La Cour de cassation et les droits et libertés : la revanche
Soumise à la concurrence des autres juges et délaissée par le pouvoir politique, la Cour de cassation a longtemps été marginalisée dans le domaine des droits et libertés. A la faveur d’une politique jurisprudentielle volontariste et de réformes institutionnelles audacieuses, elle tient désormais sa revanche. Si l’enrichissement de son office lui a permis de reconstruire sa légitimité, le destin de cette revanche demeure cependant incertain.
Par Mustapha Afroukh, Maître de conférences HDR à l’Université de Montpellier, IDEDH et Julien Bonnet, Professeur à l’Université de Montpellier, CERCOP
« L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il se réfère ». Que sont devenus ces mots de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 destinée à encadrer la transition constitutionnelle vers la Ve République ? Banalisée voire marginalisée, la Cour de cassation a connu une période de déclin en matière de garantie des droits et libertés. Dans les années 90 et 2000, au moment même où les discours sur l’Etat de droit et la garantie des droits fondamentaux montaient en puissance dans les démocraties, tout particulièrement en France, l’autorité judiciaire et sa cour suprême se voyaient concurrencés de toute part au point de ne plus véritablement incarner la mission constitutionnelle, voire supra constitutionnelle dans une certaine mesure, que le constituant lui avait assignée en 1958.
Pourtant, il semble bien que la Cour de cassation tienne désormais sa revanche. La formule n’a pas pour ambition d’entrer en résonance caricaturale avec les films de série B du siècle dernier. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans un manichéisme naïf transformant la Cour de cassation en héroïne incomprise, victime d’un fléau ou d’un complot dont elle devrait forcément sortir vainqueur. Si l’hypothèse de la revanche de la Cour de cassation en matière de protection des droits et libertés est avancée, c’est au sens littéral d’une « action par laquelle on reprend un avantage qu’on avait perdu » nous dit le dictionnaire. Aucune confusion possible avec la vengeance qui viserait à infliger une punition en représailles. La revanche a donc un sens précis et engendre une posture intéressante à analyser sur le plan institutionnel car elle est éminemment complexe : elle concerne sa propre action en interaction avec autrui, mais elle porte également sur soi-même ; elle peut être annoncée sans être totalement réalisée.
L’idée de revanche identifiée, comment peut-on envisager de traiter la question en tant que juriste ? Ambitionner de comprendre l’action institutionnelle d’une juridiction ou d’un ordre juridictionnel suppose évidemment de ne pas se contenter de l’écume normative qui remonte à la surface du droit. L’observateur doit alors élargir son champ d’observation en intégrant le fait que les institutions, comme la juridiction judiciaire et en particulier la Cour de cassation, ne sont pas seulement des organes habilités par le droit à produire des normes : il s’agit aussi de groupements humains qui prennent des décisions d’orientation générale, émettent des discours et opèrent des choix de politique jurisprudentielle et institutionnelle. Au carrefour du normatif et de la sociologie institutionnelle 1, un tel cadre d’analyse implique, en plus des éléments décisionnels, de donner du crédit au discours des acteurs, de prendre en compte les intérêts stratégiques en présence et, surtout, de mettre en tension l’action de l’institution avec les éléments qui l’entourent. A défaut, le niveau de compréhension du droit est coupé en plein élan et trébuche sur les frontières académiques 2.
A travers ce regard normatif et institutionnel, il est possible d’avancer l’hypothèse de la revanche de la Cour de cassation en matière de droits et libertés. La soif de revanche permettra d’en comprendre l’origine (1), avant de dérouler son scenario (2) à travers ses signes de réalisation. Enfin, les nuances, les limites et l’avenir de la revanche permettront d’en esquisser le destin (3).
I. La soif de revanche
En remontant le fil historique de l’hypothèse de la revanche de la Cour de cassation, son origine renvoie à des facteurs de différentes natures provoquant une réaction nette de l’institution dont les intentions ont été clairement annoncées.
A. L’origine de la revanche
A l’origine de revanche, on retrouve un sentiment de déclassement institutionnel et de marginalisation de la Cour de cassation en tant que juge des droits et libertés : « Le juge judiciaire s’est-il déclassé au point de ne plus présenter cette utilité irremplaçable qu’il pouvait avoir pour les constituants ? » s’interrogerait en 2016 le Premier président Bertrand Louvel 3. Comme si les mots précités de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 s’étaient peu à peu transformés en coquille vide. Plusieurs indices permettent de saisir ce mouvement d’effritement qui s’est produit dans les années 90 jusqu’au début des années 2010.
Facteur constitutionnel. En choisissant d’interpréter restrictivement la notion de liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a réduit la réserve constitutionnelle de compétence de l’autorité judiciaire 4. Initialement étendue à la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile, le secret des correspondances ou la liberté de se marier, la liberté individuelle est désormais applicable seulement en cas de privation de liberté. Depuis lors, lorsque le législateur doit déterminer une juridiction compétente pour statuer sur les limites apportées à un droit ou une liberté, il dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus importante que par le passé et peut ainsi sans difficulté confier des missions au juge administratif. Un tel basculement a été rendu possible grâce à la montée en puissance du juge administratif sur le terrain de la garantie des droits, notamment sous l’influence du droit européen. Le pouvoir politique ne s’est pas privé de l’opportunité constitutionnelle ainsi accordée et certains textes, comme la loi renseignement ou la réforme de l’état d’urgence en 2015, ont achevé de convaincre la Cour de cassation de réagir.
Déficit global de légitimité. Serpent de mer de la vie institutionnelle française, la légitimité du juge et en particulier de la justice judiciaire connaît des pics de plus en plus rapprochés de contestation depuis la pénalisation de la vie publique sous le second mandat du Président Mitterrand, suivie de l’affaire Outreau en 2006, l’affaire du « mur des cons », les polémiques sur le parquet national financier, les tensions multiples avec le pouvoir politique, etc. De plus en plus sollicitée par les justiciables, souffrant d’une crise de moyens, contestée de toute part, l’autorité judiciaire a subi un net recul de légitimité, comme d’ailleurs l’ensemble des institutions publiques.
Concurrence nouvelle. Depuis 1958, la garantie juridictionnelle des droits et libertés s’est considérablement diversifiée et renforcée grâce à l’émergence de nouveaux acteurs. La Cour de cassation doit désormais composer avec le Conseil constitutionnel, sous le triple effet d’un coup d’éclat prétorien en 1971, d’un assentiment constitutionnel en 1974 avec l’élargissement de la saisine et d’une irruption dans la vie juridique sous l’effet de la QPC depuis 2010. Le juge administratif, grâce au droit européen, à ses initiatives jurisprudentielles mais également sous l’effet des nouvelles compétences en matière de référé accordées par la loi du 30 juin 2000, est désormais un acteur à part entière de la garantie des droits et libertés. Enfin, les juges européens de Strasbourg et Luxembourg ont considérablement renouvelé le logiciel de la culture juridique française tout en provoquant ou imposant des évolutions jurisprudentielles ou textuelles dans la plupart des matières. En quelques décennies, la Cour de cassation est donc passée d’une situation de quasi-monopole, du moins tel était la perception générale malgré les avancées du Conseil d’Etat en la matière, à une situation de concurrence aiguë qui a conduit à une forme de banalisation et de déclassement du juge judiciaire.
Isolement et inertie. Bien qu’il soit évidemment réducteur d’aborder la question de manière uniforme, l’impression générale qui se dégage de l’action de la Cour de cassation en matière de droits et libertés durant ces « années noires » renvoie à une forme de passivité. Peu de réformes internes ont été menées, les innovations jurisprudentielles en matière de droits et libertés étaient rares, les condamnations par la Cour de Strasbourg fréquentes. Signe de fébrilité, l’hostilité manifeste de la Cour de cassation lors de la mise en place de la QPC 5, avec en point d’orgue la controverse sur la priorité d’examen, a écorné encore davantage l’image de l’institution. En effet, en renvoyant dès l’entrée en vigueur de la QPC une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin d’obtenir l’incompatibilité de la règle de priorité d’examen, le tout alimenté d’une motivation partiellement infondée, la Cour de cassation fut sanctionnée par le pouvoir politique 6et mise à l’index par la majorité de la doctrine sur le sens institutionnel et l’état d’esprit de la démarche, malgré le sérieux de la question de fond au centre du débat.
B. L’annonce de la revanche
L’accumulation des constats amers nécessitait une réaction de la part de la Cour de cassation. Grâce à une véritable « politique de rupture » 7, la revanche fut clairement annoncée, avec un objectif, une méthode et un cadre théorique novateur.
Objectif. Il est des moments essentiels dans la vie d’une institution que l’histoire reconnaît rétrospectivement comme un carrefour. L’entretien en 2015 au JCP du Premier président Bertrand Louvel 8 appartient de tout évidence à cette catégorie, tant le message délivré, ensuite décliné par de nombreuses prises de position, s’est révélé novateur et annonciateur d’évolutions jurisprudentielles et de réformes organisationnelles. L’objectif est de permettre à la Cour de cassation d’« exercer pleinement son office de Cour suprême nationale », et pour cela elle va devoir, annonce B. Louvel « adapter ses modes de contrôle ». L’enjeu est essentiel car la Cour de cassation « laisse se développer le contrôle de ses propres décisions par des Cours qui ont beaucoup élargi le domaine de réflexion et d’appréciation du juge. » Réaliste, B. Louvel reconnaît également que « le Conseil d’État a peu à peu conquis et légitimé lui aussi sa fonction de gardien des libertés » et que « la justification d’origine qui faisait que le juge judiciaire restait le gardien ultime des libertés à côté du juge administratif, a disparu. » En ajoutant l’émergence du Conseil constitutionnel, « les trois ordres juridictionnels existants sont ordonnés maintenant autour de la même finalité, la défense des libertés du citoyen, et cela crée une certaine complexité qu’on a de plus en plus de mal à justifier aux yeux du public. » La Cour de cassation annonce vouloir sortir de la spirale infernale qui a conduit à ce que « Gouvernement, Parlement, Conseil constitutionnel [aient] convergé pour ne pas désigner le juge judiciaire » dans plusieurs lois récentes votées en 2015 9. D’autres objectifs ont ensuite été annoncés, bien qu’on imagine que leur réalisation n’était pas sérieusement envisagée, puisque le Premier président proposait ni plus ni moins que la fusion des ordres juridictionnels 10.
Méthode. Afin de parvenir à reconquérir une légitimité institutionnelle fondée sur sa fonction de gardien des droits et libertés, la revanche est annoncée avec une méthode ambitieuse. Outre les évolutions contentieuses analysées ci-après, l’originalité de la démarche de la Cour de cassation tient à deux éléments.
D’une part, le souhait de privilégier autant que possible la réforme interne plutôt que d’attendre l’intervention hypothétique du pouvoir politique. Une telle posture présente l’avantage de maîtriser les axes de réforme et de gérer au mieux les phénomènes inévitables de résistance interne au changement à l’origine d’une mise en place progressive de nombreux projets.
D’autre part, la Cour de cassation a totalement revu sa politique de communication. Au niveau de son format et son intensité, grâce à l’utilisation grandissante et variée des outils numériques, des réseaux sociaux, et la diversification des discours sur les décisions prises (communiqués, notes, lettre des chambres, podcasts…). Au niveau de son contenu, la rupture a été nette et brutale sous la présidence de Bertrand Louvel, avec une communication sur le fond souvent audacieuse, revendicative, voire conflictuelle. Le contraste avec le ton apaisé de la communication antérieure de la Cour de cassation ou actuelle du Conseil d’Etat est saisissant. Parmi de nombreuses illustrations d’un discours totalement décomplexé, la Cour de cassation a réagi avec force pour dénoncer les propos du Président Hollande sur la justice dans l’ouvrage paru fin 2016 au titre divinatoire « Un Président ne devrait pas dire ça », ou pour revendiquer davantage d’indépendance au niveau de la nomination des magistrats 11et de la gestion administrative et financière de la Cour de cassation 12.
Cadre théorique novateur. L’annonce de la revanche par la Cour de cassation s’est appuyée sur un renouvellement du cadre de pensée de la place du juge judiciaire dans les institutions. Certes, le pouvoir prétorien du juge avait déjà été assumé depuis quelques années 13, mais un cap est franchi à compter des années 2015-2016 qui inaugurent la politique revancharde de la Cour de cassation. En effet, au moment où la revanche est annoncée, B. Louvel avance l’idée d’une séparation des pouvoirs au sein de laquelle le juge judiciaire serait l’égal des autres pouvoirs en vertu de « la thèse de l’égalité des pouvoirs publics, quelle que soit leur source » 14. La Cour de cassation a également construit un nouveau discours de légitimation du juge, « fondée sur le primat de la Constitution » 15et la « démocratie constitutionnelle » 16. Conséquence révolutionnaire au regard de la conception française de la séparation des pouvoirs hostile à l’égard des juges au nom du dogme de la loi présumée parfaite et souveraine en ce qu’elle exprime la volonté générale, le Premier président a osé banaliser la légitimité élective : « Soutenir que tout pouvoir doit procéder du suffrage universel, par l’élection, est une approche institutionnelle à connotation populiste » 17.
La soif de revanche est indéniablement présente, elle est clairement annoncée et pensée. Mais au-delà des discours et des intentions, la revanche de la Cour de cassation sur le terrain des droits et libertés s’est traduite par de nombreuses manifestations juridiques.
II. Le scenario de la revanche
L’objectif de la Cour de cassation est des plus clairs : il s’agit de « (replacer) le juge judiciaire au cœur du dispositif de garanties des libertés individuelles » 18, l’emploi du terme « replacer » étant choisi à dessin pour suggérer qu’il aurait perdu cette place ou plutôt qu’on lui aurait fait perdre. Plutôt que de subir, les juges du Quai de l’Horloge vont prendre les devants, sur des thématiques qui ne sont finalement pas si éloignées de celles examinées par le Conseil d’Etat(conditions de détention ; conflits entre liberté d’expression et dignité humaine ; droits fondamentaux des personnes publiques…). Placées sous le signe de l’Etat de droit, les avancées récentes dans le domaine la protection des droits tendent à souligner un certain volontarisme 19. Ce qui est ici très net si l’on dresse un bilan ces dernières années du contentieux des libertés, c’est le contraste entre son activisme et la prudence du Conseil d’Etat. Que l’on songe à la question de la prolongation des détentions provisoires en période d’état d’urgence sanitaire ou bien à l’approche plutôt étriquée des rapports de systèmes du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, comparée à l’attitude d’ouverture de la Cour de cassation. L’examen des réactions adoptées à la suite de condamnations européennes a montré tout ce qui pouvait encore les séparer 20. Non content d’avoir été la première juridiction suprême d’un État membre de l’Union condamnée pour violation de l’obligation de renvoi préjudiciel résultant de l’article 267, alinéa 3, TFUE, le Président de la section du contentieux a exprimé son étonnement dans un éditorial publié à l’AJDA en regrettant une vision unilatérale du dialogue des juges 21. Au contraire, à la suite de la condamnation par la Cour de Strasbourg de la France en raison de l’absence de motivation du rejet d’une demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne 22, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts de refus sous la forme d’une motivation enrichie. Bref, on ne peut que prendre acte du fait que le positionnement de la Cour de cassation au regard du contrôle des droits et libertés a connu récemment des évolutions notables. Pour rendre compte de ce développement d’un véritable office de juge des droits de l’homme, il est possible de commencer par ce qui est le plus visible : les leviers mobilisés par la Cour de cassation (A) ; puis d’examiner ce qui est moins visible : les effets de la revanche sur les autres acteurs de protection des droits et libertés (B). Car il est crucial de replacer cet activisme dans une logique d’ensemble. Un tel mouvement a inévitablement des conséquences sur la relation institutionnelle avec les autres juridictions suprêmes.
A. Les leviers mobilisés
Si l’on se penche sur ce en quoi consistent les leviers utilisés par la Cour de cassation pour redorer son blason, on constate une utilisation simultanée de leviers inédits (1) et de leviers existants mais dont l’usage a été renouvelé (2). Globalement, et même s’il est bien évidemment toujours possible de trouver des contre-exemples, tout se passe comme si l’effectivité des droits fondamentaux était devenue la préoccupation première de la Cour de cassation. L’examen de la jurisprudence révèle une part d’originalité et d’adaptation du juge judiciaire à un contentieux et des méthodes qui ne lui étaient si familiers, et ce, sous l’influence du droit de la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprété par la Cour. Le procureur général F. Molins affirme en ce sens que « la fonction créatrice du juge national a pris une dimension nouvelle avec l’émergence, dans les normes applicables, des traités internationaux. Le juge doit en effet en assurer l’application, voire la prééminence, notamment lorsqu’ils consacrent des droits fondamentaux au profit des citoyens ». Cette prise en considération lui ouvre un grand nombre de possibilités dans le contrôle de la loi.
1. Leviers inédits
Juger l’état d’urgence. Alors que l’on pouvait parler ces dernières années d’une « marginalisation » du juge judiciaire en période d’état d’urgence 23, l’idée d’une responsabilité partagée des juges administratif et judiciaire tend à l’emporter. Semblable rééquilibrage doit beaucoup au dynamisme de la Cour de cassation qui n’a pas hésité à assumer pendant l’état d’urgence sanitaire son rôle de juge de droit commun de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’exemple le plus saisissant de cette différence de positionnement concerne la question de la prolongation des détentions provisoires.
Souhaitant éviter que le contexte sanitaire empêche les juges de délivrer de nouveaux titres de détention, le gouvernement a adopté, le 25 mars 2020, sur le fondement de la loi d’habilitation n° 2020-290 du 23 mars 2020, une ordonnance qui a prolongé la durée des titres de détention qui étaient en cours d’exécution. Saisi sur le terrain du référé-liberté de plusieurs requêtes tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l’exécution de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020, le Conseil d’Etat, statuant par une ordonnance de tri et sans audience, a totalement évacué le débat de conventionnalité 24. Le 26 mai 2020, la chambre criminelle, mêlant approche abstraite et concrète du contrôle de conventionnalité, a estimé que l’article 16 de l’ordonnance n’est compatible avec l’article 5 de la Convention qu’à la condition que la juridiction compétente, qui aurait été compétente pour prolonger la détention, prenne une décision à bref délai par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention 25. À la faveur d’une réserve d’interprétation conventionnelle, le juge a donc sauvé l’article 16 de l’ordonnance d’un constat d’inconventionnalité. Statuant au fond le 5 mars 2011, le Conseil d’Etat s’est finalement aligné sur la solution audacieuse de la Cour de cassation. L’étude annuelle 2021 du Conseil d’Etat intitulée Les états d’urgence : la démocratie sous contraintes revient sur ces divergences de jurisprudence. Le Conseil d’Etat les regrette à demi-mots en tentant de les expliquer et d’y remédier en proposant « d’organiser, entre le Conseil d’État et la Cour de cassation, un dialogue des juges destiné à favoriser, dans le strict respect de l’indépendance des deux ordres de juridiction, les convergences de jurisprudence dans les domaines qui le justifient ». Le moins que l’on puisse dire est que le contrôle de conventionnalité a été neutralisé. Comment comprendre cette attitude ? Le critère de la temporalité du contrôle a été avancé, celui-ci statuant le plus souvent à chaud (48h), et sur des questions éminemment sensibles dès le début de la pandémie. Le tempo est différent. En ce sens, Maître Louis Boré explique que « la soudaineté et la violence de la crise du mois de mars ont certainement influencé la décision du juge administratif et cet impact a été moindre pour les juges judiciaires et constitutionnels qui ont bénéficié de plus de recul pour apprécier la conventionnalité et la constitutionnalité de l’ordonnance. Mais c’est le Conseil d’Etat qui aurait pu, de la façon la plus effective, faire obstacle à l’application de ce texte » 26.
Est-ce à dire, pour autant, que l’office du Conseil d’Etat comme juge des référés constitue la clef d’explication de sa réserve ? Rien n’est moins sûr. Cette explication peine à convaincre dans la mesure où le Conseil d’Etat, statuant comme juge des référés, a déjà fait preuve d’audace pour assurer le respect des exigences conventionnelles dans des périodes d’application de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme ! On le sait, à la suite des attentats survenus le 13 novembre 2015, la France avait notifié au secrétaire général du Conseil de l’Europe son intention de déroger à certains droits conventionnels (art. 15 CEDH). Or, ce contexte n’avait pas empêché le Conseil d’Etat de renforcer dans la décision Domenjoud son contrôle sur les mesures prises au titre de l’état d’urgence, en exerçant dans le contexte particulier du référé-liberté un « triple test » de proportionnalité sur des mesures d’assignations à résidence 27. Toujours est-il qu’on aboutit aujourd’hui à ce paradoxe que le contrôle de conventionnalité a été davantage pris au sérieux en période d’application de l’article 15.
Cet exemple, comme d’autres d’ailleurs, montre que la Cour de cassation a été un meilleur gardien des droits et libertés que le Conseil d’Etat pendant la crise sanitaire 28/
Renvois directifs en QPC. La chambre criminelle avait inauguré la pratique à l’automne 2018, suivi par d’autres chambres mais il s’agissait d’indiquer prudemment les motifs du caractère sérieux. Or, depuis quelques mois, la Cour de cassation a clairement franchi un cap en produisant de véritables réquisitoires en inconstitutionnalité, en pointant précisément et sans nuance les motifs de violation de la Constitution 29. La décision de renvoi du 23 juin 2021 (n°00892) portant sur les dispositions du code pénal sur la répression de diffusion publique, sans le consentement de la personne, enregistrements ou documents à caractère sexuel stigmatise ainsi l’absence de définition claire et précise des éléments constitutifs de l’infraction. Cette pratique des renvois directifs témoigne d’un changement de rôle de la Cour de cassation qui est passée de la position de filtre passif à celle de juge constitutionnel actif 30. Il faut également y voir une illustration de la synergie des réformes engagées par la Cour de cassation : c’est justement parce qu’elle s’est habituée à filtrer des QPC et donc à juger la loi qu’elle a plus facilement franchi le cap du contrôle concret, qui a ensuite nécessité une motivation enrichie dès lors qu’il lui faut faire de la proportionnalité. Qu’il paraît loin le temps des débuts de la QPC où les décisions de renvoi sur le sérieux étaient lapidaires…
A l’aune de cette jurisprudence, on peut dire sans trop d’hésitation que les positions retenues s’expliquent par des considérations d’opportunité. Est-ce en effet un hasard si ces évolutions interviennent après une période marquée par la marginalisation du juge judiciaire ?
S’ajoute à cette mobilisation de leviers inédits, l’usage renouvelé de leviers existants.
2. Enrichissement des leviers existants
Un pouvoir normatif totalement assumé. La Cour de cassation assume totalement son rôle normatif(Cela avait commencé en 2006 avec la possibilité de moduler l’application dans le temps d’un revirement sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne : Assemblée plénière, 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20 493[/foot]au service de la protection des droits et libertés et de leur effectivité 31. Ce faisant, elle s’inscrit dans une nouvelle approche du droit plus concrète et conséquentialiste en rupture avec une tradition typiquement française hostile à la reconnaissance de l’origine jurisprudentielle de certaines règles. Si cette présentation de la jurisprudence comme une source du droit n’a rien d’inédit, il n’en demeure pas moins que la manière de l’assumer retient particulièrement l’attention. Deux exemples peuvent être donnés de cette sollicitation du pouvoir normatif dans contentieux des droits et libertés fondamentaux. Plus instructif encore un arrêt de la chambre commerciale du 2 mai 2021 (n° 18-15.153) concernant la conventionnalité de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle relatif aux formes à respecter pour introduire un recours. Alors que cette disposition était considérée comme une « disposition spécifique » excluant l’application de l’article 126 du code de procédure civile (qui permet une régularisation ultérieure d’un défaut de mention), la Chambre commerciale estime que « l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a jusqu’à présent été interprété, n’assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d’accès au juge (garanti par l’article 6 de la CEDH) » et qu’« il apparaît donc nécessaire d’abandonner la jurisprudence précitée et d’interpréter désormais l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du code de procédure civile » ouvrant ainsi la possibilité d’une régularisation en cours d’instance. Plus de doute possible, la jurisprudence est bien une norme. La Cour de cassation fait sienne la théorie réaliste de l’interprétation 32. Ces changements doivent être mis en parallèle avec une certaine souplesse de la Cour de cassation dans la manière dont elle envisage elle-même la normativité. Pour le dire plus abruptement, elle n’est pas arc-boutée à une approche du tout ou rien et peut prendre en considération des textes, des actes qui n’ont pas de caractère contraignant. Comme l’explique Pascale Deumier, « classiquement, le rapport du juge à la norme est tout entier centré autour d’une action : pour trancher le litige, le juge applique la norme. Dans cette approche, soit le juge fait application de la norme, soit il n’en fait rien – il ne peut en faire un peu application ou pas complètement application. C’est en cela que la prise en considération peut être regardée comme le chaînon manquant : elle offre au juge une alternative à ce tout ou rien de l’application de la norme 34v. la communication de J. Ferrero" id="return-note-8212-33" href="#note-8212-33">33.
Approfondissement du contrôle de conventionnalité : l’intertextualité. La réflexion sur la source conventionnelle a fait plus de progrès en quelques mois qu’en plusieurs décennies conventionnelles. On le sait, depuis 2013, la Cour de cassation s’est engagée dans la voie du contrôle de conventionnalité in concreto qui s’est depuis lors banalisé. Une réflexion d’envergure a été menée sur le périmètre de contrôle, l’intensité du contrôle du juge et ses risques 35. Ces aspects étant très connus, l’on souhaiterait plutôt élargir le cadre d’analyse et mettre en exergue les mutations les plus originales de cet approfondissement du contrôle de conventionnalité. L’appropriation du vocabulaire européen est topique à cet égard. On éprouve parfois la sensation de lire un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. A propos de la proportionnalité d’une mesure de démolition, la troisième chambre civile fait référence à la notion de « besoin social impérieux » qui est au cœur du contrôle européen 36. Il est également fait mention de l’« ingérence » dans l’exercice des droits fondamentaux des personnes, alors que cette terminologie est plus rare dans la jurisprudence administrative 37. Le fait que le juge s’efforce de reprendre cette terminologie n’est pas anodin car il témoigne d’une appropriation de toute la méthodologie du contrôle de la Cour européenne. L’ingérence est appréhendée dans toute sa complexité. Ainsi, la Cour de cassation n’hésite pas à faire sienne la théorie des obligations positives et à se placer sur le terrain de l’ingérence passive. En atteste un arrêt de la chambre sociale du 3 avril 2019 (16-20.49) qui portait sur l’étendue de la réparation d’une victime de travail forcé en l’absence de contrat de travail. In specie, une jeune fille d’origine marocaine exploitée pendant des années par un couple, s’était vu accorder 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice moral mais la Cour d’appel avait rejeté sa demande de dommages-intérêts pour le préjudice économique. L’arrêt est cassé au visa de l’article 4 Convention européenne. La chambre sociale reprend la définition de la servitude de la Cour de Strasbourg et retient l’obligation d’indemnisation même en l’absence de possibilité juridique de reconnaître l’existence d’un contrat de travail. Dans le même ordre d’idées, un arrêt de la première chambre civile en date du 27 janvier 2021 retient l’attention (n° 19-15.921). Le mimétisme porte ici sur les méthodes de contrôle d’une ingérence. Relatif à l’irrecevabilité de l’intervention volontaire du père biologique dans une procédure d’adoption plénière, alors que l’enfant était déjà immatriculé définitivement comme pupille de l’État et placé en vue de son adoption, la Cour de cassation oppose une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale en reprenant les différentes séquences du contrôle européen.
« Le droit fondamental invoqué est-il applicable ?
La mesure contestée constitue-t-elle une atteinte à l’exercice de ce droit ?
A-t-elle une base légale claire et accessible en droit interne ?
Cette atteinte poursuit-elle un but légitime, tel que la protection des droits d’autrui, la défense de l’ordre public ou de la sécurité nationale ?
Enfin, est-elle nécessaire dans une société démocratique, et proportionnée ? » 38.
La banalisation et l’enrichissement du contrôle de conventionnalité ne sont pas cependant sans soulever des critiques sur l’étendue du pouvoir du juge vis-à-vis du législateur. La critique du gouvernement des juges n’est en effet jamais loin… mais encore-faut-il rappeler que ce contrôle n’est que l’expression du principe de primauté des traités sur les lois énoncé à l’article 55 de la Constitution. Mais cela renvoie en réalité à un autre débat sur la spécificité de l’interprétation des droits et libertés fondamentaux et au rôle du juge en régime démocratique. Relevons que la Cour de cassation n’est pas insensible aux critiques exprimées par la doctrine depuis 2013, notamment celles ayant trait au risque d’insécurité juridique. Il convient de mentionner le coup d’arrêt porté par l’arrêt de la chambre sociale du 11 mai 2022 rendu à propos de la conventionnalité du « barème Macron », qui met l’accent sur ses dangers de ce type de contrôle pour la sécurité juridique et l’égalité des citoyens devant la loi. La notice explicative, qui n’a certes aucune valeur juridique, mais qui éclaire la position de la chambre sociale va même jusqu’à préciser qu’un « tel contrôle in concreto, qui heurte la conception française d’une norme générale et abstraite, adoptée par le pouvoir législatif et s’imposant à tous, s’est développé exclusivement dans le champ de la protection des droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sous le contrôle de la Cour de Strasbourg ».
L’usage de ces leviers, inédits ou classiques, n’est pas sans conséquences sur les rapports avec les autres juges protecteurs des droits et libertés.
B. Les effets de la revanche sur autres juges
Tout en ayant conscience de juger dans un contexte d’interdépendance institutionnelle normative, très marqué dans le domaine des droits fondamentaux, la Cour de cassation n’hésite pas à assumer une certaine autonomie dans ses interprétations. Aussi, ces dernières années, « (elle) ne s’est certainement pas attristée non plus de saisir l’occasion de donner un coup de griffe à celui (ceux) qui, sur le champ de bataille, venait d’enregistrer contre elle plusieurs victoires significatives » (D. De Bechillon). Il est alors aisé d’envisager la question des rapports entre les juges chargés de la protection des droits fondamentaux droits de l’homme autrement qu’en termes de dialogue. Celui-ci existe mais ne peut pas résumer les rapports entre les juges. Vecteur de légitimité, la protection des droits conduit inévitablement à une émancipation de chaque juge et à un rapport de force entre les différents acteurs.
Dépasser le standard constitutionnel. La concrétisation de leur office par les juges de la loi tend ainsi à légitimer leur intervention, même dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel aurait déjà déclaré une disposition législative conforme à la Constitution. Alors que le Conseil constitutionnel avait estimé dans une décision du 20 mai 2020 que le mécanisme de la clause dite « de stage » du régime d’assurance vieillesse de base des avocats (supprimé par une loi du 23 décembre 2016) était conforme à la constitution, la Cour de cassation parvient à une solution contraire au titre du contrôle de conventionnalité. C’est ce qui résulte d’un arrêt de la deuxième chambre civile sur la détermination des droits à la retraite, au titre du régime d’assurance vieillesse de base, d’un avocat (12 mai 2021, 19-20.938), soulevant d’office la question de la conformité de ce dispositif à l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme. Si elle juge que ce régime contribue à l’équilibre financier du régime de retraite concerné, il ne garantit pas une proportionnalité raisonnable entre les cotisations versées et l’allocation perçue. On pourrait penser que cette configuration n’a rien d’original en ce qu’elle renvoie à la plus-value, maintes fois constatée, du contrôle de (concret) de conventionnalité des lois exercé par les juridictions ordinaires par rapport au contrôle (abstrait) de leur constitutionnalité par le Conseil constitutionnel 39. Mais en l’espèce le contrôle opéré par la Cour de cassation a une coloration abstraite. C’est donc le contrôle abstrait de conventionnalité qui se révèle plus protecteur que le contrôle abstrait de constitutionnalité.
Contraindre. La Cour de cassation n’hésite pas à exercer une forme de pression sur d’autres acteurs et à les placer en situation de compétence liée. La saga judiciaire J.M.B. est de ce point de vue très instructive. La formulation de la QPC ne laissait guère de place au doute, l’inconventionnalité des articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale impliquée par l’arrêt J.M.B. constituant l’une des raisons pour lesquelles la question était renvoyée au Conseil constitutionnel 40. Si la Cour de cassation ne se place pas sur le terrain du changement de circonstances, le résultat est identique : il s’agissait de conventionnaliser le débat sur la constitutionnalité. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’avocate générale lorsqu’elle affirme que « dans le cadre du dialogue des juges, le Conseil à l’évidence ne pourrait faire abstraction de la jurisprudence européenne pour apprécier si les dispositions législatives en matière de détention provisoire permettent l’exercice d’un contrôle préventif des atteintes à la dignité des personnes détenues ». Suggérer au Conseil de donner une coloration conventionnelle à son contrôle de constitutionnalité, tel était l’objectif.
Résultat atteint ! Car en constatant l’ineffectivité des voies de recours internes, en particulier l’absence de recours devant le juge judiciaire permettant d’obtenir qu’il soit mis fin à des atteintes à la dignité résultant de conditions de sa détention provisoire, le Conseil constitutionnel s’inscrit dans la droite ligne des prises de position de la Cour européenne et de la chambre criminelle 41. Ainsi, l’arrêt J.M.B. n’est pas cité, mais à en croire le commentaire « autorisé » de la QPC, l’influence européenne est clairement revendiquée. Le Conseil suit le contrôle « strasbourgeois ». Le lecteur de la décision ne peut qu’être frappé par la manière dont celui-ci s’approprie les méthodes de raisonnement et le vocabulaire de la Cour européenne des droits de l’homme.
Influencer. En faisant siennes les exigences européennes, le juge judiciaire entend agir sur l’intensité du contrôle européen exercé par la Cour. Car on sait que, de jurisprudence constante, si les juges nationaux appliquent les critères européens, la Cour européenne des droits de l’homme s’abstiendra d’intervenir et ne répétera pas le contrôle de proportionnalité qui a été mené au niveau national sauf pour des « raisons impérieuses ». Plusieurs arrêts rendus par la Cour européenne concluant à la non-violation de l’article 10 protégeant la liberté d’expression témoignent de l’influence du contrôle de conventionnalité en amont sur l’intensité du contrôle européen. A titre d’illustration, dans l’affaire arrêt Z.B. c. France (2 septembre 2021 (n°46883/15), dans laquelle était en cause la condamnation pénale du requérant en 2012 pour apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie en raison des mots, « je suis une bombe » et « Jihad, né le 11 septembre », apposés sur un tee-shirt offert à son neveu de trois ans, lequel l’a porté à l’école maternelle, quelques mois après les attentats perpétrés en mars 2012 par Mohammed Merah, la Cour européenne relève que « la cour d’appel de Nîmes qui prononça la condamnation du requérant a veillé à apprécier sa culpabilité en se fondant sur les critères d’appréciation définis par la jurisprudence de la Cour, au regard des exigences du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention et ce, après avoir procédé à une mise en balance des différents intérêts en présence ». De même dans l’affaire Mediapart c. France (14 janvier 2021), relative à la conventionnalité d’une injonction de retirer sur le site Mediapart des extraits d’enregistrements illicites réalisés au domicile de Mme Bettencourt, le juge européen souligne que les juges nationaux ont abordé la question du conflit de droits au regard des critères européens.
Harmoniser. Enfin, lorsque la Cour de cassation est confrontée à des questions déjà examinées par le Conseil d’Etat, elle est quand même soucieuse d’adopter des solutions comparables. Il suffit de songer à l’arrêt d’Assemblée plénière du 25 octobre 2019 sur les conflits entre le principe de dignité humaine et la liberté d’expression (17-86.605). L’avocat général M. Desportes soulignait ici que « l’analyse de la jurisprudence fait en effet apparaître que la Cour de Strasbourg, le Conseil d’Etat et votre Cour se rejoignent autour d’une conception exigeante, et donc étroite, de l’atteinte à la dignité humaine dès lors qu’elle est conçue comme limite absolue à la liberté d’expression ». Lorsque l’Assemblée plénière a été confrontée à la question de savoir si l’impossibilité pour État étranger, personne morale étrangère de droit public, peut se prétendre victime de diffamation est conforme à la Convention européenne, elle a eu le souci d’examiner toute la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les droits fondamentaux des personnes publiques 42.
III. Le destin de la revanche
Si l’hypothèse de la revanche de la Cour de cassation en tant que juge des droits et libertés se vérifie, son destin est évidemment plus incertain à cerner, en raison des nuances et des contraintes inévitables qui l’accompagnent.
Nuances. L’idée de revanche domine le tableau d’ensemble proposé par la Cour de cassation ces dernières années. Sans renier l’hypothèse formulée, il est inévitable que des nuances apparaissent lorsque le regard se fait plus précis.
Première nuance, le pouvoir politique ne se détourne pas systématiquement du juge judiciaire et ne lui manifeste pas seulement des signes de défiance. Peut-être sous l’effet de l’action revendicatrice de la Cour de cassation, il n’est par exemple pas anodin qu’une loi de 2016 ait confié au juge judiciaire de larges compétences en matière de rétention administrative des étrangers 43ou que la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ait pour intitulé : « pour la confiance dans l’institution judiciaire ».
Deuxième nuance, le destin de la revanche de la Cour de cassation en matière de droits et libertés ne dépend pas seulement de ses propres actions, elle doit être évaluée au regard de l’action des autres juges avec lesquels elle est en interaction, voire en concurrence. Pour ne prendre que l’exemple du juge administratif, ce dernier n’est pas resté dans l’inertie ces dernières années, comme l’illustrent les avancées indéniables en matière de justiciabilité des actes de droit souple susceptibles de limiter les droits et libertés 44au sujet du contentieux climatique 45ou en matière de conditions de détention 46. De même l’image du Conseil d’Etat comme mauvais élève du dialogue des juges avec les Cours européennes peut sembler excessive pour peu que l’on ne reste pas focalisé sur les cas récents et médiatisés de mauvaise application du droit de l’Union européenne ou du retard avec lequel les juges du Palais Royal ont activé le mécanisme de la demande d’avis issu du protocole 16 à la Convention européenne des droits de l’homme.
Troisième nuance, l’importance accordée aux discours et à la communication ne doit pas conduire à une forme de cécité doctrinale. Ces éléments doivent être pris en compte, dès lors qu’ils expriment un discours que l’institution tient sur elle-même. Mais ces éléments ne doivent pas être surestimés et conduire à une déformation de l’incidence d’une annonce ou d’une décision rendue. Par exemple, lors de la parution d’un arrêt d’importance en matière de droits et libertés, l’effort de communication de la Cour de cassation -démultiplié par l’effet d’emballement des réseaux sociaux- peut conduire à décupler l’importance accordée par les médias et les observateurs. La prise de distance et l’analyse de fond sont plus que jamais nécessaires pour la doctrine… De même, au niveau de la communication institutionnelle, il faut se méfier de l’écart entre le discours institutionnel et la réalité normative. Comme dans toute organisation publique ou privée, cet écart que le sociologue Nils Brunsson appelle l’ « hypocrisie organisationnelle » 47, ne doit pas biaiser l’analyse juridique.
Contraintes. Le destin de la revanche dépend également de l’aptitude de la Cour de cassation à surmonter plusieurs contraintes.
En premier lieu, le sort de la revanche dépend de la capacité de la Cour de cassation à s’autoréformer pleinement et efficacement. Sans prétendre pouvoir lever le secret du fonctionnement intime du Quai de l’Horloge, des tensions internes apparaissent de manière évidente, à l’image de la mise en place pour le moins progressive de la motivation enrichie. De même, la pratique des renvois directifs en QPC n’est pas totalement uniformisée selon les chambres de la Cour de cassation, au-delà de l’usage quasi systématique par la criminelle de cette technique de motivation des renvois au Conseil constitutionnel. Ceci étant, le caractère offensif de la communication de la Cour de cassation semble faire consensus dès lors qu’il n’a pas été démenti sous le mandat de la Première présidente Chantal Arens, avec la complicité du Procureur général François Molins 48. Depuis sa prise de fonction le 18 juillet 2022, le Premier président Christophe Soulard a d’ores et déjà annoncé plusieurs pistes de réforme, à l’image du projet de procédures interactives ouvertes, figurant dans le rapport de la Commission « Cour de cassation 2030 », visant à ouvrir un débat élargi au-delà des parties sur des affaires touchant à des grandes questions de société 49, mais tout en étant davantage prudent qu’au moment de l’annonce de la revanche par Bertrand Louvel, notamment au sujet de la place institutionnelle du judiciaire 50.
En deuxième lieu, la Cour de cassation doit être prête à payer le prix de sa revanche. Car il est bien évident que les mouvements et évolutions décrits ne font pas l’unanimité parmi les autres acteurs juridiques ou la doctrine. Ainsi, le fait que le Conseil constitutionnel ait développé les normes transitoires en cas d’abrogation différée d’une loi en QPC n’est pas totalement étranger au fait que la Cour de cassation avait à plusieurs reprises garanti les droits des justiciables sur le fondement de la conventionnalité. La réaction du Conseil constitutionnel réduit dès lors le risque de conflit entre constitutionnalité et conventionnalité. Par ailleurs, la motivation enrichie et le caractère assumé de la force des précédents jurisprudentiels ont suscité plusieurs critiques doctrinales. De même, les risques en termes de sécurité juridique et d’égalité devant la loi lors de l’exercice du contrôle concret de conventionnalité des lois engendrent des inquiétudes. La Cour de cassation en a parfaitement conscience au regard du pas en arrière effectué au sujet du « barème Macron » avec l’arrêt du 11 mai 2022 51. Accusation de gouvernement des juges, alignement trop systématique sur la CEDH, déclin de la culture juridique française, risque de personnalisation de l’institution en raison de la communication intense de ses dirigeants, telles sont également les critiques, plus ou moins pertinentes, liées à la revanche conduite par la Cour de cassation.
Dès lors, et en dernier lieu, le destin de la revanche de la Cour de cassation dépend aussi du niveau d’acceptabilité des réformes par les autres institutions et l’opinion. En tant qu’organe inséré dans un système contraint, la Cour de cassation ne décide pas de tout, isolément et sans se soucier des conséquences. D’elle-même, elle censure un arrêt de Cour d’appel qui avait considérablement élargi la voie de fait à l’occasion de l’affaire Lambert 52. Et les souvenirs de la loi « anti-Perruche » ou des représailles du pouvoir politique à la suite de l’attitude grincheuse au début de la QPC, témoignent de l’équilibre subtil que la Cour de cassation doit poursuivre. D’autant que la montée en puissance assumée du juge judiciaire s’accompagne nécessairement d’une responsabilisation plus importante. La légitimité de la Cour de cassation ne repose donc pas seulement sur son office de juge des droits fondamentaux. Dès lors, sera-t-elle en mesure de proposer des innovations institutionnelles et contentieuses ? Difficile et hasardeux de se lancer dans une telle prospective. Mais parmi plusieurs pistes envisageables, il est possible de se demander si l’usage décomplexé de la QPC, notamment à travers les renvois directifs, ainsi que l’intensification du contrôle concret de conventionnalité, ne sont pas les prémisses d’une évolution majeure en matière de contrôle de la loi avec la fin définitive de la loi-écran. Un tel chantier est possible à mener, du moins en droit. En opportunité ? C’est une autre histoire qui donnerait à la revanche de la Cour de cassation une dimension révolutionnaire.
Notes:
- V. par ex. M. Crozier, E. Friedberg, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Seuil, Essais, 1977 ; P. Bernoux, Sociologie des organisations, Seuil, 2009 ; M. Garcia Villegas, Les pouvoirs du droit. Analyse comparée d’études sociopolitiques du droit, LGDJ, 2015 ↩
- voy. J. Bonnet, « Comment décident les acteurs juridiques ? Pour une analyse interdisciplinaire du processus décisionnel », in Mélanges en l’honneur du Professeur Dominique Rousseau, Constitution, justice, démocratie, LGDJ, 2020, p. 315 ↩
- Le Monde, 20 mai 2016 ↩
- Après plusieurs décisions annonciatrices rendues à la fin des années 90, le cap est définitivement franchi avec CC 2003-467 DC, 13 mars 2003 ↩
- cf. les auditions en 2008 et 2009 du Premier président Vincent Lamanda devant le Comité Balladur et les commissions parlementaires ↩
- cf. article 12 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 puis le décret n° 2010-1216 du 15 octobre 2010 ↩
- J. Bonnet, « La politique de rupture de la Cour de cassation », JCP G, 9 sept. 2019, p. 1594. ↩
- « Pour exercer pleinement son office de Cour suprême, la Cour de cassation doit adapter ses modes de contrôle », JCP G, 2015, n° 43, 1122. ↩
- B. Louvel, « Audience solennelle de rentrée 2016 » ↩
- B. Louvel, « Pour l’unité de juridiction », Tribune, 25 juillet 2017 ↩
- «Il faudrait que l’intégralité des magistrats du siège soit nommée à l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature », B. Louvel, Le Monde, 20 mai 2016 ↩
- cf. l’échange polémique et public de courriers au sujet de la réforme de l’inspection générale des services judiciaires par le décret du 5 décembre 2016 ; sur l’annulation partielle du décret en question, cf. CE, 23 mars 2018, Syndicat Force ouvrière magistrats et autres, n° 406066, 406497, 406498, 407474 ↩
- V. par ex. G. Canivet, « Le droit communautaire et le juge national ou Comment un demi-siècle d’application du droit communautaire a libéré le juge judiciaire français de deux siècles de soumission absolue à la loi interne », in D. Simon (dir.), Le droit communautaire et les métamorphoses du droit, Presses universitaires de Strasbourg, 2003, p. 81 ↩
- B Louvel, « Introduction », in « Autonomie budgétaire de l’ordre judiciaire et rapports entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire », Bruxelles, 10 octobre 2017 ↩
- Ibid ↩
- Ibid ↩
- B. Louvel, « La justice n’est pas une administration comme les autres », GP, 17 juill. 2018, n°329, p. 9 ↩
- Avocate générale S. Zientara, s/ Cass. crim., 8 juillet 2020, pourvoi n° 20-81.739 ↩
- Voy. le rapport de la Commission de réflexion sur la ‘Cour de cassation 2030 : « Pour la commission, invitée à porter sa réflexion vers l’avenir, ces contestations rendent indispensable de rappeler que le rôle de la Cour de cassation ne se limite pas à apporter une réponse relevant de la seule technique juridique à chacun des pourvois que les parties lui soumettent. En effet, au-delà et à l’occasion de cette fonction quotidienne, elle assure la mise en œuvre d’un ordre juridique dans lequel tous, y compris l’Etat, sont soumis au principe de légalité et elle veille à la sauvegarde des droits fondamentaux qui forment la substance concrète de la démocratie » ↩
- On pourrait également citer les récentes décisions sur la question des restrictions à la conservation des données de connexions : comp. Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652 et la décision French Data Network et autres du Conseil d’Etat du 21 avril 2021 ↩
- D. Combrexelle, « Sur l’actualité du « dialogue des juges » AJDA, 2018, p. 1929 ↩
- CEDH, 13 février 2020, arrêt Sanofi Pasteur c. France, n°25137/16, obs. L. Milano, RDLF, 2021, chron. n° 30 ↩
- P. Wachsmann, « De la marginalisation du juge judiciaire en matière de libertés et des moyens d’y remédier », Dalloz 2016 p.473 ↩
- ord., 3 avril 2020, n° 439894 ; CE, ord., 3 avril 2020, n° 439877, 439887, 439890 et 439898 ↩
- Dans une décision QPC en date du 29 janvier 2021 n° 2020-878/879, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions étaient contraires à l’article 66 de la Constitution ↩
- L. Boré, « La Cour de cassation, l’état d’urgence et la protection des libertés », RDP, hors-série – 2021, p. 263) ↩
- CE, 11 déc. 2015, M. C. Domenjoud et six autres affaires, n° 395009 : qui contrôle la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence au regard de la Convention européenne des droits de l’homme ↩
- Voir aussi Crim., 13 oct. 2020, n° 20-84.360 : renvoi d’une QPC d’une loi pourtant jugée conforme à la CEDH, qui autorisait la visioconférence sans l’accord parties devant le juridictions pénales. Sur la protection des droits et libertés par le Conseil d’Etat pendant l’état d’urgence sanitaire, voy. H. Pauliat, « Le Conseil d’État, gardien de l’état d’urgence ou des libertés ? », RDP oct. 2021, p. 247 ; M. Afroukh, « La Convention européenne des droits de l’homme devant le Conseil d’Etat en période d’état d’urgence sanitaire : une omniprésence en trompe-l’œil? », Europe des Droits & Libertés / Europe of Rights &Liberties, mars 2022/1, n° 5, p. 6 ↩
- pour des illustrations récentes, cf. par ex. Cass., com., 9 juin 2022, n°22-40008 ; Cass., crim., 27 juillet 2022, n°22-80.887 ↩
- D. Rousseau, J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle (2021) », RDP, 2022, p. 308 ↩
- Voir l’étude annuelle 2018 sur le pouvoir normatif de la Cour de cassation, dirigée par F. Marchadier ↩
- Ass. plén., 2 avril 2021 n°19-18.814 : abandon de la jurisprudence par laquelle elle considérait qu’un moyen formé contre un arrêt qui se conformait à une précédente décision de cassation rendue dans la même affaire était irrecevable. Désormais, le moyen est recevable lorsqu’un changement de norme est intervenu postérieurement à cet arrêt de cassation. Les termes utilisés par l’arrêt – « règle prétorienne », « changement de norme », « norme nouvelle », – sont très révélateurs de cette nouvelle politique jurisprudentielle ↩
- « La prise en considération d’une norme par le juge : le chaînon manquant ? », Dalloz, 2022, p. 1668). Ainsi, lorsque l’ancien président de la Cour de cassation B. Louvel affirme que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies « a constaté que notre assemblée plénière elle-même avait méconnu des droits fondamentaux reconnus par le Pacte international des droits civils et politiques dans l’affaire connue sous le nom de Baby Loup ; même si cette constatation n’a pas, en droit, de force contraignante, l’autorité qui s’y attache de fait constitue un facteur nouveau de déstabilisation de la jurisprudence qui vient perturber, aux yeux des juges du fond, le rôle unificateur de notre Cour, qui plus est au niveau le plus élevé de son assemblée plénière », il exprime une idée audacieuse d’ouverture au droit souple qui tranche avec l’analyse habituellement retenue de la valeur de ces constatations 53v. la communication de J. Ferrero ↩
- Ont ainsi été publiés en 2018 et 2020 un memento et un rapport sur le contrôle de conventionnalité : F. Marchadier, « Le contrôle de proportionnalité in concreto – . – Comment éviter une atteinte (disproportionnée) à l’uniformité du droit et à la prévisibilité des solutions ? », JCP G, 2020, 1301 ↩
- C’est l’apport de l’arrêt n° 19-10.375 du 16 janvier 2020 ↩
- Crim. 18 juin 2019, n° 18-86.421 ↩
- Adde un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 21 décembre 2019 n°16-25.406 qui se sert en effet de l’article 8 et du droit au respect du domicile pour casser un arrêt de la Cour d’appel de Dijon qui avait appliqué la solution traditionnelle consistant à sanctionner le moindre empiètement de quelques centimètres par la démolition « sans égard pour les circonstances du dommage et le caractère disproportionné de la condamnation » ↩
- La jurisprudence récente de la Cour européenne met clairement l’accent sur cette différence de nature des deux contrôles : Déc. Charron et Merle-Montet c/ France du 16 janvier 2018, n° 22612/15 et Graner c/ France du 5 mai 2020, n° 84536/17 ↩
- Cass crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739 ↩
- Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 ↩
- En l’espèce, la Cour répond pas la négative en jugeant notamment que l’article 8 de la Convention ne protège pas le droit pour un État de se prévaloir de la protection de sa réputation pour limiter l’exercice de la liberté d’expression. Ne pouvant se prétendre victime de diffamation, l’Etat marocain ne pouvait donc invoquer l’accès au juge pour faire valoir un droit jugé inexistant en l’espèce. Dans cette affaire, l’Assemblée plénière a refusé de donner suite à la demande d’avis consultatif visant à interroger la Cour européenne sur la possibilité pour un Etat étranger d’invoquer devant les juridictions nationales la Convention. Ass. Pl., 10 mai 2009, n°17-84.509, 17-84.511, 18-82.737 ↩
- Sur l’ensemble de la question, cf. X. Bioy, E. Debaets, J. Schmitz, La répartition des compétences juridictionnelles et la protection des droits des libertés, IFJD, 2021 ↩
- CE, Ass., 21 mars 2016, n°368082, Société Fairvesta Iinternational GmbHh ; CE, ord. réf., 30 avril 2020, ord. réf. , n° 440179 ; CE, 12 juin 2020, n°418142, GISTI ↩
- CE, 19 novembre 2020, Cne de Grande-Synthe, n° 427301 ↩
- TA Toulouse, 4 oct. 2021, n° 210542 ; « Prisons : quand le juge administratif permet d’améliorer les conditions de détention », Le Monde, 29 août 2022 ↩
- N. Brunsson, « The Organization of Hypocrisy », 2ème éd., Copenhagen Business School Press, 2002 ↩
- V. par ex. C. Arens, F. Molins, « L’institution judiciaire est fragilisée », Le journal du dimanche, 5 juin 2021 ↩
- C. Soulard, « La justice peut être un contre-modèle aux réseaux sociaux » L’Obs, 18 juillet 2022 ↩
- Dans l’entretien précité à L’Obs, l’échange suivant est reproduit : « La justice est-elle une autorité ou un pouvoir ? C.Soulard : Ah, c’est un débat récurrent… Je dirais qu’une autorité qui remplit totalement son rôle d’autorité, c’est déjà beaucoup ! On peut considérer que ce n’est pas la force mais sa légitimité morale qui impose l’autorité. Si c’est cela, l’autorité, je trouve que le mot est beau pour la justice. Il lui convient bien. » ↩
- Cass., Soc., 11 mai 2022, n° 21-15.247 et n° 21-14.490 ; P. Deumier, « L’exclusion du contrôle de conventionnalité in concreto : l’esprit et les méthodes », RTDCiv., 2022, p. 575. Voir cependant Cour d’appel de Douai, chambre sociale, n° 1736/22, 21 octobre 2022 ↩
- CA Paris, 20 mai 2019, arrêt n°239, cassé par Cass, Ass. Plén., 28 juin 2019, n°19-17330 et 19-17342 ↩