Enfants victimes de maltraitances (4 juin 2020, arrêt Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c/ France, n°15343/15 et 16806/15)
Par Fabien Marchadier, Professeur à l’Université de Poitiers (ERDP)
Tout a déjà été dit sur l’arrêt Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c/ France. Abondamment commenté[1], l’intérêt suscité par cet arrêt est à la mesure de du retentissement médiatique, social et juridique de l’affaire qui en est à l’origine. La funeste destinée de Marina Sabatier est largement connue. Son décès, survenu brutalement en 2009 à l’âge de 8 ans, est l’aboutissement d’une vie de brimades, d’humiliations, de tortures physiques et psychologiques.
Très rapidement, ses bourreaux, qui n’étaient autres que ses parents, ont été identifiés puis condamnés en 2012 par la Cour d’assise de la Sarthe à une peine de 30 ans de réclusion criminelle et à un euro symbolique de dommages et intérêts au profit des associations requérantes en leur qualité de partie civile. Du point de vue des associations de protection de l’enfance, le drame n’est pas seulement la conséquence du traitement infligé à l’enfant par ses parents. Il est aussi le produit d’une défaillance de l’institution judiciaire et du Conseil départemental de la Sarthe dans leur mission de protection de l’enfance. À la suite de l’affaire, le fonctionnement du système de protection de l’enfance a d’ailleurs été entièrement réévalué, d’abord localement, par ses acteurs départementaux (Sarthe), théâtre du supplice vécu par l’enfant, ensuite nationalement. En 2014, l’affaire donne lieu à la rédaction d’un rapport pour le compte du défenseur des droits[2]. Celui-ci alimentera les discussions qui conduiront à l’adoption de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Cette affaire est encore pour partie à l’origine d’un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales, de l’Inspection générale de la justice et de l’Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche sur les morts violentes d’enfants au sein des familles[3]. Pour autant, la responsabilité civile de l’État a été écartée, les juges considérant qu’aucune faute lourde n’avait été commise. La plainte pour non-assistance en personne en danger visant le Conseil départemental de la Sarthe n’a pas connu de meilleure fortune.
La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi été saisie d’une requête dont elle a admis la recevabilité, alors même que les associations ne pouvaient se prévaloir ni de la qualité de victime directe, ni de la qualité de victime indirecte, en faisant application de la théorie de la représentation de fait élaborée dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Campeanu[4] (§§ 119 et s.)[5]. Invoquant les articles 2, 3 et 13 de la CEDH, les associations requérantes estimaient que les services impliqués dans la protection de l’enfance n’avaient pas adopté les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux pour éviter la mort de l’enfant et pour détecter les mauvais traitements dont elle était l’objet. Quant au recours en responsabilité civile dirigé contre l’État pour dénoncer son manquement aux obligations conventionnelles, elles soutenaient qu’il n’était ni effectif, ni adéquat. Elles ne mettaient en cause ni la nature, ni le fondement de cette responsabilité du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice, mais ses conditions. Le seuil de la faute lourde ne serait pas adapté « à l’impératif absolu de protection des mineurs ».
La Cour retient une violation des obligations positives de l’État et confirme ainsi les constats de défaillance conjoncturelle et structurelle du système français de protection de l’enfance (I), mais elle consolide, un peu paradoxalement, le principe de la responsabilité pour faute lourde, y compris lorsque sont en cause des personnes aussi vulnérables que des enfants (II).
I/ Protéger les enfants contre les mauvais traitements
Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour européenne a choisi, de façon aussi inexpliquée qu’étrange[6], d’envisager l’affaire sous le seul angle de l’article 3 (§ 134), sans même préciser si les faits relevaient plutôt de la prohibition de la torture ou de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants[7]. Les juges Yudkivska et Hüseynov regrettent ainsi, dans leur opinion concordante commune, que, en procédant de la sorte, la Cour ait manqué l’occasion de souligner que « les violences graves subies par un enfant dans le contexte familial risquent d’être fatales ». Dans la mesure où les mauvais traitements sont directement la cause du décès, la Cour aurait donc pu constater une violation de chacun de ces droits. Sur le fond, le choix du fondement juridique est relativement neutre, les principes de solutions applicables étant très largement similaires. Les articles 2 et 3 comportent l’un et l’autre un volet matériel et un volet procédural. L’un et l’autre font naître à la charge des États l’obligation positive de prendre les mesures raisonnables et adéquates de nature à prévenir la mort d’un individu ou les mauvais traitements dont il serait menacé. Si le contenu des mesures varie, l’élément qui déclenche leur adoption est le même. Elles s’imposent dès lors que les autorités connaissaient l’existence du risque (de mort, de mauvais traitements) ou auraient dû le connaître.
C’est pourquoi la responsabilité de la France peut être mise en cause en l’espèce alors même que l’enfant n’était pas placée sous la responsabilité de l’autorité publique et que les auteurs des faits étaient les parents de l’enfant. Si l’affaire est inédite pour la France, ce n’est pas la première fois que la Cour de Strasbourg est appelée à connaître du fonctionnement des services de protection de l’enfance[8], y compris dans des cas où les violences émanent des deux parents. Dans la continuité de ses arrêts A. c/ Royaume-Uni[9] et Z et a. c/ Royaume-Uni[10], la Cour rappelle que les dispositions de l’article 3 « doivent permettre une protection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables, et inclure des mesures raisonnables pour empêcher des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance. S’agissant notamment des enfants, eu égard au caractère fondamental des droits garantis par l’article 3 et à leur vulnérabilité particulière, les pouvoirs publics ont l’obligation, inhérente à leur mission, de protéger ceux-ci contre des mauvais traitements » (§ 157).
S’il est parfois délicat de déterminer si l’administration avait ou aurait dû avoir connaissance du risque, tel n’était pas le cas en l’espèce. Dès que l’enfant a fréquenté le système scolaire, le personnel s’est inquiété de ses multiples absences de même que de ses nombreuses blessures et ecchymoses. Le signalement par la directrice de l’école déclenche l’obligation positive. Le problème ne se situait pas davantage dans l’inaction des services de protection de l’enfance ou de leur atermoiement comme dans l’affaire Z. c/ Royaume-Uni. Au demeurant, la Cour salue la diligence du procureur et la pertinence de ses décisions. Il a décidé d’ouvrir une enquête selon le régime du traitement en temps réel, ce qui permet une réactivité plus grande et une prise de décision plus rapide dans la mesure où le parquet et les services d’enquête communiquent par téléphone. Un examen médico-légal de l’enfant est pratiqué en présence du père. L’enfant a été auditionnée dans les locaux de la BPDJ (Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile) par un personnel formé accompagné de l’officier chargé de l’enquête. Un enregistrement vidéo a été réalisé alors même qu’il était, compte tenu des faits, facultatif (il ne s’imposait que pour les victimes d’infractions sexuelles). Malgré l’explication concordante du père et de la fille fournie pour chacune des blessures, le médecin avait estimé qu’il était impossible d’exclure des faits de maltraitance (notamment en raison de leur nombre). À l’inverse, malgré certaines affirmations suspectes de l’enfant, l’agent de police judiciaire chargé de l’enquête conclut qu’aucun élément ne permet de présumer que l’enfant a été ou est victime de maltraitance. En conséquence, le procureur classe sans suite, l’infraction étant insuffisamment caractérisée. Cette décision aura pour effet de brider la protection administrative.
Ces démarches satisfaisaient-ils à l’obligation de protection de l’enfant découlant de l’article 3 ? Comment évaluer leur pertinence ? La réponse à ces questions dépend du contenu de cette obligation de protection. Des mesures précises s’imposent-elles en certaines circonstances bien identifiées (comme l’ordonnance de protection pour répondre aux violences conjugales[11]) ? La Cour de Strasbourg se heurtait au moins à trois difficultés. La première concerne l’objet de son contrôle. Doit-elle déterminer ce qui aurait été la réaction la plus appropriée (et donc constater une violation de la Convention si telle mesure n’a pas été prise alors qu’elle aurait dû l’être) ou se borner à évaluer l’adéquation de la réponse proposée par les autorités ? Elle affirme retenir cette dernière option (§ 158). La deuxième concerne la temporalité de son contrôle. Une analyse rétrospective, en tenant compte de l’horreur des faits qui n’ont été pleinement révélés que lors du procès d’assises, pourrait aboutir à des conclusions faussées. Les décisions doivent être replacées dans leur contexte, en fonction des seuls éléments disponibles à l’époque (§ 160). La troisième consiste à trouver un « équilibre entre la nécessité de ne pas passer à côté d’un danger et le souci de respecter et de préserver la vie familiale » (§ 162)[12], une difficulté dont s’inquiète E. Dreyer[13] redoutant que « par précaution, bon nombre de parents pourraient être placés sous contrôle … ».
La Cour s’est donc efforcée de préciser son contrôle pour conclure que « le système a failli à protéger M. des graves abus qu’elle a subis de la part de ses parents et qui ont d’ailleurs abouti à son décès » (§ 175). Elle relève en particulier le décalage de 13 jours entre la réaction instantanée du procureur et la saisine d’un agent de police (§ 166) ; le défaut d’audition des enseignantes (§ 167), alors que cela aurait été « utile », comme du père (§ 170) ou les conditions dans lesquelles s’est déroulée celle de la mère (§ 169, à son domicile plutôt que dans les locaux des services chargés de l’enquête) ; l’absence d’une enquête pour éclaircir l’environnement familial de l’enfant, alors qu’elle aurait également été « utile » (§ 168). Elle regrette que l’examen médico-légal se soit déroulé en présence du père (§ 171) et qu’un psychologue n’ait pas participé à l’audition de l’enfant (§ 172), participation qui aurait pu « être appropriée ». Enfin, elle critique le classement sans suite pur et simple compte tenu du contexte qui n’a pas permis une réaction appropriée de l’ASE, notamment en présence d’un nouveau signalement concomitant à une hospitalisation tout comme l’absence d’un mécanisme de centralisation des informations (§ 173).
L’effet d’accumulation appuie la conclusion de la Cour et semble renforcer son évidence. Cependant, en reprenant la liste des griefs qu’elle adresse à l’action des services judiciaires et administratifs, elle ne se contente pas d’évaluer cette dernière dans son contexte. Ne minimise-t-elle pas l’hésitation des différents médecins qui ont examiné Marina à diagnostiquer une maltraitance de même que la force de conviction de son père et son aisance dans le mensonge ? Ne fallait-il pas accorder plus de poids à l’emprise parentale sur l’enfant et à son comportement qui ne présentait aucun des signes habituellement associés à la maltraitance (les difficultés à nouer des relations sociales, l’isolement, la peur des contacts) ? En précisant que telle mesure aurait été « utile » et que telle autre aurait été « appropriée », elle n’indique pas seulement que les autorités auraient pu mieux faire, mais ce que ces mêmes autorités auraient dû faire. En outre, la Cour s’interroge à peine sur l’efficacité des décisions qui, de ce son point de vue, auraient dû être adoptées. Elle affirme qu’une meilleure communication entre le parquet et l’ASE aurait permis une surveillance accrue de l’enfant (si tant est que le parquet n’eut pas fait le choix d’un classement sans suite pur et simple) et qu’une action plus perspicace des services sociaux « aurait permis de déceler l’état réel dans lequel se trouvait l’enfant » (§ 174). En définitive, la question essentielle n’est pas tant de savoir si ces mesures étaient de nature à briser la chaine des événements conduisant au décès de l’enfant[14] que de déterminer si tout ce qui pouvait être fait l’a été[15] ?
Il est pourtant difficile de critiquer le constat de violation de la Cour dans la mesure où le rapport Grévot sur l’affaire Marina avait, dès 2014, pointé les défaillances conjoncturelles et structurelles (sans pour autant suggérer une réécriture des textes, mais plutôt leur interprétation par les acteurs du dispositif – social/justice/santé/scolaire – pour fluidifier leurs échanges et une meilleure prise en compte des doutes provenant de ceux qui côtoient l’enfant au quotidien) du système de protection de l’enfance[16]. Il rejoignait les conclusions d’ores et déjà formulées par la mission d’évaluation interne mise en place par le Département de la Sarthe dès l’automne 2009 afin de s’interroger sur la faillite globale de la politique publique de protection de l’enfance.
Depuis, le dispositif de protection de l’enfance a été renforcé, en particulier par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant[17]. Et pourtant, en mai 2018, un nouveau rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales révélait qu’un enfant mourrait tous les 5 jours[18]. Plus de la moitié ont moins de 1 an (et présentent en majorité le syndrome du bébé secoué). Sur les 50 dossiers étudiés, la mort a été précédée de violences graves et répétées dans la moitié des cas. Elles avaient été le plus souvent repérées par les professionnels. Les rapporteurs ont émis de nouvelles recommandations destinées « à mieux repérer, évaluer et prévenir les situations présentant des risques de danger », notamment par l’amélioration des échanges « d’informations au sein de chaque service médico-social, de l’éducation nationale, de la police ou de la justice et entre ces services », ce qui laisse entendre que l’action des Cellules de recueil des informations préoccupantes, tant vantée par la Cour de Strasbourg dans son arrêt, n’est pas une solution miracle[19].
II/ Répondre des mauvais traitements subis par les enfants
Sous l’angle de l’article 13 en combinaison avec l’article 3 de la Convention, les associations requérantes soulevaient encore « la question du droit à un recours effectif pour engager la responsabilité civile de l’État français du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice ». Plus précisément, elles considèrent que le seuil de la faute lourde entrave démesurément le droit au recours effectif[20]. L’argumentation n’a pas convaincu la Cour. L’exigence de la faute lourde, compte tenu de la marge d’appréciation et de la spécificité de l’activité judiciaire[21], est compatible avec l’art. 13. Elle prend d’ailleurs soin de rappeler cette évidence que le droit au recours effectif ne garantit pas une issue favorable.
Le rejet du grief est « sans surprise »[22]. La Cour a déjà considéré que le recours fondé sur l’article L141-1 COJ est effectif[23], compte-tenu, notamment, de la redéfinition de la faute lourde par la Cour de cassation[24]. L’accumulation de fautes simples est en effet susceptible de caractériser une faute lourde ou un déni de justice. Pour autant, il n’est pas sûr que la Cour réponde parfaitement au grief formulé par les associations requérantes. La question n’était pas de savoir si la responsabilité de l’État pour faute lourde, telle qu’elle est désormais comprise par les tribunaux, était adéquate d’une manière générale, mais dans la perspective bien particulière de la protection de l’enfance[25]. En outre, les conclusions différentes auxquelles aboutit la Cour sur le terrain de l’article 3 et sur celui de l’article 13 laissent un sentiment étrange. Si les autorités françaises ont multiplié les défaillances au point de méconnaître leurs obligations positives au titre de la prohibition des traitements inhumains ou dégradants, un recours interne qui ne permet pas de relever et de sanctionner ces multiples défaillances est-il encore effectif, surtout lorsqu’une personne aussi vulnérable qu’un enfant est au cœur de l’affaire ? Bien sûr « l’effectivité d’un recours, au sens de l’article 13, ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant » (§§ 192, 194). Il suffisait que les associations requérantes aient eu la possibilité de saisir un juge et de faire valoir l’ensemble de leurs arguments. La Cour n’étant pas un quatrième degré de juridiction, elle a sans doute considéré qu’il ne lui appartenait pas de substituer sa propre appréciation à celle du juge judiciaire[26]. Un recours effectif est un recours accessible offrant un redressement approprié.
Il ne serait donc que cela. Serait-il néanmoins interdit de penser que renforcer l’exigence d’effectivité s’impose dans la mesure où l’affaire concerne un droit intangible et des personnes particulièrement vulnérables (au premier rang desquels l’enfant)[27] ? Ainsi, dès lors que la demande est juste et fondée (puisque la Cour a constaté que les autorités françaises avaient méconnu l’article 3), un recours effectif ne devrait-il pas être précisément celui qui va réserver une issue favorable à une telle demande[28] ? Déduire du constat de violation de l’article 3 le seul caractère défendable du grief soulevé par la requérante et en conséquence l’applicabilité de l’article 13 (§ 188) n’est pas seulement à contre-courant d’une jurisprudence qui a conduit à émanciper et autonomiser le droit au recours effectif[29]. Il réduit aussi sa portée à l’excès.
[1] JCP 2020. 871 note F. Sudre et A. Gouttenoire ; Dr. fam. 2020/9, comm. 127 obs. P. Bonfils ; Dr. pén. n° 4, Avril 2021, chron. 5 obs. E. Dreyer ; D. 2020. 2108, note A.-B. Caire ; et 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2020. 431, obs. F. Capelier ; AJ pénal 2020. 415, obs. C. Duparc ; AJCT 2020. 455, étude S. Devidas ; RSC 2020. 734, obs. J.-P. Marguénaud ; Gaz. Pal. 17 nov. 2020, n° 390. 57, obs. F. Fourment
[2] Rapport de Monsieur Alain Grévot sur l’histoire de Marina.
[3] Évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance, mai 2018
[4] CEDH, Gde ch., 17 juill. 2014, n° 47848/08, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Campeanu c/ Roumanie
[5] Cet aspect de l’affaire qui ne concerne pas spécialement la France, mais plus généralement, le contentieux européen des droits de l’homme, ne sera pas autrement développé. V. à cet égard, J.-P. Marguénaud, La représentation devant la Cour européenne des droits de l’homme des enfants battus à mort, RSC 2020. 734
[6] Car, ainsi que le relèvent F. Sudre et A. Gouttenoire, c’est bien la vie de l’enfant qui était en danger (JCP 2020. 871).
[7] Retenir la qualification de torture aurait permis de souligner la particulière infamie des actes et d’inciter les autorités nationales à une plus grande fermeté à l’égard des violences familiales (rappr. CEDH, 28 juillet 1999, n° 25803/94, Selmouni c/ France, spéc., §§ 96 et 101 ; CEDH, 18 janvier 1978, 5310/71, Irlande c/ Royaume-Uni, § 167). Une autre lecture du silence conservé par la Cour est cependant envisageable. Renoncer à qualifier plus précisément les actes en cause montrerait que seule importe la valeur protégée, la dignité de l’être humain, et qu’il est vain de vouloir graduer les atteintes qui lui sont portées. Une atteinte à la dignité, qu’elle prenne la forme d’une torture, d’un traitement inhumain ou d’un traitement dégradant, présente toujours la même gravité.
[8] CEDH, GC, 10 mai 2001, n° 29392/95, Z. et a. c/ Royaume-Uni
[9] CEDH, 23 sept. 1998, n° 25599/94, A. c/ Royaume-Uni
[10] CEDH, GC, 10 mai 2001, n° 29392/95, Z. et a. c/ Royaume-Uni. L’obligation de protection affirmée par cet important arrêt a précisée dans les arrêts DP et JC contre Royaume-Uni du 10 octobre 2002 et E. contre Royaume-Uni du 26 novembre 2002 (RTDH 2003, p. 1355, obs. A. Gouttenoire).
[11] En ce sens, v. par exemple, CEDH, 11 févr. 2020, n° 56867/15, Buturugă c/ Roumanie
[12] Déjà en ce sens, CEDH, 10 mai 2001, n° 23392/95, Z. et a. c/ Roy.-Uni, « La Cour reconnaît que les services sociaux doivent faire face à des décisions difficiles et sensibles et admet l’importance du principe selon lequel il y a lieu de respecter et préserver la vie familiale ».
[13] Droit pénal n° 4, Avril 2021, chron. 5
[14] Comp. CEDH, GC, 15 juin 2021, n° 62903/15, Kurt c/ Autriche, la Cour notant que l’évolution du droit interne n’est pas en soi décisif et que la mesure désormais disponible en droit national n’aurait pas empêcher le drame (non violation de l’article 2 du fait de l’assassinat d’un enfant par son père dans l’enceinte scolaire). Cela étant, une différence majeure sépare peut-être les affaires Kurt et Association Innocence en danger ; dans l’affaire Kurt, la Cour estime que les autorités, malgré le contexte de violence domestique, ne pouvaient absolument pas anticiper l’issue fatale pour l’enfant (alors que le risque avait été identifié dans le cas de Marina Sabatier) et elle souligne que la nouvelle mesure n’était pas disponible (quant à la détention, dans les circonstances de l’affaires Kurt, elle aurait contrevenu à l’article 5 de la Convention).
[15] Comp. Rapport de Monsieur Alain Grévot sur l’histoire de Marina
[16] V. Compte-rendu de la mission confiée par le Défenseur des droits et son adjointe, la Défenseure des enfants, à M. Alain Grevot, Délégué thématique, sur L’histoire de Marina, 30 juin 2014
[17] V. les observations plutôt confiantes de G. Barbe et C. Torchy (Gaz. Pal. 13 juill. 2020, n° 382s8, p. 22).
[18] Mission sur les morts violentes d’enfants au sein des familles. Évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance, mai 2018
[19] Peut-être viendra-t-il du projet de loi relatif à la protection des enfants présenté par le ministre des solidarités et de la santé au conseil des ministres du 16 juin 2021 ?
[20] Cette question a fait l’objet d’une demande de question prioritaire de constitutionnalité, mais la Cour de cassation ne l’a jugée ni nouvelle, ni sérieuse (Cass. Civ. 1ère, 12 février 2014, 13-22.602).
[21] Ce qui est discutable puisque, comme le relève F. Fourment, c’est la responsabilité-écran de l’État qui offre la sérénité au juge et non le seuil de la faute lourde (Gaz. Pal. 17 nov. 2020, n° 390s1, p. 57)
[22] F. Sudre et A. Gouttenoire, Condamnation de la France, à la requête d’associations de protection de l’enfance, pour défaut de protection d’un enfant contre des actes de maltraitance de ses parents, JCP 2020. 871.
[23] CEDH, gr. ch., 11 sept. 2002, n° 57220/00, Mifsud c/ France
[24] Cass. ass. plén., 23 févr. 2001, n° 99-16.165, Cts Bolle-Laroche
[25] Comp. l’abandon du seuil de la faute lourde au profit de la faute simple réalisé par le Conseil d’État, considérant que le dépassement du délai raisonnable de jugement est un fonctionnement défectueux du service public de la justice ouvrant droit à réparation (CE, Ass., 28 juin 2002, Magiera). Une défaillance du système de protection de l’enfance ne mériterait-elle pas la même attention ?
[26] Contra, F. Fourment, Gaz. Pal. 17 nov. 2020, n° 390s1, p. 57
[27] Rappr. F. Sudre, L. Milano, H. Surrel, B. Pastre-Belda, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 15ème éd., 2021, n° 437
[28] Déjà pour une réponse négative (violation de l’article 8, mais non violation de l’article 13), CEDH, 16 fév. 2000, n° 27798/95, Amman c/ Suisse, § 89.
[29] Sur ce point, v. J. Andriantsimbazovina, « Le droit à un recours effectif », in F. Sudre et a., GACEDH, PUF, 9ème éd., 2019, p. 486, spéc. p. 496 et s.