De l’aube au crépuscule : le rejet de l’effet direct de la Charte sociale européenne par la chambre sociale de la Cour de cassation
Par ses arrêts du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation valide les « barèmes Macron » en écartant les moyens d’inconventionnalité au regard de la Charte sociale européenne et de la Convention OIT N° 158. Pour ce faire, elle rejette notamment l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne selon une motivation et un raisonnement particulièrement contestables. Au point que la portée juridique de ce traité international, et du mécanisme de contrôle, qui l’accompagne semble avoir été sacrifiée sur l’autel de l’opportunité politique.
Par Carole Nivard, Maître de conférences à l’Université de Rouen et membre du CUREJ (Centre universitaire rouennais d’études juridiques).
« La critique est aisée mais l’art est difficile ». Ce préalable étant admis, la lecture des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 mai 2022[1] ne peut susciter que regrets et insatisfaction chez celles et ceux qui croient, encore, en la valeur supralégislative des sources internationales du droit français. En effet, quelle consistance peut avoir une telle valeur, pourtant affirmée par l’article 55 de la Constitution française, s’il n’y a pas de juge pour la sanctionner ? Il y a un peu moins de deux ans, nous avions considéré que les avis du 17 juillet 2019 de l’assemblée plénière constituaient « un sérieux coup porté à l’effectivité de la Charte sociale européenne révisée dans l’ordre juridique français »[2]. En confirmant et en précisant les avis de 2019, les arrêts du 11 mai 2022 lui portent, quant à eux, un véritable coup de grâce. En effet, à l’occasion d’un premir pourvoi Société FSM, n° 21-15.247, répondant au seul moyen incident de l’absence de conventionnalité de l’article 1235-3 du code de travail[3] au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, la chambre sociale dénie tout effet direct à la Charte sociale européenne. Par un second pourvoi, La Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste, n° 21-14.490, statuant sur le seul moyen de la conformité à l’article 10 de la Convention OIT n° 158, la Charte sociale européenne se trouve encore implicitement évincée quant à une éventuelle fonction interprétative. La position de la chambre sociale dans ses arrêts est donc très affirmée et sans nuances. Pourtant, elle ne traduit pas une opinion unanime – ni définitive espérons – sur le sujet de l’invocabilité de la Charte sociale européenne. La doctrine est en effet partagée sur ce point, ce que confirme la lecture des rapports des conseillers[4]. Plus encore, les membres de la chambre sociale apparaissent eux-mêmes divisés comme l’illustrent les avis de Mme l’avocate générale qui préconisaient, à défaut d’un effet direct horizontal, une invocabilité de l’article 24 de la Charte en vue d’une interprétation du droit interne conforme à la Charte telle qu’interprétée par le Comité européen des droits sociaux[5].
Le contexte politico-judiciaire dans lequel la chambre sociale se prononçait a certainement joué un rôle majeur. Son arbitrage était attendu après des années de cacophonie jurisprudentielle au sein des conseils de prud’hommes, cacophonie à laquelle les avis de 2019 n’avaient pas réussi à mettre fin. Sur le plan international, des législations équivalentes, finlandaise[6] puis italienne[7], avaient fait l’objet de constats de contrariété avec la Charte sociale européenne. La condamnation de la France par le Comité européen des droits sociaux était d’ailleurs imminente. En effet, la décision sur le bien-fondé Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, Réclamation n° 160/2018 et Confédération générale du travail (CGT) c. France, Réclamation n° 171/2018 qui a été publiée officiellement il y a quelques jours, avait été rendue par le Comité le 23 mars 2022. Ces deux mêmes syndicats avaient par ailleurs saisi l’organe de contrôle de l’OIT qui, dans un rapport adopté le 7 février 2022, laissait clairement entendre que l’application de la législation française pourrait ne pas assurer dans tous les cas une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif[8]. Pourtant, et sans réelle surprise[9] , la chambre sociale a finalement suivi les avis de 2019, y compris dans leur numéro d’équilibriste, en laissant volontairement obscurs certains points potentiellement conflictuels (rejet de l’effet direct ou du seul effet direct horizontal ? Refus du seul effet direct ou de toute invocabilité ?). Pour autant, la lecture des arrêts de 2022, éclairés par la notice au rapport annuel et le communiqué de presse qui les accompagnent, traduisent une position plus radicale, de mauvais augure pour la justiciabilité de la Charte sociale européenne dans l’ordre juridique français. Certes, comme de nombreux commentaires l’ont déjà relevé[10], le choix de conclure à la conventionnalité de la loi était avant tout politique : il fallait « sauver » le barème Macron quoi qu’il en coûte…le prix pour la Charte sociale européenne nous semble cependant bien élevé.
I. Le rejet de l’effet direct de la Charte sociale : « Jeter le bébé avec l’eau du bain »
Quels enseignements tirer de l’arrêt Société FSM quant à la question de l’effet direct de la Charte sociale européenne ?
Tout d’abord, l’effort de clarté et de pédagogie de la chambre sociale dans la motivation de l’arrêt est un point à saluer. Premièrement, l’arrêt cite les extraits de la Charte sociale révisée et de son annexe qui fondent son appréciation. Elle se réfère ainsi à la partie I de la Charte qui énonce l’ensemble des droits de la Charte, notamment le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement, en tant qu’objectifs que les Etats Parties s’engagent à poursuivre dans leur politique nationale. Puis, elle mentionne l’article 24 de la Partie II de la Charte qui consacre ce dernier droit, notamment sa composante qui garantit « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée », ainsi que l’extrait de l’annexe à la Charte qui précise que cette indemnité ou réparation « doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales ». Deuxièmement, elle cite les extraits de la Partie II et de la Partie III précisant l’étendue des engagements des Etats Parties à la Charte. Ce faisant, la chambre sociale fait une interprétation exacte des termes de la Charte ainsi que des actes d’approbation de celle-ci par la France[11]. Elle rappelle ainsi le système d’acceptation « à la carte » selon lequel les Etats doivent indiquer les articles de la Partie II de la Charte vis-à-vis desquels ils doivent se considérer liés et que la France a choisi d’être liée par l’ensemble de ces articles. Autre point à saluer, bien qu’il relevait de l’évidence (mais visiblement pas pour les avocats de la salariée), la chambre sociale rejette dans les derniers paragraphes de l’arrêt la seconde branche du moyen qui arguait des obligations de l’Etat français lorsqu’il met en œuvre un acte du droit de l’Union européenne. Ce moyen procédait d’une confusion entre la Charte des droits fondamentaux du droit de l’Union européenne et la Charte sociale européenne, ce que la chambre sociale a heureusement relevé en rappelant que cette dernière Charte a « été adoptée par les Etats membres du Conseil de l’Europe » (§22)[12].
Cet effort de clarté de la motivation de la part de la chambre sociale se double d’une clarification bienvenue de sa jurisprudence relative à l’effet direct des conventions internationales. En effet, jusqu’à présent, la Cour de cassation n’avait jamais explicité les principes de sa jurisprudence en la matière. Certes, le travail doctrinal avait permis d’identifier dans ses décisions, le recours aux critères classiques de l’effet direct, c’est-à-dire aux critères objectif et subjectif[13]. Pour autant, les principes de son raisonnement n’avaient jamais été systématisés contrairement à ceux de la jurisprudence administrative précisés depuis l’arrêt Gisti et Fapil du Conseil d’Etat rendu en 2012[14]. Or, dans son arrêt Société FSM, la chambre sociale dispose pour la première fois que « Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers », ce qui constitue une reprise « mots pour mots » d’une partie du considérant de principe de l’arrêt Gisti et Fapil. La chambre sociale a donc fait le choix de s’aligner sur les critères définis par le Conseil d’Etat, ce qui est une excellente nouvelle étant donné le risque avéré de cacophonie du fait du caractère prétorien de la détermination de l’invocabilité des conventions internationales appréciée par les juridictions administratives et les juridictions judiciaires de façon autonome[15].
Cela étant dit, si l’énoncé des principes s’annonçait convainquant, tel n’est pas le cas de l’application de ces principes au cas de l’article 24 de la Charte sociale révisée.
En effet, afin de conclure à l’absence « d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers » de cette disposition, la chambre sociale considère qu’« Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 » (§ 20).
Ainsi, tout d’abord, elle estime que le critère objectif de l’effet direct n’est pas rempli dans la mesure où la mise en œuvre de l’article 24 nécessite l’adoption d’actes complémentaires d’application. La solution pourrait ne pas surprendre car elle rejoint en définitive les avis du 17 juillet 2019 qui avaient rejeté l’effet direct de l’article 24 en raison de « l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes » de la Charte. Cela revenait à objecter, de la même façon, la nécessaire intervention du pouvoir d’appréciation des autorités étatiques interférant entre le droit consacré par la convention internationale et la jouissance effective par les individus. En revanche, l’analyse des termes de la Charte comme ne contenant que « des principes et des objectifs » est bien plus surprenante et contestable (voir infra).
Elle a surtout pour effet d’étendre le défaut d’effet direct à l’ensemble des dispositions de la Charte sociale européenne révisée.
Une telle extension découle également du second temps de la motivation. La chambre sociale ajoute en effet que les Etats Parties « ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 » (§ 20). Le paragraphe 18 énonce ainsi que « l’annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l’application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives ». Là encore, malgré le renvoi aux avis du 17 juillet 2019, il s’agit d’un argument qui n’y figurait pas même s’il avait été évoqué dans les conclusions de l’avocat général[16]. La notice au rapport annuel confirme que le renvoi à cet extrait de l’annexe doit être interprété comme la preuve que la Charte prévoit elle-même qu’aucun contrôle du respect de la Charte au plan interne n’est possible, qu’il soit juridictionnel ou non, puisque seuls les mécanismes de contrôle internationaux prévus devant le Comité européen des droits sociaux seraient admis[17]. Le critère subjectif de l’effet direct ne serait donc pas non plus rempli, la volonté de rédacteurs de la Charte n’étant pas d’accorder des droits aux individus, mais à l’inverse, d’exclure tout contrôle du respect de ses droits dans l’ordre juridique interne. Le communiqué de presse spécifie en outre que le mécanisme de réclamations devant le Comité n’a pas de caractère juridictionnel dans la mesure où « les décisions qu[e cette instance] prend n’ont pas de caractère contraignant en droit français »[18]. C’est donc l’ensemble de Charte qui serait insusceptible de recours juridictionnel au sein des Etats parties, de même qu’au plan international, son organe de contrôle rendant des appréciations non contraignantes pour les Etats Parties.
Les conséquences de la solution et de la motivation de l’arrêt dépassent donc le seul cas de l’article 24 de la Charte sociale. Dans cet arrêt, il s’agit bien de l’effet direct de l’ensemble des dispositions de la Charte qui se trouve rejeté. C’est d’ailleurs ce qui résulte des termes de son paragraphe 21 selon lesquels « les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail », interprétation confirmée par la notice au rapport annuel.
Certes, la chambre sociale a entouré sa formule de précaution par l’incise « pas d’effet direct dans un litige entre particuliers ». Il s’agissait d’éviter l’opposition frontale avec la jurisprudence du Conseil d’Etat ayant quant à lui admis l’effet direct de l’article 24 mais à l’occasion d’un litige vertical dans un arrêt Fischer de 2014[19]. Il s’agit encore de maintenir le doute quant à l’éventualité d’un effet direct dans un litige vertical ou encore d’une possible invocabilité d’interprétation conforme dans un litige, même horizontal, qui ne conduirait pas à écarter une règle législative contraire. Mais cette précaution se trouve balayée par la radicalité des motifs fondant la solution. La solution de l’arrêt est donc bien discordante avec la jurisprudence du Conseil d’Etat. D’une part, la jurisprudence administrative ne distingue pas au sein de l’effet direct, les situations d’horizontalité et de verticalité. D’autre part, le Conseil d’Etat a fait le choix d’une appréciation disposition par disposition, admettant l’effet direct de certaines dispositions de la Charte sociale mais pas d’autres[20]. Cette technique de « dépeçage » du traité est également appliquée par les juges judiciaires s’agissant de certaines conventions de protection de droits humains telles que la Convention des droits de l’enfant ou le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[21]. Or, par cet arrêt, la chambre sociale rejette clairement l’effet direct de la Charte sociale en bloc, sans nuance. Au-delà, la question se pose de savoir si ce n’est pas toute invocabilité en justice qui se trouve de fait écartée. La chambre sociale ne tranche pas définitivement la question de savoir si la Charte sociale européenne, où toute autre convention internationale en dehors du droit de l’Union européenne, pourrait être invocable devant les juridictions judiciaires, même sans effet direct. Cette distinction entre « invocabilité » et « effet direct » des traités internationaux avait été rejetée par le Conseil d’Etat dans son arrêt Gisti et Fapil par la première phrase de son considérant de principe en vertu duquel « les stipulations d’un traité (…) peuvent utilement être invoquées à l’appui d’une demande tendant (à l’annulation d’un acte administratif ou à l’inapplicabilité d’une disposition interne contraire], dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir ». Or, l’arrêt Société FSM ne reprend pas cette formule laissant ouverte l’interprétation. A l’inverse, le Conseil d’Etat conditionne donc expressément l’invocabilité à l’effet direct, contrairement à ce qu’avait préconisé la Commissaire du Gouvernement à l’époque[22] et à ce que défendait également l’avocate générale en l’espèce. En effet, si dans ses conclusions sur l’affaire Société FSM, Mme Berriat avait admis l’absence d’effet direct de l’article 24 de la Charte et donc le rejet du moyen, elle a défendu lors de l’affaire Mutuelle Pleyel centre de santé mutualiste, l’idée que l’article 10 de la Convention OIT n° 158 soit lu à la lumière de l’article 24 et de l’interprétation qu’en a donné le Comité européen des droits sociaux. Elle défendait donc l’idée d’une invocabilité d’interprétation conforme de l’article 24, à défaut d’effet direct. Cependant, la chambre sociale ne fait aucune allusion à la Charte sociale dans son arrêt et rejette donc implicitement une telle interprétation. Si l’on couple ce rejet avec sa motivation de l’arrêt Société FSM, selon laquelle l’annexe de la Charte sociale prohiberait tout contrôle du respect de la Charte sociale dans l’ordre juridique interne, toute forme de justiciabilité de la Charte se trouve rejetée.
En définitive, à l’aune d’« une analyse globale des termes » de l’arrêt, et des documents qui l’accompagnent, il semble qu’avec le rejet de l’effet direct de l’article 24 de la Charte, la chambre sociale récuse la Charte dans son ensemble, l’autorité de son organe de contrôle, sa justiciabilité et son effectivité au plan interne.
L’arrêt de la chambre était attendu. Parmi les scénarios les plus pessimistes, on envisageait le rejet de l’effet direct de l’article 24 de la Charte ou encore le rejet de l’effet contraignant des appréciations du Comité européen des droits sociaux. La chambre sociale est allée encore plus loin en déniant toute justiciabilité, et donc quasi toute effectivité dans l’ordre juridique interne, ainsi que tout caractère contraignant à son mécanisme de contrôle.
II. Un raisonnement bancal : « Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage »
L’affirmation d’un défaut d’effet direct de la Charte sociale européenne révisée, dans son ensemble, devant les juridictions judiciaires est discutable en soi. Mais plus encore, les motifs avancés par la chambre sociale pour fonder son appréciation sont très contestables. Le raisonnement suivi par la chambre sociale, dont le sens se trouve éclairé et confirmé par la lecture du communiqué de presse et de la notice au rapport annuel accompagnant les arrêts du 11 mai 2022, ne parvient pas à convaincre. Il semble que tel a été le prix du sauvetage du barème : celui de la rationalité juridique.
En vertu du paragraphe 20 de l’arrêt Société FSM, deux considérations semblent fonder l’appréciation de la chambre sociale, considérations qui relèvent d’une lecture très restrictive des termes et de la portée de la Charte. La chambre sociale argue en effet du caractère programmatique de la Charte, d’une part, et du caractère strictement international du contrôle des engagements étatiques envers elle, d’autre part.
En affirmant qu’il résulte des termes de la Charte, que « les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application », la chambre sociale fait une lecture surprenante des dispositions pourtant citées dans l’arrêt. En effet, cette formulation découle des termes de la Partie I de la Charte[23] et non pas de ceux de la Partie II, dans laquelle figure l’article 24, qui dispose que « les Parties s’engagent à se considérer comme liées […] par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu’elle contient. Aussi, la chambre sociale se fonde sur les termes de la Partie déclarative de la Charte (en vertu des termes de l’article A, 1, a, de la Partie III cité dans l’arrêt) et non pas sur ceux de la Partie II (partie contraignante selon les termes de l’article A, 1, b, également cité). Ce faisant, elle élude opportunément les obligations formulées dans la Partie II de la Charte sociale révisée, qui ont été acceptées par la France s’agissant de l’ensemble des droits qu’elle consacre. Pour ce qui concerne spécifiquement l’article 24 de la Charte sociale européenne, ses termes énoncent pourtant clairement un droit à respecter et non pas un principe ou un objectif à poursuivre. Selon ces termes « les Parties s’engagent à reconnaître : (…) b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». Il est donc faux de considérer que la Charte ne formule qu’un ensemble de principes et objectifs à poursuivre. Comme le communiqué de presse l’explicite, la chambre sociale considère que « la Charte sociale européenne repose sur une logique programmatique » dans le sens où « elle réclame des États qu’ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu’elle leur fixe ». Mais cette « logique programmatique » ne se retrouve que dans la formulation de la Partie I de la Charte qui a été conçue comme une déclaration commune à l’ensemble des Etats Parties à la Charte, visant à compenser le fait que les dispositions contraignantes de la Partie II ne leurs seraient en revanche pas applicables à tous, du fait du système d’acceptation « à la carte » qui leur permet de choisir les dispositions les liant[24]. Autrement dit, pour ce qui est des droits de la Charte envers lesquels ils ne sont pas engagés, ils déclarent néanmoins, en vertu de la Partie I, les reconnaître « comme objectif d’une politique qu'[ils] poursuivront par tous les moyens utiles ». Même si l’on cherchait à convoquer une prétendue volonté initiale des auteurs de la Charte, rien parmi les travaux préparatoires de la Charte de 1961 ou de de la Charte révisée de 1995, ou parmi les premiers commentateurs de ce traité ne permet de déceler l’idée que la Charte n’énoncerait que des principes et objectifs[25]. Même Pierre Laroque, dont la présentation du système de la Charte publiée en 1979 se trouve encore une fois déterrée pour justifier le rejet de l’effet direct du traité (voir infra), n’était pas allé jusque-là. Il oppose en effet bien l’énoncé d’objectifs de la Partie I et les engagements juridiques de la Partie II en écrivant que « si la Partie I de la Charte ne contient qu’une définition d’objectifs ne comportant pas d’obligations juridiquement précises, les principes qui y sont posés n’en sont pas moins, dans bien des cas, une base utile pour l’interprétation des engagements pris en vue d’atteindre ces objectifs »[26]. La Partie II contient bien des obligations juridiques précises pour les Etats dont certaines au moins sont immédiatement exigibles.
L’arrêt, précisé en cela par sa notice explicative, ajoute encore d’autres éléments qui feraient obstacle à la justiciabilité de l’article 24 de la Charte sociale mais qui relèvent pareillement d’interprétations comportant des omissions opportunes, voire fallacieuses. Il y est ainsi précisé que la Charte ne contient que « des engagements des Etats Parties », et qu’en particulier, les termes de l’article 24 viseraient les « seuls Etats Parties ». En somme, la Charte contiendrait des obligations s’adressant aux seuls Etats et non pas directement aux individus. Cet argument textuel classiquement opposé à l’effet direct des conventions internationales avait pourtant été minoré par l’arrêt Gisti et Fapil dont la dernière phrase du considérant de principe (adroitement éludé par l’arrêt Société FSM…) précisait que « l’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit ». Cette mise à distance opérée par l’arrêt Gisti et Fapil a d’ailleurs certainement contribué au revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat permettant la reconnaissance de l’effet direct de certaines dispositions de la Charte sociale européenne[27]. Plus fallacieux encore, la notice explicative précise que contrairement à l’article 10 de la Convention OIT (voir infra), l’article 24 « met au cœur du dispositif, non pas les juridictions nationales, mais les seuls Etats Parties, sur lesquels reposent la mission de permettre, par leur législation ou par voie de la négociation collective ». C’est faire fi des termes-mêmes de l’article 24 qui engagent les Etats à s’assurer que les travailleurs disposent d’un « droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ». Or, dans l’ensemble des Etats Parties, cet organe impartial est justement un juge ! C’est encore faire fi de la doctrine du Comité européen des droits sociaux qui, lors de son contrôle, vérifie l’existence et l’effectivité des voies de recours juridictionnelles[28]. D’ailleurs, en matière de plafonnement législatif des indemnités, si le Comité admet l’objectif poursuivi par le législateur de désengorgement des tribunaux, il considère cependant que « la victime doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies de droit et les juridictions compétentes pour accorder une indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi doivent se prononcer dans un délai raisonnable »[29]. C’est, enfin, faire fi de l’article I de la partie V de la Charte sociale européenne, pourtant cité par l’arrêt, qui dispose que les dispositions de la Charte sont mises en œuvre par voie de législation ou règlementation, de conventions collectives et/ou « d’autres moyens appropriés », qui comprennent évidemment les décisions de justice et la jurisprudence. C’est donc à l’issue d’une lecture volontairement borgne des termes de la Charte que l’arrêt présente ce traité comme une liste de principes que seuls les législateurs des Etats Parties, ou les représentants des travailleurs et employeurs pour ce qui est des conventions collectives, seraient à même de mettre en œuvre. Il en résulte une réduction de la portée de la Charte qui se trouve encore confortée par son second argument.
Le deuxième motif fondant l’appréciation de la chambre sociale réside dans l’idée d’un contrôle du respect de la Charte strictement international. Il résulterait en effet des termes de l’annexe de la Charte que celle-ci « contient des engagements juridiques de caractère international dont l’application est soumise au seul contrôle » du Comité européen des droits sociaux soit dans le cadre du système de rapports périodiques, soit par le biais des réclamations collectives. Par un raisonnement a contrario, se trouverait donc rejetée la possibilité de tout contrôle de la Charte sociale européenne au plan interne. Une telle interprétation résulte des propos tenus par Pierre Laroque en son temps dans un article publié en 1979 dans la revue Droit social. Cette source d’inspiration se trouve confirmée par le fait que tant l’avis de l’Avocate générale, le rapport des conseillers et la notice explicative renvoient à ces propos. A notre sens, cette seule référence ne suffit pas à emporter l’adhésion. Non pas que l’opinion de Pierre Laroque, plus qu’autorisée, soit sans valeur, de même que la prétendue volonté des auteurs de la Charte. Rappelons que Pierre Laroque a participé aux travaux préparatoires puis a été le premier Président du Comité d’experts indépendants de la Charte (désormais appelé Comité européen des droits sociaux). Mais rappelons également que les rédacteurs de la Charte ont œuvré de 1954 à 1960 et que l’article de Pierre Laroque résulte d’un rapport rédigé en 1977. Qui peut prétendre que la place et la portée des sources internationales dans l’ordre juridique français n’a pas évolué depuis lors ! Certes, la Charte sociale européenne a été révisée en 1995 et l’Annexe n’a pas été modifiée à cette occasion, semblant confirmer la volonté des premiers rédacteurs. Une telle présomption est aisément réfragable au regard du seul principe de réalité, qui permet de constater que des juges internes relevant de divers Etats Parties ont d’ores et déjà admis de contrôler le respect de certaines dispositions de la Charte sociale de 1961 et celle de 1995[30]. La pensée de Jean-Michel Belorgey, plus actuelle et tout autant légitime en tant qu’ancien Président du Comité européen des droits sociaux[31], a été mobilisée par Mme la première Avocate générale mais n’a pas été suivie par la formation de jugement. Jean-Michel Belorgey retient pourtant une autre interprétation des termes de l’Annexe : la précision relative au monopole des mécanismes de contrôle de la Charte vise en fait à écarter la compétence des autres organes de contrôle existants au plan international. Il ajoute que si les rédacteurs de la Charte avaient voulu exclure tout effet direct ou toute compétence des juges internes, il aurait suffi qu’ils l’indiquent de façon explicite[32]. L’eussent-ils fait qu’il nous semble que cela n’aurait constitué qu’un élément à prendre en compte par le juges interne pour apprécier leur propre compétence. En effet, les rédacteurs d’un traité ne peuvent régler définitivement les modalités de son application et de son contrôle dans l’ordre interne des Etats Parties, qui relèvent de leurs ordres constitutionnels respectifs.
La Charte sociale européenne est un traité international ratifié par la France. A ce titre, en vertu du droit constitutionnel positif, les juges français de droit commun ont le pouvoir de contrôler leur respect, d’en interpréter les termes et de la faire prévaloir sur les normes internes contraires y compris législatives.
Les juges français ont toutefois conditionné l’invocabilité en justice de certaines sources internationales à la condition de leur effet direct, sans qu’il soit clarifié pour l’heure si cette condition concerne l’ensemble des traités, si elle vaut dans tout type de contentieux ou, encore, si elle est exclusive de tout effet ou toute prise en compte de la source internationale dans la motivation de leurs décisions. Dans son arrêt du 11 mai 2022, la chambre sociale fait application de cette théorie pour rejeter l’effet direct et donc écarter la possibilité pour un individu de revendiquer, sur le seul fondement de la Charte sociale, un droit subjectif, qui plus est, à l’occasion d’un litige horizontal. Il n’en demeure pas moins qu’à notre sens, les arguments avancés pour rejeter un tel effet ne sont pas admissibles. S’agissant du critère subjectif, une fois l’interprétation des termes de l’Annexe relativisée, il est difficile de considérer qu’un traité consacrant des droits humains ne contiennent que des engagements interétatiques et ne vise pas à créer des droits pour les individus. S’agissant du critère objectif, l’affirmation selon laquelle l’article 24 ne contiendrait qu’un principe que les Etat doivent poursuivre par tous moyens utiles doit être rejetée. Il peut être éventuellement discuté du caractère auto-suffisant de la disposition, c’est-à-dire du fait qu’elle nécessite l’adoption d’actes nationaux complémentaires d’application. En ce sens, la motivation des avis de l’assemblée plénière du 17 juillet 2019, qui avaient écarté l’effet direct de cet article en raison de la marge nationale d’appréciation laissée aux Etats Parties, était davantage recevable….sans pour autant convaincre en raison de la reconnaissance parallèle de l’effet direct de l’article 10 de la Convention OIT n° 158.
III. La confirmation de l’effet direct de l’article 10 de la Convention OIT n° 158 : « deux poids, deux mesures »
L’arrêt Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste vient confirmer les avis de 2019 en maintenant la reconnaissance de l’effet direct de l’article 10 de la Convention OIT n° 158.
La parenté entre ces deux dispositions est tellement flagrante que la Cour de cassation a été contrainte de justifier la différence de traitement dans la notice au rapport annuel et le communiqué de presse.
Reprenons les arguments avancés dans la notice :
« 1°) les stipulations de l’article 10 sont suffisamment claires et inconditionnelles et ne nécessitent pas d’acte complémentaire pour être définies » : les articles 24 de la Charte sociale et 10 de la Convention OIT étant rédigés dans les mêmes termes, on ne comprend pas pourquoi seules les stipulations de l’article 10 seraient suffisamment claires et inconditionnelles.
« 2°) les formulations de la convention n° 158 de l’OIT sont énoncées pour la plupart comme des droits reconnus aux travailleurs, et non comme des obligations procédurales ne créant d’obligations qu’à la charge de l’Etat signataire (cf. Soc., 14 novembre 2018, pourvoi n° 17-18.259, publié, s’agissant des dispositions de l’article 7 § 4 de la convention n° 106 de l’OIT concernant le repos hebdomadaire dans les commerces et les bureaux) » : comme nous l’avons vu supra, il convient tout d’abord de mettre à distance les conclusions uniquement fondées sur la formulation des traités. Même si l’on s’en tient à ces formulations, quelle différence fondamentale il y aurait-il entre les termes de l’article 10 (« un travailleur aura droit ») et ceux de la Charte sociale (« s’engage à reconnaître le droit des travailleurs »). La chambre sociale feint-elle de ne pas voir que, dans les deux cas, il y a une intervention de l’Etat ou d’une entité autorisée pour que ce droit soit reconnu en droit interne par la législation, les conventions collectives ou la jurisprudence ? Quant au renvoi à son arrêt de 2018 relatif aux dispositions de l’article 7§4 de la Convention OIT n° 106, nous avouons honteusement encore chercher ce qu’il est censé illustrer…
« 3°) la Convention se réfère expressément au juge quant à ses modalités d’application. En effet, l’article 1er de la convention n° 158 de l’OIT précise : « Pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale ». Au cœur du dispositif de l’article 10 de la convention 158 figurent ainsi les tribunaux (“les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention”) qui doivent pouvoir allouer aux salariés injustement licenciés une indemnité adéquate. » : là encore, on ne peut que rester pantois… L’article 24 CSE ne contient pas le mot « juge » certes, mais celui d’« organe impartial ». Cet argument est particulièrement désobligeant pour l’ensemble du système de la Charte sociale européenne. Il ignore en effet superbement l’ensemble du travail interprétatif et de monitoring du Comité européen des droits sociaux. Depuis 2003, dates des premières conclusions relatives à l’article 24 de la Charte sociale révisée, le Comité vérifie et demande des comptes aux Etats Parties quant à l’existence de recours juridictionnels et quant à la manière dont les juridictions nationales mettent en œuvre le droit à réparation garanti par cet article. En particulier, à l’examen des rapports remis par les gouvernements français successifs, la situation de la France a été considérée en conformité avec l’article 24 en raison des recours juridictionnels existants et à la lumière des développements jurisprudentiels de la Cour de cassation[33]…
La différence de traitement entre l’article 10 de la Convention OIT et l’article 24 de la Charte sociale ne peut en définitive s’expliquer que par des motifs d’opportunité. Il était difficile de rejeter l’effet direct de l’article 10 de la Convention OIT n° 158 alors qu’il l’avait été admis par le passé (avis du 17 juillet 2019) ainsi que l’effet direct de nombre d’autres dispositions de cette même convention (articles 1, 2§2 b et 11 (Cass., Soc. 29 mars 2006, n° 04-46.499) et articles 2§5, 4, 7 et 9 (Cass., Soc. 1er juill. 2008, n° 07-44.124)). Parallèlement, la reconnaissance de l’effet direct de l’article 24 de la Charte supposait de prendre en considération l’interprétation du Comité européen des droits sociaux et donc le constat de violation de cet article par le système de barèmes mis en place par l’Ordonnance de 2017. En effet, la décision sur le bien-fondé Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, Réclamation n° 160/2018 et Confédération générale du travail (CGT) c. France, Réclamation n° 171/2018 avait été rendue par le Comité le 23 mars 2022 et était évidemment connue des juges de la chambre sociale, même si sa notification ne date que du 25 mai 2022 et sa publication officielle que du 23 septembre dernier. Face à la divergence imminente des appréciations européenne et nationale, la chambre sociale a décidé de soutenir le choix du législateur et même de l’immuniser en discréditant la Charte sociale européenne et son mécanisme européen de contrôle.
Les arrêts de la Cour de cassation conduisent en définitive à faire passer directement la Charte sociale européenne de l’aube au crépuscule…. La relance du système de la Charte sociale européenne avait en effet été initiée au sein du Conseil de l’Europe au début des années 1990 par l’adoption notamment de la version révisée et enrichie de la Charte de 1999 et la création de la procédure « quasi-juridictionnelle » des réclamations collectives en 1995. Largement ignorée pendant des dizaines d’années, la Charte sociale européenne accédait enfin à une forme d’effectivité devant les juges français par la reconnaissance de l’effet direct ou d’un effet d’interprétation conforme de certaines de ses dispositions. En niant toute invocabilité en justice de ce traité, la chambre sociale nage à contre-courant d’un mouvement d’essor qui se dessine en France, mais aussi au sein de l’Union européenne (références croissantes à la Charte dans la jurisprudence de la CJUE et dans les actes législatifs et juridiques[34], résolution du Parlement européen en faveur de l’adhésion de l’Union européenne à la Charte[35]) ainsi qu’au sein des autres Etats européens[36].
Au-delà, si ce n’est pas l’objet central de ce commentaire, relevons tout de même le second séisme de ces arrêts qu’est le rejet explicite du contrôle de proportionnalité in concreto du respect de la Convention OIT n°158. On ne peut s’empêcher d’analyser ce rejet, surtout la motivation officielle qui le fonde, comme un coup de grâce porté, cette fois-ci et plus largement, aux droits humains sociaux. Les motifs sont classiques : le contrôle de conventionnalité in concreto serait source d’insécurité juridique et porterait atteinte à la généralité de la loi. Il conviendrait donc de limiter strictement sa pratique en la cantonnant au contrôle des seuls droits de la Convention européenne des droits de l’homme sous la pression du risque de condamnation ultérieure par la Cour européenne des droits de l’homme qui opère elle-même un tel contrôle… Ces motifs sont rappelés dans les documents accompagnants les arrêts de mai 2022 avec en prime un petit relent légicentriste et souverainiste dans la notice explicative[37] auquel la chambre sociale ne nous avait pas habitués. Le traitement de faveur accordé à la Convention européenne et à son mécanisme de contrôle juridictionnel discrédite au passage tous les autres traités de consécration des droits de l’homme et exclut totalement les conventions consacrant des droits sociaux. Il y a bien « deux poids, deux mesures » parmi les traités de garantie des droits de l’homme ratifiés par la France. Ce sentiment est accru par le fait qu’en rejetant la possibilité d’un contrôle de proportionnalité in concreto, elle semble se rallier à l’argument, contenu dans le mémoire ampliatif de l’employeur en défense[38] et opportunément rejeté par l’Avocate Générale[39] selon lequel un tel contrôle doit être réservé aux véritables droits fondamentaux, ce que n’est pas le droit à une réparation en cas de licenciement injustifié…
Quand les droits sociaux se trouvent sacrifiés sur l’autel de la retenue judiciaire…
Certes, ces arrêts sont guidés par des considérations d’opportunité politique, mais fallait-il que cela soit à ce prix ?
[1] Cass. Soc., 11 mai 2022, La Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste, n° 21-14.490 ; Cass. Soc., 11 mai 2022, Société FSM, n° 21-15.247.
[2] C. NIVARD, « L’obscure clarté du rejet de l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée », Droit social, 2019, p. 792.
[3] Tel que modifié par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
[4] Rapport de Mme PRACHE et M. BARINCOU sur l’arrêt n° 654 du 11 mai 2022 Pourvoi n° 21-14.490 et Rapport de M. BARINCOU et Mme PRACHE sur l’arrêt n° 655 du 11 mai 2022 Pourvoi n° 21-15.247
[5] Avis de Mme BERRIAT, Première Avocate Générale sur l’arrêt n° 655 du 11 mai 2022, Pourvoi n° 21-15.249, 21-15.247, 21-15.250 et sur l’arrêt n° 654 du 11 mai 2022, Pourvoi n° 21-14.49.
[6] CEDS, Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation n° 106/2014, décision sur la recevabilité et le bien-fondé du 8 septembre 2016.
[7] CEDS, Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie, réclamation n° 158/2017, décision sur le bien-fondé du 11 septembre 2019.
[8] Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention n° 158 sur le licenciement, 7 février 2022, GB.344/INS/16/3.
[9] Entre temps, la chambre sociale, saisie d’une demande relative à l’effet direct de l’article 24 de la charte sociale européenne, a rappelé que « lorsque la Cour de cassation a déjà rendu un avis sur la question de droit sur laquelle son avis est sollicité, il n’y a pas lieu à avis » (Cass. Soc., Avis, 25 septembre 2019, n° 19-70.014).
[10] J. ICARD, « Barème : Une fin de saga bâclée », Semaine Sociale Lamy n° 2000, 16 mai 2022 ; P. ADAM, « Abracadabra : le magicien et le barème », Droit social 2022 p. 739 ; P. LOKIEC, « L’intouchable barème des indemnités prud’homales », Recueil Dalloz 2022 p. 1088 ; K. CHATZILAOU, C. NIVARD, « Controverse : La condamnation de la France par le Comité européen des droits sociaux : un coup d’épée dans l’eau ? », Rev. trav. 2022, p. 483.
[11] Loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l’approbation de la Charte sociale européenne et décret n° 2000-110 du 4 février 2000.
[12] Rappelons que certaines formations de juridictions ont pu commettre cette même erreur encore récemment, cf. Cass., Civ.1ère, 12 février 2020, 18-24.264, Inédit ; Cour administrative de Bordeaux, 19 janvier 2016, n° 15BX00534 et n° 15BX00530.
[13] C. SCIOTTI-LAM, L’applicabilité des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme en droit interne, Bruylant, 2004, p. ; K. LAURENT-BOUTOT, La Cour de cassation face aux traités internationaux protecteurs des droits de l’homme, th. Limoges, 2006, 597 p. ; C. NIVARD, « L’invocabilité des conventions internationales du travail devant les hautes juridictions françaises », RDT, 2019, p. 808.
[14] CE, Ass., 11 avril 2012, n° 322326.
[15] C. NIVARD, « L’invocabilité des sources internationales du travail devant les juges français », in Mélanges offerts au Professeur Jean Mouly, PULIM, 2020, pp. 301-308.
[16] Conclusions de Madame le premier avocat général Catherine COURCOL-BOUCHARD sur l’Avis n° 15013 du 17 juillet 2019 (Formation plénière pour avis).
[17] Notice explicative relative aux arrêts du 11 mai 2022 Pourvoi n° 21-15.247 (arrêt n°1), pourvoi n° 21-14.490 (arrêt n°2) Chambre sociale.
[18] Communiqué de presse « Barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse », Mercredi 11 mai 2022 – Pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247.
[19] CE, 10 février 2014, Fischer, n° 358992.
[20] L’effet direct de l’article 5 (Droit syndical) a été reconnu (CE, 23 juill. 2014, Syndicat national des collèges et des lycées, nos 358349 et al., CE, 30 janvier 2019, n° 401681 ; CE, 20 Octobre 2021, n° 457101). En revanche, tel n’est pas le cas des articles 1er (Droit à l’emploi) (CE, 2 avril 2004, Bisiaux, n° 249482 ; CE, 28 décembre 2018, n° 411846), 2 (Droit à des conditions de travail équitables) (CE, 30 janvier 2015, Union syndicale solidaires, n° 363520 ; CE, 5 mai 2017, n° 400154 ; CE, 21 février 2018, n° 406987), 4 (Droit à une rémunération équitable) (CE, 2 octobre 2009, n° 301014 ; CE, 19 mars 2010, n° 317225), 11 (Droit à la protection de la santé) (CE, 7 juin 2006, Assoc. AIDES, n° 285576 ; CE, 3 décembre 2010, Assoc. AIDES, n° 335738), 12 (Droit à la sécurité sociale) (CE, 7 juin 2006, Assoc. AIDES, n° 285576), 13 (Droit à l’assistance sociale et médicale) (CE, 7 juin 2006, Assoc. AIDES, n° 285576 ; CE, 3 décembre 2010, Assoc. AIDES, n° 335738 ; CAA de NANCY, 28 décembre 2021, n° 20NC02171), 15 (Droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté) (CE, 24 août 2011, n° 332876), 16 (Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique) (CE, 3 décembre 2010, Assoc. AIDES, n° 335738), 17 (Droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique) (CE, 7 juin 2006, Assoc. AIDES, n° 285576 ; CE, 3 décembre 2010, Assoc. AIDES, n° 335738 ; Cass. Civ. 1ère, 21 novembre 2019, n° 19-15890) et 31 (Droit au logement) (CAA de DOUAI, 15 septembre 2020, n° 19DA00477).
[21] Cass., Civ. 1ère, 14 juin 2005, Washington, n° 04-16.942, Cass., Civ. 1ère, 18 mai 2005, F. Bourdier, n° 02-20.613 Ref article 6 du PIDESC : Cass., Soc., 16 décembre 2008, Eichenlaub c. Axia France, n° 05-40.876. En revanche, la pratique n’est pas pleinement clarifiée pour ce qui concerne les Conventions OIT cf. C. NIVARD, « L’invocabilité des conventions internationales du travail devant les hautes juridictions françaises », RDT, 2019, pp. 808-815.
[22] Conclusions de Gaëlle DUMORTIER, Rapporteur public, sur l’arrêt GISTI et FAPIL (RFDA 2012, pp. 527 et sq).
[23] Ce que confirme la Notice au rapport annuel accompagnant les arrêts (Notice explicative relative aux arrêts du 11 mai 2022 Pourvoi n° 21-15.247 (arrêt n°1), pourvoi n° 21-14.490 (arrêt n°2) chambre sociale).
[24] C. NIVARD, « Part I », in ANESC, C. NIVARD (eds), The European Social Charter: A Commentary. Volume 2, Brill, A paraître.
[25] ANESC, S. ANGELERI et C. NIVARD (eds), The European Social Charter: A Commentary. Volume 1 : Cross-cutting Themes, Brill, 2022, 561 p., spec. A. PANARELLA, “The Drafting of the 1961 European Social Charter” et B. KRESAL, “The General Structure of the European Social Charter”.
[26] P. LAROQUE, « La Charte sociale européenne », Dr. soc., mars 1979, p. 108.
[27] C. NIVARD, « L’effet direct de la Charte sociale européenne devant le juge administratif – Retour sur la question évolutive de l’effet direct des sources internationales », RDLF 2016, chron. n°22.
[28] L’ensemble des conclusions relatives à l’article 24 font état des voies de recours judiciaires qui sont prévues par l’ensemble des 26 Etats Parties qui ont fait l’objet d’un contrôle pour l’heure.
[29] CEDS, Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation n° 106/2014, décision sur la recevabilité et le bien-fondé du 8 septembre 2016, par. 46 ; CEDS, Conclusions 2012, article 24, Slovénie et Finlande.
[30] Pour un panorama, voir M. FONTAINE CAMPOS, C. SANTOS BOTELHO and B. MESTRE, “The European Social Charter’s Applicability by National Courts”, in ANESC, S. ANGELERI et C. NIVARD (eds), The European Social Charter: A Commentary. Volume 1 : Cross-cutting Themes, Brill, 2022.
[31] Il a présidé le Comité européen des droits sociaux de 2001 à 2006 puis a été son rapporteur général jusqu’en 2012.
[32] J.-M. BELORGEY, « La Charte sociale du Conseil de l’Europe et son organe de régulation : le Comité européen des droits sociaux », RDSS 2007, p. 226.
[33] CEDS, Conclusions 2003, Conclusions 2007, Conclusions 2008, Conclusions 2012, Conclusions 2016, article 24, France.
[34] M. ROCCA, “The European Social Charter and the European Union”, in ANESC, S. ANGELERI et C. NIVARD (eds), The European Social Charter: A Commentary. Volume 1 : Cross-cutting Themes, Brill, 2022. Voir également le Document d’information du Comité européen des Droits sociaux sur la relation entre le droit de l’UE et la Charte sociale européenne du 15 juillet 2014.
[35] Résolution du Parlement européen du 19 janvier 2017 sur un socle européen des droits sociaux (2016/2095(INI)).
[36] M. FONTAINE CAMPOS, C. SANTOS BOTELHO and B. MESTRE, “The European Social Charter’s Applicability by National Courts”, in ANESC, S. ANGELERI et C. NIVARD (eds), The European Social Charter: A Commentary. Volume 1 : Cross-cutting Themes, Brill, 2022.
[37] Notice au « Un tel contrôle in concreto, qui heurte la conception française d’une norme générale et abstraite, adoptée par le pouvoir législatif et s’imposant à tous, s’est développé exclusivement dans le champ de la protection des droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sous le contrôle de la Cour de Strasbourg ».
[38] Rapport de Mme PRACHE et M. BARINCOU sur l’arrêt n° 654 du 11 mai 2022 Pourvoi n° 21-14.490.
[39] Avis de Mme BERRIAT, Première Avocate Générale sur l’arrêt n° 654 du 11 mai 2022, Pourvoi n° 21-14.490/