CEDH [GC], Géorgie c. Russie (II), 21 janvier 2021 : la jurisprudence chaotique de la Cour européenne sur la juridiction extraterritoriale dans les conflits armés
L’arrêt Géorgie c. Russie (II) est une occasion ratée pour la Cour de Strasbourg. D’une part, la Cour ne s’est pas saisie de l’occasion pour clarifier son approche de la juridiction extraterritoriale pendant les conflits armés internationaux. D’autre part, son argumentation en l’espèce est confuse, faisant ressortir des contradictions dans la logique interne de la motivation ainsi qu’au regard de sa jurisprudence antérieure. Le présent commentaire s’intéresse à la manière dont l’arrêt du 21 janvier 2021 aborde la question de la juridiction extraterritoriale dans les conflits armés internationaux. Elle conclut que la grille de lecture utilisée par la Grande Chambre en l’espèce obscurcit l’approche de la Cour de la notion de juridiction et est en définitive difficilement réutilisable dans les cas portant sur d’autres conflits armés internationaux.
Par Maria Gudzenko est doctorante contractuelle à l’Université d’Aix-Marseille à l’ILF-GERJC, UMR DICE 7318 (Droits International, Comparé et Européen)
Le contexte dans lequel l’affaire a été tranchée lui confère une importance particulière. Il s’agit de la première affaire interétatique portant sur un conflit armé international tranchée sur le fond depuis 20 ans[1]. L’arrêt du 21 janvier 2021 a été rendu dans le contexte de résurgence des affaires impliquant les conséquences des conflits armés – tant individuelles qu’interétatiques – devant la Cour. Premier dans la série, il est susceptible d’orienter l’examen sur le fond des violations survenues à l’Est de l’Ukraine[2] ou dans le Haut-Karabakh[3]. Nous pouvions donc espérer de l’arrêt commenté qu’il clarifierait le droit de la Convention en matière de conflits armés, de juridiction extraterritoriale et de co-applicabilité du droit européen des droits de l’homme avec le droit international humanitaire.
À la place cependant, l’arrêt commenté laisse plus d’interrogations qu’il n’en résout. En cherchant une solution politique satisfaisant chaque partie au litige, elle produit « un jugement de Salomon qui a mal tourné »[4]. Au prix d’une concession au gouvernement russe, la Cour contredit à plusieurs reprises sa jurisprudence antérieure en matière de juridiction et fait entrer dans son raisonnement des arguments dangereux pour la protection des droits de l’homme en période de conflits armés. La lecture de l’arrêt commenté suggère que la Cour semble décourager les plaintes individuelles et interétatiques portant sur les conflits armés. L’objet du présent commentaire est de montrer en quoi l’arrêt Géorgie c. Russie (II) est une décision incapable de servir de précédent pertinent pour les affaires ultérieures.
La Géorgie a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête interétatique le 11 août 2008 ainsi que d’une demande de mesures provisoires, alors que le conflit était encore en cours. Le 13 décembre 2011, la requête a été déclarée recevable. Le 3 avril 2012, la chambre ayant rendu la décision sur la recevabilité s’est dessaisie en faveur de la Grande chambre. Il s’agit de la deuxième affaire interétatique opposant la Géorgie à la Russie[5].
Dans son analyse des faits de l’espèce, la Cour s’est fiée aux rapports de la mission d’enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie établie par l’Union européenne en décembre 2008. Le conflit armé a été constaté à partir de la nuit du 7 au 8 août 2008. « Les combats armés se sont essentiellement déroulés dans la région de Tskhinvali en Ossétie du Sud, ainsi dans la région de Gori, située dans la « zone tampon » en territoire géorgien incontesté, au sud de l’Ossétie du Sud » (§ 37). À compter du 10 août 2008, ces régions ont été quittées par l’armée géorgienne. L’armée russe a par conséquent occupé toute l’Abkhazie, toute l’Ossétie du Sud et les zones adjacentes, dénommées « zone tampon », ainsi que le village de Pérévi. Le 12 août 2008, un accord de cessez-le-feu fut conclu entre les parties au conflit. Les hostilités entre les deux parties ont ainsi duré cinq jours. Les forces armées russes se sont maintenues dans la région nonobstant le fait que leur retrait était prévu par ledit accord. À la suite du nouvel accord du 8 septembre 2008, la Russie a progressivement retiré ses troupes de l’Ossétie du Sud et de la « zone tampon », ce qu’elle acheva le 10 octobre 2008 (le 18 octobre 2008 pour le village de Pérévi). Dans le même temps, les forces armées russes ont été maintenues en Abkhazie et en Ossétie du Sud en application des accords « d’amitié et de coopération » du 17 septembre 2008, la Russie reconnaissant ces deux entités comme indépendantes. Pour établir les éléments de preuve, la Cour s’appuie sur les conclusions des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales (§§ 63-66).
Les arguments de la Géorgie ont été résumés ainsi :
« …la Fédération de Russie – par le biais d’attaques indiscriminées et disproportionnées commises contre des civils et leurs biens sur le territoire géorgien par l’armée russe et/ou les forces séparatistes placées sous son contrôle – avait permis ou causé l’existence d’une pratique administrative entraînant la violation des articles 2, 3, 5, 8 et 13 de la Convention, ainsi que des articles 1 et 2 du Protocole no 1 et de l’article 2 du Protocole no 4. De plus, en dépit de l’indication de mesures provisoires, la Fédération de Russie persisterait à violer les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention et, en particulier, à enfreindre de manière continue les articles 2 et 3 de la Convention » (§8).
La responsabilité de la Russie devrait être retenue parce qu’elle exerçait sa juridiction sur le territoire où se déroulèrent les hostilités par un contrôle effectif. Au lieu d’invoquer les cas séparés de violations des droits de la Convention, le gouvernement géorgien a choisi de soutenir l’existence d’une « pratique administrative incompatible avec la Convention » dans le cadre de laquelle les forces armées russes ont perpétré ou toléré des violations graves des droits de l’homme. Outre la méconnaissance des obligations substantielles découlant de la Convention, la Géorgie a invoqué l’absence « de recours effectif pour contester l’attitude des autorités russes en ce qui concerne la conduite d’une enquête sur les violations en cause » (§ 48), ce qui forma le volet procédural de sa demande. La Géorgie demande également la réparation du préjudice causé. Il convient d’observer que cette même stratégie consistant à invoquer une pratique administrative incompatible avec la Convention a été retenue par le gouvernement ukrainien dans sa requête contre la Russie concernant l’occupation de la Crimée[6]. Le choix de se pencher sur la dénonciation d’une pratique administrative incompatible avec la Convention a pour vertu la dispense de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes, dispense que la Cour confirme dans l’arrêt commenté (§ 98 et s.).
En défense, le gouvernement russe nia son contrôle effectif sur le territoire où se déroulèrent les hostilités, invitant la Cour à reconnaître l’absence de juridiction de la Russie en l’espèce. De même, il soutint que le droit européen n’a pas vocation à s’appliquer en présence d’un conflit armé en raison de l’applicabilité exclusive du droit international humanitaire. Partant, les obligations internationales de la Russie in casu seraient réduites au respect du jus in bello qui ne relève pas du champ de compétence matériel de la Cour. Quant aux épisodes d’atteintes à l’intégrité physique des civils ainsi que de destruction de leurs biens, ceux-ci seraient imputables aux forces armées de l’Ossétie du Sud, sur lesquelles la Russie nie avoir exercé un contrôle effectif (nécessaire pour imputer la responsabilité à cette dernière). Quant au volet procédural, le gouvernement russe évoqua la possibilité pour les victimes de saisir les tribunaux abkhazes, sud-ossètes ou russes ; or, cela n’a pas été fait. De même, il accusa la Géorgie du refus de coopérer avec les enquêtes pénales abkhazes et sud-ossètes. Il contesta enfin les éléments de preuve des violations graves des droits de l’homme comme mensongers (§ 49).
La Cour procède à la systématisation des griefs en question en fonction de phases des hostilités. La distinction entre la phase active des hostilités et la phase d’occupation paraît tenable en l’espèce, mais, comme on le verra plus tard, difficilement transposable aux autres conflits armés. Nous les présenterons sous forme d’un tableau. Les lignes comportant les griefs ayant abouti au constat de violation sont en vert, tandis que les lignes avec les griefs rejetés sont en rouge.
La solution à laquelle la Cour est parvenue fut de retenir la responsabilité de la Russie s’agissant de l’ensemble des agissements litigieux qui se déroulèrent après le cessez-le-feu, ou pendant la phase d’occupation, à une voix dissidente contre seize. Ainsi, la Cour est parvenue au constat de la violation des articles 2, 3, 8 de la Convention et 1 du Protocole n°1 en raison d’une pratique administrative contraire des autorités russes. La détention des civils par les forces sud-ossètes du 10 au 27 août étant unanimement attribuée à la Russie, la Cour conclut à la violation des articles 3 et 5 à leur égard. La juridiction de la Russie fut également établie sur les prisonniers de guerre détenus par les forces armées russes ; les prisonniers furent reconnus victimes de torture. Enfin, il a également été reconnu que la Russie avait juridiction sur la décision d’empêcher le retour des ressortissants géorgiens déplacés de force dans les territoires occupés, résultant en constat de la violation de l’article 2 du Protocole n°4 (liberté de mouvement). Enfin, la Cour reconnut la violation par la Russie de l’article 38 de la Convention pour le refus de la part de son gouvernement de coopérer en matière de production des preuves.
En même temps, la Cour, à la majorité des onze voix contre six, a accueilli l’argumentation du gouvernement russe sur le défaut de juridiction de la Russie durant la phase active des hostilités (8-12 août 2008), ce qui a entraîné l’irrecevabilité de la partie de la demande de la Géorgie relative aux violations de l’article 2 en son volet substantiel. Le défaut de juridiction de la Russie pendant ces cinq jours de combat ne l’a cependant pas empêchée de reconnaître la violation de l’article 2 en son volet procédural pour le défaut d’enquête sur les événements qui se sont déroulés pendant la phase active des hostilités et pas seulement pendant la phase d’occupation. L’approche de la Cour relative à l’établissement de la juridiction extraterritoriale dans un conflit armé a été sévèrement critiquée par la doctrine[7] ainsi que dans les opinions dissidentes[8]. Ont notamment été remarqués le défaut de cohérence interne du raisonnement de la Grande Chambre[9], les contradictions avec la jurisprudence antérieure ainsi que la divergence de la solution adoptée avec les approches des autres organes internationaux de protection des droits de l’homme[10]. La motivation de la Grande Chambre, s’agissant de l’établissement de la juridiction de la Russie pour connaître d’autres griefs, a également été critiquée comme manquant de clarté.
Des considérations diverses – certaines d’entre elles fort critiquables – expliquent cette jurisprudence chaotique. Des raisons d’ordre pratique, d’abord, liées à l’augmentation sans précédent du nombre de requêtes portant sur les violations des droits de l’homme dans des conflits armés ainsi qu’à l’examen des éléments de preuve produits[11]. La politique juridictionnelle de la Cour européenne, ensuite, consistant à privilégier les solutions politiques des conflits armés internationaux et à ne pas étendre sa compétence aux questions du droit international humanitaire[12]. Les enjeux diplomatiques, enfin, dans la mesure où ce qui apparaît comme une concession à la Russie s’inscrit dans la stratégie de dialogue avec son gouvernement, stratégie poursuivie au sein des organes politiques du Conseil de l’Europe. Le but poursuivi est de garder les mécanismes de pression diplomatique sur la Russie et d’obtenir la coopération de celle-ci sur les questions cruciales de l’Est de l’Ukraine, de la Crimée et des territoires géorgiens occupés[13].
Quelles qu’en soient les explications, les incohérences de motivation de l’arrêt de la Grande Chambre sur la question de la juridiction (I) le rendent incapable de servir de référence pour les affaires à venir portant sur les conflits armés à l’Est de l’Europe (II).
I- L’approche critiquable dans l’établissement de la juridiction
Afin d’examiner la question de la juridiction en l’espèce, la Cour a procédé en trois temps. Comme il a été souligné précédemment, elle a commencé par diviser le conflit en deux phases – la phase active des hostilités, correspondant à la période du 8 au 12 août 2008, et la phase d’occupation du 12 août au 10 octobre 2008 (date de retrait officiel des troupes russes). Elle semble cependant suivre la définition large d’un conflit armé international (ci-après – CAI) contenue dans l’article 2 commun aux quatre Conventions de Genève. Pour la Cour, les deux phases surviennent dans le cadre d’un CAI (§83). La Cour ne développe pas davantage sur l’opportunité d’une telle distinction. Elle semble consacrer cette solution « en l’espèce », laissant sans réponse la question de savoir si une telle distinction pourrait être appliquée aux litiges ultérieurs.
C’est précisément la question de la juridiction extraterritoriale de la Russie sur l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et la « zone tampon » qui était cruciale pour engager la responsabilité de l’État défendeur. La juridiction est une condition sine qua non de l’applicabilité de la Convention EDH et, partant, de la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dès lors qu’un individu est placé sous la juridiction d’un État partie, ce dernier est responsable de l’ensemble « des actes ou d’omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention »[14]. Cette juridiction est en principe territoriale : la présomption est que la Convention ne s’applique qu’à l’intérieur des frontières d’un État partie[15], présomption qui peut être renversée dans des cas exceptionnels réduisant la responsabilité de l’État au respect des obligations positives[16].
Cette juridiction peut être exceptionnellement élargie au-delà des frontières du fait des actes des organes de l’État partie qui se sont produits en dehors de son territoire. Ces actes seront imputables à l’État partie à condition que soit reconnu par la Cour l’existence d’une juridiction extraterritoriale. Afin de rechercher s’il est question de la juridiction extraterritoriale, la Cour peut suivre deux voies qu’elle avait consacrées dans sa jurisprudence antérieure. Ainsi, la juridiction extraterritoriale d’un État peut être établie soit s’il exerce le contrôle effectif sur un territoire en dehors de ses frontières (modèle spatial), soit si les agents dudit État exercent la juridiction personnelle sur les victimes à l’étranger (modèle personnel). Selon la Cour, aucun de ces deux modèles ne s’applique à la phase active des hostilités à laquelle participa la Russie en dehors de son territoire en ce qui concerne les obligations négatives découlant de l’article 2 de la Convention. Il s’ensuit que la Convention ne s’applique pas aux phases actives des hostilités lorsqu’un État est impliqué dans un CAI[17] en dehors de son territoire. Si l’argumentation sur le modèle spatial peut paraître tenable (A), tel n’est pas le cas de la question de l’applicabilité du modèle personnel (B).
A- Le modèle spatial partiellement applicable
Le modèle spatial de juridiction, ou le « contrôle effectif », est esquissé de longue date dans la jurisprudence conventionnelle[18]. Il est particulièrement pertinent pour les cas de présence militaire d’un État sur le territoire d’un autre État. La Cour va alors vérifier si l’État partie exerce en pratique un contrôle global[19]. La Cour utilise le qualificatif « contrôle effectif » dans l’arrêt Ilascu[20], mais elle se réfère également au « contrôle effectif global » dans l’affaire Issa[21], à propos d’un territoire en dehors de ses frontières, qu’il appartienne à un autre État partie à la Convention ou à un État tiers. Ce contrôle global peut être exercé soit directement, par le biais de l’occupation armée[22], soit indirectement, par le biais de la subordination de l’administration locale[23] ou de « l’influence décisive » sur les forces locales[24]. Dans ce dernier cas, les actes de cette dernière vont être imputables à l’État exerçant le contrôle global[25].
S’agissant de la juridiction extraterritoriale de la Russie en l’espèce, la Cour de Strasbourg est parvenue à faire usage du test du contrôle effectif à plusieurs reprises. Avant de passer au véritable talon d’Achille de l’arrêt commenté – l’exclusion de la juridiction de la Russie pendant la phase active des hostilités, – il convient de voir les questions de juridiction qui ne posent pas de problèmes.
En premier lieu, la Cour a retenu le contrôle effectif de la Russie sur l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et dans la « zone tampon » après la cessation des hostilités. Elle a fait usage de la grille d’évaluation des faits établie dans sa jurisprudence antérieure. Il s’agit notamment d’évaluer le contrôle effectif à partir du nombre de soldats déployés par l’État sur le territoire en cause et de la mesure dans laquelle le soutien militaire, économique et politique apporté par l’État à l’administration locale subordonnée assure à celui-ci une influence et un contrôle dans la région[26]. L’importante présence militaire russe dans les zones concernées ainsi que l’ampleur du soutien économique et financier que la Russie apporte à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie laissent penser qu’un lien de subordination existait entre les entités séparatistes et la Russie, tant pendant les hostilités qu’après. La « zone tampon », quant à elle, a été occupée par les forces armées russes.
Les circonstances en cause ont appelé la Cour à appliquer fidèlement le test du contrôle effectif. Deux conséquences en découlent. D’une part, les événements qui se sont déroulés du 12 août au 10 octobre 2008 dans les territoires concernés l’étaient sous le contrôle effectif de la Russie. D’autre part, le degré de dépendance des administrations locales de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie à la Russie était tel que cette dernière a été en mesure de les contrôler effectivement. Il s’ensuit que les actions et les omissions des autorités séparatistes sont imputables à la Russie. En d’autres termes, la responsabilité de l’État défendeur pouvait être engagée du fait de violations de la Convention commises par les forces armées de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.
Sur le fond, il était question de « l’existence, après la cessation des hostilités actives, d’une campagne systématique d’incendies et de pillages d’habitations dans les villages géorgiens en Ossétie du Sud et dans la ‘zone tampon’ » (§ 205). Les éléments de preuve indiquaient que « dans de nombreux cas les auteurs de ces exactions étaient membres des forces sud-ossètes, qui comprenaient notamment toute une série de milices irrégulières » (§ 212). Bien que les forces armées russes ne soient pas à l’origine de ces atteintes, le contrôle effectif de la Russie implique sa responsabilité pour les actes litigieux, « sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve d’un ‘contrôle précis’ de chacun de leurs agissements » (§ 214). L’attitude des forces armées russes correspondait en l’espèce à la « tolérance officielle » (§ 216), la Russie n’ayant pas pris des mesures suffisantes pour empêcher la perpétration des violations. Ces circonstances ont permis à la Cour de conclure aux violations par la Russie des articles 2, 3, 8 de la Convention et de l’article 1 du premier Protocole additionnel du fait d’une pratique administrative incompatible.
Il est intéressant de noter que la Cour assimile ce contrôle effectif – à la fois sur le territoire et sur l’administration locale subordonnée – à la situation d’occupation en droit international humanitaire (§ 196). Notons à la marge que cette interprétation de l’occupation en droit humanitaire comme exigeant nécessairement une « substitution effective d’autorité » dans le territoire occupé paraît simpliste et ignore les développements récents de la doctrine. Celle-ci prône en effet l’élargissement de la notion d’occupation en droit international humanitaire comme englobant aussi les situations de « substitution potentielle d’autorité », « dans lesquelles la puissance occupante n’a pas encore […] établi d’administration sur un territoire donné alors même qu’elle y exerce, de facto, des prérogatives ayant un impact considérable sur la vie des citoyens »[27].
En second lieu, les opérations militaires menées par la Russie en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans la « zone tampon » du 8 au 12 août 2008 – les quatre incidents impliquant les attaques aériennes – ne signifient pas que la Russie exerçait un contrôle effectif sur ces territoires. Là se trouve la conclusion la plus critiquable de l’arrêt commenté. La Grande Chambre a condensé sa motivation du rejet du modèle spatial en un seul paragraphe :
- À cet égard, on peut considérer d’emblée que lors d’opérations militaires, y compris par exemple des attaques armées, bombardements, pilonnages, menées au cours d’un conflit armé international on ne saurait en règle générale parler de « contrôle effectif » sur un territoire. En effet, la réalité même de confrontations et de combats armés entre forces militaires ennemies qui cherchent à acquérir le contrôle d’un territoire dans un contexte de chaos implique qu’il n’y a pas de contrôle sur un territoire. C’est également vrai en l’espèce, étant donné que la majorité des combats se sont déroulés dans des zones qui étaient auparavant sous contrôle géorgien (paragraphe 111 ci-dessus).
Que laisse comprendre ce paragraphe ? D’abord, il en ressort que les caractéristiques génériques d’un conflit armé international excluent a priori le contrôle effectif. Inutile donc d’examiner les circonstances de l’espèce et de démêler les événements formant « un contexte de chaos ». En d’autres termes, la Cour peut très bien se contenter d’énoncer qu’« en règle générale » le contrôle effectif extraterritorial ne saurait être établi durant la phase active des hostilités. Encore faut-il déterminer quel est le seuil à partir duquel l’on pourrait valablement considérer qu’il s’agit d’« un contexte de chaos ». Cette question se pose notamment pour les conflits prolongés, à intensité variable. Ensuite, la dernière phrase de ce considérant laisse penser qu’il est question en l’espèce de « no man’s land ». Alors que l’État territorial – la Géorgie – semble ne plus exercer un contrôle effectif, la Russie a été considérée incapable de l’exercer pour la simple raison que nous sommes dans « un contexte de chaos ». Cela contredit la lettre et l’esprit de la jurisprudence antérieure de la Grande Chambre, laquelle a insisté sur le besoin « d’éviter l’apparition d’un vide dans la protection des droits garantis par la Convention »[28]. Or, en l’espèce, pour la première fois dans l’histoire de la Cour, celle-ci a échoué à établir la juridiction sur un territoire d’un État partie à la Convention[29].
Excepté les failles de motivation, l’argumentation tenant aux spécificités du conflit armé peut paraître logique pour les affrontements de haute intensité de cinq jours, comme c’est le cas en l’espèce. Or, ici encore, le diable est dans les détails. Ainsi, la frontière entre la phase active des hostilités et la phase d’occupation paraît artificielle. Il n’est pas évident d’identifier l’événement qui laisse penser à la Grande Chambre que le contrôle effectif ait été pleinement conquis le 12 août 2008, alors qu’il était encore exclu la veille[30]. La Cour n’a pas cherché à motiver en quoi la signature du cessez-le-feu marquait le commencement de l’exercice du contrôle effectif par la Russie. De plus, plusieurs violations reconnues par la Cour ont eu lieu ou ont débuté pendant la phase active des hostilités, comme c’est le cas des mauvais traitements des prisonniers de guerre. Au lieu de rechercher le moment exact de l’établissement du contrôle effectif de la Russie, la Cour fut guidée par des considérations générales sur l’impossibilité a priori de le faire dans un « contexte de chaos ». Cette approche « on/off » peine à saisir la réalité et la complexité des conflits armés contemporains. Il se peut par exemple qu’une armée établisse le contrôle effectif de manière graduelle en avançant sur le territoire ennemi[31]. Un repère plus précis et basé sur les preuves aurait pu avoir des conséquences favorables sur les victimes en termes de réparation.
Après avoir rejeté le test du contrôle effectif la Cour passe à la considération du critère d’autorité et de contrôle d’un agent de l’État. Toutefois, son application donne un résultat inattendu et paradoxal.
B- Le test de juridiction personnelle revisité de façon paradoxale
Faute de juridiction en raison de l’absence du contrôle effectif, il était possible de soutenir que les militaires russes avaient exercé leur juridiction personnelle sur les victimes pendant la phase active des hostilités. Ladite option consiste à rechercher si l’État défendeur exerce la juridiction personnelle à l’étranger – il s’agit du critère d’autorité et de contrôle d’un agent de l’État. Cette hypothèse a été consacrée par les décisions sur la recevabilité Issa[32] et Al-Saadoon et Mufdhi[33]. La juridiction est établie dès lors qu’un agent de l’État défendeur – par exemple, les forces armées – exerce, en dehors de son territoire, le contrôle sur les victimes. « L’élément déterminant dans ce type de cas est l’exercice d’un pouvoir et d’un contrôle physiques sur les personnes en question »[34]. Ce contrôle peut notamment s’exercer dans une situation de prise d’otages ou de détention de prisonniers de guerre, mais aussi en présence de tirs ciblés par les soldats étrangers assumant un certain contrôle sur la victime au moment des faits[35]. Ainsi, les obligations découlant de la Convention peuvent être fractionnées et adaptées.
La Grande Chambre synthétise ladite jurisprudence dans l’arrêt commenté. Elle l’applique aux mauvais traitements des prisonniers de guerre survenus pendant la phase active des hostilités (2) mais s’en éloigne en ce qui concerne les obligations négatives découlant de l’article 2 de la Convention (1).
1- Un refus de retenir la juridiction personnelle insuffisamment expliqué
En ce qui concerne les obligations négatives découlant de l’article 2 de la Convention européenne – sommairement, ne pas infliger la mort – la Cour de Strasbourg parvient au constat d’incompétence pour manque de juridiction extraterritoriale de la Russie. Pour parvenir à se déclarer incompétente, elle distingue le cas présent de sa riche jurisprudence en matière de la juridiction personnelle :
- Il est vrai que dans d’autres affaires portant sur des tirs ciblés par les forces armées/de police des États concernés, la Cour a appliqué la notion d’« autorité et de contrôle d’un agent de l’État » sur des individus dans des situations allant au-delà d’un pouvoir et d’un contrôle physiques exercés dans le cadre d’une arrestation ou d’une détention (voir notamment Issa et autres, Isaak et autres (déc.), Pad et autres (déc.), Andreou (déc.), et Solomou et autres, précités – paragraphes 120-123 ci-dessus).
- Cependant, ces affaires concernaient des actions isolées et ciblées comprenant un élément de proximité.
- Par contraste, la phase active des hostilités que la Cour est amenée à examiner en l’espèce dans le cadre d’un conflit armé international est très différente, car elle porte sur des bombardements et des tirs d’artillerie par les forces armées russes visant à mettre l’armée géorgienne hors de combat et à acquérir le contrôle sur des territoires faisant partie de la Géorgie.
La distinction entre le cas présent et ceux couverts par la jurisprudence antérieure sur la juridiction personnelle repose non pas sur une différence de nature des cas, mais sur la différence de degré. La Cour semble exclure la juridiction personnelle à partir du moment où l’artillerie lourde est utilisée, tandis que le test fonctionna auparavant pour les tirs ciblés. L’on pourrait se demander en quoi l’usage d’armes dont la zone de tir est plus large exclurait la juridiction personnelle des forces armées russes. L’opinion dissidente du juge Chanturia le souligne de façon particulièrement éloquente :
- Il existe assurément une différence de portée entre des opérations de maintien de l’ordre et un vaste conflit militaire, mais il ne peut y avoir de différence réelle de nature et il est impossible en pratique de tracer une ligne de démarcation entre des actions ciblées et des opérations militaires de plus grande envergure. De plus, il paraît arbitraire et incompatible avec des considérations humanitaires de juger que dans le contexte d’opérations de maintien de l’ordre ciblées les victimes potentielles relèvent de la juridiction de l’État concerné, mais qu’il en va autrement dans le cadre d’opérations militaires de plus grande envergure.
La motivation de la décision de la Grande Chambre de ne pas faire usage de sa jurisprudence antérieure sur la juridiction personnelle paraît étrange dans la mesure où « some kind of one-off use of lethal force […] is somehow more deserving of protection than a massive, systematic use of lethal force »[36]. Pour se prémunir des critiques, la Grande Chambre se réfère à nouveau au « contexte de chaos » (§ 137) éventuellement créé par l’utilisation de l’artillerie lourde, lequel empêcherait l’exercice de la juridiction personnelle des soldats russes sur les victimes du conflit armé. À nouveau, les considérations génériques sur les conflits armés remplacent l’analyse des preuves recueillies pendant des années. Cette limitation de la portée du modèle personnel d’établissement de juridiction a été critiquée dans les opinions dissidentes ; les juges Yudkivska, Wojtyczek et Chanturia proposent une lecture plus favorable aux victimes du lien juridictionnel[37]. De plus, ce « contexte de chaos » n’a curieusement pas empêché la Cour d’établir la juridiction personnelle pendant la phase active des hostilités en ce qui concerne les mauvais traitements des prisonniers de guerre.
2- Une acceptation paradoxale de la juridiction personnelle
Curieusement, la juridiction de la Russie a été retenue en ce qui concerne la détention des civils et des prisonniers de guerre par les forces armées russes et sud-ossètes et les mauvais traitements qui leur ont été infligés. La Cour a par conséquent conclu à la violation des articles 3 et 5 (pour les civils seulement) de la Convention. Or, il est remarquable que la plupart des détentions ont débuté pendant la phase active des hostilités ; leur libération a eu lieu pendant la phase d’occupation. Ici encore, l’analyse du contrôle effectif de la Russie est assez concise :
- La Cour relève d’emblée qu’il n’est pas contesté qu’un grand nombre de civils géorgiens (environ 160, dont environ un tiers de femmes) assez âgés pour la plupart ont été détenus par les forces sud-ossètes dans la cave du « ministère des affaires intérieures d’Ossétie du Sud » à Tskhinvali environ entre le 10 et le 27 août 2008.
- Étant donné que les civils géorgiens étaient détenus notamment après la cessation des hostilités, la Cour conclut qu’ils relevaient de la juridiction de la Fédération de Russie au sens de l’article 1 de la Convention (paragraphe 175 ci-dessus) et rejette l’exception préliminaire soulevée par le gouvernement défendeur à cet égard.
- La Cour relève d’emblée qu’il ressort des rapports notamment de Human Rights Watch, d’Amnesty International et de August Ruins que des prisonniers de guerre géorgiens ont été détenus à Tskhinvali entre le 8 et le 17 août 2008 par les forces sud-ossètes.
- Étant donné qu’ils étaient détenus notamment après la cessation des hostilités, la Cour conclut qu’ils relevaient de la juridiction de la Fédération de Russie au sens de l’article 1 de la Convention (paragraphe 175 ci-dessus) et rejette l’exception préliminaire soulevée par le gouvernement défendeur à cet égard.
Dans ces considérants la Cour ne définit pas le modèle d’établissement de juridiction de la Russie quant aux épisodes de détention des civils et des prisonniers de guerre. S’il est vrai que, à partir de 12 août 2008, la Russie était pleinement responsable du fait de son statut de puissance occupante, l’inclusion de la période comprise entre le 8 et le 11 août 2008 pose problème. En effet, la Cour a elle-même écarté l’applicabilité du modèle spatial pendant la phase active des hostilités. Or, la façon dont la Grande Chambre reformule les faits à l’origine des griefs – détentions « notamment après la cessation des hostilités » – laisse penser que la Russie a effectivement exercé la juridiction sur les détenus pendant le « chaos » de la phase active des hostilités. En même temps, il est difficile de déterminer le critère sur lequel la juridiction de la Russie sur les personnes détenues a pu être établi pendant la phase active des hostilités. Il n’est également pas évident de saisir pourquoi la Cour s’est écartée de sa réticence, plus tôt dans l’arrêt, à établir la juridiction de la Russie dans ce « contexte de chaos » qu’est la phase active des hostilités.
À notre sens, en dépit du contrôle effectif sur le territoire en question pendant la phase active des hostilités, la Cour aurait pu légitimement considérer que les forces armées russes exerçaient une juridiction personnelle sur les détenus entre le 8 et le 11 août 2008. La jurisprudence antérieure de la Cour sur le critère d’autorité et de contrôle d’un agent de l’État regorge de cas similaires de détention des personnes en dehors du territoire national. Ainsi, par le passé, dès lors que les victimes se trouvaient sous « contrôle absolu et exclusif exercé de manière continue et ininterrompue » des agents de l’État défendeur, la juridiction personnelle a été acceptée[38]. En l’espèce, la Cour n’a pas expliqué sur le fondement de quel modèle la Russie exerçait sa juridiction sur les personnes détenues. Toutefois, si elle l’avait fait pour les personnes détenues pendant la phase active des hostilités, elle aurait dû aussi expliquer en quoi la détention est plus caractéristique de l’exercice de la juridiction que les opérations armées ayant causé des décès et des blessures. Une telle approche serait en outre en contradiction avec la forme catégorique des développements sur la juridiction pendant la phase active des hostilités où la Cour semble affirmer que toute forme de juridiction est exclue dans un « contexte de chaos ». La contradiction entre différentes parties de l’arrêt de la Grande Chambre est manifeste.
Par ailleurs, le défaut de la juridiction de la Russie sur les territoires en question pendant la phase active des hostilités n’a pas empêché la Cour de conclure à la violation par l’État défendeur de l’article 2 de la Convention en son volet procédural. La Russie était obligée de mener une enquête conforme aux exigences du volet procédural de l’article 2 de la Convention non seulement en ce qui concerne les événements survenus pendant la phase d’occupation, mais aussi pendant la phase active des hostilités. Cela tient notamment au fait que la Russie a su établir ultérieurement le contrôle effectif sur les territoires en question :
- Il est vrai que la Cour a conclu que les événements qui se sont déroulés au cours de la phase active des hostilités ne relevaient pas de la juridiction de la Fédération de Russie (paragraphe 144 ci-dessus).
- En l’espèce, eu égard aux allégations de crimes de guerre commises par elle au cours de la phase active des hostilités, la Fédération de Russie avait l’obligation d’enquêter sur les événements litigieux, conformément aux règles pertinentes du droit international humanitaire (paragraphes 323-324 ci-dessus) et du droit interne (paragraphes 48 à 53 de la décision sur la recevabilité). Or le ministère public de la Fédération de Russie avait pris des mesures afin d’enquêter sur ces allégations (paragraphe 317 ci-dessus). De plus, même si les événements qui se sont déroulés au cours de la phase active des hostilités ne relevaient pas de la juridiction de la Fédération de Russie (paragraphe 144 ci-dessus), elle a établi un « contrôle effectif » sur les territoires en question peu de temps après (paragraphe 175 ci-dessus). Enfin, étant donné que tous les suspects potentiels parmi les militaires russes se trouvaient soit en Fédération de Russie soit sur des territoires se trouvant sous le contrôle de la Fédération de Russie, la Géorgie a été empêchée de mener une enquête adéquate et effective concernant ces allégations.
Or, la Cour souligne que cette conception rétroactive de l’obligation d’enquête ne peut être retenue qu’exceptionnellement, dans des « circonstances propres » (§ 332). Reste à voir si cette obligation d’enquête est appréciée de la même manière dans les litiges portant sur les conflits armés à l’Est de l’Ukraine et dans le Haut-Karabakh. Il s’agit d’une des multiples incertitudes d’application du droit européen des droits de l’homme aux conflits armés que laisse perdurer l’arrêt commenté.
II- Une grille de lecture inadaptée aux conflits armés contemporains
La Cour européenne essaie, autant que possible, de limiter l’influence de l’arrêt commenté sur les litiges ultérieurs (v. notamment §§ 141-143). Sa motivation renvoie notamment à la nature particulière des circonstances en cause. En même temps, il est peu probable que l’arrêt Géorgie c. Russie (II) reste une décision isolée. Une incertitude persiste donc quant à l’approche de la Cour dans les litiges ultérieurs portant sur les conflits armés. L’arrêt commenté obscurcit la grille d’analyse dont la Cour va se servir pour analyser les conflits armés ultérieurs (A) ainsi qu’échoue à clarifier l’influence du droit international humanitaire sur le droit de la Convention (B).
A- L’obscurcissement de la jurisprudence sur la juridiction extraterritoriale
Certains choix argumentatifs faits par la Grande Chambre sont critiquables et semblent, en définitive, obscurcir sa jurisprudence sur la question de la juridiction extraterritoriale. En premier lieu, elle semble confondre la question de juridiction avec la pratique des États consistant à ne pas notifier au Secrétaire général du Conseil de l’Europe des dérogations à la Convention en application de l’article 15. Pour étayer son refus de reconnaître la juridiction personnelle des militaires russes pendant la phase active des hostilités, elle considère que :
- Cette conclusion se trouve étayée par la pratique des Hautes Parties contractantes qui consiste à ne pas formuler de dérogation au titre de l’article 15 de la Convention dans des situations où elles se sont engagées dans un conflit armé international hors de leur propre territoire. De l’avis de la Cour, on peut interpréter cette pratique comme signifiant que les Hautes Parties contractantes considèrent qu’en pareille situation elles n’exercent pas leur juridiction au sens de l’article 1 de la Convention, position que soutient du reste le gouvernement défendeur en l’espèce.
Or, la question de la dérogation est distincte de celle de la juridiction[39]. Le fait de déposer une dérogation à la Convention au titre de son article 15 n’a pas pour effet d’exclure la compétence de la Cour sur un territoire ou un domaine précis. La dérogation implique l’existence d’une crise ou d’un danger exceptionnel auxquels il ne serait pas possible de remédier sans empiéter de façon grave sur les droits de l’homme. La notification de dérogation, lorsqu’elle est en accord avec les conditions de l’article 15, permet d’assouplir le degré de contrôle par le juge strasbourgeois sur les mesures prises en riposte à ce danger grave. La Cour reste compétente pour trancher des plaintes indépendamment de l’existence d’une dérogation. L’absence de dérogation implique un contrôle normal et non pas restreint par la Cour européenne. Tout cela suggère que ces questions sont bien distinctes, et la pratique de non-dérogation dans les conflits armés en dehors du territoire national ne peut pas logiquement impliquer l’absence de juridiction extraterritoriale. Plus encore, la Cour a, par le passé, rejeté un argument semblable du Royaume-Uni dans l’affaire Hassan. En l’espèce, la juridiction extraterritoriale du Royaume-Uni, malgré l’absence de dérogation de la part de son gouvernement, a été retenue en ce qui concerne un prisonnier de guerre[40].
En échouant à motiver le refus de retenir la juridiction de la Russie pendant la phase active des hostilités et en étudiant les éléments de preuve de façon incomplète, la Cour s’expose aux critiques d’une solution contra victima. Elle s’en rend compte dans un considérant qui, émanant d’une juridiction protectrice des droits de l’homme, paraît surprenant :
- Cela étant, la Cour est sensible au fait qu’une telle interprétation de la notion de « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention peut paraître insatisfaisante aux yeux des victimes alléguées d’actes et d’omissions commis par un État défendeur pendant la phase active des hostilités dans le cadre d’un conflit armé international se déroulant hors de son territoire, mais sur celui d’un autre État contractant, ainsi qu’aux yeux de l’État sur le territoire duquel ont lieu les hostilités actives.
- Cependant, compte tenu notamment du grand nombre de victimes alléguées et d’incidents contestés, du volume des éléments de preuve produits et de la difficulté à établir les circonstances pertinentes lors de la phase active des hostilités dans le cadre d’un conflit armé international, ainsi que du fait que de telles situations sont régies principalement par des normes juridiques autres que celles de la Convention (en l’occurrence le droit international humanitaire ou droit des conflits armés), la Cour estime qu’elle n’est pas en mesure de développer sa jurisprudence au-delà de la conception de la notion de « juridiction » telle qu’elle y a été établie jusqu’à présent.
Des considérations d’ordre pratique expliquent une telle interprétation de la juridiction personnelle, dont le caractère restrictif est explicitement reconnu dans l’arrêt. La charge toujours croissante des requêtes interétatiques, dont la plupart concerne les conflits armés, soulève des difficultés d’efficacité dans leur traitement. Ainsi, à ce jour, 19 requêtes interétatiques ont été déposées depuis 2007 (dont six en 2020 seulement), contre 16 requêtes interétatiques déposées de 1956 à 1997[41]. S’y ajoutent les requêtes individuelles introduites en parallèle qui concernent des violations similaires. Ainsi, plus de 3300 requêtes individuelles ont été déposées contre la Géorgie et 176 contre la Russie en lien avec les hostilités en Ossétie du Sud en août 2008[42]. Une telle charge de travail est problématique, ce que les États membres ont reconnu dans la Déclaration de Copenhague de 2018. L’objectif du Conseil de l’Europe à ce stade était d’explorer « les moyens de traiter de manière plus effective les affaires liées à des différends interétatiques, ainsi que les requêtes individuelles résultant de situations de conflits entre États, sans limiter pour autant la juridiction de la Cour »[43] (nous soulignons). La référence au « grand nombre de victimes allégués et d’incidents contestés » (§ 141) comme facteur explicatif de l’approche de la Grande Chambre à la question de juridiction en l’espèce semble faire écho au problème de la surcharge de la Cour. Cette considération paraît importante tant que 15% environ de l’ensemble de requêtes individuelles au début de 2020 concernaient les allégations de violations commises dans les conflits armés[44].
Ainsi, l’approche restrictive de la juridiction personnelle impliquerait nécessairement l’irrecevabilité ratione personae des centaines de plaintes dénonçant les violations commises lors de conflits armés. En définitive pourtant, la manière dont la Cour semble réduire sa charge de travail paraît critiquable au regard de sa mission première de protection des droits de l’homme. De même, elle va à l’encontre de la prescription, formulée par la Déclaration de Copenhague, de ne pas limiter la juridiction de la Cour afin de désengorger son prétoire.
S’agissant de l’analyse des éléments de preuve, « la difficulté à établir les circonstances pertinentes lors de la phase active des hostilités dans le cadre d’un conflit armé international » (§ 141) a pu très certainement jouer (v. aussi § 61). En effet, pour que la Cour puisse conclure à l’existence d’une pratique administrative incompatible avec les exigences de la Convention, il faut qu’il y ait, d’une part, la répétition d’actes et, d’autre part, la tolérance officielle de la part de l’État défendeur[45]. Le passage laisse penser qu’un doute persistait sur la question de savoir si ces deux éléments constitutifs d’une pratique administrative étaient caractérisés en l’espèce. Or, la référence au « volume des éléments de preuve produits » (§ 141) dans la même phrase semble contredire l’affirmation précédente. Dans un pareil cas, la Grande Chambre aurait pu expliquer en quoi les éléments de preuve produits ne permettent pas de conclure à ce que la Russie exerçait sa juridiction pendant la phase active des hostilités, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. En outre, la difficulté dans l’établissement des circonstances pertinentes a été remise en cause dans l’opinion dissidente du juge Chanturia. Ce dernier évoque notamment plusieurs éléments factuels illustrant que « la Cour disposait de preuves plus que suffisantes aux fins d’une appréciation judiciaire » (§ 23-27).
En deuxième lieu, comme cela fut brièvement évoqué plus haut, la distinction claire et nette des phases de conflit entre « chaos » et « ordre », entre « hostilités » et « occupation » paraît simpliste même pour les circonstances en cause. Or, les conflits contemporains sont, pour la plupart, plus complexes et prolongés, de sorte que pareille démarcation est artificielle. Il est par exemple peu probable qu’elle sera réutilisée avec succès pour le conflit prolongé et à intensité variable à l’Est de l’Ukraine. De même, l’attachement de la Grande Chambre à l’accord de cessez-le-feu comme événement marquant le début de la phase d’occupation est peu transposable aux conflits sans déclaration officielle de guerre. Dans quelle mesure les affrontements à l’Est de l’Ukraine et dans le Haut-Karabakh s’analysent-ils en tant que « chaos » ? Dans l’affirmative, une multitude de requêtes des victimes de violations massives des droits de l’homme seraient rejetées comme irrecevables. Il a été à juste titre soutenu ailleurs que « it is hard to imagine that the judges did not keep in mind Ukrainian and other conflict-related cases when deciding Georgia v. Russia (II) »[46]. Il est difficile de dire comment la Grande Chambre transposerait la grille de lecture de l’arrêt commenté sur les autres conflits armés internationaux à l’Est de l’Europe sans déformer les faits soumis à son appréciation. En définitive, toute application ultérieure des critères d’appréciation des conflits armés internationaux utilisés dans l’arrêt commenté risque de paraître artificielle et, partant, attirer des critiques.
En troisième lieu, l’arrêt du 21 janvier 2021 obscurcit les critères d’application du modèle personnel d’établissement de la juridiction extraterritoriale de l’État. Par le passé, la Cour avait opté pour une approche restrictive de la juridiction personnelle avec l’arrêt Bankovic. En l’espèce, la question était de savoir si les frappes aériennes des bâtiments à Belgrade par les forces armées des États parties de l’OTAN créaient un lien juridictionnel entre les États défendeurs et les victimes des bombardements. En d’autres termes, il s’agissait d’établir si les États ayant participé aux frappes aériennes pouvaient voir leur responsabilité engagée. La Cour a répondu par la négative à l’unanimité[47]. Or, depuis l’arrêt du 12 décembre 2001, la jurisprudence strasbourgeoise a évolué de façon considérable. Comme remarqué plus haut, elle a développé le modèle personnel dans les cas de prise d’otages, de détentions dans les prisons en dehors du territoire national et de tirs ciblés[48]. En l’espèce, toutefois, elle semble se servir de la jurisprudence Bankovic en négligeant les développements ultérieurs. L’opinion dissidente du juge Chanturia le regrette :
- Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je déplore que la majorité ait choisi de fonder ses conclusions concernant la juridiction extraterritoriale sur la décision Banković et autres, qui est manifestement dépassée, au lieu de s’appuyer sur une jurisprudence bien plus récente et pertinente, issue notamment des arrêts et décisions Jaloud, Solomou et autres, Andreou, Pad et autres, Isaak et autres et Issa et autres (tous précités).
Pour l’heure, le doute persiste quant à savoir si la résurgence de l’approche restrictive à la juridiction personnelle établie par l’arrêt Bankovic est une décision contextuelle et donc isolée, ou si elle est annonciatrice d’un recul par rapport aux développements plus récents. Comment la Cour va-t-elle concevoir le modèle personnel en traitant de la question de la juridiction dans les conflits armés internationaux ultérieurs ? Va-t-elle se pencher sur sa jurisprudence antérieure lui permettant de restreindre l’accès au prétoire ? Ou reviendra-t-elle aux critères de la juridiction personnelle établis par la jurisprudence « post-Bankovic »[49] ?
De plus, avec Géorgie c. Russie (II), la Cour s’est éloignée de l’approche de l’établissement de la juridiction personnelle des autres organes de protection des droits de l’homme[50]. Le modèle personnel tel qu’appliqué par le Comité des droits de l’homme des Nations unies et par la Cour interaméricaine des droits de l’homme est moins restrictif que celui de Géorgie c. Russie (II). Ainsi, l’arrêt de la Cour contribue davantage à la fragmentation du droit international des droits de l’homme[51]. Tout comme la Grande Chambre ne tient pas compte de la pratique des autres systèmes de protection des droits de l’homme, elle hésite à s’inspirer pleinement du droit international humanitaire dans l’interprétation de la Convention.
B- La question de la co-applicabilité laissée en suspens
- Dans la décision sur la recevabilité, la Cour a déclaré que « [la question] de l’interaction des dispositions de la Convention avec les normes du droit international humanitaire dans un contexte de conflit armé ressortit en principe à la procédure au fond ». Cet engagement n’a pas été tenu[52].
La présente affaire présentait en outre une excellente occasion pour la Cour d’éclairer la question des rapports entre le droit de la Convention européenne, d’une part, et le droit international humanitaire, d’autre part. Elle s’est déjà référée à la nécessité d’interpréter le droit de la Convention à la lumière du droit international humanitaire[53] afin d’éviter les contradictions entre ces deux corpus de règles. Dans un cas concernant les prisonniers de guerre, cette prise en compte du droit humanitaire par la Cour de Strasbourg a amoindri la protection de l’article 5[54]. En l’espèce, l’État défendeur a été reconnu agir en conformité avec ses obligations découlant du droit international humanitaire. Ces références sont pourtant rares dans sa jurisprudence.
Sur cette question, la Grande Chambre a posé plus de questions qu’elle n’a fourni de réponses. Tout d’abord, elle a confirmé la co-applicabilité du droit de la Convention avec le droit international humanitaire dans le cadre d’un CAI (§93). Elle a donc rejeté l’argument du gouvernement russe selon lequel la protection conventionnelle des droits de l’homme céderait sa place à celle du droit international humanitaire dès lors qu’il s’agit d’un conflit armé. Or, elle n’est pas allée plus loin dans la considération des rapports entre ces deux branches du droit. L’usage que le juge strasbourgeois fait du droit international humanitaire semble être contradictoire tout au long de l’arrêt commenté.
D’une part, la Cour semble dorénavant s’autolimiter en présence de la co-applicabilité du droit international humanitaire. Cela représente une déviation importante par rapport à sa jurisprudence précédente, où l’usage de la force contre les civils dans un conflit armé non international a été jugé comme incompatible avec l’article 2 de la Convention[55]. Or, en l’espèce, le fait que « de telles situations sont régies principalement par des normes juridiques autres que celles de la Convention (en l’occurrence le droit international humanitaire ou droit des conflits armés) » (§ 141) sert de prétexte pour ne pas relire les Conventions de Genève. En refusant d’établir la juridiction de la Russie pendant la phase active des hostilités, la Cour abdique au profit de règles du droit international humanitaire. Elle le fait dans un considérant contredisant ouvertement la doctrine de co-applicabilité de deux corpus de règles :
- La Cour rappelle à cet égard que cela ne signifie pas que les États peuvent agir en dehors de tout cadre juridique ; comme indiqué ci-dessus, ils sont en effet tenus dans un tel contexte de se conformer aux règles très précises du droit international humanitaire.
D’autre part, en ce qui concerne la phase d’occupation, la Cour opère un contrôle normal malgré la co-applicabilité de deux corpus de règles. Elle recherche à chaque fois si une contradiction existe entre le droit de la Convention et les dispositions pertinentes du droit international humanitaire (§§ 199 et 235-236). D’après la Cour, le droit à la liberté et à la sûreté protégé par l’article 5 de la Convention est le seul cas où une telle contradiction pouvait être constatée dans la mesure où la liste des justifications de la détention du paragraphe 1 de cet article n’inclut pas les finalités de détention autorisées par les troisième et quatrième Conventions de Genève (§ 236). Cette contradiction n’a cependant pas été caractérisée en l’espèce puisque la justification de la détention fournie par la Russie n’était légitime ni au regard de la Convention EDH, ni au regard des Conventions de Genève (§ 237). Dans d’autres situations de co-applicabilité, comme dans le cas de l’obligation de mener une enquête, la Grande Chambre cite les dispositions pertinentes du droit international humanitaire pour corroborer son argumentation (§§ 323-325).
L’opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Pinto de Albuquerque et Chanturia pallie la carence de la majorité. Il analyse la jurisprudence de la Cour européenne pour y voir les interactions entre les deux corpus de règles et les points d’influence du droit international humanitaire sur l’interprétation de la Convention[56].
Cette hésitation de la Cour à clarifier davantage les rapports entre le droit international humanitaire et le droit de la Convention européenne témoigne de la réticence générale de traiter des conflits armés internationaux. En effet, la Cour européenne semble éprouver la crainte de se voir transformé en un véritable organe international d’application du droit international humanitaire. Or, une telle extension de son office doit être exclue. Par le passé, la Cour européenne a déjà laissé comprendre qu’elle n’est pas le forum le plus adapté pour trancher de violations massives des droits de l’homme survenus en période de conflits armés internationaux. Tel était notamment le cas de son dictum dans les arrêts de satisfaction équitable Chiragov et Sargsyan[57] concernant le conflit dans le Haut-Karabakh. Une ouverture trop importante du prétoire de la Cour européenne aux plaintes concernant les violations du droit international humanitaire résulterait sans doute en une augmentation encore plus importante des requêtes à traiter.
Dans la présente affaire, elle s’autolimite à nouveau en présence des conséquences d’un conflit armé international. L’attitude de la Cour de Strasbourg semble décourager les plaintes des victimes des conflits armés internationaux. La Grande Chambre le dit explicitement ici : « compte tenu notamment du grand nombre de victimes alléguées et d’incidents contestés, du volume des éléments de preuve produits et de la difficulté à établir les circonstances pertinentes lors de la phase active des hostilités dans le cadre d’un conflit armé international […] la Cour estime qu’elle n’est pas en mesure de développer sa jurisprudence au-delà de la conception de la notion de « juridiction » telle qu’elle y a été établie jusqu’à présent » (§ 141). Ce passage conclut son analyse de la question de la juridiction de la Russie pendant la phase active des hostilités. Il s’y insère en dépit du fait que le nombre de victimes et les difficultés dans l’analyse des preuves sont des paramètres étrangers à la question de la juridiction[58].
Malgré sa portée normative douteuse, ce dictum marque la réticence de la Cour européenne de traiter de violations massives des droits relatifs à l’intégrité physique. Le prétoire strasbourgeois semble se déclarer hostile à l’avalanche récente des plaintes – tant individuelles qu’interétatiques[59] – concernant les violations des droits de l’homme dans les conflits armés. Le test de juridiction appliqué dans Géorgie c. Russie (II), s’il est repris dans les affaires concernant l’Est de l’Ukraine et le conflit dans le Haut-Karabakh, fermerait la seule possibilité pour les victimes d’ester en justice. Il est certes compréhensible que la Cour de Strasbourg, en quête constante de son désengorgement, veuille limiter le nombre de requêtes soumises à son examen. En revanche, la façon dont elle le fait est incompatible avec sa mission première d’organe protecteur des droits de l’homme, seul et ultime recours pour les victimes en quête de la justice. Comme il a pu être remarqué ailleurs, « the Court, which was designed to be a bulwark against totalitarianism and ultimately prevent war, decided not to deal with massive human rights violations as they are too complex and demanding »[60]. En définitive, la carence à établir la juridiction pendant la phase active des hostilités laisse penser que les opérations militaires sont inattaquables devant la Cour européenne des droits de l’homme.
[1] CEDH [GC], Chypre c. Turquie, 10 mai 2001.
[2] CEDH, Ukraine et Pays-Bas c. Russie, requêtes nos 8019/16, 43800/14 et 28525/20, introduites respectivement le 1 mars 2014, 13 juin 2014 et 10 juillet 2020.
[3] CEDH, Azerbaïdjan c. Arménie, requête n° 47319/20 introduite le 15 janvier 2021 ; CEDH, Arménie c. Azerbaïdjan, requête n° 42521/20 introduite le 1 février 2021.
[4] K. Dzehtsiarou, « The Judgement of Solomon that went wrong: Georgia v. Russia (II) by the European Court of Human Rights », Völkerrechtsblog, 26 janvier 2021 [En ligne]. URL : https://voelkerrechtsblog.org/the-judgement-of-solomon-that-went-wrong-georgia-v-russia-ii-by-the-european-court-of-human-rights/ (consulté le 5 avril 2021).
[5] CEDH [GC], Géorgie c. Russie (I), 3 juillet 2014 concernait les épisodes des expulsions collectives des citoyens géorgiens de la Russie entre octobre 2006 et janvier 2007.
[6] CEDH [GC], Ukraine c. Russie (re Crimée) (déc.), 16 décembre 2020, requête déclarée partiellement recevable.
[7] M. Milanovic, « Georgia v. Russia No. 2: The European Court’s Resurrection of Bankovic in the Contexts of Chaos », EJIL:Talk!, 25 janvier 2021[En ligne]. URL : https://www.ejiltalk.org/georgia-v-russia-no-2-the-european-courts-resurrection-of-bankovic-in-the-contexts-of-chaos/ (consulté le 5 avril 2021).
[8] V. notamment Opinion en partie dissidente du juge Lemmens, pp. 176-177 ; Opinion en partie dissidente du juge Grozev, pp. 178-182 ; Opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Pinto de Albuquerque et Chanturia, pp. 183-195 ; Opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Wojtyczek et Chanturia, pp. 196-212 ; Opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque, pp. 213-232 ; Opinion en partie dissidente du juge Chanturia, pp. 237-254.
[9] H. Duffy, « Georgia v. Russia: Jurisdiction, Chaos and Conflict at the European Court of Human Rights », Just Security, 2 février 2021 [En ligne]. URL : https://www.justsecurity.org/74465/georgia-v-russia-jurisdiction-chaos-and-conflict-at-the-european-court-of-human-rights/ (consulté le 5 avril 2021).
[10] J. Gavron, P. Leach, « Damage control after Georgia v Russia (II) – holding states responsible for human rights violations during armed conflict », Strasbourg Observers, 8 février 2021 [En ligne]. URL : https://strasbourgobservers.com/2021/02/08/damage-control-after-georgia-v-russia-ii-holding-states-responsible-for-human-rights-violations-during-armed-conflict/ (consulté le 5 avril 2021).
[11] V. infra, II-A.
[12] V. infra, II-B.
[13] V. sur cette stratégie L. R. Glas, « They did it again: Russia’s continued presence in the PACE », Strasbourg Observers, 23 février 2021 [En ligne]. URL : https://strasbourgobservers.com/2021/02/23/they-did-it-again-russias-continued-presence-in-the-pace/ (consulté le 11 mai 2021).
[14] CEDH [GC], Al-Jedda c. Royaume-Uni, 7 juillet 2011, § 74.
[15] CEDH [GC], Ilascu et autres c. Moldova et Russie, 8 juillet 2004, § 312.
[16] Ibid, §§ 313-339.
[17] Dans l’arrêt commenté, la Cour limite expressément la portée de l’arrêt commenté aux CAI, v. §§ 141-142.
[18] CEDH [GC], Bankovic et autres c. Belgique et autres (déc.), 12 décembre 2001, § 67 ; CEDH [GC], Ilascu et autres c. Moldova et Russie, 8 juillet 2004, § 314.
[19] CEDH [GC], Loizidou c. Turquie, 18 décembre 1996, § 56 ; v. aussi G. Cohen-Jonathan, F. Flauss, « Cour européenne des droits de l’homme et droit international général », AFDI, Vol. 50, 2004, pp. 782-788.
[20] CEDH [GC], Ilascu et autres c. Moldova et Russie, 8 juillet 2004, § 314.
[21] CEDH, Issa et autres c. Turquie, 16 novembre 2004, § 75.
[22] CEDH [GC], Ukraine c. Russie (re Crimée) (déc.), 16 décembre 2020.
[23] CEDH [GC], Loizidou c. Turquie, 18 décembre 1996, § 62.
[24] CEDH [GC], Ilascu et autres c. Moldova et Russie, 8 juillet 2004, §§ 382-393.
[25] CEDH [GC], Chypre c. Turquie, 10 mai 2001, § 77.
[26] CEDH [GC], Ilascu et autres c. Moldova et Russie, 8 juillet 2004, §§ 387-394.
[27] J. D’Aspremont, J. de Hemptinne, Droit international humanitaire : thèmes choisis, Paris, A. Pedone, 2012, p. 123.
[28] CEDH [GC], Sargsyan c. Azerbaïdjan, 16 juin 2015, §§ 148-150.
[29] K. Dzehtsiarou, op. cit.
[30] M. Milanovic, op. cit.
[31] Ibid.
[32] CEDH, Issa et autres c. Turquie (déc.), 16 novembre 2004, §§ 74-75.
[33] CEDH, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni (déc.), 30 juin 2009, §§ 84-89.
[34] CEDH [GC], Al-Skeini c. Royaume-Uni, 7 juillet 2011, § 136.
[35] Ibid, § 149. v. aussi Isaak et autres c. Turquie, 28 septembre 2006 ; Andreou c. Turquie, 3 juin 2008 ; Solomou et autres c. Turquie, 24 juin 2008.
[36] M. Milanovic, op. cit.
[37] Opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Wojtyczek et Chanturia, §5.
[38] CEDH, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni (déc.), 30 juin 2009, §§ 86-89 ; CEDH [GC], Medvedyev et autres c. France, 23 mars 2010, §67.
[39] V. en même sens H. Duffy, op. cit.
[40] CEDH [GC], Hassan c. Royaume-Uni, 16 septembre 2014, § 101.
[41] CEDH, Inter-State applications – By date of introduction of the applications, 23 février 2021 [En ligne]. URL : https://www.echr.coe.int/Documents/InterState_applications_ENG.pdf (consulté le 10 mai 2021).
[42] Comité directeur pour les droits de l’homme, Draft CDDH report on the effective processing and resolution of cases relating to inter-State disputes, 8 juillet 2020, §§ 16-18 [En ligne]. URL : https://rm.coe.int/steering-committee-for-human-rights-cddh-committee-of-experts-on-the-s/16809f059e (consulté le 10 mai 2021).
[43] Conseil de l’Europe, Déclaration de Copenhague, 12 et 13 avril 2018, § 54 c).
[44] P. Leach, « On inter-state litigation and armed conflict cases in Strasbourg », European Convention on Human Rights Law Review, 22 avril 2021, p. 26.
[45] CEDH [GC], Géorgie c. Russie (I), 3 juillet 2014, §§ 122-127. Isabella Risini évoque « a high evidentiary hurdle on the allegation of systemic killings » afin que la Cour puisse conclure à l’existence d’une pratique administrative. V. I. Risini, « Human Rights in the Line of Fire. Georgia v Russia (II) before the European Court of Human Rights » Verfassungsblog, 28 janvier 2021 [En ligne]. URL : https://verfassungsblog.de/human-rights-in-the-line-of-fire/ (consulté le 11 mai 2021).
[46] A. Moiseieva, « The ECtHR in Georgia v. Russia – a farewell to arms? The effects of the Court’s judgment on the conflict in eastern Ukraine », EJIL:Talk!, 24 février 2021 [En ligne]. URL : https://www.ejiltalk.org/the-ecthr-in-georgia-v-russia-a-farewell-to-arms-the-effects-of-the-courts-judgment-on-the-conflict-in-eastern-ukraine/ (consulté le 6 avril 2021).
[47] CEDH [GC], Bankovic et autres c. Belgique et autres (déc.), 12 décembre 2001, §§ 64-65.
[48] V. supra.
[49] Opinion en partie dissidente du juge Chanturia, §11.
[50] J. Gavron, P. Leach, op. cit.
[51] V. notamment Opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque, §2.
[52] Opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Pinto de Albuquerque et Chanturia, § 26.
[53] CEDH [GC], Varnava et autres c. Turquie, 18 septembre 2009, § 185.
[54] CEDH [GC], Hassan c. Royaume-Uni, 16 septembre 2014, §§ 96-107.
[55] CEDH, Benzer et autres c. Turquie, 12 novembre 2013, §184.
[56] Opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Pinto de Albuquerque et Chanturia, §§ 2-24.
[57] CEDH [GC], Chiragov et autres c. Arménie, 12 décembre 2017, §§ 43-52 ; CEDH [GC], Sargsyan c. Azerbaïdjan, 12 décembre 2017, §§ 28-34.
[58] Opinion en partie dissidente du juge Chanturia, §§ 20-28 ; v. supra.
[59] V. par exemple les statistiques dans CEDH, Complaints brought by Ukraine against Russia concerning a pattern of human rights violations in Crimea declared partly admissible, Communiqué de Presse du Greffe de la Cour, 14 janvier 2021, se réfèrant à 7 000 requêtes individuelles concernant les événements en Crimée, à l’Est de l’Ukraine et dans la mer d’Azov. De même, l’Ukraine a déposé neuf requêtes interétatiques contre la Russie portant sur les mêmes événements.
[60] K. Dzehtsiarou, op. cit.