Quels motifs d’exonération de leur responsabilité pénale pour les prévenus en matière de discours de haine ?
La présente publication nous offre l’occasion de renouveler tous nos remerciements à notre chère amie et éminente collègue, Madame le Professeur Valérie Malabat, pour nous avoir convié à participer au colloque « Droit pénal et discours de haine » le 29 septembre 2023 à l’Université de Bordeaux. Le présent propos reprend et prolonge une part de la réflexion que nous avions menée en 2021 pour l’Académie Internationale de Droit Comparé (M. Brenaut, « La criminalisation des “discours de haine” », RIDC, 2023, n° 2) et continue de refléter notre perplexité (c’est un euphémisme) devant la facilité avec laquelle la jurisprudence, et maintenant le législateur, et plus largement les juristes, recourent à cette notion de « discours de haine » – perplexité tant sur la forme (la locution est, en elle-même, effroyablement inesthétique) que sur le fond (évanescente et subjective, elle devrait inquiéter tout défenseur conséquent de la liberté d’expression).
Par Maxime Brenaut, Professeur à l’Université de Bordeaux, Institut de Sciences Criminelles et de la Justice
Être exonéré, c’est littéralement être déchargé, dégagé d’un fardeau – et, pour ce qui nous concerne, du fardeau de la responsabilité pénale que l’on devrait normalement assumer : voici une infraction apparente dont les circonstances de commission vont conduire le juge, dans le cadre des prévisions du législateur, à considérer que finalement, c’est bien d’apparence qu’il s’agit, et seulement d’apparence, de sorte que la déclaration de culpabilité et la condamnation correspondante doivent être exclues. Ce n’est pas forcément dire que le comportement poursuivi était parfaitement juste : c’est dire que la condamnation de celui qui l’a adopté serait, quant à elle, injuste. À chacun selon son dû: est exonéré de responsabilité pénale celui pour lequel la condamnation serait indue et ce, quoique ses actes ressemblent comme deux gouttes d’eau à l’infraction telle que la loi d’incrimination la définit.
La catégorie des « discours de haine » peut-elle, comme pour tout type d’infractions, voir les juges pénaux exonérer des prévenus de leur responsabilité ? Rien ne devrait, en pure logique, l’exclure. Au contraire : en ce domaine de l’expression, où le primat de la liberté sur la restriction semble encore plus essentiel qu’ailleurs, tout ce qui peut neutraliser la restriction pour faire ressurgir la liberté devrait être encouragé – du moins dans une vision « libérale » de la chose, où c’est l’importance de la liberté de celui qui s’exprime qui focalise l’intérêt, davantage que les offenses potentiellement ressenties (ou non) par tel ou tel (ou tel autre encore) qui « reçoit » le message exprimé.
Las, en matière de « discours de haine », le mot haine semble prendre le dessus sur le mot discours, de sorte que l’exonération, au lieu d’être encouragée, est singulièrement raréfiée. L’on s’en convaincra en passant en revue les faits justificatifs classiques du droit de la presse, qui s’avèrent encore moins efficaces que d’habitude lorsque l’étiquette « haine» est apposée sur le discours litigieux ; l’on s’en convaincra également en constatant que la protection conventionnelle de l’ordre européen des droits de l’Homme est aussi aléatoire que minimaliste – et pour cause : la notion de « discours de haine » semble avoir été forgée spécialement pour déroger au régime libéral classique. Comme l’écrit un auteur, « l’argument tiré de la violation du droit à la liberté d’expression cède assez aisément face aux enjeux de protection des droits d’autrui et de la sécurité publique en matière de discours de haine »[1]. L’étude se fera donc en deux temps, qui constatera la faiblesse des causes légales ou prétoriennes d’exonération classiques du droit de la presse (I) avant que de s’interroger sur la portée du contrôle de conventionnalité pour, au visa de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, exonérer l’auteur d’un « discours de haine » (II).
I. La mise à l’écart des causes d’exonération classiques du droit de la presse
La loi du 29 juillet 1881 prévoit, en matière de diffamation ou d’injure, des causes classiques d’exonération. Mais peut-on vraiment les solliciter pour échapper à une condamnation, quand sont diligentées des poursuites du chef de la version « surqualifiée » de ces infractions lorsqu’elles ont été animées par un mobile « ségrégationniste »[2] et visent donc « une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap » ? Pour y répondre, il nous faut étudier la question sous l’angle, tour à tour, de l’exceptio veritatis (A), de l’excuse de provocation (B) et de la bonne foi (C).
A- « Haine » et vérité : quid de l’exceptio veritatis ?
En matière de diffamation, la relaxe peut en principe être obtenue à la faveur d’un moyen de défense classique : l’exceptio veritatis. Aux termes de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, en effet, et sauf si l’allégation concerne la vie privée de la personne, « la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée [et] si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte ». L’atteinte à l’honneur ou à la considération s’efface derrière la vérité du fait allégué ou imputé – et, pour appliquer cette exception de vérité, cet article 35 ne distingue pas selon que la diffamation a ou non été commise en raison d’un critère ségrégationniste.
Cela n’a pas empêché la jurisprudence de refuser le jeu de l’exceptio veritatis en matière de diffamation raciale, en considérant qu’une telle vérité ne pourrait être démontrée, qu’une telle preuve ne pourrait être rapportée. Certains auteurs justifient cette solution prétorienne en considérant que la preuve de la vérité exonérante serait en elle-même, pour ce type de discours, impossible à rapporter, « sauf à procéder à des réflexions et assimilations odieuses »[3]. Mais ne faut-il pas redouter, alors, l’émergence d’une sorte de présomption de propos diffamatoire, en réputant indémontrable la vérité contraire, dès lors qu’un mobile ségrégationniste est retenu ? Ne risque-t-on pas de procéder « à l’envers » en regardant d’abord le motif ségrégationniste et seulement ensuite le contenu forcément diffamatoire du propos – forcément puisque réputé insusceptible de faire l’objet d’une démonstration de vérité – ? Cela ne revient-il pas à réputer irréfragablement « faux » (puisque impossiblement « vrai ») le résultat, dans un discours, de l’exercice dialectique classique distinction/généralisation, dès lors qu’il s’applique à l’un des motifs identifiés par le législateur (à moins d’être laudatif[4]) ?
La question mérite d’autant plus d’être posée au regard de la réécriture de l’article 55 de la loi de 1881 à laquelle, en 2017, le législateur a procédé. Cette disposition procédurale, relative à la défense du prévenu de diffamation par invocation de l’exceptio veritatis, est désormais explicitement applicable « devant la juridiction de jugement si celle-ci requalifie » une provocation à la haine ou une injure ségrégationniste en diffamation ségrégationniste. L’on aurait souhaité procéder à une reconnaissance explicite d’applicabilité de l’exceptio veritatis aux diffamations ségrégationnistes que l’on ne s’y serait pas pris autrement – à moins, bien sûr, de prétendre y voir une maladresse rédactionnelle, pour venir limiter la portée de cette loi nouvelle, en maintenant l’empire de la très confortable[5] position prétorienne consacrant, naguère ultra legem, désormais contra legem, l’impossibilité d’un tel moyen de défense en matière de « discours de haine ». Et c’est cette deuxième voie qu’a empruntée le Garde des Sceaux de l’époque qui, trois mois à peine après la promulgation de la loi de 2017, a cru devoir prendre une circulaire pour préciser, paradoxalement, que, dans leur nouvelle version, les dispositions finales de l’article 55 de la loi de 1881 ne devraient « aucunement être comprises comme remettant en cause la jurisprudence traditionnelle de la chambre criminelle refusant le bénéfice de l’exceptio veritatis pour les diffamations racistes » tout en reconnaissant concomitamment que lesdites dispositions « permettent désormais, en cas de requalification à l’audience, d’une provocation ou injure discriminatoire en diffamation discriminatoire, que l’exception de vérité soit invoquée à l’audience »[6]. Comprenne qui pourra.
Certes, une circulaire d’interprétation ne vaut pas grand-chose quand la loi elle-même est aussi claire de sorte que, à notre sens, l’exception de vérité devrait pouvoir être, désormais, opposée par le prévenu poursuivi pour diffamation ségrégationniste, du moins en théorie; mais, en pratique, l’on devine déjà que les préventions de la doctrine quant aux « raisonnements odieux » ruineront les efforts des plaideurs. Au surplus, les juges pourraient maintenir leur solution en excipant de l’affirmation péremptoire de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale selon laquelle « toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races est scientifiquement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dangereuse » – ce qui pourrait éventuellement servir d’assise juridique, et supra-législative, à la théorie de la preuve impossible de la vérité, au moins quand le motif ségrégationniste est racial. Et la première cause classique d’exonération de se trouver, malgré la lettre de la loi, pratiquement neutralisée, en matière de discours de haine.
B – La « haine » comme riposte : quid de l’excuse de provocation ?
En matière d’injure contre un particulier, son auteur échappe à la condamnation s’il convainc les juges d’une « excuse de provocation ». L’article 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 dispose en effet que l’injure sera punie « lorsqu’elle n’aura pas été précédée de provocations ». Le plaideur poursuivi pour injure ségrégationniste (des alinéas 3 et 4 dudit article 33) peut-il espérer bénéficier lui aussi d’un tel moyen de défense commun ? La jurisprudence, contrairement à ses solutions en matière d’exceptio veritatis, n’excluait pas abstraitement et une fois pour toutes comme « impossible » le jeu de l’excuse de provocation mais elle avait développé in concreto un contrôle de proportionnalité pour vérifier que l’injure était bien une réponse proportionnée à la provocation commise par l’individu injurié – et, sans surprise, le caractère ségrégationniste du mobile ayant déterminé l’injure permettait aux juges d’analyser celle-ci en réponse disproportionnée à la provocation initiale, chassant ainsi le bénéfice de l’excuse de provocation. Là aussi, le dol spécial surqualifiant l’infraction d’injure venait paralyser un moyen de défense classique pour le prévenu.
Le législateur a pris acte de ces solutions concrètes constantes et, allant plus loin, a supprimé en 2017 dans la loi de 1881 le renvoi à cette cause d’exonération pour les injures ségrégationnistes, dispensant ainsi désormais les juges du contrôle de proportionnalité. Et une autre cause d’exonération classique (et déjà difficile à obtenir pour la version « brute » de l’injure ») de se voir mise totalement hors jeu en matière de « discours de haine ». En somme, haine contre haine ne vaut.
C- « Haine », candeur et précautions : quid de la bonne foi ?
Reste à se demander si la candeur permet de sauver de la répression l’auteur d’un prétendu « discours de haine ». Quid, alors, de la fameuse bonne foi qui permet parfois d’échapper à la répression ? Peut-on contourner la présomption d’intention de nuire dans les supposés discours de haine ? L’invocation de la bonne foi est, ainsi que l’écrit un auteur, « une permission forgée dans le silence de la loi par une jurisprudence guidée par le principe de la liberté d’expression »[7]. Il s’agit du classique moyen subsidiaire présenté au cas où l’exceptio veritatis échouerait. Il consiste moins en la démonstration d’une « absence d’intention de nuire » qu’en l’établissement d’une « légitimité de profération » – « agir avec mauvaise foi de bonne foi » comme l’a écrit un auteur[8]. En matière de diffamation, les critères classiques d’admission de la bonne foi sont la légitimité du but poursuivi, le sérieux de l’enquête ou la base factuelle suffisante, l’absence d’animosité et la prudence dans l’expression. En somme, à défaut de vérité, il faut s’être montré précautionneux.
Et les « discours de haine » dans tout cela ? La réponse à cette question va, naturellement, verser dans la casuistique mais l’on peut d’ores et déjà deviner que le motif ségrégationniste qui irrigue les cinq infractions principales en la matière semblera souvent dur à concilier avec un but légitime poursuivi ou avec la base factuelle suffisante, aux yeux des juges, qui auront tendance à aller encore chercher des éléments extrinsèques au discours (bref, contextuels) pour le cas échéant se convaincre en sus d’une animosité. Le principe même d’une apparente infraction relevant d’un « discours de haine » est de n’être pas précautionneuse et, si elle l’est, alors la jurisprudence s’octroie la marge de manœuvre d’aller plus loin pour deviner quelle intention de nuire se cache derrière la précaution (les éléments extrinsèques, toujours, la répression de l’ambiguïté et des procédés détournés… les exemples ne manquent pas, notamment en matière de négationnisme ou d’apologie). Du moins la bonne foi a-t-elle pour elle d’éviter les « démonstrations odieuses » qui hantent tant ceux qui considèrent comme impossible l’exceptio veritatis notamment pour la diffamation raciale, sauf à trouver non moins odieux ce que certains plaideurs pensent être un gage de bonne foi – « je n’ai jamais, au grand jamais, pensé verser dans la diffamation raciale, dans la mesure où j’ai une amie noire et aime manger du couscous » (air connu chez certains politiciens n’ayant pas peur du ridicule).
Quant à l’injure, un succédané de bonne foi est parfois utilisé en jurisprudence, pour excuser, là encore dans une casuistique typique du droit de la presse, celui dont les propos ont dépassé la pensée sans qu’il ait une réelle conscience d’injurier. L’on ne voit pas pourquoi cela devrait être exclu en matière d’injures ségrégationnistes, mais cela a manifestement peu de chance d’aboutir à une exonération, dans la mesure où, dans le contentieux des injures de droit commun, il est déjà fort difficile à obtenir cela des juges – encore que le contexte humoristique ou satirique puisse aussi entrer en ligne de compte mais c’est déjà insister là sur la marge de manœuvre concédée au justiciable qui ne cesse pas d’être titulaire d’un droit fondamental à la liberté d’expression et peut donc essayer de déclencher à son profit un contrôle de conventionnalité-proportionnalité pour neutraliser la portée répressive des textes fondant la prévention à son encontre.
II. Les vicissitudes de l’exonération tirée du contrôle de conventionnalité
Par définition, en incriminant certains types de « discours de haine » (diffamation, injure, provocation, apologie, négationnisme), le législateur a entendu, de façon générique et abstraite, par avance, les sortir du champ de la liberté d’expression. Si l’on s’en tient à cette abstraction générique, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales semble difficilement sollicitable, à moins de condamner en soi le processus d’incrimination – la jurisprudence témoigne que c’est voué à l’échec. Mais la mise en œuvre de la Convention regarde, pour l’essentiel, sauf violations structurelles, l’application concrète que, dans une affaire, l’on a faite de telle loi à l’égard de tel justiciable, pour vérifier si, dans ce cas particulier, le principe de répression n’est pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Le contrôle de proportionnalité concret permet donc de recourir à l’article 10 de la Convention pour, ponctuellement, neutraliser tout ou partie de la charge répressive d’un texte d’incrimination de la loi de 1881. Si cela est possible pour les articles du code pénal incriminant le vol ou l’exhibition sexuelle, l’on ne voit pas pourquoi ce ne serait pas possible en matière de supposée provocation à la discrimination ou d’apologie.
Mais précisément, alors que les infractions de droit commun (dont il ne fait pas de doute, syllogistiquement, qu’elles soient commises au regard de leur définition) peuvent être « sauvées », et leurs auteurs avec, de la condamnation attendue, par prise en compte du mobile d’expression politique (féministe, environnementaliste…) qui les animait, ce qui témoignerait d’un accroissement de la liberté d’expression au détriment de la répression pénale, les infractions de presse, elles, qui sont souvent dures à établir (le syllogisme est toujours imparfait, faute d’avoir une majeure bien définie avec précision et du fait d’une casuistique rendant incertaine la qualification dans la mineure et la conclusion à en tirer), reprennent d’une main ce que l’on a semblé donné de l’autre. C’est le paradoxe contemporain : la liberté d’expression serait plus encline à justifier une atteinte à la propriété ou à la pudeur publique qu’à voler à son propre secours. C’est du moins ce qui semble pouvoir s’induire de la facilité déconcertante avec laquelle, en matière de discours de haine, l’invocabilité de l’article 10 de la Convention a pu, en elle-même, être refusée par la CEDH (A) ; quand du moins celle-ci juge ce texte invocable, le contrôle de proportionnalité de l’atteinte à la liberté donne des résultats très variables qui rendent l’exonération toujours (très) incertaine (B).
A- Le jeu de l’article 17 de la Convention pour écarter l’invocabilité de l’article 10
Première hypothèse : l’on refuse au justiciable ayant tenu le discours prétendument haineux le bénéfice de la Convention elle-même, et donc de l’article 10, sur l’air, cher à St-Just et ses épigones, du « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », que l’on réadapte pour l’occasion : pas de protection de la Convention pour les ennemis des valeurs de la Convention. L’article 14, qui sert de vademecum anti-discriminatoire à l’ordre européen des droits de l’Homme, sera en ligne de mire pour empêcher l’invocabilité de l’article 10 et donc la recevabilité de l’éventuelle requête devant la CEDH. C’est la théorie de l’abus de droit appliquée aux droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention. La Cour, alors, se dispense d’avoir à contrôler la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte alléguée par le requérant, car l’article 17 de la Convention a pour but d’empêcher de voir celle-ci instrumentalisée par des personnes entendant tirer d’elle un droit aux fins « de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés » qu’elle reconnaît.
Cette première hypothèse tend à s’appliquer aux « discours de haine » que la Cour estime être les plus radicaux, ceux qui sont dirigés « contre les valeurs qui sous-tendent la Convention »[9]. La négation de crime contre l’Humanité est l’infraction-reine de l’irrecevabilité, pour abus de droit, des requêtes présentées à la CEDH, mais elle n’est pas la seule. Certaines provocations à la discrimination ou la haine ont reçu un sort comparable. Schématisons : il y a les bons et les mauvais auteurs de « discours de haine » (ceux qui ont le droit d’espérer un contrôle du respect de leurs droits au visa de l’article 10 et ceux qui n’ont même pas droit à ce contrôle) – la Cour ayant parfois la main lourde sur l’irrecevabilité, au point de banaliser la clause-couperet[10]. Certains auteurs y voient un risque de transformation de l’article 17 en « instrument de régulation des discours impopulaires »[11] – c’est effectivement un risque lorsque la Cour fait abstraction de ce qu’elle rappelle par ailleurs souvent, à savoir que la liberté d’expression s’applique aussi (et surtout) aux discours qui choquent. Néanmoins, il existe aussi des discours qui, « bien que haineux, [ne sont] pas destructeur[s] des valeurs fondamentales sur lesquelles repose la Convention »[12]. Ce sont des discours « pas suffisamment graves »[13] pour relever de l’article 17 et de l’irrecevabilité pour abus de droit.
À partir de quand un « discours de haine » devient-il contraire aux valeurs de la Convention ? En-deçà de quel seuil bénéficiera-t-il du label « pas suffisamment grave » ? La ligne de démarcation, entre les « discours de haine » radicaux relevant de l’irrecevabilité et les « discours de haine » qui ne le sont pas au point que la requête de leur auteur mérite d’encourir une telle irrecevabilité, est tellement floue que l’on a du mal à bien suivre la CEDH : capable d’invoquer l’article 17, au sujet d’un spectacle humoristique de très mauvais goût, pour déclarer irrecevable la requête de l’humoriste pénalement condamné pour injure raciale ; mais capable, par ailleurs, de conclure à une violation de l’article 10 (et donc à une inapplicabilité implicite, en amont, de l’article 17) au sujet de la répression de propos dont elle-même considère qu’ils sont manifestement une apologie de la violence terroriste (et pas de n’importe laquelle : celle qui vient tout récemment de frapper les Français). Est-il si évident que cela que des faits d’injure raciale perpétrés dans le cadre d’un spectacle, aussi obscène fût le propos délivré, soient davantage contraires « aux valeurs fondamentales sur lesquelles repose la Convention » qu’une glorification d’assassins qui viennent d’endeuiller la France et dans laquelle la Cour elle-même reconnaît une « incitation indirecte »[14] à l’usage d’une telle terreur meurtrière ? Comme un écho à ces incertitudes quant à la distinction entre les discours relevant de l’article 17 et ceux relevant de l’article 10, l’on en trouve de comparables pour ce qui est de la mise en œuvre de l’article 10 lui-même, lorsqu’il s’agit de savoir si la répression du « discours de haine » consiste ou non en une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.
B- Les aléas du contrôle proportionnaliste au visa de l’article 10 de la Convention
Si, l’article 17 n’étant pas sollicité, un contrôle du respect de l’article 10 de la Convention est mené, il faut, pour que ce contrôle se résolve par une exonération pénale, établir que la répression porte une atteinte non nécessaire ou à tout le moins disproportionnée à la liberté d’expression. Même en matière de répression des « discours de haine », il ne saurait y avoir de systématisme punitif abstrait : chaque affaire a sa propre particularité qui doit être prise en compte et, quand même le discours litigieux réunirait les éléments constitutifs de l’une des cinq infractions (diffamation, injure, provocation, apologie, négationnisme), encore faudrait-il vérifier que sa répression in casu est nécessaire et proportionnée. Là encore, c’est la casuistique qui est reine.
D’abord, le juge doit déterminer si la condamnation litigieuse constitue une ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant, ingérence prévue par la loi et poursuivant un but légitime, et si elle est « nécessaire, dans une société démocratique » au sens du second alinéa de l’article 10 de la Convention. Les buts légitimes énumérés par la Convention sont suffisamment larges et nombreux[15] pour que, à l’instar de ce que permettent les objectifs de valeur constitutionnelle du Conseil constitutionnel, la nécessité soit très facilement caractérisée. C’est donc à l’occasion de l’étude de la proportionnalité que l’essentiel va se jouer, en considération des « motifs pertinents et suffisants » opposés par l’État français pour justifier le besoin social impérieux d’avoir réprimé le discours dit « de haine » – le souci de la subsidiarité et la marge de manœuvre étant revivifiés en la matière.
Trois points attirent particulièrement l’attention quant à l’invocation de la liberté d’expression afin d’échapper à la condamnation pénale : d’abord, l’inscription du discours dans un débat d’intérêt général ; ensuite, l’humour, la satire, le second degré comme mobile d’un discours en apparence « haineux » ; enfin, l’écoulement du temps pour certains discours prenant pour sujet des crimes passés.
Quant au « débat d’intérêt général » ou « d’intérêt public », qui est désormais partout et devient la variable d’ajustement du droit d’invoquer sa liberté d’expression dans les prétoires, son articulation avec la notion de « discours de haine » semble délicate dans la mesure où ils ont l’air antinomiques. La casuistique relative aux opérations d’appel au boycott des produits israéliens témoigne de la difficulté à avoir des certitudes : débat d’intérêt général quand il s’agit de citoyens lambda, dont la condamnation pour « provocation à la discrimination » (ce qui est réputé, en principe, être un « discours de haine » quasi-canonique) apparaîtra abusive aux juges ; mais sortie du champ du débat d’intérêt général pour l’élu local qui organise l’appel au boycott, et qui ce faisant peut être condamné pour provocation. La qualité du locuteur peut donc influer sur le fait que les juges retiendront ou non l’existence d’un « débat d’intérêt général » dans lequel inscrire légitimement « l’expression politique et militante », au point de voir ou non dans le discours litigieux un « discours de haine » dont la répression ne violerait pas l’article 10. La catégorie des « discours de haine » n’est donc pas un bloc monolithique puisque la « haine » redoutée (celle de l’auteur, celle qui peut naître dans le public) est susceptible d’une gradation (discours relevant de l’article 17 ; discours relevant de l’article 10 mais excluant l’inscription du discours dans un débat d’intérêt général ; discours relevant de l’article 10 et, malgré une apparence de « discours de haine », s’inscrivant dans un débat d’intérêt général).
Ainsi, en dépit de ces sous-distinctions parfois un peu jésuitiques, le contrôle est possible et le « débat d’intérêt général » est donc un moyen de défense que les plaideurs devraient invoquer, par acquit de conscience, mais sans ignorer la grande incertitude entourant les chances de succès de ce moyen : la plupart du temps, les juges risquent de considérer que ce qu’ils estiment, eux, être un « discours de haine » est ontologiquement impropre à s’inscrire dans un débat d’intérêt général ou public (la fameuse haine excluant bien opportunément l’intérêt général et vice-versa, en quelque sorte). C’est là, nous semble-t-il, l’une des faiblesses terribles de la notion de « discours de haine », qui se voudrait objective mais qui est tellement étendue dans sa mise en œuvre qu’elle est en réalité dépendante de la subjectivité des juges ou, à tout le moins, de la proximité plus ou moins relâchée du propos avec la doxa médiatisée du moment que, à défaut de critères objectifs fiables, certains juges seront enclins à prendre en (excessive) considération. La casuistique est donc nécessairement de mise, rendant la solution difficilement prévisible – d’aucuns pourraient évoquer une « liberté d’expression de Schrödinger » : avant que le juge n’ait « ouvert la boîte », le propos est potentiellement à la fois un discours de haine et un discours s’inscrivant dans un débat d’intérêt général.
Le problème de la sensibilité politique du juge est, au choix, le grand impensé ou le grand tabou du système – et l’on s’en sort avec une rassurante pensée magique, en se disant que puisqu’il doit être impartial, il le sera[16]. Mais, en tout état de cause, être impartial n’empêche pas les biais politiques, la sensibilité plus ou moins grande que la personne du juge a pour tel ou tel sujet épineux, et là encore cela favorise le « pas-de-vague » au détriment du discours hétérodoxe, virulent, extrême – et d’autant plus facilement qualifié d’extrême que la mode sera au ventre mou. C’est particulièrement notable dans les hypothèses où la défense entend substituer l’humour à la haine comme motif du discours afin d’échapper à une condamnation.
Rappelons d’abord que l’expression humoristique ou satirique, comme tout mode d’expression, peut participer à un débat d’intérêt général[17] et que la CEDH reconnaît, d’une part, l’existence d’un « langage inhérent à la caricature, qui peut être une forme d’expression artistique, par définition provocatrice »[18] et, d’autre part, derrière la « satire », l’existence d’une « forme d’expression artistique et de commentaire social [qui] par ses caractéristiques intrinsèques d’exagération et de distorsion de la réalité, […] vise naturellement à provoquer et à susciter l’agitation »[19]. Certes. Mais quant à la capacité de cette expression humoristique ou satirique à exonérer l’auteur du discours de sa responsabilité pénale, elle va beaucoup varier.
Les personnalités publiques qui seraient, à l’avance, cataloguées[20] « ségrégationnistes » risquent d’être convaincues de premier degré, c’est-à-dire d’adhésion à l’idéologie derrière la plaisanterie ou la boutade (ce qui de facto leur interdit tout trait d’humour noir, en public, sur un sujet sensible au regard duquel ils ont déjà, selon une formule à la mode, « un passif »). Mais les caricaturistes, humoristes, satiristes de métier ne sont pas non plus à l’abri d’une condamnation (quand bien même ils considéreraient que l’humour, pour être drôle, doit être « bête et méchant ») : bien au contraire, si l’on en croit un auteur qui, dans la décision d’irrecevabilité rendue en 2015 (déjà évoquée supra), voyait, en creux, le fait que pour la Cour, l’humoriste convaincu d’injure raciale s’était « livré à un double détournement : celui de la liberté d’expression en général, et celui de la liberté d’expression artistique en particulier »[21]. Tout comme l’édile dans l’affaire du « boycott », celui qui « fait profession » d’humoriste n’a pas nécessairement une chance accrue d’être exonéré mais, au contraire, parfois sera soumis à une exigence accrue de responsabilité en vertu de la portée de ses propos, appelés à une large diffusion et une influence importante sur le (son) public. En somme, la contrepartie du régime de liberté renforcée (politique, artistique) tiendrait au renforcement corrélatif de la facilité de répression de ceux qui « détournent » une telle liberté aux yeux des juges.
C’est que le statut de l’auteur du discours est l’un des éléments précieux à considérer pour réaliser le contrôle de proportionnalité. Il n’est pas le seul : l’intention et la forme du discours importent également. Le contexte, lui aussi, est pris en compte, et semble même fondamental : le « climat social », les tensions au sein de la population, le fait qu’un propos soit, pense-t-on, susceptible d’être l’étincelle qui ruine les derniers espoirs de concorde nationale ou de paix sociale… Voilà autant d’éléments qui peuvent soustraire un locuteur du bénéfice de l’article 10§1 de la Convention – alors même que son propos, dans un autre contexte social, aurait pu être protégé. Il y a donc une protection à géographie et chronologie variable, qui favorise derechef l’idéologie du « pas-de-vague » et risque de conduire à criminaliser ceux dont on craindra qu’ils aient pu jouer le rôle d’étincelle avant l’explosion et ce, quand bien même cette explosion ne se serait pas produite. Ici l’on joue un peu à « se faire peur » (puisque le propos n’a pas été suivi d’effet… mais l’on postule que c’est d’une gravité équivalente) sur le dos du locuteur provocateur qui n’était pas the right man at the right place et en tout cas pas at the right time[22].
« Right time»… C’est justement avec la question de l’écoulement du temps que nous souhaiterions achever ce petit tour d’horizon. En matière d’apologie de crimes de guerre ou de collaboration avec l’ennemi, la CEDH a pu condamner la France dont les juges pénaux avaient réprimé un discours favorable au Maréchal Pétain (porté par son avocat et deux associations, qui militaient pour une révision de son procès) ou les aveux complaisants d’un haut gradé militaire sur des actes de torture durant les « événements d’Algérie » : la répression pénale est apparue, dans ces deux affaires, disproportionnée notamment au regard de l’ancienneté des événements au cœur du discours poursuivi comme apologétique (antérieurs, pour l’un, à 1945 et, pour l’autre, à 1962). Pour les juges de Strasbourg, « le recul du temps entraîne qu’il ne conviendrait pas, quarante ans après, de leur appliquer la même sévérité que dix ou vingt ans auparavant. Cela participe des efforts que tout pays est appelé à fournir pour débattre ouvertement et sereinement de sa propre histoire »[23].
L’écoulement du temps serait-il un moyen d’exonération invocable ? Oui, mais pas à n’importe quelle condition : il ne saurait exonérer les propos « ayant sans équivoque pour but de justifier des crimes », qui seraient « caractéristiques d’un détournement de l’article 10 de sa vocation »[24]. Il ne saurait non plus bénéficier aux négationnistes puisque, dès l’arrêt Isorni, la CEDH a exclu le jeu de l’écoulement du temps sur les propos relatifs à des sujets ressortissant à « la catégorie des faits historiques clairement établis – tels que l’Holocauste – dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10 »[25].
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En somme, tant pour ce qui concerne les moyens de défense classiques du droit de la presse que pour ce qui concerne le contrôle de conventionnalité, il semble bien que les causes d’exonération soient, sinon totalement impossibles à mettre en œuvre, du moins très largement entravées dans leur effectivité en matière de « discours de haine », en comparaison de leurs chances de succès dans le contentieux pénal relatif aux autres types de discours pouvant faire l’objet de poursuites. Le bilan global est donc rassurant pour les promoteurs d’une répression accrue des discours dits « de haine », qui se réjouiront de voir l’exonération difficile et donc « l’impunité » rare en la matière. Quant à ceux qui ne se résignent pas à voir de l’impunité dans le primat de la liberté, ou qui trouvent douteuses, au regard des exigences de la légalité matérielle et de la prévisibilité répressive, la notion même de « discours de haine » et certaines des incriminations correspondantes, ou qui ne sont pas convaincus que les tribunaux aient besoin d’être encore plus engorgés avec un tel contentieux, ou qui seraient tentés de penser que, s’il existe un « droit pénal de l’ennemi », la pénalisation des « discours de haine » en est l’une des branches les plus éclatantes[26]: tous ceux-là risquent, de plus en plus, de garder pour eux leur inquiétude de vieux libéraux et de se taire, un peu lâchement, de peur que la critique de l’incrimination des « discours de haine » ne finisse, un jour prochain, par être elle-même assimilée à un « discours de haine ».
[1] Th. Besse, La pénalisation de l’expression publique, thèse Limoges 2018 (dir. D. Roets), § 189, p. 178.
[2] Nous empruntons le terme à E. Dreyer (« Presse et communication – Fasc. 100 : Diffamations et injures spéciales », JCl. Lois pénales spéciales, 2015, màj 2021). L’adjectif – qui, dans son sens premier et politiquement « neutre », renvoie à « l’action de séparer quelqu’un ou quelque chose d’un ensemble » – a pour lui d’englober les différents motifs qu’au fil des années le législateur pénal a cru devoir identifier comme méritant de faire l’objet d’un traitement plus répressif (race, religion, orientation sexuelle, etc.) lorsque c’est en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance de l’objet du discours à un public cible, à un « groupe de victimes » définissable par l’un de ces motifs, que le discours a été tenu – ou, à tout le moins, que son auteur a été poursuivi.
[3] E. Raschel, « Fasc. 116 : Diffamation – Justification », Jcl. Communication, 2020, màj 2023, § 64.
[4] Encore que, pour certains esprits, c’est la distinction-généralisation en elle-même qui sera attentatoire à l’honneur, quand même elle serait laudative : ils nous expliqueront qu’un compliment peut être stigmatisant s’il procède d’une assignation à un groupe-cible.
[5] Précisons : très confortable pour les tenants d’une ligne très répressive, soucieux de se ménager un confort moral à l’audience (en s’épargnant l’étude des fameuses « réflexions et assimilations odieuses » évoquées supra) et un confort probatoire facilitant la condamnation (en neutralisant par avance un moyen de défense).
[6] Circulaire du 20 avril 2017 de présentation des dispositions de droit pénal ou de procédure pénale de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
[7] B. de Lamy, La liberté d’opinion et le droit pénal, LGDJ, Bibl. sc. Crim., t. 34, 2000, p. 189, n° 327.
[8] Ph. Conte, « La bonne foi en matière de diffamation : notion et rôle », Mélanges offerts à Albert Chavanne : droit pénal, propriété industrielle, Paris, Litec, 1990.
[9] CEDH, 18 mai 2004, Seurot c/ France.
[10] Une banalisation soulignée, notamment, par J.-P. Marguénaud, « L’humoriste Dieudonné sous le couperet de l’article 17 : du Zénith au nadir », RSC 2016, p. 140.
[11] V. ainsi Th. Besse, préc., § 243, p. 227, renvoyant lui-même à H. Cannie et D. Voorhoof ou à F. Sudre.
[12] La formulation est celle retenue par l’Unité de la Presse de la CEDH dans la « fiche thématique » qu’elle consacre aux « discours de haine ».
[13] CEDH, 10 juil. 2008, Soulas et al. c/ France, § 48.
[14] CEDH, 23 juin 2022, Rouillan c/ France : « Les propos litigieux doivent être regardés, eu égard à leur caractère laudatif, comme une incitation indirecte à l’usage de la violence terroriste » (§ 71). Sur le principe de la déclaration de culpabilité et le principe d’une sanction pénale, la Cour ne trouve rien à redire, mais elle va malgré tout condamner la France pour disproportion de la peine (un emprisonnement de 8 mois ferme et 10 mois avec sursis probatoire). L’on aurait pu raisonnablement penser que, saisie de la requête d’un ancien terroriste, jadis condamné à perpétuité pour son implication dans des assassinats, et qu’elle reconnaissait dans son argumentation comme un apologiste de la violence terroriste, la CEDH solliciterait l’article 17 pour s’abstenir d’un tel contrôle de proportionnalité, comme elle l’a déjà fait maintes fois pour d’autres discours.
[15] « Nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
[16] Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation procèdent d’une façon comparable lorsqu’ils sont saisis des vices de rédaction d’une loi au regard du principe de légalité matérielle (manque de clarté, d’intelligibilité, de précision, de prévisibilité…). Fréquemment, ils « sauvent » les dispositions dont le contrôle de constitutionnalité est sollicité, au motif qu’elles définissent un délit ou une peine « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire » (v. par ex. Cons. Const. 16 juil. 1996, n° 96-377 DC ou Crim. 18 juin 2019) : puisque les juges doivent interpréter la loi strictement, alors c’est qu’ils le feront – et le justiciable poursuivi au visa d’un texte imprécis à l’application incertaine est prié de se contenter de faire confiance à ses juges.
[17] V. par ex. CEDH, 19 févr. 2015, Bohlen c/ Allemagne.
[18] CEDH, 2 oct. 2008, Leroy c/ France, § 39.
[19] Idem, § 44.
[20] Ou « étiquetées », ou « labellisées » : le lecteur choisira le terme qui lui convient le mieux. Peut-être y aurait-il, en matière de pénalisation des « discours de haine » et de variations prétoriennes sur leur exonération, de quoi revivifier la « labelling theory » chère à certains criminologues…
[21] J.-P. Marguénaud, « L’humoriste Dieudonné sous le couperet de l’article 17 : du Zénith au nadir », préc.
[22] Ce qui ne serait pas si grave si cela n’intervenait pas dans un cadre judiciaire (devant des juridictions pénales dont on nous dit à longueur d’années qu’il faut désengorger leur rôle, et qui sont occupées par des affaires autrement graves quoique, certes, moins facilement médiatisables et moins « commentables » sur les plateaux de télévision) et dans une perspective répressive, c’est-à-dire d’atteinte structurellement virulente aux libertés essentielles.
[23] CEDH, 23 sept. 1998, Lehideux et Isorni c/ France, § 55.
[24] CEDH, 15 janv. 2009, Orban c/ France, § 35.
[25] CEDH, 23 sept. 1998, Lehideux et Isorni c/ France, § 47.
[26] Mais paradoxalement défendue par une partie de ceux que l’idée même d’un « droit pénal de l’ennemi » est censée rebuter…