Les incertitudes de la pénalisation du refus de célébration d’un mariage entre personnes du même sexe
Les incertitudes de la pénalisation du refus de célébration d’un mariage entre personnes du même sexe
Mikaël Benillouche
Mikaël Benillouche est Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique d’Amiens
La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ne prévoit pas d’infractions pénales spécifiques concernant les maires qui refusent de célébrer un tel mariage. Deux circulaires et une dépêche ministérielle incitent le Parquet à poursuivre sur le fondement d’infractions peu adaptées aux agissements commis et ce, au mépris du principe de légalité criminelle protégé par l’article 7 CESDH.
La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a d’ores et déjà été largement commentée par la doctrine (V. notamment dossier n°2 sur le « mariage pour tous » droit constitutionnel, personnes, famille, Revue des droits et libertés fondamentaux, et les références citées). Pourtant, son volet pénal a été peu exploré (V. cependant J. Renard, « Mariage pour tous » : des circulaires aux fondements juridiques très approximatifs, Droit pénal n° 9, Septembre 2013, étude 14). En effet, celui-ci ne résulte pas directement de la loi mais de sources infra-législatives, à savoir deux circulaires émanant du ministre de la Justice et du ministre de l’Intérieur à destination respectivement des procureurs (circulaire NOR JUSC1312445C du 29 mai 2013 de présentation de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (dispositions du Code civil)) d’une part, et des préfets (circulaire INTK1300195C du 13 juin 2013 sur les conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d’un officier d’état civil) d’autre part ; ainsi que d’une dépêche du ministre de la Justice 2013-C1 du 6 août 2013 adressée aux procureurs généraux.
Ces textes prévoient notamment les conséquences pénales attachées à un refus de célébration d’un mariage par les officiers d’état civil. Ces sanctions pénales ne sont pas exclusives d’autres sanctions, à l’instar de sanctions administratives fondées sur l’article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales. Selon le texte, en cas de manquement à leurs devoirs et obligations le maire et ses adjoints peuvent être suspendus ou révoqués. La suspension a lieu par arrêté ministériel pour une durée d’un mois et la révocation par décret en conseil des ministres. En outre, la révocation entraîne une inéligibilité pour une durée d’un an.
S’agissant des sanctions pénales, il est surprenant de constater que le législateur n’ait pas estimé nécessaire de créer dans la loi même une nouvelle infraction de refus de célébration de mariage et que cet aspect de la réforme ne soit envisagé que par des sources infra-législatives.
En effet, la loi était l’occasion de criminaliser certains agissements prévisibles de refus de célébration de mariage entre personnes du même sexe, certains officiers d’état civil n’ayant pas hésité à indiquer, durant les travaux préparatoires qu’ils refuseraient de célébrer ces mariages. Criminaliser aurait eu certaines vertus. Ainsi, « incriminer, c’est définir un crime, au sens d’infraction pénale. Donc à la fois nommer et diviser. Nommer une situation, un comportement, parfois innomé jusqu’alors. Diviser l’espace social en licite-illicite et, plus précisément, restreindre l’espace de liberté par un nouvel interdit » (M. Delmas-Marty, Les grands systèmes de politique criminelle, collection Thémis, PUF, 1992, p. 306).
En outre, la création d’une infraction entraîne nécessairement l’effectivité du droit nouvellement reconnu. A ce titre, il est possible d’évoquer que suite à la consécration du droit à l’interruption volontaire de grossesse par la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, des agissements d’entrave se sont multipliés avant d’être sanctionnés spécifiquement par la loi (article L. 2223-2 du code de la santé publique).
Certes on pourra objecter que, dans une matière où l’inflation législative est fréquemment décriée, le recours à des infractions traditionnelles semblait préférable. Plus encore, compte tenu du contexte social particulièrement tendu de l’adoption du texte, il y a fort à parier que le législateur a souhaité éviter de légiférer sur ce point pour ne pas cristalliser les oppositions.
Toutefois, l’examen des textes évoquant l’éventualité de sanctions pénales laisse transparaître d’évidentes difficultés d’application, de sorte qu’il est possible de s’interroger : des dispositions pénales nouvelles n’étaient-elles pas indispensables ?
En effet, la volonté d’inciter de recourir à des infractions traditionnelles en cas de refus de célébration (I.) ne semble reposer que sur une interprétation large des dispositions existantes (II.).
I. La volonté d’inciter de recourir à des infractions de droit commun pour pénaliser le refus de célébration
Les textes infralégislatifs envisagent certaines infractions (A.), tout en occultant la cause d’irresponsabilité pénale d’état de nécessité (B.).
A. Les infractions expressément envisagées
Les deux incriminations envisagées sont celles prévues par les articles 432-1 et 225-1 du code pénal.
L’article 432-1 du code pénal réprime « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi ». Or, le maire est effectivement une personne dépositaire de l’autorité publique. De plus, son refus est effectivement susceptible de faire échec à l’exécution de la loi. Les différents textes invoquent un arrêt pour justifier le recours à cette infraction, à savoir la décision rendue par la cour d’appel de Papeete le 1er septembre 2011 qui a condamné un maire ayant refusé de célébrer un mariage en raison du transsexualisme de la future épouse (CA Papeete, 1er septembre 2011, JurisData n° 2011-021235, JCP G n° 42, 17 octobre 2011, 1132, note P. Gourdon). Pour retenir le maire dans les liens de la prévention l’arrêt indique que « le maire, en refusant de procéder à la célébration du mariage, a commis, en connaissance de cause, un acte positif entrant dans les prévisions de l’article 432-1 du Code pénal, dans la mesure où ce refus faisait échec à l’application de la loi sur le mariage ». La peine encourue est de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende si l’action du maire n’est pas suivie d’effet (article 432-1 du code pénal) et de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende si elle l’est (article 432-2 du code pénal).
L’autre qualification envisagée résulte de l’article 225-1 du code pénal qui dispose que constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur orientation sexuelle. De plus, selon l’article 432-7 du code pénal, la discrimination commise à l’égard d’une personne physique par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende lorsqu’elle consiste notamment à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi. La cour d’appel de Papeete a également retenu cette qualification pénale pour condamner le maire.
Les deux infractions sont donc susceptibles d’être retenues et semblent avoir été commises en concours idéal. Ainsi, un fait unique – le refus de célébration du mariage – est susceptible de constituer deux infractions à la fois. Dans cette hypothèse, il est nécessaire de retenir la qualification la plus adaptée aux faits. Or, il semble que la qualification de discrimination soit plus spécifique alors que l’échec à l’exécution de la loi est une incrimination plus générale. Or, selon l’adage « specialia generalibus derogant », les lois spéciales dérogent aux lois générales. C’est certainement la raison pour laquelle les textes incitent les Parquets informés d’un refus de célébration d’agir sur ce fondement.
B) L’état de nécessité implicitement écarté
Les deux circulaires et la dépêche n’envisagent ni l’ordre ou l’autorisation de la loi (article 122-4 du code pénal), ni même l’état de nécessité défini par l’article 122-7 du code pénal comme la cause d’irresponsabilité pénale applicable lorsque « la personne […], face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. » Cette dernière cause d’irresponsabilité pénale constitue une exception au principe d’indifférence des mobiles établi par la jurisprudence (Crim., 20 août 1932, Bull., n° 207).
Dans les travaux préparatoires à la loi, la cause essentielle avancée pour justifier le refus de célébrer un mariage entre deux personnes du même sexe résidait dans la liberté de conscience invoquée par l’officier d’état civil. Or, cette liberté constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 23 novembre 1977, n° 77-87 DC, considérant n° 5). En application de ce principe, il est possible de trouver en droit positif des hypothèses dans lesquelles le législateur a mis en œuvre ce principe, à l’instar de la possibilité pour les médecins, sages-femmes, infirmiers et aux autres auxiliaires médicaux, de ne pas concourir à une interruption volontaire de grossesse (article L. 2212-8 du code de la santé publique). Or, comme aucune disposition de ce type n’existe pour les officiers d’état civil qui ne souhaiteraient pas célébrer un mariage entre deux personnes du même sexe, il semble exclu de pouvoir retenir comme cause d’irresponsabilité pénale l’ordre ou l’autorisation de la loi (article 122-4 du code pénal).
Pour autant, l’état de nécessité est-il susceptible de s’appliquer ? Les textes n’évoquent pas explicitement cette question. Toutefois, la décision de la cour d’appel de Papeete ayant retenu la responsabilité pénale du maire ayant refusé la célébration d’un mariage s’est penchée sur les arguments évoqués par le prévenu pour les rejeter. Ainsi l’arrêt relève qu’ « il importe peu, en l’espèce, que le refus opposé par le maire soit motivé par des convictions religieuses ». Plus précisément, l’arrêt relève que le prévenu ne peut « pour échapper à ses responsabilités, opposer des convictions religieuses qui le conduisent à ne pas appliquer la loi que ses fonctions de maire lui imposent de respecter ». De même, « il ne peut davantage se parer des avis des autorités religieuses qui, pour respectables qu’ils soient, sont étrangers à l’application du droit positif, qui fixe les règles sociales applicables à l’ensemble de la nation ». En effet, comme le relève un commentateur de l’arrêt, « de manière apparemment paradoxale, le refus illégal du maire et de ses adjoints mettrait en cause l’État et non ces derniers personnellement » (F. Dieu, Les maires et l’objection de conscience : fragilisation de l’état civil, fragilisation de l’État, JCP A, n° 19, 6 mai 2013, act. 406, n° 4). Cette solution est conforme au droit positif selon lequel commettre une infraction peut se justifier s’il s’agit de préserver un intérêt équivalent ou supérieur. Or, en l’occurrence, la conscience du maire ne saurait être prise en compte. Plus encore, les juridictions civiles estiment également que le refus de l’officier d’état civil de célébrer un mariage est illicite si les mobiles sont personnels. Il s’agit même là d’une voie de fait susceptible d’être constatée par le juge civil des référés, lequel lui ordonnera de célébrer le mariage (Civ. 1ère, 9 janvier 2007, Bull. civ. I, n° 7).
Les textes pénaux envisagent donc deux qualifications expressément, pour lesquels l’officier d’état civil ne pourra invoquer sa conscience pour échapper à sa responsabilité pénale. Pourtant, il semble qu’un autre moyen de défense puisse permettre de ne pas condamner le maire, tant l’application des infractions considérées semble contraire au principe de légalité.
II. Une efficacité des recommandations ministérielles conditionnée à une interprétation large
Les circulaires ministérielles et la dépêche proposent une interprétation particulièrement large des textes, allant au-delà des prévisions de ceux-ci (A.), ce qui contrevient au principe de légalité (B.).
A. Une interprétation ultra legem contrevenant à la loi
Les différents textes étudiés reposent sur une interprétation par analogie d’un arrêt d’appel ayant retenu les qualifications pénales en cas de refus d’un maire de célébrer un mariage entre deux personnes de même sexe d’origine. La doctrine avait critiqué l’application des textes dans cette hypothèse (J. Regard, « Mariage pour tous » : des circulaires aux fondements juridiques très approximatifs, Droit pénal n° 9, septembre 2013, étude 14, n° 3). En effet, le refus de célébrer le mariage est une omission. Or, l’article 432-1 du code pénal prévoit une infraction de commission dans la mesure où il est indiqué qu’est incriminé le fait de « prendre des mesures ». Selon les dispositions de l’article 111-4 du code pénal, la loi pénale est d’interprétation stricte et dans une autre espèce la Cour de cassation a rappelé que « l’inertie ne peut être assimilée aux mesures positives d’abus d’autorité sanctionnées par la loi » (Crim., 19 février 2003, n° 02-84.058, JurisData n° 2003-018394).
Plus encore, il semble étonnant de raisonner par analogie à partir d’un arrêt de cour d’appel critiquable. En effet, si la cour entre en voie de condamnation c’est parce qu’elle estime qu’en refusant de marier deux personnes de même sexe d’origine, le maire aurait commis une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Or, le transsexualisme ne constitue en aucun cas une hypothèse d’orientation sexuelle, mais relève davantage de l’identité sexuelle de la personne concernée. En effet, le législateur a d’ailleurs inscrit dernièrement cette notion dans le code pénal, la distinguant de celle d’orientation sexuelle (article 4 de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel).
A l’inverse, refuser le mariage à un couple de même sexe semble davantage être fondé sur l’orientation sexuelle des futurs mariés. Toutefois, s’il n’est pas à exclure que certains officiers d’état civil puissent être animés par des mobiles homophobes, il n’en demeure pas moins que la plupart des oppositions à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe repose sur des considérations sociales ou religieuses parfois exclusives de toute forme d’homophobie.
Le texte ne semble donc pas adapté à la situation et ce ne serait que grâce à une interprétation déformante, par analogie, qu’il serait susceptible de s’appliquer au refus de célébrer un mariage entre personnes de même sexe.
B. Une méconnaissance du principe de légalité
Le principe de légalité des délits et des peines est prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le principe est également rappelé par l’article 112-1 du code pénal. Il a donc une valeur supra-législative et s’impose au juge. Dès lors, une circulaire ou une dépêche ayant une valeur infra-législative, ne saurait créer une infraction ou rendre applicable une infraction à une situation factuelle.
Appliquer les infractions envisagées par les deux circulaires et la dépêche revient à considérer que le juge peut s’émanciper du principe de légalité. En effet, d’une part il s’agit d’infractions de commission, or les agissements susceptibles d’être reprochés reposeraient sur une omission et d’autre part, il ne semble pas qu’il soit aisé de considérer qu’il s’agisse d’une véritable discrimination. Le législateur aurait dû créer une véritable infraction afin d’éviter que certains officiers d’état civil ne fassent obstacle à l’application de la loi. Un délit d’entrave devrait être créé incriminant à la fois des agissements de commission à l’égard de tous et d’omission à l’encontre des officiers d’état civil et ce afin de pouvoir punir tous les agissements positifs ou négatifs susceptibles d’empêcher la célébration d’un mariage.
Certes, il est possible d’objecter que le contentieux sera nécessairement très limité dans la mesure où la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a également modifié l’article 74 du code civil qui prévoit désormais que le mariage puisse être célébré, au choix des époux, dans la commune où l’un d’eux, ou l’un de leurs parents, a son domicile ou sa résidence établie par un mois au moins d’habitation continue. Il est donc possible de passer outre le refus d’un maire de célébrer une union en se mariant ailleurs. Pourtant même si le refus n’occasionne pas véritablement de préjudice, des officiers d’état civil semblent susceptibles de faire échec à la loi. C’est certainement pourquoi, la garde des Sceaux demande aux Parquets d’agir. A ce titre, il convient de rappeler que si un texte sur l’indépendance du Parquet a dernièrement été adopté (loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique), les magistrats du Ministère public restent rattachés organiquement au Ministère de la justice, faute de réforme de leur statut. Les procureurs devront donc respecter les injonctions de la garde des Sceaux et agir systématiquement. Or, l’infraction ne semblant pas applicable à l’omission, cela occasionnera certainement des relaxes que ne manqueront pas d’exploiter les opposants à la loi.
Si Comme Montesquieu l’indiquait « il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » (De l’esprit des lois, 1748), il n’en demeure pas moins que compléter la loi semble indispensable pour garantir son application effective sur l’intégralité du territoire national…