Dangerosité et droits fondamentaux : dangerosité et milieu professionnel (table ronde n°4)
CONTRIBUTIONS
Olivier CHOPIN, Avocat au barreau de Saint-Denis de La Réunion
Après la dangerosité dans la sphère familiale et le milieu éducatif, nous allons aborder une question qui doit paraître plus évidente, la dangerosité dans le milieu professionnel. Depuis quelques années, nous évoquons toujours la souffrance au travail avec l’impression qu’il n’y a aucun plaisir à travailler.
Le sujet l’interpelle un peu notamment s’agissant du singulier utilisé pour « milieu professionnel ». Il existe des milieux professionnels très différents.
Commençons par un petit rappel historique de l’évolution professionnelle, en tout cas en France avec des révolutions importantes qui ont tout changé :
- La 1ère révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle ;
- La 2nde révolution industrielle 1880-1900 qui a transformé la société avec une main d’œuvre employée massivement. Nous sommes arrivés dans les pays de l’Europe occidentale avec 50% de la population, qui était jusque-là paysanne et qui s’est retrouvée employée dans les entreprises ;
- En 1990 avec la révolution numérique
- Aujourd’hui, nous sommes au cœur de l’actualité avec la révolution de l’intelligence artificielle qui va complètement changer notre société et le travail également.
La révolution industrielle a changé les normes de la relation des gens au travail et l’évolution professionnelle. On peut évoquer un exemple d’évolution et la dangerosité qu’elle génère : en 1898, il y avait 6 ouvriers chez Renault. 15 ans plus tard, il y avait 4 500 ouvriers. Certes, nous pouvons mesurer l’évolution mais ces chiffres-là sont très modestes à côté de ceux de l’Allemagne : dans la même période, au début du XXème siècle, la société Krupp qui travaille dans l’acier et qui était au cœur de ce nouveau monde professionnel, employait 180 000 personnes tandis que SIEMENS, qui existe toujours, employait 153 000 personnes.
Il a tout d’abord fallu protéger tous ces salariés à travers l’Europe et même aux Etats-Unis, ce qui a entraîné une législation du travail nouvelle et importante et une protection du travailleur. Pour être simple, nous avons les trois pays principaux :
- L’Allemagne avec toutes les lois de l’époque de Birsmarck des années 1880 et suivantes qui viennent protéger et créer des assurances pour la vieillesse, la maladie et les accidents de travail. Il n’y a pas le chômage et nous parlons déjà d’accident de travail. Ce régime-là va durer une cinquantaine d’années. Ce sont les nazis qui vont y mettre fin en supprimant le syndicalisme et la protection du travailleur en 1933. Ce dispositif sera remis en place simplement après la guerre. La grande protection sociale allemande apparaît en 1945 avec Beveridge et il va inspirer également la France.
- Les Etats-Unis vont créer un système d’assurance et de protection sur des modalités totalement différentes pour protéger et assurer la santé et le chômage mais pas les accidents du travail. Ça date de 1911, un peu plus d’un siècle.
- En France, il y a eu une grève très importante dans les années 1930 pour la protection. Les gens faisaient la grève pour avoir une meilleure hygiène et sécurité au travail. On luttait et contestait déjà contre la dangerosité du travail avec une loi de 1898 sur les accidents du travail et les réformes de 1945 qui vont protéger notamment les accidents du travail.
Ainsi, la prise de conscience date en France de 1945 et en Allemagne de 1880. Nous n’étions pas vraiment à la pointe du progrès dans ce domaine.
Aujourd’hui, nous avons une évolution très importante s’agissant des accidents : les accidents du travail à l’ancienne, du temps de la révolution industrielle, où un ouvrier perdait un bras dans une machine sont de plus en plus rares. Ces accidents existent encore, malheureusement, mais aujourd’hui l’essentiel de la dangerosité est une dangerosité psychologique liée au harcèlement moral.
La dangerosité en milieux professionnels, selon les périodes et les milieux professionnels, évolue très vite et nous allons voir arriver très rapidement de nouvelles manifestations de dangerosité comme la dangerosité résidant dans le temps excessif passé devant les écrans de travail, etc.
Dangerosité et travail : Une brève présentation d’une longue évolution
Par Ronan BERNARD-MENORET, Maître de conférences en droit privé, HDR
Ces journées ont d’abord pour vocation, selon le document de présentation, de traiter de l’émergence du concept de dangerosité.
En ce qui concerne le monde professionnel, ou autrement dit, le travail, l’origine même du nom par sa référence à un instrument de torture du moyen âge, le tripalium, illustre que cette question est, en la matière, depuis longtemps une évidence.
I – Des risques à l’origine même du droit du travail
Si le travail c’est la santé, c’est avant tout une menace pour celle-ci. Ceci était bien connu avant même l’existence du terme « travail », puisque 2 500 ans avant notre ère, un médecin était déjà en charge de la santé des travailleurs affectés aux chantiers de pyramides, qu’Hippocrate a pu s’intéresser aux effets du plomb sur les ouvriers, et qu’Arnaud de Villeneuve publiait, au XIIIème siècle, « hygiène professionnelle » et la « maladie des métiers ».
Les travaux se poursuivent ainsi au travers des siècles.
Plus près de nous, la question de la santé des travailleurs et donc la conscience de la dangerosité du travail a justifié la mise en place de dispositifs bien avant que n’existe le Code du travail, exactement 100 ans avant. Durant un siècle, toutes les initiatives, à l’exception de la dimension syndicale, portent sur la santé des travailleurs.
Dès 1810, l’on recourt dans les mines et les carrières à des médecins et à des visites d’embauche et un premier décret impose au patronat de payer les frais médicaux des ouvriers blessés lors des accidents en raison du travail.
Enfin, une inspection et un contrôle des établissements industriels insalubres, incommodes ou dangereux sont organisés.
Surtout, l’on relèvera l’interdiction du travail des enfants de moins de 10 ans, comme l’interdiction du travail de nuit pour ceux de moins de 12 ans, entre 1840 et 1874. Textes qui marquent le début du droit du travail.
Les textes vont s’enchainer avec la naissance de l’inspection du travail et surtout la mise en place du régime des accidents du travail avec la loi de 1898.
Le Code du travail de 1810 consacre son livre 2 à la santé des travailleurs, puis ce sera la reconnaissance des maladies professionnelles, de la notion de reclassement, l’apparition de règles d’hygiène puis de la médecine du travail, surtout de la mise en place de la sécurité sociale ou encore des CHSCT, mais les évolutions ne s’arrêteront jamais.
Ce développement de la matière juridique a conduit à ce qu’elle en devienne une spécialité séparée du droit du travail. Un droit de la sécurité sociale, un code, une juridiction ont conduit à ce que les questions de santé se trouvent devenir une branche du droit social.
Ceci a également conduit à ce que ces questions soient traitées par les spécialistes et que, pendant un temps, les employeurs se trouvent éloignés de ces préoccupations premières.
II – De nouvelles prises de conscience pour l’employeur
A – L’évaluation des risques et l’apparition du harcèlement
Le début des années 2000 a remis les problématiques de santé au travail au cœur des sujets d’intérêts pour les entreprises.
D’abord, apparaît le document unique d’évaluation des risques, en 2001, qui oblige les entreprises à s’interroger sur la dangerosité que présente chacun des postes de travail.
Ceci fut l’outil d’une prise de conscience pour tous car le dispositif n’était pas limité à certaines activités ou dimension d’entreprises.
Surtout, ce fut le cas par l’introduction du harcèlement moral par la loi de modernisation sociale de 2002 dans le code du travail mais aussi comme délit dans le Code pénal.
Cette nouvelle notion a transformé le contentieux prud’homal car aujourd’hui un grand nombre des dossiers comporte une demande au titre du harcèlement moral.
Or, la notion est délicate à appréhender et se trouve potentiellement également étudiée sous l’angle de la sécurité sociale, donc par la compétence du pôle Social du TGI (EX-Tass et Ex TGI), voire sous l’angle pénal. Ceci ne simplifie pas une harmonie des décisions.
D’ailleurs, ceci a donné lieu à des évolutions jurisprudentielles.
Pour en donner la dernière teneur, l’arrêt du 4 septembre 2019 (ch. Soc. ; 18-17329), par lequel la Cour de cassation apporte de nouvelles précisions sur les contours des compétences respectives du tribunal et du conseil de prud’hommes en jugeant que « (…) la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l’attribution de dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime antérieurement à la prise en charge de son accident du travail par la Sécurité sociale ;
Et attendu qu’ayant constaté que les agissements de harcèlement moral étaient distincts des conséquences de la tentative de suicide reconnue comme accident du travail dont il était demandé réparation devant la juridiction de sécurité sociale, la Cour d’appel en a exactement déduit que le salarié était fondé à réclamer devant la juridiction prud’homale l’indemnisation du harcèlement moral subi au cours de la relation contractuelle ».
Mais dans cette affaire, l’indemnisation par la juridiction de sécurité sociale ne couvrait que la tentative de suicide. Si la demande s’était fondée sur une reconnaissance du harcèlement moral dans son intégralité, le Conseil de prud’hommes n’aurait pu accorder une indemnisation de ce chef.
Au résultat, ceci conduit à être exposé aux possibles différences d’appréciations des différentes juridictions et à devoir naviguer entre les compétences.
B – La résurgence de la notion de faute inexcusable
Les sujets de prise de conscience ne s’arrêtent pas là. La même année s’ajoutait la résurgence de la notion de faute inexcusable de l’employeur, dont la Cour de cassation avait donné une définition en 1941 mais qui laissait la preuve à la charge du salarié.
Dans une série d’arrêts relatifs à l’amiante, la Cour, le 28 février 2002, posait une obligation de sécurité de résultat à la charge de l’employeur permettant d’envisager plus certainement ce type de recours. Ce qui ne manqua pas d’advenir.
Les entreprises devaient désormais s’accoutumer à la problématique de la santé psychologique des salariés et envisager la prévention des risques psychologiques afin de ne pas voir leur responsabilité engagée.
La combinaison « harcèlement moral » et « obligation de sécurité de résultat » conduisait même à une solution jurisprudentielle critiquable et critiquée, puisque par sa décision du 3 février 2010, la Cour de cassation considérait l’employeur automatiquement responsable d’un harcèlement moral (entre salariés) quand bien même il aurait pris les mesures nécessaires pour le faire cesser. Rappelons que l’employeur doit sanctionner l’auteur d’un harcèlement. Mais la logique était que si le harcèlement avait eu lieu, la santé du salarié en avait été affectée et donc qu’il y avait eu manquement à l’obligation de résultat de préserver sa santé.
Cette solution déresponsabilisait les employeurs et démotivait ceux qui voulaient agir contre les harcèlements.
Fort heureusement, par deux décisions, celle du 25 novembre 2015 et surtout celle du 1er juin 2016, la Cour assouplissait sa position pour exiger une obligation de prévention.
L’employeur doit dorénavant prendre les mesures de nature à prévenir un harcèlement (formation de son personnel) et les mesures de nature à les sanctionner pour dégager sa responsabilité.
Par ailleurs, il convient de relever que l’apparition des exigences relatives à la santé psychologique des salariés était concomitante à un contexte d’application de la réduction du temps de travail pour toutes les entreprises (20 janvier 2002) ayant conduit à un blocage des salaires et à une augmentation des attentes des employeurs en matière de productivité, accroissant ainsi la pression sur les personnels.
Ceci n’est pas étranger au développement d’un nouveau phénomène, le burn–out.
La notion apparaît en 1969 et donne lieu, en France, à des publications surtout depuis 2000 mais elle a particulièrement été médiatisée lors de la vague de suicides à France Telecom en 2006.
En 2008, un accord sur la prévention du stress au travail prévoit la responsabilité de l’employeur pour les maux d’ordre psychologiques.
Concernant le burn–out, précisément en français, le syndrome d’épuisement professionnel, il est encore mal défini et, pour les personnes extérieures au monde médical, il est difficile de le distinguer de la dépression, mal au sujet duquel la France est sur le podium mondial depuis des années.
Aussi, la dernière tentative de sa reconnaissance comme maladie professionnelle, remonte à février 2018 avec une proposition de loi de la France Insoumise, proposition qui a été rejetée.
Mais ceci n’a pas empêché que la prise en compte de la dimension psychique ne cesse de se renforcer depuis la loi Rebsamen de 2015 et le décret de 2016 simplifiant la reconnaissance de ces troubles comme maladies professionnelles.
Pour l’illustrer l’étendue du problème, nous pouvons citer l’Institut de veille sanitaire qui estimait, dans une étude de 2015, que l’épuisement professionnel concernait près de 7 % des gens en souffrance psychologique liée au travail et surtout qu’il est raisonnable d’estimer qu’environ 480 000 salariés seraient touchés, par cette souffrance.
Elle constatait qu’au cours de l’année 2013, donc avant la loi Rebsamen, plus de 10 000 accidents du travail dus à des traumatismes soudains ayant entraîné une atteinte de la santé psychique ont été indemnisés, et 250 au titre du burn–out. Ces traumatismes sont identifiés dans le rapport de gestion 2013 de la CnamTS sous la terminologie « surprise, frayeur, violence, agression, menace, présence ».
Dans son bilan Santé travail : enjeux & actions, publié le 16 janvier 2018, l’Assurance maladie indiquait que plus de 10 000 affections psychiques ont été reconnues comme maladie professionnelle en 2016.
Ceci conduit à dire que le travail a changé et sa dangerosité avec.
Les maladies liées au plomb ou au travail des mines ont laissé la place aux risques dits psycho-sociaux, dont l’apparition et le développement peuvent, dans de nombreux cas, être rapprochés de situations de harcèlement.
Il en ressort que le principal risque est aujourd’hui lié à un mal être au travail, que celui-ci s’exprime par une action au titre du harcèlement moral et/ou par l’invocation d’un syndrome dépressif, d’anxiété ou de burn–out.
Il en ressort également que l’employeur doit prendre les mesures afin d’éviter que ces situations n’adviennent.
Le droit apporte déjà des éléments de réponse à la question de savoir comment prévenir ses risques.
D’une part, l’employeur doit former son personnel, ce qui joue un rôle essentiel depuis la jurisprudence de 2016 en matière de harcèlement moral.
D’autre part, l’employeur doit prendre des décisions justifiées par les nécessités de l’entreprise, dit autrement il doit objectiver ses décisions. Cet aspect a été largement affirmé dans le domaine des discriminations mais il doit dicter toutes les décisions de l’employeur. Sur le fond, le respect de cet impératif doit permettre d’éviter des traitements différenciés et/ou injustifiés et donc des situations de harcèlement.
III – Un bien-être largement lié au dialogue
Mais le fond ne suffit pas. L’expérience montre qu’il faut aussi savoir communiquer relativement aux décisions.
Une décision aussi justifiée soit-elle ne sera acceptée que si elle est expliquée. Si la décision reste incomprise, elle sera source d’inquiétude et conduira le salarié à mal interpréter les décisions suivantes.
Or, les employeurs négligent trop souvent cet aspect.
Combien prennent le temps d’expliquer les termes de son contrat à un salarié lors de l’embauche ? Combien expliquent les raisons d’une réorganisation d’un service, la promotion d’un collègue ou encore un refus de congés payés ? Autant de situations qui se trouvent être à l’origine d’un sentiment d’être méprisé dans la relation de travail.
Outre la nécessité d’objectiver une décision, il faut donc systématiquement l’expliquer aux destinataires. Mais il faut aller encore plus loin.
Il convient également que les décisions soient cohérentes les unes avec les autres et qu’il n’y ait pas de contradiction dans les instructions émanant de la hiérarchie, c’est-à-dire éviter qu’une directive donnée par un N+2 ne soit immédiatement contredite par celle du N+1, situation malheureusement trop fréquente et qui ne peut que plonger le salarié dans le désarroi, ne comprenant plus ce que l’on attend de lui.
Mais n’étant pas spécialiste de management, mes recommandations ne pourront aller plus en avant. Dès lors, je me tourne vers mes collègues présents afin de les interroger sur les meilleurs moyens pour appréhender aujourd’hui cette nouvelle forme de dangerosité.
ECHANGES
Catherine PAYET, Directrice des services juridiques et des assemblées du Département de la Réunion
Il s’agira d’aborder le danger qui émane du comportement et non le danger qui émane de l’exercice de l’activité professionnelle en tant que telle. Le danger émane du comportement des autres et en l’occurrence beaucoup du comportement des usagers. Il existe un danger pour les agents d’une collectivité telle que la sienne (Conseil départemental) qui a connu beaucoup de contacts directs avec les usagers qui ne sont pas toujours exemplaires dans leur comportement vis-à-vis des fonctionnaires territoriaux.
De quels comportements parle-t-on ? De quels faits dangereux parle-t-on ?
Ce sont des faits extrêmement divers dans leur gravité mais qui sont, malheureusement de plus en plus nombreux. Ce sont le plus souvent des injures, des menaces verbales mais parfois, aussi, des agressions physiques, des menaces d’atteinte à l’intégrité physique ou d’atteinte à la famille. Ces faits peuvent parfois s’accompagner de détériorations portées aux mobiliers, aux biens du Conseil départemental.
Très concrètement, les faits d’injures ou d’agressions verbales constituent la forme de violence la plus courante. Mais parfois nous sommes confrontés, et ce ne sont pas des cas d’école, à des cas très graves : menace avec une arme réelle et un tir effectué, menace avec une arme factice…
Ces agressions sont presque toujours le fait des usagers des services sociaux, notamment les parents qui sont mécontents des décisions qui sont prises par le juge des enfants ou l’administration . Ils peuvent aussi être commis par les enfants qui sont placés, et qui sont en relation avec les éducateurs , mais aussi par des proches .
Les violences à l’encontre des services sont aussi le fait des usagers qui ne sont pas forcément concernés par la politique de protection de l’enfance mais qui sont là pour demander de l’aide et sont insatisfaits de la manière dont on répond à leur demande.
Les victimes sont les travailleurs sociaux, les psychologues, les éducateurs, les secrétaires et les personnes chargées de l’accueil, les agents de sécurité, et les cadres administratifs qui sont parfois appelés à intervenir sur des situations individuelles pour discuter avec une famille.
Ce sont les hypothèses les plus fréquentes mais nous connaissons d’autres comportements dangereux émanant d’autres usagers que ceux ayant recours aux services sociaux.. En sont victimes par exemple les agents qui interviennent sur le réseau routier. Certains usagers ne supportent pas de voir la circulation interrompue ou des travaux en cours qui affectent les conditions de circulation. Ils en arrivent à insulter au passage les agents qui interviennent sur le réseau, à les menacer avec leur véhicule, à leur foncer dessus, à ne pas respecter la signalisation. Ce sont autant de comportements dangereux .
Nous connaissons au sein des collectivités des cas plus rares mais beaucoup plus compliqués à résoudre juridiquement. Ce sont les comportements dangereux entre agents : il peut s’agir d’injures, de menaces et parfois de harcèlement.
Tous ces actes, ces comportements excessivement dangereux pour le fonctionnaire constituent des atteintes aux libertés fondamentales (atteinte à la sécurité des personnes, au droit d’exercer ses missions de service public dans des conditions de sécurité.
Les violences ainsi commises ont souvent pour objectif d’intimider les fonctionnaires, pour tenter d’obtenir un certain nombre d’avantages ou un certain nombre de décisions favorables .
La méconnaissance par les usagers des services publics de leurs devoirs (en ne respectant pas le cadre légal, en manquant de civisme, de civilité) les conduit à des comportements qui constituent une atteinte aux droits fondamentaux des fonctionnaires territoriaux, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
Que doit-on faire ? Que peut faire l’administration face à ces situations de danger auxquelles sont exposés les fonctionnaires territoriaux ?
Il existe différentes obligations légales à la charge des collectivités employeurs.
- La première ne sera pas abordée car elle nécessiterait plusieurs heures de discussions. Il s’agit pour l’administration, lorsque les conditions sont remplies, de respecter le droit de retrait. Lorsque le fonctionnaire est exposé à certaines situations de danger présentant des caractéristiques définies par la loi ( danger grave et imminent, pour sa vie, pour sa santé), il a d’exercer son droit de retrait, et notamment de quitter son lieu de travail. Ces cas sont exceptionnels.
La situation la plus courante consiste pour un travailleur social , non pas à exercer son droit de retrait, mais à demander à être déchargé de certaines situations pour lesquelles il est exposé à des menaces. Mais là encore ces situations sont rares.
En règle générale, les travailleurs sociaux continuent à s’occuper des situations pour lesquelles ils ont pu connaître des moments particulièrement difficiles.
- Il existe une autre obligation légale, à la charge des collectivités-employeurs, souvent mise en œuvre : la protection juridique.
En 2019, la Direction des affaires juridiques a instruit 31 demandes de protection juridique. En 2018, il était question de 25 dossiers de protection juridique. Pour que le dossier soit suivi de mesures concrètes cela suppose des faits relativement graves.
Nombre de fonctionnaires ne font pas la démarche de demander la protection juridique. Même s’ils sont exposés à des situations violentes, ils ne sollicitent pas nécessairement la protection juridique .
La protection juridique est parfaitement bien définie dans la loi du 13 juillet 1983 fixant les droits et obligations des fonctionnaires : « La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les attaques volontaires, à l’intégrité de la personne, des violences, des agissements constitutifs de harcèlement, de menace, des injures, des diffamations ou les outrages, dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer le cas échéant le préjudice qui en est résulté ».
Cette obligation légale est tout à fait claire. L’Administration a l’obligation de protéger ses agents contre les attaques dont ils peuvent faire l’objet. Elle doit mettre en œuvre la protection juridique qui n’est pas optionnelle. Elle doit mettre en place cette protection par tous les moyens qui vont lui sembler adaptés afin de faire cesser les attaques ou de prévenir les attaques.
La décision d’apporter la protection juridique est une décision qui appartient à l’autorité territoriale dans une collectivité territoriale : le président pour le Département ou le maire pour la commune. Pour les élus, la protection juridique est accordée par l’organe délibérant et non pas par l’exécutif.
Les fonctionnaires qui font une demande de protection juridique doivent en adresser un courrier précis sous couvert de leur hiérarchie. C’est important puisque cette protection, pour être correctement mise en œuvre, nécessite de comprendre quels ont été les faits, quelle a été la situation. C’est d’ailleurs exigé par le circulaire du 5 mai 2008 : « le fonctionnaire pour recevoir une protection juridique doit motiver en décrivant de la manière la précise possible les faits dont il a été victime ».
Que se passe-t-il quand un fonctionnaire demande une protection juridique ?
Dans 95% des cas, la protection juridique est accordée parce que les faits ne font pas l’ombre d’un doute. Ce sont des faits d’injure, d’agression physique, de menace, etc… Dans quelques cas, elle est refusée. Parfois les fonctionnaires peuvent se sentir victimes d’une menace ou d’une injure mais ce n’est, en réalité, juridiquement pas le cas. Aussi parfois parce que les conditions de la protection juridique ne sont pas remplies.
Dans quelque cas, relativement rares, l’autorité territoriale sursoit à statuer : si l’agent s’estime véritablement victime de faits de nature pénale, libre à lui d’engager une procédure judiciaire. Il lui appartient ensuite de tenir l’administration informée de telle façon qu’en fonction de l’évolution de la procédure judiciaire, celle-ci puisse prendre la décision appropriée.
L’Administration est libre de déterminer les mesures qu’elle va mettre en œuvre pour que la protection juridique corresponde le mieux à la situation.
- Dans un certain nombre de cas, c’est une réponse matérielle, c’est-à-dire que nous sécurisons les locaux, notamment par la présence d’agents de sécurité au niveau des accueils pour éviter que des intrusions se répètent, que des comportements violents soient commis.
- Nous invitons le fonctionnaire à rencontrer le psychologue de travail.
- Systématiquement, la direction juridique qui reçoit et instruit les demandes de protection juridique se met en relation avec le fonctionnaire concerné, pour un accompagnement individuel. Il lui est expliqué en quoi consiste la protection juridique de façon à ce qu’il puisse bien comprendre ce qui peut être proposé dans sa situation et qu’il exprime ses attentes . Souvent les travailleurs sociaux connaissent bien leur agresseur ; ils sont donc les mieux à même de dire « voilà ce qui est important de faire pour que ce genre de comportement ne se reproduise pas ».
Ensuite, la réponse juridique est variable selon les situations.
- Dans l’hypothèse où le fonctionnaire lui-même a déposé plainte, le Département s’associe fréquemment à la plainte. Il écrit au parquet et explique les circonstances de l’agression, de la menace. Il se constitue également partie civile : en effet le Département subit un préjudice financier qui n’est pas seulement lié aux dégradations matérielles mais aux arrêts de travail : le Département réclame aux auteurs de ces agressions le remboursement du coût de arrêts de travail.
- Si le fonctionnaire lui-même n’a pas déposé plainte, le Département ne dépose pas plainte à la place de la victime. Le parquet peut être seulement informé de façon à ce que si les faits de même nature devaient se reproduire, le parquet ait déjà été sensibilisé.
Dans tous les cas de protection juridique, avec l’accord du fonctionnaire concerné, nous adressons un courrier à l’agresseur qui est composé souvent de 3 parties très distinctes :
- Reproduction in extenso du comportement et des propos qui ont été tenus. En mettant la personne face à ses propres termes, à ses propres propos, à son propre comportement, il est à espérer que cela provoque un peu de réflexion. C’est pourquoi la discussion avec le fonctionnaire est importante pour être très précis sur les faits reprochés, les termes utilisés .
- Qualification de ces faits en les associant à un / des article(s) du Code pénal et à la / aux peine(s) associée(s).
- Mise en demeure de ne plus avoir ce genre de comportement à l’égard des agents du Département, de faire preuve de respect. Dans quelques rares cas, il y a interdiction d’un accès direct au service.
Ces courriers sont très efficaces. Ils sont envoyés dans toutes les situations parce que si le traitement judiciaire des faits est extrêmement important et efficace, il arrive souvent après. Le courrier de mise en demeure de cesser ce type de comportement parvient à l’agresseur au plus tard trois semaines ou un mois après les faits. Ces courriers n’ont pour l’instant pas produit d’effets négatifs, avec par exemple un usager qui reviendrait se plaindre ou à nouveau menacer l’agent. Au contraire, ils ne reproduisent pas leur comportement.
Il y a aussi des cas où les protections juridiques sont plus délicates parce que nous ne savons pas exactement si la protection juridique peut être accordée, n’étant pas sûr que les faits soient constitués. Ces cas sont variables comme le harcèlement moral à l’égard des agents ou même des comportements entre agents dont nous ne sommes pas véritablement certains qu’ils nécessitent la mise en œuvre d’une protection juridique. Dans tous ces cas, l’autorité territoriale missionne deux ou trois fonctionnaires aux fins de mener une enquête administrative. Ils vont faire le tour des services, se faire expliquer très exactement la réalité de la situation, entendre les déclarations des personnes concernées par les faits de harcèlement moral, le supérieur hiérarchique, le n+1, le n+2, les agents. Cette enquête administrative sera complète.
Ce n’est pas une enquête judiciaire, nous n’en avons pas les moyens d’investigation et nous ne sommes pas en train de chercher absolument la manifestation de la vérité. L’objectif est d’éclairer l’autorité territoriale sur les circonstances, de façon à ce qu’elle puisse au terme de cette enquête administrative avoir le plus d’informations possibles sur les faits, et en fonction décider de la mesure à mettre en œuvre. C’est une procédure que nous avons mise en œuvre, au moins à 2 ou 3 reprises au cours de l’année 2019, pour statuer sur des demandes de protection juridique.
Parfois enfin nous parviennent des courriers anonymes concernant des fonctionnaires territoriaux et portant des accusations très graves à leur encontre (pouvant aller parfois jusqu’à de la diffamation). Nous menons également dans ces circonstances une enquête administrative. Il convient de ne pas présumer de la culpabilité des personnes qui sont visées. Ainsi, si le courrier comporte un minimum d’éléments et que nous sommes en mesure de les vérifier, nous effectuons une enquête administrative au terme de laquelle nous décidons d’accorder ou non la protection juridique. La question se posera également de porter les faits à la connaissance du procureur et d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre du fonctionnaire.