L’universalité des droits de l’homme au prisme du Droit international privé des personnes et de la famille
Michel Farge, Professeur à l’Université Grenoble Alpes et Directeur du CRJ (EA 1965)
Promotion des droits subjectifs vs. coordination des droits objectifs – Le sujet qui m’a été confié correspond à l’objectif de la revue puisqu’il conjugue deux disciplines qui reposent traditionnellement sur deux approches différentes du droit. D’un côté, le droit des droits fondamentaux appréhende le droit sous l’angle des droits subjectifs : il s’agit de promouvoir et de défendre des droits inhérents à la personne humaine. De l’autre, le droit international privé appréhende le droit sous l’angle des droits objectifs nationaux qu’il se propose de coordonner.
Convergence d’objectifs – Du point de vue de leurs objectifs, les deux disciplines ne sont toutefois pas très éloignées. Pour s’en convaincre, il suffit de les confronter au phénomène de la frontière issu de la division du monde en Etats souverains.
Se proposant de défendre des droits universels devant être garantis sans égard à la nationalité, au domicile de l’intéressé (bref sans considération de son immersion dans une société nationale), le droit des droits fondamentaux se place en quelque sorte au-dessus des frontières.
Se proposant d’assurer la continuité de traitement des relations privées internationales, le droit international privé œuvre pour que les particuliers ne souffrent pas de la frontière. Sans se placer au-dessus des frontières, il essaye de coordonner les ordres juridiques.
Cette proximité entre les deux matières a pu être illustrée avec plusieurs affaires dans lesquelles le droit des droits fondamentaux a été mis à profit pour assurer une continuité de traitement des relations privées internationales que les droits internationaux privé nationaux n’avaient pas réussi à atteindre.
Tel a été le cas dans l’affaire Wagner[1] où le Luxembourg a été condamné pour avoir refusé, par application de ses règles relatives à l’effet des jugements étrangers, de reconnaître un jugement péruvien ayant prononcé l’adoption plénière d’une fillette péruvienne au profit d’une célibataire luxembourgeoise. En l’occurrence, le juge de l’exequatur luxembourgeois avait estimé que le juge péruvien n’avait pas appliqué la loi normalement compétente – en l’espèce la loi luxembourgeoise prohibant l’adoption par un célibataire – en vertu du règlement luxembourgeois du conflit de lois. Le refus de l’exequatur a été jugé contraire à l’article 8 de la Convention EDH en raison de l’atteinte qu’il portait au droit au respect de la vie familiale des deux intéressées et à l’intérêt de l’enfant. C’est dire que les droits fondamentaux ont neutralisé une condition de l’exequatur – le contrôle de la compétence de la loi appliquée – qui entravait la reconnaissance d’un statut juridique créé valablement à l’étranger sur lequel, ajoute la Cour européenne, s’étaient construits des liens familiaux correspondant à une réalité sociale.
Tel a été le cas dans l’affaire Négrépontis [2] où il était également question d’une adoption, celle d’un jeune homme prononcée aux Etats-Unis au profit de son oncle, prêtre de son état. Se fondant sur des vieilles règles ecclésiastiques prohibant l’adoption par un prêtre, les juridictions grecques avaient estimé que la décision américaine était contraire à l’ordre public du for de sorte que l’adopté ne pouvait bénéficier en Grèce de droits successoraux et d’un droit au nom. Observant « qu’il ne fait pas de doute que la vie privée et familiale du requérant a été perturbée par le refus des juridictions grecques de reconnaître son adoption, ce qui a constitué de l’avis de la Cour, une ingérence incontestable dans le droit protégé par l’article 8 », la Cour européenne n’hésite pas à substituer son analyse des contours de l’ordre public national à celle opérée par la Cour de cassation grecque.
Avec ces deux exemples, on perçoit – au moins en matière d’effet des jugements étrangers d’adoption – que droit international privé et droit des droits fondamentaux ne sont pas toujours inconciliables. Le premier est guidé par l’idée que l’homme est naturellement doué d’une certaine mobilité sociale qui lui permet de s’accomplir non seulement dans son propre pays mais aussi à l’étranger. Et cette mobilité ne doit pas être entravée par une discontinuité de son traitement juridique provoquée par la diversité des ordres juridiques qu’il traverse. Selon l’image traditionnel, le déplacement des hommes ne doit pas se solder par la création de situations boiteuses (adoption, divorce, mariage constitués dans un pays et non reconnus dans un autre). Le second considère que certains droits doivent être garantis sans considération de l’environnement sociojuridique de la situation des particuliers.
Ainsi présentées, les deux matières se rejoignent donc par leur volonté d’assurer une certaine permanence du statut et des prérogatives appartenant aux personnes indépendamment de leurs pérégrinations internationales.
Tensions – Leur finalité n’étant pas antinomique, il peut sembler surprenant de lire chez beaucoup d’auteurs une inquiétude, sinon même une hostilité, face à l’influence croissante des droits fondamentaux en droit international privé[3]. Cette réserve a deux origines.
Attachement à une méthode – La première réticence est méthodologique. Comme il a déjà été indiqué, le droit international privé poursuit une coordination des droits objectifs nationaux alors que le droit des droits de l’homme raisonne en termes de promotion de droits subjectifs à valeur supranationale. Il en résulte, d’un côté, l’édiction de règles de répartition entre les juridictions et les lois nationales et, de l’autre, l’affirmation de droits substantiels intangibles. Historiquement, ces deux méthodes ont prospéré en vase clos. Cherchant à rattacher la compétence juridictionnelle et législative à des ordres juridiques disposant de liens significatifs avec la situation des parties afin de respecter leurs prévisions, les règles de répartition n’intègrent classiquement aucun objectif substantiel. Pour le dire clairement, ces règles ne se préoccupent pas (sauf a posteriori avec le correctif de l’ordre public en matière de conflit de lois[4]) de la promotion des droits fondamentaux : elles n’ont pas pour objet de désigner la juridiction et la loi nationale qui assureront au mieux la défense des droits inhérents à la personne humaine. Intégrer cet objectif suppose donc une remise en question d’une méthode qui a été polie par plusieurs siècles de réflexion doctrinale et jurisprudentielle.
Absolutisme c/ relativisme – La seconde réticence est philosophique. Elle est au cœur de la réflexion engagée. Pour reprendre la terminologie habituelle, le droit des droits de l’homme est marqué d’absolutisme. Ce terme doit être bien compris. Il ne signifie pas que tous les droits attachés à la personne humaine sont insusceptibles de restrictions. Bien évidemment, les législateurs nationaux peuvent les conditionner (la liberté matrimoniale souffre ainsi de la règlementation du mariage), mais ces législateurs ne peuvent pas porter atteinte à leur essence. Il existe ainsi un noyau dur propre à chaque droit fondamental – plus ou moins important selon le droit en cause –, insusceptible de transactions. Et ce noyau dur doit nécessairement être d’application universelle, sinon le concept même de droits de l’homme est condamné. Or cet universalisme conduirait à des ravages chaque fois que l’ordre juridique français devrait accueillir une norme étrangère – loi ou jugement – émanant d’un système juridique fondé sur des valeurs différentes. Ainsi donner leur plein effet aux stipulations de Convention EDH ou à la Convention internationale des droits de l’enfant, avec leur inspiration libérale et égalitaire, conduirait à condamner, sans aucun bénéfice d’inventaire, de nombreuses règles musulmanes d’organisation de la famille. On pense à la polygamie, à la répudiation, à l’interdiction pour l’enfant d’établir une filiation paternelle hors mariage ou encore aux discriminations, en matière matrimoniale, successorale ou de responsabilité parentale, selon le sexe ou la religion. Certains ne verront qu’avantage à un tel programme s’agissant de défendre des droits élémentaires. Le droit des droits fondamentaux peut-il être autre chose qu’un droit engagé ? A supposer qu’il ne parvienne pas à convaincre des valeurs défendues, il doit les imposer ! En outre, le juge français rencontrant une norme étrangère contraire « à nos valeurs universelles » dispose-t-il d’un véritable choix ? A supposer qu’il accepte de relayer cette norme – par exemple en accueillant une répudiation unilatérale – ne se rend-il pas lui-même coupable (par complicité) d’une violation du droit fondamental en jeu ?
A l’opposé, c’est « l’esprit de relativisme et d’ouverture qui convient au droit international privé »[5]. Ce relativisme est à l’origine du principe (du dogme ?) de l’égalité entre le droit national et le droit étranger. A l’origine de cette égalité, se trouve la conviction que les droits positifs nationaux sont également respectables. Leurs différences ne sont que le fruit d’une diversité de cultures, d’histoires, de conditions géographiques ou d’évolutions économiques. Il faut donc essayer de comprendre ces différences au lieu de les stigmatiser. « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » demeure un garde-fou essentiel, de sorte que l’internationaliste cède volontiers aux charmes de l’anthropologie juridique. Droz exposait ainsi que des règles jugées par un esprit européen discriminatoires peuvent avoir leur « raison et leur génie propre ». Par exemple, « si le droit Kabyle (tel que le respectait le système interpersonnel en vigueur dans les départements français d’Algérie) rendait la femme incapable d’hériter de la terre, c’était que le terre était sèche, caillouteuse, extrêmement difficile à travailler et que l’on considérait que seuls les hommes pouvaient, à force de labeur, lui faire produire des fruits. Dans certaines communautés africaines où le droit successoral est de type avunculaire, lorsqu’un homme meurt, son troupeau et ses femmes sont partagés entre ses frères. Selon la règle tribale, les femmes jeunes qui peuvent travailler tombent dans l’actif successoral au même titre que les bêtes du troupeau. La règle peut faire sourire mais elle prend tout son sens lorsque l’on sait que la même règle tribale veut que les veuves qui ne peuvent pas travailler tombent dans le passif de la succession et, au lieu de mourir de faim, sont prises en charge et nourries jusqu’à leur mort par les mêmes héritiers au prorata de leur part respective»[6]. Que cette anthropologie séduise ou irrite, elle a l’avantage de révéler que le droit doit nécessairement être contextualisé. Tel est finalement le programme classique poursuivi par le droit international privé avec le principe de proximité consistant à soumettre une relation à l’ordre juridique avec laquelle elle présente les liens les plus étroits ou à accepter qu’une décision étrangère puisse produire effet en France lorsqu’elle émane d’une juridiction proche du litige. La volonté de respecter l’immersion socio-juridique des situations doit-elle rendre la discipline totalement hostile au jeu des droits fondamentaux au prétexte qu’il s’agirait de droits « venus de nulle part, de droits qui n’ont ni histoire, ni territoire : ils ont surgi d’abstractions »[7] ? Aucun auteur n’est évidemment aussi radical, mais tous s’accordent à considérer qu’il ne faut pas abdiquer l’effort de compréhension des autres systèmes. Reste à se demander si l’effort de contextualisation traditionnellement attaché au droit international privé résistera aux mutations de la société internationale. Le phénomène de mondialisation ne devrait-il pas se solder par la création d’un espace juridique transcendant les frontières dans lequel les droits fondamentaux pourraient prospérer ? Cette perspective demeure encore éloignée de la matière familiale tant les Etats restent attachés à leurs conceptions. Institution universelle, le mariage peut être monogamique ou polygamique, ouvert aux homosexuels ou réservé aux hétérosexuels….
Universalisme contesté – Par ailleurs, ce relativisme est renforcé par le droit des droits fondamentaux lui-même. Comme chacun sait, en effet, si « les droits de l’homme sont (…) un universalisme (ils s’adressent à tous les hommes, sans distinction), ils ne sont pas universels »[8]. Il y a là un constat que le juge français peut dresser chaque fois qu’il se trouve aux prises avec une norme étrangère émanant d’un pays ayant une autre conception des droits fondamentaux (ou une autre lecture de droits fondamentaux identiques).
Dans les systèmes musulmans, la progression des droits de l’homme en matière familiale est régulièrement bridée par les courants traditionalistes et conservateurs qui récusent leur universalité. Les droits fondamentaux qui figurent dans les déclarations universelles seraient d’abord l’expression d’une culture occidentale et n’auraient nullement vocation à être reçus en dehors de celle-ci. Leur promotion dans les systèmes européens aurait conduit, au surplus, à une dislocation de la famille qu’il n’y a pas lieu d’importer au sein des sociétés musulmanes[9]. Aussi, à ces droits prétendument universels, l’on préférera opposer une « conception particulariste » des droits de l’homme qui paraît plus respectueuse des identités culturelles[10]. Seront ainsi valorisées, la Charte arabe des droits de l’homme ou la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam établie sous l’égide de la Conférence islamique, qui rattache l’ensemble de ceux-ci aux dispositions de la charia, laquelle constitue au surplus l’unique référence pour leur interprétation (Décl. du Caire sur les droits de l’homme en islam, art. 24 et art. 25)[11]. Dès lors, refuser la norme étrangère (loi ou jugement) en excipant les droits fondamentaux illustre ostensiblement que l’universalité à laquelle prétendent ces droits n’est pas acquise.
En 1948, la Cour de cassation avait assumé ce « particularisme » des droits fondamentaux. Se risquant à définir l’exception d’ordre public, elle avait ciselé cette formule bien connue : une disposition étrangère doit être évincée dès lors qu’elle heurte les « principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue »[12]. En fécondant l’exception d’ordre public avec les droits fondamentaux, les juridictions françaises s’exposent donc au grief d’européo-(ou d’occidentalo-centrisme) » consistant à affirmer que la conception occidentale des droits de l’homme a vocation à l’universalité. Il y a une invitation à la mesure dans l’usage des droits fondamentaux en présence d’une discipline qui refuse, au moins dans ses prémisses, l’idée d’une hiérarchie entre les systèmes juridiques nationaux.
Antinomie insurmontable ? – A ce stade, on perçoit bien qu’il y a une antinomie entre, d’un côté, la défense de l’universalité des droits fondamentaux risquant de favoriser un nouveau cloisonnement des systèmes juridiques de traditions différentes et, de l’autre, l’esprit du droit international privé favorable à la découverte de passerelles entre ces systèmes.
Plan – A la recherche d’un compromis, le droit positif est balbutiant, hésitant et, parfois, contradictoire. Il en résulte des incertitudes qui autorisent une démonstration à double détente. Après avoir souligné que l’universalité des droits fondamentaux est cantonnée par le droit international privé (I), il faudra se demander si ce cantonnement ne révèle pas une hiérarchie des droits fondamentaux (II).
I – L’universalité des droits fondamentaux cantonnée par le droit international privé
Ce cantonnement souffre de rares contre-exemples ; l’honnêteté intellectuelle commande de les exposer en premier pour les contrebalancer par les nombreux exemples contraires. Aussi bien faut-il souligner que l’universalité des droits fondamentaux est exceptionnellement relayée (A) pour ensuite constater qu’elle est généralement éclipsée (B).
A – L’universalité des droits fondamentaux exceptionnellement relayée
Ces rares contre-exemples ont laissé la doctrine perplexe, sinon critique, car ils se sont traduits par un abandon des méthodes traditionnelles du droit international privé. A l’objectif d’assurer une juste répartition entre les juridictions et droits nationaux, s’est substitué celui de défendre l’universalité d’un droit fondamental.
Esclavage domestique – La meilleure illustration de cette substitution est offerte par l’arrêt Époux Moukarim c. Demoiselle Isopehi [13]. En vertu d’un « contrat de travail» signé par sa famille, une jeune nigériane était placée au service d’un employeur britannique habituellement résident au Nigeria. Le contrat prévoyait que la famille ne pouvait mettre fin à la « relation contractuelle » sans rembourser l’employeur des frais engagés par lui ; que la jeune fille était tenue de suivre son employeur à l’étranger sans pouvoir revenir dans son pays sans l’accord de celui-ci ; que son salaire, enfin, de 25 € par mois, ne serait pas versé lors des séjours hors du Nigeria. Lors de ces séjours, l’épouse de l’employeur retenait, d’ailleurs, le passeport de la jeune fille. Profitant d’un voyage en France, la jeune fille s’est échappée et a engagé des poursuites, devant le Conseil de prud’hommes, contre son employeur. Pour se défendre, l’employeur emprunta la logique du droit international privé. Il contestait tant la compétence des juridictions françaises que l’application de la loi française, au motif que les rattachements avec la France étaient très faibles. Ainsi mettait-il en avant que le lieu d’exécution habituelle du contrat, la résidence des parties ainsi que tous les autres critères de localisation de la situation en cause étaient situés au Nigeria. Le passage en France n’était que temporaire et insusceptible, selon lui, de modifier la localisation du lieu d’exécution habituelle du travail. L’argumentation est balayée par la Cour de cassation : « l’ordre public international s’oppose à ce qu’un employeur puisse se prévaloir des règles de conflit de juridictions et de lois pour décliner la compétence des juridictions nationales et évincer l‘application de la loi française dans un différend qui présente un rattachement avec la France et qui a été élevé par un salarié placé à son service sans manifestation personnelle de sa volonté et employé dans des conditions ayant méconnu sa liberté individuelle ». C’est dire que la volonté de sanctionner une situation d’esclavage domestique conduit, sous couvert de l’ordre public, à affirmer à la fois la compétence des tribunaux français et de la loi française. Et même si la Cour de cassation ne peint pas explicitement l’ordre public aux couleurs des droits fondamentaux (alors que plusieurs références pouvaient être envisagées[14]), cet ordre public défend bien ici une des « valeurs essentielles de toute société démocratique »[15]: la prohibition de l’esclavage. Cet ordre public (conçu par le communiqué de la Cour de cassation comme « un ordre public véritablement international, qui pourrait être tout autant dit transnational ou universel ») s’éloigne très largement de la fonction habituelle dévolue à l’exception d’ordre public en droit international privé. Au lieu d’évincer une norme étrangère jugée choquante, l’ordre public évince ici les raisonnements conflictuels destinés à fonder la compétence des juridictions françaises et à déterminer la loi (française ou étrangère) applicable.
Extension de la compétence juridictionnelle – S’agissant de la compétence juridictionnelle, on comprend l’objectif de la Cour de cassation : donner une compétence exorbitante à l’ordre juridique français pour permettre la sanction d’une situation moralement inacceptable, qui ne trouverait peut-être pas de réponse dans l’ordre juridique normalement compétent. Dans cette perspective, la Cour de cassation aurait pu essayer de fonder la compétence française sur un risque de déni de justice. Connu du droit international privé, ce critère de compétence aurait alors eu une physionomie particulière. L’accès à la juridiction française ne supposerait pas de démontrer l’impossibilité manifeste de saisir une juridiction étrangère, mais plutôt l’incapacité de la juridiction étrangère la plus proche de la situation à défendre un droit fondamental. C’est dire que l’expansionnisme de la compétence française aurait explicitement conduit à un jugement de valeur portant sur l’aptitude de l’ordre juridique étranger à assurer l’effectivité et donc l’universalité du droit en cause.
Application directe des droits fondamentaux – Dans l’ordre de la compétence législative, le raisonnement de la Cour de cassation illustre la thèse de l’application directe et immédiate des droits fondamentaux. Selon cette thèse, les droits fondamentaux devraient être appliqués directement et immédiatement par le juge du for aux situations présentant des éléments d’extranéité. Les droits fondamentaux ne seraient alors pas intégrés à l’exception d’ordre public pour faire échec à l’application d’une norme étrangère qui les heurte ; ils devraient être mis en œuvre immédiatement sans considération de la loi désignée par la règle de conflit. L’arrêt Moukarim se situe bien dans cette perspective puisqu’il exclut l’appel à la règle de conflit (désignant vraisemblablement la loi nigériane) au profit de la mise en œuvre du droit français, seul censé être apte à assurer la prohibition de l’esclavage domestique. Cherchant à rapprocher cette thèse d’une méthode connue, les auteurs observent que l’application directe et immédiate des droits fondamentaux évoque le mécanisme des lois d’application nécessaire ou lois de police. L’impérativité des droits fondamentaux justifierait leur mise en œuvre sans passer par la médiation de la règle de conflit. Encore faut-il bien comprendre les conséquences de cette méthode sur le terrain de l’universalité des droits fondamentaux. A s’inspirer du mécanisme des lois de police, l’application directe des droits fondamentaux devrait être cantonnée par l’existence d’un rattachement avec la France. Dans l’arrêt Moukarim, la Cour de cassation affirme bien l’existence « d’un rattachement du différend » à la France. Il ne peut alors s’agir que du séjour temporaire de la jeune-femme. Plus que ce rattachement ténu, c’est vraisemblablement la gravité de l’atteinte à la liberté individuelle qui a justifié l’extension de la compétence législative, comme juridictionnelle, française. Finalement la valeur du droit fondamental en cause semble bien décisive de la volonté française de s’approprier (juridictionnellement et législativement) ce différend afin de garantir l’universalité de la prohibition de l’esclavage domestique.
Autres illustrations ? – Sans doute parce que les tribunaux français rencontrent rarement des droits « aussi essentiels » dans des litiges intéressant les relations privées internationales, rares sont les autres décisions qui laissent apparaître un abandon (ou un renouvellement ?) des méthodes du droit international privé. Les autres hypothèses d’altération ou d’abandon des raisonnements habituels au profit de la défense de l’universalité des droits fondamentaux prêtent à discussion.
Répudiations – Tel a été le cas dans le contentieux de la réception des répudiations musulmanes. Dans plusieurs arrêts de principe[16], la Cour de cassation a semblé céder à la thèse de l’application directe des droits fondamentaux en affirmant, dans la ligne de l’article 1er de la Convention EDH, que la France s’est engagée à garantir le principe d’égalité des sexes « à toute personne relevant de sa juridiction ». A suivre ce motif la seule saisine d’une juridiction française (d’une action en inopposabilité d’une répudiation prononcée à l’étranger) justifierait la défense du droit fondamental à l’égalité des sexes lors de la dissolution du mariage. Paraissant défendre l’universalisme des droits fondamentaux et laissant à penser que la France se propose comme un asile juridique pour les femmes répudiées, ce motif n’a pas, en réalité, une telle portée. Comme on le verra, la Cour de cassation restreint en réalité la défense du principe d’égalité des sexes par le truchement de l’ordre public de proximité.
Changement de sexe – Tel a été le cas dans un arrêt bien connu dans lequel la Cour d’appel de Paris[17] déclara recevable une action en changement de sexe à l’état civil engagée par un Argentin aux motifs que la Convention européenne, dont l’article 8 tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg consacre le droit de changer de sexe, est « d’application directe en droit français », que « la matière des droits de l’homme est d’ordre public et que la protection de ces droits doit être assurée tant à l’égard des nationaux qu’à l’égard des ressortissants des Etats non parties s’ils sont domiciliés sur le territoire national » et ceci « sans considération du statut personnel de l’intéressé ». Pour atteindre le même résultat, le raisonnement ordinaire aurait conduit au jeu de l’exception d’ordre public afin d’évincer la loi argentine désignée (car le sexe, élément de l’état civil, relève en France de la loi nationale de l’intéressé – C. civ. art. 3, al. 3) interdisant le changement de sexe. Les juges parisiens avaient subsidiairement évoqué ce raisonnement mais ils avaient privilégié la méthode précitée qui semblait bien faire du droit au changement de sexe une loi de police applicable à tous les transsexuels…mais à condition qu’ils soient domiciliés en France.
Universalité rarement relayée – A la recherche de jurisprudences relayant l’universalité des droits fondamentaux, la récolte demeure assez maigre. Les rares hypothèses dans lesquelles les juridictions françaises se sont écartées des méthodes répartitrices habituelles au profit de l’application directe des droits fondamentaux ne suffisent pas à caractériser une révolution des raisonnements. Jurisprudence exceptionnelle liée au fort degré d’impérativité du droit en cause (esclavage domestique), effet d’annonce non suivi (en matière de répudiation), rédaction audacieuse mettant finalement en exergue l’importance du critère domiciliaire dans une affaire où le critère de la nationalité paraissait réellement inopportun (cas du transsexuel argentin), cette collation d’arrêts ne permet pas de dégager un véritable renouvellement des méthodes destiné à défendre l’universalité des droits de l’homme. Au contraire, le droit international privé a su absorber les droits fondamentaux dans sa logique répartitrice, quitte à éclipser leur universalité.
B – L’universalité des droits fondamentaux généralement éclipsée par le droit international privé
Absorption dans l’exception d’ordre public – L’universalité des droits fondamentaux est éclipsée par le droit international privé dès lors que celui-ci les a « absorbés » dans l’exception d’ordre public international.
Ordre public international mais pas universel – Une première mise en garde bien connue s’impose : le terme d’ordre public international ne doit pas égarer. Sauf rare hypothèse comme celle signalée par la Cour de cassation dans son communiqué relatif à l’arrêt sur l’esclavage domestique, l’expression d’ordre public international est trompeuse. Si on excepte cet arrêt marginal, les juges ont nécessairement conscience de la relativité objective des valeurs défendues par l’ordre public, y compris lorsque celui-ci est nourri par les droits fondamentaux. Comment pourrait-il en être autrement dès lors que le refus de faire jouer une loi étrangère ou d’accueillir une décision étrangère révèle ostensiblement que le droit du for et le droit étranger ne partagent pas les mêmes valeurs ? C’est dire que le recours à l’ordre public – assurant selon la formule parfois utilisée aujourd’hui par la Cour de cassation les principes essentiels du droit français – consacre « une solution plutôt particulariste qu’universaliste »[18].
Défense de l’universalité par l’ordre public – Mais une chose est de dire que l’intervention de l’ordre public révèle clairement que l’universalité des droits fondamentaux n’est pas …universelle ; une autre est de savoir si les juges doivent s’engager dans la défense de cette universalité en sanctionnant systématiquement les normes étrangères bafouant des droits considérés comme fondamentaux par l’ordre juridique français et/ou européen et/ou occidental. Et c’est sur ce dernier point que le jeu de l’exception d’ordre public pourra décevoir les partisans d’une promotion de l’universalité des droits fondamentaux.
Dimension psychologique ? – Pour le comprendre, il faut rappeler que l’internationaliste privatiste est naturellement réticent à l’égard de ce correctif. « Au vrai » a pu écrire Francescakis, « il y a toute une psychologie à faire de cette irritation commune que les internationalistes – ceux du monde entier – éprouvent vis-à-vis du caractère envahissant de l’ordre public une fois que l’on a admis le principe de son intervention, même exceptionnelle. On se dit que, selon la logique inhérente à la règle de conflit, la loi du for, la loi française en France, est placée sur un plan d’égalité avec la loi étrangère. C’est abolir cette égalité que de trop souvent la rompre. Ce n’est plus jouer le jeu, c’est renverser les pions. C’est le coup d’Etat permanent contre la règle de conflit. On est d’ailleurs d’autant plus vexé que la formulation, puis la mise en œuvre de la règle de conflit traduisent parfois des principes d’ingéniosité dont on aurait pu être fier sans ce malheureux ordre public »[19]. Outre le principe de l’égalité du droit français et des droits étrangers, cette réticence repose aussi sur des données objectives : faire jouer l’exception d’ordre public se solde généralement par la création d’une situation boiteuse, c’est-à-dire par une atteinte à l’ambition prioritaire du droit international privé.
Facteurs de relativisation – Pour ces différentes raisons, chacun est convaincu que l’exception d’ordre public doit rester d’un usage…exceptionnel. Pour atteindre ce résultat, doctrine et jurisprudence ont dégagé plusieurs facteurs de relativisation de l’exception d’ordre public international. Et, dès lors que les droits fondamentaux sont intégrés dans l’exception d’ordre public, ils sont eux-mêmes sujet à relativisation. Autrement dit, l’absolutisme, comme la vocation universelle, des droits fondamentaux est amoindri lorsqu’ils sont uniquement conçus comme l’expression de valeurs qui viennent féconder l’exception d’ordre public. Enumérons, à présent, les différents facteurs de relativisation sous l’angle de leur propension à contrarier la vocation universelle des droits de l’homme.
1/ La considération des droits en présence
Il s’agit d’un passage obligé dans le mécanisme de l’exception d’ordre public. Même si le garde-fou est conditionné par d’autres facteurs (v. infra), il comporte toujours sur un jugement de valeur sur la norme étrangère (jugement généralement guère développé par les juges français pour des raisons élémentaires de courtoisie internationale). Ce jugement sera réalisé à l’aune des principes essentiels de l’ordre juridique français dans lesquels s’intègrent les droits fondamentaux.
Droits fondamentaux nécessairement intégrés dans l’ordre public international ? – Pour la détermination de ces principes essentiels, il faut se garder, enseigne-t-on habituellement, de confondre ordre public interne et ordre public international. Dans la même veine pédagogique, il est alors précisé que tout ce qui est d’ordre public interne n’est pas d’ordre public international. Et pour ceux qui auraient besoin d’imager cette formule, il n’est pas rare que l’enseignant sacrifie (jadis avec sa craie, aujourd’hui avec un powerpoint) à la figure des cercles concentriques afin de faire comprendre que l’ordre public international est un noyau dur de l’ordre public interne. Ces précisions pourraient sembler inutiles : est-il concevable que certains droits fondamentaux n’intègrent pas ce noyau dur ? Certains s’interrogent néanmoins. On sait que dans une vision très critique, il a été reproché à la Cour européenne « d’être sortie de son lit »[20] de sorte que « nombre de règles aujourd’hui couvertes par l’étiquette des droits de l’homme sont des créations totalement artificielles, commandées non par la nature de l’homme mais par le « prêt à penser » ambiant »[21]. Fondé sur l’inflation des droits fondamentaux conférant un caractère artificiel aux plus récents d’entre eux, cet argument n’a évidemment jamais été invoqué par les juridictions afin de justifier des atténuations à leur universalisme. Celles-ci se gardent bien d’engager un tel débat. Et si la jurisprudence ne traite pas identiquement tous les droits fondamentaux (v. infra), ce traitement différencié passe par d’autres facteurs de relativisation. Bref, la disqualification de certains droits fondamentaux n’est jamais ostensible de sorte qu’il est possible d’affirmer que ceux-ci font bien partie de l’ordre public international français et que les restrictions qui leur sont faites ne reposent pas – au moins ostensiblement – sur une appréciation de leur valeur.
Prise en compte du caractère systémique du droit étranger ? – La considération globale des droits étrangers est-elle susceptible, pour sa part, de justifier une paralysie des droits fondamentaux ? Il y a là un intéressant débat qui a été dernièrement illustré par la réception du Code marocain de la famille de 2004. Sous l’expression neutre de « divorce sous contrôle judiciaire », ce Code consacre toujours une faculté de répudiation unilatérale réservée au mari. Mais il comporte aussi un divorce pour faute réservé à la femme ainsi qu’un divorce égalitaire pour cause de discorde. S’agissant d’apprécier la contrariété à l’ordre public français du divorce sous contrôle judiciaire prononcé à l’étranger, la question a été posée de savoir si cette appréciation devait être limitée au cas de divorce discutée devant la Cour de cassation ou s’il fallait prendre en considération l’intégralité du système juridique étranger. Dans cette seconde perspective, le principe d’égalité des sexes lors de la dissolution du mariage pourrait être écarté selon deux raisonnements.
Le premier consiste à retenir une approche globale du droit marocain du divorce. À défaut d’identité des prérogatives masculines et féminines, il faudrait rechercher s’il existe entre elles un équilibre. Plutôt que de prendre chaque cas de divorce pour se demander s’il est identiquement ouvert aux deux sexes, il conviendrait ainsi de raisonner globalement et de dire, par exemple, que la répudiation (prérogative du mari) d’un côté est équilibrée par le divorce pour faute de l’autre (ouvert exclusivement à la femme)[22].
Le second constitue un affinement du premier. Il consiste à soutenir qu’il existe, désormais, un cas de divorce, ouvert à la femme, équivalent à la répudiation masculine[23] Selon M. Zaher, la répudiation – sous la forme du divorce sous contrôle judiciaire – devrait désormais être accueillie en France dès lors que la femme marocaine dispose, depuis la réforme de 2004, du divorce pour discorde. Fondé sur la mésentente des époux, ce cas de divorce est ouvert au mari comme à la femme. Mais, pour la femme, il consacre, selon cet auteur, « un droit équivalent à la répudiation masculine », car la jurisprudence marocaine a considéré « que la discorde entre époux se trouve caractérisée par la seule volonté de la femme de se séparer de son mari »[24] (K. Zaher, art. préc., spécialement p. 319). Il en résulte que le législateur marocain, suivi par les juges du Royaume, aurait procédé à une discrète bilatéralisation de la répudiation.
Pareille thèse est stimulante car respectueuse du caractère systémique du droit étranger. On l’avait déjà trouvée sous la plume de Droz nous exposant que l’incapacité successorale des femmes était « compensée » par l’obligation faites aux successibles mâles d’assumer leur entretien (v. supra). En matière de responsabilité parentale, le principe d’égalité des parents pourrait être éclipsé au profit de l’admission des systèmes musulmans classiques qui, fondés sur l’idée de complémentarité des rôles parentaux, dissocient les prérogatives masculines et féminines (à la mère le droit de couver l’enfant avec la hadana ; au père les véritables choix éducatifs avec la wilaya). Poussé à l’extrême, l’effort de compréhension pourrait même conduire à défendre l’accueil de la polygamie en ce qu’elle serait « un rempart » contre la répudiation de la première épouse… Reste que cette attention à la logique d’ensemble des systèmes étrangers est aux antipodes de la logique subjective des droits fondamentaux…
Cette appréciation globale des systèmes étrangers n’a, du reste, jamais été ostensiblement consacrée par la Cour de cassation[25]. Elle l’a même condamnée – avec une grande économie de motifs – concernant les dernières réformes magrébines du divorce. Que le droit algérien réformé ait favorisé l’accès au divorce des femmes en leur réservant des cas de divorce n’empêche pas que « la décision algérienne, prise en application de l’article 48 du Code de la famille algérien, non modifié par la réforme de 2005, » constatant « la répudiation unilatérale et discrétionnaire par la seule volonté du mari » est « contraire au principe de l’égalité des époux lors de la dissolution du mariage, quelles que soient les nouvelles voies de droit ouvertes à l’épouse pour y parvenir » (italiques ajoutés)[26]. De même, le divorce sous contrôle judiciaire marocain a été assimilé à une répudiation et jugé contraire à l’ordre public français sans aucune attention à un moyen proposant de rechercher « si les différentes procédures de divorce prévues par le code de la famille marocain du 5 février 2004 et ouvertes, selon les cas, à l’époux ou à l’épouse, n’assurent pas, globalement, une égalité des époux lors de la dissolution du mariage »[27]. C’est dire que la prise en compte globale des droits étrangers n’est guère utilisée pour contrarier le jeu des droits fondamentaux. Avec cette tendance, le juge français cantonne son rôle. Il ne s’érige pas en fin comparatiste cherchant si derrière l’inégalité apparente ne se cache pas une égalité effective ou, plus exactement, un équilibre réel, entre les droits des uns et des autres (la tâche serait d’ailleurs très lourde et périlleuse qui consisterait, par exemple, à découvrir si, sociologiquement et judiciairement, le divorce pour discorde est bien pour la femme marocaine l’équivalent de la répudiation masculine). C’est dire que le juge français n’est pas juge de l’ensemble du système étranger mais de la seule règle étrangère (dans l’exemple développé du seul cas de divorce) mobilisée par le litige.
Cette manière d’appréhender le droit étranger est un second facteur de relativisation de l’exception d’ordre public qui, quant à lui, contrarie sensiblement la propension du droit international privé à défendre l’universalisme des droits fondamentaux.
2/ La nécessaire considération des circonstances de l’espèce
Ceci est clairement défendu par MM. Lagarde et Batiffol. Pour eux, « c’est moins la loi étrangère en elle-même, dans l’abstrait, qui doit heurter l’ordre public du for, que le résultat de son application concrète dans un litige »[28]. Autrement dit, l’appréciation de la loi étrangère ne doit pas s’opérer in abstracto – au regard de son contenu – mais in concreto, c’est-à-dire au regard du résultat qu’elle produit dans une espèce donnée. Une telle directive est fréquemment illustrée par la jurisprudence. Rien de plus naturel car le juge français ne statue pas, comme on l’a dit, sur un système étranger mais sur une affaire. Sa démarche n’est pas alors éloignée de celle du juge européen des droits de l’homme qui, enseigne-t-on, ne poursuit pas la condamnation des systèmes nationaux mais recherche si leur application, dans une espèce donnée, n’emporte pas violation d’un droit fondamental.
La polygamie – La prise en considération des circonstances du litige, ainsi que des prétentions des parties, trouve une illustration caractéristique concernant la réception de la polygamie. Il est évident que l’institution est en elle-même contraire aux droits fondamentaux occidentaux (égalité des sexes et dignité de la femme). Et cette contrariété n’a pas été amoindrie par les évolutions du droit français. Que le droit interne français se soit libéralisé ou retiré, qu’il admette de faire produire des effets à une seconde union de fait vécue en marge d’un mariage (disparition du « statut » d’enfant adultérin, octroi de dommages et intérêts à la concubine et à l’épouse en cas de décès accidentel de « l’homme partagé », licéité et absence de contrariété à l’ordre public de la donation à la maîtresse…), que la jurisprudence ait majoritairement statué sur des situations dans lesquelles des hommes avaient additionné un engagement matrimonial et un engagement para-matrimonial, n’y changent rien… La polygamie demeure plus que jamais étrangère à nos valeurs puisqu’elle confère le sceau de la légalité à une inégalité entre le sexe : là où l’homme peut avoir légalement (à condition d’en avoir les moyens) jusqu’à quatre épouses, la femme est, quant à elle, « condamnée à la monogamie juridique ». Aucune comparaison n’est donc possible avec les « dérives » du droit français : le concubinage adultérin est ouvert à l’homme et à la femme. Dans ces conditions, la polygamie mérite bien une condamnation de principe d’autant plus que la crainte d’un ethnocentrisme juridique s’édulcore en raison de différentes réformes étrangères essayant de restreindre – par exemple par l’exigence du consentement de la première femme – l’accès à la polygamie. Tout paraît donc converger pour permettre au juge français d’assurer l’universalité du principe d’égalité des sexes. Malheureusement, les condamnations de principe ne résistent pas au nécessaire compromis exigé par les circonstances d’un litige. Si la seconde femme réclame une pension alimentaire[29], des droits dans la succession du conjoint commun[30], des dommages et intérêts en cas de décès accidentel[31] de ce dernier ou le partage d’une pension de réversion[32], la justice élémentaire commandera de reconnaître et de faire produire effet à la polygamie plutôt que de la condamner. Dans ces hypothèses, en effet, laisser libre cours à l’aversion du droit français contre l’institution inégalitaire risquerait de favoriser une nouvelle inégalité, cette fois-ci entre coépouses, et d’aller à l’encontre de l’intérêt de la seconde épouse à laquelle l’esprit occidental tend pourtant à accorder la qualité de victime. Et puisqu’il ne s’agit plus de raisonner de manière désincarnée, il n’est pas interdit de justifier ces solutions avec le pragmatisme ayant justifié la reconnaissance des droits de la concubine adultère en droit français.
Dans d’autres litiges, la question de la polygamie apparaît avec une action en annulation du second mariage. Cette configuration pourrait être plus propice à la défense du droit à l’égalité des sexes. Pour le comprendre, il faut rappeler que l’annulation ne devrait pas entièrement priver la seconde épouse étrangère des droits issus de son second mariage contracté de bonne foi. A supposer que la loi annulant le mariage connaisse cette institution, elle devrait alors bénéficier du mariage putatif. Une affaire récente a révélé la propension des juges français à défendre le principe de l’égalité des sexes. Un Français, marié depuis le 4 avril 1964, épouse en 1971, en Algérie, une autre femme de nationalité algérienne de sorte qu’il devient bigame. Il ne « profite » guère de cet état, car la dissolution du premier mariage est prononcée, en vertu d’un divorce obtenu en 1973. Plus de quarante ans plus tard, les époux assignent le ministère public pour que soit ordonnée la transcription de leur acte de mariage sur les registres consulaires. Les juges du fond l’admettent au motif que l’action (trentenaire) permettant de prononcer la nullité absolue du mariage était prescrite. Ils sont censurés pour avoir statué ainsi, alors que « le ministère public pouvait, en considération de l’atteinte à l’ordre public international causée par le mariage d’un Français à l’étranger sans que sa précédente union n’ait été dissoute, s’opposer à la demande de transcription de cet acte sur les registres consulaires français, la cour d’appel a violé les textes susvisés »[33]. Où l’on voit donc que la Cour de cassation accepte de sanctionner une veille situation de polygamie en refusant la transcription d’un mariage célébré depuis plus de quarante ans alors que l’action en nullité est incontestablement prescrite. Même s’il est incontestable que ce mariage a été contracté par un Français en violation de sa loi nationale prohibant la polygamie, l’opportunité de la solution a été discutée. Le parallèle a nécessairement été fait avec une affaire ayant fait le plus grand bruit, dans laquelle la Cour de cassation a récemment estimé que le prononcé de la nullité d’un mariage incestueux revêtait, à l’égard de l’un des époux, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans[34]? Comment comprendre, s’interroge un auteur, que la persistance de l’inceste puisse ainsi justifier pour la Cour de cassation la validité d’un mariage, tandis que la disparition de la bigamie depuis plus de quarante ans ne parviendrait pas quant à elle à laver la seconde union de sa faute originelle, pareille situation persistant à porter atteinte à l’ordre public international[35] ? Il n’est pas dans notre propos de résoudre ce paradoxe. En revanche, la discussion apporte un bel éclairage sur la capacité du droit international privé à assurer l’universalité des droits fondamentaux.
Relativisme renforcé par le contrôle de proportionnalité ! – Comme on l’a déjà signalé, la matière ne se prête pas à des raisonnements manichéens dès lors que la défense des principes essentiels du droit français peut céder devant des considérations liées aux circonstances de faits, au respect des prévisions et des intérêts des parties. Admise au titre de l’appréciation in concreto de la loi étrangère, cette individualisation de l’exception d’ordre public pourrait se renforcer avec l’avènement du contrôle de proportionnalité que la Cour de cassation se propose d’instiller dans le droit français. Transposé au droit international privé, ce contrôle aura l’avantage de démontrer que la réception des droits fondamentaux expose moins souvent à s’interroger sur leur universalité que sur leur conciliation. Dans l’espèce prise en illustration, une tension s’exerce entre, d’un côté, le droit à l’égalité des sexes, avec son bras armée la prohibition de la bigamie et, de l’autre, le droit au respect de la vie privée et familiale des époux se prévalant d’un mariage illicitement conclu mais sur lequel s’est construit leur couple depuis 40 ans. Dans cette perspective, pour déterminer si le second mariage du polygame, aujourd’hui insusceptible d’être annulé, doit pouvoir être transcrit et opposable en France, ne faudrait-il pas prendre en considération la durée des unions. Si le premier mariage a été rapidement dissous après la célébration du second ne faudrait-il pas admettre l’opposabilité en France du second ? Là encore la question n’appelle pas de réponse de notre part. Il s’agit seulement de souligner que l’appréciation in concreto de la loi étrangère s’harmonise avec la volonté française d’introduire le fait dans le contrôle de conventionalité. Il ne faut pas cacher les conséquences de cette individualisation de l’ordre public. Elle ne favorise pas la prévisibilité de l’exception d’ordre public. Quant au souci de défendre l’universalité des droits fondamentaux, chacun conviendra qu’il n’est guère prégnant dans cette démarche.
La répudiation – Pour se convaincre de la propension de l’appréciation in concreto à cantonner l’universalité des droits fondamentaux, il convient de prendre d’autres exemples. A priori, la répudiation ne pourrait guère si prêter. La contrariété de l’institution à l’ordre public français ne fait pas de doute même si sa justification s’est remodelée avec l’évolution du droit du divorce dans les sociétés occidentales. Aujourd’hui, le caractère discrétionnaire, comme la brutalité de la rupture (d’ailleurs compensée dans certains pays, comme le Maroc, avec l’existence d’une procédure judiciaire et le droit à compensation financière), ne sont plus décisifs de cette contrariété à l’ordre public. Abstraction faite de la question de l’égalité des sexes, la répudiation apparaît, en effet, comme l’expression d’un droit au divorce suffisamment admis en Europe pour qu’il ne provoque pas l’intervention de l’ordre public lorsqu’une loi étrangère lui confère un caractère plus énergique. Si la répudiation heurte toujours l’esprit français, c’est donc uniquement parce qu’elle est perçue (v. cependant, la thèse développée précédemment concernant le droit marocain réformé) comme un monopole réservé au mari de sorte qu’elle contredit le principe d’égalité des sexes. Toujours dans cette perspective, les comparaisons avec la « rupture foudroyante » d’un partenariat (une simple lettre recommandée) ou le « divorce-répudiation » pour altération du lien conjugal ne sont pas fécondes dès lors que peuvent en être victimes aussi bien les femmes que les hommes. Surtout, les circonstances entourant la répudiation prononcée à l’étranger apparaissent insusceptibles de contrarier la propension universelle du principe d’égalité des sexes. Que la femme ait commis des fautes (ce qui sera difficile à établir au regard de la seule décision étrangère en raison du caractère discrétionnaire de la répudiation), qu’elle ait obtenu une solide compensation pécuniaire ne pourraient suffire à édulcorer le caractère discriminatoire de l’institution. Ainsi présentée, le rejet de la répudiation au nom des droits fondamentaux parait beaucoup plus simple à affirmer que celui de polygamie. Cette simplicité peut néanmoins être contrariée par la manière avec laquelle la répudiation se présente à l’ordre juridique français. Ainsi arrive-il que l’opposabilité ou l’exequatur de la répudiation soit sollicité par la femme elle-même. La jurisprudence considère alors que la répudiation n’est plus contraire à l’ordre public français dès lors que la femme est désormais la meilleure juge de ses intérêts et que sa démarche métamorphose la répudiation en une sorte de divorce obtenu par l’un et accepté par l’autre. Le pragmatisme commande également cette jurisprudence qui permet à l’épouse répudiée de faire l’économie d’une nouvelle procédure de divorce engagée en France. Symboliquement, la solution est intéressante puisqu’elle sous-entend que la femme peut renoncer, a posteriori, à son droit à l’égalité des sexes lors de la rupture du couple et ainsi paralyser son universalité.
La responsabilité parentale – En cette matière, la défense de l’universalité des droits fondamentaux a pu être éclipsée concernant la dévolution de « la garde ». Fondés sur le droit musulman classique, nombreux sont les systèmes étrangers qui, comme on l’a dit, confient des rôles différents au père et à la mère. En cas de divorce, cette inégalité perdure et s’y ajoute une méthode de dévolution de la garde surprenante au regard de nos conceptions. Cette méthode repose sur une appréciation in abstracto de l’intérêt de l’enfant se traduisant par une dévolution légale et automatique de la garde avec des critères préétablis liés au sexe des parents et à l’ordre dans la parentèle masculine et féminine. Ainsi, l’article 171 du Code de la famille marocain dispose-t-il que : « La garde est confiée en premier lieu à la mère, puis au père et puis à la grand-mère maternelle de l’enfant ». Un tel système contrarie un fort consensus de la société occidentale : l’obligation d’attribuer la garde en considération de l’intérêt concret de l’enfant, sans discrimination entre les parents. Dans cette veine, le juge européen a affirmé, de longue date, que « l’article 8 (de la Convention EDH) ne reconnaît pas à l’un ou l’autre des parents un droit préférentiel à la garde d’un de ses enfants »[36] Une telle distance de conceptions devrait conduire les juridictions françaises à systématiquement opposer l’ordre public à la loi étrangère bafouant non seulement l’égalité des parents mais aussi le droit de l’enfant à ce que son intérêt concret soit une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant. Pourtant, l’accueil des normes étrangères a donné lieu à une jurisprudence flottante révélant que l’appréciation in concreto de ces normes pouvait réussir le tour de force de ne pas les condamner ostensiblement tout en vérifiant que les droits fondamentaux de chacun n’ont pas été méprisés. Le jugement étranger, appliquant un système mécanique de dévolution de la garde, est ainsi préservé des foudres de l’ordre public si, au cas d’espèce, cette dévolution a produit un résultat identique (par exemple : garde confiée à la mère) à celui qui aurait été obtenu avec la loi française[37]. Autrement dit, l’appréciation in concreto de l’intérêt de l’enfant se fond dans l’appréciation concrète de la conformité à l’ordre public de la norme étrangère telle qu’elle a été individualisée par le juge étranger. Le souci de défendre symboliquement l’universalité des droits fondamentaux est encore aux antipodes de cette démarche. Au contraire, la solution est guidée par un respect des particularismes nationaux. Pour M. Massip, à l’origine de cette jurisprudence, le juge français doit se garder « de faire de notre règle interne (la garde doit être déterminée en fonction du seul intérêt de l’enfant) une règle de portée mondiale, de sorte que l’exequatur devrait être refusé à toutes les décisions qui appliquent des principes différents ». Avec un pragmatisme contrastant avec l’absolutisme des droits fondamentaux, il a également été mis en avant la sagesse consistant à accepter une décision étrangère aboutissant à une solution finalement conforme à notre ordre public. Cet ordre « quelque peu hypocrite »[38] ou « témoignant d’un internationalisme de façade »[39] (Y. Lequette, note préc. ss CA Paris, 1er juill. 1974) a été justement critiqué. En outre, les décisions évoquées sont anciennes et l’on peut penser que la jurisprudence moderne accepterait d’assumer de manière ostensible l’impérialisme de la conception occidentale de l’intérêt de l’enfant et le principe d’égalité entre les parents. Dans cette perspective, la Cour de cassation a affirmé en 2009, qu’un jugement étranger de divorce donnant tous les pouvoirs à la mère, « portait atteinte à des principes essentiels du droit français fondés sur l’égalité des parents dans l’exercice de l’autorité parentale »[40] (Cass. 1re civ., 4 nov. 2009, n° 09-15.302 : JurisData n° 2010-02061 ; D. 2010, p. 2648).
Enlèvement illicite d’enfant – Néanmoins, un arrêt récent[41] révèle que les mécanismes du droit international privé peuvent encore s’opposer à la promotion des droits fondamentaux en matière de responsabilité parentale. Dans cette affaire, il ne s’agissait ni d’accueillir une décision étrangère, ni de mettre en œuvre une loi étrangère désignée par notre règle de conflit. Sur le fondement de la Convention de la Haye de 1980 sur les aspects illicites de l’enlèvement international d’enfants, les juridictions françaises devaient statuer sur une action en remise immédiate d’un enfant prétendument enlevé. La caractérisation de l’enlèvement suppose de constater que l’enfant a été déplacé ou retenu en violation d’un droit de garde. Ce droit peut résulter « d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative ou d’un accord en vigueur selon le droit [de l’État de résidence habituelle de l’enfant antérieurement à l’enlèvement] » (Conv. La Haye, 25 oct. 1980, art. 3 a). Saisi de l’action en remise immédiate concernant un enfant retenu ou déplacé en France, le juge doit donc rechercher comment la garde (entendue en particulier comme le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant selon l’article 5, a) de la Convention de La Haye) est dévolue dans le pays d’origine. En l’espèce, cinq ans après le prononcé d’un divorce marocain par compensation, une Française avait quitté le Maroc pour s’installer en France avec l’enfant commun. L’ex-mari, franco-marocain, concluait à un enlèvement illicite d’enfant. La femme s’y opposait au motif qu’elle disposait d’une garde exclusive, non pas en vertu de la décision marocaine de divorce qui n’avait pas statué sur le sort de l’enfant, mais par application de l’article 171 du Code de la famille précité. Autrement dit, la garde lui appartenait jalousement par le seul effet d’une dévolution ex lege. Reposant sur un ordre de la loi et ne résultant pas d’une appréciation judiciaire de l’intérêt de l’enfant, cette toute puissance maternelle avait froissé les juges du fond. En conséquence, ils avaient déclaré le droit marocain contraire à l’ordre public et lui avaient substitué le principe de coresponsabilité français de sorte qu’ils avaient conclu à un enlèvement par la mère. Pour « muscler » le contenu de l’ordre public international français, ils y avaient expressément intégré l’article 5 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention EDH affirmant l’égalité de droits et de responsabilités des époux lors de la dissolution du mariage. Les juges d’appel sont sèchement censurés aux motifs que « la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ayant pour seul objet d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés illicitement et de faire respecter le droit de garde existant dans l’État du lieu de résidence habituelle de l’enfant, avant son déplacement, le juge de l’État requis doit, pour vérifier le caractère illicite de celui-ci, se borner à rechercher si le parent avait le droit de modifier seul le lieu de résidence de l’enfant pour le fixer dans un autre État ». C’est dire que la Cour de cassation prive radicalement le juge français des enlèvements de la possibilité d’exercer un contrôle de conventionalité, sous couvert de l’exception d’ordre public, du système de dévolution de la garde retenu à l’étranger. Même si elle accorde une toute-puissance à la mère, la loi étrangère ne peut donc pas être écartée de sorte qu’il faudra conclure à un déplacement licite. Aussi surprenante soit-elle, cette solution est conforme à l’économie du droit des enlèvements. Comme y insiste la Cour de cassation dans le motif précité, le rôle du juge de l’Etat refuge est particulièrement limité. Il doit seulement assurer le retour au statu quo ante sans toucher au fond du litige. Dans cette perspective, il ne peut que prendre acte de la dévolution de la garde réalisée à l’étranger sans pouvoir la critiquer. Garant de la coopération internationale nécessaire au fonctionnement du système ce rôle peut, néanmoins, surprendre puisqu’il conduit à relayer des systèmes nationaux de dévolution de la garde entièrement contraires à notre conception des droits fondamentaux au sein de la famille.
3/ L’existence de liens avec l’ordre juridique français
Universalité frontalement heurtée – Il y a là le facteur de relativisation qui heurte le plus frontalement l’universalité des droits de l’homme. Absorbés dans le mécanisme de l’ordre public certains droits fondamentaux seront plus ou moins énergiquement défendus selon que la situation est proche ou éloignée de l’ordre juridique français.
Ordre public atténué – Ce facteur de relativisation a initialement pris la forme de la théorie de l’ordre public atténué. Selon elle, l’ordre public ne joue pas avec la même force selon qu’il s’agit de créer des droits en France ou seulement de reconnaître des droits acquis à l’étranger. Ainsi, le mariage polygamique régulièrement célébré à l’étranger pourra être reconnu et produire ses effets en France alors qu’un tel mariage ne pourrait y être célébré. La double justification de cette théorie, susceptible de paralyser un droit fondamental, répond à un pragmatisme qui heurte frontalement l’idée de promotion des droits fondamentaux.
D’une part, elle est justifiée par un facteur spatial : « l’opinion public est moins sensibilisée à l’efficacité d’un acte réalisé à l’étranger qu’elle ne le serait à la reconnaissance de la liberté d’accomplir en France dans la vie internationale ce qui est interdit dans la vie interne »[42]. Cette première justification révèle que l’ordre public a été initialement conçu comme un instrument de protection de la société française. Il ne s’agit en aucun cas d’exporter des valeurs fondamentales, mais de protéger la société nationale contre l’effet perturbateur que pourrait avoir la création en France de situations heurtant la sensibilité française. Corrélativement lorsque le rapport juridique est né à l’étranger de sorte que la société française n’est guère concernée, l’intervention de l’ordre public « reviendrait à condamner en elles-mêmes les valeurs reçues par la société étrangères »[43]. Ainsi cantonnée l’exception d’ordre public ne peut guère être le vecteur de la défense de l’universalisme de certains droits inhérents à la personne humaine.
D’autre part, elle est justifiée par un facteur temporel : le respect des droits acquis. L’ordre public risque en effet de déjouer les prévisions des parties qui ont fondé leur rapport juridique en un lieu où l’ordre public ne s’y opposait pas. Ainsi refuser de reconnaître la répudiation d’une femme prononcée à l’étranger pourrait conduire la considérer comme bigame si elle a contracté un nouveau mariage. Appliquée aux droits fondamentaux, cette justification est aussi un contredit à leur protection universelle. Cette universalisme ne résiste pas à l’écoulement du temps et au fait que ce qui constitue à nos yeux une violation des droits fondamentaux n’était que l’exercice d’une prérogative admise dans une société étrangère qui, par hypothèse, n’a pas un droit de la famille construit sur le principe d’égalité des sexes.
Détournement de l’ordre public atténué – Mais le postulat de la théorie de l’ordre public atténué s’est largement effondré en raison de l’évolution sociologique de l’immigration marquée par une forte sédentarisation des étrangers en France ainsi que des progrès des moyens de communication. Désormais le fait qu’une situation ait été acquise en pays étranger ne permet plus de présumer qu’elle avait à l’époque de sa création peu de liens avec la vie juridique française. De fait, la théorie de l’ordre public atténué permettait aux étrangers de retourner brièvement dans leur pays d’origine afin d’y créer des situations – répudiation, mariage polygamique – qu’ils n’auraient pu constituer directement dans leur pays de résidence et de se prévaloir ensuite de celles-ci sous couvert d’un détournement de la théorie de l’ordre public atténuée. Pareilles tentatives révèlent la faiblesse des systèmes nationaux confrontés au phénomène de la mondialisation et à la propension des individus à mettre en concurrence et à profit la pluralité d’ordres juridiques nationaux. Cette nouvelle donne aurait pu favoriser un essor de l’universalisme des droits fondamentaux conçus comme une ultime emprise juridique sur des individus projetés dans un espace juridique qui transcende les frontières nationales.
Ordre public de proximité – Le droit international privé a préféré conserver sa logique de cantonnement des droits fondamentaux en conditionnant leur intervention, sous le manteau de l’exception d’ordre public, à l’existence d’un lien avec l’ordre juridique français. Tel a été l’objectif de la théorie de l’ordre public de proximité qui coexiste avec celle de l’effet atténué.
Cette nouvelle conception dépasse la première en ce que la relativité de l’ordre public n’est pas seulement fonction du lieu de création de la situation. Il faut, en effet, ajouter un ensemble de circonstances, appréciés au cas par cas, qui contribuent à rattacher au territoire du for une situation et à révéler ainsi l’atteinte à l’ordre public du for provoquée par l’application de loi étrangère ou la reconnaissance du jugement étranger. Les facteurs de proximité retenue par la jurisprudence sont d’ordre judiciaire et/ou personnel.
La répudiation – Depuis 2004[44], la Cour de cassation stigmatise la contrariété des répudiations prononcées à l’étranger à l’ordre public en se référant au principe d’égalité des sexes lors de la dissolution du mariage posé à l’article 5 du protocole additionnel n°7 à la Convention EDH. Mais ce rejet de la décision étrangère est subordonné à la nationalité française ou à la domiciliation en France de la femme. Même si la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion de le préciser : un lien de même nature avec un Etat, attaché comme la France à l’égalité dans la dissolution du mariage, devrait aussi justifier l’intervention de l’ordre public de proximité. Avec cette construction, l’universalisme des droits fondamentaux est donc cantonné puisque l’égalité des sexes ne sera défendue que sous condition que le couple soit immergé (par la résidence ou la nationalité) dans une société partageant la conception occidentale des relations familiales. L’importance de ce cantonnement est sujette à discussion. De deux choses l’une, en effet, ou bien les liens de la situation avec la France doivent être appréciés au jour où la reconnaissance de la répudiation est demandée en France. Il y aurait là une concession faite à l’idée d’universalité des droits fondamentaux puisqu’une femme pourrait se prévaloir de son droit à l’égalité des sexes pour remettre en cause une répudiation survenue à une époque où elle n’avait aucun lien avec la société française. Ou bien, les liens avec la situation doivent être appréciés au jour de la répudiation avec cette conséquence qu’une répudiation intervenue des années avant l’installation de la femme en France ou l’acquisition par elle de la nationalité française ne serait pas condamnée au nom de l’ordre public. Le réalisme du droit international privé plaide incontestablement en faveur de la seconde thèse : il n’est guère concevable de condamner a posteriori un mode de dissolution du mariage conforme au droit de la société étrangère dans laquelle le couple était entièrement immergé au jour où il a été mis à profit par le mari. A supposer qu’on adhère à cette idée, il faut convenir qu’elle contredit sensiblement l’idée d’universalité des droits de l’homme. C’est moins la répudiation elle-même qui est condamnée que le comportement du mari qui, en excipant une répudiation obtenue dans le pays d’origine, contredit les valeurs du pays d’accueil. On est bien loin de l’idée d’universalisme des droits de l’homme avec cette démarche destinée à imposer un socle de valeurs essentielles au sein de la communauté des personnes disposant par leur nationalité ou leur résidence d’un lien avec la France.
La polygamie – La polygamie s’est également prêtée à des manifestations de l’ordre public de proximité. La Cour de cassation a ainsi considéré que « la conception française de l’ordre public s’oppose à ce que le mariage polygamique contracté à l’étranger par celui qui est encore l’épouse d’une Français produise ses effets à l’encontre de celle-ci »[45]. Dans cette affaire, mention du second mariage a été supprimé à l’état civil et le partage de la rente alloué au conjoint survivant a été refusé.
Appréciation – Les exemples de la répudiation et de la polygamie permettent de comprendre que l’ordre public de proximité n’est pas un instrument au service de la diffusion des droits fondamentaux mais plutôt un moyen pour l’Etat de protéger ses ressortissants ou les personnes résidant sur son territoire. Cette appropriation des droits fondamentaux pour la défense de la souveraineté française pourrait être édulcorée si la Cour de cassation avait l’occasion de préciser que l’exception d’ordre public n’est pas seulement subordonnée à la proximité de la situation avec la société française. Un rattachement à un autre Etat membre du Conseil de l’Europe par exemple devrait, en effet, entraîner la mise en œuvre du garde-fou, particulièrement lorsque la jurisprudence puise dans la Convention EDH les valeurs dont elle assure le respect. La vocation universelle serait au moins remplacée par une vocation régionale…
Droit à l’établissement de la filiation (limite à l’ordre public de proximité) – Le droit à l’établissement de la filiation a illustré les limites de l’ordre public de proximité. Susceptible d’être fondée sur l’article 8 de la Convention EDH, ce droit n’est pas absolu. Traditionnellement il est restreint par le jeu de fins de non-recevoir et de la prescription, encore que la Cour européenne soit en train de faire voler en éclats les systèmes nationaux à cet égard. Il peut aussi connaître des exceptions (par exemple en France pour l’établissement de la seconde filiation de l’enfant incestueux, pour l’établissement de la filiation maternelle de l’enfant né sous X…). Par opposition, les droits musulmans connaissent une prohibition générale et absolue interdisant à l’enfant hors mariage d’établir sa filiation paternelle. Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a jugé que « si les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont, en principe, pas contraires à la conception française de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France, du droit d’établir sa filiation »[46]. A l’origine cette jurisprudence n’a pas prêté à la critique sans doute parce qu’elle concernait un enfant français qui, en conséquence, a bénéficié de l’éviction de la loi étrangère et a pu établir sa filiation. Un arrêt postérieur[47] a illustré le revers de la médaille en présence d’un enfant ni français, ni résident en France, lequel a donc été assujetti à une loi nationale prohibitive et n’a pu établir sa filiation. Cette abstention de l’ordre public pour cause de non-proximité a été approuvée par une partie de la doctrine. Des commentateurs ont vu dans le choix de ce mécanisme « une résistance de la Cour à l’impérialisme des droits fondamentaux »[48] donnant lieu à un compromis satisfaisant entre les droits de l’enfant et le respect des pays de droit musulman[49]. Le recours à l’ordre public de proximité a été approuvé pour des raisons pragmatiques : quel intérêt y aurait-il pour les enfants étrangers résidant à l’étranger à se prévaloir d’un lien de filiation qui ne serait pas reconnu dans leur pays d’origine[50] ? Autrement dit, le titre acquis dans le for aurait constitué, « un leurre pour l’enfant. Au-delà du caractère boiteux du statut, il aurait en effet constitué un titre qui, en Algérie, n’aurait pas permis à l’enfant de revendiquer une identité familiale socialement utile car le statut de la filiation naturelle est dénué de sens dans la culture juridique et sociale coranique, laquelle érige traditionnellement en infraction les relations hors mariage »[51].
Mais des voix se sont élevées en sens contraire. Ainsi Mme Léna Gannagé a perçu l’ordre public de proximité comme un mode de « rayonnement » et « d’expansion » des lois prohibitives qui poursuivent les enfants jusque devant les tribunaux français, conduisant à « une sorte de tyrannie » du droit étranger[52]. L’argument du statut boiteux n’est pas non plus convaincant, car il vaut mieux avoir un père dans un seul pays que pas de père du tout[53]). Qui peut, en effet, douter que les enfants, même étrangers et résidant dans leur pays d’origine, peuvent avoir des avantages – par exemple, disposer d’une vocation successorale, accéder à la nationalité française – à établir une filiation en France, pays dans lequel ils s’installeront peut-être un jour. Sans dire que l’ordre public d’éloignement est une incitation au tourisme sexuel pour les Français pouvant s’adonner en terre d’Islam à une sexualité non protégée et sans risque de paternité forcée, il a été relevé que l’abstention de l’ordre public omettait que la filiation n’était pas seulement un droit pour l’enfant, mais aussi une dette pour un homme de sorte qu’un prétendu père européen ne devait pas pouvoir échapper à sa responsabilité en se prévalant de la loi étrangère de la mère[54]
Concernant le droit ivoirien interdisant à l’enfant adultérin d’établir sa filiation paternelle, un arrêt postérieur de la Cour de cassation[55] a pu être lu comme abandonnant la thèse de l’ordre public de proximité au profit d’une défense universelle du droit à l’établissement de la filiation. Même si la thèse du revirement peut être discutée, on suivra la majorité de la doctrine qui le considère comme acquis.
Bilan – Parvenu à ce stade, on s’aperçoit que la jurisprudence de droit international privé n’est pas monolithique. Parfois la discipline n’est pas insensible à la promotion de l’universalité des droits fondamentaux. Tel est le cas pour la prohibition de la torture ou le droit à l’établissement de la filiation. Ils seront garantis par le juge français sans autre condition que sa compétence internationale (compétence susceptible d’être forcée par un recours inédit à l’ordre public dans le premier cas). D’autres fois, notamment pour le principe d’égalité des sexes, l’absolutisme des droits fondamentaux pourra être contrarié par la configuration de l’affaire ou dépendre de l’immersion des parties dans la société française ou européenne. De même, le droit au changement de sexe est conditionné par la domiciliation en France de l’intéressé (e).
Transition : Ce long panorama des nuances jurisprudentielles nous a semblé nécessaire pour rechercher s’il était possible d’en proposer une systématisation sous le prisme de la vocation universelle des droits de l’homme. Cette reconnaissance à géométrie variable de l’universalité des droits de l’homme laisse-t-elle à penser que certains droits fondamentaux sont plus fondamentaux que d’autres. Le droit international privé révèlerait-il une hiérarchie entre les droits fondamentaux ?
II – Un cantonnement révélateur d’une hiérarchie des droits fondamentaux ?
La proposition d’une hiérarchie des droits fondamentaux applicables dans les relations privées internationales a été critiquée[56]. Elle est néanmoins préconisée aujourd’hui par une importante doctrine. Dans cette étude, la question est désormais la suivante : les variations observées dans la défense de l’universalité des droits fondamentaux reflètent-elles une hiérarchie entre ces droits ? Une réponse négative s’imposera (A). La variabilité est, en réalité, uniquement conditionnée par des critères éprouvés du droit international privé (B)
A – L’universalité à géométrie variable non révélatrice d’une hiérarchie
Reproduction de la « hiérarchie » propre au droit des droits fondamentaux – Même si le mot hiérarchie n’y est guère prononcé, il est acquis qu’il existe une forme de classement des droits de l’homme dans le droit des droits fondamentaux. Celui-ci prend la forme de la distinction entre les droits intangibles et les droits conditionnels[57]. Ainsi la Convention européenne et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 convergent sur quatre droits intangibles et élémentaires (le droit à la vie, le droit de ne pas subir de torture et de traitements inhumains et dégradants, le droit de ne pas être placé en esclavage ou servitude et le droit à la non-rétroactivité de la loi pénale). Ces quatre droits élémentaires forment le « noyau dur » des droits de l’homme, sorte de patrimoine commun de l’humanité. Il s’agit « là des attributs inaliénables de la personne humaine, normes fondamentales bénéficiant à tous et partout, en toutes circonstances »[58]. Par opposition, les autres droits individuels (dits conditionnels) garantis par la Convention et le Pacte sont susceptibles de restrictions et de dérogations de sorte qu’ils bénéficient d’une protection relative. Même si cette distinction entre les droits est souvent exposée sous l’angle d’une différence de régime, nul ne peut contester qu’elle procède, fondamentalement, d’une différence de nature. Les modulations de l’universalité des droits fondamentaux opérées par le droit international privé ne s’inspirent-elles pas de cette hiérarchie ? Dans cette perspective, il a été souligné que le droit (intangible) de ne pas être placé en esclavage était le seul pour lequel les tribunaux français ont accepté d’abandonner toute logique de coordination des systèmes afin de garantir son application universelle. Les autres droits rencontrés par la jurisprudence (égalité des sexes, droit de changer de sexe à l’état civil et, à une époque, droit d’établir sa filiation) ne seraient que conditionnels. Pour eux, les Etats disposeraient d’une marge d’appréciation, susceptible d’altérer leur vocation universelle, pour prendre en compte les spécificités du droit international privé. Mais il n’est pas certain que l’analogie avec la distinction du droit des droits de l’homme suffise à expliquer les différences de traitement entre les droits fondamentaux opérées par le droit international privé. L’analogie est, par exemple, contrariée par l’existence d’autres droits fondamentaux qui rayonnent universellement dans cette discipline sans qu’ils n’entrent dans la catégorie des droits intangibles. Tel est le cas des droits processuels que nous n’avons pas encore rencontrés dans cette étude. Ils apparaissent chaque fois que l’ordre juridique français contrôle, au nom de l’ordre public procédural, la régularité de la décision étrangère dont l’opposabilité ou l’exequatur est sollicité en France. D’une façon générale, la Cour de cassation a précisé que « la contrariété à l’ordre public international de procédure d’une décision étrangère ne peut être admise que s’il est démontré que les intérêts d’une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure »[59]. Ce motif suggère l’importance du rôle joué en la matière par le droit au procès équitable tel qu’il a pu, notamment, être façonné par la Cour européenne des droits de l’homme. Les juges strasbourgeois ont confirmé le caractère insusceptible de transaction des exigences du procès équitable puisqu’ils ont jugé contraire aux exigences de la Convention européenne la procédure canonique d’annulation de mariage suivie par la Rote romaine, de sorte qu’ils ont condamné l’Italie pour avoir accordé l’exequatur à une décision « romaine » d’annulation. L’arrêt révèle que les droits procéduraux tirés de l’article 6 de la Convention EDH doivent être garantis, peu importe que la juridiction d’origine soit celle d’un Etat partie à la Convention ou d’un Etat tiers. Surtout, la condition de conformité à l’ordre public procédural ne peut pas être tempérée par la théorie de l’effet atténué ou de l’ordre public de proximité : rien ne vient atténuer ou renforcer les exigences de l’ordre public, car « le droit acquis » ne mérite pas de protection en raison des vices de la procédure ayant permis « son acquisition ». C’est dire que les principes fondamentaux de procédure disposent bien d’une vocation universelle ; ils ne supportent aucun relativisme en fonction de l’environnement socio-culturel de la juridiction étrangère ayant tranché le litige.
Hiérarchie propre aux internationalistes privatistes – Nombreux sont aujourd’hui les auteurs préconisant de trier entre les droits fondamentaux. Il s’agit alors d’identifier des droits « non négociables » dans la sphère du droit international privé. Seraient opposer, d’un côté, les droits à l’impérativité renforcée, « conçus comme ceux qui touchent directement à l’égale dignité de tout être humain et que l’on retrouve au surplus dans l’ensemble des conventions ou des déclarations à vocation universelle, comme la liberté de conscience, la liberté matrimoniale, l’égalité des époux et « le droit pour l’enfant de voir sa filiation établie » et, de l’autre « des droits de l’homme « moins absolus » de « second rang » en quelque sorte comme le droit pour le transsexuel de changer de sexe à l’état civil, le droit de chacun des conjoint à donner son nom de famille ou le droit à l’adoption pour les couples homosexuels »[60]. La conséquence de cette distinction ne surprend pas : « alors que l’application des seconds pourrait être atténuée dans les relations avec les Etats tiers, compte tenu des exigences de la coordination, celle des premiers représenterait cette part de valeurs non négociables qui s’imposerait y compris dans relations avec des systèmes juridiques qui ne les partagent pas »[61]. Plusieurs considérations peuvent être à l’origine du caractère « non négociable » d’un droit fondamental justifiant de défendre son universalité.
Certains, on l’a signalé, cèdent au positivisme recherchant une clé de répartition dans la législation nationale comme internationale (Pacte onusien, CIDE, Conv. EDH) ainsi que dans la jurisprudence nationale comme européenne. La démarche est parfois malaisée parce que les applications jurisprudentielles sont subtiles. Ainsi le débat a-t-il pu être ouvert sur la nature fondamentale du droit à l’établissement de la filiation et, en conséquence, sur sa vocation universelle.
D’autres transposent dans ce débat, leur réserve à l’égard de l’ « idéologie exubérante »[62] des droits fondamentaux. Dans cette perspective, ils privilégient des droits anciennement inscrits dans le corpus des droits fondamentaux (égalité des sexes, liberté matrimoniale, liberté de conscience…) à des règles qui ne sont « que l’écume d’une époque » (droit au changement de sexe par exemple). Pour eux, « le jeu de l’exception d’ordre public pourrait être, pour le bien même de la notion, l’instrument de cette prise de conscience et le moyen d’identifier parmi les droits dits fondamentaux ceux qui méritent véritablement cette qualification. Une telle solution aurait le mérite de favoriser l’émergence de valeur véritablement universelles »[63].
Une dernière voie plus « internationaliste » est concevable. Il s’agit toujours de défendre certaines valeurs essentielles du for mais aussi de cantonner cette défense à des valeurs qui sont susceptibles d’opérer un consensus minimal dans la société internationale, particulièrement auprès des Etats non-occidentaux. Cette perspective conduit notamment à promouvoir l’égalité des sexes parce que cette égalité a progressé dans plusieurs réformes législatives opérées en terre d’Islam[64]. En revanche, le même dessein conduit à refouler certaines « conquêtes libérales » modernes telles que l’accès au mariage ou le droit à l’adoption des couples homosexuels. De fait, ces « avancées » occidentales, ces droits fondamentaux en gestation, sont beaucoup trop saugrenus et condamnables dans certaines cultures juridiques. C’est dire que la sélection des droits fondamentaux dont l’universalité mérite d’être défendue peut être guidée par un esprit de compromis ou de transaction. Cette sélection doit éviter, autant que faire se peut, d’exacerber les tensions entre les ordres juridiques de traditions différentes. Le particularisme doit, dans la mesure du possible, être proscrit afin que la promotion des droits fondamentaux dans chaque système ne soit pas l’occasion d’accroître leur cloisonnement. Mme Gannagé s’inscrit dans ce mouvement lorsqu’elle critique la Cour de cassation pour avoir évincé la loi marocaine au nom de l’ordre public afin d’ériger en principe fondamental la liberté reconnue en France aux couples de même sexe de se marier[65]. Pour elle : « Une telle évolution nourrit inévitablement le relativisme des droits fondamentaux. En liant exclusivement les droits de l’homme à la culture, elle ne se contente pas de leur dénier toute vocation à l’universel, elle les dresse désormais les uns contre les autres, droits de l’homme musulmans contre droits de l’homme européens. Corrélativement, elle leur retire toute aptitude à rapprocher les systèmes et à fonder une quelconque communauté de valeurs au-delà des différences culturelles »[66]. Cette démarche retient l’attention. Sans doute l’éviction de la loi marocaine prohibant le mariage homosexuel a-t-elle attisé les tensions. Mais les droits fondamentaux, considérés comme non-négociables par les auteurs précités, sont-ils tellement plus susceptibles de consensus ? Est-ce réaliste de croire que la liberté de conscience pourra être admise sans heurts par des Etats confessionnels dans lesquels droit et religion sont consubstantiels ? Mais là n’est pas notre propos.
Hiérarchie indifférente aux tribunaux – Pour l’heure, la jurisprudence ne suit pas le programme proposé par la doctrine. L’érection – conditionnée il est vrai au domicile en France – du droit pour tout transsexuel de changer de sexes et, plus encore, la contrariété à l’ordre public des lois étrangères prohibant le mariage homosexuel révèlent bien que la jurisprudence ne subordonne pas l’universalité des droits fondamentaux à un quelconque consensus international. La promotion ou les restrictions apportées à leur universalité ne procèdent pas de leur caractère « non négociable » dans un contexte du conflit de civilisations.
Quid du législateur ? – Guère évoqué jusqu’à présent conformément à la tradition qui laisse la définition de l’ordre public international aux juges, l’œuvre législative mérite l’examen. Les clauses spéciales d’ordre public fraichement adoptées consacrent-elle l’idée d’une hiérarchie entre les droits fondamentaux en fonction de leur « négociabilité »?
Droit à être adopté – Les rédacteurs de l’article 370-3 du Code civil, issu de la loi n°2001-111 du 6 février 2001, n’ont pas cédé à un particularisme exacerbant les conflits de cultures. Ils se sont gardés de faire du droit de l’enfant à être adopté un droit à vocation universelle. Parce que l’adoption est prohibée dans les droits d’obédience musulmane, le texte interdit le prononcé de l’adoption si la loi personnelle (entendez nationale) de l’enfant prohibe l’institution. Mais le respect des conceptions étrangères s’efface par le biais d’une consécration législative de l’ordre public de proximité : l’adoption pourra être prononcée, au mépris de la loi nationale de l’intéressé, en présence de liens solides avec la France tenant à sa naissance et à sa résidence habituelle sur notre territoire. Par ailleurs, le respect de la prohibition n’est que temporaire, il disparaît avec l’acquisition de la nationalité française de l’enfant recueilli par un ou des Français, acquisition que le législateur a récemment facilité[67]. Il n’en demeure pas moins que le système atteint un équilibre entre, d’un côté, la concession faite aux droits étrangers fondés sur une vision différente de l’intérêt abstrait des enfants abandonnés et, de l’autre, la promotion de l’intérêt concret de l’enfant destiné à être élevé dans la société française qui fait de l’adoption le meilleur, sinon le seul, moyen d’intégration des enfants abandonnés dans une famille et dans le corps social.
Egalité des sexes dans l’accès au divorce – En revanche, l’idée de promouvoir l’universalité de l’égalité des sexes est présente dans le règlement (UE) n°1259/2010, dit Rome III, du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. Selon son article 10, la loi du for se substitue à la loi étrangère désignée lorsque cette dernière n’accorde pas à l’un des époux un égal accès au divorce en raison de son appartenance à l’un ou à l’autre sexe. Dans ce cas, la loi étrangère sera écartée sans que sa contrariété à l’ordre public du for ne soit stigmatisée et, surtout, sans que le juge ne dispose d’un pouvoir d’appréciation. Il en résulte que l’égalité des sexes concernant l’accès au divorce, promue par le règlement, sera limitée spatialement uniquement par la possibilité de saisir la juridiction d’un État membre participant. Obstacle systématique au droit inégalitaire, la disposition interdira à un homme de se prévaloir devant le juge français de la compétence d’un droit musulman pour répudier son épouse. À cet égard, il ne change rien. Mais le jeu de l’article 10 devrait conduire également à substituer le droit français à un droit de même obédience réservant à la femme – en contrepartie de la répudiation accordée au mari – certaines causes de divorce comme le divorce pour faute. Cette évolution conduira à prononcer des divorces sur le fondement de la loi du for au motif que le droit étranger désigné est abstraitement inégalitaire, y compris lorsque son application aurait conduit à un résultat identique (par ex., un divorce pour faute prononcé au profit d’une épouse). Bref, on l’a compris la relativité fondée sur l’appréciation in concreto de la loi étrangère est supprimée. Ce choix fait donc fi de l’idée qu’un divorce prononcé en France sur le fondement de la loi étrangère commune aux époux a plus de chance d’être reconnu dans leur pays d’origine. On ne s’étonnera donc pas que cette « avancée » de l’universalité ait pu être critiquée aux motifs que l’exception d’ordre public, laissée à la sagesse du juge, était plus appropriée aux objectifs de continuité de traitement et d’harmonie internationale des solutions poursuivis par le droit international privé.
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe – Comme l’a démontré Mme Gannagé à propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2015, les juges ont privilégié l’accès aux mariages homosexuels au plus grand nombre au détriment de l’idée de cantonner la nouvelle conception du mariage à des couples solidement immergés dans des Etats libéraux. Encore faut-il, à présent, justifier la décision de la Cour de cassation Embarrassée par la loi marocaine désignée par la convention franco-marocaine de 1981, elle n’a fait que relayer, par le biais de l’exception d’ordre public, le choix législatif d’ouvrir largement le mariage homosexuel. De fait les conditions d’intervention de l’exception d’ordre public arrêtées par la Cour de cassation[68] sont rigoureusement calquées sur les critères de rattachement prévus par l’article 202-1, alinéa 2 du Code civil issu de la loi du 17 mai 2013. Formulant une règle de conflit à finalité matérielle (destinée à assurer au maximum la validité des mariages homosexuels), le texte pose : « Deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ». L’éventail particulièrement ouvert de rattachements prévus – nationalité, domicile ou résidence (même pas qualifiée d’habituelle) – donne un large accès au mariage pour tous. Cet accès n’est guère contrarié par l’exigence préalable de compétence de l’officier de l’état civil français puisque celle-ci est également largement ouverte[69]. Ainsi deux Algériens peuvent se marier en France dès lors que l’un d’eux dispose d’une résidence en France. Il s’agit bien de promouvoir l’universalité de la réforme. Pour ne pas être taxé de particulariste, le législateur ne s’est pas inspiré de l’ordre public de proximité. En apparence, ce n’est pas seulement un lien (même ténu) de la situation avec la France qui permettra que le mariage puisse être célébré en France mais également un lien (par exemple la nationalité belge d’un des époux) avec un des Etats membres de la petite communauté des pays « gays friendly ». Grace à cette rédaction, la France ne paraît pas seulement vouloir conférer à sa réforme un domaine d’application exorbitant, elle se propose également de relayer le choix législatif opéré par tous les Etats libéraux.
Bilan – Universalité du droit à être adopté prudemment évitée, universalité renforcée de l’égalité des sexes en matière de divorce, universalité poursuivie du droit au mariage pour les couples de même sexe, l’œuvre législative n’est guère cohérente. Elle ne poursuit de hiérarchie entre les droits fondamentaux ni en fonction des positions arrêtées par la Cour européenne, ni en raison de leur nature essentielle ou exubérante ni, enfin, au regard de leur caractère « culturo-compatible » avec les droits des pays musulmans. Finalement la justification de la défense à géométrie variable de l’universalité des droits de l’homme doit être recherchée ailleurs.
B – Universalité absorbée par des raisonnements propres au droit international privé
Cohérence sous-jacente – Comme nous y avons insisté, la promotion ou le cantonnement de l’universalité des droits fondamentaux en droit international privé ne résulte pas d’une pétition de principe. Ils diffèrent selon les droits en cause et, surtout, selon la configuration des affaires rencontrées par la jurisprudence. L’approche est plus pragmatique que dogmatique. Et la volonté de la Cour de cassation d’introduire le poids des faits dans le contrôle de conventionalité confortera cette tendance. Néanmoins une systématisation semble pouvoir être esquissée : les restrictions ou les promotions de l’universalité des droits de l’homme dépendent du lieu de naissance du rapport juridique.
Rapports juridiques nés en France. L’universalité des droits fondamentaux est défendue, en premier lieu, chaque fois qu’il s’agira pour l’ordre juridique français de créer une situation nouvelle. L’exigence d’universalité des droits de l’homme conduira alors aussi bien à refuser la célébration d’un mariage polygamique en France qu’à accepter celle d’unions manifestement contraires aux lois nationales des intéressés. Ainsi, l’officier de l’état civil acceptera de marier une musulmane et un non musulman quand bien seraient-ils ressortissants d’un pays qui prohibe une telle union. De même l’officier de l’état civil, sous prétexte d’une résidence temporaire en France de l’un des fiancés, acceptera d’unir deux hommes de statut personnel interdisant le mariage homosexuel. Dans ces deux cas, l’officier de l’état civil devra, tout de même, mettre en garde les intéressés sur le risque que leur mariage ne soit pas reconnu dans leur pays d’origine. C’est dire que la perspective du mariage boiteux ne freine pas la promotion de la liberté matrimoniale à la française, c’est-à-dire insusceptible de discriminations en fonction du sexe, de la religion ou de l’orientation sexuelle. Dans le même ordre d’idées, un divorce prononcé en France doit être strictement conforme au principe d’égalité des sexes.
L’universalité des droits fondamentaux est défendue, en second lieu, chaque fois qu’il s’agira en France de consacrer une situation préexistante non encore révélée. Ainsi l’action en recherche de paternité sera admise nonobstant la prohibition posée par la loi compétente ; de façon voisine le transsexuel (sous réserve d’être domicilié en France) pourra bénéficier du droit au changement de sexe tel qu’il a été récemment introduit dans le Code civil.
Rapports juridiques nés à l’étranger – En revanche, l’universalité des droits fondamentaux pourra être cantonnée (par l’ordre public atténuée, par l’ordre public de non proximité, par l’appréciation in concreto du résultat produit par le droit étranger) chaque fois que la situation aura été créée à l’étranger (répudiation prononcée à l’étranger, mariage polygamique célébré à l’étranger. L’affirmation trouve même une illustration récente avec l’arrêt sur « l’enlèvement » de l’enfant marocain où la vocation universelle du droit à l’égalité parentale a été contrariée parce qu’il s’agissait de prendre en considération la dévolution ex lege de la garde opérée à l’étranger). Encore faut-il bien comprendre qu’en présence d’une situation créée à l’étranger, l’universalité des droits pourra parfois être préservée parce que la situation avait un lien préexistant avec la France (ordre public de proximité) ou parce que l’effet du droit acquis à l’étranger et revendiqué en France contrarie trop un droit fondamental (la règle de l’effet atténué n’exonère pas de toute intervention de l’ordre public).
Appréciation – Même s’il a le mérite de la simplicité, le clivage suggéré ne séduit guère par son originalité : il est largement identique à celui utilisé par la veille théorie de l’ordre public atténuée. Certains pourraient y voir la démonstration que le droit international privé, dont on craint qu’il soit révolutionné par les droits fondamentaux, parvient à les fondre dans ses raisonnements. La distinction observée n’est guère satisfaisante du point de vue des droits fondamentaux : qu’un critère spatial tenant au lieu de naissance de la situation juridique soit décisif de leur portée et de leur effectivité ne correspond guère à l’idéal universaliste…
[1] CEDH 28 juin 2007, Wagner c/Luxembourg, req. no 76240/01, D. 2007. 2700, note Marchadier ; Rev. crit. DIP 2007. 807, note Kinsh ; JDI 2008. 183, note Avout; Gaz. Pal. 2008, no 82, p. 30, note Niboyet; RJPF 2007-11/23, obs. Le Boursicot.
[2] CEDH 3 mai 2011, Négrépontis-Giannisis c/Grèce, req. no 56759/08, Rev. crit. DIP 2011. 817, étude Kinsch ; JDI 2012. 213, obs. Dionisi-Peyrusse; Dr. fam. 2011. Alerte 48, obs. Bruggeman; JCP 2011. I. 839, no 7, obs. Gouttenoire
[3] V. par exemple : Y. Lequette, Le droit international privé et les droits fondamentaux, Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 2017, 23ème éd., p. 129 ; L. D’avout, Droits fondamentaux et coordination des ordres juridiques en droit privé, in E. Dubout, S. Touzé (dir.), Les droits fondamentaux : charnière entre ordres et systèmes juridiques, Pedone, 2010, p. 165.
[4] Auquel d’autres techniques peuvent être ajoutées comme les règles de conflit à finalité matérielle, cf. infra à propos de l’article 202-1 alinéa 2 du Code civil.
[5] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, LGDJ, 11ème éd., 2011, n°208.
[6] Droz, note sous Civ. 1ère 25 février 1997, Rev. crit. DIP 1998, p. 602.
[7] J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 2006, p. 47-48).
[8] P. Waschmann, Les droits de l’homme, « Connaissance du droit », Dalloz, 3ème éd., 1999, p. 50.
[9] Constat dressé par L. Gannagé, note sous Civ. 1ère, 28 janvier 2015, JCP 2015, n°318.
[10] Sur la présentation et la critique de celle-ci : A. Mezghani, Lieux et non-lieu de l’identité : Sud Éditions, 1998, Tunis, p. 216)
[11] L. Gannagé, ibid.
[12] Civ. 25 mai 1948, Lautour, GAJFDIP, par B. Ancel et Y. Lequette, Dammpz, 5ème éd., 2006, n°19.
[13] Soc. 10 mai 2006, JDI 2007. 531, note J.-M. Jacquet ; D. 2007. 1751, obs. P. Courbe ; JCP 2006.II.1405, note S. Bollée ; Rev. crit. 2006. 856, note E. Pataut et P. Hammje ; RDC 2006. 1260, note P. Deumier ;JCP S 2006, n° 1522, note C. Willmann ; D. 2006. 1400, obs. P. Guiomard ;JS Lamy 1998, n° 192, p. 1, note J.-E. Tourreil.
[14] Pacte international relatif aux droits civils et politiques – art. 8 § 1, Convention EDH, art. 4 etc..
[15] v. CEDH, 26 juillet 2005, Siliadin c. France, D.2006.346, note D. Roets, RTD. civ. 2005.740, obs. P. Marguénaud
[16] Civ. 1re, 17 févr. 2004, nos 01-11.549 et 02-11.618 , 2 esp., Bull. civ. I, nos 47 et 48; Dr. fam. 2004. Chron. 9, obs. Prigent; D. 2004. 824, concl. Cavarroc ; D. 2004. 815, obs. Courbe ; D. 2005. 1266, obs. Chanteloup ; JCP 2004. II. 10128, note Fulchiron; Defrénois 2004. 812, note Massip; Gaz. Pal. 2004. 567, note Niboyet; Dr. et patr. avr. 2004, p. 124, note Monéger; RTD civ. 2004. 367, obs. Marguénaud ; Rev. crit. DIP 2004. 423, note Hammje ; LPA 5 août 2004, p. 14, note Péroz – Pour une solution identique, concernant le nouveau « divorce sous contrôle judiciaire » marocain (C. fam. marocain, art. 79 et 83) analysé comme une répudiation, v. Civ. 1re, 4 nov. 2009, no 08-20.574 , Bull. civ. I, no 217; JCP 2009. 477, obs. Devers.
[17] CA Paris, 14 juin 1994, cette Rev. crit. DIP, 1995.308, note Y. Lequette
[18] B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, Economica, 7ème éd., 2013, n°369.
[19] Ph. Francescakis, Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public, Travaux comité fr. DIP, 1966-1969, p. 149.
[20] J. Carbonnier, op. cit.
[21] Y. Lequette, art. préc.
[22] V. déjà J. Hauser, RTD civ. 1999, p. 70.
[23] v. K. Zaher, Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains, à propos de l’arrêt de la première chambre civile du 4 novembre 2009 : Rev. crit. DIP 2010, p. 313
[24] V. K. Zaher, art. préc., spécialement p. 319)
[25] V. Néanmoins les propos de M. le Conseil Massip, formulé à une époque où les tribunaux français étaient très respectueux des différences juridiques et culturelles. Après avoir rappelé que le droit musulman est fondé « sur une répartition des rôles dans le ménage : à la femme les soins de la maison et des enfants qui s’y trouvent » le haut conseiller considérait qu’il fallait accueillir cette prérogative féminine car il s’agit d’un droit « reconnu à la femme-mère, en contrepartie de l’infériorité générale du statut de l’épouse en droit musulman ; l’épouse peut-être répudiée, mais on ne peut pas par la répudiation, la priver de ses enfants. La jurisprudence la plus récente (à l’époque) admet la validité de la répudiation ; si l’on déclare contraire à notre ordre public la règles qui attribue automatiquement les enfants en bas âge à la mère, dans ce cas, on déséquilibre, à son détriment le statut de la femme (J. Massip, note sous Civ. 1ère 6 janvier 1987, Defrénois 1987, p. 1073.
[26] Civ. 1re, 23 oct. 2013, 12-21.344, Dr. fam. 2014. Comm. 31 (1re esp.), note Farge ; RLDC 2014, no 5387, note Thévenet-Montfrond ; RJPF 2013-12/13, p. 21 (2e esp.), note Garé; AJ fam. 2013. 708, note Boiché ; RIDC 2013/110, no 5320, p. 44, note Ducrocq-Pauwels.
[27] v. Civ. 1re, 4 nov. 2009, no 08-20.574 , Bull. civ. I, no 217; JCP 2009. 477, obs. Devers.
[28] Batiffol et P. Lagarde, Traité de droit international privé, t. 1, 8ème éd., LGDJ 1993.
[29] Civ. 28 janv. 1958 et Civ. 19 févr. 1963, Chemouni, GADIP précit. , nos 30-31
[30] Civ. 1re, 3 janv. 1980, Bendeddouche, Rev. crit. DIP 11980. 327, note Simon-Depitre; D. 1980. 549, note Poisson-Drocourt.
[31] Civ. 1re, 4 oct. 1965, Bull. civ. I, no 500.
[32] Civ. 1re, 22 avr. 1986, D. 1986. IR 260, obs. Audit; JDI 1987. 629, note Kahn; Rev. crit. DIP 1987. 374, note Courbe.
[33] Civ. 1ère 19 octobre 2016, D. 2016, p. 2168, I. Gallmeister ; AJF 2016, p. 546, A. Boiché ; JCP 2016, 1275, note D. Bureau.
[34] Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26.066 : JurisData n° 2013-027409 ; D. 2014, p. 179, F. Chénedé ; ibid. p. 153, H. Fulchiron ; ibid. p. 1342, J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJF 2014, p. 124, S. Thouret ; AJF 2013, p. 663, F. Chénedé ; RTD civ. 2014, p. 88, J. Hauser ; ibid. p. 307, J.-P. Marguénaud ; JCP G 2014, 93, M. Lamarche
[35] D. Bureau, note précit.
[36] Par ex : CEDH, 8 janv. 2007, n° 39527/06, Vorel c/ Rép. tchèque).
[37] v. Paris 18 décembre 1973, JDI 1975, p. 525, 1ère esp. note Y. Lequette ; Civ. 1ère 6 janvier 1978, Bull. civ. I, n°3 ; Defrénois 1987, p. 1073, obs. J. Massip ; Rev. crit. DIP 1988, p. 339, note Y. Lequette – Cass. 1re civ., 30 janv. 1979, n° 78-11.568 : Rev. crit. DIP 1979, p. 629, note Y. Lequette ; JDI 1979, p. 393, note P. Mayer .– Adde, CA Paris, 1er juill. 1974 : JDI 1975, p. 525, note Y. Lequette ; Rev. crit. DIP 1975, p. 266, note J. Foyer.
[38] H. Fulchiron, L’éducation de l’enfant étranger in Le droit de la famille à l’épreuve des migrations transnationales : LGDJ, 1993, p. 204.
[39] Y. Lequette, note préc. ss CA Paris, 1er juill. 1974.
[40] Civ. 1ère., 4 nov. 2009, n° 09-15.302 : JurisData n° 2010-02061 ; D. 2010, p. 2648.
[41] Civ. 1ère, 7 déc. 2016, n° 16-21.760, P+B+I : JurisData n° 2016-025701, JCP 2017, n°137, note M. Farge
[42] P. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, 10ème éd., 2013, n° 397.
[43] P. Mayer et v. Heuzé, op. cit.
[44] V. jurisprudence citée supra.
[45] Civ. 1re, 17 févr. 1982, Baaziz, Rev. crit. DIP 1984, note Lequette; JDI 1983. 606, note Khan – Civ. 1re, 6 juill. 1988, Baaziz, Rev. crit. DIP 1989. 71, note Lequette.
[46] Civ. 1re, 10 févr. 1993, no 89-21.997, Bull. civ. I, no 64; D. 1994. 66, note Massip ; Somm. 32, obs. Kerkhove ; JCP 1993. I. 3688, no 10, obs. Fulchiron; Rev. crit. DIP 1993. 620, note Foyer ; JDI 1994. 124, 1re esp., note Barrière-Brousse.
[47] Civ. 1re, 10 mai 2006, no 05-10.299 , Bull. civ. I, no 226; D. 2006. IR 1481, obs. Gallmeister ; AJ fam. 2006. 290, note Boiché; Dr. fam. 2006. Comm. 177, note Farge; D. 2006. 2890, note Kessler et Salamé .
[48] V. G. Kessler et G. Salamé, note précit.
[49] V. J. Massip, note ss Cass. 1re civ., 10 mai 2006, préc.
[50] V. M.-C. Najm, Principes directeurs du droit international privé et conflit de civilisations : Dalloz 2005, n° 504. – dans le même sens, V. I. Barrière Brousse, note ss Cass. 1re civ., 10 févr. 1993, préc., p. 130)
[51] G. Kessler et G. Salamé, note précit.
[52] V. notamment L. Gannagé, L’ordre public international à l’épreuve du relativisme des valeurs : Travaux comité fr. DIP 2006-2008, p. 205, spéc. 225. – V. aussi, À propos de l’« absolutisme » des droits fondamentaux in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon : Dalloz 2008, p. 265 et s.
[53] V. L. Gannagé, L’ordre public international à l’épreuve du relativisme des valeurs, op. cit. p. 220
[54] V. M. Farge, note préc
[55] Civ. 1re, 26 oct. 2011, no 09-71.369 , Bull. civ. I, no 182; RLDC 2011, no 88, p. 44, obs. Pouliquen; RJPF 2011, no 12, p. 28, obs. Garé; AJ fam. 2012. 50, obs. Vognanotti ; JDI 2012. 176 note Guillaumé; Dr. fam. 2012. Comm. 19, note Farge.
[56] F. Marchadier, op. cit., pp. 463 ss. ; P. Kinsh, Droit de le l’homme, droit fondamentaux et droit international privé, Recueil des Cours, tome 318 (2010), pp. 247 ss.).
[57] v. Not. F. Sudre, Rép. Droit internat. Droit européen des droits de l’homme, n°52.
[58] F. Sudre, Rép. précit.
[59] Civ. 1re, 19 sept. 2007, no 06-17.096 , Sté Pêcherie du Port c/ Bureau Veritas, Rev. crit. DIP 2008. 617, note Pataut ; JDI 2008. 153, note Chalas ; D. 2007. AJ 2542
[60] v. en ce sens, H. Gaudemet-Tallon, Nationalité, statut personnel et droits de l’homme, in Festschrift für Erik Jayme : Sellier European Law Publishers, 2004, p. 205 et s – L. Gannagé, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des conflits de cultures, ADI-Poche, 2013, p. 221 et s.
[61] L. Gannagé, op. cit.
[62] J. Carbonnier, op. cit.
[63] Y. Lequette, art. préc.
[64] V. Kalssouma Ali Ahmed, Les réformes musulmanes du droit du couple et l’ordre juridique français, Thèse Grenoble, 2017.
[65] Civ. 1re, 28 janv. 2015, no 13-50.059 P: D. 2015. 464, note Fulchiron ; ibid. 1056, obs. Gaudemet-Tallon et Jault-Seseke ; ibid. 1408, obs. Lemouland et Vigneau ; AJ fam. 2015. 71, obs. Haftel ; ibid. 172, obs. Boiché RTD civ. 2015. 91, obs. Puig ; ibid. 343, obs. Usunier ; ibid. 359, obs. Hauser; JCP 2015, no 318, obs. Gannagé; Dr. fam. 2015, no 63, obs. Devers et Farge; Defrénois 2015. 450, obs. Revillard.
[66] L. Gannagé, note précit.
[67] V. M.-Ch. Le Boursicot : RJPF avr. 2015, p. 34.
[68] Motif de la Cour de cassation : « La loi marocaine qui s’oppose au mariage de personnes de même sexe est manifestement incompatible avec l’ordre public, au sens de l’art. 4 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, dès lors que, pour au moins l’une d’elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet »
[69] V. Code civil, art. 74.
Le thème développé dans cet article est très intéressant pour la réflexion sur les droits des personnes face au phénomène des frontières.