Le droit fondamental de pétition ou le droit à un recours politique effectif
On retrouve diverses expressions du droit de pétition à travers l’histoire politique de l’Europe, et ce depuis le Moyen-Âge. Au sein de l’Union européenne, le droit de pétition est désormais consacré à l’article 44 de la Charte des droits fondamentaux, même s’il était déjà reconnu par le Parlement européen et inscrit dans les traités depuis longtemps. Cette « fondamentalisation » d’un droit existant soulève des questions intéressantes, quant aux effets qu’induit ce processus sur la nature et la portée juridiques des droits concernés. Une jurisprudence du Tribunal et plus récemment de la Cour de justice à propos de ce droit apporte des éclaircissements, et permet en particulier de constater que si le droit de pétition est avant tout un droit de nature procédurale, un mouvement de substantialisation est à l’œuvre. Enfin, le droit de pétition est au cœur du triptyque « démocratie-droits fondamentaux-contrôle du juge », qui s’exprime aujourd’hui sous la forme d’une démocratie procédurale au sein de laquelle les citoyens font valoir des droits dont les garanties influencent en retour le fonctionnement démocratique.
Christophe Maubernard est Maitre de conférences à l’Université de Montpellier et membre de l’IDEDH (EA 3976)
Il n’est pas si fréquent que l’article 44 de la Charte soit invoqué devant le juge de l’Union. Il dispose que « Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de pétition devant le Parlement européen » 1. Droit consacré au titre du Chapitre V sur la Citoyenneté, il contribue à rétablir le lien qui s’est parfois distendu entre droits fondamentaux et démocratie. Les premiers ayant pris une telle ampleur, sous l’effet conjugué des textes de protection et du travail d’interprétation des juges sur leur fondement, que l’on a pu perdre de vue, parfois, que l’établissement et la consolidation de celle-ci était indispensable à l’épanouissement de ceux-là. Il est vrai cependant que ce lien entre droits et démocratie n’est pas étranger aux Communautés comme à l’Union aujourd’hui, les incitant à faire émerger un espace démocratique et pas seulement un espace normatif 2. On observera enfin que le droit de pétition étant ouvert à des personnes physiques ou morales qui n’ont pas toujours la nationalité d’un Etat membre ni même ne résident régulièrement sur le territoire de l’un d’eux, ce droit se voit conférer potentiellement une portée très étendue.
La Cour de justice a donc eu l’occasion de souligner en grande chambre que « le droit de pétition constitue un instrument de participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union. Il s’agit de l’une des voies du dialogue direct entre les citoyens de l’Union et leurs représentants », ayant rappelé au passage sa nature désormais fondamentale (CJUE, gde ch., 9 décembre 2014, P. Schönberger c/ Parlement européen, aff. C-261/13 P, points 17 et 14) 3. Le requérant, ancien fonctionnaire du Parlement européen, contestait l’attribution de points de mérite au titre de sa promotion annuelle par le secrétaire général du Parlement. Il a saisi tout d’abord le Médiateur européen qui avait conclu à un acte de mauvaise administration. Puis il a adressé au Parlement une pétition faisant état de la décision du Médiateur afin que l’institution en tire les conséquences. La commission des pétitions du Parlement déclara celle-ci recevable et décida de la transmettre en l’état au directeur général du personnel. M. Schönberger, toutefois, contesta devant le Tribunal la décision de la commission des pétitions en estimant que la seule transmission au directeur général était insuffisante et qu’elle ne répondait pas à l’objet de la pétition qui n’avait donc pas, selon lui, était appréciée avec toute l’attention requise. La Cour décida cependant, comme l’y invitait l’avocat général (voir ses conclusions), de rejeter le pourvoi en considérant que « loin de méconnaître le droit du requérant de s’adresser à lui par la voie d’une pétition, [le Parlement européen] a examiné la pétition qu’il a reçue, s’est prononcé sur sa recevabilité et a décidé de la transmettre pour traitement ultérieur au directeur général chargé du personnel du Parlement, lui donnant ainsi la suite qu’il jugeait opportune » (point 25).
En effet, de manière très claire en première instance, le Tribunal avait considéré dans cette affaire que ce n’est que dans l’hypothèse où la pétition est déclarée irrecevable que les droits du requérant sont affectés, rendant parallèlement recevable l’introduction d’un recours en annulation (T-186/11). Tel n’était pas le cas en l’espèce puisque la pétition de M. Schönberger avait été déclarée recevable, et le Tribunal rejeta pour cette raison le recours. A l’inverse, ce même juge avait considéré dans une affaire précédente que « le fait que la pétition du requérant a été déclarée irrecevable et, en conséquence, n’a pas été examinée sur le fond est de nature à affecter l’effectivité même du droit des citoyens de présenter une pétition, consacré par l’article 227 TFUE » (TPI, 27 septembre 2012, J. c/ Parlement européen, aff. T-160/10, point 21). Le Tribunal avait également annulé une décision d’irrecevabilité adoptée par le Parlement pour défaut de motivation, en se fondant à l’époque des faits sur les dispositions des traités et non sur la Charte (TPI 14 septembre 2011, I-J Tegebauer c/ Parlement européen, aff. T-308/07). Au demeurant, il est conforme aux traités que le juge examine avec attention les conditions de recevabilité du recours en annulation, dès lors que seuls les actes susceptibles de produire des effets juridiques à l’égard des requérants sont attaquables 4.
Si le droit de pétition doit donc permettre aux citoyens de maintenir un lien direct avec l’institution chargée de les représenter (voir http://www.petiport.europarl.europa.eu/petitions/fr/main), l’intervention du juge est requise dès lors que celui-ci est rompu. Ce sont bien les lois d’une démocratie procédurale qui s’imposent à nouveau, le citoyen étant aussi et peut-être surtout dans le cadre de l’Union européenne, un justiciable. Dans ces conditions, la jurisprudence actuelle du juge de l’Union paraît équilibrée, entre d’un côté le souci de garantir un droit d’accès effectif des citoyens à l’institution chargée de les représenter sans, d’un autre côté, vouloir s’immiscer dans le pouvoir d’appréciation politique du Parlement 5.
Droit « démocratique » par excellence (I), le droit de pétition est avant tout un droit procédural mais qui pourrait se voir reconnaître une certaine substance (II), le juge apparaissant à nouveau comme le gardien ultime des actes de la démocratie moderne (III).
I – Le droit de pétition, un droit « démocratique » ancien
Le droit de pétition est présent dans de nombreux Etats de l’Union comme le montre un document d’étude du Parlement européen publié en 2001. Cependant, à la lumière des pratiques qui ont été progressivement instaurées au sein des différents Etats européens, il n’est pas certain que le droit de pétition constitue un instrument propre à l’établissement d’une démocratie. Sous des appellations diverses, le droit de pétition constitue d’abord et avant tout un mécanisme de contrôle non juridictionnel placé entre les mains d’une assemblée de représentants 6. Or ce droit existe en Europe depuis le 13ème siècle (au Royaume-Uni) et n’a cessé de se développer sous des formes et des appellations diverses et, pendant longtemps, sous des régimes que l’on aurait du mal à qualifier de « démocratiques ». C’est ainsi, par exemple, que la Constitution française de 1852 taillée sur mesure pour Louis Napoléon Bonaparte prévoyait en son article 45 qu’un droit de pétition serait accordé aux citoyens, mais à destination du seul Sénat et non de l’Assemblée. Entre 1814 et 1848 les chambres parlementaires en France avaient été saisies de plus de 40.000 pétitions alors que l’on en compte à peine 36 sous la dernière législature, depuis 2007 7.
En outre, on sait combien il peut être difficile de transposer des concepts historiques, culturels et politiques issus de traditions nationales dans le cadre des organisations européennes, fussent-elles aussi spécifiques qu’elles le prétendent 8. A ce titre, lorsque la démocratie renvoie au demos, le peuple, l’Union se singularise encore dans la mesure où le « peuple » européen demeure pour l’instant, au mieux, une utopie. Les traités eux-mêmes depuis l’origine renvoient aux peuples européens, c’est-à-dire aux sociétés nationales plurielles qui composent les Etats membres et non à la singularité d’un peuple de dimension continentale dont il serait bien hasardeux de prétendre trouver une trace ethnographique ou autre dans l’histoire déjà ancienne du continent 9. Dans le même sens, si les citoyens européens sont bien des personnes physiques, ressortissants ayant la nationalité d’au moins un Etat membre, les personnes morales se voient également reconnaître des droits étendus dans le cadre d’un espace principalement économique. Des droits fondamentaux ont ainsi été consacrés tant au profit des personnes physiques que morales 10. Tel est bien le cas du droit de pétition, qui peut être exercé par les citoyens et les entreprises ayant leur siège statutaire sur le territoire de l’Union. Il serait donc erroné de vouloir faire du droit de pétition simplement un outil de consolidation de l’espace démocratique européen.
Au sein de l’Union européenne le droit de pétition poursuit d’autres ambitions. Organisé de manière sommaire dès 1953 à l’initiative de l’Assemblée parlementaire, il fut reconnu expressément par le traité de Maastricht et relève aujourd’hui des articles 20, 24 et 227 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), outre sa consécration à l’article 44 de la Charte des droits fondamentaux. Les pétitions concernent, à titre principal, la mise en œuvre des grands objectifs du marché intérieur (libre circulation, non-discrimination, politiques sociale et environnementale) ainsi que la protection des droits fondamentaux. Le nombre de pétitions adressées au Parlement européen s’élève en moyenne au cours des dernières années à 2000 par an (voir http://www.europarl.europa.eu/aboutparliament/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_2.1.4.html), chiffre qui ramené à la population totale de l’Union européenne 11 est assez modeste.
Cette situation peut s’expliquer au regard de la concurrence que subit le droit de pétition, avec d’un côté les voies de recours contentieuses et, de l’autre côté, l’initiative citoyenne européenne et la médiation. Si l’on se réfère au dernier Rapport annuel 2013 publié par la Cour de justice, le nombre d’affaires introduites devant le Tribunal s’établit en moyenne à 700 pour les années 2009 à 2013. Les initiatives citoyennes européennes sont moins nombreuses mais elles ont potentiellement une portée « médiatique » voire politique plus étendue que les pétitions car elles peuvent obliger la Commission à agir et portent sur des sujets d’intérêt général, même s’il est vrai que leurs conditions de recevabilité sont suffisamment strictes pour rendre aléatoire leur résultat 12. Quant à la médiation, elle aussi connaît une activité d’envergure avec pour l’année 2013, selon le dernier Rapport, 2420 plaintes, 350 enquêtes ouvertes et 461 qui ont été clôturées. On pourrait toutefois critiquer un tel rapprochement dès lors que ces mécanismes institutionnels ne répondent pas aux mêmes finalités, qu’ils sont ouverts (pétitions, médiation) ou au contraire plus encadrés d’un point de vue procédural (voies contentieuses et initiative), et que l’action ne s’exerce pas devant les mêmes institutions. Il n’en demeure pas moins que la pétition, l’initiative citoyenne européenne, la médiation et même recours juridictionnels ont en commun d’être considérées comme des instruments au profit des citoyens voire des personnes morales dans un espace démocratique. Ces mécanismes doivent en outre concourir à garantir la bonne application du droit de l’Union voire à l’améliorer.
Si l’on étudie maintenant l’objet des pétitions adressées au Parlement européen il ressort de celles-ci qu’elles visent le plus souvent à contester la légalité de dispositions nationales. Cette situation explique que certaines pétitions soient déclarées irrecevables car elles ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union (voir infra la question de la recevabilité des pétitions). Selon l’article 215 points 7 et 8 du Règlement intérieur du Parlement européen tel qu’en vigueur à ce jour, « Si la commission compétente ne parvient pas à un consensus sur la recevabilité de la pétition, celle-ci est déclarée recevable à la demande d’un quart au moins des membres de la commission. Les pétitions déclarées irrecevables par la commission sont classées. La décision motivée est notifiée aux pétitionnaires. Dans la mesure du possible, d’autres voies de recours peuvent être recommandées. » Lorsque les pétitions sont jugées recevables, la commission des pétitions du Parlement les transmet très souvent à la Commission européenne pour avis. Tel est le cas, par exemple, à la suite d’un ensemble de pétitions déposées récemment par des ressortissants espagnols qui considèrent que la législation espagnole faisant obligation de déclarer des actifs détenus à l’étranger d’un montant supérieur à 50.000 euros enfreint le droit de l’Union 13. La Commission européenne peut même tirer un grand bénéfice de ces consultations consécutives au dépôt d’une pétition. Ainsi a-t-elle indiqué à propos d’une pétition relative aux dispositions d’une police d’assurance en cas de changement de domiciliation à l’étranger de l’assuré, que « compte tenu de l’état actuel d’harmonisation du droit de l’Union en matière d’assurance, la pétition à l’examen est susceptible de fournir des informations précieuses sur lesquelles se reposer pour apporter de nouvelles améliorations au droit de l’Union en matière d’assurance » 14. L’effet attendu de la pétition est donc bien souvent d’inciter les institutions à obtenir le retrait des dispositions nationales qui seraient jugées contraires à la législation de l’Union. La Commission européenne pourra alors demander des explications à l’Etat si elle l’estime nécessaire et, si les réponses sont jugées insatisfaisantes, engager une procédure pour manquement voire proposer un nouveau cadre législatif.
On retrouve par ailleurs l’idée d’une forme de citoyenneté active, qui ne consiste pas seulement à élire à intervalles réguliers des représentants, mais qui se nourrit ici de l’action particulière de chaque citoyen 15. La Cour de justice avait bien compris cette logique en accordant au principe de l’effet direct des dispositions communautaires une portée singulièrement étendue, incitant les personnes physiques et morales à ne pas être de « simples » sujets de droit mais à se comporter en acteurs de l’intégration européenne 16. C’est pourquoi le droit de l’Union ne consacre pas seulement des droits « fondamentaux » mais avant tout des droits de nature économique, sociale, environnementale, etc. Il en va ainsi lorsqu’un ancien fonctionnaire italien ayant travaillé pour l’Agence spatiale européenne demande à bénéficier dans son Etat d’origine de droits à pension complémentaires, ce que les autorités italiennes lui refusent au prétexte que l’Italie n’a pas signé de convention à cet effet avec l’Agence. La commission des pétitions ayant déclaré la pétition recevable, la Commission européenne fit valoir que la Cour de justice avait rendu un arrêt sur un problème similaire en concluant que l’Etat était tenu de prendre en compte les activités exercées à l’étranger sous peine de manquer à ses obligations au titre des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs 17. On trouve ici une « alchimie » institutionnelle très efficace où l’effectivité du droit de l’Union est confortée par l’action combinée des particuliers et des principales institutions de contrôle (Parlement, Commission et Cour de justice). Il s’agit bien ici d’un citoyen actif qui agit en sa qualité de titulaire de droits tirés du droit de l’Union en vue de défendre son patrimoine juridique. Dans ces conditions, on constate à nouveau que la constitution d’un demos européen, à supposer qu’il puisse naître dans un contexte socio-politique aussi singulier, ne peut constituer un objectif pour les institutions, pas même le Parlement européen, institution attachée à la sauvegarde de l’équilibre institutionnel davantage qu’à la défense d’intérêts spécifiques 18.
L’exercice par le Parlement européen de son pouvoir de déclarer recevable ou non une pétition n’est en outre pas anodin. Afin de juger de la recevabilité de la pétition, les parlementaires disposent d’un pouvoir d’enquête. A cet effet « (d)ans le cadre de l’examen des pétitions, de la constatation des faits ou de la recherche d’une solution, la commission peut organiser des missions d’information dans l’État membre ou la région visés par la pétition » (article 216 du Règlement intérieur). Celle-ci peut également demander l’assistance d’autres institutions, en particulier de la Commission, mais aussi du Conseil. Les autorités de l’Etat membre concerné pourront être sollicitées, soit sur demandes écrites soit par l’envoi sur place d’une délégation de la commission parlementaire compétente. Ces prérogatives de la commission des pétitions montrent que la pétition n’est pas un acte à portée simplement individuelle, mais qu’elle répond à des situations qui sont susceptibles d’affecter la pleine effectivité du droit de l’Union. Il convient donc de relever que l’objet historique de la pétition en est presque renversé, puisque elle ne vise pas toujours à contester une forme d’injustice découlant du droit existant (objet des pétitions sous l’Ancien régime en France, par exemple), mais bien à faire reconnaître que le défaut d’application de ce droit (ici, de l’Union) est source d’injustice ou pour le dire en termes plus contemporains, porte atteinte aux droits conférés aux particuliers par le droit primaire et dérivé 19.
II – Le droit de pétition, ou la substantialisation d’un droit procédural
Dans ses conclusions sous l’affaire Schönberger (précitée), l’avocat général N. Jääskinen estimait « que la substance du droit de pétition réside dans la possibilité de porter officiellement à la connaissance du Parlement certaines questions, sans que le demandeur se voie conférer le droit de réclamer directement une protection juridique. Il ne s’agit pas d’un droit individuel qui vise à produire des effets juridiques à l’égard de la situation d’un pétitionnaire, mais d’un outil politique de participation à la vie démocratique » (point 78). Comme le souligne l’avocat général, le droit de pétition garantit aux pétitionnaires de pouvoir accéder à leurs représentants politiques, c’est-à-dire qu’ils puissent saisir la commission des pétitions du Parlement européen. A la lumière de ces conclusions et peut-être de la jurisprudence, nous y reviendrons, le droit en question ne vise qu’à adresser une information au Parlement européen, sans que le pétitionnaire ne puisse exiger à proprement parler de réponse, et encore moins une réparation éventuelle. Cette situation s’illustre, par exemple, à travers les nombreuses pétitions qui sont parvenues ces dernières années au Parlement concernant l’exploitation des gaz de schiste et les craintes et les interrogations qu’elle fait naître parmi la population 20. Plusieurs pétitions provenant tant de citoyens résidant en Allemagne, en France ou encore en Roumanie, que d’organisations non-gouvernementales demandant un moratoire voire un abandon pur et simple de ces exploitations, ont fait l’objet d’un traitement commun. Après les avoir déclarées recevables, la commission des pétitions avait saisi la Commission européenne qui a répondu le 18 décembre 2012, en substance, que si les traités laissent les Etats libres d’exploiter comme ils l’entendent leurs ressources énergétiques, ils doivent néanmoins s’assurer que cette exploitation ne contrevient pas aux objectifs en matière d’environnement. Le 28 février 2015 la commission des pétitions a donc rappelé aux pétitionnaires que les Etats doivent maintenir un haut niveau de protection de l’environnement et être guidés par les principes de prévention et de précaution et qu’en fonction des développements ultérieurs le Parlement n’hésitera pas à prendre des initiatives afin d’inciter les Etats à respecter ces exigences.
Cette conception du droit de pétition pose, à titre liminaire, la question de savoir si ce dernier peut être qualifié de « droit » fondamental, malgré sa consécration à l’article 44 de la Charte. Comme le relève encore l’avocat général, la Charte comporte des « droits » qui peuvent être en réalité des « principes » et vice-versa. Cette conception n’est pas seulement formelle ou théorique puisqu’elle s’est retrouvée au cœur de l’affaire Association de Médiation Sociale où, en l’espèce, le droit fondamental invoqué 21 n’impose selon la Cour de justice que des obligations à la charge des Etats, mais n’a pas d’incidence sur le patrimoine individuel des bénéficiaires et ne peut donc être invoqué en tant que tel au cours d’un litige entre particuliers (points 45 à 48 de l’arrêt). On pourrait concevoir pour les mêmes raisons que le droit de pétition ne comporte qu’une obligation à la charge du Parlement européen, celle d’accueillir les pétitions qui lui sont adressées, par des mécanismes institutionnels effectifs, tels qu’une commission des pétitions. A l’instar d’autres « droits » et principes contenus dans la Charte, le droit de pétition ne pourrait être alors qu’un succédané de droit fondamental. On constate déjà à la lumière de la jurisprudence de la Cour que si la Charte est évidemment un outil précieux de protection des droits fondamentaux, elle n’a pas vocation à régir l’ensemble des situations ni même à autoriser le juge à soulever d’office ses dispositions 22.
Si les explications de la Charte ne laissent pourtant planer aucun doute sur sa qualité de « droit », il n’en demeure pas moins qu’elles précisent, comme pour d’autres dispositions de la Charte consacrées à la citoyenneté 23, que le droit de pétition « est le droit garanti par les articles 20 et 227 » TFUE. La quasi-totalité des droits relevant du titre consacré à la citoyenneté, à l’exception du droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte, proviennent en effet des traités et ont un équivalent dans le TFUE. C’est pourquoi il nous semble possible d’affirmer que dans une telle hypothèse, la « fondamentalisation » 24 – qui est une forme de transsubstantiation juridique- vient modifier la nature juridique des droits concernés, mais elle est sans effet sur leur portée dans la mesure où la Charte a le même rang que le droit primaire au sens de l’article 6, § 2 TUE. La Cour l’indique à sa manière lorsqu’elle considère, par exemple, que le constat préalable d’une violation des libertés fondamentales du marché intérieur rend superflu l’examen d’une atteinte éventuelle à certains droits fondamentaux 25. On aboutit ainsi à un mouvement inverse – mais pas si éloigné sur le principe – de celui consistant à « concrétiser » par la voie d’une directive un principe général 26.
Dès lors, le droit de pétition devrait normalement s’épuiser dès le stade précoce de son exercice, à partir du moment où le pétitionnaire a pu saisir la commission des pétitions et/ou informer le Parlement. De surcroit, le droit de pétition ne permettrait pas à celui qui l’exerce de prétendre obtenir une quelconque réparation de la part des institutions, ni même à les inciter et a fortiori à les obliger à agir. On trouverait là une cause de rapprochement avec des principes contenus dans la Charte dont la portée limitée avait très tôt été mise en lumière au titre des interrogations que ne manquerait pas de soulever ce texte 27. Le droit de pétition est donc bien un droit procédural, mais avec une nature et une portée singulières. Lorsque ce droit est invoqué par une personne physique ou morale au sens de l’article 227 TFUE, c’est en raison de l’obligation de l’institution devant laquelle est portée la pétition de mettre en place un mécanisme de réception des pétitions que ce caractère procédural surgit. Il devrait s’épuiser au moment même où l’institution est saisie.
Pourtant une autre lecture est possible, et l’on peut déceler dans la jurisprudence des indices qui montrent que le droit de pétition n’a pas une vie aussi éphémère qu’il y paraît. Tout d’abord l’exercice du droit de pétition permet à des personnes, physiques voire morales, d’informer voire d’alerter les parlementaires européens sur une situation qu’ils jugent anormale, singulière voire préoccupante. Cette situation doit concerner directement le pétitionnaire, mais elle peut aussi s’étendre bien au-delà de sa situation personnelle, comme par exemple dans le cas d’une mise en œuvre erronée du droit de l’Union européenne par un ou plusieurs Etats membres. La Cour de justice apporte à ce titre une importante précision dans son arrêt Schönberger en considérant qu’ « une décision par laquelle le Parlement, saisi d’une pétition, considère que celle-ci ne satisfait pas aux conditions énoncées à l’article 227 TFUE doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, étant donné qu’elle est de nature à affecter le droit de pétition de l’intéressé. Il en va de même de la décision par laquelle le Parlement, méconnaissant la substance même du droit de pétition, refuserait ou s’abstiendrait de prendre connaissance d’une pétition qui lui est adressée et, par conséquent, de vérifier si celle-ci satisfait aux conditions énoncées à l’article 227 TFUE » (point 22). Il existe donc deux hypothèses dans lesquelles, selon la Cour, une décision du Parlement européen ou de la commission des pétitions constituerait un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, c’est-à-dire un acte qui produit des effets juridiques à l’égard des tiers.
L’examen d’une décision d’irrecevabilité d’une pétition
La première hypothèse renvoie à une décision d’irrecevabilité prise par le Parlement sur le fondement de l’article 227 TFUE. Cette disposition est rédigée en termes généraux (« Tout citoyen de l’Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union et qui le ou la concerne directement. »). Le Parlement européen a encore étendu sa portée, puisque son Règlement intérieur précise qu’une personne qui n’aurait pas la qualité de citoyen de l’Union ou ne résiderait pas habituellement sur le territoire de l’Union pourrait néanmoins porter une pétition auprès du Parlement si ce dernier le juge « opportun ». Demeure donc au sens de l’article 227 TFUE la condition d’être directement concerné par un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union. Comme le souligne un auteur, « (l)’expression « directement concerné » rappelle celle de l’article 263 du TFUE. Certes, il ne s’agit pas d’une situation de pur contentieux. À la place de la Cour, organe par excellence de nature juridictionnelle, se trouve le Parlement européen, institution politique, qui tend à privilégier le caractère politique du droit de pétition. Il n’en reste pas moins que les rédacteurs de l’article 227 du TFUE ont voulu faire de ce droit un droit individuel servant à protéger les intérêts personnels de son bénéficiaire, même lorsqu’il l’exerce en association avec d’autres personnes » 28.
Si la rédaction des deux dispositions est évidemment proche, ce parallélisme est bien davantage formel que substantiel. On peut constater, en effet, à la lecture de l’article 227 TFUE, que la condition individuelle n’existe pas mais surtout que le pétitionnaire n’attaque pas un acte mais porte une pétition qui traite d’un « sujet » relevant des « domaines d’activité ». Tout d’abord, au regard de la jurisprudence pléthorique de la Cour de justice en la matière, il apparaît clairement qu’il est bien moins difficile de démontrer un lien direct qu’individuel avec un acte de l’Union. Par ailleurs, la notion de « domaines d’activités » doit être distinguée de celle de « compétences » 29, cette dernière devant faire l’objet d’une appréciation plus stricte que la première, dès lors que le domaine d’activité est une notion qui ne met pas en jeu, contrairement aux compétences, l’attribution faite par les Etats à l’organisation des instruments et des pouvoirs qui lui permettent d’agir 30. L’Union peut ainsi agir selon des modalités différentes en fonction des compétences qui lui sont attribuées.
Au regard de la généralité des termes employés, des conditions requises et de l’expansion croissante pour ne pas dire exponentielle des « sujets » que traite l’organisation, il est même possible de se demander comment le Parlement ou la commission des pétitions parviennent à déclarer une pétition irrecevable, sinon dans les cas où l’ensemble de la situation relatée se limite strictement au territoire d’un Etat et ne met en jeu aucun « sujet » qui relèverait du droit de l’Union. Pourtant cette question n’est pas sans intérêt. En effet, l’article 44 renvoie – et les explications de la Charte le confirment – à l’article 227 TFUE. Si le premier consacre expressément le droit de pétition, le second vient préciser les conditions dans lesquelles il s’exerce. Et nous venons de constater à quel point ces conditions sont souples, par comparaison avec celles qui encadrent la recevabilité des recours en annulation formés par les particuliers. Il peut donc paraître surprenant que le Tribunal dans l’arrêt J c/ Parlement (précité) fasse référence à l’article 51 de la Charte relatif au champ d’application de celle-ci, dont la Cour dans l’affaire Akerberg Fransson est venue préciser la portée, en particulier au regard de la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union » par les Etats membres. Car si cette dernière notion découle bien d’une compétence que l’Etat exerce sur le fondement d’actes adoptés par les institutions, principalement dans le cadre de l’exécution du droit de l’Union, une telle condition est étrangère à l’article 227 TFUE. Il semble ainsi erroné de vouloir rapprocher une condition qui renvoie à l’existence d’un lien direct avec un sujet qui relève d’un domaine d’activité de l’Union et les prescriptions de l’article 51 de la Charte quant à son champ d’application et les conditions dans lesquelles ses dispositions s’imposent aux institutions et aux Etats membres. Pour le dire autrement, le juge retient ici une interprétation restrictive de la notion de « sujet relevant d’un domaine d’activité de l’Union » en la rapprochant de celle de « mise en œuvre du droit de l’Union » par les Etats membres au sens de l’article 51 de la Charte. Cette solution aboutit par conséquent à une situation plutôt inédite voire critiquable où une disposition de la Charte (art. 51) vient limiter la portée d’un droit fondamental (art. 44) alors que le renvoi au texte des traités (art. 227) est lui davantage enclin à l’étendre.
On relèvera enfin que dans l’affaire Tegebauer précitée, le requérant invoquait la contrariété d’une législation allemande relative à la rémunération des stagiaires dans la fonction publique avec les principes communautaires de la libre circulation des travailleurs. Dans son arrêt, le Tribunal avait considéré, tout d’abord, qu’une décision déclarant la pétition recevable ne pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Le motif avancé par le Tribunal est convaincant, puisqu’il estime que le Parlement disposant d’ « une entière liberté d’appréciation de nature politique » (point 21) dans la réponse apportée au fond au pétitionnaire, le juge ne peut dans ces conditions y substituer sa propre appréciation. Pour autant, le Tribunal rappelle ensuite que pèse sur les institutions et les organes de l’Union une obligation de motivation à l’égard des décisions individuelles qu’ils adoptent. La portée de cette obligation peut cependant varier en fonction de « la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté » (point 23). Qu’en est-il dans le domaine des pétitions ? Le Tribunal observe que la commission des pétitions s’est bornée à déclarer la pétition irrecevable au motif qu’elle ne relevait pas d’un « sujet » relevant du droit de l’Union au sens de l’article 227 TFUE. Or le requérant avait invoqué des atteintes à certaines dispositions précises des traités. C’est la raison pour laquelle le juge concluait que « le citoyen ayant présenté une pétition doit être mis en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles celle-ci est considérée comme irrecevable par le Parlement et classée sans suite. Cela découle de la nature même de ce droit, qui permet aux citoyens de s’adresser formellement et directement au Parlement et qui contribue ainsi à la légitimation de l’action des institutions. » (point 29) Si la Cour de justice ne remet pas en cause ce raisonnement, elle est venue en limiter la portée puisque dans son arrêt Schönberger précité, elle a tenu à préciser que « contrairement à l’appréciation faite par le Tribunal au point 28 de son arrêt Tegebauer/Parlement, une motivation sommaire, telle que celle qui figurait dans la décision du Parlement en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, répond à cette exigence » 31.
L’examen d’une décision ne répondant pas à l’objet de la pétition
La deuxième hypothèse pose le problème de l’atteinte à la substance même du droit de pétition, c’est-à-dire au droit d’adresser au Parlement ou à l’organe institué à cet effet, une pétition. Contrairement à l’irrecevabilité où la commission des pétitions s’est prononcée à la lumière des conditions posées à l’article 227 TFUE, ici la décision témoigne de l’absence totale de prise en compte de la pétition. Le refus ou l’abstention de prendre position sur la recevabilité d’une pétition est donc constitutive d’une atteinte à la substance de ce droit fondamental. Cette deuxième hypothèse, tout d’abord, ne peut concerner, en tout cas on l’espère, que des affaires relativement peu nombreuses, car il serait inquiétant pour l’institution que de telles pratiques soient courantes. Par ailleurs, cette hypothèse laisse clairement supposer, davantage encore que la première, que c’est au titre du contrôle des conditions posées par l’article 227 TFUE que le droit s’exerce. En effet, on conçoit ici que le Parlement ne s’est pas prononcé sur les conditions posées à l’article 227 TFUE car il a décidé de ne pas répondre à la pétition qui lui était adressé. Cependant le Parlement adopte bien une « décision », comme le précise bien la Cour de justice, qui ne peut être par définition une décision d’irrecevabilité puisque les conditions posées à la recevabilité de la pétition n’ont pas été vérifiées. Il ne peut s’agir non plus d’une véritable abstention de l’institution, puisque celle-ci n’aurait alors adopté aucun acte 32. Pour autant est-ce que tout recours contentieux serait nécessairement voué à l’échec s’il ne visait pas l’annulation d’une « décision » mais à faire constater la carence du Parlement dans le cadre de l’exercice du droit de pétition ? Dans la mesure où le juge, jusqu’à présent, a été saisi de recours en annulation à l’encontre de décisions formelles de la commission des pétitions la question n’est évidemment pas pertinente. Mais quid si le Parlement s’abstient purement et simplement de répondre ? Ces hypothèses montrent que le droit de pétition ne peut se réduire à la seule transmission d’une pétition à la commission créée à cet effet par le Parlement. C’est l’absence de réponse ou de motivation suffisante quant aux conditions à remplir qui entraîne la recevabilité du recours en annulation. Pour que le « lien direct » comme l’évoque le juge entre le citoyen et le Parlement soit effectif, il est donc nécessaire que celui-là ait la certitude que celui-ci a bien pris en compte sa pétition, quel que soit le sort qu’il entend lui réserver.
Ces deux hypothèses montrent par conséquent que la nature procédurale du droit de pétition n’est pas exclusive d’une dimension substantielle, soit à l’égard des conditions de recevabilité de la pétition sur le fondement de l’article 227 TFUE soit lorsque le juge doit apprécier que la décision d’irrecevabilité comporte une motivation suffisante, même si elle est sommaire. Une telle interprétation aboutit, pour paraphraser un auteur mais dans un mouvement inverse à celui envisagé, à une forme de substantialisation d’un droit procédural 33. La pétition, en effet, qui contient des informations renvoyant au moins potentiellement à des droits garantis 34, a une portée substantielle qui est mise en lumière à travers l’obligation de motivation même « sommaire » qui pèse sur l’institution. Le fait que le juge se déclare compétent pour contrôler les seules décisions d’irrecevabilité et non les décisions qui, ayant été déclarées recevables, n’auraient pas satisfait aux demandes du pétitionnaire, ne modifie pas cette perspective. Le droit de pétition peut s’apparenter au droit à un recours politique effectif qui suppose de pouvoir présenter sa cause, nonobstant le pouvoir discrétionnaire et de nature exclusivement politique qui est conféré à l’institution (Schönberger, précité, point 24).
III – Le juge, gardien ultime des droits et de la démocratie
La construction juridique de l’Europe s’est réalisée pour une part non négligeable sous l’autorité des juges, et singulièrement sous celle de la Cour de justice. Ce constat n’a rien de nouveau ni d’original, il a été dressé très tôt par d’éminents et attentifs observateurs de cette construction 35.
Comme le conçoit R. Dworkin, le pouvoir de dire le droit ne s’apparente pas uniquement à un pouvoir de contrôle et de sanction, il représente parfois un authentique pouvoir « politique » qui entraîne à sa suite la création de normes nouvelles, dont certaines constituent les fondements mêmes d’une société 36. Tel pourrait être le cas dans la société européenne, certes plurielle et où l’exercice des pouvoirs relève de mécanismes de répartition des compétences complexes et parfois fragiles. C’est ainsi que les principes de démocratie et de l’Etat de droit ont fait leur apparition dans la jurisprudence de la Cour de justice bien avant leur codification dans les traités 37. A chaque fois il s’agissait d’affaires mettant en jeu les prérogatives du Parlement européen, soit du point de vue législatif vis-à-vis des autres institutions et singulièrement du Conseil 38, soit d’un point de vue plus juridique à propos des actes qu’il adopte et qui sont susceptibles de produire des effets à l’égard des tiers 39. La jurisprudence relative au droit de pétition s’inscrit dans cette lignée. Le juge ne peut en effet que constater que dans les rapports qui lient les pétitionnaires à l’institution parlementaire les appréciations sont de nature politique, excluant par là-même tout contrôle juridictionnel. Il n’en demeure pas moins qu’au stade de la recevabilité le juge est en mesure de contrôler si ce droit a pu s’exercer, non seulement au cours de la transmission de la pétition mais aussi à la suite d’une décision de classement à l’aune des conditions définies par les traités et le Règlement intérieur du Parlement.
Le juge contribue de cette façon au bon fonctionnement des outils démocratiques qui visent à faire de l’Union européenne un espace politique, au-delà de la seule intégration économique et technique. A travers l’exercice du droit de pétition, ce sont à nouveau les particuliers qui jouent le rôle de vigies de la bonne application du droit commun lorsqu’ils invoquent auprès du Parlement européen la possible violation de droits conférés par l’Union 40. Cette forme de démocratie procédurale est au fondement de l’intégration du droit de l’Union au sein des ordres juridiques nationaux. La procéduralisation modifie, en outre, la perception que les particuliers ont de leurs représentants et de leur fonction dans un espace démocratique où sont garantis des droits et des libertés. En effet, la représentation politique des citoyens est depuis plusieurs années en mutation profonde. Baisse des taux de participation aux différentes élections et singulièrement lors des élections parlementaires européennes. Dialogue parfois confus entre les responsables politiques et les citoyens. Essoufflement des mécanismes de représentation traditionnelle. Ces phénomènes, parmi d’autres, sont à la source d’un affaiblissement de l’Etat 41. L’Union n’échappe pas à ce constat, malgré sa nature singulière. A l’inverse, le juge n’a jamais été autant sollicité. Il ne se contente plus de dire le droit existant et de combler ses lacunes éventuelles, il encourage les institutions politiques à se construire sur le modèle défini en partie par la justice. Transparence, obligation de motivation des actes, accès effectif voire efficace à leurs instances, normes procédurales, contribuent à bâtir cette démocratie procédurale que l’on évoquait. Cette soumission à des mécanismes qui sont au cœur du raisonnement et du travail du juge n’est pas seulement formelle, elle entraîne à sa suite une redéfinition de ce que doit être le politique dans cet espace en mutation.
Le droit de pétition, malgré le caractère modeste de l’activité qu’il génère au niveau de l’Union européenne, constitue une assez bonne illustration de cette adaptation progressive du politique au Droit. Instrument politique par excellence, devant concourir à rapprocher les citoyens européens de leurs représentants voire les inciter à contribuer au débat politique européen, il est perçu davantage comme un droit fondamental auquel il convient de faire produire toute la portée qui s’attache à ces derniers. Le droit de pétition constitue une forme de traduction politique du droit à un recours effectif et donc un instrument de revendication et de garanties davantage qu’un outil de dialogue démocratique. Si la démocratie y perd une part de son essence originelle, le juge et une partie des citoyens considèrent désormais que ce renforcement de la dimension procédurale est la seule à même de garantir les sphères intime et publique de la cité.
Notes:
- L’inscription de droits et de principes à la nature et à la portée variables renvoie encore aujourd’hui à ce « vade mecum communautaire » qu’évoquait le professeur J. Raynard lors de la rédaction de la Charte et avant même sa proclamation : J. RAYNARD, « La Charte des droits fondamentaux de l’UE : vers une dualité européenne du concept de droits de l’homme que l’on croyait pourtant universel », RTD Civ., 2000, n° 4, p. 947, sp. p. 949. ↩
- Voir sur cette question le numéro spécial de la Revue du Marché Commun et de l’UE, mars 2012. ↩
- Sur le droit de pétition en tant que droit fondamental et la pratique du Parlement européen en ce sens voir P. MAGNETTE, « Vers une citoyenneté européenne directe ? Pratiques du droit de pétition dans l’UE », Revue internationale de politique comparée, 2002/1, vol. 9, p. 65 et sp. p. 70. ↩
- L. COUTRON, Droit de l’Union européenne, Dalloz, 2013, 2ème éd., p. 188. ↩
- On observera plus loin toutefois que le pouvoir d’appréciation « politique » consiste aussi à rechercher des solutions juridiques en demandant l’avis de la Commission européenne, par exemple. ↩
- Sur les origines en droit français voir Alain LAQUIEZE, Les origines du régime parlementaire en France (1814-1848), PUF, coll. Léviathan, 2002, sp. pp. 184 et s. Voir aussi M. FATIN-ROUGE STEFANINI, « Le rôle du peuple est-il renforcé ? », RFDC, 2008, n° 5, pp. 133-148. ↩
- L’Assemblée nationale publie pour chaque législature un « Feuilleton des pétitions » qui les recense et les présente brièvement. Voir http://www.assemblee-nationale.fr/petitions/. ↩
- Voir à propos des spécificités du système de l’Union l’argumentaire particulièrement riche développé par la Cour de justice dans son Avis 2/2013 rendu le 18 décembre 2014 à propos du projet d’adhésion de l’Union européenne à la CEDH et le commentaire d’E. DUBOUT dans cette Revue. ↩
- Voir par exemple les travaux fondateurs de G. DUMEZIL, Mythe et Epopée, 3 volumes, Gallimard, Ed. Quattro, 1995. ↩
- T. BOMBOIS, La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la concurrence, Ed. Larcier, 2012. ↩
- Environ 505 millions d’habitants en 2013 dans l’UE à 28 selon Eurostat. ↩
- Pour un état des initiatives en cours : http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/welcome?lg=fr. ↩
- Pétitions 0393, 0478 et 0566/2013. Toutes les pétitions recevables sont consultables à l’adresse suivante : http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/organes/peti/peti_8leg_meetinglist.htm. ↩
- Pétition 1902/2013 P. Mangen. ↩
- Voir sur ce sujet J. PERTEK, « L’initiative citoyenne : un pas vers la citoyenneté participative », RAE, 2011/1, pp. 71-78. ↩
- Voir les Actes du Colloque qui s’est déroulé à la Cour de justice à Luxembourg le 13 mai 2013 à l’occasion du 50ème anniversaire de l’arrêt Van Gend en Loos (disponible ici) et notamment F. PICOD, « Le statut des particuliers, désormais titulaires de droits individuels », pp. 81-92. ↩
- Pétition n° 2232/2013 R. Ciancaglini. ↩
- Cette situation liée au contexte institutionnel et historique propre à la place du Parlement dans l’architecture institutionnelle, pourrait toutefois évoluer dès lors que le Parlement a désormais acquis des pouvoirs importants et participe de plein droit à la quasi-totalité des activités de l’organisation, aux côtés des autres institutions politiques. ↩
- On notera qu’à l’inverse les initiatives citoyennes visent davantage à inciter les institutions à agir (en cas de carence) ou à modifier le droit ou la pratique existant. A ce jour (mars 2015) seulement deux initiatives ont rempli les conditions de recevabilité et ont donné lieu à une réponse circonstanciée de la Commission (l’une sur le droit humain à l’eau et l’autre sur le respect de l’embryon humain), une initiative recevable est en cours d’examen (concernant la vivisection) et trois autres sont clôturées (sur les écoutes téléphoniques, l’Europe sociale et les sociétés écran). 21 autres initiatives citoyennes n’ont pas abouti, soit parce qu’elles ont été retirées soit parce qu’elles n’ont pas obtenu un soutien suffisant. ↩
- Il s’agit des pétitions n° 0444, 0484, 050, 0596, 0759, 0761, 0895 et 2376/12. ↩
- Il s’agissait du droit à l’information et à la consultation des travailleurs consacré à l’article 27 de la Charte. ↩
- Voir notamment C.J.U.E, Gde Ch., 26 février 2013, Akerberg Fransson, aff. C-617/10. S. PLATON, « La Charte des droits fondamentaux et la ‘mise en œuvre’ nationale du droit de l’Union : précisions de la Cour de justice sur le champ d’application de la Charte », cette Revue. ↩
- Articles 43 (médiateur), 45 (libre circulation), 46 (protection diplomatique et consulaire). ↩
- Entendue ici comme l’opération qui consiste à inscrire dans la Charte des droits contenus initialement dans les traités. ↩
- C.J.U.E, 30 avril 2014, R. Pfleger, aff. C-390/12, point 60. ↩
- CJUE, 19 janvier 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07. ↩
- L. BURGORGUE-LARSEN, « Article II-112 », in L. Burgorgue-Larsen, A. Levade, F. Picod, Traité établissant une constitution pour l’Europe. Partie II La Charte des droits fondamentaux de l’UE Commentaire article par article, Bruylant, 2005, pp. 658-688, sp. pp. 687-688. ↩
- A. PLIAKOS, « Citoyenneté », Rép. Dalloz Droit communautaire, 2012, point 77. ↩
- Voir sur ce point N. MARTY, « Le droit de pétition devant la commission des pétitions du Parlement européen : un enjeu institutionnel », RAE, 2013/4, pp. 731-742. ↩
- A. ROSAS, «Exclusive, shared and national competence in the context of EU external relations: do such distinctions matter?», in The European Union in the World, Essays in Honour of Marc Maresceau, Martinus Nijhoff, Leiden, 2014, pp. 17-44. ↩
- Il s’agit ici d’un authentique obiter dictum car la Cour dans l’affaire Schönberger n’était absolument pas saisie de cette question (même si elle avait été évoquée également par l’avocat général). ↩
- M. WATHELET et J. WILDEMEERSCH, Contentieux européen, Larcier, 2014, pp. 194 et s. ↩
- E. DUBOUT, « La procéduralisation des obligations relatives aux droits fondamentaux substantiels par la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2007, pp. 397-425. ↩
- Ceux qui sont inhérents à l’existence même d’un droit propre à l’Union européenne. ↩
- J.–L. DELVOLVE, « Le pouvoir judiciaire et le traité de Rome ou la diplomatie des juges », JCP, 1968, I.2184. ↩
- R. DWORKIN, L’empire du droit, PUF coll. Recherches politiques, 1994. ↩
- O. COSTA, « La Cour de justice et le contrôle démocratique de l’UE », RFSP, 2001, n° 6, p. 881. ↩
- Sur la sauvegarde des compétences du Parlement et l’obligation pour le Conseil de le consulter voir, par exemple, CJCE 16 juillet 1992, Parlement c/ Conseil, aff. C-65/90. ↩
- CJCE 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » c/ Parlement européen, aff. 294/83 ; voir aussi CJCE Ord. 26 janvier 2001, Le Pen c/ Parlement européen, aff. T-353/00. ↩
- P. – Y. CHICOT, « La citoyenneté entre conquête de droits et droits à conquérir », RDP, 2005, n° 1, p. 213. ↩
- P. ROSANVALLON, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, 2006. ↩