Le droit de vote des prisonniers : la perspective britannique
Dans l’arrêt Chester et McGeoch, la Cour Suprême revient sur le droit de vote des prisonniers. Tout en rejetant les appels, notamment en écartant les arguments fondés sur le droit de l’Union européenne, la Cour Suprême rappelle les limites à la possibilité de s’écarter de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cet arrêt apparaît comme un compromis dans lequel transparaît, toutefois, la sympathie des juges à l’égard d’une interdiction de voter pour les prisonniers condamnés pour les crimes les plus graves, ce qui explique pour partie le refus de réitérer la déclaration d’incompatibilité de la loi.
Peggy Ducoulombier est Professeur de droit public à l’Université de Perpignan-Via Domitia – Directrice adjointe du CDED (EA 4216)
La question du droit de vote des prisonniers ne relève pas d’un « aspect […] fondamental » du droit britannique (v. R (Chester) v Secretary of State for Justice ; McGeoch v Lord President of the Council and another [2013] UKSC 63, Lord Mance, §35). Cette question « mineure » a pourtant, depuis la condamnation du Royaume-Uni par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Hirst (n°2) du 6 octobre 2005, des conséquences majeures sur ses rapports avec les autorités britanniques. Elle apparaît comme la pointe émergée d’un iceberg qui révèle l’opposition virulente d’une partie de la classe politique et celle, plus nuancée, de certains des plus importants juges du pays. Or, la Cour européenne, comme le Titanic, n’est pas insubmersible, et l’on peut s’inquiéter des répercussions sur le système conventionnel que pourraient avoir une abrogation du Human Rights Act 1998 (HRA) voire une dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), options antérieurement considérées comme fantaisistes et aujourd’hui présentées comme de plus en plus sérieuses.
C’est dans ce contexte qu’était attendue la décision de la Cour suprême sur les appels de prisonniers empêchés de voter à différentes élections, en raison de l’interdiction résultant du Representation of the People Act 1983, dont les principes sont repris par le Scotland Act 1998 et le European Parliamentary Elections Act 2002 (EPEA). Chester invoquait l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention et le droit de l’Union européenne (UE) pour se plaindre de l’impossibilité de voter aux élections parlementaires européenne et britannique ; McGeoch fondait sa requête sur le seul droit de l’UE, principalement les articles 20 à 22 TFUE, pour contester l’impossibilité de voter aux élections locales et à celles des Parlements écossais et européen.
La loi n’ayant pas encore été modifiée malgré la réitération de la condamnation du Royaume-Uni par l’arrêt pilote Greens et M.T. du 23 novembre 2010, il eut été surprenant que la Cour suprême adoptât une appréciation de la conventionnalité de la loi différente de celle de la Registration Appeal Court (composée de juges de la Cour de Session, la plus haute juridiction civile écossaise), laquelle, dans l’arrêt Smith v Scott [2006] CSIH 9, avait prononcé une déclaration d’incompatibilité au titre de la section 4 du HRA. Toutefois, si la Cour suprême rejette les demandes de l’Attorney General l’invitant à ne pas suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’accepte pas pour autant les appels. La Haute juridiction britannique, à travers l’opinion principale de Lord Mance (à laquelle se rallient Lord Hope, Lord Hughes et Lord Kerr) et les opinions concordantes de Lady Hale (à laquelle se rallient Lord Hope et Lord Kerr), Lord Clarke et Lord Sumption (à laquelle se rallie Lord Hughes), refuse de réitérer la déclaration d’incompatibilité et considère que le droit de l’UE ne peut venir au secours des requérants. Ainsi cette décision a-t-elle été saluée à la fois par le gouvernement et par les défenseurs de l’arrêt Hirst, chaque bord se pressant de proclamer publiquement la victoire afin de masquer les points sur lesquels il avait dû concéder la défaite. Que les tenants de positions opposées se réjouissent de cet arrêt démontre, à tout le moins, l’habilité de la Cour suprême à esquiver un débat difficile tout en respectant le principe de prééminence du droit. L’arrêt présente également plus d’intérêt pour ce qu’il refuse que pour ce qu’il accepte. Si la Cour suprême contribue de manière limitée au problème du droit de vote des prisonniers (I), sa décision représente toutefois une contribution plus intéressante à la question du dialogue des juges (II).
I- Une contribution limitée au problème du droit de vote des prisonniers
Les évolutions de la jurisprudence européenne sur le droit de vote des prisonniers n’ayant pas changé la position de la Cour européenne à l’égard du Royaume-Uni, il n’est pas surprenant que le raisonnement de la Cour suprême confirme le constat d’inconventionnalité posé par l’arrêt Smith v Scott, le droit interne n’ayant pas été modifié et une interprétation de la loi conforme à la CEDH étant impossible. En effet, si dans l’affaire Scoppola c. Italie (n°3) du 22 mai 2012, la Cour européenne des droits de l’homme est venue préciser qu’il était possible d’exclure certains prisonniers du droit de vote par une loi, plutôt que d’imposer une décision juridictionnelle, elle a ajouté que cela ne modifiait en rien l’obligation d’exécuter l’arrêt Hirst (n°2). Par ailleurs, dans les arrêts Anchugov et Gladkov c. Russie du 4 juillet 2013 et Söyler c. Turquie du 17 septembre 2013, cités par la Cour suprême, la Cour européenne a confirmé l’inconventionnalité des interdictions générales en la matière. Toutefois, cette analyse ne fut pas sans provoquer d’intéressants débats sur les relations entre la Cour suprême et la juridiction strasbourgeoise dans la mesure où l’Attorney General n’était pas prêt à s’avouer vaincu sans avoir d’abord utilisé toutes les armes à sa disposition (v. infra II).
Si l’inconventionnalité de la loi est confirmée, la Cour suprême a toutefois refusé de prononcer une nouvelle déclaration d’incompatibilité. En effet, cette décision est à la discrétion des juges. Or, la Cour suprême estime que la réitération d’une telle déclaration est inutile. Il est vrai que le constat d’incompatibilité a déjà été réalisé par la Registration Appeal Court, et qu’une nouvelle déclaration d’incompatibilité ne servirait pas à déclencher une réaction du gouvernement dans la mesure où un avant-projet de loi est enfin au stade de l’examen pré-législatif. On aurait pu penser que la Cour suprême utilise sa discrétion pour stigmatiser le retard pris dans l’exécution de l’arrêt. Toutefois, la Cour d’appel dans l’affaire Chester avait expressément jugé qu’il ne lui revenait pas d’utiliser la déclaration d’incompatibilité pour sanctionner la lenteur du gouvernement, ce qui se justifie par le fait que le HRA ne lui impose pas d’agir suite à une déclaration d’incompatibilité. Pourtant, dans l’affaire Bellinger et Bellinger ([2003] UKHL 1, §55), concernant le mariage des transsexuels, Lord Nicholls avait souligné que, malgré la réaction rapide et positive du gouvernement, il était souhaitable que la juridiction suprême du pays enregistre officiellement le fait que la loi était incompatible avec la Convention. La même position aurait pu être adoptée mais la Cour suprême a préféré suivre la Cour d’appel. On constate ici des raisonnements différents entre la Haute juridiction britannique et la Cour européenne des droits de l’homme, cette dernière utilisant la mauvaise volonté de l’Etat pour le sanctionner et décider de reprendre l’examen de requêtes gelées suite à une procédure d’arrêt pilote (v., sur le sujet qui nous intéresse, la décision de septembre 2013 dans les affaires Firth et autres), alors que la technique de l’arrêt pilote peut, comme le refus de déclaration d’incompatibilité, être motivée par l’inutilité de réitérer des constats de violation de la CEDH.
Face à la sensibilité du sujet, la Cour suprême n’a certainement pas voulu ajouter à l’ambiance délétère par une déclaration d’incompatibilité qui n’apporterait substantiellement rien à celle qui existait déjà et qui ne modifierait pas la situation des requérants, puisqu’elle n’affecte pas la validité de la loi ni son application concrète. De plus, des considérations relatives à la situation particulière de Chester sont venues renforcer cette décision et démontrent l’influence de l’analyse concrète dans le choix, discrétionnaire, de prononcer une déclaration d’incompatibilité. Contrairement au requérant dans l’arrêt Smith qui purgeait une peine de 5 ans de prison pour son implication dans un trafic de drogues réglementées, Chester purgeait une peine de prison à vie pour meurtre. A la lumière des débats au Parlement et notamment de l’avant-projet de loi, le Draft Voting Eligibility (Prisoners) Bill, qui vient récemment de faire l’objet d’un examen par une commission mixte du Parlement, il apparaissait que Chester n’entrerait pas dans la catégorie des prisonniers qui pourraient se voir accorder le droit de vote.
En effet, le texte contient 3 options : la première donne le droit de vote aux prisonniers condamnés à une peine de 4 ans ou moins, la deuxième l’ouvre à ceux condamnés à une peine de 6 mois ou moins, la troisième, inconventionnelle mais qui reflète la position de la Chambre de Communes exprimée notamment par une résolution du 10 février 2011, consiste à maintenir le statu quo. A la lumière de cet avant-projet de loi, la Cour suprême a estimé que l’interdiction qui pesait sur le requérant était de celle que le Royaume-Uni pourrait légitimement imposer en conformité avec la CEDH (Lord Mance, §40) et qu’elle devrait être réticente à prononcer in abstracto une déclaration d’incompatibilité dans des cas où les droits des requérants ne seraient pas violés in concreto (Lady Hale, §99-102).
Les requêtes reposaient également sur le droit de l’UE. Cette stratégie n’était pas sans intérêt dans la mesure où les pouvoirs des juges en cas de conflit entre le droit national et le droit de l’UE sont en principe plus importants que ceux que le HRA leur accorde. Le European Communities Act 1972 a pu être interprété comme imposant aux juges de donner la priorité au droit de l’UE, au besoin en suspendant l’application d’une loi contraire, dès lors qu’une interprétation conforme serait impossible.
Encore eut-il fallu que sur le fond le droit de l’UE puisse effectivement soutenir la demande des requérants. Or, tant les juges des juridictions inférieures que ceux de la Cour suprême ont estimé que le droit de l’UE ne s’appliquait pas à la question du droit de vote des prisonniers aux élections européennes et écossaises. Tout d’abord, la Cour suprême a jugé que l’élection du Parlement écossais n’entrait pas dans la catégorie des élections municipales. Ensuite, en examinant la jurisprudence de la Cour de Justice (particulièrement l’arrêt Eman et Sevinger du 12 septembre 2006) et les articles pertinents des traités avant et après Lisbonne (en raison des dates différentes auxquelles les requêtes ont été introduites), la Cour suprême a estimé qu’il n’existait pas dans le droit de l’UE un droit individuel équivalent à l’article 3 du Protocole n° 1 et que les dispositions des traités visaient à garantir le respect des principes fondamentaux de non-discrimination fondée sur la nationalité et de liberté de circulation. Quant à la possibilité d’utiliser le PGD d’égalité de traitement pour contrôler l’exclusion des prisonniers des élections européennes, dans la mesure où si la détermination des titulaires du droit de vote et d’éligibilité à ces élections ressortit à la compétence de chaque État membre c’est dans le respect du droit de l’UE, la Cour suprême a estimé que ce principe, quand bien même il s’appliquerait ce qu’elle conteste, ne serait pas violé. Selon Lord Mance (§68), les prisonniers condamnés ne sont pas dans une situation comparable aux autres citoyens et aux détenus en attente de procès, ce qui à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’est toutefois pas une conclusion certaine. Ces questions auraient mérité un renvoi préjudiciel que le contexte politique rendait difficile.
Lord Mance (§69-83) précise que si ses conclusions étaient fausses, seule une déclaration générale d’incompatibilité de la loi pourrait être prononcée, et la Cour suprême y serait réticente pour les mêmes raisons que celles qui ont amené au refus de réitérer la déclaration d’incompatibilité au titre du HRA. Il ne serait pas possible de suspendre l’application de la loi car cela aurait pour effet d’autoriser tous les détenus à voter en attendant la promulgation d’une nouvelle loi conforme au droit de l’UE, alors même qu’une interdiction concernant certaines catégories serait justifiée. Une lecture conforme ne serait pas non plus possible car elle impliquerait que la Cour suprême légifère à la place du Parlement. Seule une déclaration générale d’incompatibilité pourrait être rendue ce qui pourrait soulever des questions relatives à la responsabilité de l’État pour violation du droit de l’UE mais, selon Lord Mance, les requérants n’auraient pour autant pas droit à réparation.
Malgré une contribution limitée sur la question du droit de vote de prisonniers et notamment le rejet des arguments fondés sur le droit de l’UE, qui a réjoui le gouvernement, l’arrêt de la Cour suprême a apporté une contribution importante au dialogue des juges nationaux avec la Cour européenne des droits de l’homme.
II- Une contribution intéressante à la question du dialogue des juges
De manière significative, la Cour suprême a refusé l’invitation de l’Attorney General à ne pas suivre la jurisprudence européenne sur le droit de vote des prisonniers. En effet, les juges britanniques ne sont pas tenus de suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, contrairement à celle de la Cour de Justice. La section 2 du HRA prévoit uniquement le devoir de « prendre en compte » la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La Chambre des lords a estimé qu’il n’y avait toutefois aucune raison de ne pas suivre une jurisprudence claire et bien établie (R (Alconbury) v Secretary of State for the Environment [2001] UKHL 23, R (Ullah) v Special Adjudicator [2004] UKHL 26). La section 2 a cependant également été interprétée de manière à permettre aux juges de ne pas suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dès lors qu’ils estimeraient qu’elle a méconnu un aspect important du système britannique ouvrant, pour les optimistes, un dialogue avec la Cour européenne, et pour les plus pessimistes, une période de résistance (v. R v Horncastle [2009] UKSC 14).
La décision de la Cour suprême de ne pas suivre la jurisprudence de la Cour européenne afin de tenter de la convaincre de son erreur a d’ailleurs connu un certain succès puisque, suite à l’arrêt Horncastle, la Grande Chambre est revenue, dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery du 15 décembre 2011, concernant la recevabilité des preuves par ouï-dire et la règle européenne de la « preuve unique ou déterminante », sur le constat de violation de l’article 6, pour le cas de M. Al-Khawaja. Si les juges strasbourgeois n’ont pas accepté l’ensemble des critiques émises à l’encontre de leur jurisprudence, ils ont clarifié que le critère de la preuve unique ou déterminante ne devait pas être appliqué de manière rigide mais en tenant compte des garanties procédurales encadrant l’admissibilité des preuves par ouï-dire.
Toutefois, il n’est pas toujours possible de recourir à cette possibilité. Comme le rappelait Lord Neuberger, aujourd’hui président de la Cour suprême, dans l’arrêt Manchester City Council v Pinnock [2010] UKSC 45, cette option n’est pas ouverte dès lors qu’il existe une jurisprudence européenne bien établie dont le raisonnement n’a pas méconnu un principe du droit britannique et dont les effets ne sont pas incompatibles avec un aspect procédural ou substantiel fondamental du droit britannique. Or, comme le souligne Lord Mance (§27), si le dialogue peut être ouvert plus facilement en présence d’arrêts de chambre, cela est plus difficile pour des questions qui ont été tranchées par la Grande Chambre (v. déjà en ce sens Lord Bingham dans R (Anderson) v Secretary of State for the Home Department [2002] UKHL 46, §18). Seules des erreurs graves de compréhension ou la mise en cause de principes véritablement fondamentaux du droit britannique pourraient justifier de refuser de suivre un tel arrêt.
Selon l’Attorney General, la jurisprudence sur le droit de vote des prisonniers ne serait pas suffisamment bien établie au regard de son évolution dans Scoppola (n°3). Toutefois, la Cour suprême, malgré les réserves exprimées par Lord Sumption vis-à-vis de la jurisprudence européenne (§135), estime, à raison, que sur le point précis de l’interdiction générale de vote pour les prisonniers les arrêts sont clairs. L’Attorney General ajoute que le non-respect par la Cour européenne de la large marge nationale d’appréciation normalement attribuée en la matière ainsi que la position du Parlement sur ce sujet devraient jouer en faveur du respect du choix du gouvernement. La position de l’Attorney General peut, en effet, se prévaloir de l’arrêt de Grande Chambre Animal Defenders International du 22 avril 2013, dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a accordé un grand poids à la décision du Parlement pour valider une interdiction générale de publicité politique payante à la télévision. L’analogie est intelligemment écartée par Lady Hale qui souligne que l’argument démocratique au soutien d’une plus grande déférence à l’égard du Parlement ne peut jouer pour les prisonniers qui, ne votant pas, ne sont pas représentés par cet organe (§89-90). La Cour suprême conclut qu’il faut suivre la jurisprudence de la Cour européenne dans la mesure où il n’apparaît pas que cette dernière puisse réviser sa position au point d’accepter l’interdiction actuelle, comme les arrêts russe et turc le confirment. En conséquence, aucune perspective de dialogue ne semble pouvoir exister sur ce sujet. Par ailleurs, le problème sous examen, selon Lord Mance, ne concerne pas « un aspect substantiel ou procédural fondamental » du droit britannique qui pourrait justifier la résistance de la Cour suprême, l’interdiction du droit de vote des prisonniers n’étant pas essentielle pour la stabilité de la démocratie britannique.
La position de la Cour suprême apparaît rassurante en ce qu’elle limite les cas dans lesquels les juges internes envisageraient de s’écarter de la jurisprudence établie de la Cour européenne des droits de l’homme. Toutefois, le respect de la jurisprudence européenne est conditionné par la bonne compréhension et la préservation des aspects fondamentaux du système britannique, ce qui va au-delà du champ des principes constitutionnels qui constitue généralement la limite posée à la revendication de suprématie du droit international et du droit de l’UE. L’arrêt de la Cour d’appel R v Newell ; R v McLoughlin [2014] EWCA Crim 188, relatif à la prise en compte de l’arrêt de Grande Chambre Vinter et autres c. Royaume-Uni du 9 juillet 2013, démontre que la résistance risque de ne pas être aussi circonscrite que ce que les explications de l’arrêt Chester et McGeoch pouvaient laisser espérer, alors même qu’il s’agit ici de rejeter les conclusions non d’un arrêt de chambre mais d’un arrêt de Grande Chambre, s’inscrivant dans la lignée d’autres arrêts de la même formation sur le thème de la détention perpétuelle.
Dans l’affaire R v Newell ; R v McLoughlin, sur la question précise relative à la compatibilité de la section 30 du Crime (Sentences) Act 1997 qui prévoit la possibilité dans des circonstances exceptionnelles de libérer un prisonnier condamné à vie pour des raisons humanitaires, lesquelles sont précisées par l’Indeterminate Sentence Manual (ISM), la Cour d’appel a refusé de suivre la Cour européenne qui estimait que le Royaume-Uni violait la CEDH dans la mesure où il était nécessaire qu’existe, lors du prononcé de la peine, un système qui offre une perspective de libération. Or, pour la Cour européenne il n’était pas suffisamment certain que le ministre compétent pour prendre cette décision accepte de s’écarter des conditions extrêmement restrictives contenues dans l’ISM. La Cour d’appel a estimé au contraire que, le pouvoir du ministre n’étant pas limité par ce document, le droit anglais était suffisamment certain et offrait un espoir de libération aux détenus. Ainsi l’arrêt Vinter ne peut empêcher les juges nationaux de prononcer des peines perpétuelles, puisque le système prévu par le droit anglais n’est pas contraire à la CEDH. Selon la Cour d’appel, les appréhensions de la Cour européenne des droits de l’homme sont donc sans conséquence sur cet état du droit. Elles étaient pourtant fondées sur le principe selon lequel la Convention protège des droits « concrets et effectifs » et non « théoriques et illusoires », à la lumière du fait que l’ISM n’avait pas été modifié de manière à refléter la jurisprudence anglaise antérieure intégrant la possibilité d’une libération anticipée au cas où la détention deviendrait un traitement inhumain et dégradant.
Il n’est ainsi pas certain que la section 2 du HRA soit un véritable instrument de dialogue. Que se serait-il passé si la Grande Chambre dans l’affaire Al-Khawaja n’était pas revenue sur le constat de violation ? Les juridictions internes auraient-elles cédé ou auraient-elles maintenu leur position ignorant l’échec du « dialogue ». Quant à l’arrêt R v Newell ; R v McLoughlin, il n’est pas tant question de dialoguer que d’affirmer que la Grande Chambre a eu tort. L’idée même de dialogue des juges est contestable en ce qu’elle tente de masquer la lutte pour affirmer sa supériorité dans le champ juridictionnel européen. Certes, il est douteux que dans la Constitution multiple du Royaume-Uni cette question fondamentale puisse être résolue de manière univoque. A défaut de hiérarchie fermement établie, il ne reste que la façade d’un dialogue juridique qui masque une confrontation par essence politique.
Pour citer cet article : P. Ducoulombier, « Le droit de vote des prisonniers: la perspective britannique », RDLF 2014, chron. n°12 (www.revuedlf.com)
La RDLF a également publié un article présentant le thème du droit de vote des prisonniers suivant la perspective de la Cour européenne des droits de l’homme : G. Gonzalez, « Le droit de vote des prisonniers : la perspective de la Cour EDH », RDLF 2014, Chron. n°16 (www.revuedlf.com).