Les cours suprêmes à l’épreuve du foulard islamique en milieu scolaire
par Xavier Delgrange[1], Premier auditeur chef de section au Conseil d’État de Belgique, Chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles
Se fondant sur les notions de « nécessité dans une société démocratique », de « stricte mesure » ou « d’absolue nécessité » semées dans les différentes dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacrent des droits fondamentaux, la Cour européenne des droits de l’homme a développé la méthode du contrôle de proportionnalité. Il s’agit, selon la définition de Sébastien Van Drooghenbroeck, d’une « technique d’arbitrage entre intérêts conflictuels juridiquement protégés » [2]. La Cour précise que toute ingérence, en l’espèce dans l’exercice du droit à la liberté de religion, « doit être ‘nécessaire dans une société démocratique’. Cela signifie qu’elle doit répondre à un ‘besoin social impérieux’ ; en effet, le vocable ‘nécessaire’ n’a pas la souplesse de termes tels qu’‘utile’ ou ‘opportun’ »[3].
Toutes les juridictions suprêmes, nationales et européennes, ont adopté cette méthode du contrôle de proportionnalité[4].
Il est toutefois saisissant de constater combien cette même méthode conduit à des résultats diamétralement opposés lorsqu’elle est appliquée à un enjeu de société tel que la liberté religieuse, plus particulièrement lorsqu’elle concerne l’islam, en l’occurrence le port du foulard à l’école[5]. C’est ce que je voudrais montrer en comparant quelques décisions relatives à l’interdiction de signes convictionnels à l’école, émanant de la Cour européenne des droits de l’homme (2008-2009 et 2017)[6], du Conseil d’État de Belgique (2010, 2013 et 2014)[7], de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (2015)[8] et du Tribunal fédéral suisse (2015)[9]. Une décision quasi-juridictionnelle, rendue par le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies (2012)[10] sera également évoquée et certains enseignements seront tirés de deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, bien qu’ils ne traitent pas de l’école mais des relations de travail (2017)[11]. Aucune décision juridictionnelle française n’a été retenue[12] mais l’avis du Conseil d’État de France de 1989 constitue en quelque sorte l’alpha et l’oméga de cette contribution[13].
La confrontation de ces décisions permet de poser trois constats. Elle révèle tout d’abord une importante variation dans l’intensité du contrôle de proportionnalité effectué par les différentes juridictions, avec cette constante que la validation de l’interdiction résulte d’un contrôle superficiel voire escamoté (marge nationale d’appréciation, pétition de principe,…) tandis que les invalidations s’appuient sur un contrôle approfondi.
Cette confrontation met ensuite en exergue de profondes divergences de jurisprudence. S’agissant du port du voile par les enseignantes, celles-ci reposent sur la conception que les juridictions suprêmes, en fonction de leur environnement étatique, se font de la neutralité, clairement exclusive pour la France, la Suisse et la Belgique, manifestement inclusive pour l’Allemagne.
Enfin, il apparaît qu’une même étape du contrôle de proportionnalité, appliquée au même critère et dans un environnement juridique comparable, peut déboucher sur des conclusions antagonistes. Ainsi, à la question de savoir si l’interdiction du port du voile faite à une enseignante contribue à l’objectif de garantir l’égalité femme/homme, la Cour européenne des droits de l’homme ou le Conseil d’État de Belgique répondent positivement tandis que la Cour constitutionnelle allemande conclut négativement.
Les pages qui suivent confrontent les décisions sélectionnées dans les différentes étapes du contrôle de proportionnalité : l’identification du but poursuivi (3) ; l’appréciation de l’adéquation de la mesure (4) ; la nécessité de la mesure (5) ; la balance des intérêts (6). Au préalable, le contenu de ces étapes du contrôle de proportionnalité sera brièvement rappelé (1) et la question de savoir si l’interdiction du port de signes convictionnels pourrait être qualifiée de distinction directe, ce qui amènerait à conclure à la discrimination sans être astreint à parcourir toutes les étapes du contrôle de proportionnalité, sera envisagée (2).
Pour être complet, il faudrait encore ajouter deux étapes préliminaires. La première consiste à vérifier que la mesure emporte bien une restriction dans la jouissance de la liberté religieuse. Le temps des hésitations est toutefois définitivement révolu, les cours suprêmes ne discutant plus la question de savoir si le fait de porter un signe convictionnel entre ou non dans l’exercice de la liberté religieuse[14]. La seconde suppose de s’assurer que la restriction est bien « prévue par la loi », ainsi que le requiert l’article 9.2. de la Convention européenne des droits de l’homme. Si cette question a fait l’objet d’âpres débats devant le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle de Belgique, elle ne semble guère avoir mobilisé les autres juridictions suprêmes dont les décisions sont ici analysées, si bien que l’introduire dans ce comparatif n’apparait pas nécessaire[15].
1) Les étapes du contrôle de proportionnalité
La Cour constitutionnelle belge synthétise ainsi la méthode adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine de la liberté religieuse : « pour que l’ingérence soit compatible avec la liberté de religion et avec la liberté de culte, il est requis que la mesure fasse l’objet d’une réglementation suffisamment accessible et précise, qu’elle poursuive un objectif légitime et qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique, ce qui implique que l’ingérence doit répondre à ‘un besoin social impérieux’ et qu’il doit exister un lien raisonnable de proportionnalité entre le but légitime poursuivi, d’une part, et la limitation de ces libertés, d’autre part » [16].
Classiquement, le contrôle de proportionnalité se compose de trois éléments[17]. Les deux premiers supposent un contrôle interne à la relation entre la mesure adoptée et le but poursuivi. Il s’agit de l’adéquation et de la nécessité.
S’assurant de l’adéquation – encore appelée appropriation – , l’on vérifie simplement que la mesure est susceptible d’atteindre le but poursuivi. Selon les termes de la Cour de justice de l’Union européenne, la mesure doit être « apte à contribuer à la réalisation de l’objectif » poursuivi[18].
Le second contrôle est plus ambitieux puisqu’il requiert de l’auteur qu’il recherche la voie la moins dommageable. Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme, « lorsqu’elles décident de restreindre les droits fondamentaux des intéressés, les autorités doivent choisir les moyens les moins attentatoires aux droits en cause » [19]. Il en résulte que « le but légitime recherché ne peut être atteint par aucune autre mesure moins contraignante et plus respectueuse du droit fondamental en cause ; sur ce point, la charge de la preuve pèse sur les autorités nationales »[20].
Le troisième élément impose une prise de distance, un contrôle externe qui permet de mesurer toutes les conséquences de l’ingérence. Il s’agit de la proportionnalité proprement dite, mieux appréhendée sous le vocable de balance des intérêts. La mesure est adéquate et nécessaire pour atteindre le but, mais il faut encore effectuer un calcul coût-bénéfice, pour apprécier si le jeu en vaut la chandelle, si atteindre le but est d’un intérêt général suffisant pour justifier la restriction des libertés. Il n’est pas vrai que la fin justifie les moyens. Autant les exigences d’adéquation et de nécessité ont une coloration instrumentale, autant la mise en balance des intérêts en présence se situe dans un registre axiologique et suppose un jugement de valeur. Ce jugement est lui-même posé à l’aune de l’échelle de valeurs caractéristique de la « société démocratique », concept central dans la Convention[21].
Ces trois éléments s’apprécient à l’aune du but poursuivi par la mesure contestée, qui limite un droit garanti. Il faut donc au préalable identifier ce but légitime, qui est la raison de la norme[22]. La Cour européenne des droits de l’homme fut confrontée à la difficulté que l’article 2 du Premier Protocole, relatif au droit à l’instruction, ne contient pas de second paragraphe énonçant les buts légitimes aptes à justifier une restriction. Adoptant une interprétation globale de la Convention, la Cour a considéré que l’autorité peut se revendiquer de l’un des buts énoncés à l’article 9.2., relatif à la liberté religieuse, pour justifier une restriction au droit à l’instruction[23].
En définitive, le contrôle de proportionnalité se décline donc en quatre étapes, qui amènent le juge à pénétrer toujours plus avant dans le cœur du travail du législateur [24].
2) Interdire le voile, une discrimination directe ?
Il est à noter que, s’agissant des interdictions frappant le personnel enseignant, la Cour de justice de l’Union européenne pourrait se dispenser de parcourir toutes les étapes du contrôle de proportionnalité si elle qualifiait l’interdiction du port du voile de distinction directe au sens de la directive européenne 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail[25].
Cette directive repose sur une distinction cardinale entre… les distinctions directes et indirectes. En vertu de son article 2, §2, a), est directe la distinction qui « se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er », à savoir la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Selon l’article 2, §2, b), est indirecte la distinction qui « se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes ». La distinction indirecte sera qualifiée de discriminatoire, et donc prohibée, à moins qu’elle « ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires », c’est-à-dire proportionnés. En revanche, la distinction directe est d’office discriminatoire, à moins qu’elle ne soit justifiée par une « exigence professionnelle essentielle ou déterminante » ou par la qualité d’entreprise de tendance, à savoir une entreprise « dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions » (article 4).
Le Conseil d’État de Belgique, réuni en assemblée générale, a été confronté au dilemme qu’impose cette qualification lorsqu’il a dû se prononcer sur la validité du licenciement d’une enseignante par une école officielle au motif que cette fonctionnaire refusait d’ôter son foulard islamique. Aux yeux des autorités scolaires, ce comportement contrevenait à l’exigence de neutralité qui s’impose à un établissement officiel et qui est consacré dans le règlement d’ordre intérieur de l’établissement. Au stade de la demande de suspension, le Conseil d’État a estimé que l’interdiction de « porter tout signe ostensible religieux, politique ou philosophique »[26] est une distinction directe. Celle-ci n’est toutefois pas discriminatoire car, « dans la mesure où la neutralité est un concept philosophique », une école officielle peut être qualifiée d’entreprise de tendance au sens de l’article 4.2. de la directive 2000/78/CE[27]. Pareil raisonnement a laissé la doctrine pantoise[28], d’autant que l’arrêt propose une excellente définition de la neutralité[29]: « dans un État de droit démocratique l’autorité se doit d’être neutre, parce qu’elle est l’autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils observent strictement, à l’égard des citoyens, les principes de neutralité et d’égalité des usagers. La neutralité dans l’enseignement vise aussi à préserver les droits fondamentaux des élèves et de leurs parents »[30]. Si l’on peut concevoir que la laïcité puisse être définie comme une conviction lorsqu’elle est envisagée dans sa dimension philosophique, l’on n’aperçoit pas comment la neutralité pourrait être qualifiée de « concept philosophique »[31]. Qui croirait que le surréalisme belge se loge même dans d’arides décisions de juridictions suprêmes ?
Toujours est-il que, dans son arrêt au fond, l’assemblée générale du Conseil d’État de Belgique opère un revirement complet. Elle refuse en effet d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur le caractère direct ou indirect de la distinction, au motif que « la prémisse du raisonnement de la requérante, à savoir que la distinction en cause serait directe, est jugée erronée »[32]. Elle reconnait au passage l’erreur qu’elle estime avoir commise puisque, comme on vient de le voir, c’est elle-même qui soutenait, dans son arrêt en suspension, que la distinction était directe. Le refus de poser la question préjudicielle est quant à lui éminemment critiquable puisque la requérante ne partait nullement de la prémisse que le Conseil d’État lui impute mais entendait que la Cour de justice qualifie elle-même la distinction. Quoi qu’il en soit, ce refus méconnaît l’article 267, alinéa 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui oblige une juridiction statuant en dernier ressort à s’adresser à la Cour de justice, sauf si elle peut invoquer l’une des trois exceptions admises : la question soulevée n’est pas pertinente ; l’application correcte du droit européen s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ; la disposition européenne a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour de Justice[33]. Or, justement, il faudra attendre les arrêts Achbita et Bougnaoui du 14 mars 2017 pour que la Cour de Luxembourg ait l’occasion de se prononcer sur cette question, non pas à l’école mais dans les relations de travail au sein de l’entreprise[34]. En effet, à la différence du Conseil d’État de Belgique, les Cours de cassation belge et française, confrontées à la même question, ont interrogé la Cour de justice.
Il est des cas où l’on peut facilement déterminer si l’on a à faire à une distinction directe ou indirecte. Ainsi, dans l’affaire Eweida tranchée par la Cour européenne des droits de l’homme, la distinction était indirecte puisque British Airways interdisait indistinctement tous les bijoux. Ce n’était donc pas parce qu’elle portait une croix catholique que Mme Eweida était sanctionnée[35]. A l’inverse, une interdiction dirigée spécifiquement contre le port d’un signe appartenant à une religion déterminée serait immanquablement qualifiée de discrimination directe. Mais qu’en est-il d’une interdiction générale frappant indistinctement tous les signes convictionnels ?
La doctrine était divisée sur la qualification qu’il convenait d’attribuer à pareille prohibition. Certains auteurs s’arrêtaient à la généralité de la règle pour lui dénier tout caractère direct. D’autres poursuivaient jusqu’à l’objet de l’interdiction, l’expression convictionnelle, pour la taxer de distinction directe. La controverse a été ravivée de manière spectaculaire par les conclusions diamétralement opposées des avocates générales dans les affaires tranchées par la Cour de Justice le même jour du 14 mars 2017 : conclusions présentées le 31 mai 2016 par Mme Juliane Kokott dans l’affaire Achbita, conclusions présentées le 13 juillet 2016 par Mme Eleanor Sharpston dans l’affaire Bougnaoui[36].
Mme Kokott ouvre le feu en concédant qu’à première vue, la distinction doit être qualifiée de directe puisque l’interdiction vise directement la religion (§43). Elle reconnaît que la jurisprudence de la Cour de justice est fondée sur une interprétation large de la notion de discrimination directe, celle-ci ayant « toujours reconnu l’existence d’une telle discrimination lorsqu’une mesure est indissociablement liée au motif d’inégalité de traitement en cause » (§44). En l’espèce, l’avocate générale invite toutefois à abandonner cette interprétation large, au motif que, « dans toutes ces affaires, il s’agissait cependant toujours de particularités physiques inséparables de la personne ou de caractéristiques liées à la personne, par exemple, le sexe, l’âge ou l’orientation sexuelle, et non de comportements reposant sur une décision ou une conviction subjective comme, en l’espèce, le fait de porter ou ne pas porter un couvre-chef » (§45). Elle précise sa pensée : « À la différence du sexe, de la couleur de la peau, de l’origine ethnique, de l’orientation sexuelle, de l’âge et du handicap d’une personne, la pratique religieuse relève cependant moins d’une donnée indissociable de la personne que d’un aspect de sa vie privée, sur lequel le travailleur concerné peut de surcroît volontairement influer. Alors qu’un travailleur ne peut pas ‘laisser au vestiaire’ son sexe, sa couleur de peau, son origine ethnique, son orientation sexuelle, son âge ni son handicap dès qu’il pénètre dans les locaux de son employeur, on peut en revanche attendre de lui une certaine retenue pour ce qui concerne l’exercice du culte au travail, que ce soit en matière de pratiques religieuses, de comportements motivés par la religion ou, comme en l’espèce, de tenue vestimentaire » (§116).
L’avocate générale insiste alors sur la généralité de l’interdiction : « cet impératif de neutralité affecte un travailleur religieux exactement de la même manière qu’il affecte un athée convaincu qui manifeste de manière visible sa position antireligieuse par sa tenue vestimentaire ou un travailleur politiquement actif qui affiche, par des pièces d’habillement, son parti politique préféré ou certains contenus politiques (par exemple, par des symboles, des épinglettes ou des slogans sur sa chemise, son t-shirt ou son couvre-chef) » (§52). Mme Kokott reconnait cependant qu’il « en irait autrement s’il s’avérait qu’une interdiction telle que celle en cause repose sur des stéréotypes ou des préjugés contre une ou plusieurs religions données, ou même contre les convictions religieuses en général. Il faudrait alors sans aucun doute constater l’existence d’une discrimination directe sur la base de la religion »[37] (§55).
Mme Sharpston réplique « que, pour l’adepte pratiquant d’une religion, son identité religieuse fait partie intégrante de son être même. Les exigences de la foi – sa discipline et les règles de vie qu’elle impose – ne sont pas des éléments à appliquer lorsque l’on ne se trouve pas au travail (par exemple, le soir et le week‑end pour ceux qui ont un travail de bureau) mais pouvant être poliment écartés pendant les heures de travail. Naturellement, selon les règles propres à la religion en question et le niveau de pratique de la personne concernée, tel ou tel élément peut ne pas être contraignant pour cette personne et, partant, être négociable. Mais on aurait tort de supposer que, en quelque sorte, tandis que le sexe ou la couleur de peau suivent une personne partout, la religion ne le ferait pas » (§118). Elle estime qu’il « semble impossible de ne pas conclure que Mme Bougnaoui a été traitée de manière moins favorable, sur la base de sa religion, qu’une autre personne ne l’aurait été dans une situation comparable. Un ingénieur d’études travaillant chez Micropole qui n’aurait pas choisi de manifester ses croyances religieuses en portant une tenue vestimentaire particulière n’aurait pas été licencié. Le licenciement de Mme Bougnaoui constituait donc une discrimination directe à son encontre, basée sur sa religion ou ses convictions, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 » (§88).
Dans l’arrêt Achbita[38], la Cour de justice donne raison à Mme Kokott. Elle estime en effet que, si le règlement interdisant « le port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses » vise « indifféremment toute manifestation de telles convictions », il ne peut générer de distinction directement fondée sur la religion, puisqu’il « traite de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise, en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, notamment une neutralité vestimentaire s’opposant au port de tels signes » (§§ 30-32). Heureusement, elle ne suit pas explicitement l’avocate générale dans ses élucubrations relatives aux critères qui seraient ou non intrinsèques à un individu. D’un côté, Madame Kokott essentialise des critères dont on peut désormais douter qu’ils sont absolument inséparables de la personne. Ainsi, peut-on toujours y ranger le sexe dans le même temps où le droit combat les discriminations faites aux transgenres ou même aux personnes en questionnement ? En quoi l’orientation sexuelle serait-elles davantage indissociable de la personne que des convictions religieuses. D’un autre côté, ravaler la religion à une décision ou une conviction subjective dépendant de la simple volonté de l’intéressé revient à ignorer qu’une religion peut être profondément ancrée dans la personnalité d’un individu[39]. D’ailleurs, la Cour européenne des droit de l’homme rappelle que, dans sa jurisprudence, « d’une façon générale, la liberté de pensée, de conscience et de religion est considérée comme l’une des assises de la société démocratique ; d’une façon plus particulière, les juges voient dans la liberté religieuse un élément vital contribuant à former l’identité des croyants et leur conception de la vie » [40]. Mais alors, l’on n’aperçoit guère pour quel motif la Cour de justice a estimé devoir, en l’espèce, adopter une interprétation bien plus restrictive de la notion de discrimination directe que ce qu’elle avait développé dans une jurisprudence relative à d’autres critères que la religion comme l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique[41]. En effet, la directive place sur un même pied d’égalité les différents critères de distinction, si bien qu’elle n’offre aucun fondement à une moindre protection contre la discrimination religieuse par rapport aux autres critères protégés[42].
Si elle apporte une certaine clarté propice à la sécurité juridique[43], pareille qualification est critiquée en ce qu’elle résulte d’une analyse purement formelle – la norme se présente-t-elle sous la forme d’une règle générale et abstraite ? – alors que la directive requiert une approche concrète et individualisée. C’est pourquoi Emmanuelle Bribosia et Isabelle Rorive estiment que l’approche de la Cour est erronée : « pour mettre à jour une discrimination directe, la question n’est pas tant de vérifier si une règle prévoit un traitement identique pour tous les travailleurs[44], mais bien, comme le prévoit la directive 2000/78, d’identifier que la règle n’a pas pour effet de faire subir à une personne, par rapport à une autre qui se trouve dans une situation comparable, un traitement moins favorable fondé sur les convictions religieuses (…). Dès lors que l’expression de la religion est englobée dans la protection contre la discrimination, une règle qui aboutit à imposer aux travailleurs de ne pas porter un signe religieux particulier qui fait partie de leur identité constitue une discrimination directement fondée sur la religion, sauf à pouvoir être justifiée au titre des exigences professionnelles essentielles et déterminantes »[45].
C’est probablement pour ne pas enfermer les entreprises qui entendent bannir les signes convictionnels dans l’obligation de se conformer aux seules justifications admissibles en cas de discrimination directe – l’exigence professionnelle essentielle ou la qualité d’entreprise de tendance (voy. ci-dessus n° 5) – que la Cour de justice a préféré retenir la qualification de discrimination indirecte[46]. Ces deux justifications ne pourraient en effet n’être reconnues qu’à de très rares entreprises commerciales. Dans son arrêt Bougnaoui, la Cour souligne en effet que « ce n’est que dans des conditions très limitées qu’une caractéristique liée, notamment, à la religion peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante »[47] (§38) et rappelle que « selon les termes mêmes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78, la caractéristique en cause ne peut constituer une telle exigence qu’en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice » (§39), si bien que « la notion d’‘exigence professionnelle essentielle et déterminante’, au sens de cette disposition, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client » (§40). Cette première porte est ainsi pratiquement fermée. Il en va de même de la seconde puisque l’entreprise de tendance est celle qui peut démontrer que son éthique est effectivement fondée sur une religion ou une conviction[48], ce qui ne sera généralement pas le cas d’une entreprise commerciale[49]. Elle serait en effet réservée à l’entrepreneur qui entend exercer son métier conformément à son éthique, par exemple le boucher qui veut mettre à disposition des musulmans de son quartier de la viande halal ou la restauratrice juive qui ne veut offrir à sa clientèle que de la nourriture casher[50].
Mais si la distinction n’est qu’indirecte, elle est admissible, selon l’arrêt Achbita, « si elle (est) objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif (sont) appropriés et nécessaires » (§35[51]). Or la Cour admet comme objectif légitime « la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse » (§37) : « en effet, le souhait d’un employeur d’afficher une image de neutralité à l’égard des clients se rapporte à la liberté d’entreprise, reconnue à l’article 16 de la Charte, et revêt, en principe, un caractère légitime, notamment lorsque seuls sont impliqués par l’employeur dans la poursuite de cet objectif les travailleurs qui sont supposés entrer en contact avec les clients de l’employeur » (§38)[52]. Ce raisonnement a été fortement critiqué, notamment pour la très large portée qu’il confère à l’article 16 de la Charte, qui ne reconnaît pourtant la liberté d’entreprise que « conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales[53]. Il est vrai que la Cour de justice semble accorder davantage d’importance à la liberté d’entreprise qu’à la liberté religieuse des employés[54]. Pour Edouard Dubout, il « s’agit d’un jugement de valeur fort qui assume de placer la liberté économique au même plan que la liberté religieuse, ce qui déjà structure le débat d’idées sur un plan politique »[55].
Quoiqu’il en soit, la messe semble dite : aux yeux de la Cour de justice, une règle interdisant de manière générale les signes convictionnels établit une distinction indirecte dont il suffit de s’assurer de la proportionnalité. Sauf à être confronté à un règlement scolaire qui interdit seulement certains signes convictionnels, en route donc pour le contrôle de proportionnalité.
3) Quelles sont les raisons d’interdire le voile en milieu scolaire ?
Dans son arrêt validant la loi « anti-burqa » française, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que « l’énumération des exceptions à la liberté de chacun de manifester sa religion ou ses convictions qui figure dans le second paragraphe de l’article 9 est exhaustive et que la définition de ces exceptions est restrictive ». Elle précise que, « pour être compatible avec la Convention, une restriction à cette liberté doit notamment être inspirée par un but susceptible d’être rattaché à l’un de ceux que cette disposition énumère » [56].
Lorsque l’interdiction frappe les enseignantes, l’interdiction du port de signes convictionnels poursuit notamment le but d’assurer la laïcité en France ou la neutralité en Allemagne[57], en Belgique[58] et en Suisse[59]. Il s’agit évidemment d’un but légitime puisqu’il est assigné par le droit international des droits de l’homme (notamment l’article 2 du Premier protocole à la Convention européenne des droits de l’homme, via le respect des convictions religieuses et philosophiques des parents[60]). Le Conseil d’État de Belgique établit un lien entre la neutralité de l’enseignement et le souci de préserver les droits et liberté d’autrui, l’un des motifs de restriction admis par l’article 9.2. de la Convention[61]. Dans le même ordre d’idée, la Cour européenne des droits de l’homme considère que peut être rangé dans l’objectif de protection des droits et libertés d’autrui, le souci de « faire respecter les principes laïcs et démocratiques » [62].
En principe, ce but ne peut être invoqué lorsque l’interdiction s’applique aux élèves, puisque la laïcité et la neutralité ont-elles-même pour objectif de garantir la liberté notamment religieuse des citoyens, en l’occurrence des élèves[63]. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’État de Belgique, confronté à des règlements scolaires interdisant aux élèves le port de signes religieux : « la neutralité est une règle de fonctionnement du service public qui s’impose aux enseignants en tant que fonctionnaires et dispensateurs de l’enseignement. La situation est différente pour les élèves »[64]. En effet, « les élèves ne sont pas des fonctionnaires, ils ne sont pas des dispensateurs de l’enseignement, mais des utilisateurs de l’enseignement communautaire en tant que service public »[65].
De même, selon le Tribunal fédéral suisse, « certes, la liberté de conscience et de croyance inclut le devoir de neutralité confessionnelle et religieuse de l’État (art. 15 al. 4 Cst). Le mandat assigné aux écoles publiques de veiller à ce que le personnel enseignant respecte la neutralité et l’égalité de traitement dans le domaine religieux n’implique pas un devoir correspondant des usagers des écoles: pour autant que par l’exercice de leur propre liberté religieuse les élèves n’entravent pas de manière inadmissible celle des tiers, ils ne sont soumis à aucun devoir de neutralité (…). Le devoir de neutralité des autorités est inapte à justifier une interdiction générale des couvre-chefs imposée aux élèves » [66].
La tradition française érige l’école en sanctuaire[67] où les élèves sont mis à l’abri des convictions de leur entourage, au besoin en sacrifiant une partie de leur liberté[68]. Dans son avis de 1989, en estimant que la laïcité confère aux élèves « le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires », « le Conseil d’État a hiérarchisé liberté de conscience et laïcité pour faire prévaloir la première sur la seconde »[69]. Dans la ligne de cette évolution, une partie importante de la doctrine considère que la loi française du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », n’est pas, n’en déplaise à son intitulé, une loi de laïcité mais une loi de police[70].
Telle n’est cependant pas l’analyse de la Cour européenne des droits de l’homme. À ses yeux, « l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics a été motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité »[71]. Cette affirmation permet à la Cour de Strasbourg de faire bref procès, en se retranchant derrière la marge d’appréciation de l’État français, où « la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, en particulier à l’école. La Cour réitère qu’une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion, et ne bénéficiera pas de la protection qu’assure l’article 9 de la Convention (…). Eu égard à la marge d’appréciation qui doit être laissée aux Etats membres dans l’établissement des délicats rapports entre l’Etat et les églises, la liberté religieuse ainsi reconnue et telle que limitée par les impératifs de la laïcité paraît légitime au regard des valeurs sous-jacentes à la Convention »[72].
Un deuxième objectif avancé est de garantir l’égalité des hommes et des femmes. Ainsi, dans son arrêt validant le licenciement d’une enseignante voilée, le Conseil d’État de Belgique relève que, 1« la question du port du ‘voile islamique’ (…) divise aujourd’hui de manière sensible l’opinion publique. L’actualité de cette question, au niveau international même, ne fait pas de doute d’autant qu’elle concerne aussi une autre valeur démocratique fondamentale, celle de l’égalité des hommes et des femmes »[73]. Ce but est lui aussi parfaitement légitime puisqu’il est assigné aux différents législateurs belges par les articles 11 et 11bis de la Constitution. Relativement à l’article 9.2. de la Convention, le Conseil d’État de Belgique le rattache également à l’objectif de « la protection des droits et libertés d’autrui »[74]. Le tribunal fédéral suisse adopte une démarche similaire[75].
Plus généralement, l’interdiction d’arborer des signes convictionnels peut poursuivre d’autres buts légitimes admis par la Convention. L’on songe principalement à la défense de l’ordre public ou à la protection des droits d’autrui. Dans ses arrêts annulant les règlements scolaires flamands, le Conseil d’État de Belgique a reconnu que l’école peut veiller à ce que les élèves s’abstiennent de compromettre, par leur comportement, la neutralité de l’enseignement officiel[76]. Le tribunal fédéral suisse approuve la commune qui invoque « l’intérêt public inhérent à la fonction intégrative et à la neutralité de l’école (art. 15 al. 4 Cst.). Elle se dit mieux en mesure d’assurer l’égalité des chances et la future intégration professionnelle des élèves dans un environnement scolaire religieusement neutre ». Pour le tribunal helvétique, « le devoir de neutralité vise au premier chef les autorités mais il exige aussi de traiter tous les élèves de manière égale du point de vue de leurs conceptions philosophiques et religieuses; une mission éducative confessionnellement neutre des écoles répond à cet égard à un intérêt public. Dans la mesure où le devoir de neutralité d’une école publique doit favoriser la paix confessionnelle, ce devoir peut entrer en considération à titre d’intérêt public propre à justifier une restriction du port des signes religieux » [77]. La Cour constitutionnelle fédérale allemande estime également légitime le but poursuivi par les Länder, à savoir « la préservation de la paix à l’école et de la neutralité de l’État et de sauvegarder par là l’intégrité du mandat éducationnel de l’État, de protéger les droits fondamentaux contradictoires des élèves et des parents et de prévenir ainsi les conflits dès l’abord au sein des écoles publiques placées sous la responsabilité du législateur »[78].
Dans son arrêt relatif à l’enseignante, le Conseil d’État de Belgique identifie encore une autre raison d’interdire les signes convictionnels : « faire bénéficier les élèves de la connaissance de la pluralité des valeurs qui constituent l’humanisme contemporain » [79].
4) L’interdiction du voile en milieu scolaire, une mesure adéquate ?
L’interdiction d’arborer des signes convictionnels permet-elle d’assurer la neutralité de l’enseignement et donc des enseignants ? Assurément, aux yeux du Conseil d’État de Belgique qui se fonde sur la législation adoptée par la Communauté française en matière de neutralité scolaire[80]. Il observe que « le fait de porter un de ces signes en permanence constitue une manifestation ostensible d’une appartenance religieuse. Il expose constamment les élèves à cette conviction religieuse. Il ressort cependant des dispositions des décrets (« neutralité »), que les enseignants, le cas des professeurs de religion et de morale mis à part, doivent adopter, devant leurs élèves, une attitude réservée de manière générale et s’abstenir de révéler, de quelque manière que ce soit, leurs convictions personnelles ou de témoigner de celles-ci. L’autorité peut, au vu de ces dispositions décrétales, en déduire que le port de signes convictionnels par des professeurs de cours généraux n’est pas conciliable avec cette obligation d’abstention » [81].
Le deuxième objectif identifié que poursuivent les réglementations d’interdiction des signes convictionnels est de garantir l’égalité des sexes. L’interdiction du port de tout signe convictionnel est-elle adéquate ?
Il faut relever au préalable que si de nombreux signes religieux, n’étant portés que par l’homme ou que par la femme, peuvent être interrogés du point de vue de l’égalité des sexes, d’autres signes convictionnels sont totalement asexués, si bien que l’on n’aperçoit pas en quoi ils pourraient compromettre l’égalité des femmes et des hommes. Par rapport à de tels signes, l’interdiction en vue de garantir l’égalité des sexes n’est manifestement pas adéquate.
Il a fallu longtemps pour que le juge prenne la pleine mesure des contraintes que l’exigence de neutralité du service public fait peser sur lui lorsqu’il aborde le phénomène religieux[82]. Le juge a d’abord dû s’abstenir de décider du contenu du dogme et du caractère obligatoire ou non des rites du point de vue de la religion[83]. Il a ensuite dû renoncer à la prétention d’imposer une signification au rite ou à la pratique religieuse. Ce n’est que récemment[84] que la Cour européenne a abandonné sa jurisprudence Dahlab condamnant le foulard au motif qu’il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui « est difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes », ajoutant qu’il paraît « difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves » [85].
Pareille vision paternaliste contredit l’objectif d’égalité des sexes qu’elle prétend promouvoir[86]. Dans son arrêt S.A.S du 1er juillet 2014, qui a renoncé à condamner la France pour sa loi « anti-burqa » mais sur l’air de « c’est bon pour une fois »[87], la Cour européenne répond désormais[88] à ceux qui entendent faire « valoir que le port du voile intégral par certaines femmes choque la majorité de la population française parce qu’il heurte le principe d’égalité des sexes tel qu’il est généralement admis en France » que « le respect de la dignité des personnes ne peut légitimement motiver l’interdiction générale du port du voile intégral dans l’espace public. La Cour est consciente de ce que le vêtement en cause est perçu comme étrange par beaucoup de ceux qui l’observent. Elle souligne toutefois que, dans sa différence, il est l’expression d’une identité culturelle qui contribue au pluralisme dont la démocratie se nourrit». Dès lors, « un État partie ne saurait invoquer l’égalité des sexes pour interdire une pratique que des femmes – telle la requérante – revendiquent dans le cadre de l’exercice des droits que consacrent ces dispositions, sauf à admettre que l’on puisse à ce titre prétendre protéger des individus contre l’exercice de leurs propres droits et libertés fondamentaux »[89]. Ce qui vaut pour le voile intégral vaut a fortiori pour le simple foulard.
Dans le même sens, pour le Tribunal fédéral suisse, « il faut toutefois prendre en considération la diversité des motifs qui conduisent à porter le voile à titre de signe religieux. Quelques courants fondamentalistes rejettent nettement le modèle constitutionnel de l’homme et de la femme égaux en droit. Pour certaines femmes, le port du voile islamique est l’expression de leur respect de la tradition de leurs parents et de leur patrie; pour de nombreuses autres femmes, le voile est le symbole de leur propre identité religieuse et de leur propre conviction. Certaines formes de sociétés matriarcales subsistent et vivent la foi islamique, et leur adeptes portent le hijab. Le port du voile islamique n’exclut en tous cas pas d’emblée l’autonomie et l’égalité juridique de la femme dans la société; c’est pourquoi l’approche de la commune recourante ne justifie pas que l’interdiction des couvre-chefs soit appliquée sans exception. Il s’impose plutôt d’évaluer l’intérêt à l’égalité des sexes au regard des circonstances concrètes de la restriction de la liberté de conscience et de croyance »[90].
La Cour constitutionnelle fédérale allemande va plus loin, estimant que l’interdiction du port du voile méconnaît non seulement la liberté professionnelle des femmes mais également l’égalité des sexes. Elle considère en effet que : « dans l’esprit de la décision, loin d’émanciper la femme, l’interdiction du port du voile contribue à l’exclure de l’espace public. Selon les termes de la décision, le fait que, de cette façon, ce soient avant tout des femmes musulmanes qui, concrètement, se trouvent exclues d’activités professionnelles, qualifiées, de pédagogues, apparaît en contradiction avec l’égal traitement des femmes. L’interdiction du voile tend en effet de facto, en l’espèce, à cantonner les femmes musulmanes aux fonctions subalternes, voire à les exclure du monde du travail »[91].
La Cour de Karlsruhe intègre ce faisant la dimension « intersectionnelle » de la discrimination : « le fait qu’une discrimination mêlant des dimensions de genre, d’origine ethnique et de religion puisse être à l’œuvre dans ce cas est aujourd’hui bien connu » [92].
Bien évidemment, ce raisonnement ne peut être appliqué à une femme qui serait contrainte ou à une élève qui serait trop jeune pour faire valoir son discernement. Mais dans ce cas, l’on quitte l’objectif de l’égalité des sexes pour embrasser celui de la protection des droits d’autrui.
Dans certaines circonstances, il n’est pas exclu que l’interdiction des signes convictionnels puisse contribuer à prévenir le prosélytisme dont seraient victimes des élèves de la part des enseignants ou de condisciples[93]. Selon le Tribunal fédéral suisse, « le port de signes religieux peut influencer les élèves et engendrer des conflits avec leurs parents, ce qui peut conduire à une perturbation de la paix à l’école et entraver l’accomplissement de la mission éducative de l’école. L’exercice de la liberté religieuse par une élève peut entrer en conflit avec la liberté religieuse négative des autres élèves et de leurs parents, celle-ci incluant la liberté de se tenir éloigné d’une croyance qui n’est pas partagée. C’est pourquoi il n’existe notamment aucun droit d’exiger des adeptes d’autres confessions l’observation de ses propres préceptes religieux. A cet égard, il existe un intérêt public à ce que le port de signes religieux par certains élèves n’entraîne aucune incitation des autres élèves à les porter également. Inversement, la protection des droits fondamentaux à l’encontre des tiers ne s’étend pas jusqu’à conférer le droit de n’être pas confronté à des convictions religieuses différentes » [94].
Quant à l’objectif d’éduquer à la pluralité des valeurs, identifié par le Conseil d’État de Belgique (voy. ci-avant, 13), il n’est plus mentionné dans la suite de l’arrêt, lorsqu’est interrogée la proportionnalité de la mesure. Il est vrai qu’il est malaisé d’exposer en quoi prévenir la vision de signes convictionnels aiderait les élèves à découvrir le pluralisme. Le Rapport final des Assises de l’Interculturalité relève ainsi que l’interdiction du port du foulard contrarie l’objectif de diversifier le personnel enseignant puisqu’il participe « dans les faits, à écarter de nombreuses jeunes musulmanes de la carrière de professeur »[95].
C’est justement parce qu’elle méconnaît le pluralisme que l’interdiction du port du foulard faite aux enseignantes par certains Länder allemands préoccupe le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies : « cela n’aide pas l’enfant à comprendre le droit à la liberté de religion et à adopter une attitude de tolérance, conformément aux buts de l’éducation énoncés à l’article 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant » [96].
Dans la ligne de ces observations onusiennes, la Cour constitutionnelle allemande a estimé que le pluralisme requiert la libre expression des croyances par les enseignantes : « le port d’un foulard islamique ou d’autres vêtements à connotation religieuse ne sont pas en soi susceptibles d’interférer avec la liberté négative de foi des élèves et la liberté de professer une croyance. Tant que les membres du personnel enseignant et éducatif ne font qu’adopter une telle apparence extérieure sans faire la promotion verbale de leur position ou de leur foi, ni ne tentent d’influencer les élèves, la liberté négative de croyance des élèves demeure intacte. Les élèves ne sont confrontés qu’à la liberté positive du personnel éducatif d’exprimer leur foi sous la forme du port de vêtements conformes avec leurs croyances, qui, de plus, sont généralement relativisées et contrebalancées par la conduite d’autres membres du personnel qui adhèrent à d’autres religions ou idéologies. Dans cette mesure, conclut la Cour, l’école publique ouverte au plan confessionnel reflète la société pluraliste au plan religieux »[97].
5) L’interdiction du voile en milieu scolaire, une nécessité ?
Dans son arrêt Achbita, la Cour de justice, ayant admis le caractère légitime du but poursuivi et, sous réserve, son caractère approprié (voy. ci-avant, n° 8), charge le juge du fond de s’assurer que « cette interdiction se limite au strict nécessaire » (§42). En l’espèce, il convient « de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire », il aurait été possible de proposer « un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement » (§43). Et de conclure qu’il incombe au juge « de tenir compte des intérêts en présence et de limiter les restrictions aux libertés en cause au strict nécessaire » (§43).
On le voit, la Cour de justice exige, en principe du moins, que la recherche de la voie la moins dommageable soit effective et se fasse concrètement[98].
Les juridictions rechignent toutefois encore trop souvent à exercer un véritable contrôle de la nécessité.
Ainsi, pour valider le licenciement de l’enseignante voilée, le Conseil d’État de Belgique s’est-il contenté d’affirmer que « la neutralité dans l’enseignement telle que consacrée par l’article 24 de la Constitution peut ainsi conduire une communauté à privilégier l’absence de toute manifestation extérieure de signes religieux, politiques ou philosophiques dans le chef de ses professeurs en tant que fonctionnaires afin d’éviter toute suspicion de pression ou d’influence quelconque sur les élèves vis-à-vis desquels ils exercent leur autorité. Dans cette mesure, l’ingérence dans la liberté de religion des professeurs répond à la nécessité d’assurer aux élèves un enseignement le plus objectif qui soit en laissant à chacun le soin de se forger sa propre opinion. A l’inverse de ce que soutient la requérante, la partie adverse a pu légalement juger que la mesure litigieuse est nécessaire dans une société démocratique »[99].
De même, pour valider la loi française de 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a dû renoncer à effectuer un contrôle de proportionnalité, se retranchant derrière la marge d’appréciation[100] dont jouit l’État français : « Lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Tel est notamment le cas lorsqu’il s’agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement ». Elle se contente alors de valider la légitimité du but poursuivi, sans s’interroger sur la nécessité de la mesure : « La Cour rappelle aussi que l’État peut limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique, si l’usage de cette liberté nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publique (…). Elle constate en effet que l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics a été motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité et que cet objectif est conforme aux valeurs sous-jacentes à la Convention» [101].
Lorsque le juge suit rigoureusement les différentes étapes du contrôle de proportionnalité et notamment lorsqu’il recherche effectivement si l’autorité s’est bien engagée dans la voie la moins dommageable, il devient particulièrement malaisé de justifier une interdiction générale de porter des signes convictionnels.
Les prohiber en vue de garantir l’égalité des sexes conduit à une impasse. Si l’on n’interdit que le voile en considérant qu’il déprécie la femme, l’on établit une discrimination directe incompatible avec le droit de l’Union et avec la Convention européenne des droits de l’homme (voy. ci-avant, n° 8). Si l’on étend l’interdiction à l’ensemble des signes convictionnels, voire politiques ou commerciaux, la mesure n’est pas nécessaire puisqu’elle frappe des porteurs de signes qui ne compromettent en rien l’égalité entre la femme et l’homme (voy. ci-avant, n° 15). Les juridictions confrontées à la burqa ont ainsi renoncé à mettre cet objectif en avant pour lui préférer le plus évanescent « vivre-ensemble »[102].
Seules l’interdiction faite aux enseignants de porter des signes convictionnels en vue de garantir la neutralité de l’enseignement officiel et la même interdiction faite aux enseignants comme aux élèves en vue de préserver les droits et libertés d’autrui, notamment en prévenant le prosélytisme, ont résisté au test de l’adéquation.
Ces deux restrictions à la liberté religieuse doivent encore subir l’épreuve de la nécessité.
Afin de déterminer si l’interdiction infligée aux enseignants est nécessaire à la préservation de la neutralité, il faut identifier ce que requiert cette neutralité dans leur chef. Deux conceptions de la neutralité doivent être distinguées, l’une inclusive, l’autre exclusive[103]. En vertu de la première, aussi appelée « neutralité d’action», il est simplement imposé au prestataire du service public de traiter de façon égale et non discriminatoire les usagers du service public. En vertu de la seconde, encore appelée « neutralité d’apparence », l’agent ne doit pas seulement être neutre mais en avoir l’apparence, notamment en s’abstenant de toute expression convictionnelle.
Dans son arrêt de 2013, Le Conseil d’État de Belgique a considéré que le législateur avait opté pour la neutralité exclusive : il interdirait aux enseignants de révéler « de quelque manière que ce soit, leurs convictions personnelles ou de témoigner de celles-ci »[104]. L’arrêt s’inscrit ainsi dans cette « tendance lourde »[105] en faveur d’une neutralité « visible » ou « apparente »[106].
Dans son arrêt du 27 janvier 2015, la Cour constitutionnelle fédérale allemande adopte la conception inclusive de la neutralité. Elle juge inconstitutionnelle l’interdiction faite aux enseignantes des écoles officielles de porter le voile : « la simple visibilité d’une appartenance religieuse, ou d’une appartenance en termes de vision du monde, de personnels singuliers, n’est pas exclue par la neutralité de l’État. Il convient donc de distinguer entre l’État et ses agents »[107].
L’objectif qui fait le plus consensus pour justifier l’interdiction du port du voile à l’école est celui de protéger les droits des élèves en luttant contre le prosélytisme. Cette lutte requiert-elle une interdiction généralisée de porter des signes convictionnels ?
Ni le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, ni le Conseil d’État de Belgique lorsqu’il pratique le contrôle de proportionnalité[108], ni les cours constitutionnelles allemande et suisse, n’admettent que, ce faisant, l’autorité emprunte la voie la moins dommageable. Pour arriver à cette conclusion, ces instances ont pris en considération les conséquences concrètes de la loi et la réalité du risque que les requérants faisaient courir à l’ordre public ou aux droits d’autrui.
Le Comité des droits de l’homme a dénoncé la disproportion de la loi française de 2004 : « l’État partie a appliqué cette sanction préjudiciable à l’auteur, non parce que sa conduite personnelle créait un risque concret, mais simplement parce qu’il a été considéré comme appartenant à une large catégorie de personnes définies par leur conduite motivée par des raisons religieuses (…). À cet égard, le Comité estime qu’il n’a pas été démontré que le sacrifice des droits de ces personnes était nécessaire ou proportionné aux buts visés » [109].
Saisi par un élève de confession sikh qui s’était vu interdire le port du turban (patka), le Conseil d’Etat de Belgique s’inscrit dans cette ligne en constatant que le règlement de l’école qu’il fréquente ne répondait pas au critère de nécessité requis: « l’école du requérant n’a pas connu d’interdiction auparavant et qu’il n’est pas non plus soutenu que cette école se trouvait ou risquait effectivement de se trouver dans une situation problématique qui suffirait en soi à justifier une restriction à la liberté de religion » [110].
Le Tribunal fédéral suisse a suivi un raisonnement identique dans sa décision du 11 décembre 2015 : « Le devoir de neutralité des autorités est inapte à justifier une interdiction générale des couvre-chefs imposée aux élèves (…).Il n’apparaît ni souhaitable ni nécessaire, tant sous l’angle de l’égalité des sexes que de l’intégration, de subordonner la scolarisation ultérieure de l’élève à la renonciation au port d’un signe religieux. Il importe davantage de donner accès à l’enseignement scolaire aussi à une élève pratiquante, afin que celle-ci bénéficie de l’égalité des chances et de l’intégration dont la commune recourante souligne elle-même la nécessité (…).Les mesures qui empêchent ou compromettent l’accomplissement d’un acte religieux ne peuvent être imposées que si des intérêts publics ou les droit de tiers apparaissent directement lésés ou menacés, ce qui doit être évalué au regard du contexte social actuel»[111].
Enfin, la Cour constitutionnelle fédérale allemande, après avoir estimé inconstitutionnelle une interdiction visant « à prévenir un danger simplement abstrait pour la paix de l’école ou la neutralité étatique », concède que «la situation est différente si l’apparence extérieure des personnels de l’éducation constitue un danger ou une atteinte suffisamment spécifique à la paix à l’école ou à la neutralité de l’État, ou contribue de manière significative à un tel danger ou à une telle atteinte. Cela peut se concevoir, par exemple, dans une situation où des positions très controversées sur la question des comportements religieux adéquats ont été encouragés et introduits dans l’école – en particulier par des élèves plus âgés ou des parents – d’une manière qui interfère sérieusement avec les processus scolaires et l’accomplissement du mandat éducatif de l’État. »[112].
Dans cette hypothèse d’un danger pour la paix scolaire, la Cour constitutionnelle fédérale allemande énonce ainsi les conditions que doit remplir la réglementation pour être validée : « il pourrait y avoir un intérêt juridique pertinent sur le plan constitutionnel à interdire l’expression religieuse par l’apparence extérieure ou la conduite non seulement dans un cas individuel particulier, mais pendant un certain temps de manière plus générale dans certaines écoles ou dans certains districts scolaires si, en raison de situations conflictuelles considérables concernant le comportement religieux adéquat dans ces écoles ou districts, le seuil d’un danger suffisamment précis pour la paix scolaire ou la neutralité de l’État a été atteint dans un nombre important de cas (…). Même dans l’hypothèse d’un tel règlement, dans l’intérêt des droits fondamentaux des personnes concernées, il faudrait d’abord examiner s’il serait possible d’employer la personne concernée dans d’autres environnements éducatifs »[113].
Au bout de la logique de la recherche de la voie la moins dommageable pointe l’accommodement raisonnable[114], ainsi que le suggérait Françoise Tulkens dans son opinion dissidente à l’arrêt Sessa c. Italie: « le caractère proportionné d’une mesure suppose que, parmi plusieurs moyens permettant d’atteindre le but légitime poursuivi, les autorités choisissent celui qui est le moins attentatoire aux droits et libertés. Dans cette perspective, la recherche d’un aménagement raisonnable de la situation litigieuse peut, dans certaines circonstances, constituer un moyen moins restrictif d’atteindre l’objet poursuivi »[115].
Selon la Cour suprême du Canada, qui a conceptualisé et développé cette notion, l’accommodement raisonnable découle du principe d’égalité et de l’interdiction de la discrimination : « l’obligation dans le cas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance (qui) consiste à prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive»[116]. Cette cour est allée jusqu’à s’accommoder de ce qu’un élève sikh porte son kirpan – qui aurait pu être prohibé en tant qu’arme potentielle[117] – dans l’école publique qu’il fréquentait en rappelant que le principe de l’accommodement raisonnable s’impose à l’institution scolaire[118]. Ce principe requiert que les intérêts en cause soient examinés in concreto et dûment mis en balance, l’autorisation étant individuelle et circonstanciée. Comme le rappelle David Koussens, « la Cour suprême ne généralise pas pour autant le port du kirpan et sa décision ne fait jurisprudence qu’en ce que la procédure de l’accommodement devient celle que les écoles canadiennes doivent respecter pour décider si des élèves peuvent être individuellement autorisés à porter un signe religieux dans l’enceinte de l’établissement scolaire »[119].
Dans son arrêt validant la loi française de 2004 (voir ci-avant, n° 20), la Cour européenne se montrait hermétique à cette démarche : « quant aux propositions de la requérante d’enlever son foulard à l’entrée des salles de cours ou d’y substituer un bonnet ou un bandana qui n’auraient, selon elle, aucune connotation religieuse ou tout le moins ne seraient pas des signes ostensibles ayant pour effet d’exercer une pression, la Cour réitère qu’une telle appréciation relève pleinement de la marge d’appréciation de l’Etat. En effet, les autorités internes ont pu estimer, dans les circonstances de l’espèce, que le fait de porter un tel accessoire vestimentaire à l’intérieur de l’enceinte du lycée constituait également la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, et que la requérante avait ainsi contrevenu à la réglementation. La Cour souscrit à cette analyse et relève qu’eu égard aux termes de la législation en vigueur, qui prévoit que la loi doit permettre de répondre à l’apparition de nouveaux signes voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi, le raisonnement adopté par les autorités internes n’est pas déraisonnable » [120].
Pour Gérard Gonzalez, la proposition d’accommodement de la norme demeure sans effet « eu égard à la crainte de contournement de la loi qui frôle la paranoïa : la seule issue au dialogue, qui devient en fait un monologue impératif, est de marcher tête nue et cheveux au vent ! »[121]. Cette paranoïa a conduit des directions d’écoles à sanctionner des élèves vêtues de jupes jugées trop longues pour être honnêtement françaises, pointées comme « un signe ostentatoire d’appartenance religieuse »[122]. Jean Baubérot se plaît à rappeler qu’Aristide Briand s’était opposé, lors de l’adoption de la loi de 1905, à l’interdiction de la soutane dans l’espace public, notamment au motif qu’à « supposer que la loi de séparation intègre cette interdiction, on peut compter sur ‘l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs’ pour trouver d’autres coupes ou accessoires vestimentaires propres à distinguer le clergé du reste de la population. On ne ferait que s’engager sans fin dans un jeu du chat et de la souris »[123].
Il est toutefois permis de percevoir un frémissement dans des arrêts plus récents de la Cour européenne des droits de l’homme, tel l’arrêt Eweida, où elle délaisser la « logique principielle » des décisions de 2009 pour « une logique pragmatique et accommodante », selon les termes d’Emmanuelle Bribosia et Isabelle Rorive[124]. L’évolution est particulièrement marquée dans un arrêt de 2017 où la Cour était confrontée à la demande de parents de voir leur petite fille dispensée de suivre un cours de natation mixte. Pour valider le refus des autorités scolaires, la Cour prend notamment en compte le fait que « les autorités ont offert des aménagements significatifs aux requérants, dont les filles avaient notamment la possibilité de couvrir leurs corps pendant les cours de natation en revêtant un burkini (…). Elle note que, par ailleurs, les filles des requérants pouvaient se dévêtir et se doucher hors de la présence des garçons. Elle admet que ces mesures d’accompagnement étaient à même de réduire l’impact litigieux de la participation des enfants aux cours de natation mixtes sur les convictions religieuses de leurs parents »[125].
La Cour constitutionnelle fédérale allemande conditionne également la validation d’une interdiction provisoire du port du voile à ce que, dans l’intérêt des droits fondamentaux des personnes concernées, les autorités scolaires examinent la possibilité d’employer la personne concernée dans d’autres environnements éducatifs[126].
La Cour de justice ouvre également la porte à l’accommodement raisonnable dans son arrêt Achbita, lorsqu’elle invite l’employeur à rechercher une solution autre que le licenciement « tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire » (voir ci-avant, n° 8).
Pour adopter pleinement la démarche canadienne, il faudrait encore passer de l’inexistence de « charge supplémentaire » à l’absence de « contrainte excessive », ce qui n’est pas une mince affaire[127].
6) De quel côté penche la balance des intérêts ?
L’interdiction générale du port de signes convictionnels, que ce soit par les enseignants ou par les élèves, n’a pas franchi l’épreuve de la nécessité. C’est donc de manière surabondante, pour la beauté d’une démarche intellectuelle menée à son terme davantage que pour convaincre ceux qui demeureraient sceptiques à ce stade du raisonnement – hypothèse improbable que l’on ne peut toutefois pas écarter scientifiquement – l’interdiction générale sera soumise au dernier test, celui de la balance des intérêts.
Dans son arrêt de 2013, le Conseil d’État de Belgique considérait que le règlement d’ordre intérieur, frappant les enseignants, « assure la balance des droits et intérêts en présence : respect du choix des parents quant à l’enseignement et l’éducation de leurs enfants, garantie qu’aucune vérité ne soit imposée aux élèves lorsqu’ils sont sous l’autorité de professeurs de cours généraux obligatoires pour tous les élèves, accès des élèves à la pluralité des valeurs démocratiques grâce au choix d’un cours de religion (parmi les religions reconnues) ou de morale, reconnaissance de la liberté d’expression et de religion lorsque ces cours sont dispensés »[128].
La fonction première de l’école est d’assurer l’éducation et l’instruction des élèves. Analysant les textes consacrant le droit de l’enfant à l’enseignement, la Cour constitutionnelle belge conclut que ce droit « peut par conséquent limiter la liberté de choix des parents et la liberté des enseignants quant à l’enseignement qu’ils souhaitent dispenser à l’enfant soumis à l’obligation scolaire. La Cour européenne des droits de l’homme considère ainsi que, lorsqu’au lieu de le conforter, les droits des parents entrent en conflit avec le droit de l’enfant à l’instruction, les intérêts de l’enfant priment »[129]. C’est donc à l’aune de ce droit à l’éducation que doit essentiellement s’apprécier, en définitive, la validité de l’interdiction du port de signes convictionnels par les enseignants et les élèves. Cette validité peut être interrogée au regard tant de l’accès à l’enseignement que du contenu de celui-ci.
L’élève qui refuse d’ôter son voile sera exclue de l’établissement scolaire. La règle d’interdiction a également un effet en amont, celui de décourager les parents soucieux de faire observer le prescrit religieux par leur progéniture de les inscrire dans l’école officielle.
Dans ses arrêts validant la loi française de 2004, la Cour européenne ne prend toutefois nullement en compte les conséquences de l’exclusion ou de la ségrégation pour apprécier la proportionnalité de la règle d’interdiction. A ses yeux, « la sanction de l’exclusion définitive d’un établissement scolaire public n’apparaît pas disproportionnée. Elle constate par ailleurs que l’intéressée avait la possibilité de poursuivre sa scolarité dans un établissement d’enseignement à distance, dans un établissement privé ou dans sa famille (…). Il en ressort que les convictions religieuses de la requérante ont été pleinement prises en compte face aux impératifs de la protection des droits et libertés d’autrui et de l’ordre public» [130].
Faut-il voir une évolution jurisprudentielle dans cet arrêt de 2017 où la même Cour européenne des droits de l’homme était confrontée à des parents qui, pour éviter que leur fille ne fréquente un cours de natation mixte, proposaient qu’elle apprenne à nager dans des cours privés ? La Cour de Strasbourg objecte cette fois que « l’école occupe une place particulière dans le processus d’intégration sociale, place d’autant plus décisive s’agissant d’enfants d’origine étrangère. Elle accepte que, eu égard à l’importance de l’enseignement obligatoire pour le développement des enfants, l’octroi de dispenses pour certains cours ne se justifie que de manière très exceptionnelle ». Et de conclure : « l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et les coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes » [131].
La loi d’interdiction assortie de la sanction de l’exclusion scolaire ne pousse-t-elle pas trop de parents à inscrire leurs filles dans des écoles privées où elles ne pourront plus bénéficier d’une éducation aux droits de l’homme et au « vivre-ensemble » et où elles seront entravées dans leur intégration[132] ? Telle est en tout cas l’analyse du Tribunal fédéral suisse, pour qui l’interdiction va à l’encontre des buts d’intégration de l’école et a pour effet de soustraire la jeune fille à l’école obligatoire[133].
Depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme jusqu’à la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, le droit international des droits de l’homme exige que l’enseignement vise à faire des élèves des citoyens et les éduque aux droits de l’homme et à la tolérance.
De ce point de vue également, la balance des intérêts devrait conduire à la censure d’une interdiction générale et permanente du port du voile à l’école. Comment en effet éduquer les élèves à la démocratie, indissociable du débat, et aux droits de l’homme, si on ne leur permet pas de s’y exercer ? Bien évidemment, cet apprentissage doit se faire dans le respect des droits d’autrui. Il est dès lors nécessaire que des interdictions ponctuelles puissent être prononcées, en cas d’abus de droit, par exemple de pressions exercées sur des jeunes filles qui refuseraient de se voiler[134].
C’est en ce sens que François Ost voit dans la loi française de 2004 « une loi un peu désespérée comme cela se reflète dans de nombreux passages du rapport Stasi, où il serait question d’une République assiégée, où nécessité serait devoir faire loi, comme s’il était trop tard pour dialoguer. C’est ce sentiment du trop tard qui me choque particulièrement en matière d’éducation. Je pense qu’il n’est jamais trop tard, notamment en milieu scolaire. Il y a comme une sorte d’aveu d’impuissance, ou d’échec, de l’institution scolaire de ne pouvoir, par ses méthodes propres, qui sont des méthodes de dialogue et de persuasion, aboutir à faire respecter la liberté, ou les libertés. C’est une phrase terrible du rapport Stasi : ‘les jeunes sont encore fragiles. L’expression des convictions à l’école, notamment religieuses, ne va pas de soi’. Je pense au contraire que, bien sûr, les jeunes sont fragiles, mais que c’est aussi le moment où se construisent les convictions. Si on ne peut pas échanger et expérimenter les libertés en milieu scolaire, où peut-on le faire ? » [135].
De même, Philippe Portier constate que « l’ordre libéral, dominant hier, était porté par la confiance dans la liberté du sujet. Le réaménagement en cours du régime de laïcité (par des lois d’interdiction) illustre l’entrée de la société contemporaine dans un néo-libéralisme qui, inversant la hiérarchie établie depuis Locke entre sécurité et autonomie, instaure le contrôle en principe même de sa rationalité politique »[136].
C’est l’ensemble des élèves qui pâtiraient des réglementations d’interdiction si celles-ci étaient effectivement appliquées à l’expression de toutes les convictions philosophiques, religieuses et politiques. Heureusement pour les têtes blondes et tant pis pour la stigmatisation des autres, il n’y a finalement que certains signes religieux qui sont traqués tandis que l’apprentissage du débat politique ou philosophique ainsi que l’expression des autres convictions est encouragé. A-t-on jamais entendu que les petits-déjeuners Oxfam, les campagnes Amnesty international, le respect des mots d’ordre syndicaux par les enseignants affiliés… étaient interdits ou même découragés au nom de la laïcité ou de la neutralité ?
Pourtant, comme le rappelle la Cour de justice de l’Union européenne, dans la ligne de l’arrêt Eweida de la Cour européenne des droits de l’homme[137], encore faut-il que la politique de neutralité « soit véritablement poursuivie de manière cohérente et systématique » (§40). En effet, si le règlement est appliqué de manière différente à l’égard de certaines personnes, par exemple plus sévèrement contre certaines pratiques religieuses, l’on retombe alors dans une discrimination directe. Il convient dès lors de s’assurer que l’institution a mené « une politique générale et indifférenciée d’interdiction du port visible des signes de convictions politiques, philosophiques ou religieuses à l’égard des membres de son personnel » (§41). Or une telle systématisation aurait des effets délétères et inhibiteurs sur la qualité de l’enseignement, les professeurs en étant réduit à s’autocensurer dès que l’on aborde des questions politiques, philosophiques ou sociétales.
Pour conclure, une proposition de compromis dans la balance
Une législation d’interdiction générale et permanente ne résiste pas au test de proportionnalité, quelle que soit la raison de son adoption. Ces raisons sont essentiellement au nombre de trois : la défense de la neutralité/laïcité ; la protection de l’une des composante essentielle de ce couple que sont les droits et libertés d’autrui ; la garantie de l’égalité des sexes. Ce dernier objectif ne résiste pas longtemps à l’analyse. Le premier ne peut fonder l’atteinte à la liberté des élèves et ne peut justifier celle faite aux enseignants qu’au prix d’une définition de la neutralité/laïcité qui paralyse l’enseignement.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies n’accepte toujours pas l’interdiction générale et permanente contenue dans les lois françaises de 2004 et de 2010 qui « portent atteinte à la liberté de manifester sa religion ou sa conviction et affectent particulièrement les personnes appartenant à certaines religions et les filles ». Il estime « que les effets de ces lois sur le sentiment d’exclusion et de marginalisation de certains groupes pourraient aller à l’encontre des buts recherchés». Il recommande dès lors à la France de réexaminer ces lois « à la lumière de ses obligations au titre du Pacte, en particulier de l’article 18 relatif à la liberté de conscience et de religion, et du principe d’égalité consacré à l’article 26 » [138].
Cela fait un peu désordre pour un État autoproclamé « Patrie des droits de l’homme »[139], qui doit ainsi assumer, en faisant la sourde oreille, une méconnaissance de ses obligations internationales en se retranchant derrière le blanc seing que lui a décerné la Cour européenne des droits de l’homme[140].
Celle-ci n’est-elle cependant pas justement en train d’évoluer ? Certes, dans son arrêt Dakir c. Belgique du 11 juillet 2017, la Cour de Strasbourg, dans la ligne de son arrêt S.A.S. c. France, a validé l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, en l’occurrence un règlement communal intervenu avant la loi du 1er juin 2011 visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage. Elle condamne néanmoins l’État belge, estimant que la décision du Conseil d’État déclarant irrecevable le recours introduit par une femme portant la burqa contre ce règlement, « souffre d’un formalisme excessif »[141]. La Cour estime que « la requérante s’est vu limiter son accès au Conseil d’État à un point tel que le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge, a été rompu ».
Mais comment éviter un formalisme excessif, si ce n’est en abandonnant cette jurisprudence validant les interdictions générales et permanente pour en revenir à une approche plus casuistique. N’est-ce pas en définitive l’invite adressée par Strasbourg qui pourrait ainsi se rapprocher de Genève[142] ?
Reste donc le souci de préserver les droits et libertés d’autrui. Il faut en effet permettre à l’école de se prémunir contre le comportement de certains qui, par une attitude prosélyte intempestive, influenceraient de manière excessive d’autres élèves, voire porteraient atteinte à leurs droits et libertés.
L’arsenal juridique est suffisant pour sanctionner les enseignants adoptant un tel comportement, qui serait dénoncé par l’inspection scolaire et déboucherait sur une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la révocation[143].
Au vu des évolutions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme – qui s’est montrée plus que réticente à l’égard des législations anti-burqa et qui a réintégré le rôle de sociabilisation de l’école parmi ses critères d’appréciation –, conformément à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, de la Cour constitutionnelle allemande, du Tribunal fédéral suisse et du Conseil d’État de Belgique, un consensus ne se dégage-t-il pas en faveur de l’adoption d’une législation qui confirmerait la libre expression des élèves, notamment par le port de signes convictionnels, mais qui permettrait aux autorités scolaires d’interdire temporairement ces signes, en cas de troubles avérés dans l’école considérée ? Les élèves seraient ainsi éduqués à jouir de leur liberté sans toutefois en abuser. Ils découvriraient leur responsabilité dans le fonctionnement d’une société démocratique.
L’on en reviendrait ainsi à la conception classique des restrictions susceptibles d’être apportées aux libertés par des mesures de police administrative, qui répugne aux interdictions générales et permanentes. L’on en reviendrait ainsi à l’avis du Conseil d’État de France de 1989, selon lequel la liberté des élèves est première et qu’elle ne peut être entravée que si elle perturbe les activités d’enseignement ou trouble l’ordre dans l’établissement[144]. C’est ce qu’a fait le Conseil d’État de Belgique dans ses arrêts de 2014 relatifs aux règlements scolaires d’écoles flamandes. Et dans cette hypothèse, pourraient n’être interdits que les signes à l’origine des troubles[145].
[1] Toute ma gratitude va à Hélène Lerouxel, secrétaire en chef du greffe législation du Conseil d’État de Belgique et assistante à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, qui a consacré une lecture scrupuleuse et exigeante à ce texte.
[2] S. Van Drooghenbroeck, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, prendre l’idée simple au sérieux, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 74.
[3] Cour eur. dr. h., Guide sur l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, mise à jour au 30 avril 2019, p. 18, §42, www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_9_FRA.pdf.
[4] Voy. S. Van Drooghenbroeck et X. Delgrange, « Le principe de proportionnalité : retour sur quelques espoirs déçus », Revue du droit des religions, n° 7, mai 2019, pp. 41-61.
[5] Il est à cet égard renvoyé à X. Delgrange, « Une nouvelle source du droit : le dress-code », dans : Le droit malgré tout, hommage au Professeur François Ost, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis – Bruxelles, 2018, pp. 659-706.
[6] Cour eur. D.H. (5e section), arrêt Kervanci c. France (requête n° 31645/04) et arrêt Dogru c. France (requête n° 27058/05) du 4 décembre 2008 ; décision d’irrecevabilité du 30 juin 2009 dans l’affaire Aktas c. France, requête n° 43563/08 ; décisions du 30 juin 2009, affaires Bayrak c. France, Gamaleddyn c. France, Ghazal c. France, Aktas c. France, Jasvir Singh c. France et Ranjit Singh c. France. Cour eur. D.H., arrêt du 10 janvier 2017, Osmanoğlu et Kocabaș c. Suisse.
[7] S’agissant du port du voile par les enseignantes, C.E. (assemblée générale), arrêt en suspension n° 210.000 du 21 décembre 2010, arrêt au fond n° 223.042 du 27 mars 2013, X. c. la ville de Charleroi. S’agissant du port du voile par les élèves, C.E. (IXème chambre néerlandophone), arrêt n° 228.748 du 14 octobre 2014, Singh c. Gemeenschaponderwijs (turban) ; arrêt n° 228.752 du 14 octobre 2014, XXX c. Gemeenschaponderwijs (hijâb). Ces arrêts sont consultables sur le site du Conseil d’État de Belgique, www.conseildetat.be.
[8] Cour constitutionnelle fédérale allemande (première chambre), arrêt du 27 janvier 2015, 1 BvR 471/10 – 1 BvR 1181/10, consultable en ligne dans une traduction en anglais : www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Downloads/EN/2015/01/rs20150127_1bvr047110en.pdf;jsessionid=314DC8D53676EBF493A888055CFCA878.1_cid394?__blob=publicationFile&v=4.
[9] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, Commune scolaire de Sankt-Margrethen c. A et B.D. et Département de la formation du canton de Saint-Gall, JdT 2016 I, pp. 67-90. A propos du droit suisse en cette matière, voy. F. Bellanger, « Liberté religieuse et enseignement », Religion und Gesellschaft / Religions et société, 2016/2, pp. 155-163, http://religionskunde.ch/images/Ausgaben_ZFRK/Rubriken/2016_02_Bellanger-ZFRK_2-2016.pdf
[10] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Communication n° 1852/2008 du 1er novembre 2012, Bikramjit Singh c. France, CCPR/C/106/D/1852/2008
[11] C.J.U.E. (grande chambre), arrêts du 14 mars 2017, Samira Achbita et Centre pour l’égalité des chances c. G4S Secure Solution S.A., aff. C-157/15 ; Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l’homme c. Micropole S.A., aff. C-188/15.
[12] La loi du 15 mars 2004 n° 2004-228, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, n’a pas été entreprise devant le Conseil constitutionnel, un consensus s’étant dégagé au sein du Parlement pour éviter une saisine qui aurait pu déboucher sur une censure particulièrement crainte du monde politique (voy. J. Brau, « Controverses autour de la loi du 15 mars 2004 : laïcité, constitutionnalité et conventionnalité », www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes1/BRAU.pdf ). Quand aux arrêts du Conseil d’État du 5 décembre 2007, ils se concentrent sur une exégèse de la loi de 2004 sans procéder au moindre examen de proportionnalité. L’on peut ainsi y lire : « cette interdiction ne méconnaît pas les stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives à la liberté de pensée, de conscience et de religion, dès lors qu’elle ne porte pas à cette liberté une atteinte excessive au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans les établissements scolaires publics ; qu’ainsi, cette sanction ne saurait par elle-même méconnaître ces stipulations » (C.E. France, arrêt du 5 décembre 2007, M. et Mme Bessam Ghazal, n° 295671). Voy. à propos de ces arrêts, D. Koussens, L’épreuve de la neutralité. La laïcité française entre droits et discours, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 170-174.
[13] Avis du Conseil d’État de France n° 346.893 du 27 novembre 1989. A propos de cet avis, voy. C. de Galembert, « Le voile : de l’Hôtel Matignon au Palais Royal, entretien avec Renaud Denoix de Saint Marc » et C. de Galembert et F. Lorcerie, « Le voile au Conseil d’État, entretient avec Jean-Michel Bélorgey », Droit et Société, 68/2008, pp. 199-214 et 215-224 ; D. Koussens, op. cit., pp. 154-158.
[14] Comme le synthétise la Cour européenne des droits de l’homme, en renvoyant à l’arrêt du 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, §§ 89 et 94, « une société démocratique saine a besoin de tolérer et soutenir le pluralisme et la diversité en matière religieuse. De plus, quiconque fait de la religion un principe essentiel de sa vie doit en principe avoir la possibilité de communiquer cette conviction à autrui, y compris par le port de vêtements et de symboles religieux. Le port d’un tel vêtement ou symbole, motivé par la foi de l’intéressé et par la volonté de témoigner de cette foi, constitue une manifestation de sa conviction religieuse, sous la forme d’un « culte », d’une « pratique » et d’un « rite » ; c’est donc un comportement protégé par l’article 9 § 1 » (Guide sur l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 31-32, § 85).
[15] Il sera dès lors renvoyé à la littérature traitant de la jurisprudence belge, notamment : X. Delgrange, « Mixité sociale, mixité religieuse : le droit de l’enseignement face à la diversité », et M. El Berhoumi, « Les juridictions suprêmes contre le voile : commentaire de deux arrêts engagés » dans : J. Ringelheim (dir.), Le droit et la diversité culturelle, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 503-567, sp. pp. 562-564 ; pp. 569-620, sp. pp. 599-616 ; X. Delgrange, « Une nouvelle source du droit : le dress-code », op. cit., pp. 662-669.
[16] C.C., arrêt n° 93/2010 du 29 juillet 2010, B.8. ; arrêt n° 135/2015 du 1er octobre 2015, B.18 ; arrêt n° 45/2017 du 27 avril 2017, B.7.1. Ces arrêts sont consultables sur le site de la Cour constitutionnelle, www.const-court.be.
[17] Les conclusions rendues dans les affaires Achbita (Concl. de l’avocat général Kokott du 31 mai 2016 dans l’affaire CJUE, aff. C-157/15, Achbita, §§ 97 et s.) et Tele2 Sverige AB (Concl. de l’avocat général Saugmandsgaardøe du 19 juillet 2016 dans l’affaire CJUE, C-203/15 et C-698/15, Tele2 Sverige AB, §§174 et s.), sont, sur ce point, dignes des manuels les plus pédagogiques. Voy. S. Van Drooghenbroeck et X. Delgrange, « Le principe de proportionnalité : retour sur quelques espoirs déçus », op. cit., p. 45.
[18] C.J.U.E., arrêt du 13 juillet 2017, Túrkevei Tejtermelő Kft. C. Országos Környezetvédelmi és Természetvédelmi Főfelügyelőség, aff. C-129/16, §66.
[19] Cour eur. Dr. h., arrêt Mouvement Raëlien c. Suisse du 13 juillet 2012, §75.
[20] Cour eur. dr. h., Guide sur l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 18, §42.
[21] Il en va de même dans le droit de l’Union européenne. Selon l’avocat général Saugmandsgaardøe, « À la différence des exigences relatives au caractère approprié et nécessaire de la mesure en cause, lesquelles évaluent son efficacité au regard de l’objectif poursuivi, l’exigence de proportionnalité stricto sensu consiste à mettre en balance, d’une part, les avantages résultant de cette mesure au regard de l’objectif légitime poursuivi avec, d’autre part, les inconvénients en découlant au regard des droits fondamentaux consacrés dans une société démocratique […]. Cette exigence ouvre ainsi un débat sur les valeurs devant prévaloir dans une société démocratique et, en définitive, sur le type de société dans lequel nous souhaitons vivre […] » (conclusions, op. cit., §248). A propos du caractère délicat de cette pesée, résultant notamment de la difficulté d’identifier précisément les éléments pertinents à mettre dans les plateaux de la balance, voy. S. Van Drooghenbroeck et X. Delgrange, « Le principe de proportionnalité : retour sur quelques espoirs déçus », op. cit., pp. 50-51.
[22] Selon le Robert électronique, en un certain sens, la raison est la « cause ou le motif légitime qui justifie quelque chose en l’expliquant ».
[23] Voy. Cour eur. D.H., Guide sur l’article 2 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme. Droit à l’instruction, Mis à jour au 30 avril 2019, n° 5 à 7, pp. 5-6, www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_2_Protocol_1_FRA.pdf. Dans ses arrêts annulant des règlements scolaires d’écoles flamandes interdisant le port de signes convictionnels, le Conseil d’État de Belgique a rappelé cette exigence (C.E., arrêt n° 228.748 du 14 octobre 2014, Singh c. Gemeenschaponderwijs, n° 57 ; arrêt n° 228.752 du 14 octobre 2014, XXX c. Gemeenschaponderwijs). Voy. J. Lievens et J. Vrielink, « De Raad van State over het ‘hoofdoekenverbod’ in het Gemennschapsonderwijs : een kentering inzake kentekens », Tijdschrift Jeugd- en Kinderrechten, 2015/1, pp. 84-93; des mêmes auteurs, « ‘Symbolenstrijd’. De Raad van State en religieuze kentekens in het (Gemeenschaps)onderwijs », Tijdschrift voor Onderwijsrecht en Onderwijsbeleid, 2014/3, pp. 4-14.
[24] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., pp. 224-423.
[25] Conformément à l’article 165 du TFUE, le droit de l’Union n’a pas vocation à régir « l’organisation du système éducatif » en général et le statut des élèves ou étudiants en particulier (voy. X. Delgrange et L. Detroux, « Article 14 – Droit à l’éducation », dans : F. Picod et S. Van Drooghenbroeck (dir.), Commentaire article par article de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 305-326, sp. pp. 322-326). Toutefois, la directive 2000/78/CE s’applique de manière transversale à toutes les relations de travail (ainsi, son article 15 énonce une disposition dérogatoire à l’égard du recrutement des enseignants en Irlande du Nord). En Communauté française de Belgique, la directive est transposée par le décret du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination, qui entend notamment lutter contre la discrimination fondée sur « la conviction religieuse ou philosophique » (article 2, 2°). Ce décret s’applique entre autres aux « relations statutaires d’emploi qui se nouent au sein (…) des établissements d’enseignement en Communauté française, tous types, tous niveaux, tous réseaux confondus ». Voy. X. Delgrange et M. El Berhoumi, « Le droit de tendance des pouvoirs organisateurs », dans : X. Delgrange, L. Detroux et M. El Berhoumi (dir.), Les grands arrêts du droit de l’enseignement, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 78-97.
[26] C.E. (assemblée générale), arrêt n° 210.000 du 21 décembre 2010, 6.7.1.
[27] C.E. (assemblée générale), arrêt n° 210.000 du 21 décembre 2010, 6.18.2.
[28] Voy. not. M. El Berhoumi, « Les juridictions suprêmes contre le voile : commentaire de deux arrêts engagés », op. cit., pp. 595-599 ; J. Ringelheim, « Le Conseil d’Etat et l’interdiction du port du voile par les enseignants : paradoxale neutralité », Administration Publique (Trimestriel), 2012/2, pp. 342-384, sp. p. 383 ; Chr. Horevoets et S. Vincent, « Les différences de traitement admises et les discriminations prohibées », dans : E. Bribosia, I. Rorive et S. Van Drooghenbroeck (dir.), Actualités en matière de non-discrimination, Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 33-92, sp. p. 61.
[29] En ce sens, X. Delgrange et M. El Berhoumi, « Le droit de tendance des pouvoirs organisateurs », op. cit., pp. 88-93.
[30] C.E. (assemblée générale), arrêt n° 210.000 du 21 décembre 2010, 6.7.2.
[31] L’assemblée générale du Conseil d’État le relève elle-même : « les notions de laïcité, conception philosophique parmi d’autres, et de neutralité sont distinctes » (ibidem). Sur cette distinction entre les laïcités politique et philosophique en droit belge, voy. X. Delgrange, « La gestion de la diversité à l’école : le ‘modèle’ belge », dans : L’expression du religieux dans la sphère publique, comparaisons internationales, actes du colloque des 2-3 juin 2015 organisé à Paris par les Ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, La Documentation française, 2016, pp. 141-158, sp. pp. 143-145.
[32] C.E. (assemblée générale), arrêt n° 223.042 du 27 mars 2013, VII.2.2.2.
[33] Voy. M. El Berhoumi, « Foulard à l’école : Le Conseil d’État clôt la saga carolorégienne », Administration Publique (Trimestriel), 2013/4, pp. 383-409, sp. pp. 406-409
[34] Voy. I. Rorive, « Être et avoir l’air : une scénographie baroque des principes de neutralité et de non-discrimination. Commentaire de l’ordonnance du Tribunal du travail francophone de Bruxelles siégeant comme en référé du 16 novembre 2015 », Administration Publique (Trimestriel), 2016/4, pp. 491-516, sp. p. 506 ; L. Van Bunnen, « La contribution de la Cour de justice de l’Union européenne à la protection des droits de l’Homme et la question du port du voile islamique », Revue Critique de Jurisprudence belge, 2018, pp. 91-112, sp. p. 94.
[35] Cour eur. D.H., arrêt du 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, Voy. F. Kéfer, « L’expression des convictions religieuses dans les relations de travail », Tijdschrift voor Sociaal Recht / Revue de Droit Social, 2017/3, pp. 527-583, sp. p. 571.
[36] Voy. E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 112/2017, pp. 1017-1037, sp. pp. 1027-1030 ; F. Dorssemont, « Vrijheid van religie op de werkplaats en het Hof van Justitie: terug naar cuius regio, illius religio? », Recht, religie en samenleving, 2016/2, pp. 65-105.
[37] L’avocate générale se réfère à l’arrêt de la Cour de justice du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C-83/14, § 82), où « la Cour considère comme indice de discrimination directe (sur la base de l’origine ethnique) le fait qu’une pratique repose sur des stéréotypes ou des préjugés contre un groupe de personnes déterminées ». Voy. I. Rorive, op. cit., p. 511.
[38] C.J.U.E. (grande chambre), arrêt du 14 mars 2017, Samira Achbita et Centre pour l’égalité des chances c. G4S Secure Solution S.A., aff. C-157/15. L’arrêt Bougnaoui ne tranche par la question, la Cour estimant manifestement manquer d’éléments factuels précis (voy. E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., p. 1030). S’agissant de la discrimination indirecte, elle renvoie à l’arrêt Achbita : « si, ce qu’il appartient à cette juridiction de vérifier, le licenciement de Mme Bougnaoui a été fondé sur le non-respect d’une règle interne qui était en vigueur au sein de cette entreprise, interdisant le port de tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, et s’il devait apparaître que cette règle en apparence neutre aboutit, en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, telles que Mme Bougnaoui, il y aurait lieu de conclure à l’existence d’une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou sur les convictions, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 (voir, en ce sens, arrêt de ce jour, G4S Secure Solutions, C-157/15, points 30 et 34) » (C.J.U.E. (grande chambre), arrêt du 14 mars 2017, Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l’homme c. Micropole S.A., aff. C-188/15, §32).
[39] Comme le dénoncent Stéphanie Hennette Vauchez et Cyril Wolmark, « la pratique religieuse se situe précisément à la limite de l’identité personnelle et du choix de l’individu », ce qu’occultent les conclusions de l’avocate générale selon lesquelles « une prescription religieuse, telle que le fait de porter un foulard, ne se distingue pas du fait de porter ‘des épinglettes ou des slogans sur sa chemise’ » (§52) (« Plus vous discriminez, moins vous discriminez – Àpropos des conclusions de l’avocate générale dans l’affaire sur le port du voile au travail, C.J.U.E., Achbita, aff. C 157-15 », Semaine sociale Lamy, 20 juin 2016, n° 1728, pp. 5‑8, sp. p. 6.
[40] Cour eur. dr. h., Guide sur l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 7, §8.
[41] Voy. E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., pp. 1028-1030 ; G. Busschaert et S. De Somer, « Port de signes convictionnels au travail : la Cour de justice lève le voile ? », J.T.T., 2017, pp. 277-283, sp. p. 279.
[42] En ce sens, E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., p. 1028 ; K. Alidadi, « Cultural diversity in the workplace, Personal autonomy as a pillar for the accommodation of employees’ religious practices? », dans : M.-Cl. Foblets, M. Graziadei et A. Dundes Renteln ed.), Personal Autonomy in Plural Societies: A Principle and its Paradoxes, New York, Routledge, 2018, pp. 115-125, sp. p. 120.
[43] C. Gauthier, « L’interdiction du port du voile en entreprise : le « oui, mais » de la Cour de justice de l’Union européenne », Journal de Droit Européen, 2017/7, pp. 263-266, sp. p. 265 ; F. Kéfer, « L’expression des convictions religieuses dans les relations de travail », op. cit., p. 575.
[44] Ces auteures renvoient aux conclusions de l’avocate générale Kokott, § 48-49.
[45] E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., pp. 1027 et 1029. Dans le même sens, F. Dorssemont, « Vrijheid van religie op de werkplaats en het Hof van Justitie: terug naar cuius regio, illius religio? », op. cit., p. 86.
[46] L’arrêt Achbita est perçu comme un mode d’emploi expliquant aux entreprises privées comment discriminer en toute légalité (voy. E. Bribosia et I. Rorive, « Why a global approach to non-discrimination law matters. Struggling with the ‘Conscience’ of Companies », dans : E. Bribosia et I. Rorive (dir.), Human Rights Tectonics. Global Dynamics of Integration and Fragmentation, Antwerp, Intersnetia, 2018, pp. 111-139, sp. pp. 113 et 133-138.
[47] La Cour se fonde sur le considérant 23 de la directive 2000/78 : « Dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu’une caractéristique liée à la religion ou aux convictions, à un handicap, à l’âge ou à l’orientation sexuelle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. Ces circonstances doivent être mentionnées dans les informations fournies par les États membres à la Commission ».
[48] La Cour de justice précise que « les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2000/78 s’appliquent uniquement aux églises et aux autres organisations publiques ou privées ‘dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions’ » (arrêt (Grande chambre) du 11 septembre 2018, IR c. JQ, C-68/17§ 41). Voy. X. Delgrange, « L’entreprise de tendance, c’est tendance ! (obs. sous C.J.U.E., Gde Ch., arrêt Egenberger, 17 avril 2018 et Gde Ch., arrêt IR, 11 septembre 2018), Revue trimestrielle des droits de l’homme, 119/2019, pp. 655-686, sp. pp. 677-679.
[49] Dans ses conclusions précédant l’arrêt Bougnaoui, l’avocate générale Sharpston estime que l’entreprise en question ne peut être qualifiée d’entreprise de tendance : « Cette disposition s’applique aux « activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions ». Le considérant 24 de la directive montre que cette disposition est destinée à mettre en œuvre la déclaration no 11 relative au statut des églises et des organisations non confessionnelles. Étant donné la nature des activités de Micropole, cette dérogation ne peut pas s’appliquer en l’espèce (§106) ».
[50] En ce sens, M. Philip-Gay, Droit de la laïcité, Paris, Ellipses, 2016, p. 144.
[51] La Cour de justice s’appuie sur l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78
[52] Voy. E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., p. 1033.
[53] Voy. F. Dorssemont, « Vrijheid van religie op de werkplaats en het Hof van Justitie: terug naar cuius regio, illius religio? », op. cit., pp. 80-81 et 90-91. Selon Thierry Léonard et Julie Salteur, l’article 16 « se contente d’une timide reconnaissance dont les effets et les contours semblent conditionnés ou, à tout le moins, modalisés par l’état du droit de l’Union ainsi que par les législations et pratiques nationales » (« Article 16. Liberté d’entreprise », dans : F. Picod et S. Van Drooghenbroeck (dir.), Commentaire article par article de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, op. cit., pp. 349-368, sp. p. 351.
[54] Voy. G. Busschaert et S. De Somer, « Port de signes convictionnels au travail : la Cour de justice lève le voile ? », op. cit., p. 279 ; F. Kéfer, « L’expression des convictions religieuses dans les relations de travail », op. cit., pp. 579-582.
[55] E. Dubout, « Le libéralisme politique de la Cour de justice – le cas de la liberté d’entreprise », dans : L. Clément-Wilz (dir.), Le rôle politique de la Cour de justice de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 145-175, sp. p. 173.
[56] Cour eur. d. h. (grande chambre), arrêt du 1er juillet 2014, S.A.S. c. France, § 114. Dans le même sens, l’arrêt du 5 décembre 2017, Hamidović c. Bosnie-Herzégovine, §34. Voy. X. Delgrange et D. Koussens, « Quelles laïcité en salle d’audience ? À propos de quelques arrêts canadiens et européens sur le port de symboles religieux dans les prétoires », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 118/2019, pp. 447-475, sp. pp. 467-469.
[57] Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 99.
[58] C.E. (assemblée générale), arrêt en suspension n° 210.000 du 21 décembre 2010, arrêt au fond n° 223.042 du 27 mars 2013, X. c. la ville de Charleroi.
[59] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, 4.4. et 8.2.3.
[60] Voy. X. Delgrange et A. Overbeeke, « Le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle », dans : X. Delgrange, L. Detroux et M. El Berhoumi (dir.), Les grands arrêts du droit de l’enseignement, op. cit., pp. 255-280.
[61] C.E., arrêt n° 223.042, VI.2.7. Dans le même ordre d’idée, la Cour européenne considère que peut être rangé dans l’objectif de protection des droits et libertés d’autrui, le souci de « faire respecter les principes laïcs et démocratiques » (voir dernièrement l’arrêt Hamidovic c. Bosnie-Herzegovine du 5 décembre 2017, §§ 34-35).
[62] Cour eur. d. h. (grande chambre), arrêt du 1er juillet 2014, S.A.S. c. France, § 135 (dans cet arrêt, la Cour utilise le qualificatif « laïc » et non celui de « laïque »). Voy. dernièrement l’arrêt Hamidovic c. Bosnie-Herzegovine du 5 décembre 2017, §§ 34-35 (voy. X. Delgrange et D. Koussens, « Quelles laïcité en salle d’audience ?… », op. cit., pp. 467-469).
[63] Voy. X. Delgrange, « Une nouvelle source du droit : le dress-code », op. cit., pp. 665-666 et .
[64] C.E., arrêts du 14 octobre 2014, n° 228.748, 60.5 ; n° 228.752, 36, 38.5 (traduction libre).
[65] C.E., arrêts du 14 octobre 2014, n° 228.748, 60.3 ; n° 228.752, 36, 38.3 (traduction libre).
[66] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, 9.2.
[67] Dans sa circulaire du 31 décembre 1936, le Ministre Jean Zay estime que l’école doit demeurer « l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » (cité par Ph. Gaudin, « L’école entre respect de la liberté des élèves et projet émancipateur », dans : L’expression du religieux dans la sphère publique, comparaisons internationales, actes du colloque des 2-3 juin 2015 organisé à Paris par les Ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, Paris, La Documentation française, 2016, pp. 165-174, sp. p. 169 ; M. Philip-Gay, Droit de la laïcité, op. cit., pp. 206-208. Dans le rapport « Stasi » à l’origine de la loi de 2004, l’école n’est plus un sanctuaire mais demeure un lieu protégé : « l’école ne doit pas être à l’abri du monde, mais les élèves doivent être protégés de la « fureur du monde» : certes elle n’est pas un sanctuaire, mais elle doit favoriser une mise à distance par rapport au monde réel pour en permettre l’apprentissage » (Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, Rapport au Président de la République, 11 décembre 2003, La Documentation française, p. 56, www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/034000725.pdf).
[68] Geneviève Koubi note que, « dans le respect du principe de neutralité des établissements scolaires, la régulation de l’expression et de la manifestation des croyances religieuses semblait essentielle. Alors que la laïcité imposait une stricte obligation de neutralité envers les personnels de ces établissements, elle induisait l’existence d’une limite à toute activité des diverses communautés religieuses envers, parmi ou par les usagers du service public de l’enseignement » (« Note sous C.E., 2 novembre 1992, Kherouaa et autres », Recueil Dalloz Sirey, 1993, 9e Cahier, pp. 108-111, sp. p. 110).
[69] Cl. Durand-Prinborgne, « La ‘circulaire Jospin’ du 12 décembre 1989 », R.F.D.A., 1990, pp. 10-22, sp. p. 11. Dans le même sens, P. Mazet, « La construction contemporaine de la laïcité par le juge et la doctrine », dans : J. Baudouin et Ph. Portier, La laïcité, une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociations du modèle français, Rennes, P.U.R., 2001, pp. 263-283, n° 8-10..
[70] En ce sens, notamment, F. Lorcerie, « La ‘loi sur le voile’ : une entreprise politique », Droit et Société, 68/2008, pp. 67-70 ; Y. Gaudemet, « La laïcité, forme française de la liberté religieuse », Revue de droit public, 2015/2, pp. 336-338. Ou alors, l’on fait évoluer la laïcité vers une conception contraignante d’interdiction. En ce sens, Ph. Portier, « La politique du voile en France : droits et valeurs dans la fabrique de la laïcité », Revue du droit des religions, 2/2016, pp. 79-81 ; L. Bakir, « Laïcité et institution scolaire : variations dans l’application d’un principe juridique », Revue du droit des religions, n° 2/2016, pp. 124-132.
[71] Cour eur. D.H. (5e section), décision d’irrecevabilité du 30 juin 2009 dans l’affaire Aktas c. France, requête n° 43563/08. Voy. déjà, dans le même sens, s’agissant de la laïcité turque, Cour eur. D.H. (grande chambre), arrêt du 10 novembre 2005, Leyla Şahin c. Turquie, §§ 112-114 et 158.
[72] Cour eur. D.H. (5e section), arrêt Kervanci c. France (requête n° 31645/04), § 72 et arrêt Dogru c. France (requête n° 27058/05) du 4 décembre 2008, § 72. Les passages de ces arrêts sont rappelés dans la décision Aktas, où « la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre de s’éloigner de cette jurisprudence ». Dans le même sens, Cour eur. D.H., décisions du 30 juin 2009, affaires Bayrak c. France, Gamaleddyn c. France, Ghazal c. France, Aktas c. France, Jasvir Singh c. France et Ranjit Singh c. France.
[73] C.E. (assemblée générale), arrêt en suspension n° 210.000 du 21 décembre 2010, X. c. la ville de Charleroi 6.7.2.
[74] C.E., arrêts précités du 14 octobre 2014, n° 228.748, 58 ; n° 228.752, 36, 37.2.
[75] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, 8.2.3.
[76] C.E., arrêts précités du 14 octobre 2014, n° 228.748, 60.5 ; n° 228.752, 38.5. Voy. G. Ninane et J. Ringelheim, « La neutralité de l’enseignement officiel », dans : X. Delgrange, L. Detroux et M. El Berhoumi (dir.), Les grands arrêts du droit de l’enseignement, op. cit., p. 239.
[77] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, 8.2.3.
[78] Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 99 (traduction libre depuis la version anglaise de l’arrêt). Voy. H. Rabault, « Le droit des enseignantes à arborer le foulard (décision de la première chambre de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 27 janvier 2015) », Revue française de droit constitutionnel, 2015/3 (n° 103), pp. 735-744, sp. p. 740.
[79] C.E. (assemblée générale), arrêt au fond n° 223.042 du 27 mars 2013, X. c. la ville de Charleroi, VI.2.6.
[80] La neutralité de l’enseignement officiel est définie par les décrets du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté et du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (la législation scolaire de la Communauté française peut être consultée sur le site officiel Gallilex, www.gallilex.cfwb.be). Dans la Belgique fédérale, le décret est une norme législative adoptée par les Communautés et les Régions. Il a la même valeur que la loi, dénomination réservée à la législation fédérale. Les établissements publics organisés par le public sont qualifiés d’ « officiels ». On y distingue le réseau des établissements directement organisés par la Communauté du réseau dit « officiel subventionné », qui regroupe les établissements organisés par d’autres pouvoirs publics, essentiellement les communes et les provinces, mais subventionnés par la Communauté. Sur toutes ces notions, voy. X. Delgrange, « La gestion de la diversité à l’école : le ‘modèle’ belge », op. cit., pp. 141-158.
[81] C.E., arrêt n° 223.042, VI.2.7.
[82] Voy. à cet égard S. Van Drooghenbroeck, « La neutralité des services publics : outil d’égalité ou loi à part entière ? Réflexions inabouties en marge d’une récente proposition de loi », dans H. Dumont et al. (dir.), Le service public, Tome 2, les ‘lois’ du service public, Bruges, La Charte, 2009, pp. 231-298, sp. pp. 250-256 ; du même auteur, « Les transformations du concept de neutralité de l’État. Quelques réflexions provocatrices », dans : J. Ringelheim (dir.), Le droit et la diversité culturelle, op. cit., pp. 75-120, sp. 112-116.
[83] La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est bien établie en ce sens : « Selon la requérante, en revêtant un foulard, elle obéit à un précepte religieux et, par ce biais, manifeste sa volonté de se conformer strictement aux obligations de la religion musulmane. Dès lors, l’on peut considérer qu’il s’agit d’un acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction et, sans se prononcer sur la question de savoir si cet acte, dans tous les cas, constitue l’accomplissement d’un devoir religieux, la Cour partira du principe que la réglementation litigieuse, qui soumet le port du foulard islamique à des restrictions de lieu et de forme dans les universités, a constitué une ingérence dans l’exercice par la requérante du droit de manifester sa religion » (arrêt (grande chambre) du 10 novembre 2005, Leyla Şahin c. Turquie, §78). Le Tribunal fédéral suisse va dans le même sens : « 5.2 Les organes de l’Etat doivent user de retenue dans la discussion de l’objet d’une croyance; ils doivent se référer à la conviction des adeptes de cette croyanceDu point de vue du champ de protection de la liberté de conscience et de croyance, il importe seulement que le comportement adopté par l’élève et ses parents soit l’expression directe de leur conviction religieuse et qu’ils s’en réclament de manière crédible Ainsi, le champ de protection de la liberté de conscience et de croyance dépend essentiellement de visions subjectives; c’est pourquoi il est sans pertinence que l’élève et ses parents se conforment ou ne se conforment pas à d’autres pratiques religieuses dont l’autorité scolaire à connaissance. L’atteinte à la liberté de conscience et de croyance ne peut être exclue ni parce qu’en Suisse la majorité des adeptes de la foi islamique ne portent pas le voile, ni, non plus, parce que le devoir des femmes de porter le voile prête à controverse déjà au regard des prescriptions de cette foi ». Dans le même sens également, Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 86.
[84] En ce sens, les conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Bougnaoui, §53.
[85] Cour eur. D.H., Dahlab c. Suisse (déc.), 15 février 2001. Ce raisonnement était encore rappelé dans l’arrêt de Grande chambre 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, § 111. Il était critiqué par la juge Françoise Tulkens dans ses opinions dissidentes à ces deux arrêts. Voy. également E. Bribosia et I. Rorive, « Le voile à l’école : une Europe divisée », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2004, pp. 961-962. La Cour constitutionnelle belge adoptait encore ce raisonnement dans son arrêt relatif à la loi « anti-burqa » (arrêt n° 145/2012 du 6 décembre 2012, B.23). Voy. X. Delgrange et M. El Berhoumi, « Pour vivre ensemble, vivons dévisagés. Le voile intégral sous le regard des juges constitutionnels belge et français », observations sous Cons. const. (fr.), 7 octobre 2010 et C. const. (b.), n° 145/2012, 6 décembre 2012, Rev. trim dr. h., 99/2014, pp. 635-661, sp. pp. 650-651.
[86] En ce sens, J. Lievens et J. Vrielink, « ‘Symbolenstrijd’. De Raad van State en religieuze kentekens in het (Gemeenschaps)onderwijs », op. cit., p. 8.
[87] En ce sens, G. Gonzales, « Consécration jésuitique d’une exigence fondamentale de la civilité démocratique ? Le voile intégral sous le regard des juges de la Cour européenne », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 101/2015, p. 228.
[88] Sur ce revirement de jurisprudence, voy. G. Gonzales, op. cit., p. 224 ; E. Bribosia, I. Rorive, I. et J. Damamme, « Droit de l’égalité et de la non-discrimination / Equality and Non-Discrimination », Journal européen des droits de l’homme – European Journal of Human Rights, 2015/2, pp. 223-243, sp. p. 241 ; B. Pastre-Belda, « La femme dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2017/110, pp. 265-294, sp. pp. 287-289.
[89] Cour eur. D.H. (Grande chambre), arrêt S.A.S. c. France du 1er juillet 2014, §§ 119 et 120. Voy. P. Rolland, « L’arrêt S.A.S. c. France de la Cour européenne des droits de l’homme », Revue du droits des religions, 2/2016, pp. 47-60. Ces considérations sont rappelées dans les arrêts du Conseil d’État de Belgique, n° 228.752, point 37.2. et n° 228.748, point 59.2.
[90] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, 8.2.3. (voir également le point 9.6.).
[91] H. Rabault, « Le droit des enseignantes à arborer le foulard (décision de la première chambre de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 27 janvier 2015) », op. cit., p. 739. Voy. également A. Gaillet, « Port du voile par les enseignantes des écoles publiques : retour à Karlsruhe. Étude sur la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 27 janvier 2015 », http://publications.ut-capitole.fr/. Voy. notamment les points 143-144 de l’arrêt.
[92] E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., p. 1025.
[93] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Communication n° 1852/2008 du 1er novembre 2012, Bikramjit Singh c. France, www.ccprcentre.org. Voy. E. Bribosia, G. Caceres et I. Rorive, « Les signes religieux au cœur d’un bras de fer : la saga Singh », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2014/98, pp. 495-513. ; C.E., arrêts précités du 14 octobre 2014, n° 228.748, 59.2 ; n° 228.752, 37.2.
[94] Tribunal fédéral suisse, arrêt du 11 décembre 2015, 8.2.2.
[95] Rapport final des Assises de l’Interculturalié, 2010, p. 33, www.belgium.be (voy. M.-C. Foblet et J.-Ph Schreiber (coord.), Les Assises de l’Interculturalité, Bruxelles, Larcier, 2013). Les Assises de l’Interculturalité prolongaient en 2010 les travaux la Commission du dialogue interculturel, version belge de la Commission Stasi, qui s’est tenue en 2005 (Rapport final de la Commission du dialogue interculturel, 2005, www.unia.be. Voy. H. Dumont et X. Delgrange, « Le principe de pluralisme face à la question du voile islamique en Belgique », Droit et Société, n° 68, 2008, pp. 75-108, sp. pp. 87-95).
[96] Comité des droits de l’enfant, « Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention. Observations finales: Allemagne », 26 février 2004, www2.ohchr.org. En vertu de l’article 29.1.d), de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’éducation doit viser à « préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ».
[97] Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 99 (traduction libre depuis la version anglaise de l’arrêt). Voy. H. Rabault, « Le droit des enseignantes à arborer le foulard… », op. cit., p. 740.
[98] L’arrêt paraît faire une application stricte de l’exigence de nécessité, si on le compare à la jurisprudence du Conseil d’État de Belgique. Il se place toutefois dans la fourchette basse de la jurisprudence de la Cour de Justice en la matière (en ce sens, G. Busschaert et S. De Somer, op. cit., pp. 281-282).
[99] C.E., arrêt n° 223.042, VI.2.7.
[100] A propos des dérives auxquelles peut mener un usage abusif de la marge d’appréciation qui, comme le dénonce Françoise Tulkens, peut être « la pire des choses » si elle implique « abandon, retrait, repli identitaire, retour des souverainetés » (« Conclusions générales », dans : F. Sudre (dir.), Le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, Nemesis/Anthemis, Bruxelles/Limal, 2014, p. 398), voy. F. Krenc, « ‘Dire le droit’, ‘rendre la justice’. Quelle Cour européenne des droits de l’homme ? », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 114/2018, pp. 312-346, sp. pp. 329-333.
[101] Cour eur. D.H., décisions du 30 juin 2009, affaires Bayrak c. France, Gamaleddyn c. France, Ghazal c. France, Aktas c. France, Jasvir Singh c. France et Ranjit Singh c. France.
[102] Voy. not. X. Delgrange et M. El Berhoumi, « Pour vivre ensemble…», op. cit., pp. 638-645 ; G. Gonzales, op. cit., pp. 224-225 ; E. Bribosia, I. Rorive, I. et J. Damamme, op. cit., pp. 242-243 ; D. Koussens, op. cit., pp. 194-204.
[103] Rapport final de la Commission du dialogue interculturel, 2005, pp. 54-56 et 115-119, www.unia.be. Voy. X. Delgrange, « Mixité sociale, mixité religieuse : le droit de l’enseignement face à la diversité », op. cit., pp. 533-534 ; S. Van Drooghenbroeck, « Les transformations du concept de neutralité de l’État. Quelques réflexions provocatrices », op. cit., pp. 75-120, sp. 76 à 79 ; V. de Coorebyter, « La neutralité n’est pas neutre », dans : D. Cabiaux et al. (coord.), Neutralité et faits religieux. Quelles interactions dans les services publics ?, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2014, pp. 19 à 43.
[104] C.E., arrêt n° 223.042 du 27 mars 2013, VI.2.7. Sur les contradictions que contient cet arrêt relativement la portée des décrets, voy. M. El Berhoumi, « Foulard à l’école : Le Conseil d’État clôt la saga carolorégienne », op. cit., pp. 403-404.
[105] S. Van Drooghenbroeck, « Les transformations du concept de neutralité de l’État… », op. cit., p. 84.
[106] D. Koussens, L’épreuve de la neutralité. La laïcité française entre droits et discours, op. cit., pp. 135-146.
[107] H. Rabault, op. cit., p. 740; S. Toscer-Angot, « Berlin à l’épreuve de la sécularisation et de l’islam », Allemagne d’aujourd’hui 2017/3 (N° 221), pp. 107-117 ; V. Valentin, « Laïcité et neutralité », Dossier « Fait religieux et laïcité », A.J.D.A., 2017/24, pp. 1388-1394, sp. pp. 1391-1392.
[108] Voy. J. Lievens, et J. Vrielink, « De Raad van State over het ‘hoofdoekenverbod’ in het Gemennschapsonderwijs : een kentering inzake kentekens », op. cit., pp. 87-90.
[109] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Communication n° 1852/2008 du 1er novembre 2012, Bikramjit Singh c. France, www.ccprcentre.org. Voy. E. Bribosia, G. Caceres et I. Rorive, « Les signes religieux au cœur d’un bras de fer : la saga Singh », Rev. Trim. D.H., 2014/98, pp. 495-513 ; M. Monot-Fouletier, « De la régulation du port de signes religieux dans les établissements et l’espace publics – L’exemple français ? », Rev. Trim. D.H., 2016/105, pp. 97-118, sp. p. 110 ; H. Tigroudja, « Ports de signes religieux, « discrimination croisée » et ingérence de l’État dans la liberté de manifester sa religion (obs. sous Com. dr. h., constatations Fatima A. c. France, 16 juillet 2018, Seyma Türkan c. Turquie, 17 juillet 2018 et Sonia Yaker c. France, 17 juillet 2018) », Rev. Trim. D.H., 2019/118, pp. 477-504, sp. pp. 482-483. Voy. encore l’opinion en partie concordante et en partie dissidente de la juge O’Leary dans l’affaire Ebrahimian c. France, Cour eur. D.H. (cinquième section), arrêt du 26 novembre 2015.
[110] C.E., arrêt n° 228.748 du 14 octobre 2014, Sharanjit SINGH c. Het Gemeenschapsonderwijs. L’arrêt a été publié en néerlandais. L’extrait reproduit est tiré de la synthèse figurant sur le site du Conseil d’Etat, www.conseildetat.be, onglet « décisions récentes ». A propos de cette jurisprudence, voy. J. Lievens et J. Vrielink, « ‘Symbolenstrijd’… », op. cit., pp. 4-14 ; S. Ganty et M. Vanderstraeten, « Actualités de la lutte contre la discrimination dans les biens et les services, en ce compris l’enseignement » dans : E. Bribosia, I. Rorive et S. Van Drooghenbroeck (eds.), Droit de la Non-discrimination. Avancées et enjeux, Bruxelles, Bruylant 2016, pp. 226-238, sp. p. 228 ; G. Ninane et J. Ringelheim, « La neutralité de l’enseignement officiel », dans : X. Delgrange, L. Detroux et M. El Berhoumi (dir.), Les grands arrêts du droit de l’enseignement, op. cit., pp. 239-240. Par un raisonnement similaire, le Conseil d’Etat a également autorisé des élèves à porter le voile (C.E., arrêt n° 228.752 du 14 octobre 2014).
[111] Tribunal fédéral suisse, op. cit., points 9.2., 9.6.2. et 10.1.
[112] Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 113 (traduction libre depuis la version anglaise de l’arrêt).
[113] Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 114 (traduction libre depuis la version anglaise de l’arrêt). Voy. H. Rabault, op. cit., p. 741.
[114] Voy. X. Delgrange et H. Lerouxel, «L’accommodement raisonnable, bouc émissaire d’une laïcité inhibitrice », dans : E. Bribosia et I. Rorive (dir.), L’accommodement raisonnable de la religion en Belgique et au Canada. Comparaison des contextes juridiques, sociaux et politiques, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2015, pp. 203-286, sp. pp. 254-263 ; des mêmes auteurs, « L’accommodement raisonnable éclot entre égalité formelle, légalité et neutralité », Revue du droit des religions, n° 7, mai 2019, pp. 109-129. Adde S. Van Drooghenbroeck et X. Delgrange, « Le principe de proportionnalité : retour sur quelques espoirs déçus », op. cit., pp. 49-50.
[115] CEDH, Francesco Sessa c. Italie du 3 avril 2012, point 9 de l’opinion dissidente.
[116] Cour suprême du Canada, arrêt du 17 décembre 1985, Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears Ltd. Voy. not. A. Saris, « La burqa au Québec : Entre droit et valeurs, qui élabore le droit commun ? », dans dans D. Koussens et O. Roy (dir.), Quand la burqa passe à l’Ouest, Rennes, PUR, 2013, pp. 177-195, sp. p. 180 ; X. Delgrange et H. Lerouxel, op. cit., pp. 205-207 ; L. Vanbellingen, « L’accommodement raisonnable de la religion dans le secteur public : analyse du cadre juridique belge au regard de l’expérience canadienne », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2015/2, pp. 221-248.
[117] La Cour d’appel d’Anvers estime toutefois qu’il s’agit d’un instrument symbolique qui ne peut être qualifié d’arme (arrêt du 14 janvier 2007, I. 1204 P 2007).
[118] Cour suprême du Canada, arrêt du 2 mars 2006, Multani c. Commission scolaire Marguerite Bourgeoys. Voy. X. Delgrange et H. Lerouxel, op. cit., pp. 257-258. Adde R. Linguelet, « L’obligation d’aménagement raisonnable pour motif religieux en droit du travail et les ressources du droit du bien-être », Journal des Tribunaux du Travail, 2016/15, n° 1249, p. 231-244.
[119] D. Koussens, « Le port de signes religieux dans les écoles québécoises et française. Accommodements (dé)raisonnables ou interdiction (dé)raisonnée ? », Globe, Revue international d’études québécoises, volumes 10/2 et 11/1, 2007-2008, pp. 115-131, sp. p. 129.
[120] Cour eur. D.H., décisions du 30 juin 2009 précitées. Voy. E. Bribosia, G. Caceres et I. Rorive, op. cit., p. 501.
[121] G. Gonzalez, « La contribution de la Cour européenne des droits de l’homme au dialogue entre les civilisations », dans : L’homme dans la société internationale, Mélanges en hommage au Professeur Paul Tavernier, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 1529-1544, sp. p. 1537.
[122] J. Baubérot, « Laïcité de la jupe : louange à toi Dame bêtise », Mediapart, 29 avril 2015. Adde Ph. Gaudin, « L’école entre respect de la liberté des élèves et projet émancipateur », dans : L’expression du religieux dans la sphère publique, comparaisons internationales, op. cit., pp. 165-174, sp. p. 169 ; S. Hennette-Vauchez, « Séparation, garantie, neutralité… les multiples grammaires de la laïcité », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2016/4 (N° 53), pp. 9-19, sp. p. 18. Le Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2015-16 a dû préciser qu’une « jupe longue ne constitue pas en soi un signe religieux » (www.gouvernement.fr, p. 46).
[123] J. Baubérot, « Les sept laïcités françaises », Administration & Éducation, 2016/3 (N° 151), pp. 13-21, sp. p. 20. Adde P.-H. Prélot, « Les signes religieux et la loi de 1905. Essai d’interprétation de la loi portant interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public à la lumière du droit français des activités religieuses », Société, droit et religion, 2012/1, pp. 25-46, sp. pp. 26-28 ; J.-L. Bianco, « Les enjeux de la laïcité aujourd’hui », dans : L’expression du religieux dans la sphère publique, comparaisons internationales, op. cit., pp. 25-37, sp. p. 30.
[124] E. Bribosia et I. Rorive, « Les droits fondamentaux, gardiens et garde-fous de la diversité religieuse en Europe », dans : E. Bribosia et I. Rorive (dir.), L’accommodement raisonnable…, op. cit., pp. 171-202, sp. p. 202. Dans l’arrêt Eweida, la Cour européenne se réfère aux pratiques d’accommodements raisonnables développées au Etats-Unis et au Canada (§§ 48 et 49). Voy. aussi R. Linguelet, « L’obligation d’aménagement raisonnable pour motif religieux en droit du travail et les ressources du droit du bien-être », op. cit., p. 239 ; R. Letteron « Droit européen et laïcité : la diversité des modèles », A.J.D.A., 2017/24, pp. 1368-1374, sp. p. 1371.
[125] Cour eur. D.H., arrêt du 10 janvier 2017, Osmanoğlu et Kocabaș c. Suisse, § 101. Voy. S. Van Drooghenbroeck et X. Delgrange, « Le principe de proportionnalité : retour sur quelques espoirs déçus », op. cit., pp. 48-49.
[126] Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 27 janvier 2015, § 114 (traduction libre depuis la version anglaise de l’arrêt). Voy. H. Rabault, op. cit., p. 741.
[127] Voy. à cet égard E. Bribosia et I. Rorive, « Affaires Achbita et Bougnaoui : entre neutralité et préjugés », op. cit., p. 1035 ; G. Busschaert et S. De Somer, op. cit., p. 282 ; F. Kéfer, « L’expression des convictions religieuses dans les relations de travail », op. cit., p. 577.
[128] C.E., arrêt n° 223.042, VI.2.7.
[129] C.C., not. arrêts 107/2009 du 9 juillet 2009, B.17.2., 60/2015 du 21 mai 2015, B.14.2. Voy. X. Delgrange, M. El Berhoumi et S. Van Drooghenbroeck, « L’obligation scolaire », dans X. Delgrange, L. Detroux et M. El Berhoumi (dir.), op. cit., pp. 303-330, sp. pp. 327-328.
[130] Cour eur. D.H., décisions du 30 juin 2009, précitées.
[131] Cour eur. D.H., arrêt du 10 janvier 2017, Osmanoğlu et Kocabaș c. Suisse, §§ 96-97.
[132] En ce sens M. Jacquemain, « Dix arguments laïques contre l’interdiction législative du voile », dans M. Jacquemain et N. Rosa-Rosso, Du bon usage de la laïcité, Bruxelles, Aden, 2008, 75-97, 89-90 ; B. Mabilon-Bonfils et G. Zoïa, La laïcité au risque de l’autre, Paris, éd. De l’Aube, 2014 ; P. Merle, « Faut-il refonder la laïcité scolaire ? », La Vie des idées, 17 février 2015, www.laviedesidees.fr.
[133] Tribunal fédéral suisse, op. cit., points 4.3. et 9.6.2.
[134] Voy. X. Delgrange, « La gestion de la diversité à l’école : le ‘modèle’ belge », op. cit., p. 154.
[135] C. de Galembert, « La tragédie du voile. Entretien avec François Ost », Droit et Société, 68/2008, pp. 251-264, sp. p. 255.
[136] Ph. Portier, « La politique du voile en France : droits et valeurs dans la fabrique de la laïcité », Revue du droit des religions, 2016/2, pp. 61-81, sp. p. 81.
[137] La Cour européenne constate que le code vestimentaire de la société British Airways autorise le port de vêtements qui sont « impératifs dans certaines religions » tels le turban sikh ou le voile musulman (§11). En interdisant le port de la croix catholique, la société a eu une attitude manquant de cohérence (§§ 94-95).
[138] Observations finales du 17 août 2015 concernant la France, CCPR/C/FRA/CO/5, § 22.
[139] Selon le mot bien connu de Robert Badinter, « lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style. La France, et c’est déjà beaucoup, est la patrie de la Déclaration des droits de l’homme, mais aller plus loin relève de la cécité historique » (cité par P. Spinosi, « Quel regard sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le procès équitable ? » Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2014/3 (N° 44), p. 23.
[140] G. Gonzales, « Bonne foi et engagements internationaux de la France en matière de liberté de religion », Revue du droit des religions, 2/2016, pp. 171-175. Dans le même sens, S. Hennette Vauchez, « Pour une lecture dialogique du droit international des droits humains. Remarques sur les constatations du Comité des droits de l’Homme dans l’affaire Baby Loup, et quelques réactions qu’elles ont suscitées », La Revue des droits de l’homme, septembre 2018, p. 2, https://journals.openedition.org/revdh/4643.
[141] En effet, le Conseil d’État déclare d’office le recours irrecevable parce qu’il n’est dirigé que contre une disposition spécifique du règlement et non contre la disposition générale qui la précède.
[142] L’on a en effet vu (ci-avant, n° 22) que la Cour européenne et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies avaient développé une approcher diamétralement opposée à l’égard de la loi française de 2004 (voy. à cet égard E. Bribosia, G. Caceres et I. Rorive, précité).
[143] Voy. X. Delgrange, « La neutralité de l’enseignement en Communauté française », op. cit., p. 152.
[144] Voy. notamment D. Koussens, L’épreuve de la neutralité…, op. cit., pp. 154-158 ; Ph. Portier, op. cit., pp. 70-71.
[145] Voy. en ce sens, J. Lievens et J. Vrielink, « De Raad van State… », op. cit., p. 88; des mêmes auteurs, « ‘Symbolenstrijd’…», op. cit., pp. 8-9. Ces arrêts démontrent que l’intervention du législateur n’est pas indispensable, le recours aux principes généraux suffisant. Elle est néanmoins souhaitable pour permettre le débat démocratique.