Un PFRLR contre le mariage gay ?
Un PFRLR contre le mariage gay ? : quand la doctrine fait dire au juge le droit qu’elle veut qu’il dise
Alexandre VIALA
Fondées sur la connaissance d’une tradition législative issue du Code civil, de récentes prises de position doctrinales ont mis en cause la constitutionnalité du projet de loi sur le « mariage pour tous » : un principe fondamental reconnu par les lois de la République prescrirait que le mariage ne peut être conclu qu’entre un homme et une femme. Hostile au mariage gay, ce pré-jugement de constitutionnalité contraire à la déontologie scientifique de l’universitaire, repose de surcroît sur une méconnaissance de la philosophie subjectiviste de la jurisprudence des PFRLR.
Alexandre VIALA est Professeur à l’Université Montpellier I, directeur du CERCOP
Depuis quelques mois, se répand discrètement dans les revues spécialisées comme dans la presse généraliste une discussion entre juristes autour de la constitutionnalité du projet de loi accordant aux couples de même sexe le droit de se marier. A la faveur de cet échange de papiers, rédigés pour la plupart d’entre eux sous la forme du billet d’humeur, c’est l’ensemble de la communauté des juristes qui s’invite dans le débat citoyen autour de la reconnaissance du « mariage pour tous ». Comme dans toute communauté, certains ont compris l’intérêt qu’est susceptible de procurer la caution du savoir scientifique dans un débat d’ordre pratico-moral, au risque de transgresser la frontière webérienne entre le savant et le politique : techniciser des enjeux philosophiques pour mieux offrir à ses propres convictions éthiques le sceau de la vérité. Au sein d’une communauté, il y a également ceux qui préfèrent user de leur savoir dans une perspective critique non pas tant pour opposer une conviction se réclamant de la thèse inverse que pour déconstruire, comme je tenterai plus humblement de le faire, celle qui est affichée sous la bannière de la science. Lorsqu’il s’agit de science du droit (ce dont se réclame quasi-explicitement « l’agrégée des facultés de droit » qui entend démontrer l’illégitimité du législateur ordinaire à ouvrir le mariage aux homosexuels. En conférant ainsi, à sa propre signature, les atours de la parole d’expertise, l’auteur justifie en cela que ce n’est « ni en politique, ni en religieux, ni en sociologue, mais en juriste d’aujourd’hui » qu’elle entend s’exprimer ; cf. L. Candide, Le sexe, le mariage, la filiation et les principes supérieurs du droit français, Gaz. Pal. 4 oct. 2012, n° 278, p. 7), le savoir indûment mobilisé est un savoir qu’il est d’autant plus délicat d’enrôler qu’il est partagé avec d’autres acteurs relevant de la même communauté juridique mais dont le métier consiste à en user non pas comme des savants mais comme des juges dont les décisions n’énoncent ni des vérités ni des mensonges mais des verdicts souverains. Nul ne saurait donc, fût-ce au nom de la connaissance savante d’une supposée tradition législative, dicter au juge constitutionnel ce qu’il doit déduire de celle-ci pour juger de la constitutionnalité d’une loi que le gouvernement d’aujourd’hui souhaite faire adopter. Ce savoir que des professeurs de droit partagent avec les juges est constitué d’un recensement de lois républicaines, antérieures à 1946, que le juge constitutionnel est susceptible de traiter librement pour les regarder ou pas comme opposables aux lois qui lui sont déférées, et ce en vertu d’un monopole jurisprudentiel que lui a brisé le Conseil d’Etat il y a quelques années (CE, 3 juillet 1996, Koné, D., 1996, p. 509). Le savoir n’est pas le seul instrument dont se parent ces professeurs de droit en disant le droit que le juge constitutionnel devrait dire pour entraver la réforme législative étendant aux homosexuels le droit au mariage. C’est à l’abri d’un pseudonyme, celui de « Lucie Candide », que ce professeur de droit précédemment cité invoque dans les colonnes de la Gazette du Palais, fort de sa connaissance du Code civil, toute une tradition législative que le Conseil constitutionnel devrait opposer à la loi annoncée sur le « mariage pour tous », pour démontrer que les promoteurs de la réforme devront, en toute logique eisenmannienne de l’aiguillage, surmonter l’épreuve d’une révision constitutionnelle s’ils veulent faire aboutir leur projet. Sachant que la majorité législative actuelle n’a pas l’envergure arithmétique d’une majorité congressionnelle, ces juristes au visage masqué – que ce soit derrière un pseudonyme ou simplement derrière leur science (P. Delvolé, Mariage : un homme, une femme, Le Figaro, 8 novembre 2012 ; F-X Bréchot, La constitutionnalité du « mariage pour tous » en question, JCP Ed. Gén., n° 51, 17 décembre 2012, doctr. 1388) – caressent l’espoir que le projet doive subir le même sort que celui relatif au droit de vote des étrangers aux élections locales auquel François Hollande a dû renoncer faute de disposer d’une telle majorité. Cette tradition législative qui constituerait l’obstacle constitutionnel interdisant l’adoption de la réforme sur le mariage homosexuel en la forme législative ordinaire serait repérable dans le Code civil et dans diverses législations éparses où l’on dénote, à juste titre, la récurrence de formules utilisant les vocables « homme » et « femme » pour définir l’institution du mariage. Une récurrence qui serait digne, sous la plume de nos auteurs, d’être reconnue par le Conseil éventuellement saisi, et hissée au rang constitutionnel en recevant la promotion catégorielle de « principe fondamental reconnu par les lois de la république » (Pour une opinion contraire, Cf., X. Dupré de Boulois et D. Roman, Le mariage, Napoléon et la Constitution ; D. Rousseau, Le « mariage pour tous » relève bien de la compétence du législateur ordinaire, Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p. 5).
Je voudrais exposer les différentes raisons pour lesquelles le gouvernement et la majorité des députés qui défendent le projet de loi, qu’ils appartiennent ou non à la majorité parlementaire, n’ont pas à redouter l’aiguillage du Conseil constitutionnel ni la nécessité, par voie de conséquence, de devoir enclencher une procédure de révision constitutionnelle aux perspectives trop incertaines pour ne pas faire le deuil de la réforme. Je vois deux types d’explication. La première vise la démarche de nos collègues qui s’avère épistémologiquement infondée (I). La seconde explication me permettra de montrer en quoi leur thèse, sur le fond, trahit une méconnaissance non pas de la législation républicaine sur le mariage, qu’ils mobilisent dans leur démonstration, mais de la philosophie générale de la jurisprudence constitutionnelle des PFRLR (II).
I – Une méthode épistémologiquement infondée
L’offensive doctrinale entreprise contre le projet de loi sur le « mariage pour tous » sous la bannière du savoir constitutionnel utilise, à très mauvais escient et de façon contreproductive, la célèbre théorie de l’aiguilleur pour mettre en doute la légitimité du projet gouvernemental (A). Mais plus grave, elle revient à préjuger, chemin faisant, la constitutionnalité d’une réforme au mépris des exigences de l’office du juriste (B).
A – Une utilisation contreproductive de la théorie de l’aiguilleur
En déniant au législateur ordinaire le droit constitutionnel d’abroger tacitement l’exclusivité du mariage hétérosexuel, les auteurs de cette offensive en accordent du même coup la légitimité au législateur constitutionnel puisque telle est la logique normativiste du contrôle de constitutionnalité à laquelle ils semblent se rallier. Curieuse option que de revendiquer ainsi une approche aussi relativiste de la justice constitutionnelle, celle de Charles Eisenmann, pour souligner la contrariété d’une loi à un principe fondamental (rappelons que c’est à Charles Eisenmann qu’est imputée la paternité de la conception normativiste de la justice constitutionnelle : celle-ci n’est légitime que parce qu’en censurant la loi, elle ne s’oppose pas au contenu d’une réforme législative mais ne fait qu’indiquer aux pouvoirs publics qu’eu égard à ce contenu, elle eût dû être adoptée en la forme constitutionnelle ; cf. C. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, Paris, 1928, nouv. Ed., Economica, 1986. Selon la célèbre formule de Louis Favoreu s’inspirant des enseignements d’Eisenmann, le juge constitutionnel se comporte comme un « aiguilleur » ; cf. L. Favoreu, Les décisions du Conseil constitutionnel dans l’affaire des nationalisations, RDP 1982, p. 419). Qu’est-ce, en effet, qu’un principe fondamental reconnu par les lois de la République sinon toute autre chose qu’un principe inscrit dans la Constitution qu’il suffirait, d’un trait de plume, de raturer moyennant le respect du mot de passe : « majorité des trois cinquièmes » ?
Si telle était l’épreuve procédurale à laquelle devraient sacrifier les pouvoirs publics pour introduire en droit positif le mariage homosexuel, l’exclusivité du mariage hétérosexuel ne serait rien d’autre qu’une norme formellement constitutionnelle aisément exposée aux jeux d’écriture organisés par l’article 89 de la Constitution. Mais le principe de l’hétérosexualité du mariage est à la fois, si l’on se fonde sur le raisonnement de ses « avocats », bien plus que cela tout en étant absent de la Constitution. Regardé par eux comme un PFRLR, il doit essentiellement sa fondamentalité à sa récurrence dans le Code civil, c’est-à-dire dans ce que le doyen Carbonnier regardait lui-même comme la « véritable Constitution de la France ». Autant dire qu’aux yeux et dans l’esprit de ses thuriféraires, il est doté d’une noblesse sociologique et historique qui semble mal convenir à un argumentaire les conduisant à évoquer la nécessité d’une révision constitutionnelle. Tout se passe comme si nos collègues, sensibles à la fonction anthropologique du droit, n’assumaient pas le jusnaturalisme qui caractérise leur conviction en s’inscrivant, pour le refouler, dans une démarche positiviste tout en sachant fort opportunément que la difficulté qu’ils soulèvent de façon faussement naïve est une perspective insurmontable pour le gouvernement. Analogue à celle qui empêche la réforme du droit de vote des étrangers aux élections locales de voir le jour, semblable perspective serait fatale au projet de loi sur le « mariage pour tous », ainsi qu’en sont évidemment conscients Lucie Candide comme Pierre Delvolvé. Par où l’on voit combien la doctrine peut facilement céder à la tentation d’instrumentaliser le droit positif selon une inclination qui répond davantage à l’office de l’avocat qu’à celui de la science du droit. L’habitude est assez rare, cependant, pour être soulignée. D’ordinaire en effet, c’est le droit naturel qui est explicitement enrôlé par la doctrine jusnaturaliste pour conférer à ses propres thèses l’illusion de l’objectivité. C’est bien évidemment le droit naturel qui, d’une fort commode plasticité (selon l’heureuse formule de Georges Vedel ; cf. G. Vedel, Le Conseil constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme, Pouvoirs, 1988, n° 45, p. 149), se trouve être l’instrument idéal du sophisme jusnaturaliste. Voilà qu’à présent, peut-être en raison du désenchantement dont il a été l’objet après le tournant kelsénien du XXème siècle, une partie de la doctrine dissimule pudiquement ses convictions jusnaturalistes derrière le manteau d’un droit positif que le juge constitutionnel traite souverainement. Le droit naturel, c’est alors le droit positif tel que cette doctrine aimerait le voir traité par le juge constitutionnel. Geste qui témoigne peut-être, à l’heure de l’importance qu’a prise la dimension contentieuse du droit constitutionnel, d’un certain surinvestissement de la règle juridique. Le dévoiement de l’Etat de droit et de la judiciarisation de la société est tel que chacun, s’érigeant en haruspice, voit dans le droit positif matière à lire ce qu’il veut bien entendre et prend la fâcheuse manie de faire du droit le témoin complaisant de sa propre religion. Mais la ficelle est dans cette occurrence tellement grossière que l’instrumentalisation du droit positif se retourne contre son auteur : puisque la réforme du « mariage pour tous » nécessite une révision de la Constitution, c’est que l’hétérosexualité du mariage n’a rien de fondamental et que dès lors, le projet de loi ne saurait bouleverser les « fondements anthropologiques de notre société ». Je reprends tout simplement ici l’expression utilisée par une autre collègue, représentative de cette croisade, lorsqu’elle s’enferme dans l’impasse d’une contradiction performative en subordonnant, dans son audition au Sénat, la reconnaissance du mariage homosexuel à la nécessité d’une « intervention du pouvoir constituant » (A-M Le Pourhiet, Audition devant le groupe UMP du Sénat sur le projet de loi « ouvrant le mariage aux couples de même sexe », 28 novembre 2012). Evoquer la nécessité d’une révision constitutionnelle pour remettre en cause un des fondements anthropologiques de notre société revient, en le disant, à nier le caractère anthropologique de ce fondement pour le réduire au rang de simple fondement juridique. La démarche de nos collègues s’inspire étrangement du double patronage de Charles Eisenman, fondateur de la théorie constitutionnelle de l’aiguilleur et de Pierre Legendre, défenseur des montages anthropologiques du droit occidental contre les dérives du postmodernisme (P. Legendre, Leçon IV – La filiation. Fondement généalogique de la psychanalyse, Fayard, 1990). L’attelage baroque me semble relever, pour le coup, du mariage contre nature… Un mariage qui ne peut que tourner court sous l’effet boomerang d’une aussi maladroite mobilisation des instruments du contentieux constitutionnel. Et l’on entend alors résonner semblable effet dans l’ironie provocatrice de Dominique Rousseau écrivant : «Si je comprends bien leurs analyses juridiques, Lucie Candide et Pierre Delvolvé ne sont pas contre le mariage entre personnes de même sexe (…) Ils considèrent seulement que l’autorité compétente pour décider du mariage homosexuel n’est pas le législateur ordinaire mais le législateur constituant » (D. Rousseau, Le « mariage pour tous » relève bien de la compétence du législateur ordinaire, Gaz. Pal., op. cit., p. 5).
Cette instrumentalisation de la théorie de l’aiguilleur par une partie de la doctrine pour protéger l’exclusivité du mariage hétérosexuel cache donc très mal la stratégie essentialiste de ses auteurs. Une stratégie qui emprunte toujours la même méthode : en préjugeant la constitutionnalité du projet de loi, la démarche de nos auteurs est indûment prescriptive.
B – Un pré-jugement de constitutionnalité contraire à l’office du juriste
Contreproductives, ces diverses prises de position adoptées sous le sceau du savoir juridique pour attirer l’attention sur les obstacles constitutionnels auxquels se heurterait le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe révèlent surtout une singulière prise de distance et de liberté à l’égard des principes les plus élémentaires de l’éthique du juriste universitaire. Alors qu’il incombe à la science du droit de recenser les diverses interprétations possibles que le juge est susceptible de retenir de sa lecture des textes juridiques, voilà la doctrine qui opère un choix entre ces différentes options tout en prétendant qu’il sera celui qu’effectuera le juge. Dans le moment même où elle est réputée délivrer ce que Kelsen appelait une interprétation scientifique, c’est-à-dire un recensement descriptif des choix possibles du juge quant à la signification qu’il s’agira de prêter au textes juridiques (H. Kelsen, Théorie pure du droit, 2ème ed., 1962, trad. C. Eisenmann, rééd. LGDJ-Bruylant, 1999, pp. 335 et s.), elle pratique indûment l’office du juge en exprimant elle-même ce choix – ni vrai ni faux – qui n’est rendu public, pour user encore du vocabulaire kelsénien, qu’au stade de l’interprétation authentique au terme d’une décision de justice. Ce faisant, comme elle n’a que le statut de la science du droit et qu’elle est réputée ne délivrer qu’une interprétation scientifique, elle entretient dangereusement l’illusion qu’une seule interprétation possible est connaissable et s’impose au juge avec la force de l’évidence. En un mot, elle répand l’idée que loin d’être un acte de volonté soustrait à toute rationalité scientifique, l’interprétation authentique du juge constitutionnel serait un acte de pure connaissance que la doctrine l’aiderait à accomplir. Un renversement contre nature s’opère alors entre les rôles respectifs de la doctrine et du juge : voilà maintenant que la première prescrit ce que le second est invité à découvrir. Voilà nos collègues, dénués de tout scrupule déontologique, prescrivant au Conseil constitutionnel ce qu’il doit hisser au rang constitutionnel en érigeant leur propre interprétation des lois républicaines en standard objectif de validité constitutionnelle.
Cette manière de préjuger, en annonçant que l’hétérosexualité du mariage est un PFRLR, porte non pas tant sur la signification des lois républicaines invoquées que sur leur force. J’admets que même en se plaçant sur le terrain de l’interprétation scientifique, le bon sens et les règles les plus élémentaires du langage conduisent tout juriste savant à ne recenser qu’une seule signification connaissable de ces lois : ces dispositions législatives n’énoncent rien d’autre que le principe selon lequel le contrat de mariage se conclut entre un homme et une femme. Il est certain que dans sa seule dimension locutoire, l’article 75 du Code civil dispose clairement que l’officier d’état civil « recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme », tout comme l’article 144 du Code civil énonce que « l’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage ». Il est non moins irréfutable qu’on retrouve dans la loi du 27 juillet 1884 rétablissant le divorce l’allusion explicite au mari et à la femme, qu’on découvre dans la loi du 13 juillet 1907 relative à la contribution des époux aux charges du mariage des articles régissant les rapports respectifs du mari et de la femme, etc.
Mais la question centrale de la polémique n’est pas de savoir ce que disent ces lois dans leur stricte dimension sémantique. Elle est de savoir ce que vaut le principe qu’elles énoncent. Or, ce que vaut ce qu’elles énoncent, fût-ce sans le moindre soupçon d’ambiguïté, ne vaut que ce que lui prêtera le juge constitutionnel : la nature hétérosexuée du mariage conservera-t-elle la valeur de son fidèle support législatif ou s’enrichira-t-elle de la valeur constitutionnelle que pourra lui conférer l’exploitation jurisprudentielle de la formule du préambule de 1946 reconnaissant l’existence de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ? La source objective de cette constitutionnalisation résidant exclusivement dans la discrétionnaire intervention du Conseil constitutionnel, toute opinion doctrinale prédéterminant ce qui jaillira de cette source n’est rien d’autre qu’une proposition subjective de norme que nul ne peut, sauf à commettre le fameux sophisme jusnaturaliste, ériger en standard objectif de référence. Que Pierre Delvolé constate que l’hétérosexualité du mariage est un principe toujours réitéré par les lois de la République ne le fait pas sortir de son office de juriste savant. Qu’il en infère, sur le ton prescriptif, « que c’est un principe fondamental que les lois de la République ont toujours mis en œuvre » en ajoutant : « il ne peut être modifié sans réforme de la Constitution » le met en situation de commettre un tel sophisme. En partant du constat scientifique de la régularité de ces lois pour aboutir à la conclusion normative de leur consécration en PFRLR, il induit un devoir-être d’un être oubliant en cela que la connaissance de tels principes ne résulte pas du recensement savant des lois républicaines, aussi récurrentes soient-elles dans l’affirmation de l’hétérosexualité du mariage, mais de la connaissance des décisions du Conseil constitutionnel les ayant souverainement consacrés. Si la science du droit ne connaît que la catégorie abstraite des PFRLR telle qu’elle résulte de l’énoncé du préambule de 1946 en tant qu’universel, l’accès à la connaissance d’un PFRLR empirique que le Conseil a jugé digne d’être inclus dans la catégorie ne lui est donnée que par le prisme de ce jugement.
On concèdera que la science du droit peut, sur le fondement des lois probabilistes, prédire rationnellement ce que le juge décidera d’ériger au rang de PFRLR. A défaut de prescrire, elle ne peut que décrire les décisions rendues (dans une plus ambitieuse mesure, elle peut aussi rendre compte rationnellement des contraintes argumentatives ou stratégiques qui ont déterminé le juge à les rendre) ou en prédire l’avènement sur la foi de considérations tirées d’une observation empirique de la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel. Mais ni Pierre Delvolvé ni Candide derrière qui se cache un collectif d’universitaires militants ne sont le juge Oliver Wendell Holmes. En préjugeant sur la foi de considérations idéologiques, ils se tiennent très éloignés de ce que le Chief Justice de la Cour suprême américaine attendait de la science du droit : « les prédictions de ce que feront les tribunaux et seulement cela, voilà ce que j’entends par droit » (O. W. Holmes, The Path of the Law, in Collecting Legal Papers, 1920. La prédictibilité des décisions de justice est un des grands credo du réalisme juridique contemporain. Il repose sur la thèse selon laquelle le juge, souverain dans la détermination de la signification ou de la force normative des textes qu’il est en charge d’appliquer, est néanmoins soumis à des contraintes de tous ordres (stratégique, sémantique, psychologique, etc.) qui relèvent de la causalité et donnent à son comportement, en conséquence, une certaine prévisibilité. Mais celle-ci ne saurait être définie sous forme de projection, par le juriste, de ses propres convictions éthiques. Elle l’est, eu égard à l’étude de ces facteurs de type causal qui s’imposent objectivement. Cf. M. Troper, V. Champeil-Desplats, C. Grzegorczyk (sous la dir. de), Théorie des contraintes juridiques, Bruylant-LGDJ 2005 ; O. Jouanjan (sous la dir. de), Théories réalistes du droit, Presses universitaires de strasbourg, n° 4, 2000 ; A. Ross, Introduction à l’empirisme juridique, trad. E. Millard et E. Matzner, Bruylant-LGDJ, 2004).
Je me permets d’avancer qu’en prédisant ce que fera le Conseil constitutionnel dans l’hypothèse d’une contestation de la loi sur le « mariage pour tous », le juriste peut démentir selon de fortes probabilités tirées de l’observation de la jurisprudence de la Haute instance, le pré-jugement de Candide. C’est que celui-ci, bon connaisseur de la tradition législative d’où il tire le principe de l’hétérosexualité du mariage, n’a pu produire son inférence normative qu’en méconnaissance de la philosophie générale qui inspire la jurisprudence constitutionnelle des PFRLR.
II – Une méconnaissance de la philosophie de la jurisprudence constitutionnelle des PFRLR
Une science du droit de type positiviste et respectueuse de la déontologie universitaire, fondée sur une méta-éthique anti-cognitiviste dont semblent totalement se déprendre Candide et ses alliés, nous enseigne qu’un PFRLR n’a pas d’essence. Le juriste sait que le PFRLR est un nom, une catégorie désignée par le préambule de 1946 dans lequel le Conseil constitutionnel est libre de ranger la chose qu’il entend. Ne dit-on pas souvent que les principes généraux du droit sont davantage le fruit d’une création que d’une révélation par le Conseil d’Etat ? Certes, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République jouiraient d’une cohérence ontologique garantie par les critères que le Conseil constitutionnel s’est donné dans la décision du 20 juillet 1988 (CC n° 88-244 DC, rec., p. 119) pour les déterminer : caractère républicain de la loi d’où le principe est issu, constance absolue de l’affirmation du principe par des législations ultérieures et antériorité au Préambule de 1946 de la loi dont il découle. Cependant, la connaissance de ces critères ne permet pas de se forger l’idéal-type du PFRLR sans s’en tenir à une plate et très empirique lecture des décisions du Conseil les ayant consacrés. C’est que la fixation de tels critères relève certainement de la stratégie rhétorique et argumentative dont usa le Conseil en 1988 pour se prémunir à l’avenir du procès en gouvernement des juges. Le Conseil restant « largement maître de la découverte et du contenu de cet élément du bloc de constitutionnalité » (D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 9ème éd., p. 104), il est préférable pour prophétiser son comportement devant la loi sur le « mariage pour tous », de s’en tenir à la démarche expérimentale consistant à lire ses décisions antérieures plutôt qu’à la méthode spéculative tendant à subsumer hasardeusement sous les critères de 1988 la législation républicaine sur le mariage. Encore une fois, l’objet du juriste savant n’est pas, à cet égard et comme l’ont cru ou feint de le croire Pierre Delvolvé et Lucie Candide, cette législation républicaine dont l’exploitation normative est le monopole du juge. Il n’est constitué que de la seule jurisprudence du Conseil constitutionnel. Une jurisprudence dont la philosophie générale permet d’avancer dans un premier temps que la nature des PFRLR empiriquement consacrés est de type subjectiviste, contrairement à ce que représente le principe de l’hétérosexualité du mariage (A). Une jurisprudence qui permet d’autre part de conclure qu’à l’aune de toutes les lois dont le Conseil a dégagé un PFRLR, la législation bourgeoise sur le mariage, issu du Code Napoléon, affirme un principe qui s’avère plus contingent que le prétendent ses « avocats » et, chemin faisant, moins digne que les autres principes de rentrer dans la catégorie (B).
A – La nature subjectiviste des PFRLR
En quête d’un hypothétique PFRLR contre le mariage gay, nos auteurs invoquent la constance de la législation républicaine sur l’institution hétérosexuée du mariage. Nul ne saurait les démentir mais si la récurrence est un critère nécessaire, la jurisprudence du 20 juillet 1988, rappelons-le, nous enseigne qu’elle n’est pas suffisante. Outre cette régularité ainsi que l’antériorité au Préambule de 1946 de la loi qui constitue le support du principe, elle exige de celui-ci qu’il soit de nature républicaine. Sans m’immiscer dans le débat très juridico-formel et, par voie de conséquence, extrêmement stérile sur le point de savoir si les dispositions du Code Napoléon ont été adoptées en période républicaine ou non (on nous dit que le Code Napoléon, dans lequel figurent les principales dispositions affirmant l’hétérosexualité du mariage, a été adopté le 25 mars 1804 alors qu’on était encore en République, « l’Empire n’ayant été proclamé que le 18 mai » ; cf. P. Delvolvé, Mariage : un homme, une femme, Le Figaro, op. cit.. Je fais confiance à l’érudition historique qui caractérise le propos mais chacun conviendra que cette mobilisation des dates et de l’agenda républicain qui, encore fois, relève moins de la posture de l’universitaire que de l’office de l’avocat en quête d’alibis de toute nature (jusqu’au plus formel d’entre eux), ne nous livre pas l’explication la plus importante pour déterminer la nature républicaine d’un principe), je ne suis pas certain qu’on puisse affirmer que l’hétérosexualité du mariage soit un principe d’inspiration républicaine.
La philosophie du PFRLR repose essentiellement sur la fondamentalité du principe contenu dans une loi républicaine. D’un point de vue conceptuel et indépendamment de l’identité empirique de chaque principe que le Conseil constitutionnel a fait rentrer dans la catégorie du constituant de 1946, le point de départ de toute réflexion sur la notion de PFRLR consiste à s’interroger sur cet attelage terminologique qui relie le substantif « principe » et l’épithète « fondamental ». Admettons, avec Etienne Picard, que la fondamentalité nous renvoie à la notion de droit naturel (E. Picard, L’émergence des droits fondamentaux en France, A.J.D.A., 1998, p. 6), c’est-à-dire à l’essence qu’un principe renferme, et ce quelle que soit la norme qui en constitue le support formel. Concédons, en même temps, que le terrain sur lequel s’inscrivent, sans le dire, les adversaires du projet de loi sur le mariage gay, celui du droit naturel, est un terrain intellectuellement légitime pour mener la controverse, le mariage ayant été organisé, selon eux, non pas comme un contrat intersubjectif mais comme une institution objective destinée à faciliter le dessein naturel et biologique de la perpétuation de l’espèce dont l’homme et la femme, en couple, sont les agents indispensables et complémentaires. Il faut alors se résoudre à admettre, qu’en se plaçant sur le terrain du droit naturel, il est inéluctable de se heurter à la réversibilité des arguments. C’est qu’il y a droit naturel et droit naturel, l’expression même de droit naturel, qui mêle dans un mariage baroque – et contre nature – le construit (le droit) au donné (la nature), désigne toujours le droit idéal de celui qui, subjectivement, en l’invoquant, tente de le faire passer pour naturel. La polémique qu’avait suscitée le député-maire de Bègles, Noël Mamère, en décidant de célébrer un mariage homosexuel le 5 juin 2004, opposait déjà deux sensibilités pouvant l’une et l’autre trouver dans la même source, le droit positif, des arguments de force équivalente que nul ne pouvait objectivement départager. C’est ce qu’avait reconnu le Professeur Pierre-Yves Gautier qui, dans un article publié dans la presse (P-Y Gautier, Le mariage des homosexuels : pour et contre, Le Monde, 7 mai 2004), expliquait qu’avec la même ressource textuelle, le Code civil, on pouvait tout aussi bien fonder la validité juridique des mariages homosexuels que mettre en doute leur légalité. Ainsi par exemple, tandis que l’article 212 du code relatif aux droits et devoirs du mariage, qui utilise dans une approche sémantiquement neutre le terme d’ « époux », suffisait à fonder en droit la démarche pionnière du maire de Bègles, celle-ci se heurtait néanmoins à l’article 75 du même code qui dispose, au contraire, que les époux remettent à l’officier d’état civil une déclaration par laquelle ils décident de « se prendre pour mari et femme ». Mais Pierre-Yves Gautier suggérait qu’il existe pour le juriste une voie lui permettant d’échapper à cette indétermination dans laquelle le plongent les textes du droit positif. Cette issue est celle du « droit naturel » grâce auquel il serait possible d’arbitrer objectivement toute querelle d’interprétation des textes juridiques. Celle que suscite la question des mariages homosexuels serait alors soluble dans le droit naturel qui s’opposerait formellement à leur célébration. Dictées par la nature et non par les lois positives, les règles du droit naturel nous enseigneraient en effet, selon Pierre-Yves Gautier, que pour perpétuer l’espèce humaine, le mariage ne peut associer que l’homme et la femme. Mais le droit naturel qui est toujours invoqué sous la bannière de l’objectivité, ne contient pas une seule mais plusieurs définitions. L’un de ses plus grands théoriciens français, Michel Villey, expliquait sur un mode ironique, que le mot « nature » était susceptible de 17 sens tandis que « droit » pouvait revêtir 15 significations, ce qui porte à 255 le nombre de conceptions possibles du « droit naturel » ! En citant le très conservateur Portalis pour qui « le mariage est la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer l’espèce », l’auteur du billet s’affichait sous le patronage d’Aristote selon qui la nature est un ordonnancement finalisé qui exprime des valeurs que le législateur de la cité, dans une démarche contemplative et passive, doit reproduire fidèlement. De facture conservatrice, déniant à l’homme toute aptitude légitime à construire une société qui braverait les hiérarchies et les inégalités dictées par le déterminisme naturel des choses, cette approche du droit naturel est à mille lieux de ce qu’on appelle le jusnaturalisme et qui, depuis l’Ecole du droit naturel fondée par Grotius au XVIIe siècle jusqu’au rationalisme de Kant au siècle des Lumières, s’affiche au contraire comme un droit naturel moderne et revisité. Celui-ci repose en effet sur une perception de la nature qui la fait passer pour aveugle et muette, dépourvue de finalité et réduite à une juxtaposition de phénomènes desquels il est logiquement impossible d’extraire des valeurs. Ne trouvant plus son siège dans les choses, ce droit naturel revêt alors des contours bien différents qui ne résultent plus d’une démarche contemplative mais trouve sa source dans un décret de la Raison. Postulant, de façon artificialiste et dans un élan humaniste, une égalité abstraite entre les individus, il décrète comme naturels les droits subjectifs de ces derniers sans reconnaître à la nature la moindre objectivité normative. Dès lors, à rebours de la philosophie d’Aristote, une telle acception renferme en elle tous les germes d’un volontarisme qui rend légitime, sous couvert de la même expression de « droit naturel », une législation qui serait favorable au mariage des homosexuels dont les droits subjectifs de se marier sont naturellement les mêmes que ceux dont jouissent les hétérosexuels.
On le voit, le droit naturel est celui que le juge, dans son for intime, réputera comme tel. Or, se sont toujours offertes au juge, depuis l’histoire de la pensée juridique, ces deux conceptions possibles du droit naturel, l’une de type objectiviste et l’autre, plus moderne, de facture subjectiviste. Il semblerait que les PFRLR répondent à la seconde acception tandis que le principe de l’exclusivité du mariage au profit des personnes de sexes différents rentre dans la première. Lorsque la fondamentalité est adossée à un principe, elle sert en effet à désigner un droit naturel subjectif. C’est que la notion de principe est davantage teintée de subjectivisme que d’objectivisme auquel renvoie au contraire la notion de valeur, aujourd’hui en crise depuis le désenchantement du monde dont Max Weber a su rendre compte (S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Paris, Grasset, 1996). Et l’abandon du monopole de l’hétérosexualité dans la définition du mariage participe sans doute de ce désenchantement des valeurs, de ce polythéisme axiologique aux termes duquel chaque individu, livré à lui-même, doit pouvoir jouir de façon égale de tous les instruments juridiques que la République doit lui offrir pour se donner, souverainement sa « loi ». La modernité est ce processus, enclenché depuis les Lumières, au cours duquel la dilution des valeurs et la perte de toute transcendance collective a ouvert le champ aux principes dans un univers normatif où aucune valeur ne rassemble sinon celle selon laquelle tout s’équivaut. L’équivalence des valeurs profite alors aux principes qui consacrent pour l’individu une panoplie de libertés lui permettant de vivre selon son propre système de valeurs.
Le recensement empirique des PRFLR consacrés par le Conseil constitutionnel, seul objet sur lequel la science du droit peut s’appuyer pour tirer des conclusions objectives et éventuellement prédire les décisions ultérieures de la Haute instance, démontre la parenté philosophique de ces principes avec semblable conception subjectiviste.Ils protègent l’individu davantage que les institutions.On dénombre d’abord tous ceux qui le protègent directement : la liberté d’association (CC 71-44 DC 16 juillet 1971, Rec. p. 19), les droits de la défense (CC 76-70 DC 2 décembre 1976, Rec. p. 39.), la liberté individuelle (CC 76-75 DC 12 janvier 1977, Rec. p. 33), la liberté d’enseignement (même si celle-ci doit être conciliée avec le principe, certes objectiviste, du caractère propre de l’établissement d’enseignement ; CC 77-87 DC 23 novembre 1977, Rec. p. 42), l’indépendance des professeurs d’université (CC 83-165 DC 20 janvier 1984, Rec. p. 30), l’autorité judiciaire gardienne de la propriété privée immobilière (CC 89-256 DC 25 juillet 1989, Rec. p. 53.), la proportionnalité des peines applicables aux mineurs (CC 2002-461 DC 29 août 2002, Rec. p. 204). Deux autres PFRLR protègent l’individu de façon médiate, en consacrant l’indépendance de la juridiction administrative (CC 80-119 DC 22 juillet 1980, Rec. p. 46) et la compétence exclusive de la juridiction administrative en matière d’annulation des actes de la puissance publique (CC 86-224 DC 23 janvier 1987, Rec. p. 8), dans la mesure où de tels principes organisent et circonscrivent le contentieux exorbitant du droit commun afin de concilier la sauvegarde de l’intérêt général avec le respect des libertés individuelles. On le voit, dans cette série de principes, de facture subjectiviste, il semblerait difficile d’imaginer que puisse un jour s’inviter l’exclusivité de l’hétérosexualité du mariage dont l’inspiration objectiviste, discriminatoire et institutionnaliste – en ce sens qu’elle protège exclusivement l’institution maritale sans égard pour l’égalité entre les individus quelle que soit leur orientation sexuelle – ne répond pas à cette évidence : dans la typologie des doctrines du droit naturel, qu’invoquent pourtant les tenants d’une conception anthropologique du mariage, le PFRLR ne saurait leur être d’une grande complicité car il est un droit naturel moderne et subjectif.
Mais comment classer le onzième et dernier PFRLR qu’a consacré le Conseil constitutionnel et qui, manifestement, déroge à cette systématicité subjectiviste ? Le principe du particularisme du droit applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle s’affiche en effet comme une exception au sein de cette « narration » par le Conseil d’un roman à la chaîne rédigé dans l’intérêt du sujet. C’est qu’un tel PFRLR, qui protège la spécificité du droit alsacien-mosellan, n’est pas un PFRLR comme les autres. N’obéissant pas à cette logique d’universalité et de permanence qui les caractérise, il est un principe en sursis qui ne mérite pas d’être pris en considération si l’on veut prédire le comportement du juge constitutionnel face à la loi sur le « mariage pour tous ». Mieux, il obéit à une logique de circonstance à laquelle répond elle-même le principe de l’hétérosexualité du mariage.
B- La nature contingente de la législation républicaine sur le mariage.
Dans sa décision du 5 août 2011 (CC 2011-157 QPC, 5 août 2011, JO., 6 août 2011, p. 13476), le Conseil constitutionnel a consacré un très curieux PFRLR pour répondre à une question prioritaire de constitutionnalité d’une société mettant en cause la législation interdisant le travail le dimanche dans les départements d’Alsace-Moselle. Sans doute sensible à la reconnaissance montante des particularismes locaux dans une France moins jacobine qu’auparavant, le Conseil a en effet justifié cette dérogation locale en invoquant une série de lois républicaines antérieures à 1946 qui maintiennent en vigueur, dans ces départements, la législation héritée de leur annexion allemande de 1870 à 1918 « jusqu’à ce qu’il ait été procédé à l’introduction des lois françaises » (tels sont les termes utilisés dans l’une de ces lois, celle du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l’Alsace et de la Lorraine). Le Conseil a tiré de ces lois le PFRLR selon lequel « tant qu’elles n’ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ».
Tout se passe comme si le Conseil constitutionnel ne s’était pas senti suffisamment légitime pour invalider une discrimination qui repose sur une tradition législative liée à une contingence de l’histoire, préférant dès lors laisser au législateur le monopole d’une telle initiative et fondant son inertie en instrumentalisant la commode catégorie des PFRLR : pour assurer une transition douce entre l’occupation allemande et le retour à la souveraineté française, des lois ont maintenu le particularisme alsacien tout en ménageant la perspective d’harmonisations législatives futures avec le droit commun. Autant de lois qui ont permis au Conseil de faire reposer la spécificité alsacienne sur « un ancrage constitutionnel qui n’exclut pas sa disparition » (D. Rousseau et P-Y Gahdoun, Chronique de jurisprudence constitutionnelle 2011, RDP, 2012, n° 1, p. 217). Incontestablement, un tel PFRLR déroge à la tradition subjectiviste et « droit-de-l’hommiste » de la catégorie en consolidant, fût-ce de façon provisoire, une discrimination et certaines atteintes à la liberté d’entreprendre au nom d’une spécificité communautaire de type régional. Voilà donc un PFRLR qui, dans sa logique communautaire et institutionnaliste, pourrait servir d’argument à quiconque voudrait trouver dans les lois sur l’institution du mariage, la source d’un principe constitutionnel. Mais le caractère circonstanciel de ce PFRLR reconnaissant le particularisme alsacien-mosellan lui donne évidemment une dimension atypique qui n’autorise pas une telle exploitation.
On aurait même pu fort bien imaginer que le Conseil constitutionnel opérât de manière identique dans sa décision du 28 janvier 2011 (CC 28 janvier 2011, 2010-92 QPC, Interdiction du mariage entre personnes de même sexe, JO., 29 janvier 2011, p. 1894) lorsqu’il jugea que l’exclusivité du mariage hétérosexuel, contestée par une requérante au moyen d’un QPC, n’était pas contraire à la Constitution… tant que le législateur ne décide souverainement de mettre un terme à la différence de traitement entre couples homosexuels et couples hétérosexuels. On se souvient en effet que dans cette décision, la Haute instance a reconnu que la question de l’ouverture ou non du mariage aux couples de même sexe relevait de l’office du législateur lequel, « dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution, (a pu) estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ». S’interdisant, selon le très célèbre considérant-type, de substituer son appréciation à celle du législateur, il s’est bien gardé d’anéantir l’exclusivité de l’hétérosexualité du mariage tout comme il s’abstiendra, le 5 août 2011, de se substituer au législateur pour harmoniser le droit alsacien au droit commun, estimant dans un cas comme dans l’autre que c’est au Parlement d’accompagner les institutions et d’en favoriser l’évolution vers l’absence de discrimination. Dans l’attente, le Conseil constitutionnel a jugé inutile de couvrir provisoirement l’hétérosexualité du mariage d’un PFRLR qui se serait avéré non moins circonstanciel et contingent que celui qui continue toujours, jusqu’à plus ou moins brève échéance, de fonder le particularisme désuet d’une région. Liée à la contingence d’un ordre bourgeois qui, au XIXème siècle, fut encore loin d’éprouver les mutations contemporaines de la société et de la famille, l’institution napoléonienne du mariage ne saurait revendiquer l’universalité d’un principe républicain fondé sur l’égalité et la liberté des individus. Fût-elle datée d’un 25 mars 1804, soit dans une période encore républicaine à quelques semaines près, comme tint à le souligner le professeur Pierre Delvolvé non sans un empressement qui prête à sourire, elle ne devrait pas effaroucher le législateur en droit de l’adapter à l’évolution des mœurs. Il serait pour le moins surprenant qu’un nouveau PFRLR sanctuarise une discrimination dont l’immutabilité ne pourrait être obtenue qu’au prix d’une inquiétante relégation de nos principes républicains dans l’ombre d’une philosophie naturaliste et anthropologique du droit qui n’a jamais cessé d’envahir notre inconscient.
Pour citer cet article : Alexandre Viala, « Un PFRLR contre le mariage gay ? : quand la doctrine fait dire au juge le droit qu’elle veut qu’il dise », RDLF 2013, chron. n°4 (www.revuedlf.com)
M. Viala, cher professeur,
Souscrivant à l’entièreté de votre analyse juridique sur le projet de loi si le mariage pour tous, notamment sur le fait que la théorie de l’aiguillage constitutionnel chère à C. Eisenman promue par certains de vos confrères et la croyance incongrue en l’existence d’un Principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)-hétérosexualité dans le mariage- cache mal une interprétation politique conservatrice non assumée comme telle de l’objet juridique « mariage » et donc un détournement de la science du droit, je me permets humblement de souligner une erreur de droit située dans le B) du I). En effet, la loi du 4 avril 2006 modifie l’article 144 du code civil consacre l’égalité des contractants au mariage eu égard au critère d’âge. Les femmes et les hommes doivent désormais atteindre leur majorité pour se marier, et non plus pour les femmes l’âge de 15 ans.
Pour le reste, je m’en remets entièrement à la justesse de votre analyse, brillante comme toujours.
Très respectueusement,
Amaury Gaillard
Ancien élève, passionné de droit public, et vous n’y êtes pas pour rien.