Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2018
Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH
Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH
Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS,
Après Interlaken (2010), Izmir (2011), Brighton (2012) Oslo (2014) et Bruxelles (2015), c’est à Copenhague qu’a eue lieu une nouvelle (encore une) Conférence de haut niveau sur la réforme du système de la Convention (12/13 avril 2018). Et le constat est toujours le même : « rien de très novateur, encore moins de révolutionnaire, n’en ressort » pour reprendre l’heureuse formule employée par les Professeurs S. Touzé et D. Szymczak à propos de la Déclaration de Bruxelles 1. Les thèmes abordés sont somme toute assez classiques (rôle des Etats dans la mise en œuvre de la Convention, exécution des arrêts, dialogue entre la Cour et les Etats…) et la prudence est de mise s’agissant des engagements pris. De sorte qu’il est bien difficile de mettre en exergue des avancées significatives en termes d’évolution du système européen de protection des droits de l’homme (voy. notamment D. Szymczak, « Putsch manqué ou marché de dupes? Retour sur la conférence de Copenhague des 12 et 13 avril 2018 », RTDH, 2018, p. 813). On retiendra surtout le décalage important entre le projet initial de la déclaration (très régressif au demeurant tant l’unique objectif semblait être la réduction du champ d’intervention de la Cour) et la version finale qui sauve l’essentiel. C’est ainsi qu’ont été supprimées toutes les recommandations qui empiétaient sur le rôle de la Cour 2. Le point 10 de la Déclaration rappelle, à juste titre, « que le renforcement du principe de subsidiarité n’a pas pour but de limiter ou d’affaiblir la protection des droits de l’homme ». Sans doute, faut-il contextualiser la Déclaration pour en avoir une vision moins négative. Comme on le perçoit aisément, le rappel de « l’importance de maintenir un budget suffisant pour que la Cour, ainsi que le Service de l’exécution des arrêts, puissent relever les défis actuels et futurs » a pour toile de fond les décisions prises par la Russie et la Turquie en 2017 de suspendre leur participation au budget de la Cour.
Lors du premier semestre 2018, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’est révélée particulièrement riche, avec notamment plusieurs arrêts importants sur le terrain de l’article 6, qu’il s’agisse de la question de la compétence civile universelle pour les actes de torture (Gde ch., 15 mars 2018, Naït-Liman c/ Suisse, n° 51357/07, JDI, chron. n° 5, obs S. Touzé), du droit pour un avocat de se défendre lui-même (Gde ch., 4 avr. 2018, Correia de Matos c/ Portugal, n° 56402/12) ou bien encore de l’exécution du mandat d’arrêt européen avec en filigrane la question des rapports entre le droit de l’Union européenne et la Convention (17 avr. 2018, Pirozzi c/ Belgique, n° 21055/11). Compte tenu de la période d’état d’urgence prolongée qu’a connue la France ces dernières années et du débat toujours ouvert sur la question du terrorisme et des droits de l’homme, il est logique que les arrêts relatifs à l’état d’exception en Turquie occupent le devant de la scène (20 mars 2018, Şahin Alpay c/ Turquie, n° 16538/17 ; 20 mars 2018, Mehemet Hasan Altan c/ Turquie, n° 13237/17). Il faut savoir gré à la Cour d’avoir clairement rappelé que l’article 15 n’autorise pas les Etats à s’affranchir à leur guise du respect de la Convention européenne. Les multiples violations de la Convention retenues dans ces arrêts ne constituent pas véritablement une surprise. Dès juillet 2016, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe soulignait que, même en tenant compte du recours à la clause dérogatoire, les mesures prises soulevaient de « très sérieux doutes quant à [leur] compatibilité avec la CEDH et les principes de l’état de droit » 3. Sans avoir cette vocation à passer à la postérité, les affaires françaises sur les violences policières (7 juin 2018, Toubache c/ France, n° 19510/15 ; 21 juin 2018, Semache c/France, n° 36083/16) méritent d’être mentionnées. La Cour y condamne la France pour violation de l’article 2 qui protège le droit à la vie en stigmatisant un recours à la force disproportionnée (dans la première affaire où était en cause un tir mortel sur un véhicule en fuite par un gendarme) et l’indifférence totale des policiers (dans la seconde affaire qui concernait le décès d’un arrêt cardiaque d’un homme dans un commissariat après avoir été menotté au sol dans son vomi durant plus d’une heure, sans soins ni surveillance médicale). Ce qu’il y a d’inquiétant dans ces deux arrêts est que les juges internes n’aient pas retenu une violation du droit à la vie… Aussi, l’actualité du semestre écoulé confirme la vitalité du « contentieux constitutionnel » 4 à un moment important, à savoir celui de l’entrée en vigueur le 1er août 2018 du Protocole 16 à la CEDH prévoyant la possibilité pour les plus hautes juridictions nationales des Etats d’adresser des demandes d’avis à la Cour européenne des droits de l’homme. A cet égard, l’arrêt de Grande chambre G.I.E.M. e. a. c/ Italie (28 juin 2018, n° 1828/06) fera date. La Cour y fait preuve d’ouverture et de fermeté face aux interprétations de la Cour constitutionnelle italienne sur la portée du principe de légalité des délits et des peines. Il est d’ailleurs pertinent de dresser un parallèle avec l’arrêt Taricco II 5 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne 6 révélateur également des réticences de la Cour constitutionnelle italienne de se ranger à la jurisprudence de cette dernière, ce qui n’a pas été vain. À propos de cet arrêt, le Professeur Coutron écrit, en effet, que « c’est à un véritable numéro d’équilibriste que se livre la Cour en s’efforçant de préserver l’arrêt Taricco I, tout en acceptant d’y déroger et, partant, d’en réduire la portée à une peau de chagrin » 7. On sera moins critique à l’égard de la Cour de Strasbourg. Toujours ouverte au dialogue, elle ne transige pas sur l’essentiel : la portée contraignante de tous ses arrêts. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre la formule, trop peu remarquée, selon laquelle « [tous les] arrêts ont tous la même valeur juridique. Leur caractère contraignant et leur autorité interprétative ne sauraient par conséquent dépendre de la formation de jugement qui les a rendus » (§ 252). Dans un contexte marqué par une forte contestation de son rôle, ce rappel en forme d’évidence est salutaire. Une fois n’est pas coutume, la question des rapports entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité en France a été abordée par la Cour dans une décision d’irrecevabilité 8. Ainsi, prend-elle soin d’affirmer que « le contrôle de conformité d’une mesure individuelle à la Convention effectué par le « juge ordinaire » est distinct du contrôle de conformité de la loi à la Constitution effectué par le Conseil constitutionnel : une mesure prise en application d’une loi dont la conformité aux dispositions constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux est établie peut être jugée incompatible avec ces mêmes droits tels qu’ils se trouvent garantis par la Convention à raison par exemple de son caractère disproportionné dans les circonstances de la cause » (§ 28). C’est peu de dire qu’à travers cette motivation la Cour se fait l’écho des évolutions jurisprudentielles récentes tendant à généraliser le contrôle de conventionnalité in concreto 9. Au cas d’espèce, elle ne manque d’ailleurs pas de vanter ses mérites en déclarant une requête irrecevable au motif que les requérantes ont délaissé le recours pour excès de pouvoir, voie de recours qui aurait pu conduire à l’exercice d’un contrôle de proportionnalité in concreto. La motivation de la décision suggère en creux que les juges ordinaires sont encouragés « à l’exercer : c’est les avertir que le principe de subsidiarité ne peut s’épanouir que si les juridictions nationales jouent le jeu du contrôle du contrôle de proportionnalité in concreto » 10. Mais ce serait peut-être aller un peu vite en besogne que d’affirmer que la décision Charron Merle-Motet suggère que le contrôle de conventionnalité in concreto est le seul compatible avec la Convention européenne, d’autant que l’on sait que la Cour, elle-même, déplace de plus en plus son contrôle du concret vers l’abstrait. En un mot, la portée de cette décision d’irrecevabilité focalisée sur le respect de la règle d’épuisement des voies recours internes ne doit pas être exagérée. Il est cependant indubitable que ce phénomène de concrétisation renforce l’utilité et l’attractivité du contrôle de conventionnalité, même en cas d’utilisation de la nouvelle demande d’avis issue du Protocole n° 16 par le Conseil constitutionnel 11.
Enfin, last but not least, en ce qui concerne la composition de la Cour, on relèvera que trois nouveaux juges ont débuté leur mandat de neuf ans : Maria Elósegui Ichaso (au titre de l’Espagne) – qui a pour l’essentiel suivi une carrière universitaire et d’experte auprès du Conseil de l’Europe – Lado Chanturia (au titre de la Géorgie) – ancien Ministre de la Justice et Président de la Cour suprême de Géorgie – et Ivana Jelic (au titre du Monténégro) – universitaire, qui a été membre et vice-présidente du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Leur élection par l’Assemblée parlementaire n’a pas soulevé de difficultés majeures, sauf pour Maria Elósegui Ichaso qui n’avait pas été désigné comme la candidate la plus qualifiée par la Commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme 12, au profit de Monsieur José Martín y Pérez De Nanclares (universitaire reconnu ayant beaucoup publié dans le domaine des droits de l’homme). Reste qu’au moment de l’élection, l’Assemblée parlementaire lui a préféré Madame Elósegui Ichaso, sans doute pour des raisons politiques, José Martín y Pérez De Nanclares étant proche du Parti populaire en Espagne. Dans la dernière livraison de sa chronique « Actualité de la CEDH » à l’AJDA, le Professeur Burgorgue-Larsen se livre à une analyse très fine et incisive de « cette désastreuse péripétie » qui relance le débat sur les lacunes de la procédure d’élection des juges à la Cour 13. L’enjeu est pourtant de taille. La Déclaration de Copenhague sur la réforme du système de la Convention européenne des droits de l’homme ne souligne-t-elle pas qu’un « défi central pour garantir l’effectivité à long terme du système de la Convention est de veiller à ce que les juges de la Cour jouissent de la plus haute autorité en droit national et international ». En attendant, la juge espagnole a commencé son mandat… au sein de la 3ème section, avec une opinion dissidente déjà très remarquée qui fait froid dans le dos dans l’affaire Mariya Alekhina et autres c/ Russie 14.
Pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2018, l’accent sera mis sur six thématiques : le contrôle des mesures prises en période d’état d’urgence (I), le principe de légalité des délits et des peines (II), le droit à un procès équitable (III), la protection des demandeurs d’asile (IV), la protection des populations vulnérables (V) et le droit au respect de la vie privée et de la correspondance (VI).
I- La difficile protection de l’État de droit face aux mesures sécuritaires
Au cœur de ses préoccupations essentielles, la protection de l’État de droit amène régulièrement la Cour à en redessiner les contours 15, qu’il s’agisse de contrôler les dérogations aux exigences conventionnelles fondées sur l’article 15 (A) ou de sanctionner les États ayant procédé à des remises de prisonniers à la CIA et permis ainsi les mauvais traitements subséquemment infligés (B).
A- Le contrôle des dérogations fondées sur l’article 15
Deux arrêts turcs du 20 mars 2018 (Şahin Alpay, n° 16538/17 et Mehemet Hasan Altan, n° 13237/17) – concernant l’arrestation et la détention de journalistes accusés d’infraction en lien avec le terrorisme à la suite de la tentative de coup d’État militaire du 15 juillet 2016 ayant entraîné la mise en œuvre de l’état d’urgence – méritent de retenir l’attention. Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe ayant été dûment informé, la Cour considère que la dérogation aux exigences de la Convention était bien justifiée par l’existence d’un « danger public menaçant la vie de la nation » et procède à l’examen au fond de la proportionnalité des ingérences contestées. Poursuivis devant une cour d’assises pour tentative de renversement des pouvoirs constitutionnels et commission d’infractions au nom d’une organisation terroriste sans en être membre, les requérants formèrent chacun un recours constitutionnel pour tenter d’obtenir la levée de leur détention provisoire. Or, bien que la Cour constitutionnelle ait jugé qu’« en l’absence de tout motif concret autre que leurs articles ou interventions à la télévision, leur placement et leur maintien en détention provisoire étaient inconstitutionnels aussi bien sous l’angle des droits protégés par l’article 5 que de ceux protégés par l’article 10 de la Convention », les cours d’assises refusèrent cependant de les remettre en liberté, au motif que la Cour constitutionnelle n’avait pas compétence pour examiner des preuves.
Estimant que celle-ci n’« aurait pu examiner la légalité de la détention provisoire sans examiner les preuves figurant au dossier » et que « le caractère contraignant de ses arrêts [était] précisément l’un des motifs qui ont permis de considérer qu[’elle] offrait un recours effectif à épuiser en matière de détention provisoire » 16, la Cour conclut tout d’abord (par six voix contre une) à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention, au motif que « les tribunaux compétents […] doivent réagir d’une manière qui entraînerait nécessairement la libération du requérant, à moins que de nouveaux motifs et éléments de preuve justifiant le maintien en détention provisoire ne soient présentés » (Cour EDH, Şahin Alpay, § 115). En effet, comme elle l’a souvent répété 17, « [q]u’un autre tribunal remet[te] en question [en interprétant différemment le droit interne] les compétences d’une cour constitutionnelle, dotée de pouvoirs de rendre des arrêts définitifs et contraignants concernant les recours individuels, va à l’encontre des principes fondamentaux de l’État de droit et de la sécurité juridique » (§ 118). Le maintien en détention des requérants ne pouvait donc être considéré comme opéré « selon les voies légales ».
Concernant la durée d’examen des recours constitutionnels (respectivement seize et quatorze mois), elle conclut, en revanche, unanimement, à la non-violation de l’article 5 § 4 en considérant que, si cette durée aurait pu être jugée incompatible avec le « bref délai » généralement requis, les « questions nouvelles et compliquées » posées dans le contexte de l’état d’urgence et « la charge de travail de la Cour constitutionnelle » avaient toutefois engendré « une situation exceptionnelle » (§ 137). Néanmoins, tout comme elle affirme très clairement qu’une détention provisoire « qui n’est pas “régulière” et qui n’a pas été opérée “selon les voies légales” en raison de l’absence de raisons plausibles, ne peut pas être considérée comme avoir respecté la stricte mesure requise par la situation » (§ 119) motivant la mise en œuvre de l’article 15 (et en tire les conséquences en se réservant la possibilité de reconsidérer l’effectivité du recours constitutionnel pour la protection des droits garantis par l’article 5), elle précise ici que ce constat « ne signifie pas toutefois que la Cour constitutionnelle ait une carte blanche » (§ 138), sa compétence très vaste lui permettant d’exercer un contrôle y compris sur les recours constitutionnels.
Quant aux conclusions rendues sur le fondement de l’article 10, en dépit de « sérieux doutes » susceptibles de se faire jour quant à la prévisibilité de l’ingérence, la Cour choisit d’exercer son contrôle en affirmant que, quelles que soient les difficultés auxquelles l’État se trouve confronté, « l’existence d’un “danger public menaçant la vie de la nation” ne doit pas être le prétexte pour limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur-même de la notion de société démocratique ». Rappelant avec force la raison d’être de l’état d’urgence, elle souligne que toutes les mesures prises devaient « viser la défense de l’ordre démocratique menacé », les États parties devant « tout faire pour protéger les valeurs d’une société démocratique, comme le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture » (§ 180). Dès lors, non seulement « [l]e fait de formuler des critiques contre les gouvernements et […] de publier des informations qui sont considérées comme dangereuses pour les intérêts nationaux par les leaders et dirigeants d’un pays ne doivent pas aboutir à la formulation d’accusations pénales particulièrement graves » mais, même dans les cas d’accusations graves, la détention provisoire ne devrait être utilisée qu’« en dernier ressort » (§ 181) – car c’est « pour la société tout entière » que « [l]a mise en détention provisoire des voix critiques […] produit immanquablement un effet dissuasif sur la liberté d’expression, en intimidant la société civile et en réduisant les voix divergentes au silence » (§ 182). Ce n’est cependant que par six voix contre une qu’elle parvient à un constat de violation de l’article 10, le juge Ergül optant, pour sa part, pour une conception très extensive du principe de subsidiarité, mettant en avant le récit national 18.
B- La prohibition des opérations de « remise extraordinaire »
Par deux arrêts en date du 31 mai 2018, la Cour se penche une nouvelle fois sur les opérations de « remise extraordinaire » à la CIA d’individus accusés aux États-Unis de participation à la commission d’attentats terroristes. Faisant écho à l’arrêt El Masri c/ l’Ex-République yougoslave de Macédoine 19, elle y constate la violation de nombreux articles de la Convention : dans l’arrêt Al Nashiri c/ Roumanie (n° 33234/12), les articles 3 (pour défaut d’enquête effective et complicité de l’État avec les agissements de la CIA), 5, 8 et 13 combiné avec les articles 3, 5 et 8, mais aussi l’article 6 § 1 et les articles 2 et 3 combinés avec l’article 1er du Protocole n° 6 ; dans l’arrêt Abu Zubaydah c/ Lituanie (n° 46454/11), les articles 3, 5, 8 et 13 combiné avec l’article 3. Toutefois, concernant un système hautement attentatoire à l’État de droit désormais connu, c’est par la stratégie jurisprudentielle qu’ils révèlent qu’ils semblent destinés à faire date, la Cour parvenant à y établir les faits et à constater de multiples violations sans disposer du témoignage direct des requérants, détenus dans des conditions très restrictives, d’une manière qui n’est pas sans évoquer la jurisprudence interaméricaine en matière de disparitions forcées.
Dans la première, la Cour constate « avoir été privée de toute possibilité d’obtenir le récit direct des faits », le requérant n’ayant eu, depuis octobre 2002, aucun autre contact avec le monde extérieur qu’un entretien avec l’équipe du CICR en 2006 et ses rencontres avec les membres de la commission militaire et avec son représentant devant les autorités américaines. C’est donc en se fondant sur différents rapports 20 et « témoignages de spécialistes » 21 (résultat « du vaste et méticuleux travail effectué par des experts et des politiciens de la plus haute intégrité et compétence », § 524) qu’elle considère « établi au-delà de tout doute raisonnable que la Roumanie a accueilli le centre de détention secret de la CIA “Site Black” du 22 septembre 2003 au 5 novembre 2005 ; que le requérant y a été secrètement détenu du 12 avril 2004 au 6 octobre 2005 ou, au plus tard, au 5 novembre 2005 ; que la Roumanie connaissait la nature et les buts des activités de la CIA dans son pays et coopérait à l’exécution du programme HVD [high-value detainees] ; et […] savait qu’en permettant à la CIA de détenir des individus soupçonnés de terrorisme sur son territoire elle les exposait à un risque sérieux de traitement contraire à la Convention » (§ 601).
Dans la seconde, dépassant les difficultés à communiquer avec un requérant coupé du monde extérieur, elle utilise ses arrêts antérieurs pour reconstituer son parcours de supplices : sa capture, son transfert et sa détention secrète en Pologne (du 27 mars 2002 au 22 septembre 2003, « comme établi par la Cour dans l’affaire Husayn Abu Zubaydah c/Pologne et complété par le Rapport du Comité sénatorial des États-Unis de 2014 »), son transfert et sa détention de Pologne en Lituanie (du 22 septembre 2003 au 18 février 2005, « comme établi » de la même manière) et les allégations de détention secrète au Site Black de Lituanie (du 17 ou 18 février 2005 au 25 mars 2006, « telles que décrites par le requérant et reconstruites sur la base du rapport du Comité sénatorial […] et d’autres documents et corroborées par les experts entendus par la Cour »). Or, en s’appuyant aussi largement sur des preuves circonstancielles extraites de multiples sources, la Cour s’autorise un nouveau mode d’établissement de la preuve susceptible de faire évoluer durablement son approche en matière d’enquête (ne s’agit-il pas là d’une approche moins consommatrice de moyens humains et financiers ?) et d’engendrer également quelques difficultés…
Céline Husson-Rochcongar
II- Des valses-hésitations de la Cour sur la portée du principe nulla poena sine lege au « dialogue musclé» avec la Cour constitutionnelle italienne
Pour la première fois, le principe de légalité des délits et des peines est à l’honneur dans cette chronique, avec une affaire italienne très complexe et discutée (arrêt de soixante-dix pages et quatre-vingt-treize pages d’opinions séparées !).
Invitée à clarifier la portée du principe nulla poena sine lege dans le contentieux du régime italien en matière de lotissement illicite sur fond d’un conflit d’interprétation avec la Cour constitutionnelle italienne, l’arrêt de Grande chambre G.I.E.M. S.r.l. et autres c/ Italie – rendu après dessaisissement d’une chambre de la 2ème section – se place, du moins en apparence, dans la lignée des arrêts Sud Fondi S.r.l. et autres c/ Italie (arrêt du 10 mai 2012) et Varvara c/ Italie (29 oct. 2013). Si une première lecture laisse apparaître une reprise littérale de solutions déjà développées précédemment sans valeur ajoutée, la portée de l’arrêt demeure équivoque. Le moins qu’on puisse dire est que le raisonnement retenu par la Grande chambre n’est pas des plus concluants, eu égard aux hésitations de la Cour quant à l’interprétation des solutions retenues dans ces précédentes affaires et à la cohérence globale de l’arrêt qui portait sur plusieurs dispositions conventionnelles (art. 7 et 6 à titre principal). En l’occurrence, le litige s’est noué autour de la confiscation des terrains des sociétés requérantes pour violation des règles d’urbanisme applicables, alors qu’aucune d’elles n’était présente dans les procédures judiciaires engagées. Le droit italien en vigueur à l’époque des faits prévoyait en effet que les sociétés à responsabilité limitée ne pouvaient pas, en tant que telles, être parties à un procès pénal, malgré leur personnalité juridique distincte. Se posait notamment la question de savoir si ces confiscations étaient prévues par la loi sous l’angle de l’article 7 qui consacre notamment le principe de la légalité des délits et des peines.
Aussi, la démarche du gouvernement italien – assez désespérante il faut bien le dire – visant à contester vigoureusement la conclusion de la Cour dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres c/ Italie selon laquelle la confiscation litigieuse constituait une peine au sens de l’article 7 de la Convention, était vouée à l’échec. Cependant, la Cour prend soin d’y revenir en appliquant les principes généraux issus de sa jurisprudence. Au premier chef est mis en exergue une conception autonome de la peine « au sens de la Convention européenne des droits de l’homme » dont le champ d’application se définit par référence aux critères « Engel » 22 utilisés pour déterminer l’applicabilité de l’article 6 à la matière pénale. Ainsi la Cour rappelle-t-elle la solution selon laquelle « la confiscation pour lotissement illicite subie par les requérants s’analysait en une peine au sens de l’article 7 de la Convention, malgré le fait qu’aucune condamnation pénale préalable n’avait été prononcée à l’encontre des sociétés requérantes ou de leurs représentants » (§ 212). À vrai dire, il aurait été difficile de raisonner autrement en l’occurrence au seul motif que le gouvernement italien contestait pour la première fois le rattachement de la mesure litigieuse à une infraction pénale. Preuve du caractère éminemment sensible de l’affaire et de sa volonté de convaincre, la Cour n’hésite pas à recourir à une motivation surabondante. Ni sa qualification en droit interne, ni son but essentiellement punitif, ni la gravité de ses effets ne permettent d’exclure la mesure de confiscation du champ de l’article 7, d’autant qu’elle est bien « ordonnée par les juridictions pénales » (§ 228). La Cour va même jusqu’à affirmer que « comme l’a souligné la Cour constitutionnelle italienne (…), elle n’exclut pas la possibilité pour les autorités nationales d’imposer des « peines » à travers des procédures autres que des procédures pénales au sens du droit national » (1er assouplissement).
A la question de savoir si de telles mesures pouvaient être appliquées sans être précédées de condamnations formelles et sans que les sociétés n’aient été parties aux procédures en cause, il ne pouvait être répondu que par la négative compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour (arrêt Varvara préc.) considérant que les mesures de confiscation litigieuses ne peuvent pas être appliquées en l’absence de condamnations formelles. Là encore, le gouvernement italien appelait la Cour à revenir sur sa jurisprudence et à « confirmer la position des juridictions internes, en particulier celle de la Cour constitutionnelle » (§ 249). Tout en rappelant sa jurisprudence, la Cour se livre à un numéro d’équilibriste en faisant droit à un des arguments avancés par la Cour constitutionnelle. A ses yeux, « l’article 7 s’oppose à ce qu’une sanction de nature pénale puisse être imposée à un individu sans que soit établie et déclarée au préalable sa responsabilité pénale personnelle. Sans cela, la présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention serait, elle aussi, méconnue » (§ 251) sans toutefois imposer que tout litige relevant doive être traité dans le cadre d’une procédure pénale (2ème assouplissement). Dans ce qui s’apparente à « je t’aime moi non plus », la Cour soucieuse sans doute de ne pas donner l’impression d’être « sur le reculoir » va affirmer vigoureusement au paragraphe 252 qu’un arrêt de chambre devenu définitif a autant de valeur qu’un arrêt de grande chambre et qu’il n’appartient pas aux juges nationaux de dire quel arrêt fait jurisprudence. Autant dire qu’elle n’a pas « fait dans la dentelle » pour rappeler à l’ordre la Cour constitutionnelle, celle-ci ayant jugé dans un arrêt en date du 26 mars 2015 (arrêt n° 49) que lorsque certains critères sont réunis (présence d’opinions dissidentes, arrêt non confirmé en Grande chambre …) « il n’y a aucune raison d’obliger les tribunaux ordinaires à suivre l’interprétation retenue par la Cour de Strasbourg afin de trancher un litige particulier, sauf si celui-ci relève d’un « arrêt pilote » au sens strict» ou d’une jurisprudence établie. Il est permis de dénoncer la légèreté d’une telle démarche à une époque où le dialogue des juges n’a jamais été aussi intense.
Reste que la jurisprudence Varvara subit encore quelques inflexions à propos de la situation d’un des requérants M. Gironda (dirigeant de l’une des sociétés requérantes), coupable de l’infraction de lotissement illicite même en l’absence de condamnation pour prescription. Alors que d’ordinaire, la Cour recherche l’existence d’un « jugement de condamnation » du requérant, elle se contente ici d’une simple « déclaration de responsabilité ». Ce qui lui permet en l’espèce d’affirmer que « lorsque les juridictions saisies constatent la réalisation de tous les éléments de l’infraction de lotissement illicite tout en concluant au non-lieu, en raison de la seule prescription, ces constatations s’analysent, en substance, en une condamnation au sens de l’article 7, lequel en pareil cas n’est pas violé » (§ 261, 3ème assouplissement), conclusion désavouée plus loin sur le terrain de l’article 6 § 2, l’arrêt retenant une violation de la présomption d’innocence. L’architecture de l’arrêt pose ici un problème de cohérence. Le parti pris fait fi de l’impératif d’une interprétation harmonieuse des dispositions de la Convention. En effet, la Cour n’a-t-elle pas affirmé qu’elle « ne saurait faire abstraction de ces considérations dans l’application de l’article 7 en l’espèce, pour autant que les juridictions en question aient agi dans le strict respect des droits de la défense consacrés par l’article 6 de la Convention » (§ 261) ? Sur le même problème de droit, l’arrêt augure d’une évolution régressive de la jurisprudence des garanties de l’article 7 et traduit une protection toujours effective du droit à la présomption d’innocence. Ainsi que l’expose le juge Pinto de Albuquerque, cette contradiction est hautement problématique : « Dans cet état d’esprit erroné, en appliquant l’article 7 à M. Gironda, la majorité va jusqu’à admettre l’inadmissible dans un État régi par le principe de la primauté du droit : elle troque en effet les garanties de l’article 7, insusceptibles de dérogation, contre les droits reconnus par l’article 6, auxquels il peut être dérogé » (opinion en partie concordante, en partie dissidente). Le juge portugais a raison de pointer du doigt une curieuse hiérarchisation des droits et libertés garantis par la Convention…
A contrario, dès lors que les sociétés requérantes n’ont pas été poursuivies comme telles et n’étaient pas parties à la procédure, elles ne peuvent pas avoir fait l’objet d’une déclaration de responsabilité préalable. La démarche de la Cour s’oriente alors vers un contrôle in abstracto de la législation italienne et une critique du principe societas delinquere non potest (« les personnes morales ne peuvent pas commettre des infractions pénales »). Et de souligner que la punition d’une société pour des agissements commis par des tiers est contraire au principe de légalité. C’est ce dont témoigne bien les faits de l’espèce : les sociétés ont été sanctionnées pour les actes de leurs dirigeants (§ 271). Le constat de violation de l’article 7 est sans appel. C’est donc un arrêt en demi-teinte qu’a rendue la Grande chambre. Donnant l’impression de s’inscrire dans une lignée jurisprudentielle relativement bien balisée, la Cour, en signe d’ouverture à l’égard de la Cour constitutionnelle italienne, assouplit en réalité sa jurisprudence sur plusieurs points. On relèvera avec la juge Motoc l’utilité qu’aurait pu avoir ici le Protocole 16 s’il avait été en vigueur…. En effet, une saisine de la Cour aurait pu permettre à la Cour constitutionnelle d’engager une véritable discussion sur l’interprétation de l’arrêt Varvara, plutôt que de s’égarer dans une lecture approximative de la jurisprudence européenne.
Mustapha Afroukh
III- Le droit à un procès équitable
Parmi de nombreuses affaires, plusieurs livrent une interprétation étroite du droit au juge (A), d’autres éclairent les relations entre la Convention et le droit de l’Union (B).
A- Une interprétation étroite du droit au juge
Le premier arrêt (Gde ch., 15 mars 2018, Naït-Liman c/ Suisse, n° 51357/07) concerne ce que l’on pourrait qualifier de « remise ordinaire » d’un individu à des autorités consulaires, la Grande chambre statuant sur le refus des tribunaux suisses d’examiner une action portant sur des actes allégués de torture commis en Tunisie, sur un Tunisien arrêté en Italie par la police locale et remis aux autorités tunisiennes, ayant par la suite obtenu l’asile puis la nationalité suisse. En 2001, le requérant avait déposé plainte au pénal avec constitution de partie civile à Genève contre l’ancien ministre de l’Intérieur tunisien, sur ordre duquel il avait été torturé en 1992. Le séjour de celui-ci, venu en Suisse subir des soins médicaux, étant déjà terminé, sa plainte fut classée sans suite. Il entama alors en 2004 une procédure civile en dommages et intérêts contre la Tunisie et son agent, invoquant la compétence des juridictions suisses sur le fondement de la loi fédérale sur le droit international privé prévoyant un for de nécessité (forum necessitatis). Les juridictions internes se déclarèrent toutefois incompétentes ratione loci, faute de lien suffisant de la cause avec la Suisse. La Grande chambre accueille cette solution en considérant que la limitation du droit d’accès à un tribunal ainsi imposée au requérant était légitime au regard d’une exigence de bonne administration de la justice, faisant droit aux arguments du Gouvernement qui alléguait notamment qu’il s’agissait de dissuader le forum shopping, qui représentait un risque de surcharge pour les juridictions nationales. Reconnaissant à l’État une ample marge d’appréciation, elle estime que ses juridictions n’étaient pas tenues d’ouvrir leur for au requérant pour lui permettre de chercher à obtenir réparation du préjudice subi, ni à travers la reconnaissance d’une compétence universelle en matière civile, ni en vertu du for de nécessité.
Bien qu’elle ne figure guère qu’un statu quo sur une question déjà traitée par la Grande chambre, cette solution éclaire néanmoins la jurisprudence antérieure. En effet, le raisonnement adopté par la même formation dans l’arrêt Al-Adsani c/ Royaume-Uni 23 – dans lequel elle avait souligné que « selon plusieurs décisions de justice, l’interdiction de la torture a désormais valeur de norme impérative » et estimé que l’article 6 § 1 garantit à chacun « le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil » – avait semblé laisser ouverte la possibilité d’une évolution (prochaine ?) de sa position sur la question 24. Si le fait qu’elle évoque « le droit international » pouvait cependant laisser craindre une posture plutôt attentiste, la décision Ould Dah c/ France 25 avait pu en faire douter, la Cour y considérant de la manière la plus claire, « en accord avec la jurisprudence du TPIY, que l’interdiction de la torture a valeur de norme impérative, c’est-à-dire de jus cogens » et que « l’impérieuse nécessité de l’interdiction de la torture et de la poursuite éventuelle des personnes qui enfreignent cette règle universelle, ainsi que l’exercice par un État signataire de la compétence universelle prévue par la Convention contre la torture, seraient vidés de leur substance s’il fallait retenir seulement la compétence juridictionnelle de cet État, sans pour autant admettre l’applicabilité de la législation pertinente dudit État », ajoutant que « l’amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les États d’enquêter sur de tels actes ». Il semble pourtant que cette lecture doive bien aujourd’hui être privilégiée (même si ce n’est pas sous l’angle de l’immunité de l’État, non retenue par les juridictions internes, que la Grande chambre se prononce), confirmant en cela une tendance des juges strasbourgeois à se montrer moins innovants que leurs aînés.
Le deuxième arrêt (Gde ch., 5 avr. 2018, Zubac c/ Croatie, n° 40160/12) porte sur la restriction du droit d’accès à la Cour suprême croate, laquelle ne peut connaître de pourvois ordinaires en matière civile que si « la partie contestée de la décision attaquée » représente une valeur supérieure à 100 000 kunas (HRK), soit environ 13500 euros. En l’espèce, après une première estimation fixée à 10 000 HRK, l’enjeu du procès fut réévalué à 105000 HRK suite à un changement d’avocat. Toutefois, la demande civile définissant l’action ne pouvant plus être modifiée à ce stade de la procédure, le pourvoi formé fut déclaré irrecevable ratione valoris, alors même que les juridictions du fond retinrent ce nouveau chiffre pour calculer frais de justice et dépens 26. Contrairement à la chambre – parvenue à un constat de violation de l’article 6 § 1 par quatre voix contre trois en considérant que l’interprétation excessivement formelle retenue par la Cour suprême avait porté atteinte à l’équité procédurale dans la mesure où les erreurs commises par les autorités publiques « ne devaient pas être corrigées au détriment des personnes concernées » (6 sept. 2016) – la Grande chambre conclut unanimement que cette restriction de l’accès à une juridiction supérieure n’était pas disproportionnée.
Considérant que la fixation d’un seuil de ressort vise « à garantir que la Cour suprême ne soit appelée à traiter que d’affaires présentant un niveau d’importance seyant à son rôle », comme le contrôle qu’elle exerce sur la fixation de la valeur du litige par les juridictions inférieures vise la prééminence du droit et la bonne administration de la justice, la Grande chambre examine la proportionnalité de la mesure contestée à ces buts légitimes en reconnaissant à l’État une large marge d’appréciation, au triple motif que la cause avait été examinée par deux degrés de juridiction, qu’aucune question ne se posait sous l’angle d’un manque d’équité et que le contrôle de la Cour suprême se limitait à vérifier la bonne application du droit interne. Estimant que les conditions d’ouverture d’un pourvoi, établies par une jurisprudence constante de la Cour suprême, étaient prévisibles en dépit de la modification tardive de la valeur de l’objet du litige, elle considère que des actes de procédure erronés ne pouvaient faire naître aucune « attente légitime » 27 et que les erreurs constatées étaient « principalement et objectivement imputables à la requérante » (§ 120-121), laquelle était représentée par un avocat et avait notamment « le droit de fixer la valeur de l’objet du litige à un montant qui ne correspondait pas nécessairement à la valeur marchande des biens litigieux » (§ 116). Ainsi, l’interprétation du droit interne adoptée par la Cour suprême n’était ni arbitraire ni manifestement déraisonnable, le fait que les juridictions aient commis l’erreur de se baser sur le montant modifié ne pouvant « passer pour justifier l’erreur faite par la requérante dans la manière dont elle a demandé la modification de la valeur du litige », car cela « serait contraire au principe de la prééminence du droit, à l’exigence d’une conduite diligente et correcte de la procédure et à la prudence dans l’application des règles de procédure pertinentes » (§ 119). Sans excès de formalisme, la décision rendue visait donc, au contraire, sécurité juridique et bonne administration de la justice. Ne pouvant se trouver liée par une erreur de tribunaux inférieurs alors que le droit interne l’autorisait à filtrer les affaires, la Cour suprême avait « simplement rétabli la prééminence du droit après un acte de procédure erroné accompli par la requérante et les deux juridictions inférieures » (§ 123).
Résultant d’un dessaisissement de la chambre (déc., 13 sept. 2016), le dernier arrêt (Gde ch., 4 avr. 2018, Correia de Matos c/ Portugal, n° 56402/12) – dans lequel la Grande chambre conclut difficilement (neuf voix contre huit) que l’obligation faite à un avocat d’avoir lui-même recours à un défenseur dans une procédure pénale n’emportait violation ni du droit à l’assistance (art. 6 § 3 c) ni du droit à un procès équitable à travers le principe de l’égalité des armes (art. 6 § 1) – déçoit. En effet, validant le raisonnement des juges nationaux (qui soulignaient que la réglementation ne visait pas à restreindre les droits de la défense mais à protéger les accusés dans les affaires susceptibles d’aboutir à une peine privative de liberté ou à une ordonnance d’internement), la Grande chambre le considère d’autant plus « légitime » que le requérant, qui avait été suspendu du barreau, n’était pas autorisé à fournir une assistance juridique à des tiers. Elle juge également qu’ayant déjà été inculpé d’outrage à magistrat, il existait « des motifs raisonnables de considérer que [celui-ci] n’avait peut-être pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite effective par un accusé de sa propre défense » (§ 154). Eu égard à l’ensemble du contexte procédural et à la latitude dont jouissait le requérant pour « peser sur la façon de conduire sa défense » et d’y « participer activement », elle estime que cette obligation reposait sur des raisons « pertinentes et suffisantes » visant à garantir « une bonne administration de la justice et un procès équitable respectant le droit de l’accusé à l’égalité des armes » (§ 158-159).
Or, le raisonnement surprend : dans la mesure où rien ne permet de mettre en doute la qualité de la défense assurée au requérant ni l’équité de la procédure, les juges retiennent que « [s]es observations [et] requêtes répétées auprès de la Cour […] montrent que [s]a principale préoccupation n’était pas [cette] procédure pénale particulière […] mais son souhait de défendre sa position de principe contre l’obligation en droit portugais d’être assisté par un avocat » (§ 167). En effet, s’il n’est guère contestable, comme affirmé par la Cour d’appel, que « la mise en œuvre d’une défense en matière pénale constituait un intérêt d’ordre public », depuis quand l’intention du requérant doit-elle cependant se voir prise en compte de cette manière ? De plus, bien que la Grande chambre déclare attacher « un poids considérable » à la qualité des contrôles parlementaires et juridictionnels de la mesure litigieuse, force est de constater avec le juge Pinto de Albuquerque que l’attention qu’elle prête effectivement à ces contrôles s’avère en réalité extrêmement limitée. Plus largement, c’est toute l’argumentation adoptée qui se trouve déséquilibrée, la Grande chambre décidant de reconnaître une très large marge d’appréciation à l’État alors même que « [n]i le requérant ni le Gouvernement n’ont affirmé que les accusés pouvaient mener leur propre défense technique et soumettre des observations sur des questions de droit » mais ont « tous deux avancé l’exact opposé, de manière claire et concordante » 28. Soulignant avec la même énergie que la Cour se livre ici à un examen de divers critères qui fut rendu impossible aux juridictions portugaises par le droit interne, lequel aboutit « de facto [à] une interdiction absolue d’assurer sa propre défense » 29, les juges Tsotsoria, Motoc et Mits critiquent eux aussi très durement la solution adoptée, qui ne fait guère de cas de l’harmonisation du droit international des droits de l’homme en s’opposant nettement à la solution rendue par le Comité des droits de l’homme sur le fondement de l’article 14 § d) du Pacte sur la communication n° 1123/2002 (28 mars 2006), qui concernait le requérant. Ainsi, c’est en fait à double titre que l’on peut déplorer une occasion manquée…
B- Les relations avec le droit de l’Union européenne
Dans l’affaire Baydar c/ Pays-Bas (24 avr. 2018, n° 55385/14), tout d’abord, la Cour conclut à l’unanimité qu’une cour supérieure nationale peut refuser sommairement de saisir la CJUE d’une question préjudicielle dès lors que les griefs sous-tendant le pourvoi ne font apparaître aucun point de droit à trancher. S’appuyant sur une directive et une décision-cadre du Conseil, le requérant soutenait que la cour d’appel n’avait pu à bon droit considérer que le passage de migrants irakiens – pour la traite desquels il avait été condamné – par les Pays-Bas et l’Allemagne (où ils avaient été interceptés) alors qu’il les emmenait au Danemark pouvait s’assimiler à un « séjour ». Mais la Cour de cassation avait refusé de donner suite à sa demande de renvoi préjudiciel visant à ce que la CJUE définisse ce terme au sens du droit de l’Union tel qu’appliqué dans le code pénal néerlandais.
Soulignant que, si la confiance du public dans un système judiciaire « objectif et transparent » repose sur l’État de droit et la prévention de l’arbitraire, la Convention ne garantit pas cependant « en tant que tel le droit à voir une affaire transmise par une cour nationale à une autre ou à la Cour de justice de l’Union européenne par la voie d’un recours préjudiciel » (§ 39), la Cour précise que les obligations découlant de l’article 6 § 1 n’impliquent pas qu’une réponse détaillée doive être apportée à chaque argument mais exigent au contraire un examen au cas par cas. Rappelant sa jurisprudence Dhahbi c/ Italie (8 avril 2014, n° 17120/09) pour noter que le rejet d’un grief « par simple référence aux dispositions légales pertinentes » n’est pas contraire à cet article dès lors qu’il ne soulève aucune « question de droit fondamentale » (§ 46), elle applique ce principe « dans le cadre des procédures accélérées » (§ 50). Jugeant que la possibilité de déclarer irrecevable ou de rejeter par un raisonnement sommaire un pourvoi en cassation comprenant une demande de renvoi préjudiciel qui n’impliquait pas de trancher un point de droit important était ici justifiée par la nécessité de garantir la durée raisonnable de la procédure et de permettre aux cours de cassation de « se concentrer efficacement sur leurs tâches principales » (§ 47), l’application uniforme et l’interprétation correcte de la loi, elle considère d’évidence qu’une juridiction n’a pas à poser une question préjudicielle lorsqu’un pourvoi est rejeté, puisque l’affaire ne soulève pas de question de droit à trancher, le droit de l’Union n’obligeant d’ailleurs pas les juridictions nationales à poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions d’interprétation de ce droit soulevées devant elles auxquelles la réponse serait « sans incidence sur l’issue de l’affaire » (§ 49). Se bornant donc à vérifier que les décisions rendues n’étaient ni « entachées d’arbitraire » ni « manifestement déraisonnables » (puisque la Cour de cassation avait dûment examiné les moyens du pourvoi et entendu l’avis consultatif de l’avocat général), elle ne constate aucun apparent défaut d’équité dans la procédure et conclut à la non-violation de l’article 6.
Dans l’affaire Pirozzi c/ Belgique (17 avr. 2018, n° 21055/11), ensuite, le requérant, condamné en Italie à 14 ans d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants, avait été arrêté par la police belge en exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) et remis aux autorités italiennes. Les pièces relatives aux moyens mis en œuvre pour le localiser et l’arrêter n’ayant pas été versées au dossier du parquet, il alléguait, d’une part, avoir été victime d’une arrestation illégale, faute pour les juridictions italiennes d’avoir pu contrôler la légalité et la régularité de ces moyens et, d’autre part, que sa remise aux autorités italiennes portait atteinte à son droit à un procès équitable du fait de cette absence de contrôle alors que ce mandat se basait sur une condamnation prononcée au terme d’une procédure par contumace.
Quant au grief relatif à l’article 5 § 1, la Cour conclut à la non-violation après avoir constaté que le MAE délivré « constituait un titre d’arrestation » et que la loi belge « conf[érait] aux services de police la tâche de rechercher les personnes dont l’arrestation est prévue par la loi, de s’en saisir, de les arrêter et de les mettre à la disposition des autorités compétentes » (§ 46). La procédure ayant été respectée, l’arrestation avait donc bien été effectuée « selon les voies légales », nonobstant le fait que les juridictions belges s’étaient déclarées incompétentes pour examiner les opérations préalables ayant permis de localiser puis d’arrêter le requérant. En effet, en l’absence d’« indices factuels attestant de manœuvres abusives de la part des services de police », la légalité de sa privation de liberté « ne dépendait pas […] de la légalité des opérations préalables […] étrangères à l’arrestation […] qui en aurait résulté » 30.
Quant au grief relatif à l’article 6 § 1, au vu de « l’importance des mécanismes de reconnaissance mutuelle pour la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et de la confiance mutuelle qu’ils nécessitent » (§ 59), la Cour souligne que le système du MAE – qui « concrétise » ce principe de reconnaissance mutuelle « dans le domaine dont l’objectif est d’assurer la libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale » (§ 59) – ne se heurte pas, « en soi » à la Convention (§ 60). Puis, rappelant que la création de cet espace, « entièrement légitime » au regard de la Convention, ne peut néanmoins attenter aux droits fondamentaux dans ses « modalités de création », elle précise que « lorsque les autorités internes mettent en œuvre le droit de l’UE sans disposer d’un pouvoir d’appréciation, la présomption de protection équivalente établie dans l’arrêt Bosphorus [de 2005] s’applique », les mécanismes de reconnaissance mutuelle « oblige[a]nt le juge à présumer le respect suffisant des droits fondamentaux par un autre État membre » (§ 61). S’agissant d’une présomption réfragable, son contrôle consiste alors à vérifier que le principe de reconnaissance mutuelle « n’est pas appliqué de manière automatique et mécanique » (§ 62), les juridictions nationales lui donnant pleinement effet « en l’absence de toute insuffisance manifeste des droits protégés par la Convention » 31. Toutefois, la Cour considère ici que celles-ci ne peuvent, en revanche, renoncer à examiner un grief « sérieux et étayé » (§ 64) alléguant pareille insuffisance à laquelle le droit de l’Union ne permettrait pas de remédier, puisqu’il leur appartient d’assurer l’application de celui-ci conformément à la Convention. Dans la mesure où c’était aux autorités judiciaires italiennes qui l’avaient délivré d’apprécier la légalité et la régularité du mandat, le fait que le ministère public belge n’ait joui d’aucun pouvoir d’appréciation « quant à l’opportunité de l’arrestation » et que les juridictions n’aient pu « en refuser l’exécution que pour les motifs fixés par la loi belge » n’est pas contraire à la Convention dès lors que le bien-fondé des griefs tirés de celle-ci a bien été examiné, les juges belges ayant vérifié que l’exécution du mandat n’entraînait pas une telle « insuffisance manifeste ».
Quant à la condamnation par contumace, la situation du requérant 32 n’exigeait pas que les juridictions belges refusent l’exécution du MAE, alors même que la loi les y autorisait. Sa mise en œuvre n’était dès lors « pas entachée d’une insuffisance manifeste susceptible de renverser la présomption de protection équivalente dont bénéficient tant le système du MAE – tel que défini par la décision-cadre et précisé par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne – que sa mise en œuvre par le droit belge », ni la remise du requérant aux autorités italiennes « basée sur un procès constituant un déni de justice flagrant » (§ 71).
Céline Husson-Rochcongar
IV- Des garanties réduites dans le domaine de l’asile
Moins sensible aux difficultés matérielles des individus qu’à celles auxquelles sont confrontées les autorités, la Cour a rendu au cours du premier semestre 2018 des arrêts d’espèce qui déçoivent tant sur le problème des rétentions aux frontières extérieures de l’Union (A) que sur la question des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres (B), neutralisant à chaque fois le critère de la vulnérabilité des intéressés (C).
A- La légitimation des enfermements à fins d’identification et d’enregistrement aux frontières extérieures
Portant sur la détention de trois ressortissants afghans, demandeurs d’asile, dans un « hot spot » grec en vue d’un renvoi vers la Turquie conformément à la très controversée Déclaration UE – Turquie du 18 mars 2016 33, l’affaire J.R. et autres c/ Grèce (25 janv. 2018, n° 22696/16) confronte un des instruments-clés mis en place par l’UE dans la crise migratoire à deux droits essentiels protégés par la Convention : le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5) et le droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants (art. 3). Même si le risque d’un refoulement arbitraire n’était pas constitué en l’espèce 34, l’enjeu de principe était donc d’importance. Destinés à sécuriser les frontières extérieures à des points soumis à forte pression, les « hot spots » sont en effet des « centres d’accueil, d’identification et d’enregistrement » censés recevoir le concours de plusieurs Etats afin de déterminer rapidement lesquels des migrants pourraient être admis sur un territoire européen au titre de l’asile et ceux dont l’entrée ne saurait à l’inverse, être autorisée. Aussi l’institution de ces centres de crise n’a-t-elle pas manqué de susciter les plus vives interrogations quant à l’enfermement massif de tous les migrants sans discernement, quant à l’effectivité de l’accès aux procédures de l’asile et quant au respect de la dignité humaine. Sous ce prisme, l’arrêt ne satisfera cependant guère ceux qui en auraient espéré un rappel rédempteur aux droits de l’homme. Certes, il n’appartient pas à la Cour de statuer sur des questions qui débordent les griefs dont elle est saisie. Mais il n’en est pas moins permis de regretter qu’en dehors de la violation alléguée (et reconnue) de l’article 5§2 pour manque d’informations adéquates et absence d’assistance juridique, des analyses passablement lénifiantes contribuent à diluer les droits des demandeurs d’asile dans les impératifs publics de gestion des flux.
Concernant l’article 5§1, la grille de contrôle reste très classique. Au titre de l’applicabilité, on pointera toutefois la différenciation que la Cour établit (non sans biaiser quelque peu la jurisprudence Amuur c/ France dont elle se réclame) 35 entre la restriction à la liberté imposées aux réfugiés dans les centres d’accueil, d’identification et d’enregistrement des migrants fraîchement arrivés et celle subie dans les centres de rétention par les étrangers qui sont en attente d’expulsion ou de reconduite à la frontière (§ 84). Car de facto, les uns comme les autres peuvent pourtant être soumis aux mêmes conditions au sein des « hot spots », de sorte que la distinction semble davantage relever d’une pétition de principe que d’une réalité. Cette première considération n’empêchant néanmoins pas de constater l’existence d’une privation de liberté jusqu’à transformation du hot spot en centre semi-ouvert, on retiendra ensuite et surtout l’indication qu’une détention d’une durée d’un mois ne doit pas, « en principe », être considérée comme un délai excessif pour l’accomplissement des formalités administratives (§ 114). L’absence d’arbitraire étant encore corroborée par un rappel purement abstrait des conditions et garanties prévues en droit interne, la conclusion de non-violation ne convainc pas, malgré sa belle unanimité, en faisant notamment l’impasse sur l’exigence d’un lien entre les motifs et le régime de la détention 36 alors que les trois requérants étaient accompagnés de deux jeunes enfants (cf infra).
Concernant l’article 3 et les conditions matérielles de détention au sein du hot spot, les appréciation paraissent à cet égard d’autant plus expéditives que plusieurs ONG ont confirmé dans leurs rapports certaines des allégations des requérants (§§ 141-142). L’argument de la surpopulation et de la promiscuité est ainsi balayé faute d’être étayé par le nombre des mètres carrés disponible dans les conteneurs où étaient hébergés les migrants (§ 144), tandis que la brièveté de la privation de liberté est à nouveau mise en exergue pour justifier que le seuil de gravité requis ne soit pas atteint en l’espèce (§§ 145-146). Comme dans l’arrêt Khlaifia et autres c/ Italie 37, sur lequel elle s’appuie d’ailleurs, la Cour entend visiblement garder à l’esprit les difficultés exceptionnelles auxquelles les autorités nationales avaient dû faire face à l’époque litigieuse (§ 143 et §§ 138-139). L’interdiction absolue des traitements inhumains et dégradants s’en trouve singulièrement relativisée.
Quoiqu’avec d’autres motifs, c’est encore le cas en matière de conditions d’accueil des demandeurs d’asile.
B- La banalisation de la précarité de l’accueil
En concluant à une violation de l’article 3 à raison des conditions d’existence d’un demandeur d’asile en Grèce, l’arrêt M.S.S. 38 avait paru ouvrir la voie à une obligation conventionnelle d’assurer à cette population des conditions d’accueil conformes à la dignité humaine – du moins dans les chefs des Etats parties, membres de l’Union, liés à ce titre par la directive 2003/09 établissant des normes minimales communes en la matière. Loin d’accréditer cette évolution qui aurait été souhaitable eu égard à la situation matérielle dramatique dans laquelle peuvent se trouver de nombreux demandeurs dans l’attente de leur enregistrement en Préfecture 39, voire durant l’examen de leur demande 40, l’arrêt N.T.P. c/ France (24 mai 2018, n° 68862/13) tend plutôt à circonscrire la caractérisation des traitements inhumains et dégradants à des hypothèses de complet dénuement, où l’inertie de l’administration abandonne les intéressés à eux-mêmes.
Alors que deux autres affaires mettant également en cause les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en France ne semblent pas avoir eu de suites depuis leur communication 41, la Cour oppose ici au griefs des requérants – une ressortissante congolaise et ses trois enfants âgés de 2, 3 et 4 ans, n’ayant disposé pendant trois mois que d’un hébergement de nuit dans un foyer associatif – qu’ils avaient néanmoins pu faire face à leurs besoins élémentaires et que les autorités n’étaient pas restées indifférentes à leur situation. D’une part, deux des enfants avaient été scolarisés en école maternelle, où ils déjeunaient à la cantine tandis que l’hébergement de la famille au foyer, financé par des fonds publics, assurait un petit déjeuner et un dîner chaud ainsi que l’accès à des sanitaires ; de l’aide avait été fournie par d’autres ONG ou par des paroisses pour leur alimentation et leur habillement ; l’accès au régime général de l’assurance maladie avait permis un suivi médical (§ 45). D’autre part, la convocation en préfecture, trois mois après leur arrivée, leur ouvrait la perspective de voir leur situation s’améliorer (§ 47). Cette motivation abrupte, articulée autour de la technique du distiguishing, banalise ainsi une situation très précaire – tributaire de l’action et des moyens d’associations caritatives – sous prétexte qu’elle est moins pire que d’autres, sans égard pour les affres qu’ont dû pourtant connaître une mère et sa fillette, contraintes d’errer dans les rues d’une ville étrangère, de 7 h 30 du matin jusqu’à 19 h le soir, du 18 août au 20 novembre, en quête d’un refuge dans une permanence associative. C’est faire beau jeu de la qualification d’un traitement comme dégradant au sens de l’article 3 « s’il témoigne d’un manque de respect pour la dignité d’un individu, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique » 42. Et c’est encore plus négliger que l’Etat est censé protéger, au titre des articles 1 et 3 de la Convention, l’intégrité physique et morale des personnes vulnérables.
C- La neutralisation répétée du critère de la vulnérabilité
Au-delà de l’identification d’une situation de « vulnérabilité inhérente à la qualité de demandeur d’asile » (§ 233), l’arrêt M.S.S. c/ Grèce et Belgique 43 avait marqué par l’affirmation que les demandeurs d’asile constituent un « groupe de la population particulièrement défavorisée et vulnérable qui a besoin d’une protection spéciale » (§ 251) – ce qui avait clairement pesé dans l’appréciation des conditions de détention aussi bien que d’existence du requérant en Grèce et contribué à la conclusion de violation de l’article 3 sous ce double chef. A rebours de cette jurisprudence, les motifs développés par la Cour dans ses deux arrêts J.R. et autres c/ Grèce (préc.) et N.T.P. et autres c/ France (préc.) n’intègrent pourtant guère cette considération.
S’agissant du contrôle des conditions de détention au sein d’un hot pot, ni la vulnérabilité des demandeurs d’asile, ni celle des enfants mineurs ne sont même évoquées dans l’arrêt J.R.. L’omission dans les principes généraux comme dans l’application à l’espèce est étonnante, et les explications qu’on pourrait lui trouver restent fragiles. Primo, il ne serait guère cohérent avec la différenciation postulée – sur le terrain de l’article 5 – entre les restrictions de liberté imposées aux réfugiés et celles subies par les étrangers en rétention (cf. supra) de supposer que l’absence de référence à la vulnérabilité des demandeurs d’asile tienne à la mixité des flux filtrés dans les centres d’accueil, d’identification et d’enregistrement, où s’y mêlent des migrants irréguliers (dont la propre vulnérabilité est peu actée vis-à-vis de l’Etat). Secundo, si l’hypothèse est alors que la Cour s’est dispensée de mentionner une vulnérabilité catégorielle parce qu’elle a déjà pu être jugée insuffisante – suivant certains précédents 44 – pour influer sur la qualification des conditions de détention en l’absence de facteurs plus spécifiques et personnels (tenant par exemple à l’âge, ou à l’état de santé), on peine néanmoins à comprendre son indifférence à la circonstance que les requérants étaient accompagnés de deux enfants, de 4 et 7 ans, qui ont subi la même détention, sans que des aménagements spécifiques aient apparemment été prévus. Tertio, à envisager que le juge de la Convention n’a finalement accordé aucune considération à la vulnérabilité de ces mineurs pour la bonne raison qu’aucune requête n’avait été introduite en leur nom, contrairement aux causes qui lui ont été portées en matière de rétention des familles accompagnés de mineurs 45, on observera qu’une requête en bonne et due forme n’a pourtant pas modifié sa posture dans l’affaire N.T.P.
S’agissant du contrôle des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, la vulnérabilité des enfants mineurs est certes rappelée au titre des principes généraux (alors que l’ellipse sur la protection spéciale due aux demandeurs d’asile reste, pour le coup, aussi inexplicable que contestable). Pour autant, elle-même n’emporte aucune conséquence dans l’application à l’espèce, où la Cour occulte jusqu’au cas particulier de la quatrième requérante, sans prendre la peine de relever ni, a fortiori, d’évaluer au regard de l’article 3 les effets psychiques, sur une fillette de deux ans, d’une errance quotidienne durant trois mois pour trouver un refuge de jour et un déjeuner, fût-elle accompagnée par sa mère… Manifestement, la juridiction européenne est plus attentive aux angoisses induites par l’environnement carcéral des centres français de rétention 46.
Aussi le sentiment se crée-t-il d’un jeu de « deux poids-deux mesures » dans la prise en considération de la vulnérabilité selon les cas et les types de contentieux.
Caroline Boiteux-Picheral
V – La protection protéiforme des populations vulnérables
En dehors des demandeurs d’asile (cf. supra, rubrique IV), bien d’autres individus ou catégories de sujets sont caractérisés par leur vulnérabilité dans la jurisprudence européenne. A survoler la période du premier semestre 2018, il peut s’agir d’une personne internée, sous l’entier contrôle de psychiatres entendant lui faire adopter un point de vue critique à l’égard de sa religion (Cour EDH, 27 févr. 2018, Mockuté c/ Lituanie, n°66490/09, § 125), d’un homme âgé et en état d’ébriété, soumis à une technique d’immobilisation policière dangereuse (Cour EDH, 21 juin 2018, Semache c/ France, n° 36083/16, § 88 et § 92), d’une jeune femme, victime d’exploitation sexuelle (Cour EDH, 19 juil. 2018, S.M. c/. Croatie. n°60561/14, § 80)… Dans chacun de ces cas et selon la cause, le critère de la vulnérabilité peut jouer de manière distincte et servir à établir dans les exemples cités, soit l’existence d’une ingérence dans la liberté de conscience, soit l’existence d’un manquement aux obligations matérielles au titre de l’article 2, soit une méconnaissance des obligations procédurales résultant de l’article 4. A travers cette diversité de figures et de fonctions se dessine néanmoins des lignes de fond, que d’autres arrêts encore mettent en relief, s’agissant des devoirs des Etats envers les enfants (A), les personnes handicapés (B) et les personnes dépendantes de la protection sociale (C).
A- Une obligation de protection renforcée à l’égard des enfants
Alors que la protection due aux enfants tend à devenir un principe général transversal dans le droit de la Convention, divers arrêts récents développent une dynamique qui accuse – directement ou indirectement – l’obligation pour l’Etat de prendre des mesures raisonnables propres à préserver leur intégrité physique et morale et empêcher qu’ils ne soient l’objet de sévices en présence de faits ou de risques réels dont les pouvoirs publics avaient (ou auraient dû avoir) connaissance, y compris lorsque les mauvais traitements sont administrés par des particuliers 47.
Cette obligation innerve directement l’arrêt V.C. c/ Italie (1er févr. 2018, n°54227/14) qui condamne un manque de diligence du tribunal pour enfants et, surtout, des services sociaux dans l’application des mesures de protection demandées par le Parquet, sur signalement des parents, à l’égard d’une mineure, toxicomane, victime d’un réseau de prostitution d’enfants, puis d’un viol en réunion précisément survenu dans l’intervalle de 4 mois entre la décision et la réalisation effective de son placement dans un établissement spécialisé. A travers cette affaire, qui se conclut par un constat prévisible de violation des articles 3 et 8 combinés, la « vulnérabilité particulière » des requérants se confirme donc à la fois comme un critère assumé de qualification des traitements subis (§§ 83-84) et comme un élément renforçateur des devoirs incombant à l’Etat (§ 110), à l’instar de ce qui a pu déjà être relevé dans le contentieux des violences domestiques 48. L’obligation de protection constitue aussi l’enjeu, sous une autre forme, de l’affaire Hadzhieva c/ Bulgarie (1er février 2018, n° 45285/12), où la requérante – âgée de 14 ans seulement à l’époque des faits – reprochait aux autorités de ne pas s’être assurées des conditions de sa prise en charge lorsque ses père et mère, sous le coup d’une demande d’extradition, ont été arrêtés et détenus pendant 13 jours. Outre son contexte inédit, du moins sous l’angle de l’article 8 49, l’intérêt de l’arrêt est de mesurer alors la responsabilité de l’Etat envers l’enfant à l’aune de l’attitude et du niveau socio-professionnel des parents, dont l’avocat était de surcroît le voisin. La mère ayant affirmé lors de sa première audition qu’il y avait quelqu’un pour s’occuper de la requérante, l’Etat se voit dédouané pour toute la période subséquente et n’est jugé avoir failli à son devoir de vigilance et de soins que pendant l’intervalle de deux jours entre l’arrestation et ladite audience.
Mais l’importance attachée à la protection des enfants en fonction de leur vulnérabilité se manifeste également de façon indirecte, quand elle exerce une fonction légitimante à l’égard des décisions contestées devant la Cour. Cette configuration trouve une illustration significative dans le contentieux des placements d’enfants, avec l’arrêt Tlapak et autres c/ Allemagne (22 mars 2018 n°11308/16 et 11344/16) 50 concernant une violation alléguée du droit au respect de la vie familiale. En effet, le besoin pour les mineurs de bénéficier du secours de l’Etat lorsque leur bien-être physique et moral est menacé (§ 87) contribue largement à justifier qu’en l’occurrence, les requérants aient été partiellement déchus de leur autorité parentale et séparés de leurs enfants, à raison des punitions corporelles qu’ils leur infligeaient régulièrement avec des baguettes selon la doctrine de leur mouvement religieux en matière éducative. Ajoutés aux garanties dont se sont entourées les procédures internes, la nature même des châtiments (ressortant au type de traitements interdits par l’article 3) et leur fondement dogmatique (qui faisait craindre leur perpétuation) emportent ainsi la conviction du juge européen, malgré la gravité de l’ingérence. C’est dire que l’obligation positive d’empêcher la maltraitance des enfants prévaut in fine sur celle visant à « déployer des efforts adéquats et suffisants » pour préserver le lien familial 51.
A la lumière des arrêts Tlapak et surtout Hadhzieva, il reste à noter, néanmoins, combien le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant peut corroborer – voire éclipser – l’argument de la vulnérabilité, dans l’appréciation des responsabilités imputées aux Etats.
B- Une obligation nouvelle d’aménagements en faveur des personnes handicapées
Bien qu’itérativement rappelé 52 le principe selon lequel l’interdiction des discriminations peut requérir des traitements différenciés pour corriger une inégalité ne s’est pas si souvent concrétisé en contentieux européen. Il reçoit une application constructive dans l’affaire Enver Şahin c/ Turquie (30 janv. 2018, n° 23065/12), qui marque une avancée importante de la jurisprudence relative aux droits des personnes handicapés, à la faveur d’une interprétation doublement systémique de la Convention.
Etudiant devenu paraplégique à la suite d’un accident, le requérant se plaignait en l’occurrence d’avoir été empêché de poursuivre ses études, faute de travaux lui rendant les locaux universitaires accessibles et praticables. Ses griefs sont alors l’occasion pour la Cour de consacrer, dans le sillage de l’arrêt Çam c/ Turquie 53 mais de façon plus manifeste, une véritable obligation de faire au titre de l’interdiction des discriminations, non seulement dans la jouissance du droit d’accès à l’éducation (ici en cause) mais aussi plus largement de tous les droits protégés par la CEDH. En effet, il est désormais acquis qu’incorporant – dans une première forme d’interprétation systémique – les exigences posées par la Convention des Nations Unies du 30 mars 2007 relative aux droits des personnes handicapées (§ 67), le champ d’application de l’article 14 de la Convention inclut une « responsabilité pour les Etats d’assumer ‘des aménagements raisonnables’ à même de corriger des inégalités factuelles qui, ne pouvant être justifiées, constitueraient une discrimination » (§ 32). Et si conformément au principe de subsidiarité, la définition desdits aménagements est renvoyée à la compétence des autorités nationales, ces dernières n’en sont pas moins engagées à se montrer « particulièrement attentives à leurs choix dans ce domaine, compte tenu de l’impact […] sur les individus en situation de handicap, dont la particulière vulnérabilité ne peut être ignorée » (§ 68). Bien plus, sous le bénéfice d’une seconde forme d’interprétation systémique du droit à l’instruction, lu à la lumière du droit au respect de la vie privée (§ 59), et par référence à nouveau à la norme internationale (§ 70), le juge européen ne se contente pas de cette pieuse exhortation mais soumet le caractère raisonnable des aménagements au respect de l’autonomie personnelle des intéressés – ce qui suppose de se fonder sur un examen réel et individuel des besoins en prenant en considération les effets potentiels des solutions proposées sur la sécurité, la dignité et l’autonomie de la personne handicapée (§ 71, in fine). Après avoir retoqué l’argument pris de l’absence de ressources financières pour réaliser des aménagements architecturaux à court terme (§ 65), la Cour ne tient donc pas pour appropriée, en l’espèce, l’offre faite au requérant d’une aide humaine dans ses déplacements, qui l’aurait rendu tributaire d’un tiers.
S’appropriant le concept d’éducation inclusive (§ 62), martelé par le Comité européen des droits sociaux 54, l’arrêt Enver Şahin c/ Turquie fait ainsi la démonstration que loin d’être antinomiques, la prise en considération de la vulnérabilité et le principe de l’autonomie personnelle peuvent opérer de manière synergique.
C- Une obligation de précaution particulière à l’égard des personnes dépendantes de la protection sociale
Dans la ligne de l’arrêt Moskal c/ Pologne 55, l’arrêt Čakarević c/ Croatie (26 avr. 2018, n°48921/13) se signale par la sanction, au regard du droit au respect des biens, d’une exigence de « bonne gouvernance » dans le domaine des politiques sociales (§ 84) qui, sans empêcher les autorités de corriger leurs erreurs dans la distribution des ressources, leur impose toutefois d’agir dans des délais convenables, de manière appropriée et cohérente, en veillant notamment à ce que les personnes concernées par cette rectification n’en pâtissent pas excessivement . D’abord consacré dans le cadre du droit à un procès équitable 56, le principe selon lequel l’Etat ne saurait faire payer le prix de ses bévues aux intéressés avait déjà été transposé à l’interprétation du droit au respect des biens, concernant l’annulation d’un titre de propriété sans compensation 57 puis le retrait d’une pension attribuée par erreur et tardivement remplacée par une prestation de moitié inférieure (Moskal c/ Pologne, préc., § 73). L’affaire Čakarević lui confère néanmoins une nouvelle coloration, dès lors que la requérante ne contestait pas ici une cessation de versement qui la priverait d’une source de revenus mais l’obligation qui lui était imputée de rembourser le montant – majoré des intérêts légaux – d’une indemnité chômage pour toute la période (de presque trois ans) où cette prestation de sécurité sociale avait continué de lui être servie après expiration du délai légal (§ 80). Le fait que cette obligation de remboursement procède exclusivement d’une erreur de l’administration elle-même, sans qu’aucune fraude puisse être reprochée à l’intéressée, justifie alors d’autant plus que la marge d’appréciation traditionnellement consentie aux Etats en matière de politique économique et sociale soit réduite (§ 78) – l’iniquité de la condamnation pour enrichissement sans cause étant encore accentuée par la relative indifférence des autorités administratives et judiciaires aux conséquences sur la situation personnelle de la requérante (§ 89). C’est donc également par égard au piètre état de santé de cette dernière et à son manque de ressources économiques que l’obligation de remboursement – même échelonnée sur six mois- est jugée constituer une charge individuelle excessive au regard de la première norme de l’article 1 Protocole I.
Si la Cour n’use pas expressément de l’argument de la vulnérabilité et si d’autres arrêts condamnant une cessation ou une réduction d’allocation suggèrent mieux l’évolution vers une protection par ricochet du droit de bénéficier de ressources pour assurer sa subsistance 58, la logique à l’œuvre en l’occurrence ne rejoint pas moins, là encore, celle du Comité européen des droits sociaux dans l’idée d’une obligation de précaution particulière à l’égard des catégories de la population les plus vulnérables.
Caroline Boiteux-Picheral
VI – De l’étendue du contrôle européen sur les mesures de localisation et de surveillance des salariés : évolution ou révolution ?
A- Surveillance des salariés : applications contrastées des « critères Barbulescu »
Le souci du juge européen de revêtir l’habit du « juge pédagogue » l’a conduit ces dernières années à systématiser dans quelques domaines sa jurisprudence par le biais de critères d’appréciation de la proportionnalité. On le sait, ce phénomène particulièrement marquant dans le domaine des conflits de droits a été étendu à d’autres hypothèses. Ainsi, dans l’arrêt de Grande chambre Barbulescu c/ Roumanie 59, la Cour a mis au jour une liste de critères permettant d’apprécier la conventionnalité de mesures de surveillance des salariés dans le contexte de leur vie professionnelle. Dans cette affaire, le constat de violation du droit au respect de la vie privée et de la correspondance du salarié fut justifié par le fait que les juges nationaux n’avaient pas vérifié s’il avait été préalablement averti par son employeur de la possibilité que ses communications électroniques soient surveillées. Décidément, ce contentieux continue à prospérer devant la Cour européenne. Les arrêts Libert c/ France (22 févr. 2018, n° 588/13) et Lopez Ribalda et a. c/ Espagne (9 janv. 2018, n° 1874/13, renvoyée en Gde ch.) constituent des applications intéressantes mais contrastées du mode d’emploi Barbulescu.
Sur le terrain de l’applicabilité de l’article 8 tout d’abord, l’arrêt Libert c/ France apporte des précisions importantes mais pas nécessairement rassurantes. En l’espèce, était en cause le licenciement d’un employé de la SNCF après que la saisie de son ordinateur par son employeur a révélé le stockage de fichiers à caractère pornographique et de fausses attestations réalisées au bénéfice de tiers. Assez logiquement, la Cour européenne a fait la sourde oreille à l’argument du gouvernement français selon lequel « la SNCF ne pouvait être regardée à la date des faits ou de l’introduction de la requête comme une autorité publique, au sens du second paragraphe de l’article 8 » (§ 21) en estimant qu’il concernait le fond de l’affaire et non l’applicabilité de cette disposition. A ce stade, il lui suffit de relever qu’elle « peut donc admettre que, dans certaines circonstances, des données non professionnelles (…) sont susceptibles de relever de sa vie privée » (§ 25), d’autant qu’en l’espèce la SNCF avait toléré que « ces agents utilisent ponctuellement à titre privé les moyens informatiques mis à leur disposition » (§ 25). Cette formulation sibylline intrigue et est, par conséquent, source d’interrogations dès lors qu’elle suggère, a contrario, que dans certaines circonstances, le salarié n’aurait aucune espérance légitime au respect de sa vie privée. La Cour aurait été mieux inspirée d’opter pour la formulation plus audacieuse de « la vie privée sociale sur le lieu de travail » issue de l’arrêt Barbulescu. Dans l’arrêt Lopez Ribalda relatif à la vidéosurveillance dissimulée d’employées d’une chaîne espagnole de supermarchés, elle est d’avis, conformément à une jurisprudence européenne des plus constantes, que « la surveillance vidéo secrète d’un salarié sur son lieu de travail doit être considérée comme une ingérence considérable dans sa vie privée » (§ 59).
Sur le terrain de la proportionnalité des mesures de surveillance, ensuite, les arrêts rendus illustrent une application contrastée du mode d’emploi Barbulescu. En effet, la méthode diffère dans l’affaire Libert. Alors que dans l’arrêt Barbulescu l’atteinte au droit au respect de la vie privée était le fait d’un employeur privé – ce qui amena la Cour à envisager l’affaire sous l’angle des obligations positives – , en l’espèce était en cause une ingérence d’une autorité publique – la SNCF – au sens de l’article 8 de la Convention. Le rejet de l’argumentation farfelue du gouvernement français – qui appelait la Cour à ne pas se prononcer sur l’ingérence au motif que la SNCF n’est pas une autorité publique – était particulièrement aisé. Comme si la qualification de la SNCF en personne morale de droit privé aurait changé la donne ! Ce faisant, il convient, selon la Cour, de raisonner en termes d’obligations négatives et de vérifier notamment si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique. La dimension horizontale n’est pas totalement absente de l’arrêt puisque la Cour considère que l’ingérence visait à garantir la protection des « droits (…) d’autrui », « ceux de l’employeur, qui peut légitimement vouloir s’assurer que ses salariés utilisent les équipements informatiques qu’il met à leur disposition pour l’exécution de leurs fonctions en conformité avec leurs obligations contractuelles et la règlementation applicable » (§ 46). Cette angle d’analyse mixte n’empêche pas toutefois la Cour de se placer sous les auspices du mode d’emploi Barbulescu en vérifiant notamment que les mesures de surveillance de la correspondance et des autres communications, « quelles qu’en soient l’étendue et la durée, s’accompagne[nt] de garanties adéquates et suffisantes contre les abus » (§ 47). Comme il a déjà été observé 60, la mise au jour de critères d’appréciation de la proportionnalité va de pair avec une valorisation du principe de subsidiarité. De ce lien, l’arrêt Libert constitue un témoignage supplémentaire en ce qu’il renvoie constamment en les validant aux appréciations des juges nationaux. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour le besoin de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir en dehors de sa présence, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels » 61. Au cas d’espèce, la question centrale était celle de savoir si les fichiers litigieux, ouverts hors la présence du requérant, constituaient des fichiers « personnels ». La Cour répond par la négative en reprenant à son compte le raisonnement des juges internes, en particulier celui de la Cour d’appel d’Amiens qui jugea que la dénomination des fichiers litigieux « D:/données personnelles » visait bien des documents professionnels et que le requérant ne pouvait pas utiliser l’intégralité d’un disque dur, censé enregistrer des données professionnelles, pour un usage privé. Et de relever, à l’instar de la Cour d’appel, que la Charte informatique de l’entreprise prévoyait clairement que les informations à caractère privé devaient être clairement identifiées comme telles (§ 52). Ainsi la Cour n’entend-elle pas remettre en cause la pertinence et la suffisance des motifs invoqués par les juridictions nationales. De façon assez surprenante, le constat de non-violation de l’article 8, qui n’avait rien d’évident, est adopté à la majorité de six voix contre une. Dans une récente étude parue au JCP, le Professeur Sudre a montré que l’utilisation de la proportionnalité par la Cour était loin de répondre à une démarche rigoureuse 62. Aussi, prête à interrogation la démarche de la Cour dans l’arrêt Libert, laquelle se focalise sur le contrôle de la pertinence et suffisance des motifs sans vérifier si l’objectif poursuivi aurait pu être atteint par des « moyens et des mesures moins intrusifs ». Il s’agit là pourtant d’un critère énoncé expressément par la Cour dans son arrêt Barbulescu. Elle se contente de noter que la Cour d’appel a jugé que la mesure de radiation n’était pas disproportionnée. Quid également des garanties procédurales évoquées par l’arrêt Barbulescu qui imposent notamment d’informer au préalable le salarié de la possibilité que l’employeur prenne des mesures de surveillance. Dans le cas présent, le simple fait que le requérant n’ait pas identifié les données comme ayant un caractère « privé » semble neutraliser tout examen sérieux de ce critère.
Rien de tel dans l’arrêt Lopez Ribalda qui est plus en phase avec l’esprit de l’arrêt Barbulescu.
En l’espèce, la législation espagnole prévoyait le droit pour les requérants d’être préalablement et explicitement informés de l’existence et des caractéristiques particulières d’un système de collecte de données personnelles. Or, cette exigence n’a pas été respectée par l’employeur qui a installé un système de vidéosurveillance secrète sur les caisses sans en informer les salariés. Apparaît significatif, et pour tout dire décisif, le recours à la technique du distinguishing afin de ne pas suivre le constat de non-violation retenu dans l’affaire Kopke c/ Allemagne dans laquelle le système de surveillance vidéo était limité dans le temps et à certains employés (§ 67). Ce qui n’était pas le cas en l’espèce, puisque la surveillance avait duré plusieurs semaines et que « la décision d’adopter des mesures de surveillance s’appuyait sur une suspicion générale à l’égard de tout le personnel en raison des irrégularités qui avaient été précédemment révélées par le gérant du magasin » (§ 68). En outre et surtout, contrairement à l’arrêt Libert, la Cour opère un véritable contrôle de proportionnalité en vérifiant l’existence de « mesures moins intrusives ». Il aurait suffi alors à l’employeur d’informer clairement les employés de l’installation d’un système de vidéosurveillance ainsi que le prévoyait la loi. La Cour juge que l’Espagne n’a pas ménagé un « juste équilibre » entre les intérêts concurrents et conclut à la violation de l’article 8. La solution conforte le principe de subsidiarité en sanctionnant une pratique elle-même contraire au droit interne de l’Etat…. On souhaitera que cette heureuse conclusion ne soit pas désavouée par la Grande chambre, à laquelle l’affaire a été renvoyée le 28 mai 2018 sur demande du gouvernement espagnol. A dire vrai, on peine à saisir les raisons pour lesquelles la demande de renvoi a été acceptée par le collège des cinq juges. Et il y a de quoi être sidéré par la lecture de l’opinion dissidente du juge Dedov. Fidèle à sa posture conservatrice, le juge russe dénonce pêle-mêle le recours à la technique du distinguishing, une démarche tendant à couvrir les abus des salariés, l’importance prêtée à l’information des salariés quant au système de surveillance mis en place, la minoration des pertes subies par l’employeur … La conclusion de l’opinion dissidente est inquiétante : « les requérants ne devraient pas être légalement autorisés à tirer profit de leurs propres actes répréhensibles (…). Par conséquent, la Convention ne peut être interprétée et interprétée de manière à permettre des actes répréhensibles ». En un mot, à suivre le juge russe, le fait que l’employeur ait été victime de vols lui donnait carte blanche pour porter atteinte au droit au respect de la vie privée de ses employés…. Il y a là une curieuse façon de concevoir les droits de l’homme. Mais le juge Dedov n’en est pas là à son coup d’essai… 63.
B- Mesures de géolocalisation : un contrôle européen à géométrie variable
Dans le prolongement de l’arrêt Uzun c/ Allemagne (2 sept. 2010, n° 35623/05), la Cour européenne développe progressivement sa jurisprudence sur les dispositifs de géolocalisation. Elle entend exercer un contrôle circonstancié l’amenant à tenir compte de la nature de la mesure de géolocalisation, de la gravité de l’atteinte à la vie privée et des motifs d’intérêt général avancés par l’Etat pour la justifier. C’est ainsi qu’elle fait preuve de davantage de sévérité à l’égard des mesures de géolocalisation en temps réel par GPS. L’arrêt Ben Faiza c/ France (8 févr. 2018, n° 31446/12) témoigne de cette sévérité sur le terrain du contrôle de la base légale, la Cour stigmatisant, dans la droite ligne de la jurisprudence Kruslin (24 avr. 1990, n° 11801/85) l’imprécision de de la loi française (art. 81 CPP) « de portée très générale » (§ 58) à propos des actes susceptibles de justifier une géolocalisation en temps réel 64. L’arrêt est intéressant en ce qu’il traduit un changement d’attitude de la Cour lorsqu’est en cause une mesure de réquisition judiciaire à un opérateur de téléphonie mobile permettant une géolocalisation a posteriori (art. 77‑1-1 du CPP). Tout en admettant que l’article 71 du code de procédure pénale offre moins de garanties que par la loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, la Cour est d’avis que « la communication de la liste des cellules déclenchées par une ligne téléphonique permet certes de connaître, a posteriori, le positionnement géographique passé de l’utilisateur de cette ligne. Mais il s’agit de la transmission à l’autorité judiciaire de données existantes et conservées par un organisme public ou privé et non de la mise en place d’un dispositif de surveillance, consistant à repérer spécifiquement les déplacements qu’une personne est en train de réaliser, par le biais d’un suivi dynamique d’une ligne téléphonique ou au moyen de la pose d’une balise sur un véhicule » (§ 74). La mesure litigieuse, entourée de garanties suffisantes contre l’arbitraire (autorisation du parquet, contrôle juridictionnel) était donc bien prévue par la loi. La même indulgence est de mise au stade du contrôle de nécessité dans une société démocratique (§ 79). Ce qui est ici très net, c’est l’attention particulière prêtée par la Cour aux motifs d’intérêt général avancés par le gouvernement (lutte contre un trafic de stupéfiants de grande ampleur) pour justifier le constat de non-violation de l’article 8.
C’est en suivant cette même logique que la Cour a reconnu, dans un arrêt largement commenté 65 la conventionnalité des obligations de localisation imposées aux sportifs appartenant à un groupe dit « cible », prévue par l’ordonnance du 14 avril 2010 (18 janv. 2018, Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs c/ France, n° 48151/11). L’issue du test de conventionnalité a été en grande partie déterminée par la légitimité de la lutte contre le dopage et la protection de la santé des sportifs. A cet égard, la Cour a pu mobiliser l’interprétation consensuelle pour affirmer qu’il « existe, au regard des normes et de la pratique internationales, une communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité d’opérer des contrôles inopinés » (§ 181). Compte tenu des questions scientifiques juridiques et éthiques complexes posées par la lutte antidopage, il n’est pas étonnant qu’elle accorde une large marge nationale d’appréciation aux Etats en la matière. Toujours est-il que l’Etat doit ménager un juste équilibre entre les motifs d’intérêt général (de protection de la santé publique et de la loyauté des compétitions sportives) et le droit au respect de la vie privée des requérants. Sur ce point, on observe une certaine auto-limitation du contrôle européen qui s’oriente suivant une tendance assez répandue vers un contrôle in abstracto de la réglementation du dispositif de localisation. Les garanties procédurales contre les risques d’abus dont bénéficient les sportifs et le caractère limité dans le temps de l’obligation de géolocalisation sont autant d’arguments avancés pour justifier un constat de non-violation de l’article 8. La Cour européenne n’a pas été très sensible au plaidoyer développé par les requérants quant à l’inefficacité des contrôles réalisés. La solution conforte ainsi l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 24 février 2011 66. Les sportifs n’auront donc pas eu gain de cause dans cette affaire très médiatisée qui aura placé la Cour sous les feux des projecteurs. Très récemment, le Conseil d’Etat a confirmé la suspension d’un an du boxeur Tony Yoka (14 août 2018, n° 422878 en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 232-23 et L. 232-23-3-2 du code du sport[/foot]. Progressivement, un contentieux « sportif » se développe devant la juridiction strasbourgeoise. Le temps est peut-être venu d’y consacrer une thèse…
Mustapha Afroukh
Notes:
- « Cour européenne des droits de l’homme et droit international général (2015) », AFDI, 2016, p. 518 ↩
- Par exemple, pt. 24 et 25 du projet ↩
- https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/measures-taken-under-the-state-of-emergency-in-turkey ↩
- L’on entend par là les affaires qui ont une envergure constitutionnelle ↩
- CJUE, gde ch., 10 oct. 2017, n° C-413/15 ↩
- d’autant que les deux affaires se recoupent sur la question de l’importance à accorder aux règles pénales de prescription constitueraient ↩
- « Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (2017) », RDP, 2018, p. 1537 ↩
- 16 janv. 2018, déc. Charron et Merle-Motet c/ France, n° 22612/15 : refus d’une demande de PMA par insémination avec donneur ou fécondation in vitro opposée à deux homosexuelles ↩
- Le gouvernement s’appuyait sur la décision Gonzalez Gomez du Conseil d’Etat du 31 mai 2016 pour soutenir que le recours pour excès de pouvoir, à la disposition des requérantes, était une voie de recours effective et accessible ↩
- J.-P. Marguénaud, « Le refus de la procréation médicalement assistée à un couple d’homosexuelles mariées ou la subsidiarité otage de la proportionnalité », RTDCiv., 2018, p. 349 ↩
- sur ce point, v. T. Larrouturou, « Le Protocole n° 16 à la CEDH, nouveau terrain de rencontre des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité », RDP, 2018, p. 475. Pour une approche pluridisciplinaire de cette reconfiguration de l’office du juge de la loi, voy. le dossier publié dans cette Revue sous la direction de J. Bonnet et M. Afroukh, 2018, dossier n° 7 ↩
- Rapport d’activité | Doc. 14455 Add. 2 | 17 janvier 2018 ↩
- AJDA, 2018, p. 1770 qui évoque également les propositions d’amélioration de la procédure d’élection. Déjà en 2010, le Professeur Flauss, qui tenait la chronique à l’AJDA, déplorait des « menaces sur la composition de la Cour européenne », 2010, p. 2362 ↩
- s. 17 juill. 2018, n° 38004/12, v. obs. L. Burgorgue-Larsen, chron. préc. ↩
- v. C. Husson-Rochcongar, « La redéfinition permanente de l’État de droit par la Cour européenne des droits de l’homme », Civitas Europa, 2016/2, n° 37, p. 183-220 ↩
- Cour EDH, déc., 30 avr. 2013, Uzun c/ Turquie, n° 10755/13 et déc., 1er juil. 2014, Koçintar c/ Turquie, n° 77429/12 ↩
- Gde ch., 28 juil. 1999, Immobiliare Saffi c/ Italie, n° 22774/93, § 63 et Gde ch., 28 oct. 1999, Brumărescu c/ Roumanie, n° 28342/95, § 61 ↩
- « Le peuple turc, en empêchant ce grand danger public qui menaçait la vie de la nation, a montré comment un peuple peut sauvegarder la démocratie, l’état de droit et la civilisation, et prendre son avenir en main », Op. partiellement dissidente, § 16 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 13 déc. 2012, n° 39630/09 ↩
- Elle utilise ici le résumé analytique du rapport de la commission d’enquête du Sénat américain sur la pratique de la torture à la CIA, rendu public en décembre 2014, les documents expurgés publiés par la CIA elle-même, mais aussi le rapport du CICR comportant le témoignage du requérant, ses dépositions au tribunal d’examen du statut de combattant et les trois rapports établis par Dick Marty auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ↩
- Elle a entendu D. Marty, deux spécialistes du programme de remises de la CIA et le rapporteur d’une enquête diligentée par le Parlement européen, G.C. Fava, et a tenu compte d’une déclaration sous serment de l’ancien Commissaire aux droits de l’homme, Th. Hammarberg ↩
- 8 juin 1976, Série A/22 ↩
- n° 35763/97, 21 novembre 2001, § 60. Du même jour : n° 37112/97, Fogarty c/ Royaume-Uni et n° 31253/96 ↩
- il n’était pas encore « établi qu’il soit déjà admis en droit international que les États ne peuvent prétendre à l’immunité en cas d’actions civiles en dommages-intérêts pour des actes de torture qui auraient été perpétrés en dehors de l’État du for », § 66 ↩
- n° 13113/03, 17 mars 2009, portant elle aussi sur la reconnaissance de la responsabilité d’un individu pour actes de torture et non sur l’immunité d’un État ↩
- La requérante ne forma pas de pourvoi extraordinaire visant à « assurer l’interprétation uniforme de la loi » ↩
- le remboursement de l’augmentation des frais de justice qu’ils avaient entraînée aurait d’ailleurs pu être demandé ↩
- Op. diss. Pinto de Albuquerque à laquelle s’est rallié le juge Sajó, pt. 257 ↩
- Op. diss. Cne, pt. 200 ↩
- § 49. Les faits révèlent ici une situation différente de celle de l’arrêt Čonka c/ Belgique, 5 février 2002, n° 51564/99, dans lequel la Cour avait dénoncé le comportement d’une administration qui « décide consciemment de tromper des personnes, même en situation illégale, […] pour mieux pouvoir les priver de leur liberté » en rappelant que le « caractère exhaustif » de la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l’article 5 § 1 impliquait son interprétation étroite, § 41-43 ↩
- § 63. Gde ch., 23 mai 2016, Avotiņš c/ Lettonie, n° 17502/07, sp. § 113-114 et § 116 ↩
- qui avait été informé officiellement de la date et du lieu de son procès devant la cour d’appel, lors duquel il avait pu être défendu par un avocat qu’il avait désigné, obtenant même une réduction de la peine prononcée en première instance. Situation différente de celle qui avait entraîné un constat de violation de l’article 6 § 3 dans l’arrêt Sejdovic c/ Italie, Gde ch., 1er mars 2006, n° 56581/00 ↩
- Voir notamment les observations de Ch. Maubernard, in « Droits fondamentaux », Ann. Dr. UE, 2016, spéc. p. 538 ↩
- la demande d’asile des requérants ayant bien été enregistrée en Grèce et l’exécution de leur expulsion ayant en conséquence été suspendue ↩
- Cour EDH, 25 juin 1996, n° 19776/92, § 43 ↩
- Cour EDH, 12 oct. 2006, Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga c/ Belgique, n° 13178/03, § 102 ↩
- Gde ch., 15 déc. 2016, n° 16483/12, § 185 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 21 janv. 2011, n° 30696/09 ↩
- voir pour des faits assez similaires, CE, réf., 6 août 2009, n° 330.536 qui contraste avec la position des juridictions administratives en l’espèce ↩
- Rapport CFDA, Droit d’asile en France : conditions d’accueil – état des lieux 2012, spéc. p. 96 ; Rapport. IGAS 2013, no 13‑028/12‑123/01 ↩
- Gjutaj et autres c/ France, n° 63141/13 ; N.H. c/ France, n° 28820/13 ↩
- Gde ch., 21 janv. 2011, M.S.S. c/ Grèce et Belgique, préc., § 220 ↩
- Gde ch., 21 janv. 2011, n° 30696/09 ↩
- Cour EDH, 26 nov. 2015, Mahamed Jama c/ Malte, n° 10290/13, § 100 ; 14 mars 2017, Ilias et Ahmed c/ Hongrie, n° 47287/15, § 87 ↩
- Cour EDH, 19 janv. 2010, Muskhadzhiyeva et a. /. Belgique, n° 41442/07,: JCP G 2010, act. 194, obs. L. Milano ; 19 janv. 2012, Popov c/ France, n° 39472/07 ; 12 juil. 2016, A.B. et autres c/ France, n° 11593/12, et quatre autres arrêts, n° 33201/11, n° 24587/12, n° 68264/14, n° 76491/14 ↩
- Voir notamment, A.B. et autres c/ France, n° 11593/12, § 114 ↩
- Voir notamment, au titre de l’article 3, Cour EDH, 23 sept. 1998, A. c/ Royaume-Uni, n° 25599/94, § ; au titre des articles 8 et 3 combinés, Cour EDH, 4 déc. 2003, M.C. c/ Bulgarie, n° 39272/98, §§ 149-150 ; au titre de l’article 8, Cour EDH, 2 déc. 2008, K.U. c/ Finlande, n° 2872/02, § 41 et § 49 ↩
- Voir notamment Cour EDH, 2 mars 2017, Talpis c/ Italie, n° 41237/14, cette Chron., n° 31, RDLF 2017, obs. C. Picheral ↩
- pour des faits comparables examinés sous l’angle de l’article 3, voir déjà Cour EDH, 6 déc. 2016, Ioan Pop et autres c/ Roumanie, n° 52924/05 ↩
- Voir également pour une cause identique, Cour EDH, 22 mars 2018, Wetjen et autres c/ Allemagne n° 68125/14 ↩
- Cour EDH, 13 oct. 2015, S.H. c/ Italie, n° 52557/14, § 58 ↩
- Cour EDH, Gde Ch., 12 avr. 2006, Stec et autres c/ Royaume-Uni, § 51 ; Gde ch., 13 nov. 2007, D.H. et autres c/ République tchèque, n° 57325/00, § 175 ↩
- Cour EDH, 23 févr. 2016, n° 51500/08, § 67: « la discrimination fondée sur le handicap englobe également le refus d’aménagements raisonnables » ↩
- Voir notamment CEDS, 16 oct. 2017, Centre de Défense des droits des personnes handicapées mentales (MDAC) c/ Belgique, Réclamation n° 109/2014, § 61 ↩
- Cour EDH, 15 sept. 2009, n° 10373/05, § 72 ↩
- Cour EDH, 11 janv. 2001, Platakou c/ Greece, n° 38460/97, § 39 ; 24 mai 2007, Radchikov c/ Russie, n° 65582/01, § 50 ; 19 juil. 2007, Freitag c/ Allemagne, n° 71440/01, §§ 37-42 ↩
- Cour EDH, 13 déc. 2007, Gashi c/ Croatie, n° 32457/05, § 40 ↩
- Voir par ex. Cour EDH, 7 mars 2017, Baczúr c/ Hongrie, n° 8263/15 ↩
- Gde. Ch., 5 sept. 2017, n° 61496/08, obs. C. Husson-Rochcongar, préc. chron., RDLF, 2018, n° 11 ↩
- nos obs., cette chron. n° 11 sur les critères « Von Hannover n° 2 » ↩
- arrêt de la chambre sociale du 4 juillet 2012 cité par la Cour ↩
- « Le contrôle de proportionnalité de la Cour EDH. De quoi est-il question ? », JCP, 2017-11, doctr. 289 ↩
- On laissera le lecteur apprécier ses opinions dissidentes s. CourEDH, 3 oct. 2017, N.D. et N.T. c/ Espagne, n° 8675/15 et 8697/15 renvoyé en grande chambre ; 28 mars 2017, Z.A. et autres c/ Russie, n° 61411/15 ↩
- Un satisfecit est néanmoins décerné à la loi du 28 mars 2014 qui prévoit un encadrement du recours à la géolocalisation et renforcer la protection du droit au respect de la vie privée ↩
- voy. notamment F. Marchadier, Jurisport 2018, n°187, p.35 ; M. Maisonneuve, RDLF, 2018, chron. n° 9 et J. Arroyo, RDLF, 2018, chron. n° 15 ↩
- Union nationale des footballeurs professionnels, n° 340122 ↩