Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2019
Mustapha Afroukh, IDEDH, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier
Caroline Boiteux-Picheral, IDEDH, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier
Céline Husson-Rochcongar, CURAPP-ESS, Faculté de droit et de science politique Université de Picardie Jules Verne,
Le second semestre 2019 fut particulièrement riche avec notamment plusieurs arrêts importants sur le terrain de l’article 8 – qu’il s’agisse des exigences devant entourer une décision de retrait de l’autorité parentale (Gde ch., 10 sept. 2019, Strand Lobben et autres c/ Norvège, n° 7283/13) et de la vidéosurveillance des travailleurs (Gde ch., 17 oct. 2019, Lopez Ribalda et a. c/ Espagne, n° 1874/13, 8567/13) – ou bien encore de l’article 3 avec des affaires portant sur le confinement des étrangers en zone de transit (Gde ch., 21 nov. 2019, Ilias et Ahmed c/ Hongrie, n° 47287/15) et le renvoi des étrangers malades (1er oct. 2019, Savran c/ Danemark, n° 57467/15). Sur la plupart de ces questions, le phénomène d’interdépendance entre le droit de l’union européenne et la Convention s’accentue 1. Le droit de l’Union européenne devient même un argument mobilisé dans les opinions séparées pour critiquer une approche jugée régressive de la Cour de Strasbourg 2. Du côté de la Cour de Luxembourg, le moins qu’on puisse dire est que le dialogue est perfectible. Outre les arrêts ignorant totalement la jurisprudence européenne 3, certaines références aux arrêts de la Cour ne sont guère rassurantes. Il en est ainsi de la référence récente par la grande chambre de la Cour de justice, à un arrêt de chambre de la Cour EDH faisant l’objet d’un renvoi en grande chambre 4… Le Professeur Sudre avait évoqué en 2004 une « bévue monumentale, et, pour tout dire, inacceptable » à propos de la référence par le Conseil constitutionnel à l’arrêt Leyla Sahin de la Cour européenne, qui était alors frappé d’une demande de renvoi devant la Grande Chambre. On pourrait reprendre la même critique ici. « Qu’elle soit due à l’ignorance ou à l’inadvertance, la bévue commise entache la crédibilité de [l’arrêt de la Cour de justice] » 5. De surcroît, il est intéressant de noter qu’un arrêt rendu par la Cour européenne au second semestre 2019 est passé quasiment inaperçu (17 oct. 2019, Mushfig Mammadov et autres c/ Azerbaïdjan, n° 14604/08, 45823/11, 76127/13, 41792/15), alors qu’un arrêt rendu en 2018 sur la même thématique – la critique de l’islam – avait défrayé la chronique 6. C’est dire que lorsqu’elle retient une approche favorable à la liberté d’expression dans ce domaine, la juridiction européenne des droits de l’homme n’intéresse apparemment plus personne 7.
Aussi, le second semestre 2019 a été l’occasion de fêter les 60 ans de la Cour. Il faut réaffirmer avec force l’utilité et l’originalité du système européen de protection de l’homme 8, tout en rappelant que le système conventionnel européen s’inscrit dans « un “concert“ de Cours régionales qui participent, chacune à leur manière, à l’effectivité des droits humains » 9. Et, sous peine de succomber « au tropisme européen qu’exerce la Cour EDH » 10, une approche globalisante du droit international des droits de l’homme est nécessaire.
Le succès du mécanisme européen de protection des droits de l’homme n’a pas mis fin aux critiques, loin s’en faut. Le plus inquiétant est le développement des critiques existentielles qui réfutent la nécessité du système de la Convention. Comme le fait observer Frédéric Krenc « il ne s’agit plus seulement d’une critique ponctuelle d’un État qui se plaint d’un arrêt de la Cour rendu à son égard. Force est de constater une remise en cause profonde par un certain nombre d’États de l’existence même du contrôle pratiqué par la Cour » 11. La récente campagne de dénigrement orchestrée par l’ECLJ soulignant la mainmise du milliardaire George Soros sur la Cour européenne illustre à point les arguments utilisés peuvent être nauséabonds. A la suite de la publication du rapport de l’ECLJ, plusieurs députés LR ont appelé le Chef de l’Etat français à suspendre sa participation à la Convention européenne. Un élu du RN a même proposé de quitter la Convention, estimant que la Cour « est l’incarnation du gouvernement supranational des juges contre la volonté des peuples ». Ce qui n’est pas sans rappeler les idées contenues dans la proposition de résolution présentée en 2015 par P. Lellouche invitant le Gouvernement à renégocier les conditions de saisine et les compétences de la Cour sur les questions touchant notamment à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme. On voit bien que ces critiques visent moins l’influence de certaines ONG sur la Cour que son apport à la protection des droits et libertés, jugé trop progressiste : « tout semble fonctionner comme si la jurisprudence de la Cour est devenue le catalyseur des anti-lumières et des mouvements apparentés, réactionnaires, nationalistes, identitaires, traditionnalistes et autres conservateurs… En effet, la Cour cumule à elle seule deux handicaps majeurs. Premièrement, elle protège les droits de l’homme jugés obsolètes. Deuxièmement, elle est européenne c’est-à-dire supranationale. Dans les deux cas, le désamour qui frappe le système conventionnel est révélateur de maux plus profonds, le recul de l’Etat de droit d’une part, celui de l’ouverture et du cosmopolitisme d’autre part » 12. A l’heure où certains Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent des dérives autoritaires et populistes, on ne peut que défendre le rôle de la Cour comme pilier de la démocratie en Europe.
Cela ne signifie pas bien entendu que sa composition, son fonctionnement et ses arrêts sont à l’abri des critiques. Le système européen de protection permet lui-même ces critiques avec le mécanisme des opinions séparées. Alors que le juge portugais Paulo Pinto de Albuquerque achève son mandat, la très grande qualité de ses opinions séparées marquera sans aucun doute l’histoire de la Cour. Qu’elle soit concordante ou dissidente, chacune de ses opinions a mis en évidence un degré d’exigence très haut : c’est parce qu’il envisage la Cour comme « conscience de l’Europe » que le juge portugais s’est montré si critique à l’égard de la Cour avec des opinions toujours très denses, très documentées, rigoureuses, pédagogiques et audacieuses. Que l’on songe notamment à ses opinions magistrales sous les arrêts Mursic c/ Croatie et Centre de ressources juridiques au nom de Constantin Câmpeanu c/ Roumanie. Autre trait caractéristiques essentiel de ses opinions séparées, l’ouverture au droit international et au droit international des droits de l’homme … Le juge Pinto de Albuquerque est attaché au principe d’universalité des droits, ce qui le conduit à réfuter tout argument de fermeture et d’isolement. Qui plus est, prêtant une attention particulière au sort réservé aux personnes vulnérables, il a incontestablement contribué au développement des droits des étrangers et des demandeurs d’asiles. Enfin, loin d’affaiblir la Cour, ses opinions sont le meilleur exemple de la « plus-value » des opinions séparées 13et de leur contribution au renforcement de l’autorité de la Cour 14.
Tous les juges à la Cour ne sont pas aussi actifs, certains étant manifestement allergiques aux opinions séparées… Le juge Paulo Pinto de Albuquerque s’en va, le juge Mattias Guyomar arrive. Sans réelle surprise, l’Assemblée parlementaire l’a élu prochain juge français le 28 janvier, celui-ci devant succéder à André Potocki (conseiller à la Cour de cassation) dont le mandat s’achève en juin. La liste des trois candidats présentée par le gouvernement français le 19 décembre 2019 s’inscrivait dans la droite ligne de la tradition française consistant à réserver exclusivement et alternativement la fonction de juge français à Strasbourg aux conseillers d’Etat et aux conseillers à la Cour de cassation. Une récente tribune publiée dans cette Revue est revenue sur le caractère anachronique de cette pratique et sur l’absence totale de transparence de la procédure interne ayant conduit à la sélection des trois noms. Il est crucial que l’épisode malheureux de cette désignation du juge français à la Cour de Strasbourg soit l’occasion d’une réflexion plus globale et critique sur la procédure de désignation des juges français au sein de toutes les juridictions supranationales. Un travail statistique devrait ici facilement démontrer que le monopole du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation sur les postes de juges à la CIJ, CJUE et CEDH est avéré. Allant droit au but, l’exclusion des universitaires est établie, sinon, directement recherchée… Quid enfin de la place des femmes ? Est-il normal qu’aucune femme n’ait occupé les postes de juge à la CIJ ou à la CEDH ? Seule Simone Rozès a été désignée en 1981 avocate générale à la Cour de justice des communautés européennes, avant de devenir la première présidente de la Cour de cassation en 1984.
Le second semestre 2019 restera marqué par la réception du premier avis consultatif de la Cour (le 10 avril 2019, Demande n° P16-2018-001) par la Cour de cassation, avis dans lequel le juge européen avait estimé que si la reconnaissance du lien de filiation des enfants nés d’une GPA à l’égard de la mère d’intention est requis par le droit au respect de la vie privée de l’enfant au sens de l’article 8, les Etats disposent d’une certaine marge d’appréciation sur les modalités de cette reconnaissance. Il importe qu’elles « garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en œuvre conformément à l’intérêt de l’enfant ». Dans un arrêt du 4 octobre 2019 15, l’Assemblée plénière, opérant un contrôle de proportionnalité dont elle maîtrise désormais tous les rouages, a considéré que dans les circonstances de l’espèce (affaire qui dure de plus de quinze ans) l’adoption ne constituait pas une voie appropriée pour l’établissement du lien de filiation maternelle. Seule la transcription intégrale en France des actes de naissance désignant la mère d’intention est compatible avec l’article 8 de la Convention. Un autre arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 décembre 2019 (n°16-25.406) mérite de retenir l’attention. Mobilisant le droit au respect du domicile protégé par l’article 8 de la Convention, la Cour de cassation casse un arrêt de la Cour d’appel de Dijon qui avait appliqué le principe classique de la démolition pour sanctionner le moindre empiétement de quelques centimètres « sans égard pour les circonstances du dommage et le caractère disproportionné de la condamnation ». Le contrôle de proportionnalité in concreto ne cesse de déployer ses potentialités. En examinant d’autres affaires, force est de constater la logique tentaculaire de ce contrôle. Si bien que même le principe de dignité humaine est soumis à la mécanique de la conciliation des droits et libertés. C’est ce qui ressort de l’arrêt d’assemblée plénière (n° 649) du 25 octobre 2019, qui conduit à faire rentrer la dignité dans le rang 16. Pendant ce temps, le Conseil d’Etat a rejeté cinq demandes d’avis à la Cour européenne au titre du Protocole n° 16, sans aucune motivation 17. Mais, à en croire la diplomatie judiciaire : le dialogue des juges est parfait et tout se passe bien dans le meilleur des mondes… 18.
Pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2019, l’accent sera mis sur six thématiques : une fois n’est pas coutume, la première rubrique est consacrée au principe non bis in dem qui a donné lieu à plusieurs arrêts en 2019 (I) ; puis, dans un deuxième temps, la question de la confrontation entre droits fondamentaux au prisme de l’obligation de coopération judiciaire pénale sera examinée (II). Les illustrations de la vitalité du contentieux conventionnel de l’asile et des étrangers sont légion (III). Certes, la jurisprudence récente sur les questions religieuses donne le sentiment d’un éternel recommencement (objection de conscience, critique des religions), mais elle apporte néanmoins des précisions importantes (IV). Le droit au respect de la vie privée et le droit au mariage ont donné lieu à plusieurs arrêts de grande chambre (V). Enfin, le Président Sicilianos l’a rappelé lors de la rentrée solennelle de la Cour en janvier 2020, « dans le domaine des droits politiques, la Cour (veille) au maintien de la démocratie pluraliste ». Les arrêts rendus lors du second semestre 2019 s’inscrivent résolument dans cette logique (VI).
I- Non bis in idem
Il importe de souligner avant tout l’importance du contentieux récent relatif au principe non bis in idem. Au premier semestre, la Cour s’était, en effet, prononcée à deux reprises sur la conformité à l’article 4 du Protocole n° 7 de la combinaison de sanctions administratives et pénales en matière fiscale. Au second, elle envisagea la marge de manœuvre des autorités nationales en matière de répétition des poursuites dans le cadre de contentieux liés à des problématiques d’ordre public. Un bref retour sur deux arrêts rendus au printemps permet ici de mieux saisir le caractère préoccupant d’atteintes récurrentes à un principe pourtant essentiel en démocratie.
A- Contentieux fiscal : des solutions prévisibles et quelques inconnues
Dans l’affaire Bjarni Ármannsson c/ Islande (16 avr. 2019, n° 72098/14), à un redressement fiscal pour non-déclaration de revenus s’était ajoutée une condamnation à une peine de prison avec sursis et à une forte amende. Considérant que l’imposition d’une majoration fiscale était de nature pénale, que la condamnation du requérant reposait sur la même infraction que cette majoration et que ces décisions étaient définitives, la Cour fit application du critère dégagé dans l’arrêt A. et B. c/ Norvège 19 selon lequel seul un « lien matériel et temporel suffisamment étroit » permet d’établir l’absence de répétition de procès ou de peines en cas de « traitement intégré » de l’acte jugé préjudiciable à la société. Elle jugea que les procédures fiscale et pénale étaient complémentaires 20, que les sanctions étaient prévisibles et que la peine infligée avait tenu compte de la sanction fiscale antérieure. Toutefois, les procédures n’avaient guère évolué en parallèle que pendant 6 mois sur une durée globale de près de 6 ans, la collecte et l’appréciation des éléments de preuve s’avérant largement indépendantes, ce qui l’amena à conclure que le requérant avait été puni deux fois pour les mêmes faits par deux autorités différentes dans le cadre de deux procédures distinctes.
L’arrêt Nodet c/ France (6 juin 2019, n° 47342/14) portait, quant à lui, sur la combinaison d’une sanction pénale pour manipulation du cours d’une action prononcée par l’Autorité des Marchés Financiers (250 000 € d’amende) et d’une peine de 3 mois de prison avec sursis pour entrave au fonctionnement régulier d’un marché financier, combinaison à laquelle le Conseil constitutionnel avait mis fin en jugeant que les articles L. 465-1 et L. 621-15 du Code Monétaire et Financier méconnaissaient le principe de nécessité des délits et des peines 21. Rappelant que le Conseil avait estimé que « ces deux textes tendaient à réprimer les mêmes faits, qu’ils définissaient et qualifiaient de la même manière le manquement d’initié et le délit d’initié, qu’ils protégeaient les mêmes intérêts sociaux et, enfin, qu’ils étaient susceptibles de faire l’objet de sanctions qui n’étaient pas de nature différente » (§ 48), la Cour considère que l’identité des buts visés « exclut la complémentarité exigée pour constater l’existence d’un lien suffisamment étroit du point de vue matériel » et constate une répétition dans le recueil des éléments de preuve, qui reposaient largement sur le constat établi par l’AMF, le tribunal correctionnel tenant même expressément compte de la sanction pécuniaire prononcée par sa Commission des sanctions. De plus, les deux procédures ne formant pas un tout cohérent puisque la procédure pénale s’était poursuivie plus de 4 ans après la fin de la première, le lien temporel faisait défaut, en violation de l’article 4 du Protocole n° 7.
Anticipée par le Gouvernement (qui affirmait « s’en remet[tre] à la sagesse de la Cour »), cette décision portant sur un point spécifique ne doit toutefois pas amener à penser que le contentieux fiscal français, qui s’attache moins au cumul des poursuites qu’à celui des sanctions infligées 22, serait désormais pleinement conforme aux exigences de la Convention, l’aménagement du « Verrou de Bercy » auquel a procédé la loi du 23 octobre 2018 ne réglant que partiellement les problèmes liés à l’utilisation de la notion subjective de « fraudes les plus graves ». Or, comme le montrent deux arrêts récents, il convient de ne pas voir non plus dans le contentieux fiscal un « cas isolé » de non-respect parfois systématique des exigences du principe non bis in idem par les législations nationales.
B- Ordre public : la diffusion préservation du principe non bis in idem, entre raisonnement complexe et problème structurel
En effet, dans l’arrêt Mihalache c/ Roumanie (Gde Ch., 8 juill. 2019, n° 54012/10), alors que les poursuites pénales initialement engagées contre le requérant suite à son refus de se soumettre à un prélèvement biologique visant à confirmer un test d’alcoolémie avaient été remplacées par une amende administrative d’un montant de 250 €, faute pour les faits « (d’) attei[ndre] le degré de gravité d’une infraction » exigé par le Code de Procédure pénale, le parquet supérieur avait spontanément annulé l’ordonnance d’abandon des poursuites et l’amende administrative infligée au motif qu’un tel acte « présent[ait] un degré élevé de danger social », le requérant se voyant condamné à un an de prison avec sursis.
Pour déterminer s’il avait été « acquitté ou condamné par un jugement définitif » via cette ordonnance d’abandon, la Grande chambre réaffirme que la notion autonome « d’accusation en matière pénale » oblige à considérer « la nature même de l’infraction » et « le degré de sévérité de la sanction » (§ 52). Elle requalifie ainsi l’amende infligée, dont le « caractère punitif et dissuasif » l’apparente à une « sanction pénale » dès lors que « son but n’était pas de réparer le préjudice causé par le requérant mais de [le] punir [et] de le dissuader de commettre à nouveau les faits » (§ 60) 23.
Constatant que la norme fondant poursuites et sanction initiales était de nature pénale, elle rappelle que rien dans la Convention « ne donne à penser que la nature pénale d’une infraction […] implique nécessairement un certain degré de gravité », les faits ayant d’ailleurs été qualifiés d’’infraction dans la seconde procédure (§ 58). Puis, établissant facilement l’identité des faits visés par les deux procédures, elle concentre son contrôle sur la répétition des poursuites en appliquant le critère dégagé dans l’arrêt A et B c/ Norvège (§§ 112-134). Cela l’amène à constater – de manière assez étonnante eu égard aux faits 24 – que celles-ci n’étaient ni complémentaires (puisqu’elles concernaient la même infraction, punie par la même loi, avec « la même finalité générale consistant à dissuader un comportement dangereux pour la sécurité routière », une « même autorité » en charge des poursuites et les « mêmes preuves », § 82) ni « combin[ées en] un tout cohérent » 25.
Comparant les versions française et anglaise de l’article 4 du Protocole n° 7 pour déterminer si la première ordonnance constituait un « acquittement » ou une « condamnation » par un jugement définitif, la Grande chambre affirme qu’une « décision » n’implique pas nécessairement l’intervention d’un juge dès lors qu’elle émane d’une « autorité appelée à participer à l’administration de la justice dans l’ordre juridique national concerné, et que cette autorité [est] compétente selon le droit interne, pour établir et sanctionner, le cas échéant, le comportement illicite reproché » (§ 93). L’emploi des mots « acquitté ou condamné » implique ainsi « l’établissement de la responsabilité ‘pénale’ de l’accusé à l’issue d’une appréciation des circonstances de l’affaire », laquelle se lit dans l’état d’avancement de la procédure, « notamment lorsqu’une sanction a été prononcée par l’autorité compétente comme conséquence du comportement imputé à l’intéressé » (§ 96). En l’espèce, elle constate que l’enquête initiale avait été menée par le parquet (qui détenait un véritable pouvoir de trancher l’affaire en en appréciant les circonstances et en établissant la responsabilité « pénale » du requérant) et que le requérant s’était vu infliger une amende tant répressive que punitive, la décision ne constituant donc pas « une simple ordonnance d’abandon des poursuites ».
Quant au caractère « définitif » de la première ordonnance – que des « raisons solides » (§ 112) peuvent, selon elle, amener à interpréter de manière autonome sans qu’elle précise ici lesquelles – la Grande chambre juge qu’il dépend du point de savoir si la décision était ou non susceptible d’un recours ordinaire. Plaidant pour l’adoption de « critères objectifs » (§ 114), elle constate que la décision était devenue définitive à l’expiration du délai de recours prévu. Le principe non bis in idem avait donc été violé, faute de faits « nouveaux ou nouvellement révélés » (art. 4§ 2 du Protocole n° 7) justifiant la réouverture des poursuites (dont le Gouvernement soutenait qu’elle était « imposée par la nécessité d’assurer l’uniformisation de la pratique concernant l’appréciation de la gravité de certaines infractions », § 134).
Si la Cour approfondit incontestablement ici son approche du droit à ne pas être jugé ou puni deux fois, il n’est toutefois pas certain que les éléments nouveaux apportés contribuent réellement à y voir plus clair… En effet, la complexité du raisonnement mobilisé et les multiples distinctions, précisions, exceptions et incises auxquelles elle juge bon de recourir interrogent quant à la manière dont la Cour, ces temps-ci, dit le droit face à la démultiplication du contentieux et à sa diversification toujours plus grande. Une impression de malaise à laquelle le ton adopté par les quatre opinions (pourtant toutes concordantes) jointes à l’arrêt et presque aussi longues que lui n’est sans doute pas étranger.
Sur ce point, s’attachant à mettre en lumière le caractère structurel de telles violations, l’arrêt Korneyeva c/ Russie (8 oct. 2019, n° 72051/17) semble plus clair… les faits d’espèce s’avérant, en vérité, assez caricaturaux. En effet, arrêtée lors d’un rassemblement protestataire, la requérante fut conduite au poste où elle fut inculpée, sur le fondement de l’article 19.3 § 1 du Code des infractions administratives, pour refus d’obéir à un ordre légal de la police (la sommant de cesser de participer à un rassemblement illégal) et, sur le fondement de l’article 20.2 § 5 du même Code, pour manquement à l’obligation d’obtempérer à un ordre de la police (la sommant de cesser de participer à ce rassemblement). Libérée le lendemain, elle fut reconnue coupable des deux infractions et condamnée à deux amendes, de 500 et 10 000 roubles (environ 7 et 140 euros).
Refusant d’admettre que la répétition des poursuites aurait été justifiée par le fait que les deux chefs d’accusation relevaient de domaines de protection distincts 26, la Cour souligne ici que « [c]e qui importe, c’est que les faits constituant la base des poursuites […] se recoupaient » (§ 62). Elle conclut alors à la violation de l’article 4 du Protocole n° 7… en s’appuyant directement sur un arrêt de la Cour suprême de juin 2018 (selon lequel, bien qu’étroitement liées, de telles accusations ne devaient cependant être examinées que sur le terrain de l’article 20.2 § 5) 27. Constatant qu’elle avait été saisie de plus de 100 requêtes portant sur des questions similaires alors que le Code des infractions administratives ne prévoit aucune procédure de réouverture ou de réexamen des décisions juridictionnelles dont la Cour a conclu qu’elles avaient entraîné une violation de la Convention, elle en vient à considérer que « [r]ien ne permet de confirmer avec le degré de certitude requis que la procédure prévue par l’article 30 § 12 [du même Code] », normalement applicable pour réviser les décisions définitives fondées sur lui, « pourrait servir cet objectif dans le cadre d’une telle réouverture ou d’un tel réexamen au sens de l’article 46 si le requérant le demandait » (§ 69). Soulignant que la solution retenue par la Cour suprême vaut pour l’ensemble des affaires introduites avant juin 2018 même si l’affaire n’avait pas été réexaminée sur le fondement de cet article, elle note alors qu’il « reste possible au Gouvernement de faire un usage approprié des voies de recours susceptibles de donner le résultat [attendu] » (§ 71) dans toutes les affaires dans lesquelles une décision définitive de condamnation a été rendue sur le fondement de l’article 19.3 § 1 alors qu’elle soulevait une question relative au principe non bis in idem. C’est donc – provisoirement ? – sans recourir à la procédure de l’arrêt pilote qu’elle invite le Gouvernement à rechercher avec le Comité des Ministres les mesures appropriées pour « faciliter la suppression rapide et effective d’un dysfonctionnement du système national de protection des droits de l’homme » (§ 72).
Céline Husson-Rochcongar, CURAPP-ESS, Faculté de droit et de science politique Université de Picardie Jules Verne
II- La confrontation entre droits fondamentaux au prisme de l’obligation de coopération judiciaire pénale
Portant sur l’inexécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) au titre de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002, l’arrêt Roméo Castaño c/ Belgique (9 juil. 2019, n° 8351/17) s’inscrit dans une configuration inédite, qui justifie son label d’affaire-phare et lui donne une portée doublement systémique, en termes à la fois d’articulation entre le droit de l’Union et le droit de la Convention et de conciliation entre les exigences de l’article 3 et celles de l’article 2 CEDH.
Conformément au régime de contrôle fixé par l’arrêt Pirrozzi 28, en application de la jurisprudence Avotiņš 29, les juridictions de l’Etat requis sont présumées satisfaire aux exigences de la Convention, lorsqu’elles sont saisies d’un MAE, si et pour autant que sans faire automatiquement jouer la reconnaissance mutuelle, elles s’assurent de l’absence d’une insuffisance manifeste de protection des droits de l’homme dans l’Etat requérant. En l’occurrence, les juridictions belges s’étaient fondées sur un risque de conditions de détention inhumaines et dégradantes en Espagne pour refuser – en vertu d’une exception prévue par la décision-cadre elle-même – de remettre une ancienne membre de l’ETA aux autorités espagnoles. Toutefois, la cause ici n’est pas tant de savoir dans quelle mesure le respect de la Convention impose de déroger aux mécanismes de coopération instaurées par le droit de l’Union, que de déterminer si une exception auxdits mécanismes de coopération, fondée sur le respect des droits de l’homme, respecte la Convention. Alléguant une violation du droit au respect de la vie, les requérants se plaignaient en effet que le refus d’exécution empêche toute poursuite en Espagne à l’encontre de la personne suspectée d’avoir tué leur père, au mépris des exigences procédurales de l’article 2 CEDH. L’inversion de perspectives, dans les rapports entre droit de l’Union et droit de la Convention, s’adosse à une forme de conflit de droits, entre deux normes fondamentales de la CEDH.
A la faveur de ces circonstances originales, le premier intérêt de l’arrêt Roméo Castaño est alors d’insérer le système du MAE dans le cadre plus général de la jurisprudence Güzelyurtlu 30 et de l’obligation de coopération bilatérale, déduite d’une protection effective du droit à la vie, quand l’effectivité de « l’enquête sur un homicide illicite survenu dans la juridiction d’un État contractant nécessite la participation de plus d’un État contractant ». Aussi, le constat que les autorités belges ont suivi une approche conforme aux principes établis dans la jurisprudence Avotiņš / Pirrozzi et apporté une réponse appropriée, dûment motivée, à la demande de coopération de leurs homologues espagnoles ne suffit-il pas à les dédouaner. Car le refus de coopérer doit encore reposer sur des motifs légitimes 31. A cet égard, le second apport de l’arrêt Roméo Castaño est d’établir que le caractère absolu du droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants ne saurait produire un effet d’éviction absolu à l’égard de tout autre impératif. Plutôt que de raisonner en termes de hiérarchie et de primauté entre l’interdiction de renvoyer un individu vers un pays où il risquerait des traitements contraires à l’article 3 CEDH et l’obligation procédurale de coopération imposée par l’article 2 CEDH, la Cour privilégie la voie de l’interprétation conciliante. S’il constitue un motif légitime de refuser une demande de remise, l’argument pris des conditions de détention en Espagne ne doit pas moins – du point de vue de la Convention – reposer « sur des bases factuelles suffisantes », « vu la présence de droits de tiers » (§ 85). En l’espèce, il est donc reproché aux juridictions belges de s’être arrêtées aux seuls constats dressés dans un rapport du CPT de 2013, « sans chercher à identifier un risque réel et individualisable de violation des droits de la Convention dans le cas de la suspecte, ni des défaillances structurelles quant aux conditions de détention en Espagne » – le constat de violation procédurale de l’article 2 ne signifiant pas, comme la Cour tient à le préciser, qu’elles soient tenues d’exécuter le MAE en l’occurrence, et encore moins que l’obligation de ne pas extrader une personne vers un pays où existe un risque réel devrait être considérée comme atténuée. C’est un simple rappel à l’exigence que la réalité du risque soit dûment établie.
En définitive, en imposant ainsi qu’une insuffisance manifeste de protection au regard de l’article 3 repose sur des bases factuelles suffisantes quand les droits de tiers au titre de l’article 2 sont également en cause, le juge de la Convention apporte son propre écho aux interprétations de la CJUE, commandant à l’autorité judiciaire d’exécution d’un MAE de vérifier les seules conditions de détention concrètes et précises de la personne concernée qui sont pertinentes pour déterminer si celle-ci courra un risque réel de traitement inhumain ou dégradant 32.
C. Boiteux-Picheral, IDEDH, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier
III. Les tensions récurrentes du contentieux de l’asile et des étrangers
Si l’arrêt T.I. et autres c. Grèce 33 ajoute encore à l’interprétation de l’article 4 CEDH en étendant l’obligation d’enquête impliquée par la lutte contre la traite des êtres humains aux conditions dans lesquelles les autorités publiques elles-mêmes délivrent des visas, la jurisprudence européenne du second semestre 2019 ne semble pas moins accuser des niveaux de protection contrastés, en fonction à la fois de la nature des mesures en cause (contrôles des entrées ou procédures d’éloignement) et de l’objet des griefs (violation alléguée de l’article 5 ou de l’article 3).
A- La qualification ambiguë du confinement des étrangers en zones de transit : être ou ne pas être une « privation de liberté » au sens de l’article 5 CEDH…
Susceptible de s’appliquer à des cas et des fins divers (en vue du refoulement de migrants en situation irrégulière qui se sont vus refuser l’entrée sur le territoire ou durant l’examen d’une demande d’entrée au titre de l’asile, voire – selon les Etats – de la demande d’asile elle-même…), le confinement en zones de transit – que le droit français connaît sous le nom de maintien en zone d’attente – vient régulièrement interroger, depuis l’arrêt Amuur c/ France 34, la délicate distinction entre « privation de liberté », relevant de l’article 5 de la Convention, et « restriction de la liberté d’aller et de venir » régie par l’article 2 du Protocole 4 à la CEDH.
A cet égard, le premier et commun apport des arrêts de Grande chambre du 21 novembre 2019, Ilias et Ahmed c/ Hongrie (n° 47287/15) d’une part et Z.A. et autres c/ Russie (n° 61411/15) d’autre part, tient sans doute à la consécration d’une grille de qualification propre à ce type de mesures, qui vaut également pour le maintien dans des centres d’identification et d’enregistrement des migrants (Z.A. et autres c. Russie, § 138 ; Ilias et Ahmed, § 216). Certes, aucun des quatre « facteurs » énoncés n’est vraiment nouveau. « La durée du maintien, considérée notamment à la lumière du but […] poursuivi et de la protection procédurale dont les requérants jouissaient au moment des événements », de même que « la nature et le degré des restrictions concrètement imposées aux requérants ou effectivement subies par eux » correspondent à des critères traditionnels et généraux de distinction entre privation de liberté et restriction à la liberté de circuler 35, tandis que « la situation personnelle des requérants et les choix opérés par eux » comme « le régime juridique applicable dans le pays concerné et l’objectif qui était le sien » ressortaient déjà de la pratique des chambres concernant les mesures de confinement préalables aux autorisations d’entrée sur le territoire 36. C’est l’œuvre de systématisation opérée qui – en spécifiant le régime des mesures de maintien en zone d’attente – contribue en soi à l’intérêt des arrêts sous commentaire, d’autant que cet effort de pédagogie judiciaire s’inscrit dans une évolution qui – par rapport à la jurisprudence Amuur – ne joue pas nécessairement en faveur des droits individuels, en particulier du droit d’asile.
Sur le plan des principes, on relèvera déjà la mise en exergue du « droit pour les Etats, sous réserve du respect de leurs obligations internationales, de contrôler leurs frontières et de prendre des mesures contre les étrangers qui contournent les restrictions posées à l’immigration » (Z.A. et autres c/ Russie, § 135 ; Ilias et Ahmed, § 213), plutôt que de l’exigence de ne pas priver les demandeurs d’asile de la protection résultant notamment de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié et de la CEDH 37. Car cette reconnaissance solennelle des prérogatives étatiques n’est pas uniquement symbolique. Outre qu’elle peut expliquer le principe même d’un faisceau d’indices adapté au maintien des étrangers en zone d’attente, elle en impacte également la mise en œuvre : au titre des objectifs poursuivis à travers le régime juridique applicable, la Grande chambre en déduit en effet que la situation d’un candidat à l’entrée, attendant pendant une brève période que les autorités vérifient s’il doit se voir reconnaître pareil droit, ne saurait être décrite comme une privation de liberté attribuable à l’Etat (Z.A. et autres c/ Russie, § 144 ; Ilias et Ahmed, § 225). Le champ d’application de l’article 5 se voit donc assigner une forme de délimitation par nature, qui confirme la tendance actuelle de la jurisprudence européenne à une revalorisation des impératifs de contrôle des flux migratoires 38. Mais au-delà, les appréciations aux cas d’espèce des restrictions imposées aux requérants dénotent encore un autre infléchissement.
En effet, la systématisation des facteurs d’applicabilité de l’article 5 n’emporte pas de systématicité des conclusions. Eu égard aux circonstances de chaque cause, le deuxième apport des arrêts du 21 novembre tient alors à l’introduction d’une distinction – à notre sens, pernicieuse – selon que le confinement s’effectue dans un aéroport (comme dans l’affaire Z.A. et la plupart des précédents dont la Cour a eu à connaître) ou à une frontière terrestre (comme dans l’affaire Ilias et Ahmed). Le juge européen la justifie certes par cette considération que, selon la localisation de la zone de transit, les intéressés n’ont pas la même liberté matérielle d’en sortir pour se rendre dans un autre pays. Et de fait, le départ d’une zone aéroportuaire nécessite des démarches (telles que prendre contact avec des compagnies aériennes, acheter des billets dont la délivrance peut être subordonnée à la production d’un visa valide selon la destination…) qui ne s’imposent pas pour quitter une zone d’attente située à une frontière terrestre (Z.A. et autres c. Russie, § 154 ; Ilias et Ahmed, § 236) 39. Mais sous prétexte que les requérants dans l’affaire Ilias et Ahmed ne sont pas tributaires des mêmes moyens de transport, la Grande chambre retient qu’ils avaient une possibilité concrète de sortir à leur gré de la zone d’attente pour revenir à pied en Serbie (d’où ils étaient arrivés), alors que ces ressortissants bangladais n’avaient pas le droit d’y entrer légalement et qu’une réadmission en Serbie, en vertu de l’accord conclu avec l’Union européenne en 2007, ne pouvait dépendre de leur seule volonté mais aurait au moins supposé une demande formelle des autorités hongroises. Discutable en soi, cette différenciation, fondée sur une approche exclusivement physique (voire pédestre) de la liberté, est d’autant plus tendancieuse qu’elle se prolonge par ailleurs dans ce qui peut être considéré comme un troisième apport interprétatif – à savoir la ferme dissociation entre caractérisation d’une privation de liberté au sens de l’article 5 et exigences induites par l’interdiction des traitements inhumaines ou dégradants en vertu de l’article 3 CEDH (Z.A. et autres c/ Russie, § 155 ; Ilias et Ahmed, § 246). On accordera que dans l’affaire Z.A. (§ 155), l’étanchéité des garanties permet au moins de couper court aux thèses du gouvernement russe qui semblait vouloir indexer la portée du droit à la liberté et à la sûreté sur le bien-fondé de la demande d’asile, en estimant « vital d’établir une distinction entre les réfugiés authentiques et les migrants » (Z.A. et autres c/ Russie, § 113). Dans le contexte de l’affaire Ilias et Ahmed, en revanche, elle donne une allure quasi-schizophrénique aux conclusions du juge européen et fait clairement refluer la jurisprudence Amuur, selon laquelle le droit pour des demandeurs d’asile de quitter volontairement le pays où ils entendent se réfugier doit être tenu pour purement théorique (et ne saurait donc exclure une atteinte à la liberté) « si aucun autre pays offrant une protection comparable à celle escomptée dans le pays où l’asile est sollicité n’est disposé ou prêt à les accueillir » 40. Même maintenus en attente à une frontière terrestre, tel semblait bien être le cas des requérants en l’occurrence, vu les constats établis au titre de l’article 3 concernant un retour dans leur pays de provenance 41. Sous couvert d’un distinguishing peu convaincant et dans le vertueux souci de ne pas « étendre la notion de privation de liberté au-delà du sens voulu par la Convention » (Ilias et Ahmed, § 243), la Grande chambre déclare pourtant que le risque (avéré) de perdre la possibilité de faire examiner leurs demandes d’asile en Hongrie et leurs craintes (tout aussi fondées) de ne pas avoir un accès suffisant aux procédures d’asile en Serbie ne sauraient interférer sur la réalité de leur liberté physique de quitter la zone de transit (Ilias et Ahmed, § 248). En corroborant ainsi l’irrecevabilité des griefs fondés sur l’article 5 CEDH, à rebours des analyses de la chambre, la singularisation des confinements à une frontière terrestre, manifestée par l’arrêt Ilias et Ahmed, s’analyse donc en une régression préoccupante.
B- La vivification de la protection contre l’éloignement fondée sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants
1°) L’encadrement procédural bienvenu du recours à la notion de « pays tiers sûrs » en matière d’asile
S’il ne fait guère progresser la protection effective du droit à la liberté et à la sûreté 42, l’arrêt de Grande chambre Ilias et Ahmed (préc.) a en revanche le mérite de condamner tout usage mécanique des présomptions de pays sûrs et de consolider les obligations procédurales imposées par le respect de l’article 3 en cas de renvoi d’un demandeur d’asile vers un Etat tiers, sans examen au fond des dangers allégués dans son pays d’origine.
Devant la Cour de Strasbourg, cette configuration s’était surtout rencontrée jusqu’alors dans le contexte des « transferts Dublin », auxquels l’interdiction des traitements inhumains et dégradants s’oppose si les autorités décisionnaires ne se sont pas préalablement assurées que l’intéressé aurait accès dans son Etat de destination à des procédures d’asile adéquates, le protégeant de tout risque de refoulement arbitraire, et se sont abstenues d’apprécier les risques éventuellement allégués concernant les conditions d’accueil dans ce pays. Faisant fond sur cette jurisprudence forgée par l’arrêt M.S.S. c/ Belgique et Grèce 43 et ses suites 44, l’arrêt Ilias et Ahmed en élargit et en systématise la portée. Car en l’état actuel du droit de l’asile, les transferts entre Etats membres ou associés de l’UE sont loin de constituer les seuls cas où, sans avoir à se prononcer elles-mêmes sur les risques encourus dans le pays d’origine, les autorités compétentes peuvent décider de renvoyer un demandeur d’asile vers un autre pays, censé se charger de statuer sur le besoin de protection internationale allégué et, le cas échéant, d’y répondre. En droit de l’Union européenne 45, une telle faculté leur est en effet ouverte dès lors que le demandeur présente un lien avec un « pays tiers sûrs » où il pourrait raisonnablement trouver refuge. Et c’est précisément sur ce fondement que les autorités hongroises ont, en l’occurrence, déclaré irrecevables les demandes d’asile des requérants (ressortissants d’origine bangladaise qui avaient connu diverses pérégrinations aux mains de passeurs), estimant que la Serbie d’où ils arrivaient était un pays tiers sûr et pouvait donc se charger de l’examen au fond de leur situation.
Dans ces circonstances, la Grande chambre ne fait pas seulement œuvre didactique, en synthétisant les facteurs de variation des devoirs incombant aux Etats en vertu de l’article 3 (selon qu’ils envisagent un renvoi du requérant vers son pays d’origine ou un renvoi vers un pays tiers). Lorsqu’ils n’entendent pas – en ce dernier cas – procéder à une évaluation de fond sur la demande d’asile, la Cour établit en premier lieu que les obligations issues de la jurisprudence M.S.S. s’imposent indépendamment de la crédibilité du besoin de protection internationale (§§ 136-138), aussi bien que de l’adhésion ou non du pays de destination à l’UE ou à la CEDH (§ 134). Face aux velléités de certains gouvernements, c’est signifier en d’autres termes qu’à partir du moment où il choisit de ne pas lui-même statuer sur les risques allégués dans le pays d’origine, un Etat ne saurait se dispenser de vérifier les garanties offertes dans le pays tiers intermédiaire (en termes d’accès aux procédures d’asile, de protection effective contre le refoulement, voire de conditions d’accueil), sous prétexte qu’il suspecte le demandeur de pas être « un réfugié authentique ». Une fois posée cette limite de bon sens aux obsessions de la lutte contre les abus, restait encore à déterminer comment les exigences de l’article 3 s’articulent alors avec l’application de la notion de « pays tiers sûr », permise par le droit de l’Union. A cet égard, l’arrêt Ilias et Ahmed enseigne en second lieu que si « la Convention n’interdit pas aux États contractants d’établir des listes de pays présumés sûrs pour les demandeurs d’asile », une telle présomption – outre qu’elle doit être suffisamment étayée en amont par une analyse de la situation en vigueur dans ce pays (§ 152) – n’empêche pas qu’au moment de se prononcer sur le renvoi d’un individu, les autorités soient tenues de se livrer à un examen d’office, minutieux et approfondi, de tout fait dont elles ont ou devraient avoir connaissance et de toutes informations générales disponibles (à charge pour elles de les rechercher si nécessaire) concernant notamment l’accessibilité, le fonctionnement et la fiabilité concrète du système d’asile dans cet Etat (§§ 139-141). A cette aune, le constat de violation de l’article 3 ne surprendra donc pas, dès lors
- que la décision du Gouvernement hongrois d’inscrire en 2015 la Serbie sur la liste des pays tiers sûrs semble avoir surtout été guidée par le souci de gérer un afflux massif de migrants,
- que les décisions d’expulsion rendues en l’espèce ne tenaient pas compte des constats fiables du HCR concernant un risque réel de déni d’accès à une procédure d’asile effective en Serbie et de refoulement arbitraire vers la Macédoine du Nord puis vers la Grèce,
- et que les autorités hongroises ont accru le risque auquel les requérants étaient exposés en les incitant à entrer illégalement sur le territoire serbe plutôt que de négocier leur retour de manière ordonnée.
En déterminant et en sanctionnant « la nature et la teneur de l’obligation de vérifier que le pays tiers est un pays sûr », le droit de la Convention apporte ainsi une nouvelle contribution à la garantie par ricochet du droit d’asile, en même temps qu’un heureux correctif aux limites de l’harmonisation communautaire, dans la mesure où la directive 2013/32 (préc.) fixe des critères de fond (art. 38§1) mais abandonne assez largement au droit national le soin des méthodes présidant à l’application du concept de « pays tiers sûr » (art. 38§2 sous b).
2°) L’évaluation matérielle élargie des facteurs de risque dans le pays d’origine
2.1. L’opposition renforcée du défaut de prise en charge médicale appropriée dans le pays de destination
Quoiqu’un renvoi en Grande chambre rende incertaine la pérennité de ses conclusions (d’ailleurs fort discutées au sein de la chambre), l’arrêt du 1er octobre 2019, Savran c/ Danemark (n° 57467/15), se signale par une application résolument extensive de la jurisprudence Paposhvili 46 voulant que l’article 3 prohibe l’éloignement d’un étranger gravement malade dès lors que cette personne serait confrontée « en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ». En l’espèce, le requérant, ressortissant turc condamné au Danemark pour violences aggravées ayant entraîné la mort de la victime, arguait alors que son expulsion contreviendrait à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, en raison d’une disponibilité douteuse en Turquie des traitements requis par sa schizophrénie paranoïde.
Vu la solution antérieurement retenue dans l’affaire Aswat, concernant l’extradition d’un détenu également atteint de troubles psychiatriques graves 47, il était prévisible que les standards établis par l’arrêt Paposhvili ne seraient pas cantonnés au seul registre des maladies physiques, d’autant que la CJUE s’en est déjà inspirée pour sa part dans le cas d’une étrangère souffrant de dépression 48. La première particularité de l’arrêt Savran, est néanmoins de consacrer cette extension, sans examen distinct du seuil de souffrance auquel l’intéressé risquerait d’être exposé en cas d’expulsion. Dans la motivation, ce critère tend en effet à s’effacer derrière l’appréciation de la disponibilité effective de soins adéquats dans le pays d’origine 49, alors que l’enjeu des traitements paraît largement tenir ici à la possibilité d’une réinsertion sociale du requérant et à la diminution du danger qu’il peut représenter pour d’autres personnes (voy. § 19 et § 22).
A partir de là, l’arrêt se distingue en outre par une conception extensive de la notion de « traitements appropriés », qui ne se suffit pas dans les circonstances de la cause d’un possible accès en Turquie à des médicaments et des structures de soins a priori adaptés aux besoins du sujet, mais impose aux autorités danoises d’obtenir l’assurance préalable et supplémentaire qu’il y bénéficiera d’un référent personnel, capable d’exercer le suivi jugé indispensable à l’efficacité du traitement ambulatoire intensif exigé par son état de santé (§ 64). S’inscrivant dans une logique d’effectivité, l’insistance sur la nécessité d’un tel accompagnement infléchit la rigueur du principe selon lequel « le paramètre de référence n’est pas le niveau de soins existant dans l’État de renvoi » (Paposhvili, préc., § 189.).
Tout en se félicitant que l’arrêt Savran ouvre plus largement la protection de l’article 3 aux étrangers malades, on peut donc craindre que l’avancée soit peut-être trop audacieuse pour ne pas encourir un désaveu en Grande chambre.
2.2. L’opposabilité confirmée d’une situation d’insécurité générale dans le pays de de destination
On sait que dans la jurisprudence européenne, une situation générale d’insécurité, dans le pays de destination, ne constitue pas normalement un facteur de risque susceptible d’engager l’interdiction des traitements inhumains et dégradants 50. Après la Somalie 51, les combats en Syrie ont toutefois donné une nouvelle vie à l’éventualité, ouverte par l’arrêt N.A. c/ Royaume-Uni 52, que dans des circonstances exceptionnelles, une situation générale de violence atteigne un degré d’intensité tel que tout renvoi vers le pays concerné emporterait nécessairement violation de l’article 3. A cet égard, l’apport de l’arrêt du 10 octobre, O.D. c/ Bulgarie (n° 34016/18) est de ne pas s’arrêter à la diminution générale des hostilités en Syrie mais de confirmer les conclusions précédemment retenues dans les arrêts L.M. et autres c/ Russie 53 et S.K. c/ Russie 54, en raison de la persistance d’attaques indiscriminées contre les civils, de pillages et de persécutions, auxquels s’ajoutent des pratiques d’arrestation et de détention arbitraire de masse près de la ville d’origine du requérant (§ 54) 55.
La Cour creuse ainsi un sillon jurisprudentiel particulièrement salutaire dans le contexte actuel, où les instances nationales pourraient être tentées de tirer prétexte d’une baisse du degré de violences pour ne plus faire automatiquement bénéficier les demandeurs d’asile syriens de la protection subsidiaire et où d’autre part, les considérations sécuritaires se mêlent de plus en plus au droit de l’asile. En l’espèce, les autorités bulgares avaient d’ailleurs refusé toute protection internationale au requérant et ordonné son expulsion, pour le motif que ce déserteur de l’armée régulière syrienne, ensuite engagé dans les rangs de la très composite armée libre (incluant des groupes de combat terroristes et islamistes), aurait constitué une menace à la sécurité nationale. Bien que ce ne soit pas son principal intérêt, ce n’est donc pas le moindre mérite de l’arrêt O.D. que de récuser une nouvelle fois la pertinence de telles considérations dans le cadre de l’article 3 (§§ 46-47).
La motivation, néanmoins, n’échappe pas à toute ambiguïté, dans la mesure où le juge n’indique pas expressément envisager à titre surabondant les risques individuels encourus par le requérant et parait au contraire en faire un facteur important de violation potentielle de l’article 3 en l’espèce (§ 55) – comme si, malgré tout, le contexte général d’insécurité ne suffisait pas en lui-même…
C. Boiteux-Picheral, IDEDH, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier
IV- Religions et CEDH
A- Condamnation bienvenue d’une carence législative persistante en matière d’objection de conscience au service militaire
Question récurrente dans la jurisprudence européenne, l’objection de conscience a été une nouvelle fois au cœur d’un arrêt de la Cour, dans l’affaire Mushfig Mammadov et autres c/ Azerbaïdjan du 17 octobre 2019 (n° 14604/08, 45823/11, 76127/13, 41792/15). On le sait, marqué du sceau des grands arrêts, l’arrêt Bayatyan (Gde. ch., 7 juill. 2011, n° 23459/03) avait relégué aux rangs de l’Histoire une jurisprudence pour le moins anachronique de la défunte Commission européenne des droits de l’homme selon laquelle le droit à l’objection de conscience ne relève pas des droits protégés par la liberté de religion. Pareille réécriture de la Convention était alors justifiée par l’existence d’un « consensus quasi général sur la question en Europe et au-delà » tant sur la reconnaissance du droit à l’objection de conscience que sur la nécessité de mettre en place des « solutions de remplacement viables et effectives propres à ménager les intérêts concurrents en présence ». Ainsi, s’est construit progressivement un véritable droit européen de l’objection de conscience, avec une tendance très nette du juge européen de mobiliser les sources externes, qu’elles soient contraignantes ou non comme l’illustre, par exemple, l’arrêt Adyan et a. c/ Arménie (12 oct. 2017, n° 75604/11). Avec l’arrêt Mushfig Mammadov et autres c/ Azerbaïdjan, la Cour ajoute une nouvelle pierre à l’édifice de sa jurisprudence sur le droit à l’objection de conscience. Etait en cause le refus des requérants, témoins de Jéhovah, d’effectuer le service militaire pour des raisons de conscience, ce qui leur a valu une condamnation pénale à des peines de prisons sur la base de l’article 321.1 du code pénal.
Non sans une certaine dose de provocation, le gouvernement entendait remettre en cause l’applicabilité de l’article 9, notamment quant à la sincérité des convictions religieuses de certains des requérants. Un tel argument ne pouvait évidemment pas prospérer, la Cour ayant déjà considéré qu’il suffit que l’objection des requérants soit motivée par des convictions religieuses, sincères et profondes, en conflit insurmontable avec l’obligation d’effectuer le service militaire 56. Or, le juge européen a toujours fait preuve d’une extrême réserve à l’égard de toute appréciation étatique sur la légitimité et la sincérité des croyances religieuses 57. Il lui suffit de relever ici que les requérants ont constamment revendiqué le statut d’objecteur de conscience en tant que témoins de Jéhovah devant les autorités et tribunaux nationaux (§ 75). Sur le fond, le débat contentieux se focalise assez rapidement sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique. Et l’arrêt de réitérer les principes applicables en matière d’objection de conscience au service militaire obligatoire (§§93-94). Il était en effet déjà acquis que pèse sur l’Etat une obligation positive d’offrir à une personne revendiquant le statut d’objecteur de conscience une procédure effective et accessible lui permettant de faire établir si elle a ou non le droit de bénéficier de ce statut. Le contrôle européen ne s’arrête pas là : par l’entremise du principe d’effectivité, la Cour s’assure également que le système de service de remplacement ne soit ni dissuasif ni punitif « que ce soit en droit ou en pratique » (§ 94). L’assertion n’est évidemment pas sans évoquer le célèbre dictum de l’arrêt Airey selon lequel « la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ». Or, c’est, en quelque sorte, là que le bât blesse puisque l’Etat défendeur n’a adopté aucune loi sur le service de remplacement, alors qu’il s’y était engagé au moment de son adhésion au Conseil de l’Europe et que, plus encore, l’article 76 § 2 de sa Constitution le prévoit 58 (§ 95) ! Autrement dit, le juge européen reproche à l’Etat défendeur de ne pas appliquer ses propres dispositions constitutionnelles. Décidément peu inspiré et de mauvaise foi, le gouvernement faisait valoir qu’un règlement du 31 juillet 1992 pouvait passer pour fournir un cadre juridique prévoyant un service de remplacement respectueux du droit à l’objection de conscience. Il oubliait cependant de préciser que celui-ci, permettant « à des membres du clergé remplissant une charge ecclésiastique » d’être exemptés du service militaire, n’a jamais été appliqué aux témoins de Jéhovah (§ 96). Le constat de violation de l’article 9 est sans appel : les autorités arméniennes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts de la société dans son ensemble, d’une part, et ceux des requérants, d’autre part, lesquels, faut-il le rappeler, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement. Sur le terrain de l’article 46 de la Convention, le juge pointe du doigt cette carence législative, à savoir l’absence d’une loi sur le service de remplacement, et rappelle à l’Azerbaïdjan que l’adoption d’une telle loi est le seul moyen de de se mettre en conformité avec le présent arrêt (§ 103). Si les affaires de ce genre se multiplient, il n’est pas exclu que la Cour active la procédure de l’arrêt-pilote.
B- Critique des religions : la revanche de la liberté d’expression ?
Tout d’abord, il est manifeste que, sur la question de la critique des religions, la Cour fait preuve de prudence au nom de la défense de la marge d’appréciation de l’Etat en matière de protection des sentiments religieux. A ses yeux, les autorités nationales sont mieux placées pour déterminer quelles sont les déclarations susceptibles de troubler la paix religieuse dans un pays. L’arrêt E.S c/ Autriche du 25 octobre 2018, qui avait défrayé la chronique, illustrait ce positionnement favorable aux religions 59. Relatif à la condamnation pour dénigrement de doctrines religieuses de la requérante d’une ressortissante autrichienne qui avait insinué dans le cadre de plusieurs séminaires que le prophète Mahomet avait des tendances pédophiles, la Cour avait retenu sans surprise un constat de non-violation de l’article 10. Nous avions critiqué cette position faisant la part belle « au conformisme, à la pensée unique, et [qui] tradui[t] une conception frileuse et timorée de la liberté de la presse » 60, sans perdre de vue cependant une autre facette de la jurisprudence européenne plus courageuse.
Il advient en effet que la Cour retienne ponctuellement une conception plus favorable à la liberté d’expression. En effet, des nombreuses affaires ont pu montrer qu’elle n’hésitait pas à emprunter une ligne libérale lorsque la liberté d’expression portait sur des sujets d’intérêt public 61; lorsque étaient en cause des affiches publicitaires jugées blasphématoires 62 ou bien encore des propos ne s’accompagnant d’aucun appel à la violence ou à la haine 63. A cet égard, le récent Tagiyev et Huseynov c/ Azerbaïdjan du 5 décembre 2019, qui relativise l’opposabilité de l’article 9 face à la liberté d’expression, n’est pas inédit dans son genre. En l’occurrence, l’affaire portait sur la condamnation des requérants pour incitation à la haine religieuse à la suite de la publication d’un article (« L’Europe et nous ») sur la comparaison entre les valeurs occidentales et les valeurs orientales qui comportait des remarques sévères sur l’islam et le Prophète 64. Pour la Cour, la question centrale ici est bien celle de la mise en balance de deux libertés fondamentales protégées par la Convention, à savoir le droit des requérants à la liberté d’expression garanti par l’article 10 d’une part, et le droit au respect des sentiments religieux découlant de l’article 9 de la Convention, d’autre part (§ 44).
Ainsi, l’arrêt relève-t-il en premier lieu que l’article, qui traitait de la comparaison entre les valeurs occidentales et orientales, ne doit pas être examiné uniquement dans le contexte d’une question relative aux croyances religieuses, mais dans le cadre d’un débat plus global sur le rôle d’une religion dans la société et son rôle dans le développement de société (§ 45). Par ailleurs, si le juge européen note que certains propos ont pu être considérés comme blessants par les musulmans, il souligne que les autorités nationales n’ont pas montré en quoi ils pouvaient constituer une incitation à la haine religieuse. Les autorités nationales se sont contentées de reprendre les conclusions d’une expertise linguistique, qui avait du reste clairement outrepassé son rôle en attribuant une qualification juridique aux propos litigieux (§ 47). In fine, ce qui est reproché aux juges internes, c’est une absence de contextualisation dans la mise en balance des intérêts en présence. Ni le contexte dans lequel a été publié l’article, ni son contenu général, ni le but poursuivi par l’auteur, ni même l’intérêt public de la question débattue ont été pris en compte. Bref, les juges ont fait prévaloir la liberté de religion sans une véritable conciliation avec le droit des requérants à la liberté d’expression. La solution des juges internes était d’autant plus critiquable que les requérants ont été condamnés respectivement à trois et quatre ans d’emprisonnement (§ 49). Rien ne justifiait des sanctions pénales aussi sévères. La Cour estime que le prononcé de ces sanctions est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression en Azerbaïdjan « et dissuader la presse de discuter ouvertement de questions relatives à la religion ». Le respect dû à l’islam ne pouvait conduire en l’espèce à prononcer des sanctions aussi lourdes. L’approche suivie n’est finalement pas si éloignée de celle retenue dans les affaires mettant en cause des discours de haine.
Il semble donc, qu’au-delà de la situation factuelle de l’espèce, la Cour sanctionne davantage la méthode empruntée par les juges internes. En statuant comme elle l’a fait, elle suggère que les restrictions à la liberté d’expression au nom de la liberté de la religion ont vocation à demeurer exceptionnelles. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre la formule selon laquelle : « un groupe religieux doit tolérer le rejet par autrui de ses croyances et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à sa foi dès lors que les déclarations en cause n’incitent pas à la haine ou à l’intolérance religieuse » 65. Seul l’avenir dira si l’arrêt Tagiyev et Huseynov c/ Azerbaïdjan a constitué un tournant dans la jurisprudence de la Cour. On se réjouit de la solution retenue. Reste un élément troublant et non des moindres : l’arrêt a été rendu par la même chambre que celle qui s’est prononcée dans l’affaire E.S. ! En l’absence d’un arrêt de grande chambre sur la question, de tels errements de la jurisprudence sont inévitables. Il faut y mettre fin. Alors certes, les faits des deux affaires peuvent expliquer la différence des solutions. Mais comment expliquer la minimisation du critère de la contribution du débat à un débat d’intérêt général dans l’affaire E.S. ? Ou bien encore le fait que l’arrêt E.S. démontrait une prise en considération très orientée du contexte au bénéfice de la liberté de religion. On peut donc penser, avec du recul, que l’affaire E.S. aurait mérité une toute autre conclusion. De fait, le lecteur retire l’impression que la résolution de ces conflits de droits est laissée à la seule subjectivité des juges. Peut-être, la Cour pourrait-elle s’inspirer ici de ses arrêts Von Hannover c. Allemagne n° 2 et Axel Springer c. Allemagne dans lesquels elle a pris soin d’élaborer, de façon pédagogique, un mode d’emploi de résolution des conflits entre les droits à la liberté d’expression et au respect de la vie privée articulé autour de plusieurs critères. Il ne s’agit en aucun cas d’attendre une gestion prévisible des conflits – la prévisibilité étant ici un objectif inaccessible – mais de légitimer cette gestion par « un effort argumentatif substantiel » 66. En somme, assurer une certaine rationalité du processus de résolution.
M. Afroukh, IDEDH, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier
V- Droit au respect de la vie privée et droit au mariage
A- Entre composition et recomposition, la cellule familiale toujours au coeur de la protection garantie
Quant à la relation parent-enfant, d’une part, confirmant une évolution dans l’interprétation des implications de l’intérêt supérieur de l’enfant initiée dans la décision Johansen (10 oct. 2002, n° 12750/02) et réunissant 11 tiers-intervenants, l’arrêt Strand Lobben et a. c/ Norvège (Gde ch., 10 sept. 2019, n° 37283/13), pose crument la question des présupposés sous-tendant les dispositifs d’aide sociale à l’enfance 67. Il semble tirer toutes les conséquences de la perspective selon laquelle l’adoption signifie « donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille » (26 fév. 2002, Fretté c/ France, n° 36515/97)… en privilégiant le lien biologique 68.
En l’espèce, la Grande chambre juge contraire à l’article 8 la décision de déchéance de l’autorité parentale d’une mère fondée sur les seules rencontres organisées pendant les trois ans pendant lesquels elle avait exercé son droit de visite à son fils biologique, alors que la « vulnérabilité particulière » de l’enfant 69 alléguée par les autorités n’avait pas été suffisamment étayée et en l’absence d’une nouvelle expertise des aptitudes parentales de la mère bien qu’elle ait eu depuis un second enfant dont elle s’occupait. Cette décision avait mené à l’adoption de l’enfant par sa famille d’accueil.
Les insuffisances constatées dans le processus décisionnel ayant abouti à cette décision conduisent ici à un constat de violation par treize voix contre quatre, alors que la Chambre avait conclu à la non-violation par quatre voix contre trois en considérant que les mesures litigieuses avaient été justifiées par des circonstances exceptionnelles et s’inspirant d’une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant. Validant le constat des autorités internes d’une absence d’amélioration de l’aptitude maternelle de la requérante lors de ses trois années de visites à l’enfant, celle-ci avait considéré l’équité du processus décisionnel et constaté que les autorités avaient entretenu des rapports directs avec l’ensemble des intéressés.
La Grande chambre, au contraire, relève que les mesures contestées reposaient sur la capacité de la mère biologique à s’occuper de l’enfant, le tribunal ayant considéré comme « probable qu[‘elle] serait définitivement incapable de s'[en] occuper correctement » et « qu’un retrait de l’enfant de son environnement pourrait entraîner pour [lui] de graves problèmes » (§ 217-219). Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant mais sans l’assimiler à un besoin de stabilité, elle se livre donc à un contrôle plus poussé, lequel profite sans surprise à la requérante. Estimant que le régime de visite mis en place (12h/an puis 8h) ne fournissait que peu d’éléments permettant d’établir clairement ses aptitudes parentales, elle conclut que les autorités n’avaient pas cherché à se livrer à une véritable mise en balance des intérêts mais avait considéré que l’intérêt de l’enfant exigeait de le séparer irréversiblement d’une mère défaillante. Ainsi, même si la Cour rappelle qu’il peut exister des intérêts conflictuels entre un parent (même dépouillé de ses droits parentaux) et son enfant 70, c’est bien le système d’aide à l’enfance norvégien qui se trouve mis en cause comme retirant trop facilement un enfant à un parent biologique jugé « défaillant » au risque d’attenter au droit à la vie familiale aussi bien de l’enfant que du parent – même si seule la mère se voit attribuer 25 000 euros en réparation du préjudice moral, la décision d’adoption n’étant pas remise en cause.
Quant à la relation entre conjoints, d’autre part, dans l’arrêt Theodorou et Tsotsorou c/ Grèce (5 sept. 2019, n° 57854/15), la Cour constate une atteinte au droit garanti par l’article 12 de la Convention du fait de l’annulation d’un mariage contracté entre anciens beau-frère et belle-sœur après que l’ex-femme du premier ait argué de sa nullité auprès du Procureur en raison du lien de parenté entre les époux, dont l’un était son ex-mari et l’autre sa sœur. Conformément à sa jurisprudence, elle examine les conditions au mariage prévues par le droit grec – dont le Gouvernement soutient qu’il protège « la décence » et le « respect de l’institution de la famille » (§ 28) en faisant subsister l’interdiction du mariage entre alliés en ligne collatérale et jusqu’au troisième degré même « lorsque le mariage dont résulte l’alliance a été annulé ou dissou[t] » – en se gardant toutefois de « substituer précipitamment son propre jugement à la réflexion des autorités qui sont le mieux placées pour évaluer les besoins de la société et y répondre » 71.
Réaffirmant qu’en « règle générale, des limitations qui concernent la capacité de contracter un mariage, le consentement, la consanguinité ou la prévention de la bigamie sont susceptibles d’être compatibles avec l’article 12 », elle souligne qu’a contrario « [d]’autres interdictions empêchant le mariage entre adultes consentants et juridiquement capables » (§ 28) pourraient ne pas l’être. Elle constate qu’ici l’empêchement n’a « servi à prévenir, à titre d’exemple, ni une confusion éventuelle ou une insécurité émotionnelle de la fille du requérant [issue de son premier mariage], ni une confusion du lien ou du degré de parenté » 72 (§ 29), alors qu’il existe un consensus entre États parties en matière d’empêchement au mariage des ex-belles-sœurs et beaux-frères (lequel n’existe que dans deux États membres, sans y être d’ailleurs absolu). De plus, les requérants n’avaient rencontré aucun obstacle à leur mariage, la question de sa nullité n’ayant été soulevée qu’après dix années, pendant lesquelles ils avaient joui « tant de la reconnaissance juridique et sociale de leur relation résultant du mariage que de la protection accordée exclusivement aux couples mariés » (§ 33).
Rejetant ses arguments reposant sur des « problèmes d’ordre ‘éthique’ » – dont elle ne voit pas comment ils auraient été « posés concrètement » par la situation, d’ailleurs « bien établie depuis des années » – et sur des « estimations de nature biologique » et un « risque pratique de confusion », alors que les requérants « ne sont pas parents de sang et n’ont pas d’enfant ensemble »(§ 33-34), la Cour réduit donc la marge d’appréciation de l’État. Considérant que la reconnaissance de la nullité de leur mariage avait atteint le droit des requérants dans sa substance en les privant « de tous les droits accordés aux couples mariés, dont ils [avaient] pourtant joui pendant dix ans » (§ 35), elle fait ainsi prévaloir la recomposition familiale sur la prise en compte « du caractère sensible des choix moraux concernés et de l’importance à attacher en particulier à la protection des enfants et au souci de favoriser la stabilité familiale », mis en exergue par sa jurisprudence antérieure (ici § 28).
B- La prise en compte contrastée des atteintes au droit à la vie privée dans un cadre professionnel
Deux affaires offrent des développements contrastés à la solution adoptée dans l’arrêt Bărbulescu c/ Roumanie 73 consacrant l’existence d’un droit à « la vie privée sociale sur le lieu de travail » au bénéfice d’un requérant licencié pour avoir échangé des messages électroniques privés avec des proches pendant ses heures de travail. La première (Gde ch., 17 oct. 2019, López Ribalda et a. c/ Espagne, n° 1874/13 et 8567/13) concerne elle aussi la surveillance exercée par un employeur sur ses employés, la seconde (17 sept. 2019, Iovcev et a. c/ Rép. de Moldova et Russie, n° 40942/14) le harcèlement dont ont fait l’objet, aux côtés des élèves et de leurs parents, des membres du personnel de plusieurs écoles dispensant des enseignements en langue roumaine/moldave en Transnistrie.
En 2017, la Grande chambre avait retenu que le requérant n’avait pas été informé « de l’étendue et de la nature de la surveillance opérée par son employeur, ni de la possibilité que celui-ci ait accès à la teneur même de ses communications ». Dans l’affaire López Ribalda et a., contrairement à la chambre, qui avait constaté une violation de l’article 8 par six voix contre une, elle parvient au constat inverse par quatorze voix contre trois, nous permettant de mesurer l’importance de la qualification juridique des faits au cœur de son argumentation. En l’espèce, ayant subi d’importantes pertes financières, le gérant d’un supermarché avait installé un ensemble de caméras de vidéosurveillance et averti ses employés de la présence de certaines d’entre elles, dirigées vers les entrées et sorties du magasin, quand d’autres filmaient également les caisses et leurs alentours. Les requérantes, caissières ou vendeuses dans l’établissement, avaient fait partie des quatorze employés licenciés après que les enregistrements vidéo les avaient montrées volant des produits ou aidant d’autres personnes à les voler.
Comparant les faits à ceux de l’affaire Köpke c/ Allemagne 74, la Chambre avait retenu que la surveillance, qui visait tous les employés et non spécifiquement les requérantes, s’était « poursuivie longtemps », et souligné que les requérantes avaient pu « raisonnablement croire à la préservation de leur vie privée » puisque le droit interne imposait à chaque collecteur de données d’informer les personnes concernées. Faisant jouer la protection garantie par le droit interne contre l’État, qui n’avait pas réussi à la faire respecter, elle avait conclu que les juridictions nationales n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre les droits des requérantes et ceux de l’employeur, qui « auraient pu être sauvegardés, au moins dans une certaine mesure, par d’autres moyens » (§ 69). Pour la Grande chambre, en revanche, l’intérêt de l’employeur s’étend, au-delà de la possibilité de faire cesser les vols, à celle de recueillir des preuves permettant le licenciement des responsables… ce qui justifie la méthode employée.
Reprenant tout d’abord les principes essentiels d’interprétation de la notion de vie privée – qui comprend « le droit de mener une “vie privée sociale“ » 75, elle répète que « des mesures prises en dehors d[u] domicile ou de […] locaux privés » imposent la prise en compte de plusieurs éléments, ce qu’un individu est « raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée » pouvant s’avérer « un facteur significatif, quoique pas nécessairement décisif », et rappelle sa jurisprudence sur le droit à l’image, « un des attributs principaux » de la personnalité. Elle applique ensuite aux faits d’espèce les critères dégagés dans l’arrêt Bărbulescu 76. Considérant rapidement 77 que les requérantes n’étaient pas « individuellement ciblées par la vidéosurveillance », qui concernait les caisses et leurs alentours (même s’il n’était « pas contesté qu’elles [aient] pu être filmées tout le long de leur journée de travail »), et que cette surveillance n’avait duré que 10 jours, elle concentre son analyse sur l’attente raisonnable qui pouvait être la leur concernant le respect de leur vie privée sur un lieu de travail qui était ouvert au public, avec lequel elles étaient en contact permanent, et alors que les activités filmées n’étaient pas de nature intime ou privée, dès lors que « même dans des espaces publics, la création d’un enregistrement systématique ou permanent d’images de personnes identifiées et le traitement subséquent des images ainsi recueillies peuvent soulever des questions touchant à la vie privée des individus concernés ».
Comme la Chambre, elle juge qu’ayant été averties de la mise en place d’un dispositif de captation vidéo, les requérantes « pouvaient raisonnablement s’attendre à ne pas faire l’objet d’une vidéosurveillance dans les autres espaces du magasin sans en avoir été préalablement informées ». Mais elle dépasse cet argument – qui s’était avéré déterminant dans le raisonnement de la chambre – en considérant que les soupçons de vol avaient constitué une raison légitime à l’installation d’une vidéosurveillance, limitée dans l’espace et le temps. Bien qu’ayant entraîné leur licenciement, la surveillance dont elles avaient fait l’objet n’avait donc pas constitué une intrusion grave dans leur vie privée 78… D’une part, car, si cette attente de protection « est très importante dans les endroits relevant de l’intimité, tels que des toilettes ou des vestiaires, où se justifie une protection accrue, voire une interdiction de procéder à une vidéosurveillance » et « demeure forte dans les espaces de travail fermés, tels que les bureaux », elle est en revanche « manifestement réduite dans les endroits visibles ou accessibles aux collègues ou […] à un large public » (§ 125). D’autre part, car la surveillance n’avait pas excédé la durée nécessaire à la confirmation des soupçons et seules trois personnes (responsable du magasin, représentante légale de l’entreprise et déléguée syndicale) avaient visionné les enregistrements (qui n’avaient été utilisés que pour trouver les responsables des pertes subies et les sanctionner) avant que les requérantes n’en soient informées.
En fait, l’argumentation bascule lorsque la Grande chambre précise : « Même s’il aurait été souhaitable que les juridictions internes examinent de manière plus approfondie la possibilité pour l’employeur de recourir à d’autres mesures, moins intrusives pour la vie privée des salariés, la Cour ne peut que relever que l’ampleur des pertes constatées par l’employeur pouvaient donner à penser que des vols avaient été commis par plusieurs personnes et qu’informer l’un quelconque des membres du personnel risquait effectivement de compromettre le but de la vidéosurveillance qui était […] de découvrir d’éventuels responsables de vols mais aussi de s’assurer des preuves permettant de prendre des mesures disciplinaires » (§ 128). C’est donc la manière dont la Grande chambre envisage ce qui relève des droits patrimoniaux de l’employeur au-delà du droit de propriété qui fonde sa solution, dans la mesure où elle y incorpore la recherche de preuves, se rangeant aux côtés des juridictions internes pour mettre en balance le droit des salariées avec « l’intérêt pour l’employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise » 79.
Elle relativise ainsi le « caractère fondamental [de] l’exigence de transparence et [du] droit à l’information qui en découle […] en particulier dans le contexte spécifique des relations de travail, où l’employeur dispose à l’égard des salariés de pouvoirs importants dont il convient d’éviter tout abus », premier critère à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité de la mesure (et seule limite imposée par le droit interne !), en affirmant qu’en l’absence d’une telle information « les garanties découlant des autres critères revêtiront d’autant plus d’importance » (§ 131). Elle ne juge alors pas déterminant que les juridictions du travail n’aient pas tenu compte du manquement de l’employeur, alors même que « seul un impératif prépondérant relatif à la protection d’intérêts publics ou privés importants pourrait justifier l’absence d’information préalable » (§ 133). Combiné aux raisons légitimes qui avaient présidé à la mise en place d’une surveillance, le faible degré d’intrusion dans la vie privée des requérantes (qui disposaient d’ailleurs de voies de recours pour faire sanctionner le non-respect de la loi) emporte donc sa décision.
Certes, elle prend soin d’affirmer qu’elle « ne saurait accepter que, de manière générale, le moindre soupçon que des détournements ou d’autres irrégularités aient été commis par des employés puisse justifier la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’employeur », mais considère que « l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises et l’ampleur des manques constatés en l’espèce peuvent apparaître comme des justifications sérieuses », ajoutant que « [c]ela est d’autant plus vrai dans une situation où le bon fonctionnement d’une entreprise est mis à mal par des soupçons d’irrégularités commises non par un seul employé mais par l’action concertée de plusieurs employés, dans la mesure où cette situation a pu créer un climat général de méfiance dans l’entreprise » (§ 134). Contrairement à la Chambre, elle fait donc jouer en faveur de l’État les « garanties importantes offertes par le cadre normatif espagnol, y compris les voies de recours que les requérantes n’ont pas empruntées » (§ 137) pour conclure que les autorités nationales n’avaient pas manqué à leurs obligations positives au titre de l’article 8.
Pourtant, face au développement de technologies facilitant une intrusion toujours plus grande dans le droit à la vie privée, la Convention ne devrait-elle pas, en tant qu' »instrument vivant », permettre de dégager des garanties juridiques adaptées à de nouveaux risques de violation ? Or, en semblant accepter ainsi que la fin puisse justifier les moyens, la Cour risque au contraire d’inciter les employeurs à prendre eux-mêmes l’initiative de mesures relevant des compétences de la police 80, encourageant ainsi paradoxalement le glissement d’une société de surveillance, dans laquelle chacun est (encore) libre d’adapter son comportement au fait qu’il se sache surveillé, à une société de sousveillance, dans laquelle la banalisation du contrôle en fait une habitude contre laquelle il devient impossible de lutter 81.
L’approche adoptée s’avère en revanche plus libérale dans l’affaire Iovcev et a. concernant la protection assurée par la Cour à l’identité ethnique face au harcèlement subi, de la part des autorités de l’autoproclamée « République Moldave de Transnistrie » (RMT), tant par des élèves et leurs parents que par des membres du personnel d’écoles utilisant l’alphabet latin (et non cyrillique) pour dispenser un enseignement en roumain/moldave. En l’espèce, la protection du droit à la vie privée des seconds dans un cadre professionnel découle de la protection du droit à l’instruction des premiers, les argumentations adoptées s’avérant étroitement liées. En effet, c’est en s’appuyant très largement sur son constat préalable de violation de l’article 2 du Protocole n° 1 que la Cour constate la violation de l’article 8. Or, ce n’est qu’en « rappelant que l’article 2 du Protocole no 1 devait [lui-même] être lu à la lumière de l’article 8 » (§ 60) qu’elle avait pu parvenir à ce premier constat…
Envisageant cet article 2 en tant qu’il protège le droit des parents de choisir la langue dans laquelle leurs enfants sont instruits ainsi que l’alphabet pour l’écrire, la Cour constate tout d’abord, conformément à sa jurisprudence Ilascu et a. c/ République de Moldova et Russie 82, que les requérants relevaient de la juridiction des deux États défendeurs : le premier en tant qu’État territorial, « même s[‘il] n’exerça[i]t aucune autorité sur la région transnistrienne » ; le second car il « avait contribué, tant militairement que politiquement, à la création d’un régime séparatiste dans la région de Transnistrie en 1991-1992 », lequel n’avait pu « continuer à exister […] jusqu’en juillet 2010 […] que grâce [à son] soutien militaire, économique et politique ». « Faute d’information pertinente nouvelle prouvant le contraire », elle considère que « la Fédération de Russie continuait d’exercer un contrôle effectif et une influence décisive sur les autorités transnitriennes » 83.
S’appuyant sur les principes posés dans l’arrêt Catan et a. 84 – qui concernait la fermeture forcée d’écoles et dans lequel la Grande chambre avait rappelé que « l’article 2 du Protocole no 1 devait être lu à la lumière de l’article 8 de la Convention » – elle conclut alors lapidairement à l’existence d’une ingérence dans les droits des élèves requérants et de leurs parents « [c]ompte tenu des circonstances de l’espèce, qu’elle estime similaires à celles de l’affaire Catan et a. » (§ 60). Et c’est en se contentant d’affirmer « ne voi[r] aucune raison de parvenir à une conclusion différente » qu’elle constate la violation de ces droits (elle avait alors estimé que « rien ne donnait à penser que les mesures prises […] poursuivaient un but légitime, et […] que la politique linguistique de la « RMT » […] avait pour but la russification de la langue et de la culture de la communauté moldave de la région […], conformément aux objectifs politiques généraux poursuivis par la « RMT », à savoir le rattachement à la Russie »).
Rappelant que les obligations positives pesant sur la Moldova lui imposent de chercher à reprendre le contrôle du territoire transnistrien (Mozer, § 151) et à assurer le respect des droits individuels, elle constate que les parties n’ont présenté « aucun argument indiquant que le gouvernement moldave [aur]ait modifié sa position sur la région » (§ 64) alors qu’elle avait précédemment jugé qu’il « avait pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir » (Mozer, § 152) et relève que « c’est le gouvernement moldave qui finance les établissements scolaires de langue roumaine/moldave en Transnistrie, ce qui leur permet de continuer à fonctionner et aux enfants de poursuivre leur apprentissage » (§ 65), jugeant donc la Russie seule responsable de la violation constatée 85.
Or, ce premier constat lui permet de fonder le constat de violation des droits des autres requérants, membres du personnel des écoles concernées, qui soutenaient que le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 « englobe un droit à la reconnaissance de la langue en tant qu’élément de l’identité ethnique ou culturelle » puisque celle-ci serait « un moyen essentiel d’interaction sociale et de développement de l’identité personnelle » (§ 69). Rappelant l’interprétation nécessairement large de la notion de « vie privée », laquelle peut englober « de multiples aspects de l’identité physique et sociale d’un individu » y compris son « identité ethnique », la Cour s’appuie ici sur sa jurisprudence Aksu c/ Turquie (Gde ch., 15 mars 2012, n° 4149/04 et 41029/04, § 58) selon laquelle « à partir d’un certain degré d’enracinement, tout stéréotype négatif concernant un groupe peut agir sur le sens de l’identité de ce groupe ainsi que sur les sentiments d’estime de soi et de confiance en soi de ses membres » et peut donc « être considéré comme touchant à la vie privée des membres du groupe ». Elle précise que « [c]ette atteinte est à fortiori plus grave lorsque les autorités mènent une campagne d’intimidation et de harcèlement à l’encontre des membres d’un groupe spécifique » (§ 72). Or, de tels faits l’ont amenée à constater la violation de l’article 2 du Protocole n° 1 dans le chef des élèves et de leurs parents…
Elle relève donc très simplement que les mesures de harcèlement dénoncées avaient « engendré […] des sentiments fondés de peur et d’humiliation » chez les requérants, qui « occupent des postes au sein des écoles de langue roumaine/moldave de Transnistrie et […] se revendiquent comme appartenant à la communauté roumaine/moldave de cette région » (§ 74) et que, s’incrivant « dans une campagne plus large d’intimidation » déjà constatée dans l’affaire Catan, ces pressions avaient « nécessairement affecté les sentiments d’estime de soi et de confiance en soi du personnel de ces écoles, y compris les requérants » (§ 75). Ne s’attachant pas au caractère « artificiel » de « la combinaison langue/alphabet que les autorités de la « RMT » imposent à la communauté moldave de […] Transnistrie » (§ 74), la Cour s’appuie donc sur le constat de violation de l’article 2 du Protocole n° 1 qu’elle vient d’établir concernant les élèves et parents requérants pour constater que « ces mêmes agissements ont nécessairement touché de manière particulièrement notable la vie privée [des requérants membres du personnel] à travers leur identité ethnique et leurs activités professionnelles » (§ 75). C’est donc sans répondre expressément à l’argument selon lequel le droit au respect de la vie privée et familiale engloberait un droit à la reconnaissance de la langue mais aussi sans s’attacher particulièrement à examiner en quoi le droit à la vie privée se trouve ici atteint pour des professionnels, qu’elle conclut à la violation de l’article 8 au motif que l’ingérence contestée était dépourvue de but légitime 86.
Céline Husson-Rochcongar, CURAPP-ESS, Faculté de droit et de science politique Université de Picardie Jules Verne,
VI – Droits politiques
A- Refus discutable de la Cour d’activer l’article 17 en présence de propos négationnistes tenus par un député
Particulièrement sensible à la liberté d’expression des élus, la Cour européenne refuse dans l’arrêt Pastörs c/ Allemagne du 3 octobre 2019 (n° 55225/14) de faire un usage direct de l’article 17 de la Convention (portant interdiction de l’abus de droit) dans une affaire qui concernait des propos négationnistes tenus par un député régional allemand.
On le sait, le recours à article 17 peut revêtir deux formes sensiblement différentes : d’une part, un recours direct qui se traduit par la déchéance pure et simple et, d’autre part, un recours indirect dans lequel l’article 17 est utilisé comme « instrument de mesure de la nécessité dans une société démocratique des restrictions » 87. Depuis la décision Garaudy c/ France rendue en 2003, le juge européen n’éprouve aucune difficulté à réactiver l’« effet guillotine » de l’article 17 et à fustiger des propos « dirigés contre les valeurs sous-jacentes de la Convention ». Dans ce cas de figure, la Cour ne s’embarrasse guère d’une mise en balance des intérêts puisque le conflit de droits est par nature nié. Le droit agresseur, en tant qu’il a détourné une liberté conventionnelle de sa vocation, n’est pas garanti par la Convention. Ainsi en-est-il des propos remettant en cause l’Holocauste 88, des déclarations justifiant une politique pro-nazie 89, décrivant les juifs comme la source du mal 90 ou bien encore une affiche assimilant tous les musulmans aux attentats terroristes du 11 septembre 91. Cette évolution est confirmée par certaines prises de position très récentes, comme l’illustrent les décisions d’irrecevabilité M’Bala M’Bala c/ France 92 et Belkacem c/ Belgique 93. Pour autant, le recours à l’article 17 demeure « erratique » 94. Le caractère sensible de certaines affaires ou les différences existant entre les juges sur les limites de la liberté d’expression peuvent conduire la Cour à ne pas appliquer l’article 17 ou à privilégier une application indirecte. C’est ce dont témoigne encore l’affaire Pastörs c/ Allemagne. Alors même qu’il reconnaît que les propos litigieux tombent sous le coup d’une application de l’article 17 (§ 39), ce qui devrait conduire logiquement à déclarer la requête irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, le juge européen examine l’ingérence dénoncée au regard de l’article 10, § 2 (!). Prêtant une attention particulière à la qualité du requérant, député, et au fait que les propos litigieux ont été tenus au cours d’une session parlementaire, la Cour préfère se prononcer sur le fond et la proportionnalité de l’ingérence. Sur le fond, nul besoin d’être un grand clerc pour comprendre que l’arrêt va conclure à un constat de non-violation de l’article 10. C’est la démarche retenue qui interpelle. On ne peut en effet se défendre du sentiment que la solution de l’arrêt au fond (plutôt que d’une décision d’irrecevabilité) avait principalement pour objet de permettre au juge européen de préciser les limites de la liberté d’expression des élus lorsqu’ils s’expriment dans une enceinte parlementaire. Il est possible de rapprocher cette affaire de l’arrêt Féret c/ Belgique du 16 juillet 2009. Relativement à une condamnation d’un parlementaire pour incitation à la discrimination raciale, la Cour avait rendu un arrêt au fond de non-violation de l’article 10 qui comprend des développements très insistants sur l’impact des discours de haine tenus par les hommes politiques.
Il n’en demeure pas moins que ce refus d’utiliser directement l’article 17 est discutable. Il en ressort une différence de traitement des propos « dirigés contre les valeurs sous-jacentes de la Convention », selon qu’ils sont tenus par un élu ou par un simple particulier. La Cour n’avait-elle pas souligné dans l’affaire Féret que « la qualité de parlementaire du requérant ne saurait être considérée comme une circonstance atténuant sa responsabilité. A cet égard, la Cour rappelle qu’il est d’une importance cruciale que les hommes politiques, dans leurs discours publics, évitent de diffuser des propos susceptibles de nourrir l’intolérance. Elle estime que les politiciens devraient être particulièrement attentifs à la défense de la démocratie et de ses principes, car leur objectif ultime est la prise même du pouvoir » (§ 75) ? En l’espèce, il est admis que le requérant a planifié son discours à l’avance, en choisissant délibérément ses mots. Que fallait-il de plus pour appliquer l’article 17 ? L’arrêt est très mal rédigé et le passage dans lequel la Cour suggère que les propos niant l’holocauste constituent un usage abusif de la liberté d’expression (§ 44), suscite la perplexité. Bref, on ne sait plus très bien si la Cour oppose ou non l’article 17 au requérant. Il apparaît que l’article 17 a finalement été utilisé comme « instrument de mesure de la nécessité dans une société démocratique des restrictions », ce qui emporte une conséquence moins radicale puisque la requête est déclarée manifestement mal fondée. Etait-il vraiment nécessaire de rendre un arrêt au fond dans cette affaire ? A l’évidence, la critique des juges dissidents dans l’affaire Perincek (15 oct. 2015) dénonçant une construction jurisprudentielle par a-coups au gré des considérations factuelles propres à chaque espèce, sans logique générale permettant d’identifier des critères précis de maniement de l’article 17, est toujours d’actualité.
B- La protection conventionnelle pour les « Flashmobs » : c’est chose faite !
L’affaire Obote c/ Russie (19 nov. 2019, n° 58954/09) concerne la condamnation au paiement d’une amende de 22 euros du requérant, pour avoir participé à une flashmob, celle-ci étant un rassemblement éclair devant un lieu public. Le requérant et six autres personnes s’étaient rassemblés devant le siège du gouvernement russe, en se tenant debout en silence en brandissant chacun une feuille de papier blanc. Il était notamment reproché au requérant de ne pas avoir respecté l’exigence de notification préalable, requise par la loi relative aux événements publics. Faisant valoir l’autonomie de la notion de de réunion, la Cour est d’avis que la flashmob relève de la notion de « réunion pacifique » au sens de l’article 11 de la Convention (§ 35).
A la question de savoir si la loi sur les événements publics était applicable à une réunion sous la forme d’une flashmob, le juge européen répond par la négative. Sans remettre en cause la possibilité pour les autorités de subordonner l’organisation d’une manifestation à une autorisation préalable, la Cour estime que celles-ci doivent preuve de tolérance à l’égard des rassemblements pacifiques (§ 41). Rapporté aux faits de l’espèce, ce principe de tolérance conduit la Cour à souligner la disproportion manifeste entre l’argument sécuritaire du gouvernement russe et l’organisation d’une flashmob réunissant sept personnes se tenant debout en silence en brandissant une feuille de papier blanc (§ 42). C’est dire en d’autres termes que l’absence d’actes de violences est déterminante ici. Exiger une notification préalable pour risques liés à l’ordre public ne respecte pas, dans ces conditions, les exigences conventionnelles. Qui plus est, la nature de la réponse retenue par les autorités russes ne fait qu’accentuer cette disproportion puisque « le requérant était passible de sanctions qui, bien que qualifiées d’administratives en droit interne, étaient “pénales“ au sens autonome de l’article 6 § 1, entraînant ainsi l’application de cette disposition sous son volet “pénal » (§ 44). L’arrêt conclut à une violation de l’article 11. Le parti pris fait fi en ce sens des qualifications juridiques retenues par l’Etat défendeur, qu’il s’agisse de la qualification d’une flashmob ou de la qualification de la sanction. Bien que l’amende soit d’un montant modeste, ce qui a d’ailleurs conduit le gouvernement à considérer que le requérant n’avait subi aucun préjudice important, la Cour a tenu à se prononcer sur ce qu’elle estimait être une question de principe importante affectant un droit fondamental dans une société démocratique. Il faut s’en réjouir.
C- Quand le droit conventionnel européen vient au secours du droit de former une association !
Les limitations à l’exercice du droit d’association ne cessent de se multiplier dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe qui connaissent des dérives autoritaires. Aussi, dans ce contexte inquiétant où la persécution des militants des droits de l’homme se banalise, les arrêts Zhdanov et autres c/ Russie (16 juill. 2019, n° 12200/08, 35949/11 et 58282/12) et Jafarov et autres c/ Azerbaïdjan (25 juill. 2019, n° 27309/14) sont remarquables en ce qu’ils témoignent de l’attachement du juge européen à la protection du droit de former une association. La vigilance de la Cour est ici bienvenue. Elle s’exprime à travers une formule limpide mettant en évidence le lien indissoluble entre liberté d’association et démocratie : le maintien de la démocratie pluraliste suppose que soit garanti « le droit de former une association (…) est l’un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’association, sans lequel ce droit serait privé de tout sens. La manière dont la législation nationale protège cette liberté et son application pratique par les autorités révèlent l’état de la démocratie dans le pays concerné » (Jafarov et autres c/ Azerbaïdjan, § 54).
Tout d’abord, à l’occasion d’une requête mettant en cause le refus répété des autorités d’enregistrer une ONG constituée pour la défense des droits de l’homme en Azerbaïdjan (Jafarov et autres c/ Azerbaïdjan), le juge européen a pu préciser que si un Etat pouvait exiger le respect de certaines formalités pour l’enregistrement d’une association, le cadre juridique interne ne doit pas être appliqué de façon arbitraire (§ 63). En l’espèce, les autorités justifiaient leur refus par le fait que les fondateurs de l’ONG avaient omis de préciser, dans le document de fondation de leur association, quels étaient les pouvoirs du « représentant légal ». Or, la Cour relève que la loi relative à l’enregistrement officiel telle qu’interprétée et appliquée, ne semblait pas exiger la nomination d’un « représentant légal ». Elle obligeait les fondateurs à mentionner le «représentant légal» dans la décision de fondation et à préciser ses pouvoirs uniquement s’ils avaient choisi d’en désigner un (§ 71). De jurisprudence constante, l’exigence de prévisibilité de la loi fait l’objet d’une appréciation relative. Loin de tout dogmatisme, la Cour adopte une position équilibrée qui la conduit à faire sienne la théorie réaliste de l’interprétation : à ses yeux, « quelle que soit la clarté de la rédaction d’une disposition juridique, son application implique un élément inévitable d’interprétation judiciaire, car il sera toujours nécessaire de clarifier les points douteux et de l’adapter à des circonstances particulières » (§ 81). De même, qu’une loi qui se prête à des multiples interprétations ne heurte pas en soi l’exigence de prévisibilité. Ce qui pose problème ici, c’est qu’une loi, couvrant un domaine spécifique, soit si imprécise. A aucun moment, les juges n’ont répondu aux arguments des requérants par une motivation adaptée et détaillée. Par voie de conséquence, le défaut de base légale est manifeste.
Une seconde affaire concernait le refus des autorités russes d’enregistrer des organisations constituées aux fins de la promotion et de la protection des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (Zhdanov et autres c/ Russie). L’arrêt présente un double intérêt. En premier lieu, sur le terrain de la légitimité de l’ingérence, il est à noter un argumentaire assez désespérant du gouvernement russe, que la Cour écarte d’un revers de main. Il semble en effet que celui-ci n’ait pas vraiment compris l’enjeu de l’affaire. Obnubilé par le refus de reconnaître le mariage homosexuel, le gouvernement russe invoquait pêle-mêle la morale, la sécurité nationale, la sûreté publique et de la protection des droits et libertés d’autrui… La Cour n’est absolument pas convaincue par ces arguments. Est ainsi écarté le premier de ces motifs, l’arrêt rappelant que l’enjeu de l’affaire porte sur le refus d’enregistrer une association et non la reconnaissance du mariage homosexuel (§ 153). Par ailleurs, la Cour a également exprimé des réserves sur le lien entre la reconnaissance d’une association LGBT et la menace pour la sécurité nationale (§ 156). Quant à la protection des droits et libertés d’autrui, l’arrêt souligne que « la Convention ne garantit pas le droit de ne pas être confronté à des opinions opposées à ses propres convictions » et qu’il serait extrêmement dangereux de conditionner l’exercice des droits par un groupe minoritaire à son acceptation par la majorité (§ 158). Le seul but légitime jugé acceptable par la Cour est la prévention de la haine et de l’hostilité, qui auraient pu constituer un risque pour l’ordre public (§ 160). Cela ouvre la voie à l’exercice du contrôle de nécessité, placée sous les auspices du principe d’effectivité. C’est le second intérêt de l’arrêt que de préciser que pèse sur les autorités l’obligation positive de garantir le bon fonctionnement des associations, surtout lorsqu’elles promeuvent des idées impopulaires qui heurtent des personnes opposées aux idées qu’elles cherchent à promouvoir (§ 162). Il s’agit là d’une condition du pluralisme démocratique. Manifestement, c’est une approche diamétralement opposée de la vie démocratique que les autorités russes défendent. Car plutôt que de permettre au pluralisme de s’exprimer librement et de garantir la coexistence pacifique de groupes concurrents, ils ont cherché à éliminer purement et simplement la cause des tensions en refusant d’enregistrer une association défendant les droits d’une minorité. N’ayant envisagé aucune mesure qui aurait pu permettre à l’association de mener ses activités sans perturbation (§164), la Russie est condamnée pour violation de l’article 11 de l’association.
M. Afroukh, IDEDH, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier
Notes:
- voir notamment Gde ch., 8 juillet 2019, Mihalache c/ Roumanie, n°54012/10 à propos de l’étendue du principe ne bis in idem lorsqu’il est appliqué aux décisions d’abandon des poursuites ; ou du côté de Luxembourg, la reprise par la Cour de justice de la jurisprudence européenne sur l’indépendance des magistrats ↩
- Voir l’opinion dissidente du juge Bianku sous l’aff. Ilias et Ahmed c/ Hongrie ↩
- Par exemple, 4 avr. 2019, OZ contre Banque européenne d’investissement (BEI), aff. C‑558/17 P en matière de divulgation d’informations à caractère personnel ↩
- 24 mars 2020, aff. jointes C-542 et 543/18 RX-II, point 74 ↩
- « Les approximations de la décision 2004-505 DC du Conseil constitutionnel “sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union“ », RFDA, 2005, p. 34 ↩
- cette chron., RDLF 2019 chron. n°13, obs. M. Afroukh ↩
- La tribune du Pr. G. Calvès parue au journal le Monde le 4 février 2020 n’y fait pas référence : « Avec l’affaire Mila, un vent mauvais s’abat sur la liberté d’expression » ↩
- En ce sens le discours du Président Sicilianos en date du 30 septembre 2019 : https://www.echr.coe.int/Documents/Speech_20190930_Sicilianos_60_years_ECHR_FRA.pdf ↩
- Laurence Burgorgue-Larsen, La Convention européenne des droits de l’homme, LGDJ, coll. « Systèmes », 3ème éd., 2019, p. 11 ↩
- L. Trigeaud, « Le droit international et régional des droits de l’homme face à l’argument souverainiste : réagencer les mécanismes de protection ? » in E. Dubout et S. Touzé (dir.), Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, Pedone, Publications du CRDH, 2019, p. 281 ↩
- « L’acceptabilité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par les Etats parties: un «défi permanent», RTDH, 2020, p. 219 ; S. Lambrech, « Radioscopie des critiques », in E. Dubout et S. Touzé (dir.), op. cit., p. 58 ↩
- Y. Lécuyer, « Les critiques ataviques à l’encontre de la Cour EDH », RDLF, 2019, chron. n° 53 ↩
- Son opinion dissidente sous l’arrêt S.J. c/ Belgique du 19 mars 2015, concernant la protection des étrangers malades, est en ce sens très instructive, en ce qu’elle a directement influencé le changement de cap intervenu un an plus tard dans l’arrêt de grande chambre Paposhvili c/ Belgique du 13 décembre 2016 ↩
- v. son opinion en partie concordante sous l’arrêt de Grande chambre G.I.E.M. S.r.l. et autres c/ Italie du 28 juin 2018 ↩
- Arrêt n°648, 10-19.053 ↩
- J.-P. Marguénaud et M. Afroukh, « La dignité reléguée en deuxième division », Dalloz, 2020, p. 195 ↩
- 31 déc. 2019, n° 416040 ; 18 déc. 2019, n° 421336 ; 11 déc. 2019, n° 424993 ; 13 nov. 2019, n° 415396 ; 2 oct. 2019, n° 420542 ↩
- v. en ce sens les différentes allocutions prononcées lors de la Conférence des chefs des Cours suprêmes des Etats membres du Conseil de l’Europe de 2019 ↩
- Gde ch., 15 nov. 2016, n° 24130/11 et 29758/11 ↩
- « they pursued a complementary purpose in addressing the issue of a taxpayer’s failure to comply with the legal requirements relating to the filing of tax returns », § 53 ↩
- Décision no 2014‑453/454 QPC et 2015-462 QPC 18 mars 2015 ↩
- Décision n° 2019-783 QPC, 17 mai 2019, Nicolas S. ↩
- Comp. avec déc., 28 juin 2011, Ioan Pop c/ Roumanie, no 40301/04, § 25 et 15 mai 2018, Sancakli c/ Turquie, no 1385/07, § 30 ↩
- V. sur ce point l’opinion concordante très critique du juge Pinto de Albuquerque, § 35 et s., qui avait déjà dénoncé un raisonnement « absurde » dans l’affaire norvégienne ↩
- dès lors qu’il « fallait appliquer soit l’une soit l’autre sanction, selon que les autorités d’enquête qualifiaient ou non les faits d’infraction », « [l]es « deux » procédures [s’étant en fait] succédé dans le temps », § 83 ↩
- Mut. mut. 13 juin 2017, Šimkus v/ Lithuania, n° 41788/11, § 48 et 4 oct. 2016, Rivard c/ Suisse, n° 21563/12, § 26 ↩
- La Cour constate aussi la violation des articles 5 § 1, car seule l’impossibilité de dresser un procès-verbal d’infraction administrative sur le lieu de l’interpellation pouvait justifier, en droit interne, qu’un suspect soit « conduit dans un poste de police » et car aucune « circonstance exceptionnelle » n’avait justifié une privation de liberté de 29 h, et 6 § 1 faute de partie poursuivante lors d’une audience concernant des infractions administratives ↩
- CourEDH, 17 avr. 2018 Pirrozzi c/ Belgique, n° 21055/11, §§ 24-29, cette Chron., RDLF, 2018, n°22, III B, obs. C. Husson-Rochcongar, cautionnant au passage l’analyse de la CJUE, selon laquelle le législateur UE a établi un standard de protection des droits fondamentaux équivalent à celui de la Convention, du moins en ce qui concerne le droit à un procès équitable et la renonciation au droit de comparaître – voy. CJUE, Gde ch., 26 fév. 2013, Melloni, aff. C-399/11, pts 49-50 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 23 mai 2016, Avotiņš c/ Letonie, n° 17502/07, cette Chron, RDLF 2016, n° 29, I B, obs. C. Boiteux-Picheral ↩
- Cour EDH, Gde ch., 29 janv. 2019, Güzelyurtlu et autres c/ Chypre et Turquie, n° 36925/07, §§ 232-235, cette Chron., RDLF, 2019, n° 47, II B, obs. M. Afroukh ↩
- Voy. Güzelyurtlu et autres c/ Chypre et Turquie, préc., § 235 ; Roméo Castaño, § 82 ↩
- CJUE, 25 juil. 2018, ML, aff. C-220/18 PPU ↩
- 18 juillet 2019, n° 40311/10 ↩
- Cour EDH, 25 juin 1996, n° 19776/92. ↩
- Cour EDH, 6 nov. 1980, Guzzardi c/ Italie, n° 7367/76, § 92 ; 25 juin 1996, Amuur c/ France, préc., § 42 ↩
- Voy. en particulier les motivations d’espèce des décisions d’irrecevabilité Cour EDH, 6 mai 2004, Mogoş c/ Roumanie, n° 20420/02 et Cour EDH, 8 déc. 2005, Mahdid et Haddar c/ Autriche, no 74762/01, s’agissant du critère pris du comportement et des choix personnels du requérant et l’arrêt Cour EDH, 25 janv. 2018, J.R. et autres c/ Grèce, préc. §§ 85-87, pour celui tiré du régime juridique applicable ↩
- Cour EDH, 25 juin 1996, Amuur c/ France, préc., § 43 ↩
- Voy. à cet égard les arrêts relatifs aux « hot spots » installés sur les îles grecques de la mer Egée : Cour EDH, 25 janv. 2018, J.R. et autres c/ Grèce, n° 22696/16, cette Chron., RDLF, 2018, n° 22, IV, obs. C. Boiteux-Picheral ; 21 mars 2019, O.S.A. c/ Grèce, n° 39065/16, cette Chron., RDLF, 2019, n° 47, III, obs. C. Boiteux-Picheral ; Adde Cour EDH, 3 oct. 2019, Kaak et autres c. Grèce, n° 34215/16, confirmant en tous points la jurisprudence précédente et ne retenant à nouveau qu’une violation de l’article 5§4 ↩
- S’ajoutant d’une part à la durée du confinement – de cinq mois à pratiquement deux ans selon les requérants – sans qu’aucune réglementation n’en fixe la limite maximale, et d’autre part à la surveillance policière permanente qui s’exerçait sur la zone de transit, sans que les intéressés n’aient bénéficié des garanties prévues en droit interne pour le traitement des demandes d’asile, l’impossibilité d’un départ sans démarche préalable auprès des autorités participe ainsi au constat logique d’une privation de liberté contraire à l’article 5 dans l’affaire Z.A. ↩
- Cour EDH, 25 juin 1996, préc., § 48 ↩
- Sur ce point, voy. infra, B ↩
- Sur ce point, voy. supra A ↩
- Cour EDH, Gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c/ Belgique et Grèce, n° 30696/09, § 350 et s. ↩
- Notamment Cour EDH, 5 déc. 2013, Sharifi c/ Autriche, n° 60104/08, § 30 ; Cour EDH, 3 juill. 2014, Mohammadi c/ Autriche, n° 71932/12, § 60 ↩
- Actuellement Règlement 604/2013 du 26 juin 2013, dit « Dublin III », établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile, art. 3§3 ; Directive 2013/32 du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, art. 33§2 sous c) et art. 38 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 13 déc. 2016, Paposhvili c/ Belgique, n° 41738/10, § 183, cette Chron., RDLF 2017, n°13, obs. M. Afroukh ↩
- Cour EDH, 16 avr.2013, Aswat c. Royaume-Uni, n° 17299/12 ↩
- CJUE, 16 févr. 2017, C.K. c/ Slovénie, aff. C-578/16 ↩
- En cas de confirmation, une telle approche contribuerait à singulariser le raisonnement de la Cour par rapport, notamment, à la protection assurée en droit français aux étrangers malades, sur le fondement de l’article L. 511-4, 10e du CESEDA. Car si la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 a eu le mérite de rétablir l’exigence d’une accessibilité effective des traitements dans le pays d’origine, cette modification législative ne rend pas obsolète la jurisprudence administrative qui subordonne l’examen de cette condition à la vérification préalable que la maladie soit d’une gravité telle qu’une interruption des soins reçus en France aurait pour l’intéressé des conséquences d’une exceptionnelle gravité – Voy. CE, 30 déc. 2013, Djeuka Joseph, n° 359144, pt. 4 et CE, 7 déc. 2018, n° 419226, pt. 12 et 15 ↩
- Cour EDH, 29 avril 1997, H.L.R. c/ France, n° 24573/94, § 41 ↩
- Cour EDH, 17 juil. 2011, Sufi et Elmi c/ Royaume-Uni, n° 8319/07, §§ 293-296 ↩
- Cour EDH, 17 juil. 2008, N.A. c/ Royaume-Uni, n° 25904/07, § 115 ↩
- Cour EDH, 15 oct. 2015, L.M. et autres c/ Russie, n° 40081/14 et 2 autres ↩
- Cour EDH, 14 février 2017, S.K. c/ Russie, n° 52722/15 ↩
- On rappellera, par comparaison, que la Cour s’était en revanche satisfaite d’une amélioration précaire, au sujet de la Somalie, dans l’arrêt du 5 septembre 2013, K.A.B. c/ Suède, n° 886/11, §§ 88-91 ↩
- Bayatyan, § 110 ↩
- De jurisprudence constante, « sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion exclut toute appréciation étatique sur la légitimité des croyances religieuses » (Gde. Ch., 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie, § 78, Rec. 2000-XI). ↩
- « Si la conviction des citoyens est contraire à l’accomplissement du service militaire actif, il est permis, dans les cas prévus par la loi, de substituer au service militaire actif un service de remplacement » ↩
- cette chron., RDLF 2019 chron. n°13, obs. M. Afroukh ↩
- op. diss. des juges Costa, Cabral Barreto et Jungwiert s/ l’arrêt I.A. c/ Turquie du 13 septembre 2005 ↩
- CourEDH, 31 janv. 2006, Giniewski c/ France, Rec. 2006-I : s’agissant de la publication d’un article de presse reprochant à une encyclique papale de comporter des ferments d’antisémitisme ↩
- Cour EDH, 30 janv. 2018, Sekmadienis Ltd. c/ Lituanie, n° 69317/14 ↩
- Pussy-Riots tentant d’interpréter l’une de leurs chansons protestataires dans une cathédrale moscovite : 17 juill. 2018, Mariya Alekhina et autres c/ Russie, n° 38004/12 ↩
- Par exemple, le prophète Mahomet est qualifié de « créature effrayante » en comparaison de Jésus-Christ… ↩
- § 44, déjà présente dans l’arrêt E.S. ↩
- D. Ribes, L’État protecteur des droits fondamentaux, thèse dactylographiée, Aix-Marseille, 2007, p. 94 ↩
- V. le rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable du Conseil de l’Europe Assurer un équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le besoin de garder les familles ensemble, Doc. 14568, 6 juin 2018 ↩
- Sur fait que le placement en famille d’accueil vise avant tout le rétablissement de liens familiaux provisoirement distendus, v. également les affaires A.S. et Abdi Ibrahim, 17 déc. 2019, resp. n° 60371/15 et n° 15379/16 ↩
- Il avait subi de graves négligences au cours de ses premières semaines ↩
- Argument mobilisé relativement au fœtus dans le contentieux concernant l’avortement thérapeutique. V. 20 mars 2007, Tysiaç c/ Pologne, n° 5410/03 ↩
- V. 13 sept. 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni, no 36536/02, § 36 ↩
- Mut. mut., B. et L., § 38, concernant un beau-père et sa belle-fille ↩
- Gde ch., 5 sept. 2017, n° 61496/08. V. notre chronique n° 11, RDLF 2018 ↩
- Déc., 5 oct. 2010, no 420/07 : vidéosurveillance d’une salariée à son insu, pendant environ cinquante heures sur une période de deux semaines, et utilisation de l’enregistrement pour justifier son licenciement ↩
- et n’exclut donc pas les « activités professionnelles » ni celles qui ont lieu « dans un contexte public » dès lors qu’il existe une « zone d’interaction entre l’individu et autrui » ↩
- Information relative à la possibilité que l’employeur prenne des mesures de surveillance et à la mise en place de ces mesures, ampleur de la surveillance opérée et degré d’intrusion dans la vie privée, motifs légitimes justifiant la surveillance, possibilité de recourir à des moyens moins intrusifs, conséquences de la surveillance pour les employés et existence de garanties adéquates ↩
- Au risque de troquer la présomption d’innocence contre l’acceptation d’une surveillance généralisée ↩
- V. a contrario : 18 oct. 2016, Vukota-Bojić c/ Suisse no 61838/10 ↩
- § 132, nous soulignons ↩
- V. l’opinion dissidente commune des juges De Gaetano, Yudkivska et Grozev l’invitant à s’inspirer de la jurisprudence canadienne ↩
- V. C. Husson-Rochcongar, « Les droits de l’homme sont-ils solubles dans internet ? », Journal européen des droits de l’homme, 2014-1, p. 29-53, sp. 38 ↩
- Gde ch., 8 juil. 2004, n° 48787/99 ↩
- § 44-48, reprenant la conclusion de l’arrêt Mozer, Gde ch, 23 fév. 2016, n° 11138/10 ↩
- Gde ch., 19 oct. 2012, n° 43370/04 et 2 a. ↩
- Toute violation constatée ne peut d’ailleurs être imputable qu’à celle-ci dès lors qu’elle « exerçait un contrôle effectif sur la ‘RMT’ » sans qu’il y ait « lieu de déterminer si [elle] exerçait un contrôle précis sur les politiques et les actes de l’administration locale subordonnée », § 67, reprenant Mozer, § 157 ↩
- Des membres du personnel ayant été arrêtés et fouillés alors qu’ils tentaient d’introduire de l’argent en « RMT » pour payer les salaires des employés d’une école dont les comptes avaient été saisis, de l’argent et leurs téléphones portables ayant été saisis, la Cour constate également la violation du droit à la liberté et à la sûreté protégé par l’article 5 § 1 « [e]n l’absence d’information pertinente nouvelle » prouvant que les constatations formulées dans l’arrêt Mozer – selon lesquelles « il n’existait pas dans la région transnistrienne un système reflétant une tradition judiciaire conforme à la Convention », aucune autorité n’étant donc susceptible d’ordonner une arrestation ou une détention « régulière » – n’auraient plus été valables, §§ 85-86 ↩
- P. Wachsmann, « La jurisprudence récente de la Commission européenne des droits de l’Homme en matière de négationnisme», in J.-F. Flauss et M. De Salvia (éd.), La Convention européenne : développements récents et nouveaux défis, Bruylant, coll. « Droit et justice », n° 19, 1997, p. 107 ↩
- Déc. 13 sept. 2005, Witzsch c/ Allemagne, n° 7485/03 ↩
- Gde. Ch., 23 sept. 1998, Lehideux et Isorni c/ France, § 53 ↩
- Déc. 20 févr. 2007, Ivanov c/Russie ↩
- Déc. 16 nov. 2004, Norwood c/ Royaume-Uni ↩
- 20 oct. 2015, n°25239/13, RTDH, 2016/107, pp. 759-774, obs. M. Afroukh ↩
- 27 juin 2017, n° 34367/14, cette chron., RDLF 2018 chron. n°11, obs. M. Afroukh : application inédite de la clause d’interdiction d’abus de droit à un discours de haine en ligne ↩
- M. Villinger, « Art. 17, ECHR and freedom of speech », in Strasbourg Practice, Freedom of expression essays in hounour of Nicolas BRATZA Oisterwijk, Wolf Legal Publishers, 2012, p. 321 ↩