Peut-on défendre les valeurs de l’Union européenne par le droit ?
Edouard Dubout est Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas et membre du Centre de Droit européen (edouard.dubout@u-paris2.fr)
Alors que la Cour de justice de l’Union européenne s’interroge sur l’opportunité de s’engager davantage dans la défense des valeurs de l’article 2 TUE, cette contribution se demande dans quelle mesure une approche pragmatiste des valeurs permettrait de surmonter la critique du caractère indéterminé et inconnaissable des valeurs. Tout d’abord, il est suggéré que l’apparition des valeurs dans le droit et la jurisprudence de l’Union européenne peut être comprise en lien avec l’émergence d’une société européenne consciente d’elle-même, afin de dépasser l’opposition entre le subjectivisme ou l’objectivisme des valeurs. Ensuite, il est alerté sur les écueils de l’opération juridique de concrétisation des valeurs dans laquelle la jurisprudence s’est engagée, au risque d’en diluer la spécificité, d’en rigidifier le sens, et d’attiser ainsi les conflits axiologiques. Enfin, l’article invite à mieux dégager une certaine rationalité dans le recours aux valeurs en rendant le discours juridique plus sensible aux conséquences et raisons des choix axiologiques dans le corps social européen.
Comment résister à une « inversion » des valeurs en Europe1 ? Face à la menace « illibérale », qui gronde au sein de l’Union européenne et à ses portes, des voix s’élèvent afin de mettre le droit au service des valeurs fondatrices de l’Union européenne que ce soit pour en affirmer l’identité2 ou en assurer l’intégrité3. Sensible à ces appels, l’Assemblée plénière de la Cour de justice, qui a tenu une audience le 19 novembre 2024 dans l’affaire de la loi hongroise anti-LGBTQI+ de « défense de l’enfance »4, s’apprête à franchir un cap constitutionnel majeur dans l’histoire de l’intégration européenne : contrôler le respect par les États membres des valeurs communes de l’Union dans l’ensemble du droit national. Si, sur le fond, on ne peut que soutenir l’intervention de la Cour de justice, un doute subsiste sur le recours aux « valeurs » et leur insertion dans le logiciel juridique européen pour faire obstacle aux dérives illibérales. Le tournant axiologique du droit de l’Union européenne n’est pas sans risque. Dans un moment d’effacement des repères dans la société5 et d’« affaissement du consentement aux valeurs libérales »6 – associées dans l’esprit d’une grande partie des Européens à des phénomènes d’insécurisation (qu’elle soit économique, sociale, ou culturelle) – il nous faut nous interroger sur l’opportunité de conférer une dimension juridique aux valeurs abstraites de respect de la dignité, de la démocratie, de l’État de droit, et des droits de l’homme, sur lesquelles – aux termes de l’article 2 du Traité sur l’Union européenne (ci-après TUE) – l’Union européenne affirme être fondée7. En se plaçant sur le terrain axiologique, le droit de l’Union européenne ne s’aventure-t-il pas précisément là où ses principaux détracteurs veulent l’entraîner, vers une « guerre des valeurs » à l’issue plus qu’incertaine ? Malgré l’écueil, il sera soutenu que le tournant axiologique du droit de l’Union européenne peut se justifier, mais à condition de l’opérer avec prudence, en gardant à l’esprit une conception pragmatiste du sens et du rôle social des valeurs.
I. Protéger les valeurs : de quel droit ?
De nombreux juristes ont alerté sur les risques, voire les dangers, d’une fondation axiologique du droit. Les critiques du recours aux valeurs dans le discours juridique sont fortes et connues8. Elles tiennent principalement au caractère inconnaissable des valeurs, et corrélativement au manque de légitimité de quiconque affirmerait détenir une forme de vérité à leur égard. De façon générale, les positivistes récusent l’idée d’un fondement externe au droit lui-même, d’autant plus si ce fondement fait appel à une « conception métaphysico-absolutiste du monde » qui s’accompagnerait souvent d’« une attitude favorable à l’autocratie »9. Face à leur profonde indétermination, confier à un juge le pouvoir de définir en dernier ressort le sens des valeurs l’érigerait en être démiurgique, herculéen pour reprendre la métaphore dworkinienne10, ce qui ne pourrait que susciter un soupçon d’arbitraire, voire – dans le cas européen – de corporatisme judiciaire sous couvert de « légalisme »11. De surcroît, s’agissant des valeurs « libérales », toute fixation rigide de leur signification dans des règles de droit semble intrinsèquement contradictoire12. Le libéralisme politique véritable suppose au contraire une neutralité axiologique du droit, une indétermination entretenue du sens des valeurs au nom de l’égale liberté, notamment d’opinion, qu’elles valorisent. Autrement dit, le respect des valeurs libérales par des règles supérieures ne saurait être imposé sans les renier du même coup. Tel est le dilemme, parfois appelé « théorème de Böckenförde », de valeurs libérales incapables de se défendre13. Devant l’arbitraire de vouloir figer le sens des valeurs, qu’est-ce qui justifierait de respecter le droit imposé en leur nom ?
En dépit de ces objections, l’Assemblée plénière de la Cour de justice s’est déjà résolue en décembre 2022 à consacrer une forme de portée juridique des valeurs fondatrices de l’Union européenne, en jugeant que « l’article 2 TUE ne constitue pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient des valeurs qui relèvent de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun »14. L’importance de ces valeurs communes légitime – selon la Cour – de reconnaître aux institutions politiques de l’Union la pleine capacité de les « défendre » vis-à-vis des gouvernements et des droits nationaux qui les menaceraient15. Elle justifie de la sorte la validité du règlement européen dit « conditionnalité »16, permettant à la Commission et au Conseil de priver du bénéfice des fonds européens un État membre ne respectant pas la conception majoritaire de ces valeurs, qui – par hypothèse – ne seraient plus véritablement (ou du moins unanimement) « communes ». Ainsi, les valeurs de l’Union sont-elles non seulement génératrices de devoirs pour les États membres, mais aussi de pouvoirs pour les institutions de l’Union afin d’en définir le sens et d’en assurer le respect. Ce faisant, le droit de l’Union européenne opère un véritable tournant axiologique qui peut être lu de manière ambivalente. D’un côté, certains y verront une réaction salutaire afin de garantir le respect « continu » des engagements communs après l’adhésion à l’Union européenne17 et une véritable égalité des États membres devant les traités18. Mais d’un autre, côté il est aussi possible de l’envisager comme une forme d’imposition d’une conception dominante des valeurs européennes sur des expressions dissidentes, qui prend particulièrement pour cible certains États membres dont l’approche du constitutionnalisme n’est pas identique à celle des États « post-fascistes »19.
Des arguments abondent, certes, en faveur du passage à une forme de « démocratie militante », apte à défendre ses valeurs à l’échelle de l’Union européenne20. L’argument formaliste met tout simplement en avant le fait que l’article 2 TUE qui énumère les valeurs fondatrices de l’Union, constitue « après tout » une norme juridique inscrite dans les traités21, et qui – en tant que telle – recherche naturellement sa propre effectivité. Pourtant, c’est aussi une évidence d’admettre que toute disposition juridique, surtout composée d’énoncés aussi vagues et abstraits, n’a pas toujours vocation à être lue comme un commandement rigide22. C’est pourquoi, de façon constructiviste plus assumée, les partisans du recours aux valeurs proposent de procéder à une reconfiguration « républicaine » du droit de l’Union23. Ils souhaitent faire des valeurs de l’article 2 TUE le « cœur » constitutionnel de l’Union européenne, en les érigeant en marqueur d’un pouvoir constituant de l’ordre juridique commun24, ou encore en leur conférant une autorité hiérarchique sur les autres normes de droit primaire dans une forme renouvelée de super-constitutionnalité25. On comprend l’intérêt de ces arguments pour le bon fonctionnement de l’Union européenne et de son droit. Mais comment opérer ce tournant de façon légitime ? Les valeurs sont-elles aisément fongibles dans le droit ? Faut-il les considérer comme des règles supérieures absolument indérogeables ainsi que semblent vouloir le faire la jurisprudence européenne et une partie de la doctrine ?
Le tournant axiologique pris par le droit de l’Union européenne soulève la question de savoir ce qu’il faut entendre par « valeurs » dans le discours juridique26. S’agit-il d’une simple évolution terminologique, sans réelle conséquence, par rapport aux « principes » de la version antérieure des traités européens27, ou faut-il y voir une signification plus complexe sur le rôle des imaginaires dans le constitutionnalisme européen28 ? La plupart des travaux juridiques sur les valeurs prennent acte des tergiversations des sciences sociales à leur égard, et peinent à en retenir une acception fine29. Cet inconfort signale que le passage à la terminologie des valeurs dans le discours juridique n’est pas en soi insignifiant. Il nous semble qu’il faille prendre au sérieux la rhétorique des « valeurs » dans le discours juridique européen à un moment où l’adhésion aux valeurs est ressentie comme constitutive d’un certain « mode de vie ». Dans un arrêt récent, la Cour de justice a admis que des jeunes filles iraquiennes, ayant grandi aux Pays-Bas durant plusieurs années en tant que demandeurs d’asile, avaient adopté le « mode de vie » occidental de la société d’accueil, au point de susciter chez elles une « identification effective à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes, consacrée notamment à l’article 2 TUE »30. La juridiction européenne érige cette adhésion au mode de vie libéral en trait identitaire intangible, en tant que « croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce »31. Il en ressort que, contrairement à des « principes » universels de justice, les « valeurs » sont vues comme exprimant une certaine perception de soi, une manière d’être au monde et une forme de vie sociale. L’irruption des valeurs dans le droit de l’Union européenne peut être corrélée à un processus en cours de constitution d’une société européenne consciente d’elle-même.
II. Concevoir les valeurs : une approche pragmatiste
Le concept de « valeur » fait généralement l’objet de deux approches opposées : l’une subjective qui n’y voit que de simples émotions (émotivisme), l’autre objective qui les considère comme de pures abstractions idéales (mentalisme)32. Le point commun de ces approches est de soustraire les valeurs à toute possibilité de discussion rationnelle : l’émotion étant par définition irréfléchie et l’abstraction étant par hypothèse invérifiable. De là viendrait l’aspect nécessairement arbitraire du recours aux valeurs pour imposer une obligation juridique. Comment s’extraire de cette distinction qui ramène immanquablement les valeurs à l’inconnaissable ? De façon plus fine, dans son ouvrage consacré à la genèse des valeurs, le philosophe Hans Joas souligne la complexité du recours au langage des valeurs, dont il situe la formation « dans les expériences de l’affirmation de soi et de l’auto-transcendance »33. L’auteur, influencé par la pensée pragmatiste, défend l’idée que la formation des valeurs est le fruit d’une expérimentation, au sens d’un phénomène d’intériorisation réflexive des expériences de vie. Contrairement à l’opposition binaire – subjectiviste ou objectiviste – dans laquelle elles sont le plus souvent enfermées, les valeurs ne se réduisent ni à des préférences émotionnelles irréfléchies, ni à des constructions intellectuelles indémontrables. Elles ont trait à la formation d’une conscience qui guide l’action. En d’autres termes, les valeurs renvoient à une existence sociale.
Dans l’approche pragmatiste, l’univers des valeurs est un monde à la fois émotionnel et intellectuel (expéri-mental), co-produit par les sentiments et les idées, et qui se forme en fonction d’un certain contexte de vie humaine et sociale. C’est ce phénomène social que John Dewey désigne sous le néologisme de « valuation », au cours duquel se forment des désirs et des fins dans des situations concrètes34. Pour l’illustrer, l’auteur prend l’exemple des pleurs d’un enfant : alors que les premiers pleurs du nourrisson peuvent être considérés comme la manifestation d’une pure émotion, au fur et à mesure que des réponses sociales y sont apportées (par de la nourriture ou par des soins), les pleurs changent de signification, l’enfant devient conscient de la relation qui s’établit entre un certain pleur et l’activité qui lui répond, ce qui le conduit à émettre les pleurs pour provoquer une activité et faire l’expérience de ses conséquences (pour réclamer par exemple de l’attention, en plus de la nourriture ou des soins)35. Ainsi, pour Dewey, la recherche de certains biens valorisés (comme, s’agissant du nourrisson, la nourriture, le soin, ou l’attention) ne peut se construire uniquement sur la base de simples émotions, mais requiert une intériorisation d’un certain idéal dont la possibilité dépend d’un environnement social et des expériences que l’on en fait36. Voilà pourquoi les valeurs ne sauraient être ni purement subjectives, ni purement objectives. Elles sont intersubjectives, et doivent être vues comme un phénomène social.
C’est dans cette perspective de la conscience de l’existence au sein d’un environnement social que le passage au langage des « valeurs » mérite d’être pris au sérieux37. Il surgit dans un contexte où la « société européenne », à laquelle fait référence la deuxième phrase de l’article 2 TUE, est en passe de prendre conscience d’elle-même de façon ambivalente, à travers notamment l’expérience qu’elle fait de nombreuses crises qu’elle s’efforce de résoudre collectivement38. Certes, le plus souvent, la référence aux « valeurs » communes dans le droit et la jurisprudence de l’Union européenne est effectuée afin de projeter sur la société nationale des États membres un certain équilibre. Par exemple, l’appel aux valeurs communes permet de justifier que la liberté de circuler d’un citoyen d’un État membre ayant commis des crimes de guerre puisse être limitée au nom de la menace qu’il fait peser sur la société d’un autre État membre. Quand bien même les crimes passés s’inséraient dans un contexte historique et social spécifique (la guerre en ex-Yougoslavie), non susceptible de se reproduire dans l’État membre d’accueil, la Cour de justice entend tenir compte de leur gravité afin de renforcer « la crédibilité de l’engagement des États membres dans la protection des valeurs fondamentales visées aux articles 2 et 3 TUE »39. Autrement dit, le respect des valeurs ne se limite pas à la prévention d’un risque avéré pour la sécurité, c’est avant tout une question d’intégrité morale et d’attachement à une certaine éthique pour la société de chaque État. Mais il arrive aussi que la société européenne dans son ensemble soit envisagée comme telle, au-delà des sociétés nationales des États membres, en tant qu’unité collective à défendre. Le Tribunal de l’Union européenne a ainsi évoqué, pour la première fois, l’impératif de protéger la « société européenne » et « l’intégrité du débat démocratique » en son sein40, afin de justifier l’interdiction de diffusion de médias russes dans le contexte de la guerre en Ukraine. La proportionnalité d’une telle mesure pouvait pourtant paraître douteuse41 : la censure d’un média par un organe politique, afin d’éviter tout risque de « propagande » sans définir cette notion, est une mesure extrême, qui porte atteinte au cœur même de la liberté d’expression en régime libéral42. Seules des circonstances exceptionnelles, mettant en cause la pérennité d’un modèle de société, pouvaient justifier une telle mesure. C’est dans de telles circonstances, où son existence même est menacée, que la société « européenne » semble prendre forme dans le discours juridique. Le concept d’une société européenne fondée sur des valeurs joue en ce cas comme un moyen de résistance à la menace : il s’agit de mettre le droit au service d’une société à la fois consciente d’elle-même et résiliente face à l’extérieur.
Au fur et à mesure qu’il touche au cœur des enjeux de société les plus sensibles, le droit de l’Union est amené à résoudre des conflits existentiels, à devenir « le droit de la société européenne »43. En surgissant dans des moments critiques, la référence aux valeurs dans le droit se justifie afin d’éviter que les conflits qui opposent des revendications antagonistes, présentées comme « non-négociables », ne fassent voler en éclat une société européenne clivée et polarisée. C’est ainsi notamment que la Cour de justice justifie sa position sur la possibilité d’interdire les signes religieux, y compris de petite taille, dans l’entreprise : elle craint que les conflits de valeurs ne dégénèrent en conflits sociaux. Raison pour laquelle elle se montre sensible à les prévenir en admettant que l’expression religieuse puisse être limitée par un « objectif d’éviter des conflits sociaux au sein de l’entreprise, en particulier compte tenu de l’existence de tensions survenues par le passé en relation avec des convictions politiques, philosophiques ou religieuses »44. L’attention au risque de conflit entre groupes sociaux ne veut pas dire que le droit européen parvienne à apaiser pleinement les tensions entre différentes visions du monde qui s’opposent au sein de la société européenne, mais uniquement qu’il devient un des lieux pour tenter de les surmonter, dans un contexte où le cadre national ne paraît plus en mesure de répondre de façon satisfaisante aux interrogations qui agitent le corps social (que ce soit sur l’origine de l’autorité, sur le fondement de la solidarité, ou encore sur le contenu de l’identité). C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre, s’agissant de la question connexe de l’abattage rituel, que soit apparue dans la jurisprudence une référence au bien-être animal en tant que « valeur à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines attachent une importance accrue »45. En érigeant le bien-être animal en « valeur » sociale émergente, le juge européen s’efforce de désamorcer les conflits liés à la religion en se plaçant sur le terrain des représentations existentielles et des modes de vie qui y sont associés. Contrairement à celui des principes universels, le langage des valeurs entend prendre en charge l’imaginaire social et culturel dans la manière avec laquelle les problèmes se posent.
Peut-on, cependant, réellement parler d’une « société européenne » clairement constituée et dotée de valeurs nettement identifiables ? On ne manquera pas de relever qu’en opérant un tournant axiologique au nom d’une société européenne à défendre, le droit de l’Union européenne semble s’efforcer de répondre à une polarisation et une désorientation sociales qu’il a pu lui-même contribuer à susciter. Il n’est pas à écarter que le droit européen, tel qu’il a été conçu jusqu’à présent comme étant à la fois dicté par des buts objectifs et activé par des droits subjectifs, ait pu participer au scepticisme axiologique croissant, à la perte de sens qui agite l’intérieur des sociétés européennes46. En affectant les structures sociales, en suscitant des formes d’émancipation individuelle, mais aussi d’interdépendance collective, en valorisant la mobilité et la possibilité de nouer des attaches au-delà du cadre de la communauté nationale, la construction européenne a pu contribuer à une altération du sens de la vie commune, à un dérèglement des repères axiologiques qui permettent d’attacher de la valeur aux choses et aux comportements47. Les valeurs en sont devenues encore plus indécises, rendant en partie vain d’y faire appel. En l’absence de véritable identité européenne, il peut paraître prématuré de forcer l’existence de valeurs authentiquement communes à l’échelle européenne.
L’approche pragmatiste des valeurs offre une voie pour dépasser l’aporie apparente d’un droit tentant de faire société tout en participant à perturber les structures sociales existantes. D’une part, une telle approche ne rend plus aussi paradoxal le fait que l’appel aux valeurs communes dans le discours juridique se fasse à un moment où leur sens ne fait justement plus consensus. A partir du moment où la valeur n’est pas réduite à une idée abstraite universelle mais guide l’action de celui qui se la donne, c’est parce qu’une incertitude survient, que le contexte a changé, qu’il devient davantage nécessaire d’y faire plus ouvertement appel. C’est seulement lorsqu’un « problème » se pose qu’il faut réévaluer consciemment nos actions, et ainsi faire ouvertement appel à des valeurs afin de donner la préférence à la manière dont on peut les suivre au vu des circonstances défavorables48. Il n’y a dès lors nulle contradiction à ce que les valeurs surgissent lorsqu’elles sont en crise et qu’elles sont contestées. D’autre part, la conception pragmatiste des valeurs autorise à leur donner un sens évolutif, qui peut rester ouvert à l’imagination, puisque les valeurs se forment par l’expérience et les conséquences que l’on en tire dans un certain contexte. Ainsi comprise, la référence aux valeurs dans le droit ne signifie pas uniquement vouloir leur conférer plus de stabilité et de rigidité dès lors que l’on admet que le discours juridique relève aussi d’une forme d’imagination, qu’il façonne tout autant un certain mode de vie et non pas seulement un ensemble de règles rigides49. Le droit européen n’est pas qu’un laboratoire institutionnel, il est aussi un champ d’expérimentation existentielle dans lequel se projettent les transformations des modes de vie et des imaginaires des Européens.
C’est pourquoi, en dépit du poids des critiques que l’on peut adresser au tournant axiologique pris par le droit et la jurisprudence de l’Union européenne, il est possible de le comprendre au regard d’une approche pragmatiste des valeurs dans le contexte d’émergence d’une société européenne prenant conscience d’elle-même dans un moment de trouble. Reste que le maniement de l’argument axiologique dans le discours juridique ne va pas sans difficultés, ce qui invite à porter un regard critique sur la façon avec laquelle il est déployé dans la pratique juridique européenne. En l’état, la principale tâche qu’elle se donne est de parvenir à concrétiser le respect des valeurs européennes. Cela peut s’entendre comme leur donner à la fois une protection plus effective, mais aussi et dans le même temps une signification plus précise. Mais les valeurs peuvent-elles devenir plus concrètes avec leur passage dans le droit sans perdre dans le même temps leur spécificité en tant que valeurs ?
III. Concrétiser les valeurs : le passage aux normes
Après avoir estimé que les valeurs de l’article 2 TUE revêtent une portée juridique et ne se limitent pas à de simples énoncés de nature politique, la Cour de justice rappelle néanmoins que ces valeurs ne sont pas elles-mêmes – pour le moment50 – directement opérationnelles juridiquement. Elles doivent être « concrétisées dans des principes contenant des obligations juridiquement contraignantes pour les États membres »51. Pareil renvoi à des normes de « concrétisation » remonte à la jurisprudence séminale Association syndicale des juges portugais, dans laquelle la Cour de justice jugeait pour la première fois que l’article 19 TUE « concrétise », bien qu’il n’en fasse pas mention, la valeur de l’État de droit inscrite à l’article 2 TUE52, afin de justifier son contrôle de l’organisation judiciaire et de la séparation des pouvoirs dans les États membres. Par la suite, la référence à l’idée de « concrétisation » des valeurs par d’autres dispositions de droit de l’Union a été reprise53, la Cour de justice allant jusqu’à dresser un inventaire des différentes dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en fonction de la valeur qu’elles concrétisent54.
Outre le problème classique de la justification du pouvoir créateur des juges en présence d’énoncés vagues et indéterminés55, la démarche consistant à présenter des dispositions de droit primaire ou dérivé comme des normes de « concrétisation » de valeurs supérieures, peut susciter une certaine perplexité. D’une part, on se souvient que c’est parce que les dispositions de la Charte des droits fondamentaux n’étaient pas applicables, en raison de son champ d’application limité, aux réformes de l’organisation judiciaire dans les États membres, qu’un détour par les valeurs de l’article 2 TUE et leur « concrétisation » via l’article 19 TUE avait été rendu nécessaire pour y faire juridiquement obstacle. L’opération de « concrétisation » des valeurs trouve ainsi son origine davantage dans une démarche d’extension du champ du contrôle européen que de précision de leur contenu56. D’autre part, l’idée de « concrétisation » fait écho à une certaine conception de l’ordre juridique, désignée parfois comme théorie « structurante » du droit57. Selon une telle approche, les normes juridiques ne recevraient en pratique leur signification réelle qu’au moment de leur concrétisation dans une situation factuelle. Autrement dit, le sens des énoncés juridiques ne préexisterait pas à la survenance du cas concret et à sa résolution58. Pour les tenants de cette théorie, la concrétisation fait ainsi partie de la structure d’une norme et en constitue même le stade le plus déterminant, celui qui est véritablement « décisif ». Si l’on s’en tient à cette présentation, le risque de l’opération de concrétisation tient à ramener les valeurs à de simples « normes », qui ne prendraient véritablement sens qu’au stade ultime de leur application à un cas concret. Indépendamment de cette opération, les valeurs seraient littéralement vides de sens.
Il est vrai que l’acceptation la plus courante des « valeurs » cherche absolument à les distinguer des « normes ». Contrairement aux « normes » qui sont perçues comme étant (im)posées de l’extérieur, notamment par un droit positif émanant d’un acte de volonté, les « valeurs » sont conçues comme intérieures et se présentent à nous comme intrinsèquement justifiées59. De sorte que la distinction des « valeurs » et des « normes » serait indispensable pour qui entend préserver le caractère objectif et rationnel d’un droit obéissant à une logique de validité et prétendant à l’universalité vis-à-vis de ses destinataires (quelles que soient leurs valeurs)60. Nier la distinction entre « valeurs » et « normes » reviendrait à saper la spécificité de la normativité juridique et de son mode d’argumentation61.
C’est pourquoi, il serait scientifiquement discutable d’établir un lien entre des « valeurs » et des « normes » qui les concrétiseraient. Le dilemme est le suivant. Soit, première hypothèse, la norme concrète est déduite de la valeur supérieure dont le sens serait connu à l’avance, et en ce cas il n’y aurait plus aucune autonomie ni positivité du droit qui se réduirait à entériner des énoncés axiologiques déjà posés (par on ne sait pas bien qui : la Nature, Dieu, ou la Raison,…), ce que l’on désigne parfois comme un système « statique »62. Soit – au contraire, seconde hypothèse – c’est la norme concrète qui vient donner à la valeur supérieure sa véritable signification, de façon « dynamique », par un acte de volonté des organes d’application du droit, et en ce cas la valeur devient inutile. Tel est le paradoxe : sans concrétisation la valeur n’a guère d’utilité autonome, mais une fois spécifiée elle perd également toute utilité au profit de la norme plus concrète qui lui confère sa réelle signification. Autrement dit, en ne se distinguant plus de la norme qui la concrétise, la valeur est « dé-valorisée ».
Le propre d’une valeur serait donc de demeurer, au moins en partie, abstraite. Pour comprendre ce qui risque de se perdre avec l’opération de concrétisation des valeurs dans des normes plus précises, voire dans un ensemble situations factuelles, un parallèle peut être fait avec l’approche « spécificionniste » des droits moraux. L’origine de ce mouvement doctrinal cherche à sauver l’autorité supérieure d’impératifs conçus comme des absolus inviolables, alors même qu’ils sont formés d’énoncés vagues et indéterminés dont la signification fait l’objet de nombreux désaccords. Comment respecter absolument un impératif dont le sens n’est pas connu ? La solution préconisée par les spécificionnistes serait de n’entendre comme n’étant un véritable impératif moral que l’énoncé tel qu’il est concrètement spécifié dans l’ensemble des cas dans lesquels son respect absolu est requis63. Ainsi, par exemple, un véritable droit au respect de la vie n’existerait pas indépendamment de la spécification des conditions dans lesquelles il est concrètement garanti, en tenant compte notamment de la légitime défense, de l’avortement, de l’euthanasie, du conflit armé, etc. Cela conduit à ce que les circonstances concrètes de l’activation du droit soient entièrement précisées pour que sa définition puisse être considérée comme complète et qu’une portée absolue puisse lui être reconnu sans risque d’incohérence. A cette condition seulement, le droit serait « pleinement moralisé »64 au sens où il n’aurait à être impérativement respecté que dans les situations où il est justifié moralement qu’il le soit. A défaut, le droit moral abstrait ne serait que relatif, voire illusoire, au point de pouvoir être contesté dans son existence même.
Le revers de cette approche « spécificionniste » est que la signification de l’énoncé supérieur devient le point d’arrivée – et non le point de départ – du raisonnement65. L’impératif prétendument supérieur ne vaut rien indépendamment des normes inférieures qui définissent les conditions dans lesquelles il est appliqué. Il perd son pouvoir explicatif et justificatif. On peut penser que quelque chose de semblable se joue dans l’opération de concrétisation des valeurs européennes, à la fois considérées comme absolues et « non-négociables », mais également énoncées de façon vague et indéterminée. Leur spécification dans un ensemble de situations factuelles tend à leur fait perdre leur pouvoir d’évaluation de ces situations pour se confondre avec la somme des arbitrages rendus dans ces cas concrets. Par exemple, dans la jurisprudence de la Cour de justice, le respect de la dignité humaine se rapportera en dernière analyse au constat d’une situation factuelle « de dénuement matériel extrême »66. De même, le respect de l’État de droit se ramènera ultimement à la question de savoir si dans une situation donnée peuvent exister « dans l’esprit des justiciables des doutes légitimes quant à l’indépendance des juges »67. Ces critères ne nous disent rien de ce qu’est un dénuement « extrême » ou un doute « légitime » indépendamment des situations factuelles dans lesquelles ils seront reconnus satisfaits. En toute logique, ils pourraient s’appliquer à une grande variété de situations en Europe, comme par exemple la très grande pauvreté ou encore la composition du Conseil constitutionnel français. Beaucoup d’États membres risqueraient de se trouver en porte-à-faux avec les valeurs fondatrices, jusqu’à ce qu’un examen au cas par cas permette de dire ce qu’elles leur imposent vraiment.
Au fur et à mesure que la valeur est spécifiée dans des normes puis que celles-ci sont appliquées dans des situations factuelles, la signification de la valeur matricielle ne se distingue plus de la somme des évaluations concrètes qu’elle était censée permettre d’opérer. Or, la spécificité des valeurs est au contraire de parvenir à s’extraire de la complexité de la réalité concrète pour en tirer un trait élémentaire qui guide le jugement. C’est parce que, par exemple, il existe une valeur d’égalité, que nous sommes en mesure de considérer deux êtres différents comme étant égaux malgré leurs différences factuelles. Si, au contraire, on ramène la signification de l’égalité à la somme des situations factuelles considérées concrètement comme étant égales, la valeur première d’égalité perd sa signification autonome. La valeur devient le point d’arrivée et non le point de départ de l’évaluation. Tel est le risque de ramener les valeurs à des normes de concrétisation.
Peut-on tenter de préserver la dimension abstraite des valeurs avec leur besoin de concrétisation ? Des propositions ont été faites en ce sens. C’est ainsi qu’il est notamment possible de comprendre le célèbre « voile d’ignorance » imaginé par John Rawls. Il suggère d’envisager l’organisation juridique des systèmes libéraux en séquençant le passage du monde abstrait de la justice vers le monde concret du droit à travers différents stades de spécification. Il distingue à cet effet quatre stades dans l’organisation d’un système de droit fondé sur des valeurs libérales68. Dans un premier stade « originel », un accord sur un droit égal à des libertés de base peut avoir lieu de manière purement abstraite, derrière un voile d’ignorance qui rendrait les participants aveugles à leur situation sociale ou culturelle. C’est seulement à cette condition d’ignorance que d’inévitables désaccords sur la signification de ces libertés de base pourront être évités. Le droit n’intervient que dans un deuxième stade, que Rawls dénomme le stade « constitutionnel », lors duquel s’opère un début d’ajustement plus concret des libertés de base entre elles, en tenant compte d’un certain contexte économique, social et historique, qui lève une partie du voile mais sans aller jusqu’à dévoiler les positions individuelles réelles des participants dans la société69. Le voile d’ignorance serait ensuite pleinement levé dans les stades suivants : au troisième stade qui est le stade législatif qui concrétise les libertés de base en fonction d’un état des forces politiques dans la société, puis au quatrième stade administratif et judiciaire afin d’appliquer ces libertés législatives en fonction des situations individuelles d’espèce en tenant enfin compte de la pleine réalité des positions dans la société. Ce ne serait donc qu’en se coupant de la vie sociale réelle qu’une forme de progression de l’abstrait vers le concret pourrait animer la structure d’un ordre politique et juridique tout en l’asseyant sur des exigences dotées d’une portée autonome préalable. Le prix de cette construction est de recourir à une expérience de pensée hautement fictionnelle et désincarnée, qui non seulement alimente la distinction des valeurs et des normes juridiques, mais méconnaît aussi ouvertement l’importance du vécu dans la formation et la signification des valeurs qui guident nos actions.
En définitive, malgré le besoin de « concrétisation » des valeurs pour les rendre opérationnelles, on ne peut écarter aisément le reproche selon lequel cette opération risque de les amputer de ce qui fait leur spécificité en tant que valeurs. Par analogie, tout comme l’art abstrait vaut pour son abstraction, les valeurs abstraites devraient pouvoir valoir comme telles, indépendamment de leur concrétisation. Pour essayer de surmonter la difficulté, qui alimente l’inévitable critique selon laquelle le juge créerait les valeurs au moment de leur concrétisation, il convient d’affiner la manière de comprendre le rapport du droit et des valeurs. Pour cela, il faut cesser d’envisager le recours au droit comme une question de moyens au service de fins supérieures. Un retour au pragmatisme ouvre la voie à ce dépassement.
IV. Raisonner les valeurs ? Fins et moyens
Le cas de l’Union européenne est une bonne illustration de l’ambivalence du rôle social des valeurs. Du moment qu’elles demeurent vagues et abstraites, les valeurs peuvent rassembler et apparaître « communes », convaincantes aux yeux du plus grand nombre70. Mais dès que l’on cherche à les concrétiser, en déterminant les conditions plus précises du respect de la dignité, de la démocratie, ou de l’État de droit, il devient inévitable que les valeurs fassent l’objet de profonds désaccords. Comment comprendre que l’appel à des valeurs soit à la fois ce qui rassemble et ce qui divise le plus une société ? Une manière tentante de surmonter l’aporie serait de distinguer ce qui relève des fins et ce qui relève des moyens. La distinction fins/moyens expliquerait qu’une valeur puisse être consensuelle, tout en admettant des divergences importantes dans les moyens de la réaliser. C’est pourquoi, il conviendrait de séparer nettement la valeur en tant que « fin » des « moyens » utilisés pour l’atteindre. Cela cautionnerait la spécificité du jugement de valeur en tant qu’« énoncé qui pose qu’une chose est une fin, une fin ultime ne constituant pas le moyen de servir de fin ultérieure »71. On serait ainsi conduit à scinder le raisonnement axiologique en deux étapes : l’une de valorisation qui sélectionne un objet en l’élevant au rang de valeur, et l’autre d’évaluation qui estime la mesure dans laquelle le premier objet a bien été atteint. La première opération relèverait des fins et la seconde des moyens, de sorte que la valeur elle-même serait sauvegardée malgré les forts désaccords sur la manière de la réaliser. Ainsi, tout en conservant comme finalité les valeurs de démocratie ou de dignité, une grande diversité d’ordres et de normes juridiques dans le temps et l’espace seraient concevables pour atteindre de telles valeurs. Dans cette lecture, le droit relèverait de l’ordre des moyens, tenu de laisser les fins et les valeurs hors de lui. Le problème de cette séparation des valeurs comme fins et du droit comme moyen, est qu’elle interdit à nouveau au discours juridique de porter un jugement sur le respect des valeurs, en tant qu’il ne constitue qu’un moyen et non une fin.
Cependant, il est possible d’objecter à cette présentation du droit comme simple moyen au service des valeurs que le rapport entre fin et moyen est plus complexe qu’il n’y paraît. La pratique des valeurs montre qu’il est erroné de les considérer comme de pures finalités, des « fins-en-soi », indépendamment des moyens concrets employés pour les atteindre. La valeur qu’on se donne pour fin ne peut être conçue de façon purement idéale et préalable. Si, par exemple, pour établir la démocratie j’utilise la terreur, ou pour préserver la dignité je porte atteinte à la vie des personnes, le sens de la valeur poursuivie n’est plus le même. Cela ne veut pas dire qu’une telle évolution du sens d’une valeur n’est pas possible, bien au contraire, mais uniquement que la valeur comme fin ne peut pas être conçue indépendamment des moyens de l’atteindre. De là provient le néologisme de « valuation » imaginé par Dewey : il entend signifier l’existence d’un continuum entre les fins et les moyens72, soit entre la valorisation et l’évaluation. La valeur devient réflexive : elle n’est plus une fin « en soi » mais une fin « en vue », qui ne peut pas être obtenue à n’importe quel prix sans changer de sens.
L’apport de cette approche pragmatiste fondée sur l’expérimentation est d’introduire dans la réalisation des valeurs l’intériorisation des coûts qui permettent de les atteindre. Le plus souvent, ces coûts affecteront d’autres valeurs dont la signification sera elle aussi modifiée. Si, pour atteindre la valeur « liberté », je suis prêt à accepter un certain coût pour la valeur « dignité » (en matière d’avortement ou d’euthanasie par exemple), alors le sens de cette dernière s’en trouve aussi modifié. C’est pourquoi, la réalisation d’une valeur ne peut que rarement se penser de manière isolée, sans impacter le système des valeurs dans son ensemble. Il faut bien admettre, pour prendre un autre exemple, que lorsque la valeur « État de droit » est entendue comme nécessitant pour l’atteindre un contrôle du contenu des lois par un juge indépendant, le sens de la valeur « démocratie » évolue du même coup. L’interdépendance du sens des valeurs, découlant de la prise en compte des coûts dans la réalisation de chacune d’elle, implique que le raisonnement sur les valeurs doive passer de leur concrétisation à leur combinaison. Toute réalisation d’une valeur à l’aide de certains moyens est en réalité le résultat d’une combinaison entre valeurs, c’est-à-dire d’un arbitrage entre différentes valeurs.
Ressurgit alors immanquablement l’objection de l’arbitraire d’un tel arbitrage au regard de l’incommensurabilité des valeurs entre elles. Espérer résoudre rationnellement un conflit de valeurs supposerait de dégager un paramètre commun, et donc quelque part une valeur unique supérieure, qui rendrait évaluables et mutuellement compensables les coûts et bénéfices respectifs d’une mesure au regard de valeurs différentes, comme par exemple les coûts et bénéfices de l’indépendance de la justice pour les valeurs d’État de droit et de démocratie. Or, tant sur un plan conceptuel que dans la réalité de leur usage, il paraît vain de prétendre ramener les valeurs à une source unique (que ce soit le plaisir, la liberté, l’utilité, la justice, ou la dignité,…)73. Comme le soutiennent les contempteurs du contrôle de proportionnalité, il n’est guère envisageable de répondre catégoriquement à la question de savoir s’il faut préférer une maison jolie mais petite à une maison grande mais laide74 : dès lors que la beauté et la grandeur sont des valeurs incommensurables, les bénéfices de l’une ne peuvent compenser les coûts pour l’autre. De la même façon, pour prendre le cas de la surveillance des données de connexion qui a donné lieu à un conflit constitutionnel majeur entre le juge européen et le juge français75, il serait vain de vouloir mettre en balance les valeurs de liberté et de sécurité en considérant que le poids des inconvénients pour l’une se justifie par celui des avantages pour l’autre. Préférer la sécurité à la liberté ou l’inverse, n’a rien de rationnel : tout dépend à quelle valeur l’auteur du jugement est le plus attaché.
C’est pourquoi, la plupart des juristes ne se penchent guère sur la question des conflits de valeurs. Les valeurs n’interviennent, au mieux implicitement, qu’en surplomb du raisonnement juridique sur les conflits de droits. Elles servent à affecter aux normes juridiques en conflit un certain degré d’importance respective afin de graduer les intérêts en présence76. Ainsi pourrait se comprendre, par exemple, que le droit de ne pas être torturé bénéficie d’une protection plus poussée que le droit de ne pas être exproprié, eu égard à leur degré d’importance différent pour la dignité humaine. En poussant cette logique jusqu’au bout, le recours aux valeurs permettrait d’organiser les normes juridiques formellement de rang égal en introduisant entre elles une hiérarchie substantielle selon leur degré de nécessité en vue d’atteindre une valeur77. Le recours à la valeur matricielle autoriserait à cerner ce qui forme le contenu « essentiel » d’un droit, qui se distinguerait de ses dimensions « accessoires », moins indispensables à la réalisation de la valeur matricielle78. Ainsi, la valeur « démocratie » permettrait de distinguer au sein du droit fondamental à la liberté d’expression ce qui relève du véritable débat citoyen d’idées (contenu essentiel) de la simple publicité commerciale (contenu accessoire). En cas de conflit entre la liberté d’expression et la vie privée, il serait alors possible de trancher le conflit en fonction de la dimension plus ou moins cruciale de la liberté d’expression au regard de sa valeur matricielle. C’est pourquoi, les conflits de droits n’en seraient pas vraiment : ils s’ajusteraient en réalité mutuellement les uns aux autres à l’aune d’un certain système de valeurs qui leur conférerait leur cohérence d’ensemble. En toute rigueur, seules les valeurs entreraient en conflit, pas les droits79.
Le problème de cette approche consistant à arbitrer, voire à ajuster, les droits en fonction d’un système de valeurs préalable, tient précisément à ce qu’elle laisse irrésolue la question du conflit et de l’ajustement des valeurs entre elles. Or, à partir du moment où les valeurs deviennent des objets juridiques, qu’elles sont ouvertement prises en charge défendues par le discours juridique, elles devraient aussi pouvoir être approchées à travers une forme de rationnalité, sous peine d’apparaître comme des arguments de pure autorité. C’est sur ce point que la conception pragmatiste de l’interdépendance des fins et des moyens ouvre une perspective de repositionnement du problème des conflits de valeurs. Si l’on admet que les moyens d’atteindre une valeur rétroagissent sur sa signification et son agencement avec d’autres valeurs, la valeur recherchée n’est plus essentialisée, ni soustraite à toute discussion. Elle devient elle-même un objet dont l’évolution est observable et, dans une certaine mesure, évaluable. Autrement dit, la valeur devrait être conçue comme quelque chose de désirable, par distinction avec ce qui est simplement désiré. C’est-à-dire que la « valuation » d’une fin ne devrait se faire qu’à l’issue d’une certaine réflexion sur ce qu’il est possible de valoriser en fonction des moyens disponibles et des conséquences produites dans un environnement donné80. Il devient alors possible d’apprécier les raisons qui nous conduisent à « valuer » certaines fins à l’aide de certains moyens, dans un certain contexte et en fonction des conséquences produites. Ces raisons peuvent être multiples et même contradictoires entre elles, et cela ne veut pas dire qu’elles pourront aisément être considérées comme bonnes ou mauvaises81, mais uniquement qu’il n’est pas inconcevable de s’efforcer de les identifier, de nous mettre en position d’évaluer nos ordres de valeurs.
L’idée qu’il y a des raisons à la pratique sociale des valeurs invite à ouvrir dans le raisonnement juridique un espace pour approcher plus finement les conflits de valeurs, au-delà des conflits de droits. Pour reprendre le cas du conflit entre la liberté et la sécurité en matière de surveillance des données de connexion, la Cour de justice estimait que la liberté devait être la règle et que la sécurité devait demeurer l’exception82. De son côté, le Conseil d’État français jugeait au contraire que tout gain pour la sécurité pouvait justifier une atteinte à la liberté83. Quel équilibre de valeur privilégier : la liberté privée de chacun ou la sécurité publique de tous ? Une manière d’essayer de surmonter le caractère indécidable du conflit axiologique est de le replacer dans le contexte social de l’usage de la technique litigieuse qu’est la surveillance de la communication. L’épistémologie juridique de la proportionnalité présentant le conflit comme opposant les valeurs abstraites de liberté et de sécurité ne permet pas de tenir compte des conséquences sociales pratiques qui découlent de l’usage de la communication, selon qu’elle demeure confidentielle ou qu’elle est soumise à une surveillance généralisée. Elle omet notamment d’intégrer les effets transformatifs que produit la surveillance de la communication non seulement sur la vie privée mais aussi sur l’espace public, sur la manière même de communiquer84. Peut-on toujours attribuer la même valeur à la communication humaine selon qu’elle est surveillée ou qu’elle ne l’est pas ? Le moyen, ou la technique, de communication contient en lui-même une partie de la valeur que nous recherchons85. Partant de l’idée que si nous valorisons autant la communication en démocratie c’est précisément parce qu’elle peut rester confidentielle, il est possible de réinterroger les raisons qui poussent un gouvernement démocratique à vouloir y mettre fin pour prioriser la recherche d’une sécurité maximale de ses citoyens86. Si cette quête de sécurité s’appuie, certes, sur une certaine demande sociale, il est douteux que la multiplication des dispositifs de surveillance puisse véritablement apaiser un sentiment d’angoisse sécuritaire grandissant dans la société, bien au contraire. En étendant à la société toute entière les techniques de surveillance réservées auparavant aux lieux d’enfermement, le gain escompté pour la sécurité se fera au prix d’une transformation de la manière même de faire société, en alimentant structurellement la crainte de l’autre au lieu de l’apaiser. Cet exemple montre que plutôt que de se placer sur le terrain indécidable de la proportionnalité de valeurs présentées comme conflictuelles, l’approche pragmatiste invite à ce que la combinaison des valeurs soient replacée dans le contexte social dans lequel les valeurs se construisent. Elle rejoint sous cet angle la préconisation de mieux reconnecter le droit européen avec la réalité des phénomènes sociaux qu’il entend réguler87.
Il est vrai que discours juridique évite le plus souvent de s’étendre sur les raisons de ce qui est socialement valorisé. Par exemple, alors que pendant longtemps l’homosexualité n’était pas considérée comme faisant l’objet d’une protection dans et par le droit européen, désormais les institutions de l’Union européenne en font un aspect essentiel de la défense des valeurs communes88. Les raisons de cette valorisation, relativement soudaine, de la protection de l’identité sexuelle des personnes, aussi légitime soit elle, ne sont guère explicitées, comme si elle allait « de soi ». On peut l’entendre et même l’approuver, mais le silence sur l’évolution de ce qui constitue une « valeur » dans la société provoque de nouvelles interrogations. Il est notamment peu clair dans la jurisprudence européenne de savoir précisément pourquoi l’expression d’un travailleur affichant sa sexualité se trouverait mieux protégée contre le licenciement89 que celle d’une travailleuse affichant sa religiosité90. Les raisons de ce traitement différencié sous l’angle de ce qui plus ou moins valorisé socialement mériteraient certainement d’être mieux exposées91. Mais est-ce toujours possible ? Le droit européen ne devrait-il pas se contenter d’accompagner les évolutions sociales de valeurs, sans se préoccuper des raisons de ces évolutions ?
Le rapport des valeurs et des raisons est complexe92 : le respect de certaines valeurs pouvant lui-même servir de raison pour adopter certains comportements. Devant la circularité des valeurs et des raisons, il est illusoire d’attendre du droit européen qu’il offre une lecture pleinement rationnalisante des systèmes de valeurs et de leurs évolutions. Il lui revient plutôt de s’intéresser au contexte dans lequel naissent les conflits de valeurs qui sont portés à son arbitrage. Pour reprendre le cas de l’abattage rituel et de la reconnaissance du bien-être animal comme nouvelle « valeur » sociale93, il nous semble problématique dans la construction juridique du cas de passer sous silence le contexte plus global de l’affaire et le risque d’instrumentalisation de l’argument du bien-être animal par une partie des protagonistes (dont on peut douter de la sincérité de leur adhésion à la cause animale) cherchant en réalité à asseoir des valeurs religieuses culturelles contre des pratiques minoritaires94. Or, c’est précisément cette configuration sociale particulière, ce sentiment confus d’une majorité culturelle qui se sent menacée par une minorité religieuse95, qui rend le cas plus difficile à trancher en charriant avec lui une polarisation sociale qui dépasse la question animale. Une attention plus soutenue au contexte social permettrait de mieux mettre à jour les raisons pour lesquelles une valeur est invoquée, et éventuellement d’en discréditer certaines, sans pour autant chercher une issue pleinement rationnelle au conflit96.
Le changement du sens des valeurs dans la société n’est que rarement le fruit d’un pur hasard. Il puise racine dans l’évolution des conditions de vie, elles-mêmes souvent dépendantes des transitions technologiques97. A cet égard, on ne peut éviter de relever, pour finir, que l’avènement de la société numérique – bien qu’il n’en soit probablement pas l’unique cause – coïncide avec une recomposition des rapports sociaux, une polarisation axiologique croissante entre les groupes, alimentant la fragmentation de l’espace public dans des bulles informationnelles et des chambres d’écho identitaires98. Le moyen, l’internet et les réseaux sociaux, n’est pas qu’une simple technique neutre quant au contenu du débat sur les valeurs. Il agit comme une « méta-technique » sur le fond même de la discussion et les attentes des participants qui cherchent à imposer leurs valeurs en s’extrayant du débat rationnel d’idées. Il n’est pas surprenant, dans tel contexte, que les différentes visions du monde se rendent mutuellement incommunicables et que les conflits de valeurs se radicalisent. Un des enjeux majeurs de la survie de la démocratie libérale européenne et de ses valeurs est de s’efforcer de mieux prendre en charge la question des usages sociaux du numérique et des transformations qu’il provoque dans la manière de faire société. Il est, certes, toujours envisageable de recourir au droit européen et son marché pour s’efforcer de réguler les algorithmes des plateformes en tentant d’affirmer un certain modèle à l’échelle mondiale99. Mais à partir du moment où la fragmentation de l’espace public et les conflits de valeurs proviennent de pratiques sociales mondialisées et spontanées des utilisateurs, que les algorithmes « apprenant » ne font souvent que consolider, l’efficacité de la régulation juridique continuera de dépendre d’une prise de conscience par les citoyens eux-mêmes des travers de la vie numérique. Face à cette transformation structurelle de la société, le rôle du droit est plutôt d’offrir aux Européens un espace de réflexivité sur le changement de leurs propres comportements et des valeurs qui en découlent. Rôle certainement moins prestigieux que celui de décréter le sens véritable des valeurs, mais rôle probablement plus fructueux pour espérer conserver notre capacité à faire société. Tel est le principal défi qui se présente à la démocratie libérale et à son droit dans un moment de mutation technologique et axiologique de tous les dangers.
En guise de conclusion : valeurs et réflexivité
Pour conclure, on ne peut qu’inciter le droit et la Cour de justice de l’Union européenne a la plus grande prudence dans le maniement des valeurs. L’entreprise de concrétisation des valeurs dans des normes de droit et des situations de fait, dans laquelle s’est lancée la Cour de justice de l’Union européenne, risque d’aboutir à en rigidifier le sens, tout en occultant la complexité de l’interaction des valeurs entre elles. Que se passera-t-il le jour où une majorité de gouvernements ou de juges en Europe brandiront l’argument des « valeurs » pour justifier conception parfaitement opposée à celle défendue actuellement ? Si le tournant axiologique du droit de l’Union européenne peut être soutenu, c’est à la condition de le comprendre à l’aune d’une conception pragmatiste des valeurs comme phénomène social. Les valeurs européennes ne sauraient être envisagées en tant que des fins « en soi », ou des absolus « non-négociables », ainsi qu’elles sont souvent présentées, mais plutôt comme des moyens pour la société européenne de se doter d’une capacité de conscience réflexive dans la résolution des problèmes qui la traversent. Dans cette perspective, la référence aux valeurs dans le droit de l’Union européenne n’a rien de tyrannique. Le langage des valeurs n’est autre que la manière humaine avec laquelle les existences individuelles et les rapports collectifs se constituent, notamment dans des situations critiques. Pour espérer rendre la société européenne davantage consciente de ses valeurs et des conflits qui les agitent, le droit européen et ses juges devraient prêter une plus grande attention au contexte social dans lequel naissent et évoluent les raisons qui nous font adhérer aux valeurs. Cela ne signifie pas que les choix de valeurs puissent être pleinement rationnalisés par l’analyse juridique, mais uniquement qu’une certaine réflexivité du corps social sur ce qui guide ses choix axiologiques émerge de la prise en compte des valeurs par le droit. Gageons que c’est à cette condition que le droit de l’Union européenne réussira son tournant axiologique.
1 La formule a été notamment utilisée par Emmanuel Macron dans son « Discours sur l’Europe » du 25 avril 2024 : « Notre démocratie libérale est de plus en plus critiquée, avec des faux arguments, avec une forme d’inversion des valeurs, parce qu’on laisse faire, parce que nous sommes vulnérables ». L’idée d’inversion des valeurs est développée par Nietzsche dans sa critique des valeurs chrétiennes et de la morale, voy. La généalogie de la morale, [1887], L’Harmattan, 2006. Sur la confusion conceptuelle croissante entourant la signification des valeurs en Europe, voy. Justine Lacroix, Les valeurs de l’Europe. Un enjeu démocratique, Éditions du Collège de France, 2024.
2 Koen Lenaerts & José A. Guttiérrez-Fons, “High Hopes : Autonomy and the Identity of the EU”, European Papers, 2023, n°3, vol. 8, pp. 1495-1511, https://www.europeanpapers.eu/en/e-journal/epilogue-high-hopes-eu-autonomy-identity
3 Armin von Bogdandy, “The European Renaissance of Republicanism: On the Future of EU Law in Light of Article 2 TEU”, Max Planck Institute for Comparative Public Law & International Law (MPIL) Research Paper, n° 2024-02, https://ssrn.com/abstract=4695467 ; Luke Dimitrios Spieker, EU Values Before the Court of Justice: Foundations, Potential, Risks, OUP, 2023.
4 Aff. C-769/22. Pour un résumé de l’audience, voy. Lena Kaiser, Andreas Knecht, & Luke Dimitrios Spieker, https://verfassungsblog.de/european-society-strikes-back/
5 Olivier Roy, L’aplatissement du monde. La crise de la culture et l’empire des normes, Le Seuil, 2022.
6 Loïc Azoulai, « Citoyenneté européenne et nouvelles valeurs de droite », Revue des droits de l’homme, 2022, n°22, p. 1
7 L’article 2 du traité sur l’Union européenne (TUE) prévoit que : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». Sur la genèse de l’article 2 TUE, voy. Laurence Burgorgue-Larsen, « Article I-2 », in L. Burgorgue-Larsen, A. Levade, & F. Picod (dir.), Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Commentaire article par article (Tome 1), Bruylant, 2007, pp. 50-59 ; Clemens Ladenburger, « La constitutionnalisation des valeurs de l’Union », Revue de l’Union européenne, n°657, avril 2022, pp. 231-239. Pour une présentation de la consécration des valeurs dans le droit de l’Union et des différents mécanismes de protection, voy. Romain Tinière & Claire Vial, Droit de l’Union européenne des droits fondamentaux, Bruylant, 2023, spéc. pp. 21-49.
8 Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Pour une critique de la fondation axiologique du droit », in Le droit, l’État, et la constitution démocratique, Bruyant/LGDJ, 2000, pp. 77-97..
9 Hans Kelsen, La démocratie. Sa nature – Sa valeur, rééd. Dalloz 2004, p. 111. Michel Troper rappelle que le projet de constitution pétainiste, à l’article 1er de son Préambule, se réclamait des « valeurs suprêmes » de liberté et de dignité, voy. Michel Troper, « A quoi sert le concept de valeur ? », in Jahiel Ruffier-Méray (dir.), Droit, réel et valeurs : les liaisons subtiles, Mare & Martin, 2021, p. 167.
10 Ronald Dworkin, L’empire du droit, PUF, 1994. La thèse de l’existence d’une forme de vérité sur les valeurs est défendue plus avant par l’auteur dans Justice pour les hérissons. La vérité des valeurs, Labor et Fides, Genève, 2015. L’ancien juge polonais Marek Safjan justifie la défense des valeurs par la Cour de justice en invoquant une conception dworkinienne du droit, voy. “Restoring the Rule of Law in Poland: A Particular or a Universal Challenge?”, CEU Working Papers, 2024/25 p. 18
11 Pieter-Augustijn Van Malleghem, “Legalism and the European Union’s rule of law crisis”, European Law Open, 2024, pp. 12 et s.
12 Voy. Anna Tamion, Droits fondamentaux et valeurs. La question d’une fondation axiologique du droit, L’Harmattan, 2021.
13 Ernst-Wolfgang Böckenförde, « La naissance de l’État, processus de sécularisation », in Le droit, l’État, et la constitution démocratique, préc., p. 117 : « L’État libéral, sécularisé vit sur la base de présupposés qu’il n’est pas lui-même capable de garantir ». Pour une discussion, voy. Anna Tamion, Droits fondamentaux et valeurs. La question d’une fondation axiologique du droit, préc., pp. 45 et s., pp. 104 et s.
14 CJUE, Ass. plén., 16 décembre 2022, Hongrie c/ Parlement et Conseil, aff. C-156/21, EU:C:2022:97, pt 232 (et du même jour, Pologne c/ Parlement et Conseil, aff. C-157/21, EU:C:2022:98, pt 264). La formule est reprise dans CJUE, 5 juin 2023, Commission c/ Pologne (Indépendance et vie privée des juges), aff. C-204/21, EU:C:2023:442, pt 67. Voy. égalment, CJUE, 19 novembre 2024, Commission c/ Pologne (Éligibilité et qualité de membre d’un parti politique), aff. C-814/21, spéc. pt 157.
15 Ibid., pt 127.
16 Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union, JOUE, L 433/1.
17 CJUE, 5 juin 2023, Commission c/ Pologne, aff. C-204/21, EU:C:2023:442, pt 73. Sur la consécration d’une obligation de « non-régression » en matière de respect des valeurs, voy. CJUE, 20 avril 2021, Repubblika, aff. C-896/19, EU:C:2021:311, pt 64.
18 Anastasia Iliopoulou-Penot, « Égalité des États membres et respect des valeurs communes », in E. Dubout (dir.), L’égalité des États membres de l’Union européenne, Bruylant, 2022, spéc. p. 74
19 Signe Larsen, “Varieties of Constitutionalism in the European Union”, Modern Law Review, 2021, vol. 84, n°3, pp. 477-502.
20 Jan-Werner Müller, “Should the EU Protect Democracy and the Rule of Law inside Member States?”, European Law Journal, 2015, vol. 21, n°2, pp. 141-160.
21 Kim Lane Scheppele, Dimitry Kochenov, & Barbara Grabowska-Moroz, “EU Values Are Law, After All: Enforcing EU Values Through Systemic Infringement Actions by the European Commission and the Member States of the European Union”, Yearbook of European Law, vol. 38, 2020, pp. 3-121.
22 Voy. par exemple, s’agissant des objectifs de l’ex-article 2 TCEE (devenu 3 TUE), CJCE, 24 janvier 1991, Alsthom Atlantique SA, aff. C-339/89, EU:C:1991:28, pt 9.
23 Armin von Bogdandy, “The European Renaissance of Republicanism: On the Future of EU Law in Light of Article 2 TEU”, préc., p. 5.
24 Soit un constitutionnalisme « épais », voy. Luke Dimitrios Spieker, EU Values Before the Court of Justice: Foundations, Potential, Risks, préc., pp. 81 et s.
25 Ibid., p. 101.
26 Voy. Christophe Grzegorczyk, Théorie générale des valeurs et le droit : Essai sur les prémisses axiologiques de la pensée juridique, LGDJ, 1982.
27 En ce sens, Michel Troper, « A quoi sert le concept de valeur ? », préc., p. 168.
28 Jiri Pribán, Constitutional Imaginaries. A Theory of European Societal Constitutionalism, Routledge, 2022, pp. 40 et s.
29 E.W. Böckenförde admet de que le terme « valeur » ne se limite pas à un simple « succédané du vieux concept de nature », tout en s’interrogeant sur ce que les valeurs sont proprement « au-delà de leur simple désignation comme valeurs » (« Pour une critique de la fondation axiologique du droit », préc. pp. 79-80). De son côté, A. Tamion reprend à son compte la distinction faite par Nathalie Heinich (dans son ouvrage Des Valeurs. Une approche sociologique, Gallimard, 2017) entre trois significations du mot « valeur », selon qu’il désigne une « valeur-grandeur », une « valeur-objet », ou une « valeur-principe », pour se concentrer sur ce troisième sens qu’elle rapproche d’une forme de moralité dès lors que « la transposition de l’axiologie au droit semble principalement se manifester comme la tentative de justifier le droit positif et de le juger à l’aune d’un corps normatif surplombant » (Droits fondamentaux et valeurs. La question d’une fondation axiologique du droit, préc., p. 23). Pour sa part, L. D. Spieker entend éviter de tomber dans le « trou noir » de la théorie des valeurs en s’en tenant à une approche descriptive minimale selon laquelle “values provide points of reference for evaluation. They help distinguishing whether something is ‘good’, desirable, and worth striving for” (EU Values Before the Court of Justice: Foundations, Potential, Risks, préc. p. 34). Pour un effort de penser un concept « juridique » de valeur, voy. Jean-Baptiste Jacob, La valeur en droit. Étude de jurisprudence constitutionnelle sur les nouvelles représentations de la norme, L’Harmattan, 2021.
30 CJUE, 11 juin 2024, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Femmes s’identifiant à la valeur de l’égalité entre les sexes), aff. C-646/21, EU:C:2024:487, pt 34. Comp. avec CE, 11 mars 2024, Mme A., n° 457515.
31 Ibid., pt 44. Peu importe à cet égard que l’adhésion aux valeurs revête un caractère politique ou religieux, voy. pt 52.
32 Outre ces deux conceptions principales qu’il renvoie dos-à-dos, Ernst-Wolfgang Böckenförde envisage aussi une troisième conception des valeurs qu’il désigne, un peu mystérieusement, comme celle « dirigée vers le monde de la vie » (« Pour une critique de la fondation axiologique du droit », préc., p. 83). Selon l’auteur cette conception n’est ni purement subjective ni purement objective, mais il finit par la ramener à une simple approche « historico-culturelle » des valeurs (ibid., pp. 88 et 93), sans creuser plus en profondeur les perspectives ouvertes par cette troisième voie.
33 Hans Joas, Comment naissent les valeurs, Calmann Lévy, 2023, p. 21. Pour une application socio-historique à l’Europe, voy. Hans Joas, « The cultural values of Europe : An introduction », in Hans Joas et Klaus Wiegandt (eds), The Cultural Values of Europe, Liverpool University Press, 2008, pp. 1-21.
34 John Dewey, « Théorie de la valuation », in La formation des valeurs, La Découverte, 2011.
35 Ibid., p. 79.
36 Ibid., p. 116 : « le contexte social et les contraintes sociales font partie des conditions ayant un impact sur la réalisation des désirs ».
37 Philippe Crignon, « Défendre une Europe des principes ou une Europe des valeurs ? », in Le moment européen, Hermann, 2024, pp. 115-143. Sur la dimension culturelle et locale de la référence aux « valeurs » par rapport aux « principes » en droit constitutionnel comparé, Gary Jeffrey Jacobsohn, « Constitutional Values and Principles », in Michel Rosenfeld & András Sajó (eds), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, OUP, 2012, pp. 785 et s.
38 Voy. par exemple William Outhwaith, European Society, Wiley, 2013 ; Bruno Karsenti & Bruno Latour, Nous autres européens, Puf, 2024.
39 CJUE, 2 mai 2018, K. et H.F., aff. jtes C‑331/16 et C‑366/16, EU:C:2018:296, pt 44.
40 TUE, 27 juillet 2022, RT France c/ Conseil, aff. T-125/22, pt 193.
41 En ce sens, Ronan Ó Fathaigh & Dirk Voorhoof, “Freedom of Expression and the EU’s Ban on Russia Today: A Dangerous Rubicon Crossed”, Communications Law, 2022, vol. 27, n° 4, pp. 186-193.
42 Rappelons que les « mesures restrictives » prises sur le fondement de l’article 215 TFUE, en lien avec la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne, sont censées ne pas affecter la « substance même » d’un droit ou d’une liberté et n’être prises qu’à titre « conservatoire » (CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et a., C-402/05 P et C-415/05 P, EU:C:2008:461, pts 357-358). En l’occurrence, l’interdiction de diffuser d’un media en raison de ses liens avec le régime russe semblent porter atteinte au contenu essentiel de la liberté d’expression et ne peut se cantonner à une mesure conservatoire.
43 Loïc Azoulai, “The Law of European Society”, Common Market Law Review, 2022, vol. 59, SI, pp. 203-214.
44 CJUE, 15 juillet 2021, WABE et Müller, aff. jtes C‑804/18 et C‑341/19, EU:C:2021:594, pt 75.
45 CJUE, 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., aff. C-336/19, EU:C:2020:1031, pt 77.
46 Floris De Witte, “Interdependance and Contestation in European Integration”, European Papers, 2018, vol. 3, n°2, pp. 475-509.
47 Sur le rôle de l’individualisme, qualifié de « néo-libéral », dans la perte de sens axiologique, voy. O. Roy, L’aplatissement du monde. La crise de la culture et l’empire des normes, préc., p. 204.
48 John Dewey, « Théorie de la valuation », préc., p. 118
49 Voy. notamment Paul Kahn, The Cultural Study of Law, University of Chicago Press, 1999.
50 En attendant, l’arrêt de la Cour dans l’aff. C-769/22, préc.
51 CJUE, Ass. plén., 16 décembre 2022, Hongrie c/ Parlement et Conseil, aff. C-156/21, EU:C:2022:97, pt 232.
52 CJUE, 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C‑64/16, EU:C:2018:117, pt 32. Voy. Laurent Pech & Sébastien Platon, “Judicial Independence under Threat: The Court of Justice to the Rescue in the ASJP Case”, Common Market Law Review, vol. 55, 2018, pp. 1827-1854.
53 S’agissant de la valeur de la « démocratie », CJUE, 19 décembre 2019, Junqueras Vies, aff. C‑502/19, EU:C:2019:1115, pt 63 ; CJUE, 19 novembre 2024, Commission c/ Pologne (Éligibilité et qualité de membre d’un parti politique), aff. C-814/21, spéc. pt 158.
54 CJUE, Ass. plén., 16 décembre 2022, Hongrie c/ Parlement et Conseil, aff. C-156/21, EU:C:2022:97, pts 193 à 196.
55 Sur cette problématique, Arthur Dyèvres, « Comprendre et analyser l’activité décisionnelle des cours et des tribunaux : l’intérêt de la distinction entre interprétation et concrétisation », Jus politicum, n°4, 2010, pp. 1-43.
56 Par la suite, il a été rendu explicite que le sens de l’article 19 TUE était aligné sur celui de l’article 47 de la Charte (bien qu’inapplicable), à travers ce qui a pu être désignée comme une « passerelle constitutionnelle » entre ces dispositions, voy. les conclusions de l’avocat général Tanchev du 27 juin 2019, A.K. e.a (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), aff. jtes C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:551, pt 85.
57 Voy. notamment Friedrich Müller, Discours de la méthode juridique, Puf, 1996. La théorie « structurante » du droit se veut « post-postiviste » en partant de l’impasse à laquelle mène le positivisme kelsénien, à savoir prétendre purifier la science du droit sans pouvoir en faire autant avec sa pratique réelle puisque tous les éléments étrangers au droit (la morale, la justice, les préjugés sociaux, etc.) sont réinjectés au moment de la concrétisation des normes dans les situations concrètes à résoudre.
58 Ibid., p. 220.
59 Voy. les références citées par Hans Joas, Comment naissent les valeurs, préc., pp. 47 et s.
60 Jürgen Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Gallimard, 1997, pp. 276 et s.
61 Ibid., p. 280 : « les normes et les valeurs assument dans les contextes de justification des rôles distincts dus à la différence du statut qui est le leur du point de vue de la logique de l’argumentation ».
62 Pour les tenants du positivisme juridique (et d’une science autonome pour l’étudier), le droit positif serait nécessairement constitué comme un système « dynamique » (par opposition à « statique ») faisant intervenir la volonté de celui qui pose la norme, sans qu’elle s’impose à lui par son contenu, voy. Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, 1997, spéc. pp. 166-167. Toutefois, l’auteur nuance quelque peu son propos dans La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, Bruylant/LGDJ, 1997, spéc. pp. 446-447.
63 John Oberdiek, “Specifying Rights Out of Necessity” Oxford Journal of Legal Studies, vol. 28, 2008, n°1, pp. 127-146. Voy. également, Russ Shafer-Landau, “Specifying Absolute Rights”, Arizona Law Review, vol. 37, 1995, n°1, pp. 209-224. Pour une transposition de l’approche spécificionniste dans le champ juridique, Grégoire Weber, The Negociable Constitution : On the Limitation of Rights, CUP, 2009.
64 Ibid., p. 128. Plus loin (p. 134), l’auteur discute notamment l’exemple de la « cabine », donné par Joel Feinberg (Joel Feinberg, Rights, Justice and the Bounds of Liberty. Essay in Social Philosophy, Princeton University Press, 1980, pp. 221-251), dans lequel un promeneur menacé par une tempête de neige mortelle pénètre par effraction dans la cabine d’un propriétaire pour sauver sa vie. Tandis que l’approche « généraliste » considère qu’il existe un droit de propriété mais qu’il était justifié de ne pas le respecter en l’espèce, la conception « spécificionniste » estime, qu’en de telles circonstances, il n’existe pas de droit de propriété faute de justifications morales suffisantes pour en imposer le respect.
65 Judith J. Thomson, The Realm of Rights, Harvard University Press, 1990, pp. 82-104.
66 CJUE, 12 novembre 2019, aff. C-233/18, EU:C:2019:956, pt 46.
67 CJUE, 8 mai 2024, Asociaţia “Forumul Judecătorilor din România” (Association des magistrats), aff. C-53/23, EU:C:2024:388, pt 58.
68 John Rawls, Théorie de la justice, Le Seuil, 1997, pp. 231 et s.
69 Ibid., p. 233
70 Gary Jeffrey Jacobsohn, « Constitutional Values and Principles », préc., pp. 781 et s. Voy. Joseph Raz, The Morality of Freedom, OUP, 1986, pp. 181 et s.
71 Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, 1997, p. 59.
72 John Dewey, « Théorie de la valuation », préc., p. 129
73 Le pluralisme des valeurs (qu’il distingue d’un total relativisme) a notamment été défendu par Isaiah Berlin, The Power of Ideas, Chatto & Windus, 2000.
74 Francisco Urbina, “Incommensurability and Balancing”, Oxford Journal of Legal Studies 2015, vol. 35, n° 3, pp. 575-605.
75 Comp. CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net et a., aff. jtes C-511/18, 512/18 et 520/18, EU:C:2020:791 ; et CE, Ass., 17 avril 2021, French Data Network et a., req. n° 393099.
76 Dans la pratique de la Cour de justice de l’Union européenne, voy. Takis Tridimas, “Wreaking the wrongs: Balancing Rights and the Public Interest the EU way”, Columbia Journal of European Law, 2023, vol. 29, n°2, p. 196.
77 Luke Dimitrios Spieker, EU Values Before the Court of Justice: Foundations, Potential, Risks, préc., pp. 121-122. Par exemple, une liberté fondamentale de circulation du droit primaire pourrait être considérée comme substantiellement inférieure (rang 3) à un droit fondamental de la Charte (rang 2), qui lui-même pourrait céder en cas d’atteinte au « contenu essentiel » d’un autre droit fondamental qui serait directement rattaché à sa valeur fondatrice (rang 1). De cette façon, les véritables conflits de valeurs (rang 1) mettant en cause le « contenu essentiel » de deux droits fondamentaux devraient rester, selon l’auteur, exceptionnels.
78 En ce sens, Romain Tinière, « Le contenu essentiel des droits dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne », Cahiers de droit européen, 2020, n°2-3, pp. 417-439.
79 Thomas Scanlon, “Adjusting Rights and Balancing Values”, Fordham Law Review, vol. 72, 2004, n°5, pp. 1477-1486.
80 John Dewey, « Théorie de la valuation », préc., p. 115 : « Toute personne, pour autant qu’elle est capable de tirer des leçons de ses expériences distingue ce qui est désiré de ce qui est désirable ».
81 Allant toutefois jusqu’à plaider pour une « rationnalité axiologique » et une objectivité des jugements de valeurs, voy. Raymond Boudon, Le Sens des valeurs, Puf, 1999, pp. 137-203.
82 CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net et a., préc., pt 142.
83 CE, Ass., 17 avril 2021, French Data Network et a., préc.
84 La Cour de justice mentionne à cet égard, mais sans reprendre réellement l’argument par la suite, l’impact de la surveillance sur la liberté d’expression en tant qu’« un des fondements essentiels d’une société démocratique et pluraliste et faisant partie des valeurs sur lesquelles est, conformément à l’article 2 TUE, fondée l’Union », voy. CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net et a., préc., pt 114.
85 Voy. Mary Flanagan, Daniel C. Howe, & Helen Nissenbaum, “Embodying Values in Technology: Theory and Practice”, in Jeroen van den Hoven and John Weckert (eds), Information Technology and Moral Philosophy, Cambridge University Press, 2008, pp. 322-353.
86 Gary T. Marx, « La société de sécurité maximale », Déviance & Société, vol. 12, 1988, n°2, pp. 147-166
87 Loïc Azoulai, “Reconnecting EU Law to European Societies”, EUI Working Papers, 2024/5, https://cadmus.eui.eu/handle/1814/76799
88 S’agissant de la loi hongroise réduisant la visibilité de l’homosexualité dans l’espace public, qualifiée de « honte » et d’attentatoire aux valeurs européennes par la Présidente de la Commission européenne, voy. le recours en manquement déposé le 9 décembre 2022, dans l’affaire C-769/22, sur le fondement notamment de l’article 2 TUE, actuellement pendant.
89 CJUE, 12 janvier 2023, JK (Monteur audiovisuel pour la télévision publique), aff. C-356/21, EU:C:2023:9
90 CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, aff. C-157/15, EU:C:2017:203.
91 Edouard Dubout, « L’Europe est-elle queer ? Valeurs de l’Union et homosexualité », European Papers, vol. 8, 2023, n°3, pp. 1189-1199.
92 Joseph Raz, Engaging Reason : On the Theory of Value and Action, OUP, 2002.
93 CJUE, 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., préc.
94 On remarquera qu’il n’est non plus guère fait mention de cet aspect dans l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu sur le même sujet, voy. Cour EDH, 13 février 2024, Executief van de Moslims van België et autres c/ Belgique, req. n° 16760/22 et 10 autres.
95 Voy. Loïc Azoulai & Edouard Dubout, « Droit de la citoyenneté de l’Union européenne et « grand remplacement ». Une analyse symptômale du droit européen », in A. Bouveresse, A. Iliopoulou-Penot, J. Rondu (dir.), La citoyenneté européenne : quelle valeur ajoutée / European Citizenship : what added value ?, Bruylant, 2023, pp. 61-87.
96 Rappelons que dans cette affaire, la Cour de justice a notamment fait appel à l’état des « recherches scientifiques » pour estimer que la mesure litigieuse ne portait pas une atteinte disproportionnée à l’intégrité d’un rite religieux, CJUE, 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., préc., spéc. pt 75.
97 Pour une discussion des positions de Dewey sur la formation des valeurs et la « sacralisation » de la démocratie, Hans Joas, Comment naissent les valeurs, préc., pp. 236 et s.
98 Jürgen Habermas, « Réflexions et hypothèses sur un nouveau changement structurel de l’espace public politique » in Espace public et démocratie délibérative : un tournant, Gallimard, 2023.
99 Tel est notamment l’objectif du Digital Services Act, règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 oct. 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règl. sur les services numériques), JOUE, n° L 277, 27 oct. 2022, pp. 1-102. Pour une présentation générale, Edouard Dubout, « Modérer la modération : le Digital Services Act et la civilisation du numérique », Revue trimestrielle de droit européen, 2023, n°1, pp. 7-36.