Charte des droits fondamentaux et principes généraux du droit
L’article 6 du traité sur l’Union européenne énonce deux sources de protection des droits fondamentaux : la Charte et les principes généraux du droit. Si cette disposition n’établit aucune hiérarchie formelle entre ces deux sources, pas plus d’ailleurs que la jurisprudence de la Cour de justice, il n’en demeure pas moins qu’une certaine prééminence fonctionnelle de la Charte apparaît progressivement. Se traduisant par une substitution progressive de la Charte aux principes généraux du droit et par une référence accrue au cadre d’interprétation fixé par les dispositions finales de la Charte, ce phénomène ne devrait toutefois pas empêcher les principes généraux du droit de continuer à jouer un rôle dans la jurisprudence de la Cour.
Fabrice Picod est Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Chaire Jean Monnet)
Initiée à partir des années 60 sur des fondements les plus divers, la protection des droits fondamentaux au sein des Communautés européennes a pendant longtemps pâti d’un manque de visibilité. Il a fallu attendre la signature du traité de Maastricht en 1992 pour que les États membres reconnaissent expressément, dans l’article F, § 2, que l’Union européenne « respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».
On a pu alors écrire que les auteurs du traité de Maastricht avaient choisi de « constitutionnaliser » l’acquis jurisprudentiel en matière de droits fondamentaux en conférant à ces derniers la qualité de principes généraux du droit. Paradoxalement, la doctrine majoritaire s’accordait à considérer que les droits fondamentaux reconnus sur ce fondement se situaient à une place intermédiaire entre le droit originaire et le droit dérivé de l’Union européenne. Une telle présentation pouvait toutefois susciter une certaine perplexité, dans la mesure où la constitutionnalisation des sources du droit n’aurait pas dû en principe entraîner une quelconque subordination de telles sources.
En proclamant la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à Nice en décembre 2000, le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont adopté un texte majeur qui contenait des dispositions de nature à produire des effets contraignants mais qui n’avait à l’époque qu’un statut d’accord interinstitutionnel et était ainsi insusceptible, en l’état, de contraindre les États membres et les individus.
On sait que la Convention sur l’avenir de l’Europe s’est finalement prononcée en faveur de l’intégration de la Charte dans le corps du traité établissant une Constitution pour l’Europe. En constituant la deuxième partie du traité constitutionnel, la Charte des droits fondamentaux accédait directement au rang de droit primaire. Pour autant, les conventionnels n’en avaient pas fait la source exclusive de protection des droits fondamentaux garantis pas l’Union européenne. Ainsi, les auteurs du traité constitutionnel avaient veillé à ce que les droits fondamentaux ne reposent pas sur une source exclusive, dont l’interprétation restait largement à découvrir, mais sur une dualité de sources composées d’une source nouvelle, la Charte, source écrite, et d’une source éprouvée, les principes généraux, source non écrite issue de la jurisprudence et ainsi de nature évolutive.
Les auteurs du traité de Lisbonne sont parvenus à conférer à la Charte une valeur de droit primaire équivalente à celle des traités constitutifs tout en ne l’incluant pas dans le corps des traités ou dans les protocoles y annexés. L’article 6 du traité sur l’Union européenne reprend la structure de l’article I-9 du traité constitutionnel qui consiste, dans son paragraphe 2, à marquer l’engagement de l’Union européenne à adhérer à la CEDH sans modification des compétences qui lui sont attribuées et, dans son paragraphe 1er, à consacrer la reconnaissance par l’Union européenne des droits fondamentaux tels qu’énoncés dans la Charte des droits fondamentaux, proclamée en 2000 à Nice et adaptée à Strasbourg en 2007, la charte ayant « la même valeur juridique que les traités », tout en réaffirmant, dans son paragraphe 3, le rattachement des droits fondamentaux issus de la CEDH et des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres au droit de l’Union européenne par l’intermédiaire des principes généraux.
Ainsi l’article 6 du traité sur l’Union européenne issu du traité de Lisbonne consacre une dualité de sources de protection des droits fondamentaux. La référence ainsi faite à la Charte des droits fondamentaux et aux principes généraux ne signifie nullement qu’il s’agit des seules sources de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, certaines dispositions des traités constitutifs, en particulier celles qui ont trait à la non-discrimination et à la citoyenneté de l’Union, s’attachent à protéger des droits fondamentaux. En outre, de nombreux actes de droit dérivé protègent précisément des droits fondamentaux au moyen de dispositions qui consistent à mettre en œuvre des principes énoncés dans la Charte et à préciser la portée de véritables droits qui y sont consacrés. Enfin, de nombreux accords internationaux conclus par l’Union européenne tendent à protéger des droits fondamentaux.
Il existe ainsi une pluralité de sources de protection des droits fondamentaux qui relèvent du droit de l’Union européenne et qui ne sont pas toutes visées par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. Il semble que les auteurs des traités constitutifs n’aient pas recherché l’exhaustivité et se soient limités, dans cet article, à reconnaître un statut de droit primaire à la Charte tout en faisant référence à une autre source, qui pouvait être perçue comme la source originelle de protection communautaire des droits fondamentaux, dans un esprit de cohérence et de complémentarité.
Il reste que l’article 6 du traité sur l’Union européenne énonce deux sources dotées d’un rang et d’un statut juridique a priori différents. En effet, la Charte a, selon l’article 6 du traité UE, la même valeur que les traités constitutifs et fait ainsi partie du droit primaire. Elle énonce d’une part, des droits et libertés et, d’une part, des principes qui doivent être mis en œuvre pour produire des effets devant une juridiction, conformément à l’article 52, § 5, de la Charte. L’article 6 du traité UE ne précise pas quelle est la valeur des droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux.
Il apparaît que tant l’énoncé de l’article 6 du traité sur l’Union européenne que le régime appliqué par la Cour de justice à chacune des sources qu’il vise ne permettent pas d’établir une hiérarchie formelle entre les deux sources (I). En même temps, l’étude de la jurisprudence et du droit dérivé peut conduire à attribuer une certaine prééminence de fait à la Charte des droits fondamentaux que l’on peut qualifier de « prééminence fonctionnelle » (II).
I- L’absence de hiérarchie formelle entre les sources visées à l’article 6 TUE
Aucune hiérarchie n’a été postulée par les auteurs des traités constitutifs (A). De surcroît, la jurisprudence n’a pas révélé l’existence d’une telle hiérarchie, bien au contraire (B).
A. Absence de hiérarchie postulée par les traités constitutifs
L’article 6 du traité UE se limite à énoncer deux types de sources dont l’objet est la protection des droits fondamentaux et n’établit formellement aucune hiérarchie entre les sources qu’il énonce. Les dispositions finales de la Charte régissant l’interprétation et l’application de la Charte, en particulier les articles 52 et 53, traitent des rapports entre la Charte et la Convention européenne des droits de l’homme sous l’angle de la portée des droits et du niveau de protection, mais ne s’attachent pas aux rapports entre les différentes sources du droit de l’Union européenne.
On ne saurait inférer une quelconque hiérarchie entre la Charte des droits fondamentaux et les principes généraux du droit à partir de l’ordre établi dans l’article 6 du traité UE ou de l’absence de rattachement formel au droit primaire des principes généraux protégeant les droits fondamentaux.
1- L’ordre établi par l’article 6 TUE
Le choix d’avoir fait référence, dans le premier paragraphe de l’article 6 du traité UE, à la Charte, puis, dans le troisième paragraphe du même article, aux principes généraux ne saurait être interprété comme une volonté d’avoir établi une hiérarchie entre ces deux sources. Il s’est agi de mettre en exergue l’attachement de l’Union européenne aux droits fondamentaux en faisant référence à un texte novateur que ses institutions avaient proclamé sous la forme d’un accord interinstitutionnel et qui allait acquérir, tout en restant détachée des traités constitutifs, la même valeur que ces derniers. La référence in fine aux principes généraux protégeant les droits fondamentaux peut être comprise comme une référence au respect et au développement de l’acquis en matière de droits fondamentaux obtenu par voie prétorienne. Compte tenu de son caractère établi, une telle source n’avait pas à être mise en exergue. Elle devait toutefois être reconnue.
2- L’absence de rattachement formel des principes généraux au droit primaire
Il serait tentant d’observer que, à la différence de la Charte des droits fondamentaux qui se voit attribuer la valeur des traités constitutifs, les principes généraux n’ont pas été rattachés au droit primaire, ce qui pourrait signifier, suivant un raisonnement a contrario, que seule la Charte accède au rang de droit primaire. On sait à quel point ce type de raisonnement est à utiliser avec précaution, particulièrement en droit de l’Union européenne, lequel doit être interprété principalement au moyen de méthodes à la fois systémique et téléologique. C’est à la Cour de justice qu’il revient, en l’absence de précision quant à leur rang dans la hiérarchie normative, de préciser la valeur juridique des principes généraux du droit protégeant les droits fondamentaux.
B. Absence de hiérarchie révélée par la jurisprudence
L’absence de consécration d’une telle hiérarchie peut trouver plusieurs explications, l’une, peu convaincante, tenant à l’absence de voie de droit appropriée, l’autre, plus réaliste, tenant à la volonté de la Cour de justice de ne pas attribuer aux principes généraux de droit une valeur inférieure à celle des dispositions de la Charte des droits fondamentaux pour être en mesure d’assurer une application cohérente des droits consacrés.
On pourrait observer que si la Cour de justice ne s’est pas prononcée sur une quelconque hiérarchie entre la Charte et les principes généraux, c’est parce qu’elle ne trouvait pas opportun de l’établir. On peut en effet considérer que les principes généraux consacrant des droits fondamentaux constituent une source complémentaire de la Charte des droits fondamentaux et que, à ce titre, la Cour de justice ne pouvait logiquement leur voir reconnaître une valeur inférieure à celle de la Charte.
Le caractère supplétif des principes généraux pourrait consister à imposer le respect d’un principe général à un État membre dans une situation où la Charte ne pourrait pas produire tous ses effets, notamment en raison de l’invocation du protocole n° 30 applicable au Royaume-Uni ou à la Pologne. Il pourrait également consister à donner du corps à des principes inscrits dans la Charte, qui, en tant que tels, ne peuvent produire des effets qu’au moyen d’actes de l’Union ou des États membres les mettant en œuvre.
La liberté dont dispose la Cour de justice pour consacrer des principes généraux du droit devrait lui permettre, le cas échéant, de reconnaître des droits fondamentaux non prévus par la Charte en vue de tenir compte de nouvelles exigences dont se prévalent les États membres et ainsi d’éviter un conflit entre une disposition de droit de l’Union européenne et un droit fondamental que seul un texte de droit national paraissait protéger.
Les droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux se sont fréquemment vu attribuer par la doctrine une valeur inférieure aux traités constitutifs. Cette perception ne paraît pas conforme à l’esprit qui anime la jurisprudence de la Cour de justice.
La Cour de justice a toujours été soucieuse de disposer dans les droits fondamentaux, qu’elle a forgés au moyen de principes généraux, des droits qui pourraient se situer au même rang que les droits fondamentaux reconnus par les Constitutions nationales en vue de substituer à de telles références invoquées devant des juridictions nationales des principes de droit de l’Union situées au plus haut niveau de la hiérarchie normative.
Par ailleurs, dans certaines affaires préjudicielles qui visaient à mettre en cause le droit national au regard du droit des libertés de circulation, la Cour de justice a entrepris, à partir des années 2000, de mettre en balance les libertés fondamentales de circulation reconnues par les traités constitutifs et les droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit. Tel a été le cas notamment dans les affaires Schmidberger (aff. C6112/00) et Omega (aff. C-36/02). Si les droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux ne faisaient pas partie du droit primaire et n’étaient ainsi pas situés au même niveau que les libertés fondamentales consacrées par les traités constitutifs, il n’y aurait pas eu lieu de procéder à une conciliation des droits fondamentaux et des libertés de circulation.
Dans son arrêt Kadi (aff. C-402/05), prononcé en 2008, la Cour de justice a rattaché explicitement les « principes généraux dont font partie les droits fondamentaux » au « droit primaire », ce qui a pour effet de leur conférer la même valeur que les traités constitutifs. Alors qu’ils ne tendraient pas tous à la protection des droits fondamentaux, les principes généraux de droit de l’Union européenne ont été considérés par la Cour de justice, en 2009, comme se situant « au rang constitutionnel » ou « dotés d’une valeur constitutionnelle ».
Les droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux du droit devraient pouvoir être mis sur un même plan que ceux qui sont consacrés par la Charte des droits fondamentaux.
Un arrêt, certes antérieur à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, permet d’illustrer une telle perspective. Dans l’affaire Promusicae (aff. C-275/06), la Cour de justice a en effet rappelé que le droit fondamental de propriété, incluant le droit d’auteur, et le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective constituaient des principes généraux du droit communautaire qu’il convenait de mettre en balance avec un autre droit fondamental qui garantit la protection des données à caractère personnel et donc de la vie privée tous deux garantis par la Charte.
L’absence de hiérarchie formelle entre deux sources de protection des droits fondamentaux n’empêche nullement de privilégier l’une d’entre elles.
II- La prééminence fonctionnelle de la Charte des droits fondamentaux
La Charte des droits fondamentaux occupe désormais la première place parmi les sources citées dans les textes de droit dérivé et dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. On assiste ainsi à une substitution progressive de la Charte des droits fondamentaux aux principes généraux du droit (A). On constate également que le cadre d’interprétation des droits fondamentaux fixé dans la Charte constitue une référence obligée, ce qui incite davantage les juges à examiner les atteintes aux droits fondamentaux directement par rapport aux dispositions de la Charte (B).
A. La substitution progressive de la Charte aux principes généraux du droit
La Charte est devenue le point de départ pour l’appréciation des droits fondamentaux. Dans de nombreuses circonstances et de manière croissante au fil des années, il apparaît que la Cour de justice a préféré se référer aux dispositions de la Charte des droits fondamentaux plutôt qu’aux principes généraux du droit qu’elle avait pourtant consacrés. Cette évolution se traduit par un changement de perspective et par une évolution corrélative des formulations dans la jurisprudence de la Cour de justice.
1- Les changements de perspective
Un tel changement peut être constaté dans différents cas de figure, alors que le juge national se réfère aux droits fondamentaux de manière indistincte ou qu’il vise des dispositions de droit dérivé.
Dans un premier cas de figure, le juge national se réfère aux droits fondamentaux, sans faire expressément référence à la Charte. Ainsi, lorsque les juridictions nationales interrogent la Cour de justice sur l’interprétation d’un droit fondamental, sans faire référence à la Charte, la Cour de justice s’efforce désormais le plus possible de se référer aux dispositions pertinentes de la Charte des droits fondamentaux. Lorsque les questions posées par les juridictions nationales ne se sont référées qu’à quelques droits fondamentaux, la Cour de justice n’a pas hésité à viser d’autres droits qui venaient contrebalancer les premiers dans une perspective de conciliation à opérer et s’est référée de préférence, dans un esprit pédagogique, à des dispositions de la Charte.
Dans un second cas de figure, les juridictions nationales interrogent la Cour de justice sur l’interprétation du droit dérivé sans même parfois faire expressément référence aux droits fondamentaux. Il arrive alors que la Cour de justice procède à une interprétation qui intègre pleinement le respect de tel ou tel droit fondamental et se réfère à ce titre à des dispositions de la Charte plutôt qu’à des principes généraux que les juridictions nationales pourraient avoir encore plus de difficultés à maîtriser. Ainsi, en matière de droit de la consommation, la Cour de justice a considéré que la directive 93/13/CEEE sur les clauses abusives pouvait être interprétée en ce sens que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause n’était pas tenu d’attendre une demande d’annulation de celle-ci de la part du consommateur pour en tirer toutes les conséquences mais que le principe du contradictoire garanti par l’article 47 de la Charte imposait au juge d’en informer les parties et de leur donner la possibilité d’un débat contradictoire à ce sujet. Interrogée sur l’interprétation de la directive 2000/78/CE, interdisant notamment les discriminations fondées sur l’âge, la Cour de justice est amenée à rechercher d’autres sources que celle de la directive, au motif que celle-ci ne peut créer d’obligation dans le chef d’un particulier et que le litige au principal oppose précisément deux particuliers. Après avoir observé, dans une jurisprudence établie, que le principe de non-discrimination en fonction de l’âge devait être considéré comme un principe général de droit de l’Union et était concrétisé par la directive 2000/78 dans le domaine de l’emploi et du travail, la Cour de justice observe que « c’est sur le fondement du principe de non-discrimination en fonction de l’âge, consacré à l’article 21 de la Charte et concrétisé par la directive 2000/78 », qu’il convient de rechercher si le droit de l’Union s’oppose à un régime professionnel de retraite.
De tels changements de perspectives peuvent se traduire par des changements de formulation que l’on peut déceler, d’une manière plus générale, dans toute la jurisprudence qui se rapporte à la protection des droits fondamentaux.
2- Les changements de formulation
La jurisprudence de la Cour de justice en matière de protection des droits fondamentaux fait apparaître une évolution significative des formulations employées à ce sujet.
Dans l’affaire Google (aff. C-131/12), la Cour de justice utilise une formule qui traduit, dans une certaine mesure, un passage des principes généraux à la Charte des droits fondamentaux. Elle considère qu’il y a lieu d’interpréter les dispositions d’une directive « à la lumière des droits fondamentaux qui, selon une jurisprudence constante, font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et qui sont désormais inscrits dans la Charte », comme s’il s’agissait d’un héritage qui devait fructifier.
Au sujet du droit à une protection juridictionnelle effective, la Cour observe clairement qu’il a été affirmé « avant l’entrée en vigueur de la Charte en tant que principe général du droit de l’Union » et examine la violation alléguée au regard du seul article 47 de la Charte. Le droit ainsi consacré est désormais présenté comme un droit garanti par l’article 47 de la Charte.
La formule rituelle selon laquelle « les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect » et qu’à cet effet « la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré », n’est désormais utilisée que de manière accessoire.
La référence aux principes généraux peut s’expliquer par la volonté de se référer à une jurisprudence ancienne, bien ancrée, qui a été façonnée avant que la Charte ne se voie reconnaître la valeur d’un traité constitutif ou bien encore par la volonté de ne pas déstabiliser le juge national qui a déjà fait l’effort d’y faire référence. Les références aux principes généraux de droit coexistent fréquemment avec celles qui se rapportent à la Charte des droits fondamentaux dans la jurisprudence du Tribunal. Cette fâcheuse tendance peut s’expliquer par une crainte de faire l’objet d’une censure de la part de la Cour de justice sur pourvoi.
B- La référence au cadre d’interprétation fixé par les dispositions finales de la Charte
Dans le passé, les atteintes aux droits fondamentaux faisaient l’objet d’un examen global au sein duquel étaient prises en compte les spécificités du droit de l’Union et certaines justifications reconnues plus ou moins explicitement par la jurisprudence. Désormais la question des justifications des atteintes aux droits fondamentaux pourra faire l’objet d’un examen davantage structuré, conformément aux exigences de l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux et des explications qui sont censées l’éclairer.
Ainsi, dans l’affaire Schaible (aff. C-101/12), relative au système d’identification et d’enregistrement des animaux des espèces ovine et caprine, la Cour de justice a été amenée à apprécier la validité des dispositions du règlement au regard de l’article 16 de la Charte reconnaissant la liberté d’entreprise. Après avoir observé que le règlement était susceptible de limiter l’exercice de la liberté d’entreprise des éleveurs d’animaux à des fins commerciales, la Cour a examiné le bien-fondé des restrictions qui pouvaient être apportées à cette liberté, conformément aux exigences de l’article 52 de la Charte en procédant à un examen précis opéré en plusieurs temps bien marqués : identification des objectifs d’intérêt général légitimes : protection sanitaire, lutte contre les épizooties et bien-être des animaux ; aptitude de la réglementation à réaliser ces objectifs ; nécessité des moyens et caractère non disproportionné des obligations.
L’examen de ces quatre conditions pourra conduire à un examen minutieux, en particulier au regard de la condition de nécessité, d’effectivité et de proportionnalité. Un tel examen présente l’avantage de correspondre à l’examen opéré au titre des justifications des entraves aux libertés fondamentales de circulation reconnues par le traité FUE, la Cour de justice étant désormais en mesure de procéder à un renvoi à l’examen opéré dans le cadre des libertés pour apprécier la légitimité des prétendues atteintes à certains droits fondamentaux consacrés dans la Charte.
L’article 52, § 1er, in fine, de la Charte pourra être utilisé lors de la recherche d’un juste équilibre entre tous les droits fondamentaux applicables.
L’utilisation d’une telle grille de raisonnement est de nature à inciter le juge et le législateur à recourir à la Charte, davantage qu’aux principes généraux du droit, pour protéger les droits fondamentaux. Pour autant, les principes généraux du droit devraient continuer à servir de source d’appoint, de complément et parfois d’expérimentation.
Cet article est issu d’une communication prononcée lors du colloque annuel 2014 de la CEDECE (Association d’études européennes) organisé par l’IDEDH à Montpellier et intitulé « La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne – entre évolution et permanence ». Il sera publié dans une version augmentée avec les actes de ce colloque aux éditions Bruylants dans la collection « droit de l’Union européenne-colloques » (plus d’information ici).