitent au plus grand nombre »[54].
Sans pousser cette logique des droits du plus grand nombre jusqu’à leur reconnaître le droit de vote, la majorité républicaine ouvre l’enseignement secondaire laïc aux jeunes filles par la loi Camille Sée du 21 décembre 1880[55]. À la fin du Second Empire, en effet, cet enseignement est encore largement confessionnel, 56 % des filles demeurant instruites par des religieuses[56]. Leur éducation constitue donc un enjeu politique majeur[57]. Jules Ferry ne s’en cache d’ailleurs pas, dans un discours de 1870 demeuré célèbre sur l’égalité d’éducation : « les évêques le savent bien : celui qui tient la femme, celui-là tient tout, d’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari […]. C’est pour cela que l’Église veut retenir la femme, c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève ; il faut que la démocratie choisisse, sous peine de mort ; il faut choisir, citoyens, il faut que la femme appartienne à la science ou qu’elle appartienne à l’Église »[58]. Éduquer les jeunes filles, c’est donc soustraire ces futures épouses et mères à la dangerosité de l’Église pour la République. Mais à cet opportun plaidoyer pour l’égalité d’éducation des sexes, Jules Ferry en ajoute un autre : celui de l’égalité d’éducation des classes sociales.
2. Une émancipation sociale
Dans ce même discours, Jules Ferry dénonce « le régime des castes [qui fait] de la science l’apanage exclusif de certaines classes »[59]. Or, « avec l’inégalité d’éducation, [il ne peut y] avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie »[60]. Pour y parvenir, Ferry préconise « le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école »[61]. Entendant ici indifféremment démocratie et République, il appelle de ses vœux la fin des inégalités sociales pour l’égalité réelle des droits et par la mixité sociale. Se réclamant en particulier du projet d’organisation générale de l’Instruction publique de Condorcet, il promeut à cette fin la gratuité.
Cette dernière est généralisée dans l’enseignement primaire public par la loi du 16 juin 1881[62]. Assez habilement, ce texte est voté avant ceux relatifs à l’instruction obligatoire et laïque. En effet, la majorité républicaine a beau jeu de faire montre de son généreux égalitarisme. Grâce à la gratuité, s’émeut la presse, il n’y aura plus « de parents forcés de commettre envers leurs enfants un « crime de lèse-avenir » »[63]. L’opposition catholique pressent bien que la gratuité n’est que le cheval de Troie de l’obligation et de la laïcité. Mais elle est bien en peine de s’opposer à tant d’apparente générosité. Ainsi soutient-elle, sans guère convaincre, que la gratuité « relâchera les liens de la famille, en dispensant le père du sacrifice d’argent qu’il doit à son enfant, et l’enfant de la reconnaissance qu’il doit à son père »[64].
La gratuité n’est cependant pas le seul moyen employé pour tenter de réduire les inégalités sociales. Aujourd’hui, l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire entend notamment remplir cet office. Cela est tout à fait explicite dans l’étude d’impact[65] puis dans l’exposé des motifs de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Ce texte dispose, en effet, que désormais l’instruction est obligatoire dès trois ans. Après avoir invoqué les mânes de la IIIe République – passage rhétorique obligé pour chaque texte sur l’école –, le législateur rappelle que « les lois successives relatives à l’instruction obligatoire s’inscrivent dans la geste républicaine pour […] l’égalité entre tous les enfants de France, sans distinction aucune. L’obligation d’instruction pour tous les enfants de France dès l’âge de trois ans est la concrétisation de cette ambition républicaine que porte aujourd’hui le Gouvernement […]. Aujourd’hui, la scolarité à l’école maternelle […] est donc tout à la fois le tremplin vers la réussite, le foyer de l’épanouissement des élèves et le creuset de la réduction des inégalités sociales »[66].
Notons que c’est précisément cette lutte contre les inégalités sociales qui a été avancée pour justifier la réouverture des écoles lors de la dernière crise sanitaire, nombre d’enfants de milieux sociaux défavorisés s’étant ainsi retrouvés en situation dite de fracture numérique. Cet épisode récent ne fait cependant que corroborer un constat dressé depuis plusieurs années. Ainsi, dans un rapport de 2016, significativement consacré au « droit fondamental à l’éducation »[67], le Défenseur des droits note que « l’école française se caractérise par de fortes inégalités qui tendent, au fil des années, à s’accentuer, venant alors renforcer les inégalités sociales préexistantes, à rebours même des objectifs que la République a fixés à l’école »[68]. S’appuyant sur les résultats d’une enquête de l’OCDE, il montre que les enfants issus de milieux défavorisés sont trois fois plus exposés à l’échec scolaire[69]. Il souligne également que la « ségrégation résidentielle »[70] conduit à la « ségrégation scolaire »[71], car les « populations les plus fragiles socialement et économiquement se retrouvent […] concentrées sur les mêmes territoires et dans les mêmes écoles »[72]. Accentuée par les stratégies de contournement de la carte scolaire[73], cette « ségrégation » offre un cinglant démenti à l’émancipation sociale que l’école est toujours censée permettre en vertu de l’article L. 111-1 du Code de l’Éducation[74]. Cet échec n’est pas sans inquiéter. En 2012, déjà, le législateur intervenait au motif que ces « inégalités qui se creusent dans l’École […] mettent en danger le projet républicain »[75]. Frappant en particulier les populations issues de l’immigration[76], elles démontreraient l’inanité des valeurs républicaines, feraient le lit « du communautarisme et du repli identitaire »[77] et contrarieraient ainsi la vocation de l’école à former le citoyen.
B. Former le citoyen
Former le citoyen est une ambition politique constante et majeure de l’école républicaine française. Reposant tant sur l’enseignement que, désormais, sur l’exercice de droits, cette formation se veut théorique (1) et pratique (2).
- Une formation théorique
Profondément marqué par le coup d’État du 2 décembre 1851, l’éducation au suffrage universel est un leitmotiv du discours républicain[78]. Si le vote populaire peut se fourvoyer, il faut instruire les masses. Cette crainte est une des clefs de compréhension de l’instruction gratuite évidemment, mais aussi obligatoire et laïque. Émancipé de toute influence politique pernicieuse, familiale[79] ou sociale, l’enfant pourra devenir un bon citoyen républicain. Paul Jozon, député de la Gauche républicaine, déclare d’ailleurs sans ambages à la Chambre que « dans une démocratie où chaque citoyen peut influer dans une certaine mesure sur la destinée du pays, l’ignorance est un véritable danger social qui consiste à laisser participer aux affaires publiques des hommes illettrés qui peuvent facilement se laisser aveugler »[80]. Mais plus encore que la lecture, l’instruction civique est appelée à former le futur citoyen.
C’est ainsi que l’article premier de la loi du 28 mars 1882 dispose que « l’enseignement primaire comprend » d’abord – et avant toutes choses – « l’instruction morale et civique ». Elle remplace, au terme de débats houleux, l’instruction religieuse et précède la lecture et l’écriture[81]. Les enfants placés en école privée ou instruits en famille ne peuvent s’y soustraire, dans la mesure où cet enseignement est au programme du certificat d’études. Or sa délivrance demeure un monopole de l’État[82]. Dans un manuel d’instruction civiqueà succès et demeuré célèbre en raison de sa condamnation par la Congrégation de l’Index[83], Paul Bert estime que « si, en effet, nous devons d’abord, dans l’école, former des hommes et des femmes à l’âme fortement trempée, notre premier souci doit être ensuite d’y former des citoyens »[84]. Dès lors, l’instruction civique ne doit pas se limiter à l’exposé – nécessaire – des institutions républicaines. Elle doit également comprendre la présentation de ce que nous appellerions aujourd’hui le catalogue des droits fondamentaux, essentiellement issus de la Déclaration de 1789[85]. Or « ces conquêtes de la Révolution française devront être enseignées à l’enfant avec respect, avec reconnaissance »[86]. Pénétré des bienfaits de cette fille de la Révolution qu’est la République, et nanti de ces connaissances théoriques, le futur citoyen pourra « bien voter », le manuel lui enseignant d’ailleurs « comment y arriver »[87].
Ni cette éducation à la citoyenneté ni sa dimension axiologique n’ont disparu du droit positif. On sait que l’article L. 111-1 du Code de l’Éducation reconnaît « comme mission première [de] l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ». Il définit en outre le droit à l’éducation comme permettant « d’exercer sa citoyenneté ». L’article L. 111-2 précise que « la formation scolaire […] prépare [l’enfant] à l’exercice de ses responsabilités […] de citoyen ou de citoyenne […]. Elle développe les connaissances, les compétences et la culture nécessaire à l’exercice de la citoyenneté dans la société contemporaine de l’information et de la communication »[88]. L’article L. 312-15 du Code de l’Éducation confirme ce programme.
Ces éléments doivent néanmoins être mis en perspective. Si le rapport de 2012 sur la refondation de l’École de la République relevait, non sans satisfaction, que l’instruction civique « dispos[ait] en France – ce n’est pas le cas partout – d’horaires dédiés et de manuels »[89], une étude récente du Conseil national d’évaluation du système scolaire[90] laisse dubitatif. Malgré un regain des politiques d’instruction civique à partir des années 1980, il existerait un décalage important entre le discours politique, le droit positif – volontaristes –, et l’enseignement effectif – modeste[91]. Un tel hiatus existe également en matière de formation pratique à la citoyenneté[92].
2. Une formation pratique
Cette formation débute par une mise en scène spatiale de la citoyenneté. L’enfant doit s’instruire dans un lieu qui porte ostensiblement les emblèmes de la République. Ainsi, l’article L. 111-1-1 du Code de l’éducation prévoit que la devise républicaine et les drapeaux français et européen sont apposés sur la façade des écoles publiques et mêmes privées jusqu’au second degré. De même, « la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est affichée de manière visible » dans ces locaux. L’article L. 111-1-2 pénètre la salle de classe pour y apposer de nouveau drapeaux et devise, mais aussi les paroles de l’hymne national. La IIIe République en avait ôté les crucifix[93]. À dessein, elle choisit en outre l’école comme lieu du vote. Ainsi, se félicite Paul Bert, « lorsque [le] jeune citoyen s’approchera de la simple boîte en bois blanc déposée sur la table de vote, il éprouve quelque chose de cette émotion que ressentent les croyants lorsqu’ils s’approchent de l’autel »[94].
Si un tel mysticisme républicain n’est plus guère affiché, l’éducation à la citoyenneté a par ailleurs connu une autre profonde mutation à la fin des années 1980. En effet, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989[95] reconnaît aux élèves des droits et des devoirs au motif que « l’exercice de ces droits et de ces devoirs constitue un apprentissage de la citoyenneté »[96]. Notamment codifiée à l’article L. 511-2 du Code de l’Éducation[97], elle prévoit que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent […] de la liberté d’information et de la liberté d’expression ». Par son délai d’adoption, son décret d’application du 18 février 1991 témoigne tant des résistances que d’une nouvelle dynamique au sein du milieu éducatif.
Ces résistances tiennent à une tradition de discipline, de hiérarchie, d’ordre intérieur déjà évoqués[98]. Dans cette perspective, l’élève est moins un sujet de droits qu’un assujetti. Il est d’ailleurs assez significatif que, désormais codifiées[99] dans un titre consacré aux « droits et obligations des élèves »[100], ces dispositions s’ouvrent par l’énoncé non de leurs droits mais de leurs obligations. Un changement de dynamique n’en est pas moins à l’œuvre depuis mai 1968[101], au point que l’on a pu soutenir que « lycéens et collégiens se voient reconnaître par la loi du 10 juillet 1989 et par le décret du 18 février 1991 les droits obtenus par les étudiants en 1968 par la loi Edgar Faure, par une sorte de mouvement d’irradiation et d’imitation »[102]. La crainte de ce « péril jeune » explique l’adoption du décret de 1991, tardive puis précipitée par les « manifestations lycéennes du premier trimestre de l’année scolaire 1990-1991 »[103].
Ce décret est éloquent, encore, par ses visas : loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Si un commentateur autorisé a pu souligner qu’il s’agissait d’ « ouv[rir] aux lycéens [le] bénéfice des libertés publiques »[104], remarquons surtout que ces droits tendent tous à préparer l’élève à l’exercice de la citoyenneté. Précédé d’un rapport au Premier ministre significativement publié au Journal officiel, le décret précise les modalités d’exercice de ces droits individuels et collectifs. Cet encadrement est libéral et vise à garantir l’effectivité des libertés d’expression, d’association, de réunion et de publication.
Ainsi, « les publications rédigées par les lycéens peuvent être librement diffusées dans l’établissement »[105], son chef ne pouvant les suspendre ou les interdire que sous conditions restrictives[106]. En matière d’association, le décret supprime l’accord du conseil d’administration – nécessaire jusqu’alors – sur leur programme, à l’exception des associations sportives[107]. Désormais, l’article L. 312-15 du Code de l’Éducation ajoute que « dans le cadre de l’enseignement moral et civique, les collégiens sont incités à participer à un projet citoyen au sein d’une association d’intérêt général »[108]. Le décret de 1991 prévoit également que, pour « permettre l’exercice de la liberté d’expression dans les lycées, le chef d’établissement veille à ce que des panneaux d’affichage et, dans la mesure du possible, un local soient mis à la disposition des délégués des élèves, du conseil des délégués et, le cas échéant, des associations d’élèves »[109]. Enfin, il dispose que « les délégués élèves peuvent recueillir les avis et les propositions des élèves et les exprimer auprès du chef d’établissement et du conseil d’administration »[110].
Cette volonté de faire de l’école la première agora est cependant contrariée. Du point de vue de la science administrative, d’abord, il semblerait que cette mise en pratique de la citoyenneté ne rencontre qu’un succès modéré. Après avoir réaffirmé que les « compétences civiques s’acquièrent notamment par la participation aux instances représentatives et/ou à la vie associative de son établissement »[111], le rapport sur la refondation de l’école républicainerelève – de son propre aveu sans grande originalité – que cette participation est faible[112]. En 2016, le CNESCO confirme que « réticences et résistances »[113] se trouvent aussi bien du côté des enseignants que des élèves. La difficulté de se départir, de part et d’autre, d’une tradition scolaire autoritaire explique notamment cet échec[114]. Du point de vue du droit, ensuite, l’article L. 511-2 reconnaît aux élèves les droits précités « dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité ». En effet, les droits fondamentaux requièrent, pour être institués par l’école, d’être circonscrits en son sein, sous peine de faire échouer le projet républicain.
II. Circonscrire les droits fondamentaux à l’école
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’école que pour espérer imprégner la conscience enfantine des droits fondamentaux, elle doive les circonscrire en son sein. Reconnus hors de ses murs, certains droits des usagers (A) et des agents (B) doivent être, si ce n’est abandonnés au seuil de l’école, du moins contenus.
A. Circonscrire les droits fondamentaux des usagers
Si le statut d’usager du service public de l’éducation contraint davantage aujourd’hui les élèves (1), celui des parents (2) est fluctuant, précisément afin de circonscrire leurs droits fondamentaux.
- Circonscrire les droits fondamentaux des élèves
Tous les droits fondamentaux reconnus aux élèves par la loi de 1989 doivent s’exercer « dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité »[115] et « sans porter atteinte aux activités d’enseignement »[116]. Si ces limitations paraissent classiques en droit des libertés, il n’est pas interdit de penser que, depuis une trentaine d’années, l’expression religieuse des élèves est l’objet d’une crispation particulière. Alors que la participation des élèves est encouragée comme formation pratique à la citoyenneté[117], le juge administratif censure volontiers les restrictions à d’autres formes d’expression. On songe en particulier au journal publié en 2002 par des élèves du lycée parisien Henri IV – intitulé Ravaillac… – et dont le deuxième numéro, consacré à la sexualité des jeunes, affichait en couverture lesdits élèves nus. Aux visas de l’article L. 511-2 du Code de l’Éducation et du décret de 1991, la Cour administrative d’appel de Paris[118] estime qu’ « en dépit de son caractère parfois provocateur »[119], cette publication n’est pas « de nature à perturber ou à heurter la sensibilité des élèves […] même des plus jeunes d’entre eux ». Le proviseur ne pouvait donc interdire sa diffusion et ce d’autant moins qu’il n’y avait atteinte ni à la dignité des intéressés, ni atteinte grave aux droits d’autrui et à l’ordre public[120]. La restriction apportée à la liberté d’expression des lycéens, conclut le juge, était donc illégale.
Deux ans plus tard, le législateur intervient pour limiter cette fois-ci l’expression religieuse des élèves. La loi du 15 mars 2004 dispose ainsi que « dans les écoles, collèges, lycées, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit »[121]. Ce nouvel article L. 141-5-1 du Code de l’Éducation prend le contrepied de l’avis de 1989 du Conseil d’État. Saisi par le ministre de l’Éducation suite à l’interdiction très médiatisée du port du foulard islamique dans un collège de Creil, il avait estimé que ce port « n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses »[122]. La liberté était donc la règle, les restrictions l’exception[123].
À plusieurs égards, cet avis avait marqué l’irruption des droits fondamentaux des élèves à l’école. Il visait, d’abord, autant de normes constitutionnelles, conventionnelles, législatives et règlementaires que nécessaire pour étayer sa délicate position. Cet avis fut en effet publié – fait alors rare –, dans un contexte politique fort tendu[124]. Apparaissaient notamment les lois de 1975 et 1989 sur l’éducation[125]. Si l’on sait que cette dernière reconnaît aux élèves la liberté d’expression[126], la première – la loi Haby[127] – dispose que la « formation scolaire »[128] doit « favoris[er] l’épanouissement de l’enfant »[129] et « respect[er] sa personnalité »[130]. Or, comme le note Jean Rivero, « ces finalités se concilieraient mal avec l’obligation imposée à l’enfant de laisser à la porte de l’école, quitte à reprendre la sortie, cette part de lui-même qu’est son appartenance à un culte »[131]. Étaient ensuite visées plusieurs conventions internationales dont la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Témoignant de l’incidence des normes internationales sur la reconnaissance de droits fondamentaux aux élèves, ces stipulations contribuèrent à la solution libérale du Conseil d’État[132]. Cet avis eut enfin pour conséquence d’accroître la protection juridictionnelle des droits fondamentaux des élèves. Repris par l’arrêt Kherouaa[133],le juge administratif contrôle désormais le règlement intérieur d’un établissement, précisément parce que les élèves sont titulaires de droits à garantir[134].
En inversant le principe – le port de signes religieux à l’école étant aujourd’hui interdit[135] – le législateur s’est défendu de « déplacer les frontières de la laïcité »[136]. Sans se prononcer sur ce débat où l’histoire est volontiers instrumentalisée, bornons-nous à remarquer comment est justifié ce reflux des droits fondamentaux. L’exposé des motifs de ce texte insiste ainsi sur la « réaffirmation du principe de laïcité à l’école, lieu privilégié d’acquisition et de transmission de nos valeurs communes, instrument par excellence d’enracinement de l’idée républicaine ». Cette réaffirmation serait « indispensable »[137]. On ne saurait mieux exprimer la volonté de circonscrire les droits fondamentaux des élèves pour protéger la République. Fait remarquable, l’alternance politique n’a pas altéré cette volonté, probablement parce qu’il y a désormais consensus sur les causes d’une telle nécessité. Elle tiendrait à l’échec social de l’école à l’égard, en particulier, des élèves nés de parents immigrés[138]. Cette quête de ce qu’il est convenu d’appeler l’intégration n’est pas sans incidence sur les droits fondamentaux des parents.
2. Circonscrire les droits fondamentaux des parents
Comme pour les élèves, c’est tout particulièrement sur le terrain de l’expression religieuse des parents que leurs droits sont circonscrits. Cette limitation est au prix d’un statut juridique incertain au sein du service public.
Les rapports qu’entretiennent parents et école sont dès l’origine si ce n’est tendus, du moins ambigus. Sous la IIIe République coexistent la ferme volonté d’émanciper les enfants de leurs parents[139], le rejet par certains d’entre eux de l’école laïque et de ses manuels[140], des sanctions pénales prévues à leur encontre en cas de méconnaissance de l’obligation scolaire[141], la réserve intéressée d’un Jules Ferry dont la célèbre lettre aux instituteurs[142] espère – par le tact de ses instructions – tarir l’hostilité parentale. De ce point de vue, la première évolution notable est certainement la loi Haby qui décide d’associer les parents à une nouvelle communauté scolaire[143], aujourd’hui éducative[144]. Le rapport sur la refondation de l’école républicaine remarque que « les parents ont toute leur place à l’École, qui doit s’ouvrir à eux – en particulier à ceux qui sont le plus éloignés de l’institution scolaire »[145], visant ainsi particulièrement les parents immigrés. Mais il note par ailleurs que « l’éducation à la citoyenneté »[146] requiert un « climat apaisé »[147] et préconise pour l’obtenir de « rédiger le règlement intérieur qui définit les droits et obligations de tous les acteurs de la communauté éducative (élèves, personnels, parents) à partir d’une charte nationale rappelant les grands principes républicains »[148] parmi lesquels la laïcité.
Renouvelés, les rapports qu’entretiennent parents et école oscillent ainsi de l’association à l’intégration, en passant par la méfiance[149]. Cette ambiguïté se traduit par un statut fluctuant. Classiquement, la jurisprudence administrative considère que les parents sont des usagers[150], et non des agents, du service public de l’éducation. L’enjeu de la qualification n’est pas mince puisqu’en principe – et du moins jusqu’à la loi de 2004 – seuls les agents sont tenus à un strict devoir de neutralité[151]. À l’inverse, les élèves et leurs parents ont droit à la neutralité du service public précisément afin de protéger leurs convictions, notamment religieuses. La HALDE avait ainsi estimé en 2007 que constituait une discrimination le refus opposé à des mères voilées de participer à des sorties scolaires[152]. Elle rappelait à cette occasion qu’un alignement sur le devoir de neutralité des agents publics était impossible, notamment parce que le statut de collaborateur occasionnel ou bénévole du service public, purement fonctionnel, s’inscrivait dans le cadre du contentieux de la responsabilité. Le Tribunal administratif de Montreuil n’en a pas moins jugé, en 2001, qu’était légal le règlement intérieur d’une école élémentaire en vertu duquel « les parents volontaires pour accompagner une sortie scolaire doivent respecter dans leur tenue et leur propos la neutralité de l’école laïque »[153]. Il y voit « une application du principe constitutionnel de neutralité du service public à l’accompagnement des sorties scolaires par les parents d’élèves, qui participent en tant qu’accompagnateurs au service public de l’école élémentaire »[154]. Une telle qualité de participants au service public semant le trouble, le Conseil d’État, saisi par le Défenseur des droits, a confirmé en 2013 « qu’entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de « collaborateurs » ou « participants » qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse »[155].
Depuis, la jurisprudence est hésitante. Certains tribunaux considèrent que les parents sont bien des usagers qui ne peuvent être soumis aux mêmes obligations de neutralité que les agents[156]. Mais en 2019 une Cour administrative d’appel a admis que « le principe de laïcité de l’enseignement public […] impose […] que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité »[157]. Éludant la question du statut du parent, il semble que le juge tienne tout particulièrement compte du lieu de l’activité : l’intérieur de l’école demeurant ainsi un « sanctuaire laïque »[158]. Quoi qu’il en soit, l’état du droit n’aveugle pas par sa clarté. Si le législateur a failli interdire, par un amendement adopté à la loi pour une école de la confiance, tout port de signes religieux aux accompagnateurs scolaires, une proposition de loi reste déposée en ce sens[159]. Mais qu’il s’agisse des élèves ou de leurs parents, il est tout à fait exceptionnel – et par conséquent remarquable – que des usagers du service public soient soumis à un devoir de neutralité qui ne pèse en principe que sur le service public et ses agents.
B. Circonscrire les droits fondamentaux des agents
Si le strict devoir de neutralité des agents du service public de l’éducation est classique (1), la sourde – et récente – méfiance (2) du législateur à leur endroit laisse craindre de nouvelles limitations de leurs droits fondamentaux.
- Une stricte neutralité
Déclinaison du principe d’égalité, la neutralité s’impose au service public et à ses agents. Cette exigence n’est donc pas propre au service public de l’éducation, pas plus qu’elle ne vise la seule expression religieuse. Doivent également être tues, dans le cadre du service, les opinions politiques, morales, philosophiques des agents. Cependant, la neutralité tient une place particulière à l’école. Prescription à l’égard des agents, elle est une protection d’usagers que la jeunesse rend vulnérables[160]. Mais une fois encore, à l’école, la question religieuse se pose avec acuité.
Cette neutralité religieuse est, en effet, au cœur du projet scolaire de la IIIe République. Après avoir laïcisé les programmes[161] et les bâtiments[162], la majorité républicaine s’attaque aux enseignants. L’enjeu politique est évident. L’enseignement confessionnel, encore fort développé, est le plus souvent dispensé par des clercs ou des religieuses. L’article 17 de la loi Goblet sur l’enseignement primaire dispose donc que « dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ». Cette solution a été étendue à l’enseignement secondaire par le célèbre arrêt Abbé Bouteyre de 1912[163]. Le Conseil d’État y admet le refus d’inscription à l’agrégation de philosophie d’un ecclésiastique « dans l’intérêt du service »[164]. Il est depuis revenu à une interprétation plus stricte de la loi de 1886 adoptée à propos de l’enseignement primaire[165].
Codifiée à l’article L. 141-5 du Code de l’éducation, cette disposition est aujourd’hui d’un intérêt pratique moindre, la sécularisation du personnel enseignant ayant eu lieu. Il faut par ailleurs noter que l’obligation de neutralité ne pèse pas uniquement sur les enseignants mais sur tous les agents du service public de l’éducation nationale. C’est l’un des intérêts de l’avis contentieux Mlle Marteaux que de le rappeler. En 2000, le Conseil d’État doit ainsi se prononcer sur le port d’un signe d’appartenance religieuse d’une simple surveillante d’externat. Il doit également apprécier si « les exigences tenant au principe de la laïcité de l’État et de la neutralité des services publics qui fondent l’obligation de réserve incombant à un agent public doivent [s’apprécier] en fonction de la nature des services publics concernés »[166]. Il lui faut dire, enfin, s’il « convient […] dans certains cas, d’opérer une distinction entre les signes religieux selon leur nature ou le degré de leur caractère ostentatoire »[167]. Sa réponse est inflexible : la neutralité vaut pour tous les services publics, aucun agent – quel que soit le service public, enseignant ou non du service public de l’éducation – n’a le droit de manifester ses croyances religieuses, aucun signe d’appartenance religieuse ne peut être porté[168].
Bien qu’intransigeante, cette position rencontre néanmoins deux limites. La première mérite d’être rappelée. Si les parents sont tenus d’instruire leurs enfants, ils peuvent choisir un établissement privé dont le « caractère propre »[169] – reconnu constitutionnellement – permet dans une certaine mesure l’expression religieuse. Il peut par exemple être fait référence à des « valeurs chrétiennes »[170]. La liberté constitutionnelle de l’enseignement justifie cette « atmosphère différente, reflet d’une certaine conception de l’homme et du monde »[171] des établissements privés. Bien qu’appartenant au « groupe des libertés de l’expression de la pensée, [cette] mal-aimée »[172] ne saurait cependant porter atteinte à ce que Rivero appelait « la liberté de l’enseigné »[173] et qui consiste fondamentalement en son droit à l’instruction[174]. Lieu de l’instruction obligatoire, les établissements privés font partie intégrante du milieu éducatif.
Leur dangerosité n’est donc pas négligée, comme en témoigne la récente loi sur les établissements privés hors contrat[175]. Adoptée en 2018, elle clôt une discussion amorcée après les attentats de 2015[176]. Lors des débats sur la loi Égalité et citoyenneté[177], le Parlement s’était en effet inquiété de la multiplication de ces structures au regard du risque de radicalisation islamique. Il avait donc remplacé le régime de déclaration préalable existant par un régime d’autorisation d’ouverture. Cette disposition ayant été censurée pour atteinte potentiellement excessive à la liberté de l’enseignement[178], la loi de 2018 a finalement maintenu le système de la déclaration préalable. Mais elle a harmonisé et clarifié les motifs d’opposition à une telle ouverture. S’y trouve significativement « la protection de l’enfance et de la jeunesse »[179].
La seconde limite de l’avis Mlle Marteaux y apparaît explicitement. L’obligation de neutralité ne pèse sur les agents que « dans le cadre du service public »[180]. Le Conseil d’État se montre ainsi fidèle à une jurisprudence constante selon laquelle les agents publics, y compris en matière éducative[181], sont libres d’exprimer leurs croyances mais aussi leurs opinions – par exemple politiques – en dehors du service[182]. À cet égard, la dernière intervention du législateur trahit une sourde méfiance risquant de circonscrire encore davantage leurs droits fondamentaux.
2. Une sourde méfiance
Une telle méfiance se devine dans l’étude d’impact du projet de loi pour une école de la confiance, pour peu qu’on la cite assez exhaustivement. Le premier chapitre de son premier titre porte sur « l’engagement de la communauté éducative »[183]. Après avoir rappelé les missions de l’école – et donc de cette communauté –, mis l’accent sur « sa mission d’éducation à la citoyenneté »[184], l’étude d’impact affirme que « l’accomplissement de ces missions […] s’appuie sur la nécessaire confiance de la société dans la capacité de l’institution à prendre en charge l’éducation des plus jeunes »[185]. Mais elle ajoute que « si cette confiance trouve pour l’essentiel son origine dans la capacité de l’État à répondre, par la politique publique qu’il conduit en matière éducative, aux attentes des citoyens, elle reste intimement liée aux comportements de l’ensemble des membres de la communauté éducative »[186]. Ainsi, « les juridictions administratives ont eu l’occasion de souligner l’importance de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles et en ont tiré toutes les conséquences en matière disciplinaire »[187]. Citant les termes d’une décision récente du Conseil d’État, l’étude d’impact insiste sur « « l’exigence d’impartialité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec les mineurs, y compris en dehors du service« , et sur l’importance de l’atteinte portée « à la réputation du service public de l’éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service » pour annuler l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui avait annulé la décision de révocation prise par l’administration en l’encontre d’un enseignant »[188]. Cependant, « aucune disposition législative ne consacre à ce jour l’importance de ce lien et de la nécessité de le protéger »[189]. Par conséquent, « le Gouvernement souhaite inscrire, dans la loi, la nécessaire protection de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles. Compte tenu de son importance, il serait en effet déraisonnable de s’en tenir à une simple consécration jurisprudentielle »[190]. Il ajoute que ces dispositions « pourront ainsi être invoquées […] dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public. Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires et de manière générale l’institution scolaire »[191]. Il est donc projeté d’insérer un nouvel article L. 111-3-1 au Code de l’Éducation[192].
Cette disposition n’a pas été sans susciter des protestations de la part des enseignants[193]. Ces derniers y ont vu non seulement une marque de méfiance, mais encore une volonté d’enrichir l’arsenal disciplinaire de l’État – ce dont il ne se cache d’ailleurs pas. Dès lors que « l’atteinte à la réputation du service » peut se produire en dehors de celui-ci, on peut en effet craindre une limitation de l’expression politique des enseignants hors les murs de l’école. Cette disposition est d’ailleurs la première qu’examine le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi. Il alerte ainsi le Gouvernement sur son absence de portée normative et, à ce titre, sur le risque de censure du Conseil constitutionnel. Elle ne ferait, en effet, que « [réitérer] des obligations générales qui découlent du statut des fonctionnaires comme de lois particulières assorties, le cas échéant, de sanctions pénales »[194]. Il est vrai que, de manière plus générale, les agents publics sont tenus en dehors du service à une obligation de réserve. Ses contours ne sont pourtant pas si aisés à tracer[195], en particulier avec le développement de l’expression sur internet. Adopté au prix d’une légère modification[196], l’article L. 111-3-1 du Code de l’Éducation est trop jeune encore pour avoir dévoilé toutes ses potentialités. Mais c’est finalement moins la lettre que l’esprit qui importe ici. Alors que la IIIe République s’était appuyée sur ses instituteurs[197], la Ve s’en méfie désormais. Ils ont vécu, les hussards noirs de la République.
ECHANGES
Olivier LOFFICIAL, directeur territorial adjoint, Direction Territoriale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse Réunion
La Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ), dans sa mission d’accompagnement des jeunes délinquants, doit affronter un paradoxe important. Elle a pour mission de prendre en charge les mineurs, non pas seulement ceux qui sont en danger, mais aussi ceux qui ont commis des actes de délinquance et sont alors considérés comme dangereux pour la société.
La dangerosité de ces derniers est un sujet récurent, surtout au moment des élections présidentielles et législatives où l’on évoque ces mineurs qui sont restés en prison, qui sont de plus en plus violents et de plus en plus jeunes.
C’est vrai que les chiffres ont leur importance. En 2017, les PJJ était saisies de la situation de 224 000 mineurs au niveau national, ce qui représente 3,4% de la population des 10-17 ans en France. Ces 3,4% sont, à un moment donné, passés entre les mains du parquet.
Dans le profil de ces mineurs, les problématiques de violence sont surreprésentées ; il s’agit de questions-types qui font peur en ce qu’elles font écho à l’idée de dangerosité. Les questions de violences volontaires sont surreprésentées également, les questions de viols et violences sexuelles, qui sont quatre fois plus présentes chez les mineurs que chez les majeurs.
Il faut également noter que les premières victimes de ces mineurs délinquants sont les mineurs eux-mêmes. En matière de violence physique, de violence sexuelle ou de vol, les premières victimes des mineurs sont des mineurs qui s’engageront pour beaucoup sur le mauvais chemin.
Parmi les 224 000 mineurs évoqués précédemment :
- 50 000 ne sont pas poursuivis, notamment parce que le parquet considère qu’il n’y a pas assez d’éléments matériels.
- 100 000 font l’objet d’alternatives aux poursuites, qui réussissent ou qui ne réussissent pas. Les plus habituels sont les mesures de réparation, et lorsque ledit mesure de réparation est exécuté le mineur n’est pas poursuivi.
- 70 000 seront poursuivis.
Au niveau national, au 1er janvier 2018, la PJJ a accompagné 38 000 mineurs, dont 2 200 ont été placés et 783 incarcérés. Ces chiffres sont très stables. Sur les 40 dernières années, il y a eu de très faibles variations.
Pour comprendre ce phénomène, M. Laurent Mucchielli (sociologue CNRS/Centre de recherche sur le droit et les institutions pénales) propose une piste : ce qui importe, ce ne sont pas tant les faits de délinquance mais plutôt la perception que la société a de cette délinquance.
Laurent Mucchielli identifie ainsi deux facteurs principaux de perception dangerosité des mineurs :
- 1er facteur : la part des mineurs dans la société
Plus une société est jeune, plus l’inquiétude, la perception de la dangerosité face aux mineurs est importante. La baisse du nombre de mineurs se traduit par une baisse de la crainte face aux mineurs.
- 2ème facteur : le contexte socio-économique
En cas de crise, la crainte face au mineur augmente. Nous avons peur pour nos enfants et nous avons peur les enfants des autres.
En dépit de ces éléments qui établissent que la notion de dangerosité est toujours présente lorsque l’on réfléchit à l’action de la PJJ, il y a à nouveau un paradoxe : au sein de la PJJ, au sein de l’administration, la notion de dangerosité est quasiment absente des textes ou des discours ; elle n’est pas considérée comme une notion centrale.
Cette situation s’explique en grande partie par le poids des textes et de l’histoire.
L’ordonnance de 1945 qui régit encore, pour quelques mois, la justice des mineurs a ainsi une grande influence. L’exposé de ses motifs ne fait aucune référence à la notion de danger ou à la dangerosité que les mineurs peuvent porter au sein de la société. Rien sur la place de la victime ou la protection de la société. A l’inverse, la phrase la plus connue de cette ordonnance révèle bien l’esprit de la justice pénale des mineurs qui écarte toute idée de dangerosité de ces deniers :
« La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. Le gouvernement de la République entend protéger efficacement les mineurs et plus particulièrement les mineurs délinquants ».
Ainsi la question du danger potentiel que peut représenter, dans l’esprit de la société, le mineur délinquant, n’est pas repris par les textes. Et cela marque profondément nos administrations.
L’idée centrale est que le mineur n’est pas dangereux en tant que tel : le danger se situe dans la situation dans laquelle il se trouve.
Ce paradigme est au cœur de la formation des éducateurs et directeurs de la PJJ qui fait très peu de place aux interventions sur les notions de criminologie par exemple. Des cours de droits, de sociologie, de psychologie, de management sont dispensés, mais rien qui aborde les questions relatives à la potentielle dangerosité des mineurs.
Cette situation est aussi le produit d’une histoire. La PJJ a mis plus d’un siècle à se défaire de son attachement originaire à l’administration pénitentiaire. Quand, en 1945, l’administration pénitentiaire et la PJJ sont séparées, la PJJ s’émancipe et reste à l’écart de toutes ces considérations relatives à la prévention de la récidive ou la criminologie. A l’inverse, les SPIP ont développé tout un corpus théorique autour des notions de prévention et d’évaluation du risque de récidive.
Cependant, la réalité sociale rattrape l’institution, et la notion de dangerosité commence à être prise en compte. Les éducateurs sont de plus en plus en demande de formations en ce sens, de monter en compétence sur des questions de gestion de la violence, de gestion des incidents, de prévention des situations violentes, d’analyse des situations de conflit.
La notion de dangerosité est ainsi prise en compte petit à petit. Alors qu’un éducateur de la PJJ rejetait à l’époque l’inscription d’un mineur au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS) au motif qu’il était nécessairement encore éducable, une telle situation est aujourd’hui admise, notamment parce que la dangerosité du mineur n’est plus discutée et est prise en compte.
L’exemple de la radicalisation est également très parlant. La DPJJ a été très exposée à la problématique de la radicalisation car le premier profil des majeurs qui sont passés à l’acte pour des infractions terroristes révèle qu’ils sont presque tous passé entre les mains de la protection de l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. Néanmoins, pour presque tous, les études montrent que personne n’avait pu identifier le moindre indice de fragilité face à la radicalisation au stade de leur prise en charge. Les outils manquaient ; la dangerosité n’était pas sondée ; les choses changent désormais.
Ce changement ne remet cependant pas en cause l’analyse selon laquelle le mineur, même délinquant, est d’abord en danger du fait de son environnement.
Ainsi ce ne sont pas les mineurs, mais les mineurs délinquants qui subiraient, de la part de leur environnement, une situation de danger qui les met en situation de passer à l’acte ou les pousse à l’acte.
Là encore, la situation est complexe. Il existe une définition claire et cohérente du danger et du risque de danger mais on ne peut pas faire l’économie de la prise en compte de la situation de l’enfant, de ses besoins, ou des dangers auxquels il est exposé. Le rôle des parents, facteurs de dangers ou porteurs d’informations et alors essentiel. Ils doivent être associés la prise en charge éducative. Depuis la loi du 2 janvier 2002, l’avis et les attentes des parents sont donc obligatoirement recueillis avant la mise en œuvre de l’accompagnement éducatif. Cette obligation a modifié les perceptions : alors que la situation du mineur délinquant était souvent associée à une faute des parents qui étaient exclus du processus de reconstruction, il est désormais acquis que, quelle que soit la situation que les parents ont pu faire vivre à leur enfant, ils doivent être acteurs de la prise en charge éducative de leur enfant.
Pour résumer, nous sommes passées de la confrontation avec les parents (phase d’éloignement, durant les années 50-60) à une logique de cohabitation dans laquelle les parents ont été acceptés dans le processus de prise en charge à travers des droits de visite et d’hébergement, du travail auprès de la famille. Puis est venu le temps de la collaboration, à partir de 2002, où il s’agit de reconstruire avec les familles ; on peut presque parler de co-action.
Cette notion de danger que représentait la famille est en train de se métamorphoser. Aujourd’hui, un jeune peut très bien être placé par un juge des enfants, auprès d’une institution, et l’institution pourra le confier à ses parents (placement à domicile). Eux aussi sont parfois des sujets en difficulté qu’il est possible de remobiliser pour les aider à retrouver une place de référents.
Pour résumer, la dangerosité est omniprésente au sein de l’action de la protection judiciaire de la jeunesse, mais cette notion est très rarement utilisée comme un outil ou un concept permettant de fonder une politique ou des actions.
Eric COULEAU, Proviseur vie scolaire et conseiller technique de M le Recteur de l’Académie de La Réunion,
Le concept de dangerosité, bien que rarement évoqué directement, est une préoccupation constante des acteurs du système éducatif. Il engage leur responsabilité, notamment dans le second degré celle du chef d’établissement qui doit prendre toutes les dispositions pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l’hygiène et la salubrité de l’établissement. Il détermine également les diverses politiques de prévention menées au sein de notre institution. L’éducation aux risques fait en effet partie des missions éducatives qui nous incombent.
1 – Le concept de dangerosité :
Première approche :
Les suggestions algorithmiques de Google pour « dangerosité» permettent de mieux cerner les questions que se pose le grand public sur la dangerosité. On trouve ainsi successivement des recherches concernant la dangerosité potentielle de certains pays, celle des drogues, de certains types d’armes, des vaccins, de la chicha, du vapotage, de l’amiante… et même plus surprenant celle du blaireau !
En transposant ces grands thèmes au milieu éducatif, on se rend compte que nous sommes indirectement ou directement concernés :
- La dangerosité potentielle de certains pays : La compréhension du monde contemporain fait partie des programmes scolaires. La multiplication des échanges scolaires internationaux impose une vigilance pour délivrer des autorisations de sortie.
- La dangerosité des armes : Le plan de lutte contre les violences scolaires de 2019 fait suite à l’agression filmée sur les réseaux sociaux d’une enseignante par des élèves avec une arme factice.
- La dangerosité des drogues, de la chicha ou du vapotage : La prévention des conduites addictives est une des priorités de l’école.
- La dangerosité des vaccins : Un travail expérimental de sensibilisation est mené actuellement, en lien avec les autorités sanitaires, dans certains établissements scolaires pour développer la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) qui suscite un certain nombre de réticences auprès du public.
- La dangerosité de l’amiante : La vigilance est naturellement de mise concernant le bâti scolaire.
- La dangerosité des activités extra-scolaires : Il n’y a pas d’implication directe de notre institution sur le sujet. Mais la crise requin à La Réunion a eu des répercussions jusque dans certains établissements scolaires de l’ouest de l’île où de jeunes collégiens et lycéens, sous le coup de l’émotion, ont manifesté sur la voie publique en s’exposant parfois au risque d’accident.
Danger, dangerosité… et principe de précaution :
Le danger est une cause possible de dommage (à une personne, à un peuple, un bien, à l’environnement, etc). La probabilité de survenue de ce dommage est le risque associé à ce danger. Le danger menace ou compromet la sûreté. En l’absence de danger, nous nous sentons en sécurité.
Le concept de dangerosité est parfois utilisé à la place de celui de danger. L’idée est que, même si quelque chose ou quelqu’un n’est pas dangereux de manière immédiate et permanente, il l’est potentiellement.
Le principe de précautiona largement débordé le champ du droit de l’environnement. C’est aujourd’hui une référence incontournable dans tous les discours relatifs aux risques : la prévention s’attache à contrôler des risques avérés, la précaution vise à limiter des risques encore hypothétiques ou potentiels.
2 – Danger, dangerosité et responsabilité :
Quand une famille confie son ou ses enfant(s) à notre institution, ce qu’elle attend d’abord, c’est qu’ils soient en sécurité. C’est tout à fait légitime. La préservation de la sécurité et de l’ordre public relève de la fonction régalienne de l’État. Le chef d’établissement, représentant de l’État au sein de son établissement public local d’enseignement, prend toutes les dispositions pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l’hygiène et la salubrité de l’établissement. Cela ouvre le champ des responsabilités sur des sujets qui sont beaucoup plus vastes que la notion de dangerosité des personnes.
3 – De la notion de danger, à la notion plus large de besoin non satisfait :
Si, comme dans les politiques d’aide à l’enfant, on part du principe que les situations potentielles de danger apparaissent lorsque les besoins fondamentaux des enfants et des adolescents ne sont pas respectés, alors on peut tenter d’évaluer l’action de l’Ecole sur la prévention du danger et de la dangerosité. La pyramide de Maslow, qui est une représentation de la hiérarchie des besoins, peut être utilisée de manière un peu ludique pour expliciter ce propos. Elle comporte de sa base à son sommet cinq étages symbolisant respectivement : le besoin physiologique, le besoin de sécurité, le besoin d’appartenance sociale, le besoin d’estime, le besoin de s’accomplir.
Le besoin physiologique : l’école vectrice de prévention
- Les actions de santé : éducation nutritionnelle, promotion de l’activité physique, éducation à la sexualité, prévention des conduites addictives, sensibilisation à la vaccination…,
- L’éducation au développement durable : Face au danger lié à la pollution, aux risques atmosphériques (le nombre de décès associés à ces conditions défavorables se situent avant le nombre de décès par conflit ou le nombre de décès par maladie), l’éducation au développement durable est essentielle.
- Les rythmes scolaires,
- Les pathologies médicales prises en charge au sein de l’Education Nationale,
- Les élèves à besoins éducatifs particuliers : l’école inclusive.
Le besoin de sécurité : l’école responsable de la sécurité
- Les registres obligatoires contrôlés par l’inspecteur de santé et de sécurité au travail,
- La gestion de crise,
- Le règlement intérieur et la politique de sanction,
- La prévention de la radicalisation,
- Le recueil d’informations préoccupantes.
- Le règlement intérieur et la politique de sanction,
- La gestion de crise,
Les registres obligatoires sont nombreux : registre de danger grave et imminent, dossier technique amiante, registre de santé et de sécurité au travail, registre de sécurité incendie, document unique d’évaluation des risques professionnels.
Les équipes de direction sont formées à la gestion de crise.
La prévention primaire de la radicalisation se fait à travers le travail mené sur les valeurs de la République et la laïcité.
L’école est en charge de l’éducation aux risques :
- Risques routier, professionnels, naturels, technologiques, sanitaires, attentat ou intrusion,
- Prévention de la violence, du harcèlement, des jeux dangereux,
- Formation aux premiers secours,
- Éducation aux médias et à l’information (EMI).
- Prévention de la violence, du harcèlement, des jeux dangereux,
L’éducation aux risques naturels est apparue dans l’Education Nationale à la suite des tempêtes dévastatrices de 1999 dans le sud-ouest de la France. En 2001 le risque technologique a été intégré suite à l’explosion à Toulouse d’une usine stockant du nitrate d’ammonium (AZF). Depuis cette période, chaque établissement scolaire est tenu de mettre en place un plan particulier de mise en sûreté (PPMS).
En 2005/2006, l’épidémie de chikungunya, a nécessité la création d’une cellule de crise, en lien avec le commandement opérationnel de la Préfecture.
Le risque attentat/intrusion a été introduit en 2015.
L’éducation aux médias et à l’information, inscrite depuis 2013 dans le code de l’éducation doit permettre aux élèves d’exercer leur citoyenneté et d’être vigilant sur les mécanismes d’embrigadement.
Depuis 10 ans la question de la prévention de la violence scolaire et du harcèlement est une priorité. Les équipes sont dorénavant formées et les protocoles opérationnels. La vigilance est de mise concernant les jeux dangereux (jeux de non-oxygénation, ou de défis) à l’origine de plusieurs décès chaque année.
Le besoin d’appartenance sociale :
Le troisième étage de la pyramide de Maslow est celui du besoin d’appartenance sociale. Le service social en faveur des élèves permet d’accompagner les jeunes qui sont en grande difficulté sociale.
L’Education Nationale est associée aux projets permettant de lutter contre la grande pauvreté, les discriminations, l’égalité filles/garçons et au dispositif du service national universel. L’apprentissage de la vie en société est une de nos missions premières.
Le besoin d’estime :
Ce besoin est important chez des jeunes parfois confrontés à une souffrance psychique pouvant aboutir à des tentatives de suicide.
La meilleure prise en compte des compétences psycho-sociales est un enjeu majeur de notre système éducatif. Elle passe par l’installation des parcours éducatifs (parcours avenir, parcours d’éducation artistique et culturelle, parcours éducatif de santé, parcours citoyen), la revalorisation de l’oral, l’évaluation par compétences et non par notes à travers le socle commun de compétences, connaissances et de culture, l’évolution des pratiques pédagogiques, le travail sur l’empathie et le dépistage et la prise en charge du mal-être chez les jeunes.
Le besoin de s’accomplir :
C’est le dernier étage de la pyramide et la finalité de notre institution. La réussite de tous les élèves est l’objectif au centre des réformes actuelles. Cela passe en particulier par le développement et le renforcement de l’éducation prioritaire sur les territoires qui sont les plus démunis et sur lesquels la réussite n’est pas forcément identique pour tous.
[1] Manuel général de l’Instruction primaire. Journal hebdomadaire des instituteurs et des institutrices, 5 septembre 1891, tome XXVII, n° 36, p. 397. Citée par H. Orizet, Le service public de l’éducation nationale sous la troisième République, th. dactyl. Nantes, 2017, p. 168, LGDJ, « Bibliothèque de droit public », à paraître.
[2] Idem, nous soulignons.
[3] Par exemple, et sans prétention d’exhaustivité, les articles L. 211-1, L.241-12, D. 122-3-1 ou encore D. 341-1 du Code de l’Éducation.
[4] Voir par exemple le Code de l’Éducation, deuxième partie, livre V « La vie scolaire ».
[5] Par exemple, l’avis n° 2016-11 du 27 juillet 2017 relatif au rapport d’exécution pour l’année 2016 du contrat d’objectifs et de moyens conclu entre l’État et Radio France, ou encore l’arrêté du 27 mars 1993 fixant le programme des épreuves de concours externe et interne pour le recrutement des éducateurs territoriaux des activités physiques et sportives.
[6] Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.
[7] Art. L. 131-1 du Code de l’Éducation : « L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans ».
[8] Art. L. 131-2 du Code de l’Éducation.
[9] Voir le deuxième thème de ce colloque consacré à « Dangerosité et sphère familiale ».
[10] CE, 3 février 1956, Ministre de la Justice c. Thouzellier, Rec., p. 49.
[11] Sans prétention d’exhaustivité, on peut citer L. 312-13-1, L. 421-8 ou encore R. 421-47.
[12] Sans prétention d’exhaustivité, on peut citer les articles L. 312-17-1-1, L. 312-6, ou encore R. 811-36.
[13] Y. Buttner, A. Maurin, Le droit de la vie scolaire. Écoles, collèges, lycées, Paris, Dalloz, 2020, 8e éd., 610 p.
[14] Ibid., p. 343 et s.
[15] Voir les échanges qui suivent cette contribution.
[16] Cf. infra : D. Roman, « Rapport de synthèse. Conjurer la dangerosité ou prévenir le risque ? », Dangerosité et droits fondamentaux, RDLF.
[17] De nombreux exemples ont été relevés par Diane Roman dans l’article précité.
[18] Cf. infra :R. Ollard, « La dangerosité en matière pénale, l’arlésienne omniprésente », Dangerosité et droits fondamentaux, RDLF ; C. Margaine, « De la dangerosité de la dangerosité en droit de la peine », Dangerosité et droits fondamentaux, RDLF.
[19] C. Margaine, loc. cit.
[20] Idem.
[21] Idem.
[22] Selon l’expression de Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, 360 p.
[23] Pour une approche très synthétique de cette question : M. Ozouf, L’École, l’Église et la République. 1871-1914, Paris, Éditions Cana/Jean Offredo, p. 8 et s. La première édition de cet ouvrage date de 1963.
[24] Le deuxième chapitre du Monde d’hier est consacré à « l’école au siècle passé ». Stefan Zweig y relate longuement ses souvenirs d’une école où « à peine franchi le seuil du bâtiment détesté il nous fallait en quelque sorte nous courber en nous-mêmes pour ne pas donner du front contre le joug invisible » ; S. Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, Belfond, 1982, Le livre de poche, p. 47. L’auteur n’a pas de mots assez durs pour la décrire, aussi n’en relèverons-nous qu’un seul exemple : « Nous étions assis par deux comme des galériens sur des bancs de bois assez bas qui nous courbaient la colonne vertébrale, et nous y demeurions jusqu’à en avoir des douleurs dans les os » ; ibid., p. 49.
[25] Cf. infra à propos de la reconnaissance de droits aux élèves.
[26] J. Rivero, Les mesures d’ordre intérieur administratives. Essai sur les caractères juridiques de la vie intérieure des services publics, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1934, p. 276.
[27] CE, 2 novembre 1992, Kherouaa, Rec., p. 389.
[28] CE, Avis, 27 novembre 1989, n° 346.893.
[29] D. Kessler, « Neutralité de l’enseignement public et liberté d’opinion des élèves (à propos du port de signes distinctifs d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Conclusions sur Conseil d’État, 2 novembre 1992, M. Kherouaa et Mme Kachour, M. Balo et Mme Kizic », RFDA, 1993, p. 112 et s., en italique dans le texte.
[30] Y. Buttner, A. Maurin, op. cit., p. 1.
[31] Pour une théorisation récente des différentes conceptions des droits fondamentaux, voir V. Champeil-Desplats, Théorie générale des droits et libertés. Perspective analytique, Paris, Dalloz, coll. « À droit ouvert », 2019, p. 57 et s.
[32] Des formules comparables se lisent dans certaines constitutions révolutionnaires, mais on relèvera surtout le Préambule de la Constitution de 1848 qui lie étroitement protection des citoyens par la République et instruction : « VIII. La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes ».
[33] Article 26.
[34] Article 13.
[35] Articles 28 et 29.
[36] Premier protocole additionnel, article 2.
[37] CEDH, 25 février 1992, Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, n° 7511/76 ; 7743/76, nous soulignons.
[38] Nous soulignons.
[39] M. Ozouf, op. cit., p. 12, nous soulignons.
[40] Art. L. 111-1 du Code de l’Éducation.
[41] F. Bonneau, M.-F. Colombani, C. Forestier, N. Mons (dir.), Refondons l’École de la République, 2012, p. 23 et s.
[42] Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
[43] Si la référence aux « valeurs de la République » provient de l’article 2 de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, c’est la loi de 2013 qui les précise : égale dignité de la personne humaine, liberté de conscience et laïcité.
[44] « Exposé des motifs », Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, nous soulignons.
[45] Idem.
[46] J. Rivero, « La liberté d’enseignement, principe fondamental de la République », AJDA, 1978, p. 565.
[47] Loi du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, dite Loi Ferry.
[48] Loi du 30 octobre 1886 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, dite Loi Goblet.
[49] Chambre des députés, « Séance du 4 décembre 1880 », JO, 5 décembre 1880, p. 11949, cité par H. Orizet, p. 333.
[50] L’Univers, 25 mai 1880, cité par M. Ozouf, op. cit., p. 69. La loi du 28 mars 1882 prévoit en effet, à ses articles 10 et suivants, un contrôle rigoureux de l’assiduité scolaire. Il comprend convocation des parents récalcitrants, affichage à la porte de la mairie de leurs noms, voire poursuites pénales.
[51] Léon Duguit relève ainsi qu’« en France, tout au moins, les défenseurs intransigeants de la conception individualiste ont, jusqu’en 1881, combattu l’obligation d’enseignement au nom de la liberté » ; L. Duguit, Souveraineté et liberté. Leçons faites à l’Université Columbia (New-York) 1920-1921, Paris, Librairie Félix Acan, 1922, p. 159. Pour une approche synthétique de cette question, voir M. Ozouf, op. cit., p. 69 et s. Voir également H. Orizet, op. cit., p. 144 et p. 333.
[52] Cf. supra.
[53] Cité par H. Orizet, op. cit., p. 144-145, nous soulignons.
[54] M. Hauriou, Précis de droit administratif contenant le droit public et le droit administratif, Paris, L. Larose et Forcel,1892, p. 113, cité par H. Orizet, op.cit., p. 148, nous soulignons.
[55] Loi du 21 décembre 1880 sur l’enseignement secondaire des jeunes filles.
[56] Sur ce point, voir H. Orizet, op. cit., p. 226.
[57] Pour une approche synthétique de cette question, voir M. Ozouf, op.cit., p. 93 et s. Voir également H. Orizet, op. cit., p. 223 et s.
[58] J. Ferry, De l’égalité d’éducation, conférence du 10 avril 1870 à la Salle Molière au profit de la Société pour l’Instruction élémentaire, cité par H. Orizet, op. cit., p. 226, nous soulignons. Pour une présentation synthétique de ce discours, voir J.-C. Caron, « Jules Ferry, « De l’égalité d’éducation ». Extrait de la conférence donnée à la salle Molière, 10 avril 1870 », Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2014, n° 22, p. 115-123, consultable en ligne : https://www.cairn.info/revue-parlements2-2014-3-page-115.htm.
[59] Cité par J.-C. Caron, loc. cit., p. 116.
[60] Ibid., p. 115.
[61] Ibid., p. 117. Cette « fusion » est également de nature à favoriser l’union nationale. Alors que la débâcle de Sedan est largement comprise, selon l’expression de Mona Ozouf, comme « la victoire du maître d’école allemand », Jules Ferry estime en 1881 qu’il faut « mêler sur les bancs de l’école les enfants qui se retrouveront un peu plus tard, sous le drapeau de la patrie. Il y a là pour la conservation et le développement de notre unité sociale, des moyens d’autant plus puissants qu’ils s’appliquent à des esprits plus malléables et à des âmes plus sensibles » ; cité par H. Orizet, op. cit., p. 193. Voir également M. Ozouf, op. cit., p. 21 et s.
[62] Loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques.
[63] Cité par M. Ozouf, op.cit., p. 66.
[64] Ch.-H. Ribière, « Rapport sur le projet de loi établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques », 5 mars 1881, consultable en ligne : https://www.senat.fr/evenement/archives/D42/gratuit2.html. Ribière est rapporteur du texte au Sénat.
[65] Par exemple : « Des études scientifiques menées récemment et l’étude PISA de 2012 ont démontré qu’il existe une forte corrélation entre la fréquentation d’un établissement pré-élémentaire et la performance des élèves. L’apprentissage d’un vocabulaire précis et des structures de la langue est un levier majeur pour réduire la première des inégalités, celle devant la langue. En effet, à 4 ans, un enfant issu d’un milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu social favorisé. Après le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire, l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire traduit la volonté du Gouvernement de faire de l’école le lieu de l’égalité réelle, celle qui lutte contre le déterminisme social en assurant à chacun la maîtrise des savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter, respecter autrui. La volonté du Gouvernement est donc d’agir au plus tôt, avec une attention constante aux plus fragiles » ; Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, étude d’impact, p. 19, nous soulignons. Ou encore : « Au-delà de sa portée historique, l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire constitue un levier de justice sociale et de réussite pour tous les élèves […]. L’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire répond à un double objectif de réduction des inégalités sociales et de réussite scolaire et personnelle des élèves. En effet, le système éducatif ne corrige qu’à la marge les inégalités cognitives constatées chez les élèves à six ans » ; ibid., p. 22, nous soulignons.
[66] « Exposé des motifs », Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, nous soulignons.
[67] Défenseur des droits, Droit fondamental à l’éducation : une école pour tous, un droit pour chacun, 2016, consultable en ligne : https://defenseurdesdroits.fr/rapports/2016/11/rapport-2016-consacre-aux-droits-de-lenfant-droit-fondamental-a-leducation-une.
[68] Ibid., p. 68, nous soulignons.
[69] Ibid., p. 70.
[70] Ibid., p. 72.
[71] Idem.
[72] Idem.
[73] Idem. Sur les tentatives d’assouplissement de la carte scolaire depuis 2007 : ibid., p. 73-74.
[74] Il dispose notamment que « le service public de l’éducation […] contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative […]. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement ».
[75] F. Bonneau, et alii (dir.), Refondons l’École de la République, 2012, p. 11.
[76] Ibid., p. 12 et p. 14. Sur ce point, voir également le rapport du Défenseur des droits, op. cit., p. 69 et p. 85.
[77] F. Bonneau, et alii (dir.), op. cit., p. 14.
[78] Sur ce point, voir M. Ozouf, op. cit., p. 30 et s. Voir également H. Orizet, op. cit., p. 140 et s. Sans aucune prétention d’exhaustivité, on peut citer la formule lapidaire d’Eugène Spuller, plusieurs fois ministre de l’Instruction publique dans les années 1880-1890 : « suffrage universel et instruction universelle : ce sont deux termes corrélatifs et qui se commandent », cité par H. Orizet, op. cit., p. 143.
[79] Quoiqu’on ait pu s’en défendre parfois. Ainsi en est-il de Jules Ferry qui, devant le Sénat le 2 juillet 1881, nie toute « entreprise contre la conscience politique de familles, mais [défend] une tentative, qu’on peut trouver bien tardive, dans notre pays de suffrage universel, en vue de commencer dès le jeune âge l’éducation du futur électeur, parce que c’est un futur citoyen » ; ibid., p. 140.
[80] Séance du 14 décembre 1880, cité par A.-H. Le Cornec Ubertini, « La transmission des valeurs de l’École de la République », Questions de communication, 2014, n° 26, p. 262, consultable en ligne : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/9321;DOI: 10.4000/questionsdecommunication.9321, nous soulignons.
[81] Loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, art. 1 : « L’enseignement primaire comprend : L’instruction morale et civique ; La lecture et l’écriture ; La langue et les éléments de la littérature française ; La géographie, particulièrement celle de la France ; L’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ; Quelques leçons usuelles de droit et d’économie politique ; Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques, leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; La gymnastique ; Pour les garçons, les exercices militaires ; Pour les filles, les travaux à l’aiguille. L’article 23 de la loi du 15 mars 1850 est abrogé », nous soulignons. Ce dernier article de la loi de 1850, dite Loi Falloux, prévoyait en lieu et place de l’instruction morale et civique « l’instruction morale et religieuse ». Disposition de compromis, l’article 2 de la loi du 28 mars 1882 prévoit néanmoins que « les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L’enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées », nous soulignons. On notera par ailleurs – la défaite de 1870 est encore dans tous les esprits – les exercices militaires pour les garçons.
[82] Sur ce point, voir H. Orizet, op. cit., p. 165.
[83] Sur ce point, voir Y. Déloye, École et citoyenneté. L’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris, Presses de Sciences po, 1994, chapitre 5 « Les guerres scolaires », p. 199 et s., consultable en ligne sur Cairn.
[84] P. Bert, L’instruction civique à l’école (notions fondamentales). Le service militaire – La Patrie – L’impôt – La justice – Le Parlement – La loi – Le Gouvernement – L’État – Les communes – Les départements – L’administration – Liberté, Égalité, Fraternité – La Révolution, Paris, Librairie Picard-Bernheim et Cie, 1883, 11e éd., p. 5, nous soulignons. La page de titre précise que cet « ouvrage [est] inscrit sur la liste des livres fournis gratuitement par la Ville de Paris à ses Écoles, adopté par les villes de Lyon, Bordeaux, Marseille, etc. ». Remarquons à nouveau la préséance de la question militaire.
[85] Il écrit ainsi que « l’Instruction civique ne doit pas seulement, à notre gré, comprendre l’exposé, fait par l’instituteur, de la Constitution qui nous régit, de l’organisation civile, administrative, financière, politique, de notre société démocratique et laïque ; elle doit être bien plus encore. La souveraineté et l’indivisibilité de la nation, l’égalité devant la loi, le respect de la liberté individuelle, l’égale participation aux charges sociales, l’égale accession aux emplois publics, le suffrage universel, le vote libre de l’impôt et, par-dessus tout peut-être, la liberté de conscience ; toutes ces conquêtes de la Révolution française devront être enseignées à l’enfant avec respect, avec reconnaissance » ; ibid., p. 5.
[86] Ibid., p. 6.
[87] Une des leçons s’intitule ainsi « Il faut bien voter. – Comment y arriver », ibid., p. 67 et s. Sur cette question du bon vote, voir également H. Orizet, op. cit., p. 143 et s.
[88] Le rapport de 2012 sur la refondation de l’école républicaine insistait sur la nécessité « d’apprendre le numérique » et d’éduquer « aux médias et à l’information – dimension essentielle de la formation citoyenne – au même rang que les apprentissages fondamentaux » ; F. Bonneau, et alii (dir.), Refondons l’École de la République, 2012, p. 49. Cet alinéa de l’article L. 111-2 provient d’ailleurs de l’article 4 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
[89] Ibid., p. 26.
[90] CNESCO dont les attributions ont largement été transférées au Conseil d’Évaluation de l’École par l’article 9 de la loi pour une école de la confiance.
[91] Conseil national d’évaluation du système scolaire, Éducation à la citoyenneté à l’École. Politique, pratiques scolaires et effets sur les élèves, 2016, p. 9 et s.
[92] Ibid., p. 25 et s.
[93] Pour une approche synthétique de la question, voir S. Hennette-Vauchez, « CE, 2 novembre 1992, n° 130394, Kherouaa », Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, Paris, LGDJ, 2019, spéc. p. 464.
[94] Cité par H. Orizet, op.cit., p. 155.
[95] Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation.
[96] Ibid., rapport annexé.
[97] Il s’agissait de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989.
[98] Cf. supra.
[99] Article L. 511-1 et s. et R. 511-1 et s. du Code de l’éducation.
[100] Titre I, Livre V, deuxième partie du Code de l’éducation.
[101] Ce changement est également perceptible dans l’historiographie de l’école. Sur ce point, voir M. Ozouf, op. cit., p. 5 et s.
[102] C. Durand-Prinborgne, « Les droits et obligations des élèves du second degré », AJDA, 1991, p. 366 et s.
[103] Idem. Il n’est pas interdit de penser qu’une telle crainte existe toujours. On connaît la formule – qui serait née au ministère de l’Éducation nationale –, selon laquelle « les lycéens, c’est comme le dentifrice : une fois sortis du tube, on ne sait pas comment les faire rentrer ». En ce sens, voir également le rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire, Éducation à la citoyenneté à l’École. Politique, pratiques scolaires et effets sur les élèves, 2016, p. 15.
[104] C. Durand-Prinborgne, loc. cit., p. 366 et s.
[105] Aujourd’hui codifié à l’article R. 511-8 du Code de l’Éducation.
[106] Cf. infra.
[107] Aujourd’hui codifié à l’article R. 421-20 du Code de l’Éducation.
[108] Cette disposition est issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, article 33; nous soulignons.
[109] Aujourd’hui codifié à l’article R. 511-7 du Code de l’Éducation.
[110] Aujourd’hui codifié à l’article D. 422-24 du Code de l’éducation.
[111] F. Bonneau, et alii (dir.), Refondons l’École de la République, 2012, p. 26.
[112] Ibid., p. 26-27 : « Mais, comme cela a été maintes fois souligné, la mise en situation des élèves doit être accrue, d’une part en redynamisant des structures aujourd’hui peu investies (conseil de la vie lycéenne) et d’autre part en développant des projets citoyens, collaboratifs, leur permettant aussi de s’ouvrir à la vie politique et associative extérieure aux établissements. »
[113] Conseil national d’évaluation du système scolaire, Éducation à la citoyenneté à l’École. Politique, pratiques scolaires et effets sur les élèves, 2016, p. 25.
[114] Ibid., p. 25 et s.
[115] Article L. 511-2 du Code de l’Éducation.
[116] Idem.
[117] Cf. supra.
[118] CAA de Paris, 7 octobre 2004, n° 04PA00430. Voir également les conclusions sur cet arrêt de Bruno Bachini, « La liberté d’expression de lycéens dans une revue diffusée dans l’établissement scolaire », AJDA, 2004, p. 2397.
[119] Outre la couverture, ce numéro s’intitulait « du cul, du cul, du cul ».
[120] En effet, l’article R. 511-8 du Code de l’Éducation prévoit que « les publications rédigées par des lycéens peuvent être librement diffusées dans l’établissement. Toutefois, au cas où certains écrits présenteraient un caractère injurieux ou diffamatoire, ou en cas d’atteinte grave aux droits d’autrui ou à l’ordre public, le chef d’établissement peut suspendre ou interdire la diffusion de la publication dans l’établissement ».
[121] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, article 1er, nous soulignons.
[122] CE, Avis, 27 novembre 1989, n° 346.893.
[123] Le Conseil d’État estime ainsi « que cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public » ; idem.
[124] Suite à la publication de cet avis, le Ministre prit quelques jours plus tard une circulaire pour en préciser les modalités d’application. Sur ce point, voir C. Durand-Prinborgne, « Laïcité scolaire et signes d’appartenance religieuse : la « circulaire Jospin » du 12 décembre 1989 », RFDA, 1990, p. 10 et s. La circulaire est reproduite à la fin de l’article.
[125] Sont également – et notamment – visées la loi du 28 mars 1882, la loi du 30 octobre 1886 et particulièrement son article 17 et la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.
[126] Cf. supra.
[127] Loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l’éducation, dite Loi Haby.
[128] Ibid., article 1.
[129] Idem.
[130] Idem.
[131] J. Rivero, « Laïcité scolaire et signes d’appartenance religieuse. L’avis de l’Assemblée générale du Conseil d’État en date du 27 novembre 1989 », RFDA, 1990, p. 1 et s.
[132] Il faut cependant remarquer que la loi de 2004 n’a pas été jugée contraire aux articles 9-1 et 14 de la CEDH relatifs respectivement à la liberté de manifester sa religion et à l’interdiction de discrimination. Sur ce point, voir CEDH, 30 juin 2009, Aktas, Bayrak, Gamaleddyn, Ghazal, Singh et Singh c/ France, n° 43563/08, 14308/08, 18527/08, 291334/08, 25463/08 et 27561/08.
[133] CE, 2 novembre 1992, Kherouaa, Rec., p. 389.
[134] Cf. supra. Voir également les conclusions conformes de David Kessler, loc. cit. C’est par ailleurs l’angle retenu par S. Hennette-Vauchez dans son commentaire critique de l’arrêt : Stéphanie Hennette-Vauchez, « CE, 2 novembre 1992, n° 130394, Kherouaa », op.cit., p. 460-478.
[135] Aussi bien les signes religieux qu’on a pu qualifier « d’ostensibles par nature » – voile, kippa, turban –, que ceux « par destination » -– bandana, bonnet… Pour une présentation synthétique de cette question, voir D. Charbonnel, Une relecture des lois du service public, th. dactyl., Limoges, 2019, p. 425 et s. On doit l’expression de signes ostensibles « par nature » ou « par destination » à Olivier Dord.
[136] « Exposé des motifs », Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
[137] Idem, nous soulignons.
[138] Cf. supra.
[139] Cf. supra.
[140] Cf. supra. Sur la jurisprudence administrative relative aux manuels scolaires, voir également H. Orizet, op. cit., p. 349 et s.
[141] Cf. supra.
[142] Il s’agit en fait d’une circulaire du 27 novembre 1883.
[143] Cela est patent dans de nombreuses dispositions de la loi. On se bornera à citer l’article 1 qui dispose que « les familles sont associées à l’accomplissement [des] missions » de l’école et ajoute que « l’État garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des familles », nous soulignons. Sur le changement de positionnement qu’opère la loi Haby à l’égard des parents, voir A.-H. Le Cornec Ubertini, « La transmission des valeurs de l’École de la République », op. cit.
[144] Depuis la loi de 1989.
[145] F. Bonneau, et alii (dir.), Refondons l’École de la République, 2012, p. 29, nous soulignons.
[146] Ibid., p. 45.
[147] Idem.
[148] Idem, nous soulignons.
[149] Dans le même sens et à propos de la loi de 2019, voir M. Debene, « L’École sous le pavillon de la confiance », AJDA, 2019, p. 2300 et s.
[150] CE, 22 mars 1941, Union des parents d’élèves de l’enseignement libre, Rec., p. 49.
[151] Cf. infra.
[152] HALDE, délibération n° 2007-117 du 14 mai 2007 relative à l’exclusion des mères d’élèves de la participation à des activités éducatives et/ou de l’encadrement de sorties scolaires en raison du port du foulard.
[153] TA de Montreuil, 22 novembre 2011, n° 1012015.
[154] Idem.
[155] CE, Étude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013 (art. 19 de la loi organique du 29 mars 2011), p. 30.
[156] TA de Nice, 9 juin 2015, n° 1305386, nous soulignons : « Les parents d’élèves autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du service public de l’éducation. Par suite, les restrictions à la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service ». Dans le même sens, TA d’Amiens, 15 décembre 2015, n° 1401806, nous soulignons : « l’accompagnement des sorties scolaires constitue une des manifestations, en leur qualité de membres de la communauté éducative, à la vie scolaire ; […] toutefois, [les parents] ne sont pas tenus du seul fait de cette participation et en l’absence de texte particulier leur imposant une telle obligation, à la stricte neutralité à laquelle sont astreints les agents publics et qui fait obstacle au port de tout signe d’appartenance religieuse ». Le tribunal d’Amiens retient les mêmes réserves liées au bon fonctionnement du service public et à l’ordre public.
[157] CAA de Lyon, 23 juillet 2019, n° 17LY04351, nous soulignons.
[158] Selon l’expression de F. Dieu, « L’école, sanctuaire laïque », RDP, 2009, p. 685 et s.
[159] Sur ce point, voir D. Charbonnel, op. cit. p. 434. Adoptée par le Sénat en première lecture le 29 octobre 2019, cette proposition a été transmise à l’Assemblée nationale le lendemain et renvoyée depuis en commission.
[160] D. Charbonnel distingue ainsi la « neutralité-prescription » pesant sur le service et ses agents et la « neutralité-protection » des usagers. Cf. D. Charbonnel, op. cit., p. 377 et s.
[161] Cf. supra.
[162] Cf. supra.
[163] CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, Rec., p. 553. Pour une relecture récente de cet arrêt, voir H. Orizet, op. cit., p. 421 et s.
[164] Idem.
[165] CE, Avis, 21 septembre 1992, n° 309.354 : « contrairement à ce qui a été décidé par l’article 17 de la loi du 30 octobre 1886 en ce qui concerne l’enseignement du premier degré, aucun texte législatif n’écarte les personnels non laïcs des fonctions de l’enseignement du second degré ; […] si les dispositions constitutionnelles qui ont établi la laïcité de l’État et celle de l’enseignement imposent la neutralité de l’ensemble des services publics et en particulier la neutralité du service de l’enseignement à l’égard de toutes les religions, elles ne mettent pas obstacle par elles-mêmes à ce que des fonctions de ces services soient confiées à des membres du clergé ».
[166] CE, Avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017.
[167] Idem.
[168] Ainsi, « 1°) Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’État et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble de ceux-ci ; 2°) Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ; Il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement ; 3°)Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations » ; idem, nous soulignons. L’avis précise que c’est au stade de la sanction – et sous le contrôle du juge – que « la nature et [le] degré du caractère ostentatoire » du signe sont pris en compte.
[169] CC, 23 novembre 1977, loi complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71 du 1er juin 1971 et relative à la liberté d l’enseignement, n° 77-87 DC.
[170] Sur ce point, voir au Code de l’Éducation le commentaire de l’article L. 442-1.
[171] J. Rivero, « La liberté d’enseignement, principe fondamental de la République », AJDA, 1978, p. 567.
[172] Idem.
[173] Cité par J. Couillerot, « Une liberté singulière et plurielle : la liberté publique de l’enseignement privé », RFDA, 2019, p. 909 et s.
[174] Sur ce point, voir l’article précité de J. Couillerot.
[175] Loi n° 2018-266 du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. La question se pose davantage pour ces établissements que pour ceux sous contrat qui sont soumis au contrôle de l’État en vertu de l’article L. 442-1 du Code de l’Éducation. Ce dernier dispose en effet que « dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès ».
[176] Sur le contexte d’adoption de cette loi, voir J. Couillerot, loc. cit.
[177] Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
[178] CC, 26 janvier 2017, loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, n° 2016-745, considérants 13 et 14.
[179] Article L. 441-1 du Code de l’Éducation.
[180] CE, Avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017.
[181] Dans ses conclusions, Rémy Schwartz cite ainsi plusieurs arrêts concernant l’école : CE, 28 avril 1938, Demoiselle Weiss, Rec., p. 379; CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, Rec., p. 464 ; CE, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, Rec., p. 247. Voir également R. Schwartz, « L’expression des opinions religieuses des agents publics en service. Conclusions sur Conseil d’État, 3 mai 2000 (avis), Mlle Marteaux », RFDA, 2001, p. 146 et s.
[182] Cf. R. Schwartz, loc. cit.
[183] Étude d’impact. Projet de loi pour une école de la confiance, décembre 2018, p. 15.
[184] Idem.
[185] Idem.
[186] Idem, nous soulignons.
[187] Idem, nous soulignons.
[188] Ibid., p. 15-16, nous soulignons.
[189] Ibid., p. 16
[190] Idem, nous soulignons.
[191] Idem, nous soulignons.
[192] Il était ainsi libellé : « Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels ».
[193] Sur les conditions d’adoption de cette loi, voir M. Debene, loc. cit.
[194] CE, Avis, 29 novembre 2018, n° 396047, p. 1.
[195] Pour une approche synthétique de cette question, voir N. Charbonnel, op.cit., p. 418 et s.
[196] Il dispose désormais que « l’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire », nous soulignons.
[197] Sur cette question, voir l’ouvrage classique de J. Ozouf, M. Ozouf, La République des instituteurs, Paris, Gallimard, 1992, 386 p. Voir également H. Orizet, op. cit., p. 385 et s.