Un PFRLR contre le mariage gay ? Réponse à Alexandre Viala [Droit de réponse]
Un PFRLR contre le mariage gay ? Réponse à Alexandre Viala
Par Anne-Marie Le Pourhiet
L’article d’Alexandre Viala intitulé « un PFRLR contre le mariage gay ? » procède à une lecture partielle et incomplète du préambule de la Constitution et à une analyse partiale et déformée de la philosophie des PFRLR ainsi que de la jurisprudence qui s’y réfère.
Anne-Marie LE POURHIET est professeur de droit public à l’Université Rennes 1
« La devise de la République est : subjectivisme, relativisme, mercantilisme. Son principe est : tout se vaut, rien ne vaut … »
Mon collègue et ami Alexandre Viala a publié le 21 janvier 2013 sur ce site un article intitulé « Un PFRLR contre le mariage gay ? Quand la doctrine fait dire au juge le droit qu’elle veut qu’il dise ». Ayant eu l’honneur d’y être citée comme « représentative de la croisade » contre le mariage gay et accusée de m’enfermer « dans l’impasse d’une contradiction performative » en subordonnant la reconnaissance d’un tel mariage à l’intervention du pouvoir constituant, je souhaite ici répondre à l’auteur pour lui prouver que sa « science » est au moins aussi idéologique que celle des collègues qu’il dénonce et qu’en matière de « liberté avec l’éthique du juriste universitaire » il n’a peut-être pas de leçon à donner.
Si Alexandre Viala avait fait preuve d’objectivité il aurait d’abord relevé que les affreux juristes « dénués de tout scrupule déontologique » (sic) qu’il dénonce, expriment simplement, comme il le fait lui-même, leur interprétation de la philosophie politique inscrite dans la Constitution. Celle-ci est complexe, composée de strates textuelles successives et de jurisprudence fluctuante, souvent obscure et maladroite, dans lesquelles on essaye de repérer des éléments stables et sûrs puisque la fonction d’un juge constitutionnel est en principe de « garder » c’est-à-dire de conserver les principes politiques et le contrat social de la société constituée.
Toutefois, chacun sait que, selon la formule pertinente et jamais démentie de Jean Rivero, le Conseil constitutionnel, qui n’est pas un cénacle d’intellectuels, a plutôt une tendance pragmatique à « filtrer les moustiques et laisser passer les chameaux ». Nous ne nous faisons donc aucune illusion sur l’issue du procès, d’autant que les débats parlementaires ont été habilement retardés pour permettre au Conseil de se renouveler opportunément avant la saisine. Il ne s’agit donc pas de tenter de convaincre une juridiction acquise au self-restraint mais seulement d’indiquer, compte tenu de la philosophie constitutionnelle dominante et de la jurisprudence existante, quelle est l’interprétation de bonne foi que l’on peut intellectuellement envisager.
Manifestement, Alexandre Viala ne lit pas les principes constitutionnels comme nous l’avons fait et concentre d’ailleurs sa critique sur la seule invocation des PFRLR en négligeant délibérément les autres normes de référence du contrôle de constitutionnalité, à savoir la déclaration de 1789, les principes sociaux de 1946 et la Charte de l’environnement de 2005 (V. Anne-Marie Le Pourhiet, Audition devant le groupe UMP du Sénat, 28 novembre 2012, http://ddata.overblog.com/xxxyyy/3/61/42/26/Conclusion-generale-du-droit/Audition-Senat.pdf). Cette étrange « sélection » des arguments avancés est déjà symptomatique d’un premier parti pris consistant à ignorer que la Déclaration de 1789 se borne à « reconnaître » des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme » et que la philosophie qui anime les dispositions sociales de 1946 est à l’opposé du libertarisme échevelé du « mariage pour tous » et des revendications utilitaristes de PMA et GPA qui s’en suivent. Le « droit à une vie familiale normale » a été dégagé du préambule de 1946 par le Conseil constitutionnel et il ne semble pas aberrant de penser que l’enfant en serait le premier titulaire. L’on ne peut non plus ignorer, lorsque l’on a bien lu les travaux préparatoires de la Charte de l’environnement, la philosophie de « continuité entre l’homme et la nature » et l’écologie humaniste qui inspire la « troisième génération » du Préambule à tel point, d’ailleurs, qu’une partie de la doctrine écologiste exprime aujourd’hui sa franche hostilité au mariage gay.
Alexandre Viala engage donc un débat sur le droit naturel à partir des seuls PFRLR en « oubliant » étrangement les références de 1789 et 2005 … c’est à dire les deux textes les plus explicites sur le sujet.
Sur la difficulté à concilier une approche anthropologique du droit et la théorie de l’aiguilleur, l’on partage le questionnement d’Alexandre Viala, mais l’on a pour habitude de s’incliner, en tout état de cause, devant le principe cardinal inscrit à l’article 1er de la Constitution qui fait de la France une République « démocratique » et de considérer, avec Rousseau, que s’il plaît au peuple de se faire mal à lui-même nul ne peut l’en empêcher. Ceci suppose, toutefois, que ce soit bien le peuple lui-même qui soit appelé à se prononcer sur un sujet mobilisant une responsabilité immense à l’égard des générations futures. L’invocation de principes supra-constitutionnels indérogeables n’étant pas dans notre tradition, il semble qu’un tel bouleversement des concepts, qualifié par le garde des sceaux lui-même de « réforme de civilisation », requiert au moins l’intervention au sommet du pouvoir constituant et une décision solennelle en forme de : « We, the people ! ». C’est aussi ce qu’admet le Conseil constitutionnel lorsqu’il juge qu’il faut le consentement du pouvoir constituant pour remettre en cause une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
Mais l’analyse des PFRLR à laquelle se livre l’avocat Viala trahit sous sa plume tout ce que qu’il reproche aux collègues de la partie adverse.
Il nous expose d’abord un rappel sommaire de la distinction que chacun connaît entre les Anciens et les Modernes, entre le droit naturel objectif et le droit naturel subjectif. Les anti- seraient donc adeptes d’une démarche contemplative acceptant la soumission à l’ordre naturel objectif, tandis que les pro- se prévaudraient du droit naturel subjectif et donc du seul « décret de la raison ».
Il n’est cependant pas certain que la tradition s’oppose ici à la raison, bien au contraire. La nature n’est en effet pas une croyance ni une religion mais une connaissance, une « science naturelle », que les encyclopédistes des rationnelles Lumières ont revendiqué comme telle. Il n’est donc pas certain que le positiviste « éclairé » qui prétendrait écrire dans le Code civil que deux hommes ou deux femmes peuvent se marier, ou dans le Code de l’urbanisme que la terre est plate, ou dans une directive communautaire que les vaches sont carnivores, fasse preuve d’une démarche parfaitement raisonnable et raisonnée. Lorsque Jean-Louis de Lolme affirmait que le parlement anglais pouvait tout faire sauf changer un homme en femme, il semblait bien admettre une limite de fait à la toute-puissance législative. Il s’ajoute l’argument sémantique que lorsqu’un mot d’une langue a été conçu pour décrire un fait, il se pose une réelle question rationnelle et intellectuelle sur l’usage possible du même mot pour désigner soudain le fait contraire. On s’abstiendra d’invoquer ici l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi, mais il n’en demeure pas moins que l’application du terme de « mariage » à deux hommes ou deux femmes soulève une sérieuse question de logique rationnelle et universelle.
Ceci posé, Alexandre Viala affirme sans état d’âme que la catégorie des PFRLR relèverait à coup sûr d’une philosophie subjectiviste, selon laquelle « chaque individu doit pouvoir jouir de façon égale de tous les instruments juridiques que la République doit lui offrir pour se donner souverainement sa « loi ». Il ajoute que « la dilution des valeurs et la perte de toute transcendance collective a ouvert le champ aux principes dans un univers normatif où aucune valeur ne rassemble sinon celle selon laquelle tout s’équivaut. L’équivalence des valeurs profite alors aux principes qui consacrent pour l’individu une panoplie de libertés lui permettant de vivre selon son propre système de valeurs ».
Si les députés démocrates-chrétiens qui ont déposé à l’assemblée constituante de 1946 leur amendement sur les PFRLR visant la protection de l’enseignement confessionnel, se voyaient ainsi enrôlés au service de l’idéologie soixante-huitarde du « vivre sans contraintes et jouir sans entraves », ils se retourneraient assurément dans leur tombe ! Il est d’ailleurs piquant que ceux qui défendent le mariage gay au nom de cette idéologie relativiste du « chacun ses valeurs » n’hésitent pas à prôner parallèlement l’enseignement d’une « morale républicaine » à l’école, laquelle comporte, entre autres, l’apprentissage forcé des « valeurs » gay et de l’idéologie du genre tandis que le Code pénal s’enrichit chaque jour de nouvelles incriminations liberticides tendant à réprimer l’expression d’opinions contraires aux nouvelles valeurs « imposées ».
Il apparaît pourtant à un exégète honnête que la notion de « principe » se réfère plutôt au droit objectif tandis que celle de « droits » se rattache davantage au droit subjectif. Ensuite, la notion même de République ne désigne pas qu’une forme de gouvernement, mais aussi et surtout une distinction fondamentale entre la chose publique et la chose privée, supposant la primauté de l’intérêt général et du bien collectif transcendant justement les intérêts personnels et catégoriels. En outre, lorsqu’un principe est dit « reconnu » par la loi, il est sous-entendu que le législateur se borne à prendre acte d’une norme pré-existante qui se montre à lui et qu’il ne crée donc pas lui-même, à l’instar des droits reconnus par les déclarations française et américaines du XVIIIe siècle. Il est bien évident que la République n’a pas créé l’hétérosexualité du mariage qui est intemporelle et universelle, elle se borne effectivement à la reconnaître. Enfin, il est bien clair que la notion de PFRLR emprunte beaucoup plus à la tradition qu’à l’innovation comme en témoigne les affirmations du Conseil constitutionnel expliquant que « la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu’autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens de l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 » (n°2008-573 DC, 8 janvier 2009, Découpage électoral).
Il est donc parfaitement abusif de prétendre que les PFRLR seraient exclusivement de nature subjectiviste. La « lecture » de la liste que donne à ce sujet Alexandre Viala est si déformée que son parti pris se confirme avec éclat.
Le Conseil n’aurait selon lui, eu recours à cette notion que pour protéger l’individu et non les institutions. C’est nouveau ! Outre la protection du caractère propre des institutions d’enseignement privé initialement visée par les auteurs de la formule, il ne nous était jamais apparu que la défense corporatiste du statut et de la compétence des juridictions administratives aurait eu pour objet la protection du justiciable … qui ne s’en est pas aperçu. On peut aussi supposer que l’indépendance des professeurs d’université vise moins la défense des droits d’une corporation que le principe objectif et structurel de l’autonomie universitaire. Il nous semble enfin que la justice pénale des mineurs, décrite par le Conseil comme répondant à la nécessité de « relèvement éducatif et moral des mineurs délinquants », n’a pas grand-chose à voir avec l’individualisme libertaire du mariage gay mais beaucoup plus avec les inquiétudes sociales et éducatives exprimées par ses opposants. La vérité est que les PFRLR, contrairement à la description partiale qu’en donne Alexandre Viala, concernent à la fois des libertés et des institutions, des droits subjectifs et des principes objectifs.
Mais quand un PFRLR ne rentre vraiment pas du tout dans la grille d’analyse de l’auteur, comme c’est le cas du régime dérogatoire alsacien-mosellan, il le traite marginalement de « logique de circonstance » qui « ne mérite pas d’être pris en considération » ! L’affirmation prête à sourire …. Cachez ce PFRLR que je ne saurais voir puisqu’il dessert ma scientifique démonstration. Trop fort ! Et l’on pousse même la comparaison en mettant la spécificité rhénane et l’hétérosexualité du mariage dans le même panier des « discriminations » circonstancielles promises à la désuétude et donc à la corbeille. Tout ceci est effectivement très « subjectif ».
Nous partageons tout à fait, en revanche, le point de vue d’Alexandre Viala lorsqu’il affirme : « les homosexuels dont les droits subjectifs de se marier sont naturellement les mêmes que ceux dont jouissent les hétérosexuels ». C’est parfaitement exact : un individu homosexuel a effectivement le droit de se marier avec une personne de sexe opposé, puisque telle est la définition objective du mariage. Sur ce point, le droit positif constitutionnel et conventionnel a clairement tranché. Il ne saurait être question de « sanctuariser une discrimination » en consacrant un PFRLR puisqu’il a été admis par le Conseil constitutionnel et la Cour de Strasbourg que le mariage civil français désignant l’union d’un homme et d’une femme n’est nullement discriminatoire.
Alexandre Viala se fait donc, lui aussi, l’avocat d’une partie pour dicter sa conduite au Conseil constitutionnel en exprimant son choix interprétatif qui ne vaut pas mieux qu’un autre. Ce faisant, il discrédite la leçon qu’il prétend faire à ses collègues.
Pour citer cet article : Anne-Marie Le Pourhiet, « Un PFRLR contre le mariage gay ? Réponse à Alexandre Viala », RDLF 2013, chron. n°5 (www.revuedlf.com)
Crédits photo : Conseil constitutionnel
Bah, la position de Madame n’a visiblement plus rien de juridique. Son problème, c’est mai 68, le libéralisme, jouir sans entrave, etc. : des sujets de débat démocratique. Si les idées de Madame perdent dans les urnes, c’est son problème, et la Constitution n’a pas à se faire le réceptacle d’une telle philosophie politique, surtout aussi idiote et se réduisant à d’aussi grossières caricatures.
A part çà, le MRP est une force politique disparue depuis belle lurette, que la Constitution n’a pas pour objet de ranimer à travers les siècles. Il ne faut pas confondre droit constitutionnel et nécromancie.
Il n’est d’ailleurs pas certain, ni intelligent, de convoquer les auteurs du préambule de 1946 à l’appui d’une prétendue norme constitutionnelle s’opposant au mariage pour tous : rappelons que celui-ci a été proclamé « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine », ce qui fait également référence à la discrimination et à la persécution des homosexuels sous l’Allemagne nazie : il n’est pas certain que les principes dont la nécessité a été rappelée face à l’horreur aient vocation à se retourner contre ceux qui étaient les victimes des régimes vaincus.
Evidemment, dans un second temps il faudra s’interroger sur le point de savoir s’il est bien normal que les homosexuels et leurs amis paient des impôts pour se faire insulter à pleine page par cette dame, aux propos peu mesurés et d’intérêt nul pour la société qui paie son salaire de professeur d’université.
Je pense qu’Alexandre Viala tire simplement la sonnette d’alarme : ce n’est pas le rôle du juriste savant de militer pour ses idéologies ou alors, s’il le fait, il doit le dire.
L’objectivité « pure » n’existant pas, tout discours se disant « objectif » est nécessairement teinté de subjectivité, que ce soit celui de M. Viala ou de Mme. Le Pourhiet.
Néanmoins, si l’on sonde la critique de M. Viala, celle-ci ne vise pas à tenter d’interdire la subjectivité du juriste mais à expliquer que lorsque celle-ci s’éloigne fortement du « mythe objectif » et traduit un discours militant, elle ne doit pas utiliser le manteau légitimant de savant pour pouvoir se présenter comme donnant LA vérité.
Selon moi, la critique de M. Viala aurait du s’arrêter à son grand I. Cependant, dans le grand II, il ne préconise rien mais dresse son constat scientifique (subjectif mais voulant tendre à l’objectivité) contrairement à ce que fait M. Pourhiet se prévalant d’une conception de l’égalité dépassée disant que les homosexuels n’ont qu’à être hétérosexuels s’ils veulent jouir de leurs droits. Dans la même lignée se trouve la pertinence de cette phrase : « ils n’ont qu’à naître riches s’ils veulent manger ».
C’est devenu un sport national, dès qu’on émet la moindre réserve à propos du mariage pour tous, on reçoit une bordée d’injures.Ainsi, Léo se permet, de traiter Mme le professeur Anne-Marie Le Pourhiet de « dame aux propos peu mesurés et d’intérêt nul pour la société qui paie son salaire de professeur ».Ah bon!
Permettez moi de vous dire que Mme Le Pourhiet, elle, n’avance pas masquée comme certains. De plus elle est libre de donner son avis surtout lorsqu’elle s’estime injustement accusée.On n’est pas… encore en Corée du Nord !
je me pose simplement une question: pourquoi les initiateurs du « mariage pour tous » ne font pas appel au peuple? On prétend représenter le peuple qu’on tient pourtant à l’écart.Ce fut le cas pour l’Europe, c’est le cas aujourd’hui avec le mariage pour tous et ensuite on est surpris de constater que plus personne ne les écoute.
Alors de grâce qu’on laisse Mme Le Pourhiet tranquille.Oui, tranquille!