Mineurs isolés situés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France
A l’heure où l’accès des mineurs isolés étrangers à la protection de l’enfance est de plus en plus controversé, leur situation au regard du droit d’asile mérite d’être appréhendée. Or, si le droit de solliciter l’asile est reconnu aux majeurs comme aux mineurs, ces derniers se trouvent fortement entravés dans l’exercice de leur droit : complexité et longueur de la procédure, incertitudes des acteurs …Et ces difficultés sont difficilement surmontées par le recours au juge administratif. Cette situation interpelle dans un contexte de réformes qui entendent durcir la politique migratoire en France et, plus largement, en Europe.
Delphine Burriez, Maitre de conférences à l’Université Panthéon Assas Paris 2
La problématique des mineurs isolés étrangers mêle des enjeux politiques, sociaux, financiers et juridiques. Ces mineurs, appelés également mineurs non accompagnés, peuvent être définis comme des ressortissants étrangers de moins de 18 ans qui se trouvent sur le territoire français sans représentant légal[1]. Conséquence de la crise migratoire qui secoue l’Europe depuis plusieurs années, le nombre de mineurs isolés étrangers (ci-après MIE) présents sur le territoire français ne cesse d’augmenter. Il reste difficile à appréhender dès lors que nombre d’entre eux, exclus des dispositifs de prise en charge, ne sont pas comptabilisés par les études menées. Un rapport d’information du Sénat évoquait ainsi le nombre de 18 000 MIE en France en juin 2017[2]. Mais ce chiffre ne renvoie qu’aux mineurs ayant fait l’objet d’une prise en charge par les départements. Les MIE relèvent en effet du droit commun de la protection de l’enfance. Considérés comme des enfants en situation de danger, ils entrent dans le champ de compétence des départements au titre de la protection de l’enfance[3]. Leur minorité et leur situation d’isolement, dès lors qu’elles sont établies[4], leur ouvrent accès à l’aide sociale à l’enfance (ci-après ASE). Mais nombreux sont les mineurs qui sont en cours de procédure ou qui ont essuyé un refus de prise en charge et ont saisi le juge des enfants. Et les critiques affluent à l’égard de ce système qui repose sur une contestation systématique de la minorité des jeunes et qui appréhende le MIE avant tout comme un étranger et non comme un mineur vulnérable.
Récemment, une autre dimension de la situation des MIE en France a été mise en avant : l’accès au droit d’asile. En tant qu’étranger, le mineur isolé est, comme l’être majeur[5], éligible à la protection conventionnelle ou subsidiaire. Si l’hypothèse qu’un mineur introduise une demande d’asile en son nom propre est restée longtemps un cas d’école, la pratique a été confrontée à la multiplication des demandes introduites par des mineurs non accompagnés ou par des parents au nom de leur enfant mineur sans qu’eux-mêmes n’introduisent une demande. Par un arrêt en date du 21 décembre 2012, le Conseil d’Etat admet la possibilité de reconnaître le statut de réfugié à une fillette lorsqu’il est établi qu’elle encourt un risque de mutilations sexuelles dans le pays dont elle a la nationalité, et ce indépendamment des risques de persécutions que sont susceptibles d’invoquer ses parents[6]. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile est venue préciser les modalités de ces demandes d’asile introduites par ou au nom de mineurs. Pourtant les études révèlent un déficit important du nombre de demandeurs d’asile mineurs en France. Comme le soulignait le Défenseur des droits en 2017, Eurostat estimait en 2015 à 88 300 le nombre de jeunes considérés comme mineurs non accompagnés qui ont déposé une demande d’asile en Europe. En 2016, il y aurait eu plus de 95 000 enfants parmi les demandeurs d’asile et en 2017, plus de 63 000, en majorité des Afghans, Syriens, Erythréens et Irakiens[7]. Face à ces chiffres, le nombre de demandes d’asile déposées en France par les MIE a de quoi surprendre. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (ci-après HCR) faisait état de 492 demandes en 2012[8] ; l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après OFPRA), dans son rapport d’activité de l’année 2017, souligne une augmentation de ces demandes de 24,7% qui atteignent toutefois péniblement le nombre de 591 pour l’année écoulée[9]. Le décalage entre ces chiffres est saisissant[10]. Plusieurs éléments peuvent expliquer ce nombre limité de demandes d’asile mineurs en France : manque d’information des mineurs[11], attraction de la procédure de prise en charge par l’ASE, réticence des mineurs à l’égard de la procédure d’asile … Pourtant le droit d’asile présente des avantages indéniables. En premier lieu, le bénéfice de la protection conventionnelle ou subsidiaire a vocation à perdurer une fois la majorité acquise, là où la protection de l’enfance s’éteint par cette dernière. En second lieu, le taux de protection des MIE est particulièrement élevé. Il est de 67,4% pour l’année 2017[12] pour un taux de protection général de 27,2%. A cela s’ajoutent certaines spécificités de la procédure d’asile des MIE situés sur le territoire français, qui profitent à ces demandeurs particuliers. Premièrement, le MIE qui dépose une demande d’asile en France ne peut faire l’objet, en application du règlement Dublin III, d’un transfert vers un autre Etat membre de l’Union européenne au motif qu’il a déposé antérieurement une demande d’asile dans cet Etat membre. Cette exclusion n’est pas imposée par le droit de l’Union européenne, qui prévoit bien la possibilité pour les Etats membres de transférer un mineur non accompagné dans un autre Etat membre[13], mais d’un choix de la France qui s’est exprimé depuis 2009 et auquel elle semble se conformer depuis[14]. Deuxièmement, conformément à l’article L. 723-2 IV du CESEDA[15], la demande d’asile d’un MIE ne peut faire l’objetd’un traitement en procédure accélérée (réduction du délai théorique d’instruction de la demande de six mois à quinze jours) que dans trois hypothèses (parmi les dix applicables aux majeurs) : lorsque le demandeur provient d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr, lorsque le demandeur a présenté une demande de réexamen qui n’est pas irrecevable ou lorsque la présence en France du demandeur constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat[16]. Le MIE échappe donc notamment au placement de sa demande en procédure accélérée lorsqu’il n’a pas présenté sa demande d’asile dans le délai de 120 jours (ramené à 90 jours en Métropole à compter du 1er janvier 2019[17]) suivant son entré sur le territoire français[18].
Troisièmement, la minorité du demandeur d’asile constitue un élément de vulnérabilité qui conduit l’OFPRA à aménager ses modalités d’examen[19]. On notera à cet égard que, depuis 2015, les demandes d’asile des mineurs isolés sont traitées par les officiers de protection spécialisés. Autant de facteurs qui devraient encourager la présentation d’une demande d’asile par le mineur isolé étranger présent sur le territoire français, qui est éligible à la protection conventionnelle ou subsidiaire. Mais confronté à la pratique, ce cadre juridique montre un tout autre visage, celui d’une procédure complexe, devenue presque inaccessible et particulièrement longue. Ce constat, qui remet directement en cause l’effectivité du droit d’asile des MIE, peut expliquer le nombre étonnement bas de demandeurs d’asile mineurs en France. Les observations faites sur le terrain[20] révèlent une procédure marquée par un positionnement incertain des acteurs institutionnels qui est préjudiciable au demandeur d’asile (I). Les difficultés se concentrent autour de la procédure de désignation de l’administrateur ad hoc (ci-après AAH), qui constitue aujourd’hui l’obstacle principal à l’accès à une protection conventionnelle ou subsidiaire (II).
I. Le positionnement incertain des acteurs de la procédure d’asile des mineurs isolés étrangers
Les règles applicables à la demande d’asile ne prévoient pas de procédure spécifique lorsque le demandeur d’asile est un mineur isolé. Celui-ci est soumis au même régime procédural que le majeur mais bénéficie, tout de même, de certains aménagements procéduraux. La procédure d’asile des MIE est donc placée dans les mains des acteurs traditionnels du droit d’asile : Plateformes d’accueil pour les demandeurs d’asile (ci-après PADA), préfecture, Office français de l’immigration et de l’intégration (ci-après OFII), OFPRA. La complexité de cette procédure a déjà fait l’objet de critiques[21], lesquelles ne peuvent être que réitérées lorsqu’est en cause un mineur isolé qui ne peut, sans aide extérieure, mener à bien les démarches nécessaires. Mais la pratique révèle une autre difficulté, qui tient en la réticence de certains acteurs à traiter les demandes d’asile des MIE (A). Egalement, l’intervention de l’administrateur ad hoc, acteur spécifique de la procédure d’asile du mineur qui est chargé de le représenter et de l’assister dans ses démarches, paraît trop tardive pour contribuer pleinement à la mise en œuvre du droit que détient le mineur de solliciter l’asile en France (B).
A. Les acteurs traditionnels fermés aux demandes d’asile des MIE
Depuis la transposition du « paquet asile » par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, la procédure à suivre par le demandeur d’asile comporte trois étapes. Le demandeur d’asile doit tout d’abord se présenter à une plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) qui a reçu délégation[22] de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) des missions de pré-accueil (aide à l’enregistrement de la demande d’asile) et d’accompagnement (domiciliation, orientation vers une structure d’hébergement, aide à la constitution du dossier OFPRA…) du demandeur[23]. La procédure se poursuit par le passage au Guichet unique (ci-après GUDA) composé des services préfectoraux et de l’OFII, selon une convocation délivrée par la PADA. Les services préfectoraux procèdent à ce stade à l’enregistrement de la demande et l’OFII se charge d’évaluer les besoins du demandeur d’asile et de lui proposer les « conditions matérielles du demandeur d’asile ». Enfin, le demandeur d’asile fait parvenir son dossier de demandeur d’asile à l’OFPRA qui, suite à un entretien individuel, rend sa décision quant à son admission à la protection conventionnelle ou subsidiaire. Comme souligné précédemment, le demandeur d’asile mineur est tenu de suivre ce même chemin procédural. Etant donné la complexité de la procédure, cette solution se concilie mal avec la vulnérabilité particulière de ce demandeur d’asile particulier[24]. Et on notera à cet égard que le MIE bénéficie rarement d’un traitement préférentiel dans des différentes phases de la procédure[25]. Aucune disposition ne prévoit que les dossiers des MIE fassent l’objet d’un traitement prioritaire[26] ou qu’ils soient traités par un personnel spécialisé (en dehors de l’OFPRA). En Ile-de-France, les mineurs isolés ne sont d’ailleurs pas exclus de l’obligation qui s’applique depuis le 2 mai 2018 aux demandeurs d’asile d’utiliser une plateforme téléphonique pour obtenir un rendez-vous dans une PADA.
Mais c’est dans la pratique que l’on rencontre les solutions les plus critiquables. Ainsi, les mineurs isolés étrangers se trouvent parfois exclus de certaines étapes de la procédure, ce qui les prive d’un traitement égal de leur demande. Pendant un temps la PADA de Paris a refusé d’accueillir les mineurs isolés qui n’avaient pas intégré le dispositif de l’aide sociale à l’enfance. Une pratique similaire a pu récemment être observée à la PADA du département des Yvelines. Dans ce cas, le mineur est privé de la possibilité d’obtenir de la PADA un rendez-vous au Guichet unique, seconde étape de sa procédure. Il est contraint de se rendre directement aux services préfectoraux pour « introduire » sa demande d’asile. La pratique a révélé que cette solution, incertaine tant les services préfectoraux sont parfois réticents à recueillir la demande dans ces conditions, portait préjudice au mineur qui obtient généralement un rendez-vous à la préfecture plusieurs semaines après s’y être présenté, contre quelques jours avec un passage à la PADA. Egalement, le MIE exclu de la PADA ne peut bénéficier de l’accompagnement dû à tout demandeur d’asile. Cette exclusion, qui ne repose sur aucune disposition, porte sans conteste une atteinte du droit d’asile. Elle semble pourtant avoir reçu l’assentiment de l’OFII qui, dans le cadre de la nouvelle procédure de délégation des prestations de premier accueil des demandeurs d’asile, entend restreindre le pré-accueil en amont du GUDA aux seuls « mineurs non accompagnés assistés d’un administrateur ad hoc »[27]. De la même manière, le mineur isolé demandeur d’asile non pris en charge par l’ASE ne peut généralement pas accéder aux services de l’OFII dans la foulée de l’enregistrement de sa demande d’asile par les services préfectoraux. Le constat a du moins été fait pour la préfecture de Paris. En conséquence, il ne se voit pas proposer les conditions matérielles d’accueil que sont (pour le mineur) l’hébergement, la domiciliation[28] et l’accompagnement administratif et social. Là encore, une telle pratique est contraire au CESEDA qui ne prévoit pas une telle exclusion[29]. Tout au contraire, son article L. 744-6 charge l’OFII de « procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d’asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d’accueil », cette évaluation de la vulnérabilité visant en particulier, poursuit le texte, « à identifier les mineurs non accompagnés ».
Cette solution qui conduit à exclure les MIE « non ASE » de certains dispositifs du droit d’asile établit une différenciation au regard de l’asile non seulement entre les majeurs et les mineurs mais aussi entre les mineurs « ASE » et les mineurs non « ASE ». Elle ne pourrait être admise que si le droit français liait effectivement l’accès à l’asile du mineur étranger à une prise en charge au titre de l’enfance en danger. Or, tel n’est pas le cas. D’une part, la présentation d’une demande d’asile n’est pas subordonnée à une telle prise en charge. D’autre part, le mineur isolé étranger ayant manifesté son intention d’introduire une demande d’asile ne fait pas automatiquement l’objet d’une prise en charge par le département durant le temps de sa procédure[30]. Les textes ouvrent donc bien la possibilité qu’un mineur isolé étranger non pris en charge par l’ASE sollicite l’asile. C’est d’ailleurs précisément pour cette hypothèse qu’est prévue la procédure de désignation de l’AAH dont il sera question plus loin, car si le mineur est pris en charge par l’ASE il n’est pas concerné par cette procédure[31].
En l’état actuel du droit positif, le lien qu’imposent dans la pratique les acteurs entre la demande d’asile et le placement à l’ASE n’est pas justifié. Il n’est pas certain qu’une réforme qui viendrait inscrire cette solution dans les textes puisse être admise à l’heure où la prise en charge des mineurs étrangers montre d’importantes faiblesses. Pour ne parler que d’eux, les délais ayant cours devant le juge des enfants afin d’obtenir le placement du mineur isolé étranger à l’ASE sont de plusieurs mois. Devrait-on exiger du mineur isolé qu’il attende ce délai avant de pouvoir exercer son droit à l’asile ? On soulignera par ailleurs que rien, dans les textes, n’oblige le MIE à demander le bénéfice de l’aide sociale à l’enfance. Comment pourrait-il par conséquent conditionner son accès au droit d’asile ? Ce serait certainement là porter une atteinte grave à son droit d’asile ainsi qu’à son corolaire le droit de solliciter l’asile.
B. Une intervention tardive de l’acteur spécifique de la procédure d’asile du MI
La particularité de la procédure d’asile des mineurs isolés étrangers réside essentiellement dans le bénéfice d’une représentation destinée à pallier, le temps de la procédure, l’absence de représentants légaux. Cette exigence est la première garantie accordée aux mineurs non accompagnés par la directive « Procédures ». Celle-ci prévoit, en son article 25, que les Etats membres « prennent, dès que possible, des mesures pour veiller à ce qu’une personne représente et assiste le mineur non accompagné pour lui permettre de bénéficier des droits et de respecter les obligations prévues dans la présente directive »[32]. En droit français, le dispositif est régi par les articles L. 741-3 et R. 111-13 à R. 111-23 du CESEDA. En application de ces dispositions, l’AAH peut être une personne physique ou une personne morale dont la mission est toutefois exercée par une personne physique préalablement identifiée. Dans les deux cas, la personne physique doit remplir plusieurs conditions, comme celle de « s’être signalée depuis un temps suffisant pour l’intérêt qu’elle porte aux questions de l’enfance et par sa compétence »[33]. Les textes précités n’exigent pas de compétence particulière en matière d’asile[34]. Toutefois, la pratique révèle une certaine spécialisation en la matière avec la présence sur la liste des administrateurs ad hoc relative aux mineurs isolés étrangers de personnes morales appartenant au milieu associatif venant en aide aux migrants[35]. Dans le ressort de la Cour d’Appel de Paris, ce sont surtout les associations actives dans le domaine (France Terre d’Asile, la Croix Rouge ou l’Association les Amis du Bus des Femmes) qui sont appelées à représenter et assister les mineurs isolés dans le cadre de leur procédure d’asile. Les missions confiées à l’AAH comportent une mission d’assistance (information du mineur, soutien moral…) et une mission de représentation dans les procédures administratives et juridictionnelles relatives à la demande d’asile (y compris le recours devant la Cour nationale du droit d’asile et la cassation devant le Conseil d’Etat)[36]. A ce titre, l’AAH est destinataire de tous les actes de procédure concernant le mineur, est informé de toute convocation du mineur et signe les actes de procédures notifiés au mineur. La mission de l’AAH prend fin dès la désignation d’un tuteur ou à l’issue de la procédure devant l’OFPRA ou, le cas échéant, devant la Cour nationale du droit d’asile (ci-après CNDA) ou le Conseil d’Etat. Elle tombe notamment dès lors que le mineur a été reconnu au titre de l’ASE.
En droit français, la désignation de l’administrateur ad hoc intervient tardivement dans la procédure d’asile du mineur. Elle est en effet initiée par les services de la préfecture, alors que le mineur isolé a déjà, en principe, fait l’objet d’un pré-accueil par le biais des structures associatives ayant reçu délégation de l’OFII et s’est présenté à la préfecture pour faire enregistrer sa demande d’asile. Ainsi, le représentant intervient alors que le mineur a déjà pris connaissance de son droit de solliciter l’asile ainsi que des démarches administratives à effectuer à ce sens. Cette situation ne semble pas en contradiction avec le droit de l’Union européenne qui reste vague quant au moment auquel la désignation doit intervenir. La directive « Procédures », qui prévoit tout de même que la désignation intervienne « dès que possible »[37], insiste surtout sur la présence du représentant tout juste en amont de l’entretien personnel[38]. Elle conduit toutefois à ce que le mineur prenne seul, sans soutien juridique ou autre forme d’accompagnement, la décision de solliciter l’asile. Pourtant, cette décision revêt d’importantes conséquences pour lui (difficulté du retour au pays, caractère éprouvant de la procédure …). Egalement, la désignation intervient souvent quelques semaines avant que le mineur soit convoqué pour enregistrer sa demande d’asile et retirer au GUDA son dossier de demande d’asile auprès de l’OFPRA. Ceci laisse donc peu de temps à l’AAH pour procéder à la constitution de ce dossier, et notamment à la préparation du récit écrit. Pour rappel, le dossier doit être envoyé à l’OFPRA dans les 21 jours suivants l’enregistrement de la demande. Selon les circonstances, ce délai peut s’avérer insuffisant pour créer le climat de confiance nécessaire à un véritable accompagnement du demandeur d’asile à ce stade déterminant de la demande d’asile. Enfin, l’administrateur est désigné après que la préfecture ait procédé au relevé d’empreintes du demandeur d’asile mineur aux fins de consultation du fichier EURODAC. Cette pratique heurte le droit à la protection des données personnelles du mineur (données biométriques mais aussi renseignements personnels demandés par les services préfectoraux au premier passage). Si la délivrance de ces données personnelles ne semble pas soumise au consentement de l’individu[39] – qui ne pourrait être donné qu’à travers l’AAH[40] – elle n’en reste pas moins assortie de droits (droit à l’information[41], à l’accès et à la modification des données), dont on peut douter qu’ils puissent être exercés par le mineur sans que celui-ci ne se soit vu désigner un représentant légal[42]. L’absence de l’AAH dans les premiers temps de la procédure de demande d’asile est en pratique palier par les associations impliquées dans la protection des mineurs isolés. Elle n’en relève par moins les défaillances du cadre juridique, qui confrontent le MIE à une procédure tout aussi complexe qu’incertaine du fait de la pratique de ses acteurs. Et la confrontation à ce monde hostile se fait, pour le mineur, sans réel soutien ou accompagnement, du moins durant les premières étapes de la procédure. On comprend que ce dispositif ait pu faire l’objet d’aménagements dans les circonstances particulières qu’a connues la ville de Calais, la PADA s’assurant en amont qu’un administrateur ad hoc serait présent le jour du rendez-vous fixé au GUDA. Rien n’empêche que cette pratique, plus respectueuse des droits des mineurs, ne soit généralisée.
II. Les difficultés entourant la procédure de désignation de l’administrateur ad hoc
Comme vu précédemment, la désignation de l’AAD caractérise la procédure d’asile du mineur isolé étranger. La procédure comporte deux étapes. La préfecture « avise immédiatement » le procureur de la République de la présentation par un mineur isolé d’une demande d’asile, après quoi le parquet « désigne sans délai un administrateur ad hoc »[43]. La désignation de l’AAH se trouve au coeur d’un paradoxe : conçue comme une garantie offerte au mineur isolé étranger, elle génère souvent des désordres dans la procédure d’asile qui portent préjudice à ce dernier. Les délais parfois à l’œuvre et le refus du procureur d’accorder une représentation légale au mineur créent des demandes d’asile « mi-mineur, mi-majeur » dont le traitement s’avère délicat (A). De plus, puisque les préfectures conditionnent l’enregistrement de la demande d’asile du mineur à la présence de l’AAH, l’absence de désignation constitue un obstacle au droit de solliciter l’asile qui peut être instrumentalisé par l’administration. La désignation de l’AAH apparaît comme une contrainte pesant sur le mineur situé sur le territoire français. Cette logique anime un contentieux spécifique à la désignation de l’administrateur ad hoc lorsqu’elle concerne la demande d’asile d’un mineur situé sur le territoire français (B).
A. Les désordres résultant de la procédure de désignation de l’administrateur ad hoc
La procédure de désignation de l’administrateur ad hoc est source de nombreux désordres.
Premièrement, elle allonge considérablement la durée de la procédure d’asile. En effet, la désignation du représentant peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois[44]. Puisque l’enregistrement de la demande d’asile ne peut se faire sans cette désignation, le délai imposé par la loi entre la présentation[45] et l’enregistrement de la demande d’asile du mineur (délai de trois jours ouvrés, porté à dix « lorsqu’un nombre élevé d’étrangers demandent l’asile simultanément »[46]) n’est en pratique pas respecté[47]. Rien ne justifie cette attente. L’article L. 741-3 du CESEDA impose d’ailleurs une désignation « sans délai » de l’AAH, formulation identique à celle retenue en matière de représentation du mineur en zone d’attente dont on sait que la désignation intervient généralement avec une plus grande célérité[48]. Et ce délai s’ajoute au délai théorique de six mois qui s’applique au traitement de la demande par l’OFPRA. En pratique, ce délai d’instruction par l’OFPRA a été ramené à trois moissi bien que le mineur isolé devra attendre en moyenne cinq mois au minimum avant d’obtenir une réponse quant à son admission à la protection internationale.
Et l’allongement de la procédure d’asile, qui contraint le mineur à une certaine endurance administrative, peut créer des situations juridiques complexes. Tel est le cas lorsque le mineur acquiert la majorité en cours de procédure[49]. La situation est loin d’être un cas école, dès lors que la majorité des demandeurs d’asile mineurs sont âgés de 16 à 17 ans. Elle a d’ailleurs fait l’objet en 2014 d’un rapport conjoint du HCR et du Conseil de l’Europe intitulé « Unaccompanied and separated asylium-seeking and refugee children turning eighteen : what to celebrate ? »[50]. Comment traiter une demande d’asile qui a été présentée par un mineur devenu majeur ? La question peut se poser aux services préfectoraux lorsque la majorité a été acquise entre la présentation et l’enregistrement de la demande ou à l’OFPRA lorsque celle-ci est intervenue avant le rendu de la décision d’admission à la protection internationale. C’est surtout le premier cas qui interroge car il peut modifier de manière substantielle le traitement de la demande d’asile[51]. Comme vu en introduction, la demande d’asile du mineur bénéficie de deux avantages : elle n’est pas soumise au règlement Dublin III et ne peut être placée en procédure accélérée que dans des hypothèses limitées. Ces garanties disparaissent-elles lorsque le mineur a acquis la majorité en cours de procédure ? La réponse affirmative ouvrirait la voie aux dérives de l’administration qui pourrait être encline à prolonger les délais afin de « transformer » une demande d’asile mineur en une demande d’asile majeur. Elle introduirait également une part d’imprévisibilité dans la procédure d’asile. Il est douteux que l’administration puisse à ce point « redistribuer les cartes » du droit d’asile. Récemment, la Cour de Justice de l’Union européenne a été appelée à préciser la date déterminante pour apprécier le statut de mineur non accompagné dans le cadre du droit européen de l’asile[52]. En l’espèce, l’enjeu était certes différent, puisqu’était en cause la possibilité pour un ressortissant d’un Etat tiers, ayant présenté sa demande d’asile en tant que mineur mais s’étant vu reconnaître le bénéfice de la protection une fois la majorité acquise, de bénéficier du droit absolu au rapprochement familial de ses ascendants directs[53]. Mais la solution de la Cour qui consiste à retenir comme date d’appréciation de la minorité aux fins de l’ensemble de la procédure d’asile la date de « l’introduction » de la demande devrait pouvoir être transposée à notre hypothèse. On soulignera à cet égard l’argument développé avec une certaine insistance par la Cour quant au respect du principe d’égalité de traitement et de sécurité juridique. Apprécier la minorité à une autre date que celle de l’introduction de la demande, relève la Cour, ferait dépendre le droit au regroupement familial « de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande de protection internationale est traitée »[54] et aurait pour conséquence « que deux réfugiés mineurs non accompagnés de même âge ayant introduit au même moment une demande de protection internationale pourraient, en ce qui concerne le droit au regroupement familial, être traités différemment en fonction de la durée de traitement de ces demandes, sur laquelle ils n’ont généralement aucune influence et laquelle, au-delà de la complexité des situations en cause, peut dépendre tant de la charge de travail des autorités compétentes que des choix politiques effectués par les États membres en ce qui concerne les effectifs mis à la disposition de ces autorités et les cas à traiter prioritairement »[55]. Le même raisonnement pourrait être tenu à l’égard du bénéfice des avantages procéduraux de la demande d’asile du mineur[56].
Deuxièmement, le procureur dispose de peu de moyens pour fonder sa décision relative à la désignation, ce qui obscurcit considérablement la procédure. La circulaire de 2005 prise en application du décret n°2003-841 du 2 septembre 2003 relatif aux modalités de désignation et d’indemnisation des administrateurs ad hoc institués par l’article 17 de la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale reconnaît la faculté pour le procureur d’opérer un « contrôle » de la minorité et de l’isolement du demandeur d’asile. Elle précise ainsi que ce dernier « s’assure par tous moyens de la minorité effective de l’intéressé et de l’absence de représentant légal sur le territoire national ». Elle ne précise toutefois pas quels sont les « moyens » que le procureur peut légalement mettre en œuvre à cette fin. Pourrait-il initier les mêmes mesures d’instruction que celles utilisées afin de statuer sur l’entrée du mineur dans le dispositif d’aide sociale à l’enfance (expertise documentaire et tests osseux) ? . L’expertise des documents d’identité par les services de police se heurte à la règle selon laquelle le droit de solliciter d’asile n’est pas conditionné par la possession de documents d’identité valides. La possibilité de procéder à un examen osseux est quant à elle bien prévue par la directive de 2013 en son article 25§5 mais cette disposition n’a pas été transposée en droit français. Finalement, l’appréciation du procureur ne peut reposer que sur des éléments extérieurs à son office.
Un récent rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance évoque en la matière des liens qui semblent s’établir entre le parquet et le juge des enfants[57]. Dans ce sens, le jugement d’incompétence rendu par le tribunal des enfants à l’égard d’un individu pourrait justifier, de la part du procureur, un refus de désignation de l’AAH dans le cadre de la procédure d’asile[58]. Cette pratique a nécessairement aujourd’hui ses limites du fait des délais particulièrement longs qui ont cours devant le juge des enfants. Dans ces circonstances, une pratique qui consisterait pour le procureur à attendre systématiquement le jugement du tribunal des enfants afin de statuer sur la désignation de l’AAH entrerait en contradiction avec le droit de l’Union européenne[59] et porterait atteinte au droit d’asile et à son corolaire, le droit de solliciter l’asile. Le procureur pourrait également être tenté de consulter les fichiers
Visabio ou Eurodac, qui contiennent des informations relatives aux individus (et notamment la date de naissance) qui sont à l’origine d’une demande de visa (Visabio) ou d’une demande d’asile (Eurodac), informations susceptibles de confirmer ou infirmer la minorité du demandeur d’asile. Mais l’utilisation de ces fichiers dans ce cadre se heurte aux règles relatives à la protection des données personnelles, qui circonscrivent autant les autorités habilitées à consulter ces fichiers[60] que les finalités d’utilisation de ces fichiers[61]. En l’état actuel du droit positif, la consultation de ces fichiers par le procureur dans le cadre de l’article L. 741-3 du CESEDA n’est pas admise. Une telle utilisation de ces fichiers semble également dangereuse pour les mineurs, dans la mesure où ces derniers sont souvent contraints ou incités à transmettre aux autorités une date de naissance « majeure »[62].
On peine, dans ces circonstances, à voir quels éléments le procureur pourrait mobiliser pour contrôler la minorité et l’isolement du demandeur d’asile. Le risque est de voir, dans l’ombre, ce contrôle se déplacer du procureur à l’autorité administrative, qui pourrait être tentée de refuser d’initier la procédure de désignation de l’AAH après consultation des fichiers précités[63]. Dans ce contexte, on ne peut que s’inquiéter de l’introduction dans la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie d’une disposition visant la création d’un fichier contenant les empreintes digitales et les photographies de toute personne se déclarant mineur non accompagné[64]. Si la disposition renvoie à un décret en Conseil d’Etat pour la fixation des modalités de son application, les débats parlementaires ont évoqué une prise en charge de ce fichier par les services préfectoraux[65]. La tentation pourrait être forte d’utiliser ce fichier afin de contester la minorité du demandeur d’asile, et donc de refuser la désignation de l’AAH, sur la base d’une évaluation négative rendue par un département. Mais un tel contrôle pourrait, selon nous, être difficilement admis dès lors que les textes le placent dans les mains de l’autorité judiciaire[66].
Enfin, le refus du procureur créé une situation complexe pour le traitement de la demande d’asile. Du point de vue de la préfecture, la demande a été présentée par un mineur ; devient-elle du fait du refus du procureur une demande présentée par un majeur, soumise notamment à l’application du règlement Dublin III ? Du point de vue de l’OFPRA, le dossier doit-il être traité comme un « dossier majeur », alors même que le demandeur affirme être mineur ? Ces difficultés ont été soulignées par le Défenseur des droits en 2016 dans une tierce intervention portée devant le Comité européen des droits sociaux : « Les textes prévoient que le formulaire de demande d’asile soit remis au représentant légal ou à l’AAH, dès que ce dernier est nommé. De nombreuses préfectures interprètent ces textes comme leur interdisant de remettre le formulaire au mineur, hors la présence de l’AAH ou du représentant légal. Or, lorsque sa minorité est contestée par les autorités judiciaires et que celles-ci, responsables de la désignation de l’AAH, le lui refusent, le mineur ne peut avoir accès la procédure d’asile, sauf à se déclarer majeur, ce que beaucoup d’entre eux sont légitimement peu enclins à faire. Dans les rares cas où l’on permet au mineur de déposer sa demande en préfecture en l’absence d’AAH, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) indique par la suite ne pouvoir traiter leur dossier sans ce représentant »[67].
B. Le contentieux spécifique issu du défaut de désignation de l’administrateur ad hoc
La désignation de l’administrateur ad hoc conditionne, aux yeux de l’autorité administrative, l’enregistrement de la demande d’asile du mineur. L’absence de désignation constitue donc un obstacle au droit de solliciter l’asile, que celle-ci tarde à être prononcée ou qu’elle ait fait l’objet d’un refus de la part du parquet. Dans le premier cas, le mineur se trouve ni plus ni moins empêché d’enregistrer sa demande. Dans le second, il est empêché de le faire en tant que mineur, le contraignant alors à modifier son âge parfois en contradiction avec les documents d’état civil qu’il a en sa possession.
Ces difficultés dans l’accès à l’asile donnent naissance à un contentieux qui vise à lever cet obstacle qui se dresse entre le mineur et le droit de solliciter l’asile. Ce contentieux de distingue de celui qui concerne le défaut de désignation de l’administrateur ad hoc pour le mineur placé en zone d’attente. Pour rappel, la loi impose une désignation « sans délai » pour tout mineur placé en zone d’attente, afin d’assurer sa représentation « dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles relatives » au maintien en zone d’attente[68]. Dans cette hypothèse, la présence de l’AAH conditionne la légalité des mesures adoptées à l’égard du mineur, au premier chef desquelles la décision de maintien en zone d’attente prise par le juge des libertés et de la détention. Elle exerce donc une contrainte sur l’administration et l’autorité judiciaire, qui explique que les désignations interviennent plus rapidement dans ce cadre que dans celui de la demande d’asile du mineur situé sur le terrain. Il s’ensuit également que l’absence de l’AAH est surtout invoquée pour obtenir la remise en liberté du mineur devant le juge des libertés et de la détention[69]. Le contentieux animant le droit d’asile du mineur situé sur le territoire présente un tout autre visage, puisqu’il a pour objet d’assurer l’effectivité d’un droit du mineur de solliciter l’asile qui se trouve entravé.
Comme vu précédemment, la désignation de l’AAH fait intervenir deux acteurs : le préfet qui initie la procédure et le procureur qui procède, en théorie, « sans délais » à cette désignation. Le contentieux en la matière se heurte donc au dualisme juridictionnel : compétence du juge administratif à l’égard de la décision préfectorale et compétence du juge civil à l’égard du procureur. Mais en pratique, cette répartition des contentieux est difficile à opérer, dès lors que le requérant est souvent dans l’impossibilité de savoir qui, du préfet ou du procureur, est responsable de la désignation tardive. Après son passage au GUDA, le demandeur d’asile n’est pas informé de ce que le préfet a, ou non, « avisé » le procureur en vue de la désignation d’un AAH. Cette « communication » ne fait en effet pas l’objet d’une décision formalisée et notifiée à l’intéressé. De la même manière, il n’est pas toujours informé de la décision du procureur de désigner, ou non, un AAH. Dans la mesure où cette désignation fait l’objet d’une décision de justice, elle devrait être notifiée à l’intéressé. Mais cette solution se heurte à des considérations pratiques tenant à la situation du mineur isolé qui, non pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, ne bénéficie d’aucune domiciliation[70].
Il n’est pas rare de voir des administrateurs ad hoc désignés « écumer » les réseaux associatifs à la recherche des mineurs dont ils doivent assurer la représentation et l’assistance. Face à ces incertitudes, le contentieux devrait se concentrer autour du juge administratif, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, il s’agit du juge « traditionnel » du droit d’asile, et le contentieux porte précisément sur l’accès à ce droit. Deuxièmement, le contentieux administratif offre une voie de recours qui pourrait dans certains cas s’avérer particulièrement efficace : le référé-liberté. Ce recours présente en effet plusieurs avantages (dispense du recours à un avocat[71], ouverture du prétoire malgré la minorité, toutefois uniquement dans des circonstances particulières[72], faculté du juge d’exercer un pouvoir d’injonction à l’encontre de l’administration, voire une astreinte, célérité de la procédure), là où le contentieux judiciaire offre des possibilités de recours plus incertaines[73]. Troisièmement, il pourrait permettre, selon les circonstances, non seulement d’obtenir la désignation de l’administrateur ad hoc mais aussi d’enregistrer la demande d’asile, malgré le défaut de représentation légale. Cela ressort par exemple d’une ordonnance du juge des référés dans laquelle le juge a considéré que « [l]e fait de différer, au-delà du délai de dix ouvrés fixé par les dispositions précitées, l’enregistrement de la demande d’asile fait obstacle à l’examen de celle-ci et empêche l’intéressé de bénéficier des conditions matérielles d’accueil »[74]. En l’espèce, il a enjoint au préfet de Paris de « saisir immédiatement le procureur » et d’enregistrer la demande d’asile dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification de l’ordonnance. Quelques semaines plus tard, le tribunal administratif de Lyon a affirmé avec force que l’enregistrement de la demande d’asile « n’apparaît pas soumis, inconditionnellement, à la désignation préalable d’un administrateur ad hoc »[75]. L’administration doit donc enregistrer la demande d’asile, malgré l’absence d’AAH. Cette solution repose sur la violation du délai légal de trois jours (ou dix jours) entre la présentation et l’enregistrement de la demande d’asile qui résulte du retard pris dans la désignation, violation qui constitue aux yeux de ce juge administratif une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile. Elle fait preuve de pragmatisme en assurant l’effectivité du droit d’asile face à une administration habilement récalcitrante. D’ailleurs, le juge n’a pas manqué, dans l’une de ces espèces, de souligner qu’en raison de ces délais, le mineur s’approchait « dangereusement »[76] de la majorité. La conséquence est toutefois l’introduction des désordres déjà évoqués car la demande d’asile devient à moitié « mineur » – le demandeur se présentant comme mineur – et à moitié « majeur » – la demande ayant été introduire sans représentant ad hoc.
Néanmoins, la portée de cette jurisprudence, qui n’a pas été confirmée par le Conseil d’Etat, doit être nuancée. Si elle peut être admise sans difficulté lorsque l’intervention du préfet fait défaut[77], peut-elle s’appliquer lorsqu’il est établi que le préfet a bien saisi le procureur mais que celui-ci n’a pas rendu sa décision ? S’il est toujours cohérent dans cette hypothèse de faire prévaloir l’enregistrement de la demande d’asile sur le défaut de représentation, il n’en reste pas moins que le préfet ferait, dans ce cas, l’objet d’une injonction tout en n’étant pas à l’origine de l’atteinte au droit d’asile qui justifie cette injonction. Dans ce cas, le juge administratif peut être plus réticent à ordonner au préfet de procéder à l’enregistrement de la demande d’asile[78]. Reste également l’hypothèse d’un refus du procureur de procéder à la désignation de l’AAH. S’il ne peut être l’objet d’une action contentieuse devant le juge administratif, il peut toutefois être à l’origine d’une décision de l’administration ouvrant son prétoire. Il pourra notamment s’agir du classement de la demande, « devenue » majeure, en procédure « Dublin » ou en procédure accélérée. Et le juge administratif pourrait bien dans ce cas être amené à apprécier la minorité du demandeur d’asile et donc, indirectement la décision du procureur[79]. On le voit le contentieux relatif au défaut de désignation de l’administrateur ad hoc dans le cadre de la demande d’asile du mineur situé sur le territoire tend à se concentrer dans les mains du juge administratif.
***
Les mineurs isolés étrangers situés sur le territoire français sont l’un des parents pauvres du droit français de l’asile, qui ne fait que peu de cas de leur vulnérabilité pourtant incontestable[80]. L’étude révèle que la pratique tend de plus en plus à associer la possibilité de solliciter l’asile à une prise en charge par le biais de l’aide sociale à l’enfance, et d’exclure par conséquent les mineurs « non ASE » de l’accès à la protection conventionnelle ou subsidiaire. Les obstacles se sont en effet multipliés pour cette dernière catégorie de demandeurs d’asile. D’une part, ils ne bénéficient pas d’une pleine prise en charge par les acteurs de l’asile (PADA, OFII). D’autre part, ils se heurtent à la défiance des services préfectoraux et/ou du parquet, qui peuvent paralyser leur demande en refusant la désignation de l’administrateur ad hoc ou en retardant celle-ci jusqu’à leur majorité. Si le contentieux administratif permet très souvent de faire sauter ces verrous, c’est au prix d’une lutte parfois acharnée qui ferait presque oublier qu’est en cause le bénéfice d’une protection due au titre des persécutions subies par un mineur dans son pays d’origine. Pourquoi autant de réticence à l’égard du droit d’asile des MIE ? L’enjeu n’est pas, précisons-le, l’accès à un droit : le droit d’asile et son corolaire, le droit de solliciter l’asile, sont reconnus aux mineurs comme aux majeurs. Il se situe dans l’application du règlement Dublin III qui permet à la France de renvoyer le demandeur d’asile, dès lors qu’il n’est plus considéré comme mineur, dans un autre Etat de l’Union européenne. La condition juridique des mineurs isolés étrangers au regard du droit d’asile est donc une nouvelle illustration d’une politique migratoire qui se veut davantage quantitative que qualitative.
[1] Le droit de l’Union européenne utilise le terme de « mineur non accompagné » (voir la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection qui le définit – article 2 – comme « un mineur qui entre sur le territoire des Etats membres sans être accompagné d’un adulte qui est responsable de lui, de par le droit ou la pratique en vigueur dans l’Etat membre concerné »). La pratique française est plus incertaine. Longtemps, le terme de « mineurs isolés étrangers » a été préféré avant que celui de « mineurs non accompagnés » lui soit substitué afin d’être en adéquation avec les textes européens (voir sur ce point, le site du Ministère de la Justice http://www.justice.gouv.fr/art_pix/FAQ_mineurs_isoles.PDF, p. 4). Il est à noter toutefois que les textes législatifs et réglementaires français ne recourent pas à l’une ou l’autre de ces notions, dès lors appréhendent le « mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille » (article L. 221-2-2 du Code de l’action sociale et des familles) indistinctement de sa nationalité, française ou étrangère. Certaines circulaires traitant de sujets propres aux mineurs étrangers utilisent néanmoins cette terminologie (voir par exemple la référence faite au « mineur isolé » dans la circulaire du 14 avril 2005 n° CIV/01/05 prise en application du décret n° 2003-841 du 2 septembre 2003 relatif aux modalités de désignation et d’indemnisation des administrateurs ad hoc institués par l’article 17 de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale).
[2] Rapport d’information n° 598 (2016-2017) de Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 juin 2017.
[3] Article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles.
[4] Voir sur ce point, Carayon Lisa, Mattiussi Julie, Vuattoux Arthur, « « Soyez cohérent, jeune homme ! ». Enjeux et non-dits de l’évaluation de la minorité chez les jeunes étrangers isolés à Paris », Revue française de science politique, 2018/1 (Vol. 68), p. 31-52. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2018-1-page-31.htm
[5] La Convention de Genève ne fixe pas d’âge pour déposer une demande d’asile.
[6] CE, Assemblée, 21 décembre 2012, n° 332491.
[7] Voir Décision du Défenseur des droits n° 2017-205, 28 juin 2017, p. 2.
[8] UNHCR, UNHCR / Conseil de l’Europe, Unaccompanied and separated asylum-seeking and refugee children turning eighteen: what to celebrate? UNHCR / Council of Europe field research on European State practice regarding transition to adulthood of unaccompanied and separated asylum-seeking and refugee children, Strasbourg Mars 2014, p. 2.
[9] Rapport d’activité OFPRA, 2017, p. 11.
[10] Le rapport précité du HCR évalue à 10% seulement le ratio de mineurs isolés ayant déposé une demande d’asile par rapport au nombre de mineurs éligibles à la protection conventionnelle ou subsidiaire (précité, p. 22).
[11] Lors d’une table ronde organisée le 28 mars 2018 par FTDA et ARRECO, un membre de l’OFPRA a souligné la difficulté d’apporter l’information à ce jeune public.
[12] Rapport d’activité OFPRA, 2017, p. 11
[13] Dans la mesure où cela est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, voir Article 8 du règlement (UE) No 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
[14] Voir FTDA, Rapport sur la demande d’asile mineurs dans 27 Etats membre, p. 20. En pratique, la préfecture procède au relevé d’empreintes du demandeur d’asile mineur et interroge le fichier EURODAC. Toutefois, elle ne tire pas de conséquences des résultats obtenus quant à l’existence d’une demande d’asile dans un autre Etat membre. Le rapport précité révèle toutefois que « en 2011, il semble que la France ait remis 10 mineurs non accompagnés à d’autres Etats membres dans le cadre du règlement Dublin II. La Hongrie déclare également accueillir des mineurs transférés depuis la France ».
[15] Conformément à l’article 25§6a) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
[16] Le rapport d’activités de l’OFPRA indique pour l’année 2017 que 87,1 % des demandes d’asile de mineurs ont été enregistrées en procédure normale par les services préfectoraux (p. 44).
[17] Article 6 de la Loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, publiée au JORF n°0209 du 11 septembre 2018.
[18] Voir article L. 723-2 du CESEDA.
[19] Voir article L. 723-3 du CESEDA et Article 31§7b) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
[20] Certaines données de cette étude reposent sur une observation de la pratique faite par l’auteure dans le cadre du suivi de plusieurs mineurs isolés demandeurs d’asile en Ile-de-France. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteure et n’engagent pas les associations et membres d’associations œuvrant en faveur des mineurs isolés étrangers. La présente étude se concentre sur la demande d’asile du mineur présent sur le territoire et non sur celle, particulière, applicable en zone d’attente. Sur cette dernière hypothèse, voir B. Hild, « L’accès du mineur isolé étranger à la demande de protection », in J. Fernandez, C. Laly-Chevalier (dir.), Droit d’asile. Etat des lieux et perspectives, Paris, Pedone, 2015, pp. 69-87, et spéc. pp. 73-81.
[21] CNCDH, Avis sur le régime d’asile européen commun, adopté le 28 novembre 2013, op. cit., § 17 et suivants qui recommande, de manière générale, un accès direct à l’OFPRA.
[22] En application de l’article L. 744-1 du CESEDA.
[23] Voir le Cahier des clauses techniques particulières du marché public relatif aux Prestations de premier accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile.
[24] Un régime plus protecteur aurait pu reposer sur un accès direct à l’OFPRA.
[25] Pour un constat analogue en ce qui concerne le traitement des mineurs étrangers en zone d’attente, B. Hild, « L’accès du mineur isolé étranger… », op. cit., p. 76 à propos de l’octroi du jour franc.
[26] A la différence d’autres Etats membres de l’Union européenne comme la Belgique, l’Estonie, la Grèce, l’Italie, la Roumanie, ou encore l’Espagne (voir l’étude coordonnée par FTDA, Le droit d’asile des mineurs isolés étrangers dans l’Union européenne. Etude comparative dans 27 pays de l’UE, p. 16). Voir à cet égard, l’Observation du comité des droits des enfants n°6 qui souligne (§70) que « la demande d’admission au statut de réfugié déposée par un enfant non accompagné ou séparé doit être traitée à titre prioritaire et tout devrait être fait pour rendre une décision rapide et équitable ».
[27] Marché n°190002 « Prestations de premier accueil des demandeurs d’asile », Cahiers des clauses Techniques Particulières, p. 5.
[28] Les textes prévoient que le demandeur d’asile qui ne dispose ni d’un hébergement ni d’un domicile stable « bénéficie du droit d’élire domicile auprès d’une personne morale conventionnée à cet effet par chaque département (…) » (article L. 744-1 al 3 du CESEDA). Cette domiciliation a été déléguée aux PADA, situation à nouveau préjudiciable aux mineurs isolés lorsqu’ils ne peuvent avoir accès à la PADA. Or, la domiciliation est une étape importante pour le demandeur d’asile. D’une part, elle assure les bases d’une future correspondance avec l’OFPRA et, d’autre part, elle permet l’ouverture des droits à la CMU.
[29] Voir l’article L. 744-1 du CESEDA qui prévoit que « Les conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile (…) sont proposées à chaque demandeur d’asile par l’Office français de l’immigration et de l’intégration après l’enregistrement de la demande d’asile par l’autorité administrative compétente (…) ».
[30] Voir toutefois, l’article L. 741-3 al 4 qui prévoit qu’en parallèle de la procédure de désignation de l’administrateur ad hoc « [l]e Président du conseil départemental est immédiatement informé (…) afin de lui permettre d’évaluer la situation du mineur sans représentant légal et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur a besoin ». Lors de l’adoption de la loi du 29 juillet 2015, l’Assemblée nationale a adopté cet amendement, afin de « permettre l’accès le plus rapide possible du mineur isolé dans le dispositif de l’aide sociale à l’enfance » (Rapport n°425 de M. François-Noël Buffet fait au nom de la commission des lois du Sénat, 5 mai 2015, p. 156).
[31] C’est ainsi que la mission de l’administrateur ad hoc prend fin « dès la désignation d’un tuteur » (circulaire n°CIV/01/05 précitée).
[32] Article 25§1a) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
[33] Article R. 111-14 du CESEDA.
[34] Voir toutefois, la circulaire n°CIV/01/05 précitée qui précise que « [l]a mission de l’administrateur ad hoc nécessite une bonne compétence juridique, notamment en matière de droit des étrangers, et requiert également une bonne appréhension de la psychologie des mineurs ».
[35] La liste des administrateurs ad hoc dissocie la représentation des mineurs victimes et celle de mineurs isolés étrangers.
[36] Article L. 741-3 du CESEDA, et les précisions apportées par le circulaire précitée.
[37] Article 25§1a)
[38] Article 25§1b) qui prévoit que les Etats membres « veillent à ce que le représentant ait la possibilité d’informer le mineur non accompagné du sens et des éventuelles conséquences de l’entretien personnel et, le cas échant, de lui indiquer comment se préparer à celui-ci ».
[39] Voir Article 6, c) et e) du règlement n° 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Le traitement de ces données semble également exclu du droit d’opposition (voir Article 21 du règlement).
[40] Voir Article 8 du règlement précité.
[41] Les droits reconnus au demandeur d’asile dans le cadre du fichier EURODAC sont précisés par l’article 29 du règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales.
[42] On soulignera à cet égard la contradiction dans la pratique de certaines préfectures qui refusent de délivrer au mineur les informations relatives au droit d’asile (le Guide du demandeur d’asile) en l’absence de son administrateur ad hoc, mais qui procèdent sans ce dernier au relevé des données biométriques du mineur.
[43] Article L. 741-3 du CESEDA.
[44] Voir TA Paris, ordonnance du juge des référés du 5 février 2018, n°1801653/9 qui évoque une pratique « non contestée » de convocation en vue de l’enregistrement de la demande plus de deux mois après la présentation de la demande d’asile.
[45] La « présentation » de la demande d’asile par le mineur, qui correspond au passage en PADA ou, le cas échéant, au premier passage en GUDA. Voir dans ce sens, CAA Lyon, 20 mars 2018, n°17LY04037 et CAA Bordeaux, 30 mars 2018, n°18BX00074 (qui assimile d’ailleurs la « présentation » de la demande d’asile à son « introduction » au titre de la mise en œuvre du règlement Dublin III).
[46] Voir article L. 741-1 du CESEDA.
[47] A l’heure où une récente circulaire du Ministre de l’Intérieur demande aux préfets de « converger progressivement » vers le délai légal de trois jours (circulaire du 12 janvier 2018 relative à la réduction des délais d’enregistrement des demandes d’asile aux guichets uniques).
[48] Article L. 221-5 du CESEDA.
[49] Il se peut également que le mineur fasse l’objet durant ce délai d’un placement au titre de l’aide sociale à l’enfance. Dans ce cas, la règle voudrait que le bénéfice de l’administrateur ad hoc tombe. On a pu toutefois remarquer en pratique que la coordination entre le procureur, la préfecture d’une part et le juge des enfants n’est pas toujours établie.
[50] UNHCR, Conseil de l’Europe, « Unaccompanied and separated asylium-seeking and refugee children turning eighteen: what to celebrate?”, 2014, disponible sur internet (www.coe.int.).
[51] L’acquisition de la majorité entraine la fin de la mission de l’administrateur ad hoc. C’est une solution retenue par de nombreux Etats (voir sur ce point, le rapport du HCR, pp. 24-26) ; elle a pu être observée dans la pratique française. La directive « Procédures » prévoit d’ailleurs que l’Etat membre peut refuser de procéder à la désignation d’un administrateur ad hoc lorsqu’il est vraisemblable que le jeune atteigne l’âge de 18 ans avant la décision de première instance (article 25§2 de la directive). Du côté de l’OFPRA, des incertitudes semblent entourer le traitement des dossiers de demandeurs d’asile « devenus majeurs ». Sur le plan procédural, sont-ils toujours traités par des officiers de protection spécialisés ? Sur le plan substantiel, de quelle manière les officiers de protection prennent-ils en compte les persécutions ayant été portées à l’égard du demandeur alors encore mineur ? Comme le souligne un rapport, « [e]n France, les institutions responsables du droit d’asile affirment que même si la demande est traitée une fois l’âge de 18 ans atteint, le fait que le demandeur ait été victime de persécutions alors qu’il était mineur est pris en compte. En pratique, cependant, il semble que ce ne soit pas si évident » (rapport de FTDA, p. 37).
[52] CJUE, A et S contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, arrêt de la Cour du 12 avril 2018, C-550/16.
[53] Comme le précise la Cour, le droit au regroupement familial des ascendants ne peut faire l’objet d’aucune marge d’appréciation de la part des Etats, lorsqu’il est demandé par un mineur non accompagné (voir CJUE, précité, § 34).
[54] § 55.
[55] § 56. Voir dans le même sens, §§ 59-60.
[56] Notons que le raisonnement de la Cour se fonde sur le caractère déclaratif du statut du réfugié qui implique que le ressortissant de l’Etat tiers éligible à la protection internationale « bénéficie d’un droit subjectif à ce qu’il lui soit reconnu le statut de réfugié, et ce avant même qu’une décision formelle ait été adoptée à cet égard » (§54). Il reste à déterminer dans quelle mesure le caractère recognitif du statut de réfugié peut déployer ses effets sur les aspects procéduraux de la demande d’asile.
[57] Observatoire national de la protection de l’enfance, « Mineurs non accompagnés. Quels besoins et quelles réponses ? », février 2017, pp. 38-40.
[58] A contrario, un placement du mineur auprès des services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance devrait conduire le procureur à reconnaître la qualité de mineur du demandeur d’asile (voir toutefois l’ordonnance du TA de Lyon précité qui montre qu’en l’espère le procureur n’avait pas suivi la position du juge des enfants qui avait placé le jeune jusqu’à sa majorité), mais qui a « perdu » son isolement. Cette situation devrait, en toute logique, conduire à un refus de désignation de l’administrateur ad hoc (voir dans ce sens, l’article L. 741-3 du CESEDA qui prévoit que « [l]a mission de l’administrateur ad hoc prend fin dès le prononcé d’une mesure de tutelle). Cette solution est conforme au droit européen qui apprécie l’isolement de manière continue à compter de son entrée sur le territoire de l’Etat membre. Ainsi, que l’a précisé il y a peu la Cour de Justice de l’Union européenne, « un mineur non accompagné au moment de son entrée, qui est ensuite pris en charge par un adulte responsable de lui par la loi ou la coutume, ne satisfait pas à [la condition qu’il soit non accompagné] » (voir CJUE précitée, § 38). On notera ici l’appréciation différente que retient la Cour en ce qui concerne la détermination de la qualité de « mineur » au sens du droit européen de l’asile.
[59] Qu’il s’agisse des règles concernant la désignation « immédiate » du représentant (article 25 de la directive « Procédures » précitée) ou de celles qui imposent la célérité dans le traitement des demandes d’asile (voir notamment le préambule de la directive précitée).
[60] Pour Visabio, voir article R. 611-12 du CESEDA (qui mentionne les « agents des préfectures et ceux chargés de l’application de la réglementation relative (…) au traitement des demandes d’asile (…) »).
[61] Pour Visabio, voir article R. 611-8 du CESEDA (qui prévoit de manière particulièrement large que le fichier a pour finalité « de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, en prévenant les fraudes documentaires et les usurpations d’identité »). Cette formulation pourrait permettre aux autorités habilitées (et à elles seules) d’interroger le fichier Visabio sur un demandeur d’asile mineur, afin de déterminer s’il est connu du fichier et le cas échéant en tant que majeur ou mineur (dans l’affaire portée devant le TA de Lyon précitée, le préfet semble avoir justifié le refus de désignation de l’administrateur ad hoc opéré par le procureur par les informations contenues dans le fichier Visabio).
Pour Eurodac, voir le préambule du règlement UE n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac (voir également, l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 16 février 2018 n° 2018/36, qui considère que « le relevé et la comparaison des empreintes par l’intermédiaire de ce fichier sont circonscrits à la détermination du pays responsable de la demande d’asile émanant d’une demandeur extérieur à l’union européenne ainsi qu’en matière répressive, à la consultation par les autorités de sûreté chargées de la sécurité intérieure dans le cadre de la recherche d’actes de terrorisme ou d’infractions graves, de sorte que son utilisation comme en l’espère, en matière de détermination de la minorité d’une ressortissant d’un pays extérieur à l’union européenne demandant à bénéficier du dispositif de protection des mineurs isolés, préoccupation étrangère à la finalité du fichier Euradac, constitue incontestablement un détournement de finalité au sens des dispositions de l’article 3 du (…) règlement »). Cette solution a été rendue à propos de l’utilisation par le juge des enfants des informations contenue dans le fichier Eurodac. On peut se demander si elle pourra valoir également lorsque le préfet consulte le fichier Eurodac, certes dans le cadre d’une demande d’asile mais dans le but de déterminer la minorité du demandeur (et non uniquement de déterminer l’Etat responsable). L’enjeu est d’importance car de nombreux migrants mineurs sont parfois contraints dans certains pays à se présenter comme majeurs lors des opérations à la frontière.
[62] Voir pour un exemple en ce sens, la décision du Défenseur des droits n°2017-158 du 3 mai 2017 qui indique à propos des deux enclaves espagnoles (Ceuta et Melilla) au Maroc que « lorsque les mineurs non accompagnés souhaitent poursuivre leur parcours migratoire, ils se déclarent majeurs dans l’espoir de rejoindre la péninsule espagnole et de pouvoir ainsi franchir la frontière avec la France » (p. 11).
[63] Comme vu précédemment, la légalité de cette consultation est conditionnée par le respect de la finalité desdits fichiers.
[64] Article 51 de la Loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, publiée au JORF n°0209 du 11 septembre 2018.
[65] Voir le contre rendu intégral des débats devant le Sénat pour la date du 25 juin 2018 à propos de l’article 26 quater du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif.
[66] On notera que la circulaire de 2005 n’apporte aucune précision quant aux pouvoirs dont dispose la préfecture, contrairement aux directives qu’elle formule à l’égard de la police aux frontières lorsque le mineur est placé en zone d’attente (investigations en vue d’« établir clairement sa minorité »).
[67] Décision MDE-MSP-2016-002 du 26 février 2016 relative à une tierce intervention concernant l’accueil et la prise en charge des mineurs isolés étrangers portée devant le CEDS, p. 16.
[68] Article L. 221-5 du CESEDA.
[69] Voir par exemple, Cour de Cassation, 22 mai 2007, n°17-238 ; Cour de Cassation, 6 mai 2009, n°08-14519 (sous réserve toutefois de « circonstances particulières » qui peuvent justifier le retard à la désignation de l’AAH en zone d’attente).
[70] Les décisions du parquet mentionnent ainsi le fait que le mineur est « sans domicile fixe ».
[71] Même si on imagine mal un mineur isolé procéder lui-même à l’introduction d’une requête en référé, la dispense d’un avocat peut permettre à une association de rédiger le recours au nom du mineur.
[72] L’arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2011 « Lassana B. » est venu restreindre l’accès des mineurs non émancipés au prétoire du juge du référé-liberté. Après avoir indiqué que le « mineur non émancipé ne dispose pas, en principe, de la capacité pour agir en justice », la haute juridiction a considéré que seules des « circonstances particulières » pouvaient justifier l’ouverture du prétoire du juge des référés-liberté. Cette solution restreint les possibilités pour les mineurs de contester devant le juge administratif les refus de pris en charge par l’ASE dont ils font l’objet. En ce qui concerne l’asile, il ressort de la jurisprudence administrative que la circonstance que le mineur étranger isolé sollicite l’asile en France constitue une « circonstance particulière » ouvrant le prétoire du juge des référés (voir par exemple TA Lyon, ordonnance précitée, considérant 7).
[73] La circulaire précitée ne mentionne pas les voies de recours ouvertes à l’encontre de la décision du parquet.
[74] TA Paris, ordonnance du 5 février 2018, n°1801653/9, considérant 5.
[75] TA Lyon, ordonnance précitée, considérant 9.
[76] Le juge administratif soulève dans son ordonnance le risque que le demandeur d’asile de perdre les garanties dont bénéficient le demandeur d’asile mineur (examen spécifique par l’OFPRA, regroupement familial des ascendants…). Il semble ainsi considérer que la date d’enregistrement de la demande d’asile est pertinente pour déterminer l’application de ces garanties (voir considérant 8). Cette solution doit aujourd’hui être nuancée avec le récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne précité.
[77] Tel était le cas dans les deux espèces précitées. Dans l’affaire portée devant le Tribunal administratif de Lyon, la désignation de l’administrateur ad hoc avait été réalisée le jour du dépôt de la requête et le requérant s’était désisté de ces conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de saisir le procureur de la République. Le juge administratif fit toutefois injonction au préfet d’enregistrer la demande d’asile au plus tard le jour de la prochaine convocation du demandeur à la préfecture.
[78] Voir dans ce sens, TA de Paris, ordo. du 27 juillet 2018, n°1813550/9, considérant 6 : « il [le requérant] n’est pas fondé à soutenir, en l’état de l’instruction, que le refus du préfet de police d’enregistrer sa demande d’asile, alors que la procédure de désignation de l’administrateur ad hoc par le procureur de la République est en cours, porte, dans ces conditions, une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile ».
[79] Dans l’ordonnance précitée du TA de Lyon, le juge des référés a considéré qu’aucun élément ne permettait de sérieusement remettre en cause la minorité du demandeur d’asile, si bien que « ce dernier ne peut qu’être regardé, à la date de la présente ordonnance, comme âgé de moins de 18 ans » (TA Lyon, préc., cons. 5). Dans cette affaire, c’est le préfet qui avait appuyé l’argument de la majorité (voir considérant 5 : « malgré les éléments figurant dans la fiche Visabio produite par le préfet »).
[80] La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ne prend pas en compte cette problématique. Le texte adopté apporte seulement deux modifications aux droits du mineur isolé étranger en matière d’asile. Premièrement, il étend la réunification familiale du mineur aux « mineurs non mariés dont [ses ascendants directs] ont la charge effective » (article 3 de la loi précitée). Deuxièmement, il accorde au mineur isolé le droit de poursuivre son contrat d’apprentissage ou de professionnalisation pendant la durée de traitement de sa demande d’asile (article 49).
Dans le cas où le mineur non accompagné est pris en charge par l’ASE mais ne bénéficie pas d’une tutelle, et que, le service de l’ASE refuse d’entendre donc d’accompagner son souhait de faire une demande d’asile, quelle est la marche à suivre ? Le PADA refusera son enregistrement, le GUDA aussi… quelles voies de recours possibles ?