Abattage rituel : la nécessaire mise en balance entre le bien-être animal et la liberté religieuse
Commentaire de l’arrêt de la CJUE, Grande Chambre, 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. c. Vlaamse Regering, C-336/19.
Le bien-être animal est un sujet qui s’impose ; l’actualité tant politique que juridique regorge d’exemples l’attestant. C’est le cas de la question de sa prise en compte dans le cas de l’abattage rituel. Si les juges français n’apparaissent pas des plus réceptifs aux requêtes des associations de protection animale[1], la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) parait plus encline à protéger, dans une certaine mesure, le bien-être des animaux. Déjà on doit au droit de l’Union européenne (UE) l’émergence d’un véritable corpus juridique protégeant le bien-être animal. Avant d’aborder la question de l’abattage rituel, qui nous occupera dans cet article, il semble nécessaire de faire un léger détour pour s’appesantir quelque peu sur le contexte juridique relatif au bien-être animal.
Le terme de bien-être animal « est apparu en Grande-Bretagne à la fin des années 1960 »[2] dans un contexte particulier d’intensification du processus de l’élevage, « en tant qu’interrogation critique sur les conditions de vie des animaux en systèmes industrialisés »[3]. L’objectif de l’introduction de ce concept en droit était donc de « répondre au souci d’améliorer les conditions d’élevage des animaux, qui se sont dégradées à mesure que se développait l’élevage intensif et industrialisé »[4]. Conjointement à ce processus d’industrialisation de l’élevage, le Conseil de l’Europe décide de s’intéresser au sort réservé aux animaux de rente[5] et adopte plusieurs conventions ayant pour objectif la protection des animaux « exploités » par l’homme. En parallèle, la Communauté économique européenne légifère à son tour sur la protection du bien-être des animaux. Sont concernés les animaux de rente aux trois stades de la production : transport[6], élevage[7] et abattage[8] mais également les animaux utilisés lors d’expériences scientifiques[9]. Ces textes, que l’on peut qualifier de « généraux » en tant qu’ils encadrent certaines activités, font référence presque systématiquement à cette recherche du bien-être animal. L’intervention des Communautés européennes est justifiée par la volonté d’harmoniser les différentes législations nationales afin d’assurer le bon fonctionnement du marché commun[10]. Depuis, ces textes ont fait l’objet de nombreuses actualisations et le corpus s’est enrichi de textes à vocation « sectorielle », c’est-à-dire s’appliquant uniquement à certaines espèces animales[11]. Le bien-être animal concerne ainsi les animaux ayant une vocation économique, et se donne pour objectif de préserver leur sensibilité en adoucissant, autant que faire se peut dans un système industrialisé, leurs conditions de vie. En parallèle, le droit primaire a également fait une place au bien-être animal : le Traité de Lisbonne de 2007 intègre le bien-être animal à l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ce texte impose aux États membres de « prendre en compte » les exigences de bien-être animal lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans différentes « activités qui possèdent une dimension économique »[12].
Malgré ce corpus en apparence protecteur, de nombreuses atteintes au bien-être des animaux subsistent[13]. Certaines sont motivées par des considérations économiques[14], d’autres sont justifiées par des considérations d’ordre social[15] : la tradition, la culture et, ce qui va nous intéresser ici, la religion font office de justification à la commission d’actes générateurs de souffrance envers l’animal. L’abattage rituel en est un exemple caractéristique.
Selon Mustapha Afroukh, l’abattage rituel correspond à « une exigence propre aux religions musulmane (Dhabiha) et juive (Shehita), de procéder à une mise à mort de l’animal sans étourdissement préalable » [16]. La viande est considérée comme halal ou casher si « l’animal est égorgé en pleine conscience afin qu’il soit vidé entièrement de son sang, la saignée devant s’effectuer selon des règles précises et par des sacrificateurs qualifiés et agréés par les autorités religieuses »[17]. Cet égorgement « en pleine conscience » est vecteur de souffrance pour l’animal et c’est pour cette raison que le règlement du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort[18] (ci-après le « règlement de 2009 »), rend obligatoire et érige en principe, en son article 4, paragraphe 1[19], l’étourdissement de l’animal avant sa mise à mort. Il est en effet considéré que l’étourdissement permet de « provoquer un état d’inconscience et une perte de sensibilité avant la mise à mort ou au moment de celle-ci »[20], réduisant alors les souffrances de l’animal. Néanmoins, afin de respecter la liberté de religion, l’article 4, paragraphe 4 rend cette obligation inapplicable « pour les animaux faisant l’objet de méthodes particulières d’abattage […] pour autant que l’abattage ait lieu dans un abattoir ». Cette exception n’est pas récente et cette pratique fut permise dès l’adoption, en 1974, de la première directive encadrant l’abattage et prescrivant l’étourdissement[21]. Pour autant, ce type d’abattage n’est pas exempt de tout encadrement[22] : en France, celui-ci doit notamment s’effectuer obligatoirement dans un abattoir agréé et répondre à différentes exigences[23]. Cette pratique, représentant d’ailleurs une manne financière importante[24], est loin d’être marginale en France. En effet, d’après le Conseil économique social et environnemental français, la France est l’État « qui pratique le plus cette dérogation » au sein de l’UE[25]. Ainsi, « en 2016, 218 établissements sont agréés pour réaliser des abattages rituels, 15 % des bovins et 27 % des ovins étaient abattus de manière rituelle »[26]. Elle cristallise néanmoins un certain nombre de tensions. Sur le terrain de la protection animale, tout d’abord, elle apparaît comme inacceptable en tant qu’elle fait inéluctablement souffrir l’animal – en le laissant parfois agoniser pendant quelques minutes[27]. Sur le terrain théologique, ensuite, des divergences existent sur la possibilité ou non de recourir à cet étourdissement dans le respect des préceptes des religions juive et musulmane[28]. Aussi, certains États européens ont rendu obligatoire l’étourdissement réversible de l’animal dans le cadre de l’abattage rituel : les Pays-Bas, la Slovénie, la Suède, le Danemark, certains länder autrichiens et, récemment, la Belgique[29]. Ces initiatives sont louables sur le plan de la protection animale, mais elles peuvent engendrer des difficultés sur le terrain de la liberté religieuse. Si le bien-être animal est protégé tant par le droit dérivé que par le droit primaire, la liberté religieuse l’est également au titre de la protection des droits fondamentaux. Ainsi, l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE), adopté sur le modèle de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), met en place cette protection qui concerne « tant la liberté de conscience (le for interne) que la liberté d’agir selon les prescriptions de sa religion (le for externe) » comprenant, à ce titre, « la liberté de manifester sa religion par l’accomplissement de rites – comme l’abattage rituel – qu’elle comporte »[30].
C’est précisément cette conciliation entre bien-être animal et liberté religieuse que le juge de l’Union a dû opérer dans l’affaire étudiée dans cet article. En Belgique, les régions flamande et wallonne « ont adopté, en 2017, des mesures mettant fin à la dérogation d’étourdissement et prévoyant, à la place du régime dérogatoire, l’étourdissement réversible de l’animal » insusceptible de provoquer sa mort[31]. La méthode employée pour procéder à cet étourdissement, l’électronarcose, présente son importance car elle permet que l’animal « soit intact et sain au moment de l’abattage et qu’il meure par hémorragie », ce qui est, selon le gouvernement flamand, exigé par les rites religieux juif et islamique[32]. Saisie par différents organismes religieux d’un recours en annulation contre le décret flamand, la Cour constitutionnelle belge a décidé de saisir la CJUE de trois questions préjudicielles[33] : l’article 26, paragraphe 2, alinéa 1 sous c) du règlement de 2009, permettant le maintien ou l’adoption de mesures plus protectrices que celles prévues par le règlement[34], pouvait-il être interprété comme autorisant les États membres à interdire l’abattage des animaux sans étourdissement et à imposer l’étourdissement réversible dans le cadre des abattages rituels ? Dans l’affirmative, la CJUE devait répondre à deux questions en appréciation de validité : cette interprétation de l’article 26 viole-t-elle la liberté de religion, d’une part, et les principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique, d’autre part.
Pour la première fois, il va être donné la possibilité à la Cour de se prononcer sur la conciliation à opérer entre les impératifs de bien-être animal et les impératifs relatifs à la liberté de religion. Cet exercice de conciliation lui permet d’affirmer que le bien-être animal n’est pas un impératif de second rang, destiné à s’effacer face à (l’hégémonie de) la liberté religieuse : il constitue une préoccupation centrale des réglementations encadrant le traitement de l’animal par l’Homme et, plus largement, de l’UE.
Malgré des conclusions de l’avocat général Gérard Hogan, faisant primer la liberté religieuse, nous allons voir que la Cour de justice valide une conciliation des intérêts en présence plus équilibrée, témoignant de la montée en puissance de l’impératif de bien-être animal (II). Cela va de pair en grande partie avec l’importante marge d’appréciation que la Cour reconnaît aux États pour opérer cette conciliation (I).
I – La reconnaissance d’une importante marge nationale d’appréciation pour concilier bien-être animal et liberté religieuse
La marge d’appréciation reconnue aux États dans l’application du règlement de 2009 permet une interprétation du règlement favorable à la préservation du bien-être animal (A) et joue également un rôle important dans le contrôle de nécessité de la mesure opéré par la Cour (B).
A- Une interprétation favorable à la préservation du bien-être des animaux lors de leur mise à mort
Dans un contexte jurisprudentiel favorable (1), la Cour procède à une interprétation du règlement de 2009 accordant aux États, en vertu du principe de subsidiarité, une liberté importante leur permettant de procéder eux-mêmes à la conciliation du bien-être animal et de la liberté religieuse et, à ce titre, d’adopter une mesure rendant obligatoire l’étourdissement réversible de l’animal dans le cadre de l’abattage rituel (2).
1°/ Des précédents jurisprudentiels attestant de l’importance d’encadrer l’abattage rituel
L’abattage rituel s’est déjà retrouvé à différentes reprises devant la justice européenne. La Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) a été confrontée, en 2000, à cette question[35]. L’encadrement de cet abattage en France était contesté – cette pratique étant réservée aux seuls sacrificateurs habilités par des organismes religieux agréés[36]. La Cour fut saisie d’un recours par un groupe minoritaire juif qui s’était vu refuser cet agrément et qui considérait « que le groupe ayant obtenu l’agrément pour pratiquer l’abattage rituel n’abattait pas de façon suffisamment traditionnelle »[37]. Après avoir relevé que l’abattage rituel doit être considéré comme relevant du « droit de manifester sa religion par l’accomplissement des rites, au sens de l’article 9 » (§74), la juridiction rejette ce recours en précisant que cet article « ne saurait aller jusqu’à englober le droit de procéder personnellement à l’abattage rituel » (§82). Ainsi, « il n’y aurait ingérence dans la liberté de manifester sa religion », seulement si le groupe était privé « de manger de la viande provenant d’animaux abattus selon les prescriptions religieuses qui leur paraissent applicables en la matière » (§80). Aussi, c’est seulement la possibilité de se procurer une viande abattue conformément à son rite qui semble ici protégée.
La CJUE, quant à elle, a été confrontée à cette question à deux reprises. Ces arrêts récents présentent un intérêt particulier en tant qu’ils ont préparé un terreau fertile[38] à la décision qu’il nous revient ici de commenter. Dans un premier arrêt du 29 mai 2018[39], était contesté la validité de l’article 4, paragraphe 4, lu en combinaison avec l’article 2, sous k), du règlement de 2009 en tant qu’il pose l’obligation de pratiquer l’abattage rituel sans étourdissement dans un abattoir agréé par les autorités nationales et respectant certaines exigences techniques requises par le règlement n° 853/2004[40] (pt. 55). Selon les requérants, cette obligation violait, entre autres, la liberté de religion garantie par l’article 10 CDFUE. La Cour retient une acception large de la notion de religion et considère que l’abattage rituel relève bien de la liberté de manifester sa religion (pt. 49) mais l’obligation d’y recourir au sein d’un abattoir agréé n’en constitue pas une limitation, affirmant même qu’elle participe au respect de la liberté de religion[41]. Pour ce qui nous intéresse, la Cour considère que le législateur de l’Union aurait, en adoptant cet encadrement de l’abattage rituel, réussi à concilier la protection du bien-être animal et la protection de la santé des consommateurs (pt. 62) et met en exergue la place importante du bien-être animal (pt. 64). Ce dernier constitue l’objectif principal poursuivi par le règlement de 2009 et en particulier par son article 4 (pt. 63).
Une seconde décision relative à l’abattage rituel fut rendue par la CJUE le 26 février 2019[42] à propos de la possibilité d’accorder la labellisation « agriculture biologique » à des produits provenant d’un abattage rituel. Le règlement de 2007 sur l’agriculture biologique[43] entend assurer un niveau élevé de bien-être animal[44]. Aussi, est-ce qu’un abattage sans étourdissement permet d’assurer un tel niveau élevé de bien-être ? La Cour rappelle que l’étourdissement de l’animal constitue la technique la moins attentatoire au bien-être animal lors de l’abattage (pt. 47), que l’abattage rituel, bien qu’autorisé, ne l’est qu’à titre dérogatoire afin d’assurer le respect de la liberté de religion et ne permet pas d’atténuer toute douleur, détresse ou souffrance de l’animal aussi efficacement qu’un abattage avec étourdissement (pt. 48). Elle estime aussi que l’emploi d’une telle technique ne permet pas de réduire « au minimum » les souffrances de l’animal tel que prescrit par l’article 14 du règlement de 2007 (pt. 49). Ainsi, les produits issus d’animaux abattus sans étourdissement préalable ne peuvent se voir apposer le logo biologique de l’Union européenne (pt. 52). Ces deux décisions permettent d’attester de la considération dont témoigne la Cour de justice pour le bien-être des animaux au moment de leur mise à mort[45] et de la difficulté que peut poser l’abattage rituel dans le cadre de cette exigence.
Comme une suite logique, la décision du 17 décembre 2020 permet une véritable confrontation entre d’un côté l’exigence de bien-être animal et de l’autre le respect de la liberté religieuse ; confrontation permise grâce une interprétation du règlement accordant une marge d’appréciation aux États pour procéder à la conciliation de ces deux exigences.
2°/ Une interprétation conforme à l’esprit du règlement
Dans le premier temps de son raisonnement, la Cour de justice décide d’étudier conjointement les deux premières questions qui lui sont posées : l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), lu à la lumière de l’article 13 TFUE et 10 CDFUE, peut-il être interprété comme s’opposant à la réglementation d’un État membre imposant un procédé d’étourdissement réversible dans le cadre de l’abattage rituel ? (pt. 39). La CJUE répond par la négative à cette question en considérant que les États disposent d’une marge d’appréciation pour réglementer l’abattage rituel.
Après avoir rappelé différentes considérations sur le règlement de 2009 déjà énoncées dans ses deux arrêts de 2018 et 2019[46], elle s’intéresse dans le détail aux dispositions litigieuses. L’article 4, paragraphe 4, premièrement, comme interprété dans l’arrêt Liga Von Moskeeën, se fonderait sur la seconde partie de l’article 13 TFUE qui impose de respecter les dispositions législatives et coutumes des États membres en ce qui concerne notamment les rites religieux et il concrétise ainsi l’engagement positif du législateur de l’Union d’assurer le respect effectif de la liberté de religion (pt. 44). L’article 26, dont il est demandé l’interprétation, est ensuite explicité. Selon la Cour, cet article, permettant de maintenir des règles nationales assurant une plus grande protection des animaux et l’adoption de telles règles dans le domaine notamment de l’abattage des animaux conformément à l’article 4, paragraphe 4[47] – c’est-à-dire sans étourdissement –, fut adopté dans l’objectif d’accorder un certain degré de subsidiarité à chaque État. En effet, les dispositions de la directive de 1993[48] – précédant le règlement de 2009 – relatives à l’abattage rituel ont été transposées de manière différente selon les États et il n’y avait, pour ainsi dire, pas de consensus sur la question[49] (pt. 45). Enfin, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, la CJUE précise que l’article 26, paragraphe 4 proscrit aux États membres d’interdire ou d’entraver la mise en circulation de produits issus d’animaux qui n’ont pas été mis à mort d’une manière conforme à leur réglementation – plus protectrice (pt. 46). Ainsi la Cour en déduit, et c’est la clef de son raisonnement, que le règlement de 2009 :
« ne procède pas lui-même à la conciliation nécessaire entre le bien-être des animaux et la liberté de manifester sa religion, mais se borne à encadrer la conciliation qu’il incombe aux États membres d’effectuer entre ces deux valeurs » (pt. 47).
Selon la Cour, conformément au principe de subsidiarité, il revient aux États de procéder à cette conciliation. Cet article 26, tel qu’interprété par la Cour, confère de ce fait une certaine marge d’appréciation aux États pour réglementer l’abattage rituel. Par conséquent, la Cour juge que l’article litigieux ne porte pas en lui-même atteinte à l’article 10 CDFUE et surtout permet aux États membres, au titre de cette conciliation, d’adopter une mesure imposant une obligation d’étourdissement préalable à la mise à mort des animaux dans le cadre de l’abattage rituel, sous réserve que soient respectés les droits fondamentaux consacrés par la Charte. Les États peuvent, par principe, adopter une telle mesure, mais la Cour va vérifier que cela ne contrevient pas au respect de tels droits. Finalement, cela va mener, nous le verrons dans une seconde partie, à opérer un contrôle de proportionnalité de la mesure.
Cette interprétation de l’article 26, paragraphe 2 nous semble conforme à l’esprit du règlement. Comme rappelé expressément par la Cour (pt. 43), cet article constitue une dérogation à l’article 4, paragraphe 1 qui pose le principe de l’étourdissement – pierre angulaire de ce règlement concrétisant la volonté de soustraire l’animal à toute douleur, détresse et souffrance inutiles. Cette possibilité de ne pas recourir à l’étourdissement conserve la place que le législateur de l’Union a souhaité lui attribuer : il s’agit d’une dérogation à un principe et les États disposent d’une certaine liberté pour l’appliquer ou non.
Cette interprétation audacieuse n’était pas celle retenue par l’avocat général dans ses conclusions. Il estimait en effet que la protection du bien-être animal doit parfois « céder devant l’objectif encore plus fondamental de garantir les libertés et convictions religieuses »[50] et que l’article 26, paragraphe 2 ne peut être interprété comme vidant de son contenu l’article 4, paragraphe 4. La formulation de cet article pris isolément peut prêter à confusion. Celui-ci dispose que dans le cadre des méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux, les prescriptions du paragraphe 1 « ne sont pas d’application ». Comme l’avançait Claire Vial, l’emploi de l’indicatif laisse penser que « les États membres doivent prévoir la possibilité d’abattre sans étourdissement dans le but d’assurer la liberté de manifester sa religion »[51]. Pour autant, cette formulation est assouplie par l’article 26 litigieux[52] et surtout, si l’on se réfère à l’esprit du texte dans son ensemble, il s’agit ici seulement d’une dérogation, à laquelle les États peuvent recourir, et la sacraliser de la sorte ne nous semble pas conforme au règlement – qui se donne pour objet, rappelons-le, de protéger le bien-être des animaux. En outre, cette interprétation ne revient pas à vider de sa substance l’article 4, paragraphe 4 mais bien à lui donner sa juste valeur : au titre de la conciliation à opérer entre bien-être animal et liberté religieuse, les États peuvent mettre en œuvre cette dérogation, mais cela n’est en aucun cas rendu obligatoire.
L’interprétation de l’article 26 par la Cour ne s’arrête néanmoins pas là ; s’il est conforme à l’esprit du règlement d’imposer un étourdissement dans le cadre des abattages rituels, encore faut-il que cette limitation à la liberté religieuse passe le test du contrôle de proportionnalité et en premier lieu, qu’elle soit jugée comme nécessaire pour préserver le bien-être animal.
A- L’obligation d’étourdissement considérée nécessaire pour préserver le bien-être animal
Avant de juger du caractère nécessaire de la réglementation belge, encore faut-il que la mesure respecte le contenu essentiel de l’article 10 de la Charte. Selon la Cour, bien que l’obligation d’étourdissement réversible de l’animal constitue une limitation à la liberté de religion (pt. 55), celle-ci ne porte pas atteinte à son contenu essentiel (1). Ce constat opéré, il lui revient, ensuite, d’effectuer un contrôle de nécessité de cette restriction à la liberté de religion – contrôle qui sera limité par la marge d’appréciation reconnue aux États dans le cadre de l’abattage rituel (2).
1°/ Une absence d’atteinte au contenu essentiel de la liberté de manifester sa religion
La Cour de justice juge, à l’évidence, que la réglementation belge en cause relève « du champ d’application de la liberté de manifester sa religion, garantie à l’article 10, paragraphe 1, de la Charte » (pt. 51). Surtout, cette réglementation « emporte une limitation à l’exercice du droit à la liberté des croyants juifs et musulmans de manifester leur religion » telle que garantie par cet article[53] (pt. 55) dans la mesure où la consommation de viande d’animaux abattus sans étourdissement répond à certains préceptes religieux (pts. 53 et 54). Pour être valide, une telle limitation doit satisfaire à certaines conditions fixées à l’article 52, paragraphe 1 dont la Cour vérifie le respect. La limitation doit être prévue par une loi, respecter le contenu essentiel des droits et libertés en cause, et respecter le principe de proportionnalité.
Après avoir conclu que la limitation était prévue par une loi (pt. 60), la Cour estime qu’une telle réglementation, qui impose un étourdissement réversible de l’animal, respecte le contenu essentiel de l’article 10 dès lors que « l’ingérence résultant d’une telle réglementation se limite à un aspect de l’acte rituel spécifique que constitue ledit abattage, ce dernier n’étant en revanche pas prohibé en tant que tel » (pt. 61). Pour parvenir à cette solution, elle se réfère à la définition donnée par les requérants de l’abattage rituel : celui-ci répond à des préceptes religieux exigeant que la viande consommée soit abattue sans étourdissement préalable pour s’assurer que l’animal ne soit soumis à aucun procédé de nature à entraîner sa mort avant l’abattage et qu’il se vide de son sang (pt. 54). Ainsi, l’absence d’étourdissement précédant l’abattage ne constitue qu’un aspect de l’acte d’abattage rituel ; il n’est qu’un moyen permettant de parvenir à la fin visée qui est que l’animal soit vivant lorsqu’il se fait égorger. La pratique n’est donc pas interdite en tant que telle et la réglementation litigieuse respecte, par conséquent, le contenu essentiel de la liberté de manifester sa religion. Cette appréciation de la Cour nous semble logique en ce sens où il n’y a pas de consensus quant aux « moyens » employés pour procéder à un abattage rituel, ou en d’autres termes quant à l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement[54]. La réversibilité de l’étourdissement est donc ici essentielle et il ne fait aucun doute que l’obligation de recourir à un étourdissement non-réversible, dans le cadre de l’abattage rituel, aurait été jugé par la Cour comme portant atteinte au contenu essentiel de l’article 10.
Ces deux premières conditions remplies, la Cour effectue un contrôle de proportionnalité – qui sera, nous le verrons, conditionné par la marge d’appréciation reconnue aux États en matière d’abattage rituel.
2°/ Un contrôle de la nécessité de la restriction subordonné à la marge d’appréciation reconnue aux États membres
A titre liminaire, en vertu du contrôle de proportionnalité et conformément à l’article 52, paragraphe 1, CDFUE, il revenait à la Cour de déterminer si la limitation en question répond à un objectif d’intérêt général. Après avoir noté que l’objectif poursuivi par le législateur flamand était de promouvoir le bien-être animal (pt. 62), la Cour relève qu’en vertu d’une jurisprudence constante[55] « la protection du bien-être des animaux constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union » (pt. 63). Ce prérequis rempli, il convient d’aborder plus en détail le contrôle de proportionnalité opéré par la Cour dans cette affaire ; en effet, il s’agit là du cœur du raisonnement du juge de l’Union. Théoriquement, il est possible de distinguer trois étapes à ce contrôle, emprunté au contrôle de proportionnalité allemand, que l’on retrouve plutôt fidèlement dans cet arrêt : le contrôle du caractère approprié de la restriction, le contrôle de la nécessité de la restriction et le contrôle de proportionnalité stricto sensu de la restriction[56] (ce dernier temps sera commenté dans la seconde partie). La Cour n’aborde pas expressément la première étape mais contrôle sa réalisation en précisant qu’une réglementation imposant l’obligation d’étourdissement réversible « est apte à réaliser l’objectif de la promotion du bien-être animal » poursuivi par la réglementation litigieuse (pt. 66) – constat logique après avoir estimé quelques paragraphes plus tôt que l’étourdissement était le moyen portant le moins atteinte au bien-être animal lors de l’abattage (pt. 41). En revanche, elle s’appesantit davantage sur la condition de nécessité, sans pour autant exercer à ce titre un contrôle approfondi. Au titre de cette condition, la Cour explique que les limitations apportées par le décret à la liberté de manifester sa religion ne doivent pas dépasser
« les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés » (pt. 64).
L’idée qui préside ici est qu’il doit exister un rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé[57] et il revient donc à la Cour de juger de la nécessité de rendre obligatoire l’étourdissement préalable à l’abattage rituel dans le but de préserver le bien-être animal. Ce contrôle de la nécessité de la restriction va s’avérer restreint en raison de la marge d’appréciation que reconnaît la Cour de justice aux États dans le domaine de l’abattage rituel.
En effet, la Cour débute en rappelant, et en reprenant donc à son compte, la jurisprudence de la Cour EDH relative à la marge nationale d’appréciation[58] selon laquelle « lorsque des questions de politique générale, telles que la détermination des rapports entre l’État et les religions, sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importante particulière au rôle du décideur national » et « de reconnaître à l’État (…) une ample marge d’appréciation pour décider si et dans quelle mesure une restriction au droit de manifester sa religion ou ses convictions est « nécessaire » »[59] (pt. 67). Il résulte de cette jurisprudence l’idée que « les autorités de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur certaines questions sensibles »[60] ; il s’agit donc d’une « doctrine d’autolimitation »[61]. Aussi, la reconnaissance d’une telle marge d’appréciation peut aboutir à « limiter l’intensité du contrôle de proportionnalité exercé sur les restrictions aux droits fondamentaux »[62]. Nous allons voir que cette limitation du contrôle se trouve à l’œuvre dans l’arrêt commenté[63].
Comme évoqué dans la première partie de son raisonnement (pt. 47), en raison de contextes sociaux et perceptions nationales différentes relatives aux animaux, le législateur de l’Union a souhaité qu’il revienne aux États d’assurer l’équilibre entre protection de l’animal et liberté de manifester sa religion et, pour ce faire, leur a reconnu une « ample marge d’appréciation » (pt. 71). Cette marge d’appréciation est consacrée en l’absence de consensus sur un sujet au niveau européen, ce qui est le cas de l’abattage rituel[64]. En ce sens, le Comité économique social et environnemental français a pu noter que la pratique de l’abattage rituel était hétérogène tant en France – « certains abattoirs en Normandie, agréés pour l’abattage rituel, n’acceptent d’abattre les animaux que sous condition d’étourdissement préalable »[65] – que dans le monde – les Pays-Bas, la Suède, la Finlande, le Danemark, le Luxembourg, la Slovénie et certains länder autrichiens ont interdit l’abattage rituel sans étourdissement[66].
Aussi, pour juger du caractère nécessaire du décret, la Cour se contente d’expliquer qu’en raison du consensus scientifique qui s’est « formé quant au fait que l’étourdissement est le moyen optimal pour réduire la souffrance de l’animal lors de sa mise à mort » (pt. 72), sur lequel s’est fondé le législateur flamand[67] (pt. 73), celui-ci a pu considérer que les limitations en cause « satisfont à la condition de nécessité » (pt. 74). L’étourdissement – le moyen employé – apparaît comme nécessaire pour protéger le bien-être animal – but visé par la mesure belge. Il s’agirait ainsi de la mesure optimale et il n’existerait pas de mesures moins contraignantes, du point de vue de la liberté de religion, permettant d’atteindre le but que le législateur belge s’est fixé. L’on note ainsi une position en retrait de la Cour qui n’exerce pas un contrôle de la nécessité de la restriction approfondie en raison, d’une part, du cadre juridique du règlement de 2009 qui, tel qu’interprété par la Cour, n’effectue pas la conciliation entre bien-être animal et liberté religieuse et reconnaît cette compétence aux États membres (pt. 47) – le contrôle aurait été plus strict si le droit de l’Union prescrivait précisément la conciliation à opérer sans octroyer de marge d’appréciation aux États sur la question. D’autre part, cette position s’explique, plus globalement, par le fait que la question de l’abattage rituel concerne les rapports entre l’État et les religions, terrain sensible sur lequel il existe de profondes divergences (pt. 67).
Pour ce qui est de la justification du caractère nécessaire fondé sur le consensus scientifique relatif à l’étourdissement, bien qu’assez peu développé en raison des considérations énoncées plus haut, celle-ci nous parait cohérente et bien-fondé. La nécessité d’étourdir l’animal avant sa mise à mort afin de le préserver de la douleur est rappelée par le règlement lui-même en son considérant 20, mais est également encouragée par certaines instances politiques. En 2019, le Parlement européen a notamment invité « la Commission à garantir que les animaux [soient] étourdis, sans exception, avant l’abattage rituel religieux dans tous les États membres »[68]. Surtout, comme le soutient le législateur flamand[69], il ne semble pas exister de solutions « moins contraignantes » permettant d’atteindre la réduction des douleurs que permet l’étourdissement préalable. Il peut être procédé à des contrôles plus récurrents des abattoirs, de renforcer la formation des sacrificateurs ou d’imposer la présence d’un vétérinaire. Cela permettra d’éviter les dérives liées à l’abattage rituel, mais ne permettra pas de gager d’une absence de souffrance de l’animal lors de sa mise à mort comme le permet l’étourdissement.
Après avoir considéré la mesure litigieuse comme nécessaire, la Cour de justice procède à l’étude de sa proportionnalité stricto sensu c’est-à-dire au jugement de la conciliation qui est opérée entre les intérêts en présence. Ce sera ici l’occasion d’opérer une conciliation plus équilibrée entre ces intérêts, témoignant de la montée en puissance du bien-être animal en droit de l’Union.
II – Une décision témoignant de la montée en puissance du bien-être animal dans le droit de l’Union européenne
La Cour de justice considère que l’ingérence dans la liberté de manifester sa religion que comporte le décret litigieux est proportionnée (A), consacrant ainsi un nouvel équilibre entre bien-être animal et liberté religieuse et permettant d’envisager, à l’avenir, le renforcement de la protection du bien-être animal au sein de l’Union (B).
A- L’obligation d’étourdissement réversible permettant une juste conciliation entre bien-être animal et liberté religieuse
Cette obligation est mise en exergue dans le dernier temps du raisonnement de la Cour se rattachant à la proportionnalité – que l’on peut nommer « contrôle de proportionnalité stricto sensu de la restriction »[70]. Celui-ci « consiste en une mise en balance des intérêts en présence » qui s’effectue de façon non pas abstraite mais concrète « au regard de l’ensemble des circonstances de l’affaire »[71]. Lorsque plusieurs droits et principes sont en cause, le contrôle du respect du principe de proportionnalité « doit s’effectuer dans le respect de la conciliation nécessaire des exigences liées à la protection des différents droits et principes en cause et d’un juste équilibre entre eux » (pt. 65). La Cour doit donc répondre à la question suivante : la conciliation opérée dans le décret litigieux permet-elle d’assurer un juste équilibre entre le principe de bien-être animal, consacré par l’article 13 TFUE, et la liberté de manifester sa religion, garantie par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte ? Comme déjà évoqué en l’espèce, pour la Cour de justice, ce n’est pas le droit de l’Union qui doit opérer cette conciliation mais les États membres. Il revient néanmoins à la Cour de contrôler cette conciliation. Trois raisons la conduisent à juger cette mesure proportionnée.
Premièrement, concernant la méthode d’étourdissement choisie, la Cour explique que le législateur flamand, pour adopter le décret litigieux, s’est fondé sur des recherches scientifiques démontrant que l’étourdissement n’affecterait pas négativement la saignée et que la méthode choisie, l’électronarcose[72], constitue « une méthode d’étourdissement non létale et réversible de sorte que si l’animal est égorgé immédiatement après l’étourdissement, son décès sera purement dû à l’hémorragie » (pt. 75) – la Cour sous-entendant ainsi que cette méthode permet de respecter les prescriptions des religions juive et musulmane alors même que les requérants soutiennent l’inverse (pt. 14). Outre la volonté de préserver le bien-être animal, le législateur flamand s’est également inspiré du considérant 2 du règlement, à la lumière duquel l’article 4 doit être lu comme prescrivant « de privilégier la méthode de mise à mort autorisée la plus moderne, lorsque des progrès permettent de réduire leur souffrance lors de leur mise à mort » (pt. 76). Ainsi, l’équilibre entre promotion du bien-être animal – par l’étourdissement rendu obligatoire – et respect des prescriptions religieuses – par l’adoption d’une méthode n’affectant pas négativement la saignée et permettant que l’animal soit intact et sain au moment de l’abattage[73] – serait préservé. Alors même que dans l’arrêt Liga Von Moskeeën la Cour a refusé d’entrer dans le « débat théologique qui existerait au sein des différents courants religieux (…) sur la nature absolue ou non de cette obligation »[74], elle s’y confronte ici au titre du contrôle de proportionnalité et juge, indirectement, que la pratique de l’étourdissement réversible « n’est pas interdite par les préceptes des religions juive et musulmane »[75] – alors qu’il n’y a pas de consensus sur cette question[76]. Une véritable conciliation entre liberté religieuse et bien-être animal serait, selon la Cour, possible grâce à cet étourdissement réversible garantissant que l’animal n’est pas mort au moment de l’abattage. Il s’agit d’une solution de compromis, préconisée par certains auteurs, qui, bien que se heurtant « à l’opposition de certaines autorités religieuses », est commandée par « des motifs relatifs à une plus grande prise en compte des droits des animaux et à une conciliation nécessaire de la liberté de religion avec d’autres droits fondamentaux »[77].
Deuxièmement, il a pu être craint que le principe de bien-être animal ne fasse en quelque sorte « pas le poids » face à l’importance de la liberté de religion. Il y aurait un déséquilibre entre ces deux impératifs, ne permettant pas de conclure à la proportionnalité d’une telle mesure. Cela a pu conduire certains commentateurs à estimer que « l’argument de l’atteinte à la liberté de religion suffit à remettre en cause toute réglementation de l’abattage rituel qui accorderait plus de considération de l’animal »[78]. Cependant, la Cour de justice a pu récemment rendre des arrêts témoignant de son intérêt pour le bien-être des animaux – que ce soit dans le cadre de l’abattage rituel[79] ou dans d’autres domaines[80]. Cet arrêt du 17 décembre 2020 acte cette place renforcée du bien-être animal et surtout de la capacité à mobiliser ce principe dans l’adoption d’une réglementation restreignant les droits fondamentaux. En effet, la Cour juge que la Charte est un instrument vivant qui doit, dans son interprétation, « tenir compte de l’évolution des valeurs et des conceptions, sur les plans social et normatif dans les États membres » ; de telles évolutions ces dernières années ont conduit à faire du bien-être animal « une valeur à laquelle les sociétés démocratiques attachent une importance accrue » et peut désormais « être davantage pris en compte dans le cadre de l’abattage rituel et contribuer à justifier le caractère proportionné d’une réglementation » (pt. 77).
L’importance accordée au bien-être animal est croissante, tant au niveau communautaire – l’on pense notamment aux différentes initiatives citoyennes européennes qui concernent le bien-être animal[81] – qu’à l’échelle des États membres – le Code du bien-être animal adopté en Wallonie en 2018[82], la multiplication des propositions de lois concernant le bien-être animal en France[83], la constitutionnalisation de la protection de l’animal aux Luxembourg, en Allemagne et en Autriche l’attestent. La Cour estime, ce faisant, que le bien-être animal peut désormais être « davantage pris en compte dans le cadre de l’abattage rituel », laissant penser que la pratique de l’abattage rituel fait par principe prévaloir la liberté religieuse sur le bien-être animal et qu’il est désormais envisageable, pour les États, de redéfinir un nouvel équilibre et de concilier ces deux valeurs de manière plus proportionnée.
Troisièmement, la Cour avance un dernier argument relatif à la possibilité qui reste donnée aux croyants juifs et musulmans d’importer des produits d’origine animale provenant d’animaux abattus sans étourdissement préalable (pt. 78). Ce faisant, les croyants ne sont pas tenus d’adhérer au postulat selon lequel l’étourdissement réversible de l’animal est compatible avec les préceptes des religions juive et musulmane. Ainsi, comme prescrit par l’article 26, paragraphe 4, du règlement de 2009, le décret litigieux n’interdit ni n’entrave la mise en circulation sur son territoire de produits provenant d’animaux abattus sans étourdissement préalable dans un autre État membre – permettant au même titre de respecter le bon fonctionnement du marché intérieur. Le raisonnement de la Cour est renforcé par le fait que la majorité des États membres autorisent, à l’heure actuelle, ce type d’abattage (pt. 78). Ce faisant, la Cour de justice semble partager la position de la Cour EDH selon laquelle « dès lors qu’un fidèle a la possibilité de trouver une telle viande, serait-ce en l’important d’un autre pays, il n’y a pas d’interférence avec sa liberté de religion »[84].
La Cour adopte, là encore, un raisonnement bien différent de celui de son avocat général pour qui la possibilité de se procurer des produits animaux issus d’abattages rituels en provenance d’un autre État membre ne permet pas en soi de remédier au non-respect, par le décret litigieux, des exigences de l’article 4, paragraphe 4. Rappelant la jurisprudence précitée de la Cour de Strasbourg, l’avocat général expliquait que, même si l’article 10, paragraphe 1 de la Charte correspond à l’article 9 de la Convention, en adoptant le règlement de 2009, « le législateur de l’Union a entendu accorder à la liberté de religion une protection plus spécifique que celle qui peut avoir été exigée par l’article 9 »[85]. Cette question prête nécessairement à la discussion. L’argument développé par la Cour nous semble justifié car il permet de garantir de manière concrète la liberté de religion des requérants. Cependant, la décision rendue peut inciter les États à interdire l’abattage rituel sans étourdissement. Si c’est le cas à l’avenir, le raisonnement de la Cour ne tiendra plus car les croyants pourront effectivement être privés de viandes abattues conformément à leurs prescriptions religieuses et, dans ce cas, nul doute que l’ingérence dans la liberté de religion sera considérée comme disproportionnée à moins que, dans le même temps, un consensus sur la possibilité d’abattre un animal avec étourdissement apparaisse chez les croyants juifs et musulmans – ce qui semble à tout le moins peu probable, tout comme une interdiction généralisée de l’abattage rituel dans tous les États membres de l’Union.
En tout état de cause, considérant les circonstances en présence, la Cour juge que le législateur flamand a pu adopter le décret litigieux « sans excéder la marge d’appréciation que le droit de l’Union confère aux États membres quant à la conciliation nécessaire entre l’article 10, paragraphe 1, de la Charte et l’article 13 TFUE » (pt. 79). Il y a ainsi lieu de considérer que le décret permet « d’assurer un juste équilibre entre l’importance attachée au bien-être animal et la liberté de manifester leur religion des croyants juifs et musulmans » et est, par conséquent, proportionné (pt. 80). Elle conclut en répondant conjointement aux deux premières questions : l’article 26, paragraphe 2, alinéa 1, sous c), lu à la lumière de l’article 13 TFUE et de l’article 10, paragraphe 1, de la Charte, « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui impose, dans le cadre de l’abattage rituel, un procédé d’étourdissement réversible et insusceptible d’entrainer la mort de l’animal » (pt. 81).
Cette décision permet la consécration d’un nouvel équilibre entre bien-être animal et liberté de religion et permettra d’encourager des évolutions en faveur du bien-être animal au sein de l’UE.
B- Une décision courageuse propice à l’adoption de nouvelles mesures protectrices du bien-être des animaux
La consécration d’un nouvel équilibre entre bien-être animal et liberté religieuse atteste clairement de la montée en puissance du bien-être animal et, dans cette optique, la troisième question soulevée par les requérants parait intéressante. Cette question concernait la validité de l’article 26, paragraphe 2, alinéa 1, sous c) au regard des principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique garantis aux articles 20, 21 et 22 de la Charte. En effet, l’article 26 permettrait d’imposer l’étourdissement préalable dans le cadre de l’abattage rituel mais le règlement ne contiendrait pas de mesure similaire concernant la mise à mort des animaux dans le cadre des manifestations culturelles et sportives et des activités de chasse et pêche (pt. 83). La Cour rejette cette argumentation de manière assez brève en expliquant, en substance, que les différences qui opposent ces activités et l’abattage rituel permettent au règlement de 2009 de leur accorder un traitement différent (pts. 84 à 93). Néanmoins, la consécration d’un nouvel équilibre entre bien-être animal et liberté religieuse et la valorisation, ce faisant, du bien-être animal peut nous amener à nous questionner sur le maintien des pratiques citées par les requérants. Plus particulièrement, cette question est l’occasion de mettre en exergue l’absence de réglementation relative aux poissons d’élevages. En effet, seul l’article 3, paragraphe 1, du règlement de 2009 – disposition générale prescrivant d’éviter de causer aux animaux toute douleur, souffrance ou détresse évitable – s’applique aux poissons. Or, si comme le rappelle la Cour, lors de l’adoption du règlement de 2009, « les avis scientifiques relatifs aux poissons d’élevage étaient insuffisants », justifiant de les exclure du champ d’application du règlement (pt. 93), ce n’est désormais plus le cas[86]. La question de leur étourdissement se pose alors avec acuité et nul doute qu’elle fera l’objet de discussions dans un avenir proche[87].
L’apport majeur de cette décision reste inéluctablement la consécration d’un nouvel équilibre entre les impératifs de bien-être animal et la liberté religieuse. Il s’agit d’une solution courageuse, tant la place de la liberté de religion est importante. A ce propos, le rapporteur public Laurent Cytermann avait pu estimer, en 2019, que « tous les textes de droit européen (…) en matière d’abattage ont toujours exclu que cette protection puisse remettre en cause des impératifs religieux »[88]. Même si les deux impératifs sont protégés par des dispositions de droit primaire, la liberté de religion, ancrée de manière plus ancienne, semblait prendre le pas. Symboliquement, le message envoyé ici est fort : le bien-être animal est considéré comme un impératif équivalent à la liberté de religion et peut, ce faisant, venir restreindre cette liberté.
Si l’on revient brièvement sur le contrôle de proportionnalité effectué dans cet arrêt, on l’estime globalement convaincant. La condition de nécessité est justifiée scientifiquement : aucune autre mesure, moins contraignante, dans le cadre de l’abattage rituel, ne semble permettre de garantir le bien-être de l’animal. Sur la mise en balance des intérêts en présence et le caractère proportionné de cet équilibre, le raisonnement convainc même si certains arguments semblent plus fragiles. Selon la Cour, la méthode d’étourdissement choisie – l’électronarcose – permet de concourir au caractère proportionné de l’ingérence dans la liberté de religion en ce sens où elle constitue une méthode réversible n’affectant pas la saignée. La Cour n’affirme pas directement que cette méthode d’étourdissement est conforme aux préceptes des religions juive et musulmane mais en expliquant qu’elle participe au caractère proportionné de la mesure, elle semble adhérer à l’argumentaire développé par le gouvernement flamand selon lequel cet étourdissement constitue une mesure « qui respecte l’esprit de l’abattage rituel » (pt. 13). Néanmoins, elle n’aborde pas les divergences qui ont lieu au sein de ces religions à propos de cette possibilité d’autoriser l’étourdissement et, surtout, on ne voit pas comment cette méthode peut constituer un juste équilibre pour les croyants – dont les requérants – qui considèrent l’étourdissement comme contraire à leurs préceptes religieux. La Cour semble marcher sur des œufs mais il aurait été bienvenu de mentionner, à tout le moins, les débats relatifs à l’étourdissement afin qu’apparaisse plus clairement pourquoi, selon elle, cette méthode permet d’opérer une juste conciliation du bien-être animal avec la liberté religieuse. Selon nous, l’argument permettant d’attester véritablement du caractère proportionné de la mesure est bien la possibilité donnée aux croyants de se procurer de la viande provenant d’animaux mis à mort sans étourdissement préalable. Tant qu’il n’y aura pas de consensus au sein des religions juive et musulmane sur l’étourdissement, cette possibilité permettra de garantir le respect de la liberté de manifester sa religion pour les croyants concernés. Cependant dans l’optique de faire progresser le bien-être animal, il est souhaitable que l’UE rende obligatoire l’étourdissement de l’animal avant sa mise à mort. Ce faisant, cet argument ne sera plus valable. Aussi, il semble important d’entamer de véritables discussions avec les autorités religieuses et, comme le préconise le Comité économique et social européen, d’encourager « la recherche sur des systèmes d’étourdissement qui pourront convaincre les autorités religieuses »[89].
Ce nouvel équilibre consacré permet de réévaluer la place du bien-être animal au sein de l’UE. Désormais, le bien-être animal semble acquérir le statut d’impératif de première importance. Nul doute que cette décision prometteuse ouvrira la voie à des évolutions en faveur de la condition animale. C’est ce que compte faire le nouveau Pacte vert pour l’Europe grâce à une stratégie spécifique[90] consacrée aux animaux. La Commission a, à ce titre, annoncé la révision du règlement de 2009 afin de « prendre en compte les dernières avancées scientifiques et élargir le cadre de la législation pour inclure de nouvelles espèces »[91]. La question de l’abattage rituel fera nécessairement l’objet de débats. La Commission souhaite également « examiner les différentes possibilités pour établir un étiquetage sur le bien-être animal à l’échelle européenne »[92]. La question de l’étiquetage apparait particulièrement pertinente dans le cadre de l’abattage rituel. En effet, il semble que le « surplus » de viandes issues de l’abattage rituel, en France, soit mis sur le marché de la viande « conventionnelle »[93]. Selon Joël Andriantsimbazovina, conformément à la liberté de pensée et de conscience du consommateur, l’étiquetage permettrait « de suivre la trace d’une viande de façon à éviter de manger de la viande provenant d’animal saigné sans étourdissement préalable »[94]. C’est ce que préconise une proposition de loi récente[95] et ce que réclame l’association Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs. Après une mise en demeure de l’État de prendre les mesures normatives pour assurer la traçabilité des viandes issues d’abattages réalisés sans étourdissement restée sans réponse, l’association a déféré, en juin 2020, ce refus implicite devant le Conseil d’État[96]. La juridiction devra donc se prononcer, une fois encore, sur la question de l’abattage rituel, qui ne semble pas avoir fini de faire naitre du contentieux…
[1] L’on peut citer ici le contentieux du Conseil d’État sur la question de l’abattage rituel : v. CE, 5 juill. 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), n° 361441 et CE, 4 octobre 2019, OABA, n° 423647, ou sa décision récente rendue à propos de l’activité de récolte des poils par dépilation des lapins angoras (v. CE, 24 juin 2019, Association One Voice, n° 420883).
[2] Olivier Le Bot, Introduction au droit de l’animal, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, independently published, 2018, 449, § 44.
[3] Jocelyne Porcher, « »Tu fais trop de sentiment », « bien-être animal », répression de l’affectivité, souffrance des éleveurs », Travailler, 2002/2, n° 8, p. 115.
[4] Lucille Boisseau-Sowinski, « Animaux de compagnie, animaux de ferme, animaux sauvages : variabilité de la protection et hiérarchie des sensibilités », in Régis Bismuth, Fabien Marchadier (dir.), Sensibilité animale Perspectives juridiques, CNRS édition, 2015, p. 156.
[5] Les animaux de rente peuvent être définis comme « des animaux mis au monde et exploités principalement à des fins alimentaires » qui sont « assimilés à des marchandises dans le but d’en retirer un profit » ; v. Pauline Muller, « La protection du bien-être des animaux de rente par le droit : une protection effective ? », Revue de droit rural, mai 2016, n° 443, étude 19, § 4.
[6] Directive 77/489/CEE du Conseil, 18 juill. 1977, relative à la protection des animaux en transport international, JOCE n° L 200, 8 août 1977, p. 10 ; remplacée par le règlement (CE) n° 1/2005 du Conseil, 22 déc. 2004, relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes, JOCE n° L 3, 5 janv. 2005, p. 1.
[7] Directive du Conseil 98/58/CE, 20 juill. 1998, concernant la protection des animaux dans les élevages, JOCE n° L 221, 8 août 1998, p. 2.
[8] Directive du Conseil 74/577/CEE, 18 nov. 1974, relative à l’étourdissement des animaux avant leur abattage, JOCE n° L 316, 26 nov. 1974, p. 10 ; remplacée par le règlement (CE) n° 1099/2009, 24 sept. 2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, JOUE n° L 303/2, 18 nov. 2009, p. 1.
[9] Directive 86/609/CEE du Conseil, 24 nov. 1986, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, JOCE n° L 358, 18 déc. 1986, p. 1. ; désormais remplacée par la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil, 22 sept. 2010, relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, JOUE n° L 276/34, 20 oct. 2010, p. 33.
[10] V. préambule de la directive relative à l’étourdissement des animaux avant leur abattage de 1974 ; Lucille Boisseau-Sowinski explique à cet égard que « l’objectif était alors d’harmoniser les législations des différents états membres en matière de protection animale afin d’éviter des distorsions de concurrence entre les États sur le marché communautaire » ; v. Lucille Boisseau-Sowinski, « La consécration du droit animalier, complément utile au droit rural », Revue de droit rural, février 2019, n° 470, étude 5, p. 2.
[11] Sont concernés les poules pondeuses, les poulets de chair, les porcs et les veaux.
[12] Fabien Marchadier, « La protection du bien-être de l’animal par l’Union européenne », Revue trimestrielle de droit européen, 2018, p. 255.
[13] A ce propos, la seconde partie de l’article 13 TFUE précise que la prise en compte du bien-être animal doit se faire « dans le respect des dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».
[14] Le bien-être animal est souvent considéré comme l’absence de souffrances « inutiles » ; certaines pratiques génératrices de souffrance à l’égard des animaux vont ainsi être autorisées au motif qu’elles sont « utiles » et commandées par les nécessités de l’élevage, du transport ou de l’abattage ; v. Thierry Auffret Van Der Kemp, « Sensibilités à la sensibilité des animaux en France », Revue québécoise de droit international, 2011, p. 230.
[15] Sur cette question v. Olivier Le Bot, « Les atteintes à la sensibilité de l’animal au nom de la tradition et de la culture » in Régis Bismuth, Fabien Marchadier (dir.), Sensibilité animale Perspectives juridiques, op. cit., p. 127-145.
[16] Mustapha Afroukh, « Abattage rituel et liberté religieuse », RSDA, 2018/2, p. 426.
[17] Ibid.
[18] Règlement (CE) n° 1099/2009, 24 sept. 2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, op. cit. ; pour une analyse du contenu de ce règlement, v. Muriel Falaise, « Bien-être animal et abattage : la nouvelle donne européenne », Revue de l’Union Européenne, 2012, p. 33.
[19] Article 4, paragraphe 1 : « Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposées à l’annexe I. L’animal est maintenu dans un état d’inconscience et d’insensibilité jusqu’à sa mort ».
[20] Considérant 20 du règlement de 2009.
[21] Pour l’histoire de cette « exception » v. Claire Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », RSDA, 2018/2, p. 438-440.
[22] Décret n° 2011-2006, 28 déc. 2011, fixant les conditions d’autorisation des établissements d’abattage à déroger à l’obligation d’étourdissement des animaux, JORF n° 0301, 29 déc. 2011.
[23] Sur l’encadrement de l’abattage rituel v. Sandrine Biagini-Girard, « Liberté religieuse et droits de l’animal : entre paradoxe(s) et bientraitance », in François-Xavier Roux-Demare (dir.), L’animal et l’homme, Mare & Martin, 2019, p. 175-186.
[24] « Les viandes halal et casher représentent un chiffre d’affaires de plus de 2 Mds€ et environ, 50 % des exportations françaises de viande sont halal ou casher » ; v. Conseil économique social et environnemental, Section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation (CESE), Avis, Les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal, Journal officiel, coll. « avis du CESE », 27 novembre 2019, p. 41.
[25] Ibid.
[26] Ibid., p. 43.
[27] Sur les délais de perte de conscience des animaux abattus sans étourdissement préalable, v. Institut national de la recherche agronomique (INRA), Douleurs animales. Les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage, Expertise scientifique collective « Douleurs animales », Synthèse du rapport d’expertise, décembre 2009, p. 232-233.
[28] L’étourdissement précédant la mise à mort est notamment accepté dans certains pays majoritairement musulmans, tels l’Indonésie ou la Jordanie ; v. CESE, « Les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal », op. cit., p. 42.
[29] Mustapha Afroukh, « Abattage rituel et liberté religieuse », op. cit., p. 440.
[30] Ibid. p. 426 ; le fait que l’abattage rituel soit protégé au titre de la liberté de manifester sa religion est issu de l’arrêt de la CJUE, GC, 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. c/ Vlaams Gewest, C-426/16, EU:C:2018:335, pt. 45.
[31] Claire Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », op. cit., p. 443.
[32] CJUE, GC, 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. c. Vlaamse Regering, C-336/19, ECLI:EU:C:2020:1031, pt. 13.
[33] Cour constitutionnelle belge, 4 avril 2019, n° 53/2019, décision disponible en ligne : http://g8fip1kplyr33r3krz5b97d1-wpengine.netdna-ssl.com/wp-content/uploads/2019/08/Belgian-Constitutional-Court-to-ECJ.pdf [page consultée le 10 janvier 2021].
[34] Article 26, paragraphe 2, alinéa 1, sous c) : « Les États membres peuvent adopter des règles nationales visant à assurer aux animaux, au moment de leur mise à mort, une plus grande protection que celle prévue par le présent règlement dans les domaines suivants : […] c) l’abattage d’animaux conformément à l’article 4, paragraphe 4, et les opérations annexes ».
[35] Cour EDH, 27 juin 2000, Cha’are Shalom ve Tsedek c. France, n° 27417/95.
[36] Art. R. 214-75 c. rur.
[37] Olivier Le Bot, « Les atteintes à la sensibilité de l’animal au nom de la tradition et de la culture », in Régis Bismuth, Fabien Marchadier (dir.), Sensibilité animale Perspectives juridiques, op. cit., p. 132.
[38] Claire Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », op. cit., p. 444.
[39] CJUE, GC, 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. c/ Vlaams Gewest, op. cit.
[40] Ces exigences techniques sont prescrites par le règlement (CE) n° 854/2004, 29 avr. 2004, relatif aux règles d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale, JOUE n° L 139, 30 avr. 2004, p. 55, et rectificatif JOUE n° L 160, 12 juin 2013, p. 15.
[41] La Cour estime notamment que cette obligation n’interdit pas l’abattage rituel et permet même la concrétisation de « l’engagement positif du législateur de l’union » de permettre cette pratique afin d’assurer le respect de la liberté de religion (pt. 56), que cette obligation ne vise qu’à encadrer d’un point de vue technique le libre exercice de l’abattage rituel (pt. 58) et que cet encadrement est non-discriminatoire en tant qu’il vise tous les modes d’abattage (pt. 61).
[42] CJUE, GC, 26 fév. 2019, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) c. Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, C-497/17, ECLI:EU:C:2019:137.
[43] Règlement (CE) n° 834/2007, 28 juin 2007, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, JOUE n° L 189, 20 juil. 2007, p. 1.
[44] Article 5, sous h), du règlement n° 834/2007.
[45] Même s’il apparait quand même compliqué de parler de bien-être lors d’une mise à mort…
[46] La protection de l’animal est une question d’intérêt général (pt. 40), le principe d’étourdissement est la méthode portant le moins atteinte au bien-être animal (pt. 41) et répond à l’objectif principal du règlement de 2009 de protection du bien-être animal (pt. 42) et, enfin, la possibilité de ne pas étourdir l’animal avant sa mise à mort, prévu à l’article 4, paragraphe 4, ne constitue qu’une dérogation (pt. 43).
[47] Cet article 26, en son alinéa 2 du paragraphe 2, prévoit la mise en œuvre de cette possibilité : « Les États membres notifient à la Commission toute règle nationale de ce type. La Commission les porte à la connaissance des autres États membres ».
[48] Directive 93/119/CE du Conseil, 22 déc. 1993, sur la protection des animaux au moment de leur abattage, JOCE n° L 340/21, 31 janv. 1993, p. 21.
[49] Sur cette absence de consensus, v. Claire Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », op. cit., p. 438-440.
[50] Conclusions de l’avocat général G. Hogan présentées le 10 septembre 2020 dans l’affaire Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. c. Vlaamse Regering (aff. C-336/19), pt. 62.
[51] Claire Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », op. cit., p. 441.
[52] Ibid.
[53] La reconnaissance d’une ingérence dans la liberté de religion apparait, selon Mustapha Afroukh, comme particulièrement intéressante car cela va permettre la mise en place d’un contrôle de proportionnalité (étudié infra). Dans les arrêts rendus en 2018 et 2019, la CJUE n’avait pas reconnu une telle ingérence et n’avait donc pas eu à se prononcer sur la conciliation entre bien-être animal et liberté religieuse ; v. Mustapha Afroukh, « Abattage rituel et liberté religieuse », op. cit., p. 435.
[54] V. sur cette question, CESE, « Les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal », op. cit., p. 42.
[55] Arrêts du 17 janvier 2008, Viamex Agrar Handel et ZVK, C-37/06 et C-58/06, EU:C:2008:18, pt. 22 ; du 19 juin 2008, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel, C-219/07, EU:C:2008:353, pt. 27 ; du 10 septembre 2009, Commission/Belgique, C-100/08, non publié, EU:C:2009:537, pt. 91, ainsi que du 23 avril 2015, Zuchtvieh-Export, C-424/13, EU:C:2015:259, pt. 35
[56] Catherine Gauthier, Sébastien Platon, David Szymczak, Droit européen des droits de l’homme, Sirey, 2ème éd., 2017, p. 107.
[57] Ibid., p. 107 ; il s’agit d’une formule empruntée à la Cour européenne des droits de l’homme, v. par ex. Cour EDH, 20 nov. 1995, Pressos Compania Naviera S.A. c. Belgique, n° 17849/91, § 38.
[58] V. Cour EDH, 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, n° 5493/72 ; cette doctrine est insérée dans le Protocole n° 15, ouvert à signature le 24 juin 2013 mais non encore entré en vigueur.
[59] Formule issue de l’arrêt Cour EDH, SAS c. France, 1er juil. 2014, n° 43835/11, § 129, à propos de l’interdiction du port du voile intégral.
[60] Catherine Gauthier, Sébastien Platon, David Szymczak, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., p. 111.
[61] Ibid.
[62] Ibid., p. 112 qui cite notamment l’arrêt de la Cour EDH, 18 janv. 1976, Irlande c/ Royaume-Uni, n° 5310/71, § 207.
[63] Sur l’utilisation de la marge d’appréciation dans la jurisprudence de la CJUE, v. Sébastien van Drooghenbroeck, Cecilia Rizcallah, « Limitations aux droits garantis », in Fabrice Picod, Cecilia Rizcallah, Sébastien van Drooghenbroeck (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, coll. Droit de l’Union européenne, 2020, 2ème éd., p. 1282-1283.
[64] Selon la Cour, c’est cette absence de consensus qui a inspiré l’adoption des articles 4 et 26 et l’octroi donc d’un certain degré de subsidiarité aux États pour maintenir ou adopter des dispositions plus protectrices (pt. 68).
[65] CESE, Les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal, op. cit. p. 42.
[66] Claire Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », op. cit., p. 439-440.
[67] Les travaux préparatoires du décret litigieux indiquent que « [l]a marge entre l’élimination de la souffrance animale, d’une part, et l’abattage sans étourdissement préalable, d’autre part, sera toujours très grande, même si des mesures moins radicales étaient prises pour limiter au maximum l’atteinte au bien-être animal » (pt. 73).
[68] Parlement européen, Rapport sur la mise en œuvre du règlement (CE) n° 1/2005 du Conseil relatif à la protection des animaux pendant le transport à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union, 31 janv. 2019, (2018/2110)(I NI)), art. 61 ; le comité économique et social européen a pu considérer que « faire une exception pour l’abattage rituel n’est pas en cohérence avec l’objectif général [d’améliorer la protection des animaux] » ; Comité économique et social européen, Avis sur la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur la stratégie de l’Union européenne pour la protection et le bien-être des animaux au cours de la période 201262015, COM(2012) 6 final, 2012/C 229/20, p. 4.
[69] Selon lui, « [b]ien que d’autres mesures, moins drastiques qu’une interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable, pourraient limiter quelque peu l’incidence négative de cette méthode d’abattage sur le bien-être des animaux, de telles mesures ne peuvent pas empêcher que subsiste une très grave atteinte à ce bien-être » (pt. 62).
[70] Catherine Gauthier, Sébastien Platon, David Szymczak, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., p. 109.
[71] Ibid.
[72] Sur cette méthode d’étourdissement, v. INRA, Douleurs animales. Les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage, op. cit., p. 223-225.
[73] Ce sont les arguments avancés dans les travaux préparatoires du décret (v. pt. 13), auquel la Cour fait droit.
[74] CJUE, GC, 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. c/ Vlaams Gewest, op. cit., pt. 50.
[75] Mustapha Afroukh, « Abattage rituel et liberté religieuse », op. cit., p. 431.
[76] Sur les réticences des religions relatives à l’étourdissement préalable, v. Assemblée nationale (AN), « Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français », 20 septembre 2016, p. 110, disponible en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-enq/r4038-ti.pdf [page consultée le 10 janvier 2021].
[77] Joël Andriantsimbazovina, « Les abattages rituels », in Les animaux et les droits européens, Au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, Pedone, 2009, p. 122.
[78] Mustapha Afroukh, « Abattage rituel et liberté religieuse », op. cit., p. 423.
[79] V. CJUE, GC, 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. c/ Vlaams Gewest, op. cit. ; CJUE, GC, 26 fév. 2019, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) c. Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, op. cit.
[80] V. par ex. CJUE, 5e ch., 23 avril 2015, Zuchtvieh-Export GmbH, C-424/13, ECLI:EU:C:2015:259 concernant les restitutions à l’exportation dans le cadre de la Politique agricole commune et l’extension des mesures protectrices du bien-être animal au-delà des frontières de l’UE. Sur cette question, v. Maud Cintrat, La santé de l’animal d’élevage : recherche sur l’appréhension de l’animal en droit sanitaire, Thèse, Aix-Marseille, 2017, Dactylo, p. 456.
[81] Depuis sa création, cinq ICE ont concerné directement le bien-être animal : une concernait la vivisection, une autre, finalement retirée, concernait les vaches laitières, une concernait la pêche aux ailerons, une autre était relative à l’étiquetage des produits végétariens et végétaliens et enfin la dernière en date invite la commission à proposer une législation interdisant l’utilisation de cages pour de nombreux animaux d’élevages ; v. ces différentes initiatives sur le site de l’Union européenne, disponible en ligne : https://europa.eu/citizens-initiative/home_fr [page consultée le 12 janvier 2021].
[82] Sur ce code v. Allison Fiorentino, Elien Verniers, « Le Code wallon du Bien-être animal : révolution ou réformation ? », RSDA, 2018/2, p. 152.
[83] Par ex. AN, Proposition de loi visant à améliorer le bien-être des animaux de compagnie, n° 3265, 15ème législature, 28 juillet 2020 ; AN, Proposition de loi relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers, n° 3293, 15ème législature, 25 août 2020.
[84] Olivier Le Bot, « Les atteintes à la sensibilité de l’animal au nom de la tradition et de la culture », in Régis Bismuth, Fabien Marchadier (dir.), Sensibilité animale Perspectives juridiques, op. cit., p. 133.
[85] Conclusion de l’avocat général G. Hogan, op. cit., pt. 86.
[86] V. par ex. INRA, La conscience des animaux, Expertise scientifique collective « La conscience animale », synthèse du rapport d’expertise, 2018, particulièrement la conclusion de cette expertise p. 93 « Les oiseaux, les poissons et les reptiles auraient au moins un certain niveau de conscience et de douleur » ; la Commission, dès 2012, souhaitait que soient rendus des avis scientifiques pour chaque espèce de poisson « en vue de prendre les mesures appropriées sur la base des résultats de cette évolution », v. Commission européenne, « Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur la stratégie de l’Union européenne pour la protection et le bien-être des animaux au cours de la période 2012-2015 », COM/2021/06 final, pt. 3.6 ; il est enfin à noter que l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) prescrit depuis 2008 l’étourdissement des poissons : v. OIE, Code sanitaire pour les animaux terrestres, chapitre 7. 3.
[87] La nouvelle stratégie européenne « De la Ferme à la Fourchette » issue du Pacte Vert pour l’Europe souhaitant réviser le règlement de 2009, la question de l’étourdissement des poissons se posera nécessairement ; v. Union européenne, Stratégie de la ferme à la fourchette, 2020, 22 p., disponible en ligne : https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/safety/docs/f2f_action-plan_2020_strategy-info_en.pdf [page consultée le 12 janvier 2021].
[88] Laurent Cytermann, conclusions sous CE, 4 octobre 2019, Association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), n° 423647, p. 8 ; dans cette affaire, le Conseil d’État français a jugé les dispositions de l’article R. 214-70 du Code rural et de la pêche maritime, autorisant l’abattage rituel, légales.
[89] CESE, Les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal, op. cit. p. 42.
[90] Union européenne, Stratégie de la ferme à la fourchette, op. cit.
[91] Nikita Bachelard, « Regain de l’intérêt de l’UE pour les animaux », Revue de la fondation Droit Animal, Éthique et Sciences, n° 106, juillet 2020, p. 8.
[92] Ibid.
[93] CESE, Les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal, op. cit. p. 43.
[94] Joël Andriantsimbazovina, « Les abattages rituels », in Les animaux et les droits européens, Au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, op. cit., p. 123.
[95] AN, Proposition de loi visant à assurer la transparence dans l’abattage des animaux et à informer éleveurs et consommateurs sur le recours aux dérogations prévues à l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime pour la mise à mort des bêtes de boucherie, n° 2780, 15ème législature, 24 mars 2020.
[96] V. le site Internet de l’association : https://oaba.fr/abattage-sans-etourdissement-et-tromperie-des-consommateurs-loaba-fera-condamner-letat-francais-si-la-loi-ny-met-pas-un-terme/ [page consultée le 12 janvier 2021].