Le rapatriement des ressortissants français détenus par les Kurdes dans le Nord-Est syrien
Par Aurélien Godefroy, Doctorant en droit international à l’Université Paris Panthéon-Assas, CRDH, EA 3385 1
Dans un discours d’hommage à deux soldats français tués au Mali prononcé le 14 mai 2019 aux Invalides, le Président de la République française affirmait, un poil grandiloquent, que « la France est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants quelles que soient les circonstances et fût-ce à l’autre bout de la planète » 2. Nombreux furent ceux qui reçurent ces mots comme une provocation de la part d’un Président de la République qui déclarait, quelques mois plus tôt, que la France ne procéderait pas au rapatriement généralisé de ses ressortissants – dont nombre d’enfants – détenus dans des conditions inhumaines dans les camps du Kurdistan syrien à la suite de la chute du dernier bastion de l’État islamique (ci-après « EI ») en Syrie.
Dans son arrêt du 14 septembre 2022, la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « la Cour »), saisie par les proches de femmes et d’enfants français détenus par les Forces démocratiques syriennes (ci-après « FDS ») dans le Nord-Est syrien, inflige un double camouflet au Président français. Sur le plan factuel tout d’abord, cet arrêt révèle qu’il est manifestement des circonstances, telles celles du cas d’espèce, dans lesquelles la France « abandonne ses enfants » à « l’autre bout de la planète ». Mais surtout, la Cour de Strasbourg va donner raison aux familles des ressortissants français détenus au Kurdistan syrien sur le plan juridique, en concluant que la décision des autorités françaises de ne pas rapatrier les proches des requérants constitue une violation par la France de ses obligations conventionnelles.
Les faits et la procédure de cet arrêt sont complexes et nous nous contenterons de les résumer de manière succincte. En 2014 et 2015, les filles des requérants quittent la France avec leurs compagnons pour rejoindre les rangs de l’EI en Syrie et participer au « califat » nouvellement créé. Sur place, elles donnent naissance à trois enfants de nationalités françaises, elles-mêmes étant de nationalité française 3. Dans le contexte de la bataille de Baghouz, dernier bastion de l’EI en Syrie, en février et mars 2019, les filles des requérants et leurs enfants en bas-âge – ils sont âgés au moment de leur arrestation de 4 ans, 2 ans et demi et 2 mois – sont arrêtés par les FDS et détenus dans le camp Al-Hol (puis, pour une femme et son enfant, dans le camp Roj), situé dans un territoire contrôle de facto par les Kurdes.
Les conditions de détention dans le camp Al-Hol sont particulièrement atroces, à tel point que le directeur régional des opérations du Comité international de la Croix-Rouge n’hésite pas à qualifier la situation « d’apocalyptique » 4. Avec l’afflux progressif des personnes fuyant la zone contrôlée par l’EI dès la fin de l’année 2018, et de façon encore plus marquée à partir de la chute de Baghouz en mars 2019, le camp est progressivement passé de 10 000 personnes à 74 000 personnes, dont 90% de femmes et d’enfants – alors que le camp était initialement prévu pour accueillir 5 000 personnes 5… Celles-ci vivent dans des « conditions extrêmement précaires », et les organisations humanitaires dénoncent avec force les dangers auxquels font face les personnes détenues : accès extrêmement difficile à l’eau, manque de nourriture, structures sanitaires et médicales insuffisantes, insécurité, etc 6. En conséquence de cette situation désastreuse, le taux de mortalité dans le camp Al-Hol est extrêmement élevé, en particulier chez les enfants. En ce sens, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) observe qu’au 15 avril 2019, pas moins de 262 décès avaient été enregistrées dans le camp Al-Hol, la plupart chez des enfants en bas-âge 7.
Face au remous médiatique et à l’indignation provoqués par cette situation, les autorités françaises vont rapidement être amenées à prendre position sur la question du sort des femmes et des enfants détenus dans le Nord-Est syrien. Dès le 26 février 2019, le Président de la République fermait la porte à l’idée d’un rapatriement généralisé des mères et des enfants français, en affirmant qu’« il n’y a pas de programme de retour des djihadistes qui est aujourd’hui conçu » 8. Il précisait, le 13 mars 2019, que pour les « enfants, c’est une approche au cas par cas qui est menée » sur la base de considérations « humanitaires » 9. Contrairement à d’autres États, la France refuse donc de rapatrier l’ensemble de ses ressortissants, en arguant notamment que ceux-ci doivent être jugés sur la place pour les crimes qu’ils auraient éventuellement commis. Quelques mois plus tard, un article du journal Libération révéla que le rapatriement des ressortissants français avait en réalité été planifié et programmé de manière très précise par les services français dès la fin de l’année 2018. Selon les journalistes, les autorités françaises – en fait, le Président de la République lui-même – seraient finalement revenues sur cette décision pour des raisons bassement politiques et électoralistes, dans un contexte de contestation sociale intense marquée par la révolte des « Gilets jaunes ». En tout état de cause, la position officielle de la France est alors la suivante : pas de rapatriement généralisé des ressortissants français, mais un rapatriement au cas par cas des enfants pour des motifs « humanitaires » 10.
Sur la base de cette doctrine, les autorités françaises ont procédé à plusieurs rapatriements antérieurement à l’arrêt de la Grande chambre de la Cour : rapatriement de 5 orphelins le 15 mars 2019 11; rapatriement de douze orphelins le 10 juin 2019 12 ; rapatriement d’une fillette de 7 ans atteinte d’une malformation cardiaque sans sa mère le 23 avril 2020 13(soit en période de suspension du trafic aérien lié à la crise sanitaire du Covid-19) ; rapatriement de dix enfants le 22 juin 2020 ; et enfin, rapatriement de 16 femmes et 35 enfants mineurs le 5 juillet 2022, soit quelques semaines avant le prononcé de l’arrêt de la Grande chambre de la Cour. On estime alors qu’environ 150 enfants et une cinquantaine de mères français sont encore détenus dans les camps du Nord-Est syrien.
De leur côté, les FDS appellent de manière répétée les États concernés à rapatrier leurs ressortissants. Dès l’automne 2017, les autorités kurdes du Nord-Est syrien affirment qu’ils n’ont aucune intention de juger les combattants étrangers détenus ou présents sur leur territoire, et appellent les États concernés à rapatrier leurs ressortissants 14. Cet appel est réitéré le 8 octobre 2018, puis de nouveau le 24 février 2019 : les autorités Kurdes exhortent les États concernés à « agi[r] » et « assume[r] leurs responsabilités à l’égard de leurs citoyens » 15. Les autorités du Nord-Est syrien n’opposèrent donc aucune résistance au rapatriement des ressortissants étrangers : des États tels que la Russie, l’Indonésie, le Kosovo ou la Belgique ont ainsi pu procéder au rapatriement de tout ou partie de leurs nationaux. Dans un communiqué du 18 mars 2021, le dernier en date, l’autorité politique du Nord-Est syrien appelait de nouveau les États concernés et la communauté internationale dans son ensemble à « assumer ses responsabilités » et dénonçait le fait que, à cette date, « le nombre de cas de rapatriement est encore faible » 16.
Face à cette situation inextricable, les requérants – qui sont en l’espèce les parents des femmes parties rejoindre l’EI en Syrie et les grands-parents des enfants à qui ces femmes ont donné naissance sur place – mandatèrent des avocats en France, leur lieu de résidence, pour obtenir le retour des leurs filles et de leurs petits-enfants sur le territoire français. Les avocats saisirent tout d’abord le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (ci-après « MEAE ») d’une demande de rapatriement, qui resta sans aucune réponse et qui s’analyse donc, du point de vue du droit administratif français, en une décision implicite de refus. Ils saisirent également le cabinet du Président de la République de la même demande. Le cabinet du Président répondit à l’une des deux demandes (l’autre resta sans réponse), en se bornant à réitérer la doctrine française en matière de rapatriement : les ressortissants français ont vocation à être jugés sur place et, dans le cas où aucune poursuite contre des ressortissants français n’était engagée ou n’aboutissait, la France examinerait les demandes de rapatriement. Le cabinet du Président de la République se contenta donc d’un refus très vague, ne rendant pas explicite les motifs précis présidant à la décision individuelle prise vis-à-vis des filles et des petits enfants des requérants.
Les avocats saisirent ensuite le juge des référés du Tribunal administratif de Paris. Ils demandèrent au juge d’enjoindre au MEAE d’organiser le rapatriement en France de leurs filles et de leurs petits-enfants. Par deux ordonnances du 10 avril 2019 et du 25 mai 2020, le juge des référés rejeta la demande des requérants sur le fondement de la théorie des actes de gouvernement. Les requérants interjetèrent appel devant le Conseil d’État, qui confirma en dernière instance les deux ordonnances du juge des référés.
Considérant avoir épuisé les voies de recours internes, les requérants se tournèrent alors vers la Cour de Strasbourg. Dans leurs requêtes, ils soutiennent que le refus des autorités françaises de rapatrier leurs filles et leurs petits-enfants viole les obligations de la France découlant de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après « CEDH ») et, plus original, de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, qui énonce que « [n]ul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant », considéré isolément et en combinaison avec l’article 13 de la Convention (droit à un recours effectif).
Se présente ainsi à la Cour une situation proprement exceptionnelle : les ressortissants d’un État partie à la Convention, détenus par un groupe armé non-étatique sur le territoire d’un État non-membre du Conseil de l’Europe, arguent de la violation de la Convention européenne des droits de l’Homme par leur État de nationalité en raison du refus de procéder à leur rapatriement.
Cette situation, tout à fait inédite dans la jurisprudence de Strasbourg, soulève au moins trois questions entièrement nouvelles vis-à-vis desquelles la jurisprudence de la Cour est tout sauf établie 17.
La première concerne l’applicabilité de la CEDH à la situation d’espèce, et plus précisément l’étendue de la notion de « juridiction ». Aux termes de l’article 1er de la Convention, les États contractants s’engagent à reconnaître les droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles à « toute personne relevant de leur juridiction » – ce qui signifie, en creux, que les États n’ont pas à « reconnaître » les droits et libertés conventionnellement garantis aux personnes qui ne se trouvent pas « sous leur juridiction ». Or, dans le cas d’espèce, les mères et leurs enfants, bien que de nationalité française, sont détenus hors du territoire national par un groupe armé dont les actes ne sont pas attribuables à la France. Les victimes directes ne se trouvent donc pas sur le territoire français, et ne se trouvent pas non plus sous le contrôle d’agents français opérant hors du territoire national. Premier problème, donc : le simple fait pour les autorités françaises d’avoir refusé de rapatrier leurs ressortissants détenus hors du territoire national par un acteur non-étatique suffit-il à faire passer ces derniers « sous la juridiction » de la France ?
La deuxième question concerne l’applicabilité non pas de la Convention de manière générale, mais des droits individuels contenus dans la Convention et ses Protocoles. En effet, que la Convention s’applique de manière générale à la situation des mères et des enfants est une chose ; que certains droits gouvernent et protègent la situation dans laquelle elles se trouvent en est une autre. Ceci ne pose pas de problème en ce qui concerne l’article 3 de la Convention : il est clair, en effet, que les mères et les enfants sont soumis à une situation « inhumaine » dont le seuil de gravité est suffisant pour déclencher l’application de l’article 3 de la Convention 18. Cependant, la chose n’est pas aussi évidente en ce qui concerne l’article 3 § 2 du Protocole n°4. Cette disposition, qui visait initialement à prohiber l’exil, interdit aux États de priver leurs ressortissants de leur droit d’entrer sur le territoire national. Or, peut-on vraiment considérer qu’en refusant de rapatrier ses ressortissants, la France a « privé » ceux-ci de leur « droit d’entrer sur le territoire » français ?
Enfin, la troisième question concerne l’étendue des obligations positives à la charge des États vis-à-vis de personnes ne se trouvant pas sur leur territoire. Ce dont il est question, dans le cas d’espèce, c’est bien d’une omission : les requérants reprochent à la France de n’avoir pas procédé au rapatriement de leurs enfants et petits-enfants. Nous nous trouvons donc bien sur le terrain des obligations positives. Mais que peut-on exiger précisément des États dans la situation où les victimes directes dont les droits doivent être protégés se trouvent hors du territoire national ? Jusqu’où l’État doit-il aller pour se conformer à ses obligations positives dans de telles circonstances ?
Dans son arrêt du 14 septembre 2022, la Cour tranche ces trois questions. Premièrement, elle affirme que les mères et les enfants français détenus en Syrie relèvent bien de la juridiction de la France sous l’angle de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, mais pas sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Deuxièmement, elle dit que l’article 3 § 2 du Protocole n°4 trouve à s’appliquer à la situation des mères et des enfants français, ceux-ci ayant été privés de facto de leur droit d’entrer sur le territoire français. Et troisièmement, elle dit, par 14 voix contre 3, que la France a violé l’article 3 § 2 du Protocole n°4 car elle n’a pas entouré l’examen des demandes de rapatriement « de garanties appropriées contre l’arbitraire ». Elle enjoint enfin le Gouvernement français à « procéder au réexamen des demandes d’entrer sur le territoire national » en l’entourant, cette fois, de « garanties appropriées contre l’arbitraire ».
De notre point de vue, les choix qui sont opérés par la Cour pour parvenir à sa décision finale s’éclairent d’un jour nouveau si l’on accepte de voir qu’ils ne sont pas commandés par le droit existant – qui est, comme nous le verrons, loin d’être établi sur toutes les questions qui se posent à la Cour – mais qu’ils résultent principalement de la situation extrêmement délicate dans laquelle cette requête a plongé les juges de Strasbourg. En effet, cette requête a placé la Cour dans une situation que certains qualifieraient de « double contrainte » (double bind), soit la situation dans laquelle une personne est simultanément enjointe à faire deux choses contradictoires. Explorons rapidement cette double contrainte.
Premièrement, cette affaire exige de la Cour qu’elle agisse pour remédier à une situation qui heurte notre conscience morale et que toute personne normalement constituée est fondée à considérer comme profondément injuste. De quoi est-il question, en l’espèce ? Il est question d’enfants en bas âge, parqués dans des camps après avoir connu la guerre et ses horreurs, en proie au froid, à la violence, à l’exploitation et à la maladie. Ces enfants souffrent d’une situation qu’ils n’ont absolument pas choisie et dont ils ne sont aucunement responsables – ils n’ont choisi ni de naître dans une zone de guerre de parents djihadistes, ni d’ailleurs d’être arbitrairement rattaché à la naissance à un État qui refuse par principe de les rapatrier. Comment peut-on tolérer qu’une telle situation perdure ? Aucun argument de nature politique, sécuritaire ou juridique ne semble faire le poids face à l’impératif de sauver la vie d’enfants innocents. Et de fait, toute l’opinion libérale et humaniste s’est mobilisée en faveur du rapatriement 19, et attend des juges de Strasbourg qu’ils mettent fin à cette situation ; car si la Cour n’est pas là pour mettre fin à des situations si objectivement injustes, alors à quoi sert-elle ? En bref, la Cour est appelée à assumer son rôle de « conscience de l’Europe », ainsi qu’elle se qualifie elle-même 20 – ce qui suppose, en pratique, de faire droit au moins dans une certaine mesure aux prétentions des requérants.
Mais dans le même temps, cette affaire exige de la Cour qu’elle fasse preuve d’énormément de prudence, de modération et de retenue. En effet, il s’agit d’une affaire éminemment sensible politiquement dont les enjeux juridiques sont extrêmement gros : ce dont il est question, c’est de la possibilité d’engager la responsabilité d’un État pour des faits se déroulant hors de son territoire et largement hors de son contrôle direct. Cette requête a donc un fort potentiel révolutionnaire, et les États se sont mobilisés dans la procédure pour rappeler que leurs intérêts et leurs préoccupations doivent être pris en compte par la Cour 21. Comme toujours quand une affaire sensible aux conséquences potentiellement lourdes pour les États se présente devant la Cour, on sent qu’une sorte de menace déguisée plane sur Strasbourg : après tout, la Cour est une institution créée et financée par les États qui ne peut fonctionner correctement que si ceux-ci acceptent de collaborer avec elle… La Cour est donc appelée, dans une affaire si sensible, à rendre une décision qui soit acceptable pour les États et qui n’opère pas de véritable révolution jurisprudentielle – ce qui implique en pratique de faire droit, au moins dans une certaine mesure, aux prétentions des États.
Vu sous cet angle, l’arrêt du 14 septembre 2022 se révèle pour ce qu’il est, de notre point de vue : un véritable exercice d’équilibriste, au cours duquel la Cour cherche à trouver un moyen de condamner la France pour mettre fin à une situation révoltante tout en tempérant sa condamnation et la portée de son arrêt pour ne pas provoquer une levée de bouclier de la part des États.
Cette quête d’un équilibre entre deux impératifs contradictoires peut tout d’abord être perçue dans la manière dont la Cour traite la question de savoir si les mères et leurs enfants se trouvent « sous la juridiction » de la France. En effet, tout en reconnaissant que la France exerce bien sa juridiction à l’égard des femmes et des enfants français détenus dans le Nord-Est syrien, la Cour limite la portée de sa jurisprudence à la situation exceptionnelle du cas d’espèce (I). Le même mouvement se retrouve au fond de l’arrêt. Tout en constant la violation de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, la Cour tempère sa décision par la faible étendue des obligations positives finalement reconnues à la charge de l’État (II).
I – Une reconnaissance de l’exercice de juridiction limitée à la situation exceptionnelle du cas d’espèce
Si l’on omet la question de la qualité de victime des requérant, la première question à laquelle fait face la Cour est celle de savoir si les mères et les enfants français détenus au Kurdistan syrien se trouvent ou non « sous la juridiction » de la France au sens de l’article 1er de la CEDH. Il s’agit là d’une étape préalable essentielle, d’une « condition sine qua non » 22qui, si elle n’est pas remplie, débouche automatiquement sur une décision d’irrecevabilité de la requête. Or, au regard de la jurisprudence traditionnelle de la Cour en matière de juridiction, il est loin d’être acquis que les mères et les enfants français se trouvent effectivement « sous la juridiction » de la France. Ainsi, pour mettre fin à la situation profondément injuste qui se présente à eux et exprimer au travers de leur arrêt le sentiment révolté de l’opinion libérale et humaniste, les juges de Strasbourg doivent déployer un véritable effort pour parvenir finalement à conclure à l’exercice, par la France, de sa juridiction au sens de l’article 1er de la Convention (A). Mais afin de ne pas heurter plus que nécessaire les intérêts des États parties à la Convention et d’éviter que cet arrêt puisse servir de précédent à ceux qui souhaiterait étendre la notion de juridiction au-delà de ce que les États sont prêts à accepter, la Cour va très fortement limiter la portée de sa décision aux circonstances exceptionnelles du cas d’espèce (B).
A. L’effort déployé par les juges de Strasbourg pour conclure à l’exercice par la France de sa juridiction
Il est fort à parier que si l’on avait interrogé les spécialistes de la Convention européenne des droits de l’Homme dans les semaines précédant le rendu de l’arrêt du 14 septembre 2022 sur la question de savoir si, au regard de la jurisprudence de la Cour, les mères et les enfants détenus dans le Nord-Est syrien se trouvaient « sous la juridiction » de la France, une écrasante majorité d’entre eux auraient répondu à cette question par la négative 23. C’est qu’en effet, une lecture stricte de la jurisprudence traditionnelle relative à l’applicabilité « extraterritoriale » de la Convention conduit l’observateur extérieur à conclure en ce sens.
La jurisprudence de la Cour relative à la notion de juridiction commence systématiquement par le même refrain, repris par la Cour dans l’arrêt commenté : la juridiction d’un État est « principalement territoriale » 24de sorte qu’elle est « présumée s’exercer normalement sur l’ensemble du territoire de l’État concerné » (§ 185) ; ce n’est que « par exception au principe de territorialité » et dans des « circonstances exceptionnelles » (ibid.) que la Cour accepte de reconnaître qu’un État exerce sa juridiction en dehors de son territoire. Une fois ces principes rappelés, la Cour énumère ensuite les différents cas de figure dans lesquels elle a conclu, par le passé, à un exercice « extraterritorial » de sa juridiction par un État partie à la Convention.
Premièrement, la juridiction d’un État contractant « peut s’étendre aux actes de ses organes qui déploient leurs effets en dehors de son territoire » (§ 186). Par cette catégorie, la Cour se réfère en réalité à trois situations différentes : 1) le cas dans lequel des agents diplomatiques et consulaires présents en territoire étranger exercent une autorité et un contrôle sur autrui ; 2) le cas dans lequel un État assume, en vertu du consentement, de l’invitation ou de l’acquiescement du gouvernement local, l’ensemble ou certaines des prérogatives de puissance publique normalement exercé par lui, et 3) le cas dans lequel un agent recourt à la force en dehors de son territoire et exerce ainsi son contrôle et son autorité sur des personnes (ibid.).
Deuxièmement, dit la Cour, le principe de territorialité de la juridiction « connaît une exception lorsque, à la suite d’une action militaire – légale ou non –, l’État exerce un contrôle effectif sur une zone située en dehors de son territoire » (§ 187), que ce « contrôle effectif » s’exerce directement (par exemple, par le biais de ses forces armées dans le cas d’une occupation militaire) ou bien indirectement, au travers d’une « administration locale subordonnée » (ibid.).
Viennent enfin les « circonstances particulières d’ordre procédural » qui ont pu « justifier l’application de la Convention en raison d’événements qui ont eu lieu en dehors du territoire de l’État défendeur » (§ 188). Par cette catégorie, la Cour vise deux situations et deux arrêts bien précis 25: 1) la situation dans laquelle une procédure civile est déclenchée devant des juridictions nationales relativement à des faits s’étant déroulé hors du territoire de l’État, et 2) la situation où des autorités d’enquête ou des organes judiciaires ouvrent une enquête vis-à-vis de faits s’étant déroulés hors du territoire de l’État. Dans ces deux cas de figure, l’État contractant se doit de « reconnaître » les droits procéduraux garantis par la Convention même si les faits visés se sont déroulés hors du territoire national et que les personnes visées par ces procédures se trouvent hors du territoire (ibid.).
Au regard de cette jurisprudence traditionnelle, il est plus que douteux que les mères et les enfants détenus dans le Nord-Est syrien relèvent effectivement de la juridiction de la France au sens de l’article 1er. En effet, ceux-ci ne se trouvent pas sous le contrôle et l’autorité d’agents diplomatiques ou consulaires français situés en territoire syrien (la France ayant d’ailleurs rappelé son personnel diplomatique et consulaire de Syrie) ; la France n’assume aucune prérogative de puissance publique en vertu de l’invitation des autorités du Kurdistan syrien ; les agents de l’États n’ont pas recouru à la force et donc exercé leur autorité et leur contrôle sur les mères et les enfants ; et la France n’exerce pas son « contrôle effectif » sur le Nord-Est de la Syrie. Il existe bien, en revanche, des procédures engagées en France au nom de personnes se trouvant hors du territoire national et dont les faits portent sur une situation extraterritoriale. Mais en réalité, là n’est pas le problème : les requérants ne cherchent pas à obtenir le respect par la France de ses obligations conventionnelles dans le cadre de ces procédures ; ils cherchent à contester la décision, prise par les autorités françaises antérieurement à ces procédures, de ne pas procéder au rapatriement de leurs filles et de leurs petits-enfants.
Au regard de la lignée jurisprudentielle classique de la Cour en matière de juridiction, la chose semblait donc bien mal embarquée pour les requérants. Et ceci d’autant plus si l’on considère que, dans une décision M.N. et autres c. Belgique, rendue entre l’introduction de la première requête et l’introduction de la seconde requête, la Grande chambre de la Cour a estimé pour la première fois que « la seule circonstance que des décisions prises au niveau national ont eu un impact sur la situation de personnes résidant à l’étranger n’est pas de nature à établir la juridiction de l’État concerné à leur égard en dehors de son territoire » 26. Dans cette affaire, des ressortissants syriens s’étaient présentés à l’ambassade de Belgique à Beyrouth pour y déposer des demandes de visas d’entrée sur le territoire belge dans le but d’y demander l’asile. Cette demande fut transmise par l’ambassade aux services compétents situés à Bruxelles, qui rejetèrent cette demande et notifièrent cette décision aux requérants via le service des visas de l’ambassade de Belgique à Beyrouth. L’analogie avec la présente affaire est tentante : ici aussi, il est question d’une « décision prise au niveau national » (la décision de ne pas rapatrier les ressortissants français détenus dans le Nord-Est syrien) qui a « eu un impact sur la situation de personne résidant à l’étranger » (en conséquence de cette décision, les mères et les enfants français furent condamner à croupir dans les camps du Nord-Est syrien).
D’un point de vue strictement logique, la Cour aurait parfaitement pu suivre cette ligne argumentative et déclarer la requête irrecevable. Cependant, les décisions de justice sont toujours « doublement déterminée[s] », comme le dit bien Pierre Bourdieu : d’une part, par la « logique interne » du droit, qui, en fonction de son état, oriente la décision des juges dans un sens ou dans un autre, et d’autre part par les « rapports de forces » spécifiques à l’œuvre dans le champ juridique et dans le champ social en général, qui exercent une pression déterminante sur les juges 27. Et dans le présent cas de figure, c’est ce second élément qui va décider la Cour à faire l’effort de s’écarter de sa jurisprudence traditionnelle : dans le cas contraire, elle frustrerait les attentes de l’opinion libérale et humaniste et mettrait en danger son statut auto-proclamé de « conscience morale de l’Europe ».
La Cour va donc (partiellement) faire droit aux arguments inventifs des requérants. Ceux-ci s’appuient principalement sur la décision M.N. c. Belgique du 5 mai 2020, dans laquelle ils voient une reformulation des principes relatifs à l’exercice extraterritorial de juridiction. En effet, dans cette décision, la Cour fait quelque chose d’assez inhabituel : après avoir rappelé sa jurisprudence traditionnelle relative à la notion de juridiction, elle affirme, au stade de « l’application au cas d’espèce » (Déc. M. N., §§ 110, préc.), que « déterminer si la Convention s’applique en l’espèce » suppose de « rechercher s’il existe des circonstances exceptionnelles propres à conclure à un exercice extraterritorial par la Belgique de sa juridiction à l’égard des requérants », ce qui suppose à son tour – ici se trouve l’ajout crucial – de « s’interroger sur la nature du lien entre les requérants et l’État défendeur et de déterminer si celui-ci a effectivement exercé son autorité et son contrôle sur eux » (Déc. M.N., § 113). Ce faisant, la Cour semble reformuler (voire rationaliser a posteriori) sa jurisprudence relative à l’exercice extraterritorial de la juridiction : il ressortirait de cette jurisprudence qu’un État contractant exerce sa « juridiction » au sens de l’article 1er à l’égard de personnes se trouvant hors de son territoire national lorsque 1) il existe un « lien » entre ces personnes et l’État contractant et 2) l’État contractant exerce « son autorité et son contrôle » sur ces personnes. Et pour les requérants, ces deux critères sont remplis dans le cas d’espèce. Premièrement, il existe bel et bien un « lien », et le plus formel qui soit, entre les mères et les enfants détenus dans le Nord-Est syrien et la France : le lien de nationalité. Deuxièmement, les mères et les enfants se trouvent bien sous l’autorité de la France, puisque le droit international public reconnaît la compétence de l’État de nationalité pour protéger ses nationaux qui se trouvent en dehors de son territoire 28.
Après avoir relevé que la France n’exerçait pas son contrôle sur le Nord-Est syrien (§§ 191-192) et que la juridiction ne découlait pas de l’ouverture de procédures internes (§§ 193-196), la Cour se penche donc sur la question de savoir « si des circonstances exceptionnelles tenant au lien de nationalité qui unit les proches des requérants à l’État défendeur ainsi qu’à la compétence diplomatique alléguée de ce dernier à leur égard pour les protéger des traitements subis dans les camps du nord-est syrien et les en sortir » (§ 197) s’analyse en un « exercice de juridiction » au sens de l’article 1er de la Convention.
Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus bas, la Cour scinde son analyse en deux : elle examine d’abord si la France exerce sa juridiction sous l’angle de l’article 3 de la Convention, puis sous l’angle de l’article 3 § 2 du Protocole n°4. Sous l’angle de l’article 3, la Cour estime que la France n’exerce pas sa juridiction. Nous reviendrons sur ce point. En revanche, elle estime, sous l’angle de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, que la France exerce bien sa juridiction vis-à-vis des mères et des enfants détenus dans le Nord-Est syrien. Plusieurs éléments, la plupart cités par les requérants dans leur requête, viennent à l’appui de cette décision. Tout d’abord, l’article 3 § 2 du Protocole n°4 à un champ d’application personnel plus spécifique que l’article 1er de la Convention : là où les droits et libertés doivent selon l’article 1er être reconnus à « toute personne » relevant de la juridiction des États contractants, le droit reconnu à l’article 3 § 2 du Protocole n°4 ne s’applique qu’aux « ressortissants » des États partie à la CEDH. Il est donc cohérent de prendre en considération le lien de nationalité dans l’applicabilité de cette disposition. Deuxièmement, cet article 3 § 2 du Protocole n°4 a un champ d’application spatial spécifique, puisqu’il vise la situation objective dans laquelle les ressortissants d’un État contractant se trouvent hors du territoire national et cherchent à y entrer : cette disposition, dit la Cour, « suppose par nature la possibilité que le droit garanti s’applique à la relation existante entre un État partie et ses ressortissants si ces derniers se trouvent hors de son territoire » (§ 209) ; toute interprétation contraire de cet article « reviendrait à le rendre inopérant dès lors que l’article 3 § 2 du Protocole no 4 n’offrirait dans ce cas aucune protection réelle du droit d’entrer pour ceux qui, d’un point de vue pratique, auraient le plus besoin de cette protection, c’est-à-dire les personnes qui veulent entrer ou revenir sur le territoire de l’État de nationalité » (§ 209).
À l’aide de ces éléments et sans vraiment revenir dans ces développements sur la question de la compétence personnelle de l’État de nationalité vis-à-vis de ses ressortissants subissant des mauvais traitements à l’étranger – la Cour se contente de relever « l’utilité de la protection diplomatique en tant qu’instrument de protection des droits de l’homme » (§ 211) –, la Cour conclut donc que, dans le cas d’espèce, la France exerce bel et bien sa juridiction vis-à-vis des mères et des enfants détenus dans le Nord-Est syrien « à l’égard du grief tiré de l’article 3 § 2 du Protocole no 4 » (§ 214).
B. La limitation de la portée de la décision aux circonstances exceptionnelles du cas d’espèce
Appréhendée sous un certain angle, cette décision pourrait revêtir une portée proprement révolutionnaire. En effet, ce que la Cour reconnaît de prime abord, c’est que la Convention européenne des droits de l’homme et ses Protocoles peuvent s’appliquer au bénéfice de personnes se trouvant hors du territoire et hors du contrôle direct, physique et immédiat de l’État dont ils allèguent une violation de leurs droits. Plus avant, la Cour reconnaît que des personnes se trouvant sur le territoire d’un État situé hors de l’espace juridique du Conseil de l’Europe peuvent revendiquer les droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles à l’encontre de décisions prises par les autorités d’un État partie à la Convention sur leur propre territoire. Le potentiel révolutionnaire d’une telle décision n’est donc pas négligeable : que l’on pense simplement aux conséquences qu’une telle décision pourrait avoir pour les États contractants dans des contentieux relatifs à l’écologie (décisions nationales produisant des effets néfastes en matière climatique ou bien en termes de pollution hors du territoire national), à l’économie (décisions nationales impactant la situation économique dans d’autres pays du monde) ou bien aux migrations (décisions nationales impactant la situation de personnes souhaitant se rendre sur le territoire national). La Cour européenne des droits de l’Homme se rapproche dangereusement de « l’application quasi-universelle de la Convention » qu’elle fustigeait dans la décision M.N. et autres c. Belgique (§ 123).
Mais en réalité, il n’en est rien : dans son arrêt, la Cour prend grand soin de limiter au maximum la portée de sa décision jusqu’à en faire une décision ad hoc, spécifiquement taillée pour les faits de l’espèce, rendant par là-même très difficile – pour ne pas dire tout simplement impossible – de faire de cette décision un véritable précédent jurisprudentiel applicables à d’autres types de contentieux. Ce faisant, elle se protège de manière préventive à la fois contre les critiques des États, qui pourraient lui reprocher son trop grand activisme, et les tentatives d’avocats ingénieux qui s’évertueront à utiliser cette jurisprudence comme d’un précédent pour étendre la notion de juridiction au-delà de ce que les États et (par extension) la Cour sont prêts à admettre.
Commençons tout d’abord par voir qu’en adoptant la solution décrite plus haut vis-à-vis de la notion de juridiction, la Cour refuse de reprendre à son compte d’autres interprétations plus libérales et progressistes de la notion de « juridiction ».
Premièrement, la Cour refuse de se ranger à l’interprétation extensive de plusieurs organes onusiens de protection des droits de l’homme pour lesquels la notion de « juridiction » doit être liée à celle de « capacité d’agir » ou de « pouvoir d’agir » : un État exercerait sa juridiction vis-à-vis de personnes situées hors de son territoire national dès lors qu’il aurait la « capacité d’agir » sur la situation juridique de ces personnes ou lorsque la jouissance des droits de ces personnes dépendraient de son « pouvoir ». Une telle interprétation – ô combien extensive – est notamment défendue par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans son Observations générale n°36. Pour le Comité, qui renvoie explicitement à la clause de juridiction de l’article 2 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après « PIDCP »), les États partie au Pacte ont « l’obligation de respecter et de garantir » le droit à la vie à « toutes les personnes dont la jouissance du droit à la vie dépend de son pouvoir ou de son contrôle effectif » 29. Une année plus tard, deux Rapporteures spéciales des Nations Unies vont se saisir de cette interprétation pour affirmer que les étrangers se trouvant dans les camps du Nord-Est syrien relèvent bien de la « juridiction » de leurs États de nationalité, quand bien même elles ne se trouveraient pas « aux mains » des agents de ces États, dans la mesure où ces derniers auraient la capacité ou le pouvoir d’agir sur leur situation. Se référant explicitement au paragraphe suscité de l’Observation générale n°36, elles estiment ainsi que l’obligation d’un État de protéger le droit à la vie peut « être invoqué extra-territorialement dans la situation où cet État précis a la capacité de protéger le droit à la vie contre une menace immédiate et prévisible à la vie » 30.
Plus généralement, elles estiment que les États de nationalité exercent leur juridiction sur leurs nationaux retenus dans les camps notamment en raison du fait que les États de nationalité sont « capables de mettre fin à la violation des droits individuels ». Deux années plus tard, c’est au tour du Comité des droits de l’enfant de se ranger à cette interprétation extensive de la notion de juridiction. Saisi par l’avocate des requérants dans l’affaire pendante devant la CEDH (mais pour le compte d’autres victimes), le Comité des droits de l’enfant considère que la France exerce bien sa juridiction vis-à-vis de ses ressortissants détenus dans les camps, principalement en raison du fait que l’État « a la capacité et le pouvoir de protéger les droits des enfants en question, en prenant des mesures pour les rapatrier ou d’autres mesures consulaires » 31.
La Cour aurait parfaitement pu suivre ce new stream et se ranger à cette interprétation de la notion de juridiction, liant celle-ci à la notion plus générale de « capacité d’agir » : rien n’empêche, sur le plan strictement juridico-logique, de faire une telle interprétation de la notion de juridiction. Mais si l’on prend en compte le champ de forces dans lequel opère la Cour de Strasbourg, on en vient rapidement à la conclusion qu’une telle interprétation est absolument inacceptable : elle provoquerait immédiatement une levée de boucliers de la part des États, puisque cela reviendrait à permettre à des personnes situées hors de l’espace juridique du Conseil de l’Europe de formuler des requêtes à l’encontre d’États partie en prétendant que ceux-ci auraient la « capacité » ou le « pouvoir » d’agir pour protéger leurs droits. Solution politiquement inacceptable, donc 32.
Deuxièmement, la Cour aurait pu se ranger à une interprétation défendue par les requérants, centrée cette fois uniquement sur la jurisprudence de la Cour. Selon les requérants, la Cour reconnaît de très longue date que les décisions individuelles prises par les autorités d’un État sur leur propre territoire qui affectent négativement la situation juridique de personnes se trouvant hors dudit territoire entraînent « exercice de juridiction » au sens de l’article 1er de la Convention. Que l’on pense simplement à l’arrêt Nada c. Suisse. Dans cette affaire, la Cour a estimé que la décision prise par les autorités suisses de refuser d’autoriser l’entrée d’un ressortissant italo-égyptien sur le territoire national (il se trouvait donc hors du territoire suisse) s’analysait bel et bien en un « exercice de juridiction » au sens de l’article 1er. Pour la Cour, la décision de refuser l’entrée sur le territoire national, prise en application d’une résolution du Conseil de sécurité, a bien été prise « par l’État suisse dans l’exercice de sa « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention » 33. Dans leurs écritures, les requérants montrent qu’il existe en réalité toute une lignée jurisprudentielle largement méconnue de la Cour et de la doctrine, qui n’apparaît ni dans l’exposé par la Cour de sa jurisprudence sur l’article 1er, ni dans les ouvrages doctrinaux, et qui montre exactement ceci : dans de très nombreux cas, la Cour a déclaré recevable la requête d’une personne alléguant de la violation de ses droits du fait d’une décision prise par les autorités d’un État sur le territoire duquel cette personne ne se trouvait pas. Simplement, dans ces affaires, la Cour n’a le plus souvent pas examiné la question de savoir si l’État en cause avait exercé sa « juridiction » vis-à-vis des requérants, parce qu’aucune partie au litige ne soulevait ce point. Mais, si l’exercice de « juridiction » est bien une « condition sine qua non » à la recevabilité de la requête et à l’applicabilité de la Convention, alors cela signifie en creux que dans toutes ces affaires, il y avait nécessairement eu « exercice de juridiction » au sens de l’article 1er. De notre point de vue, une telle interprétation semble finalement assez logique et juste. Pourquoi un État se verrait-il délié de son obligation de « reconnaître » les droits et libertés garantis par la Convention dans le cas où ses agents adoptent une décision individuelle qui affecte négativement la situation juridique d’une personne au simple motif que cette personne ne se trouve pas sur le territoire national ? À partir du moment où les autorités nationales prennent sciemment et délibérément une décision qui affecte la situation juridique d’une personne, pourquoi ne pas reconnaître qu’il y a là « exercice de juridiction » quelle que soit sa localisation par ailleurs ? Ainsi par exemple de la décision M.N. et autres c. Belgique, parfaitement incohérente à cet égard. D’une part, la Cour estime « qu’en statuant sur les demandes de visas, les autorités belges ont pris des décisions portant sur les conditions d’entrée sur le territoire belge et ont, de ce fait, exercé une prérogative de puissance publique » (§ 112). Mais d’autre part, la Cour considère que « [l]a seule circonstance que des décisions prises au niveau national ont eu un impact sur la situation de personnes résidant à l’étranger » (§ 112) ne suffit pas à établir la « juridiction » de l’État partie. Ne pas reconnaître qu’il y a eu « exercice de juridiction » dans ce cas de figure revient à aménager un espace vide de droit, une sorte d’espace d’exception pour les États partie à la Convention : ceux-ci peuvent agir « dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique » tout en étant déliés de leurs obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme – qui plus est en matière d’immigration, et la Fortress Europe n’est pas spécialement connue pour être tendre dans ce domaine…
Ici encore, la Cour aurait pu suivre cette voie ouverte par les requérants et saisir l’occasion de synthétiser et de rationaliser sa jurisprudence relative à la notion de juridiction. Mais la Cour aurait, ici encore, eu l’impression de se mettre en porte à faux par rapport aux intérêts et aux desiderata des États partie à la CEDH : ceux-ci auraient immédiatement crié à l’application « quasi-universelle de la Convention », dénoncé l’activisme de Strasbourg, et l’opinion conservatrice s’en serait donnée à cœur joie. La Cour aurait cependant pu répondre qu’il faut bien distinguer « exercice de juridiction », « ingérence dans les droits garantis » et « violation des droits garantis ». Ce n’est pas parce qu’un État exerce sa juridiction vis-à-vis d’une personne située hors de son territoire qu’il s’ingère dans ses droits – le droit invoqué peut très bien ne pas protéger la situation juridique dans laquelle cette personne se trouve. Et ce n’est pas parce qu’un État exerce sa juridiction vis-à-vis d’une personne située hors de son territoire et qu’il s’ingère dans ses droits qu’il viole pour autant ses obligations – en dehors des quelques droits absolus, il existe tout un régime juridique de limitation des droits octroyant une très large marge de manœuvre aux États. Mais il est bien plus simple pour la Cour de jouer sur l’étendue de la notion de juridiction pour ouvrir ou fermer son prétoire, quitte à rendre des décisions au mieux illogiques, au pire inconséquentes.
Par rapport à ces deux voies alternative, considérées (à raison pour la première, à tort pour la seconde) comme trop progressistes et libérales, la solution dégagée par la Cour apparaît comme étant profondément modérée et, en vérité, strictement limitée aux circonstances d’espèce.
Voyons tout d’abord que la Cour ne se prononce à aucun moment sur la notion de juridiction considérée in abstracto. Contrairement aux deux interprétations susmentionnées, la solution dégagée par la Cour n’a aucun impact sur la question générale de savoir à quelles conditions des personnes se trouvant hors du territoire d’un État partie à la Convention et affectées par les décisions prises par les autorités nationales sur le territoire de cet État peuvent passer pour relever de sa juridiction au sens de l’article 1er de la Convention. En centrant sa solution sur le lien de nationalité, la Cour réduit très largement la portée de sa décision : ce dont il est question dans cette affaire, c’est de la question de savoir si un État de nationalité peut exercer sa juridiction à l’égard de ses ressortissants situés hors du territoire national et affecté par ses décisions. De plus, la Cour affirme explicitement que la nationalité « ne saurait constituer un titre de juridiction autonome » (§ 206) : l’élément déterminant de la décision de la Cour, en l’espèce, ce n’est pas tant le lien de nationalité que le fait que les requérants s’appuient sur l’article 3 § 2 du Protocole n°4, qui implique nécessairement, ainsi que nous l’avons vu plus haut, que les requérants se trouvent hors du territoire national. Par conséquent, la Cour limite encore davantage la portée de sa décision : celle-ci ne vaut pas vis-à-vis des ressortissants d’un État partie qui se trouvent hors du territoire national et qui se plaignent des décisions de leur État de nationalité qui les affecte négativement ; elle ne porte que sur la situation très spécifique dans laquelle les ressortissants d’un État se trouvant à l’étranger cherchent à entrer sur le territoire national. Et même là encore, les personnes se trouvant dans une telle situation ne sont pas ipso facto considérés par la Cour comme se trouvant « sous la juridiction » de leur État de nationalité ; encore faut-il que « certaines circonstances tenant à la situation de la personne qui prétend entrer sur le territoire de l’État dont elle est la ressortissante » soient propre à « faire naître un lien juridictionnel avec cet État aux fins de l’article 1 de la Convention » (§ 212). Dans le cas d’espèce, les circonstances particulières, ce sont celles « liées à la situation des camps dans le nord-est syrien » (§ 213), soit 1) le fait que des demandes officielles de rapatriement aient été formulées ; 2) le fait qu’aient été invoquées les « valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe » (§ 213) ; 3) l’existence d’une menace réelle et immédiate pour la vie et l’intégrité physique des proches des requérants et l’existence de conditions de vies incompatibles avec le respect de la dignité humaine ; 4) l’extrême vulnérabilité des enfants ; 5) le fait que les intéressés ne soient pas en mesure de quitter le camp pour rejoindre le territoire national ou tout autre territoire sans l’assistance des autorités françaises ; et 6), le fait que les autorités détentrices (les FDS) aient indiqué leur volonté qu’il soit procédé au rapatriement des femmes et enfants français.
Si l’on résume, on voit que la portée de cette décision est finalement extrêmement limitée. Son apparence révolutionnaire, tenant à ce que la Cour reconnaît que des personnes ne se trouvant ni sur le territoire d’un État, ni sous son contrôle direct, physique et immédiat, peuvent se trouver « sous sa juridiction » au sens de l’article 1er, est immédiatement contrebalancée par tout un ensemble de facteurs restrictifs. Ce que la Cour accepte, en réalité, c’est uniquement ceci : que les ressortissants d’un État se trouvant hors du territoire national et cherchant à rentrer sur le territoire dudit État en se prévalant de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 relèvent de la juridiction de l’État au sens de l’article 1er, si et seulement si « certaines circonstances tenant à leur situation » le justifie – circonstances dont on voit très difficilement comment elles pourraient être appliquées par analogie à d’autres situations factuelles…
Venons-en enfin à l’exclusion de l’exercice de juridiction sous l’angle de l’article 3 de la Convention, qui constitue un autre moyen pour la Cour de réduire la portée de sa décision. Si nous abordons ce point en dernier lieu alors que la Cour commence par exclure l’exercice de juridiction pour ce grief avant de se pencher sur le grief tiré de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, c’est parce que la discussion qui précède nous semble nécessaire pour comprendre les raisons fondamentales d’une telle exclusion. En effet, les arguments avancés par la Cour pour justifier l’exclusion de l’exercice de juridiction sous l’angle de l’article 3 de la Convention sont extrêmement confus, très difficile à comprendre, et nous semblent cacher une motivation plus basale : limiter, par tous les moyens possibles, la portée de la décision rendue.
Sans entrer dans trop de détails sur ce point, notons simplement que les arguments avancés par la Cour pour exclure l’exercice de juridiction pour le grief tiré de l’article 3 de la Convention mélangent systématiquement deux plans bien distincts sur le plan logique : la question de savoir si les mères et les enfants se trouvent « sous la juridiction » de la France au sens de l’article 1er de la Convention, ce qui a trait à la recevabilité de la requête, et la question de savoir si dans les faits, la France avait l’obligation et était en capacité de mettre fin à la situation inhumaine dans laquelle se trouvent les mères et les enfants, ce qui a trait au fond de l’affaire. Dans tout son traitement de l’exercice de juridiction sous l’angle de l’article 3 de la Convention, la Cour mélange systématiquement ces deux plans : son raisonnement revient à dire que la France n’exerce pas sa juridiction car elle n’a pas d’obligation de rapatrier ses ressortissants et que sa capacité à le faire est dans tous les cas douteuse (ce qui est par ailleurs très discutable).
Relevons l’un des deux arguments employés par la Cour. Pour les juges de Strasbourg, il est nécessaire de considérer que la France n’exerce pas sa juridiction vis-à-vis des mères et des enfants sous l’angle de l’article 3 de la Convention car toute décision contraire « reviendrait à exiger [de l’État défendeur] le respect de l’article 3 de la Convention en dépit du fait qu’il n’exerce aucun « contrôle », au sens de sa jurisprudence, dans les camps du nord-est de la Syrie où seraient infligés les mauvais traitements dénoncés » (§ 198). Ici, la Cour mélange clairement la recevabilité et le fond – la question de savoir si un État « exerce sa juridiction » aux fins de la recevabilité d’une requête est logiquement indépendante de la question (de fond) de savoir s’il a respecté telle ou telle disposition de la Convention. Mais surtout, et nous reviendrons sur ce point par la suite, cet argument est entièrement irrecevable sur le plan factuel : dans les faits, que la France n’exerce pas son « contrôle » sur les camps n’enlève rien au fait qu’elle est en capacité de prendre certaines mesures raisonnables pour mettre fin à la situation inhumaine dans laquelle se trouvent les mères et les enfants français (comme en témoignent les nombreux rapatriements déjà effectués). Par ailleurs, aucun argument de ce type n’est avancé sous l’angle de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, alors que le même problème se pose dans les mêmes termes : respecter cette disposition ne nécessite pas, pour la France, d’exercer son « contrôle » sur les camps du Nord-Est syrien.
En bref, les arguments développés par la Cour sur ce point nous semblent confus et peu convaincants – et nous souhaitons bon courage à celles et ceux qui s’attacheront à rationaliser la jurisprudence de la Cour en matière de juridiction et chercheront à intégrer ces arguments dans un schéma cohérent… Il nous semble que la raison fondamentale pour laquelle la Cour exclut l’exercice par la France de sa juridiction sous l’angle de l’article 3 de la Convention ressort en vérité de la politique jurisprudentielle : accepter que des personnes subissant des traitements inhumains en dehors du territoire national (et plus encore hors de l’espace juridique du Conseil de l’Europe) qui ne sont pas directement causés par les autorités d’un État partie à la Convention puissent se prévaloir de l’article 3 pour exiger que cet État mette fins auxdits traitements, ce serait aller trop loin pour la Cour. Et contrairement à l’article 3 § 2 du Protocole n°4 qui ne bénéficie qu’aux « ressortissants » d’un État, il est impossible pour la Cour de limiter le bénéfice de l’article 3 de la Convention aux seuls nationaux. En effet, cette disposition repose sur l’idée de dignité humaine qui s’attache par définition à tout être humain, quelle que soit sa nationalité. En excluant l’exercice de juridiction pour le grief tiré de l’article 3 de la Convention, la Cour rassure les États en limitant drastiquement la portée de sa décision et ferme son prétoire aux personnes qui pourraient se trouver dans une situation analogue à celle des requérants.
Eu égard à la recevabilité de l’affaire, la Cour est donc parvenue à ménager les deux impératifs contradictoires dont nous faisions état plus haut : se mettre en situation de mettre fin à la situation révoltante dans laquelle se trouvent les mères et (surtout) les enfants détenus dans les camps, tout en tempérant drastiquement la portée de sa décision pour ménager les intérêts des États (et, derrière eux, de l’opinion conservatrice).
II – Un constat de violation de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 tempéré par la faible étendue des obligations positives à la charge de l’État
Au fond de l’arrêt, la Cour va se livrer à un exercice d’équilibriste similaire à celui auquel elle s’est livrée au stade de la recevabilité. Relevons tout d’abord qu’à ce stade, deux questions essentielles se posent à la Cour vis-à-vis d’une disposition – l’article 3 § 2 du Protocole n°4 – dont elle n’a jamais traité au fond d’un arrêt. La première question porte sur le champ d’application de l’article 3 § 2 du Protocole n°4. Cet article, initialement conçu en vue de prohiber définitivement l’exil, s’applique-t-il à la situation dans laquelle se trouvent les mères et les enfants français détenus dans le Nord-Est syrien ? Peut-on considérer que, par leur décision de ne pas les rapatrier, les autorités françaises les ont « privé du droit d’entrer » sur le territoire français ? La seconde question porte sur l’existence et l’étendue des obligations positives à la charge de l’État sous l’angle de cet article. L’article 3 § 2 du Protocole n°4 contient-il des obligations positives d’agir à la charge de l’État pour protéger le droit garanti par cette disposition ? Et le cas échéant, quelle est l’étendue de ces obligations positives ?
Pour se sortir de la situation de double contrainte dans laquelle elle se trouve, la Cour développe une interprétation libérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, ce qui lui permet d’aboutir à un constat de violation de cet article (A). Mais en réalité, il ne s’agit là que d’une condamnation en demi-teinte, celle-ci étant tempérée par la faible portée des obligations positives que la Cour reconnaît à la charge de la France (B).
A. Une interprétation libérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 permettant d’aboutir à un constat de violation
Dans la perspective d’une condamnation de la France qui satisferait et donnerait corps à l’opinion libérale et humaniste, la Cour va devoir dépasser un certain nombre d’obstacles juridiques qui se dressent sur sa route, et qui vont nécessiter de sa part de développer une interprétation libérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, allant au-delà de ce que cet article, interprété littéralement, semble prescrire.
Premièrement, la Cour va devoir préciser la portée du droit consacré par l’article 3 § 2 : pour que la Cour soit en mesure de condamner l’État français et de mettre fin à la situation qui se présente à elle, il est nécessaire que l’article 3 § 2 du Protocole n°4 renferme un « droit d’entrer sur le territoire national » que la France, par sa décision de ne pas procéder au rapatriement des proches des requérants, aurait violé.
Or, ceci n’a, de prime abord, rien d’évident. L’article 3 § 2 du Protocole n°4 se lit comme suit : « [n]ul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant ». À la lecture de cette phrase, la portée du droit consacrée par cet article n’est pas claire. En effet, si l’on adopte une lecture littérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, il semblerait bien que cet article se borne à consacrer un « droit de ne pas être privé du droit » d’entrer sur le territoire national, et non un « droit d’entrer sur le territoire national ». La Convention ne reconnaîtrait ainsi aucun « droit d’entrer sur le territoire national », mais seulement un droit au bénéfice des nationaux de ne pas être privé du droit d’entrer sur ledit territoire – droit d’entrer sur le territoire qui trouverait sa source en dehors de la Convention, et par exemple dans le droit national. La Cour va donc devoir dépasser cette interprétation littérale, en recourant à la fois aux travaux préparatoires et à l’interprétation que d’autres organes de protection des droits de l’homme vont des dispositions analogues contenues dans les traités qu’ils sont chargés d’interpréter et d’appliquer. À l’aune de ces éléments, la Cour conclut que « l’article 3 § 2 du Protocole n°4 consacre bien un droit d’entrer du ressortissant sur le territoire national, à l’instar des textes équivalents de la DUDH, de la Charte africaine et de la CIDE » (§ 244).
Deuxièmement, la Cour va devoir se prononcer sur le champ d’application de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, ce qui revient à s’interroger sur la question de savoir si les mères et les enfants détenus au Kurdistan syrien ont été « privé » par les autorités françaises de leur droit d’entrer sur le territoire national. Ici encore, cela n’a rien d’évident. En effet, comme le dit la Cour, « [p]ris au sens littéral, le champ d’application de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 se limite aux seules mesures d’interdiction formelles de retour sur le territoire » (§ 250). Pour que cet article trouve à s’appliquer, il faudrait donc que l’État adopte une mesure privant formellement les proches des requérants de leur droit d’entrer sur le territoire national. Et il clair qu’en l’espèce, « la décision de refus opposée aux requérants n’a pas privé formellement leurs proches du droit d’entrer sur le territoire ni ne les a empêchés de le faire » (§ 207). On ne se trouve absolument pas dans la situation où, par exemple, les autorités françaises auraient adopté une décision administrative interdisant aux mères et aux enfants d’entrer sur le territoire national pour des raisons d’ordre public. Plus avant, il peut être argué que dans le cas d’espèce, l’impossibilité pour les mères et leurs enfants d’entrer sur le territoire français ne résulte pas d’une décision des autorités françaises, mais d’une décision des FDS : c’est parce qu’elles sont détenues par les FDS que les mères ne peuvent rentrer en France avec leurs enfants. Ainsi que le dit le Gouvernement français, « si les proches des requérants se présentaient à la frontière, ils ne seraient pas refoulés et pourraient entrer sur le territoire national » (§ 207) car aucune décision des autorités françaises ne leur interdit formellement de le faire. Il faut ajouter à cela que, dans le cas d’espèce, les proches des requérants se sont trouvés dans l’impossibilité matérielle de retourner sur le territoire français à la suite de leur départ volontaire dudit territoire en vue de rejoindre les rangs de l’EI en Syrie. Or, ainsi que le relève la Cour, on pourrait déduire du libellé de l’article 3 du Protocole n°4 (qui s’intitule « L’interdiction de l’expulsion des nationaux ») que cet article ne s’applique pas dans le cas où le ressortissant « a quitté volontairement le territoire national » (§ 246)… Par ailleurs, la maigre jurisprudence relative au champ d’application de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 ne va pas nécessairement dans le sens d’une interprétation plus libérale de son champ d’application. En effet, dans sa décision C.B. c. Allemagne, la Commission avait pu dire que l’article 3 § 2 du Protocole n°4 ne s’applique pas « aux mesures qui affectent le désir d’un requérant d’entrer dans un pays » (en l’occurrence, un mandat d’arrêt émis à l’encontre du requérant qui l’inciterait à ne pas rentrer sur le territoire allemand) ; pour la Commission, le champ d’application de cet article ne vise donc que les « privations réelles (actual deprivations) du droit des individus d’entrer dans le pays dont il sont ressortissants » 34. Et si la Commission ajoute que la privation peut être « plus ou moins formelle », il n’en demeure pas moins que le déclenchement de l’application de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 nécessite une mesure « privant » les ressortissants de leur droit d’entrer sur le territoire.
Tout l’effort produit par la Cour au stade de la recevabilité aurait été réduit à néant si elle s’était contentée d’une lecture littérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 et d’une vision restrictive de son champ d’application. En s’appuyant sur le principe jurisprudentiel voulant « qu’un obstacle de fait peut enfreindre la Convention à l’égal d’un obstacle juridique » (§ 250), la Cour va suivre les requérants et affirmer (avec une certaine retenue néanmoins) qu’« il n’est pas exclu que des mesures informelles ou indirectes qui privent de facto le national de la jouissance effective de son droit de rentrer puissent, selon les circonstances, être incompatibles avec cette disposition » (§ 250). Pour la Cour, les proches des requérants tombent donc dans le champ d’application de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, leur situation pouvant être assimilée à celle d’un « exil de fait ».
Enfin, la Cour va devoir se pencher sur la nature des obligations que l’article 3 § 2 du Protocole n°4 impose à l’État : pour parvenir à condamner l’État français, il est nécessaire que cette disposition renferme des obligations positives d’agir. En effet, ce que les requérants reprochent à la France en l’espèce, c’est une omission, soit le fait de n’avoir pas procédé au rapatriement de leurs filles et de leurs petits-enfants détenus dans le Nord-Est syrien alors même qu’ils en avaient formulé la demande. La « privation » du droit d’entrer sur le territoire national résulte donc, dans l’esprit des requérants, d’une omission, car c’est en ne mettant pas en œuvre les mesures positives exigées par les circonstances que la France a « privé » leurs proches de leur droit d’entrer. Nous nous trouvons donc bien sur le terrain des obligations positives : les requérants cherchent à démontrer que la France aurait dû agir pour protéger le « droit d’entrer sur le territoire national » reconnu par l’article 3 § 2 du Protocole n°4.
Une fois n’est pas coutume, une lecture littérale de cet article s’accorde difficilement avec les prétentions des requérants. En effet, l’article 3 § 2 du Protocole n°4 se borne a priori à imposer à l’État une obligation négative : celle de « ne pas priver » ses ressortissants de leur droit d’entrer sur le territoire national. De plus, si l’on suit « l’interprétation majoritaire » des organes de protection des droits de l’homme, la « portée » de l’obligation imposée par l’article 3 § 2 du Protocole n°4 correspond généralement « à une obligation négative de l’État qui doit s’abstenir de priver un national de son droit d’entrer sur le territoire » (§ 250). Néanmoins, la Cour va dépasser cette interprétation littérale en affirmant que « l’exécution d’un engagement assumé en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives de l’État » (ibid.), et qu’il est des situations dans lesquelles l’État « ne saurait se borner à demeurer passif » (ibid.). La Cour s’appuie ici sur le célèbre principe d’effectivité des droits, qui constitue un « principe général d’interprétation de l’ensemble des dispositions de la Convention et de ses Protocoles » et qui veut que « la Convention soit interprétée et appliquée d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives et non pas théories et illusoires » (§ 252). Elle rappelle également que « l’exercice effectif des droits garanties peut, dans certaines circonstances, imposer à l’État de mettre en œuvre des mesures opérationnelles » (ibid.). Cependant, pour l’article 3 § 2 du Protocole n°4 comme pour tous les autres droits garantis par la Convention et ses Protocoles, « l’étendue des obligations positives variera inévitablement en fonction de la diversité des situations dans les États contractants et des choix à faire en termes de priorités et de ressources », les obligations positives ne devant pas « être interprétées de manière à imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif » (ibid.).
Dans la présente affaire, toute la difficulté se situe à ce niveau précis, à savoir celui de l’étendue des obligations positives à la charge de la France. Jusqu’ici, la Cour a reconnu, au fruit d’une interprétation plutôt libérale, que l’article 3 § 2 du Protocole n°4 contenait bien un « droit d’entrer sur le territoire national » au profit des ressortissants des États contractants ; que les mères et les enfants détenus dans le Nord-Est syrien pouvaient se prévaloir de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, ceux-ci étant « privé de facto » de leur droit d’entrer sur le territoire national ; et enfin, que les États contractants pouvaient se voir imposer des obligations positives d’agir afin de garantir la jouissance effective de ce droit. Chacune de ces opérations a nécessité pour la Cour de dépasser l’interprétation littérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4. Néanmoins, la question de l’étendue des obligations positives met la Cour dans une situation autrement plus délicate, car ce dont il est question ici, c’est de l’obligation pesant sur l’État contractant d’agir en vue de mettre fin à une situation se déroulant non seulement en dehors du territoire national de l’État contractant, mais en plus en dehors de l’espace juridique des États membres du Conseil de l’Europe, sur un territoire où les agents de l’État contractant ne sont pas présents. À notre connaissance, une telle situation ne s’est jamais présentée devant la Cour de Strasbourg, et l’on comprend aisément que celle-ci place la Cour dans une situation très complexe : condamner la France suppose forcément de reconnaître dans une certaine mesure au moins une obligation positive d’agir vis-à-vis d’une situation largement hors du contrôle des autorités françaises.
Pour autant, la Cour ne va pas se défiler. Après avoir affirmé qu’il n’existait pas d’obligation positive pour l’État de procéder au rapatriement de ses ressortissants (nous reviendrons sur ce point), la Cour va juger que « l’article 3 § 2 du Protocole n°4 peut faire naître une obligation positive à la charge de l’État lorsque, eu égard aux particularités d’un cas donné, le refus de cet État d’entreprendre toute démarche conduirait le national concerné à se retrouver dans une situation comparable, de facto, à celle d’un exilé » (§ 260). Et en l’espèce, la Cour va dégager l’obligation positive à la charge de l’État « d’entourer le processus de décision quant aux demandes de retour [sur le territoire national] de garanties appropriées contre l’arbitraire » (§ 272). En effet, pour la Cour, « [l]’engagement pris par l’État en vertu de l’article 3 § 2 du Protocole n°4 et les droits individuels garantis par cette disposition seraient illusoires si le processus décisionnel concernant cette demande n’était pas entouré de garanties procédurales permettant d’éviter d’exposer les intéressés à l’arbitraire » (§ 274). À cette fin, la Cour s’appuie sur « les concepts de légalité et d’État de droit dans une société démocratique », dont elle avait déjà eu l’occasion d’affirmer qu’ils exigent « que les mesures qui affectent les droits fondamentaux doivent être soumises à une forme de procédure contradictoire devant un organe indépendant compétent pour examiner les motifs de la décision et les preuves pertinentes, le cas échéant avec les limitations procédurales appropriées pour l’examen d’informations classées secrètes lorsque la sécurité nationale est en jeu » (§ 275). Et la Cour précise que ce contrôle doit être réalisé « par un organe indépendant et détaché des autorités exécutives de l’État, sans pour autant qu’il doive s’agir d’un organe juridictionnel » (§ 276) – précision qui prend toute son importance lorsque l’on se rappelle que le juge administratif s’était déclaré incompétent pour contrôler ces demandes de retour sur le fondement de la théorie des actes de gouvernement. La Cour ne remet donc pas en cause la théorie des actes de gouvernement : les États contractants ont une marge de manœuvre dans la mise en place de cette procédure de contrôle de la légalité des demandes de retour sur le territoire national, l’important étant qu’une telle procédure existe, quelle que soit sa nature (juridictionnelle ou autre). Et la Cour insiste sur le fait que ce contrôle doit permettre à la fois de contrôler la légalité des décisions de refus d’entrer sur le territoire national, mais également au requérant « de prendre connaissance, même sommairement, des motifs de la décision et ainsi de vérifier que ceux-ci reposent sur une base factuelle suffisante et raisonnable » (ibid.). Dans le cas où cette demande de retour est formulée par ou au nom d’enfants mineurs, les autorités nationales doivent prendre en compte « l’intérêt supérieur des enfants ainsi que leur particulière vulnérabilité et leurs besoins spécifique » (ibid.). « En somme », conclut la Cour, « il doit exister un mécanisme de contrôle des décisions ne donnant pas suite aux demandes de retour sur le territoire national qui permet de vérifier que les motifs tirés de considérations impérieuses d’intérêt public ou de difficultés d’ordre juridique, diplomatique et matériel que les autorités exécutives pourraient légitimement invoquer sont bien dépourvus d’arbitraire » (ibid.).
En l’espèce, la Cour juge que les garanties dont ont bénéficié les requérants n’étaient « pas appropriées » (§ 278). Tout d’abord, concernant les demandes de rapatriement formulées auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et du Président de la République, la Cour relève qu’« aucune de ces autorités exécutives ne leur a répondu expressément » et que, même à l’audience, le Gouvernement français « n’a pas donné d’explication sur les raisons de leur silence » (§ 279). L’avocate des requérants n’aura reçu « en tout et pour tout qu’un document de politique générale » (ibid.) faisant état de la position du Gouvernement français sur les demandes de rapatriement des ressortissants français présents en Syrie et en Irak, et les demandes de retour n’auront jamais fait « l’objet de décisions individuelles » (ibid.). Par conséquent, ces procédures n’auront pas permis aux requérants de recevoir une « explication du choix qui sous-tend la décision prise par le pouvoir exécutif à leur égard hormis celle, implicite, qui ressort de la mise en œuvre de la politique suivie par la France », laquelle a pourtant « assuré le retour de plusieurs mineurs sur le sol national » (§ 280). Deuxièmement, la Cour estime que cette situation « ne pouvait pas être rectifiée par les procédures engagées devant les juridictions internes » (§ 281), celles-ci ayant décliné leur compétence en vertu de la théorie des actes de gouvernement. La Cour précise qu’il ne lui appartient pas « de s’immiscer dans l’équilibre institutionnel entre le pouvoir exécutif et les juridictions de l’État défendeur ni de porter une appréciation générale sur les hypothèses dans lesquelles elles déclinent leur compétence » ; tout ce qui importe, aux yeux de la cour, c’est « de savoir si les intéressés ont eu accès à un contrôle indépendant des décisions implicites de refus de rapatriement » qui auraient permis « d’examiner s’il existait des raisons légitimes et raisonnables dépourvues d’arbitraire justifiant ces décisions » (ibid.). Or, les procédures juridictionnelles engagées en interne n’ont pas permis d’atteindre ce résultat : « l’immunité juridictionnelle » qui leur fut opposée devant les juridictions administratives les a « privés de toute possibilité de contester utilement les motifs qui ont été retenus par ces autorités et de vérifier qu’ils ne reposent sur aucun arbitraire » (§ 282). Et la Cour de conclure à la violation de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, l’examen des demandes de retour sur le territoire national n’ayant pas « été entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire » (§ 283).
B. Une condamnation en demi-teinte : la faible portée des obligations positives à la charge de la France
La Cour parvient donc, aux termes d’un véritable effort interprétatif sur le terrain de l’exercice de juridiction – dont nous vu que la portée était en fait limitée aux circonstances exceptionnelles du cas d’espèce – et d’une interprétation libérale de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, à un constat de violation par la France de ses obligations positives. Au fond de l’arrêt comme sur le terrain de la recevabilité de la requête, il serait permis de voir une décision remarquablement progressiste : en plus d’avoir reconnu que la France exerçait sa « juridiction » vis-à-vis de ressortissants français détenus hors du territoire national par un groupe armé dont les actes ne sont pas attribuables à la France, la Cour juge que l’article 3 § 2 du Protocole n°4 imposait à la France certaines obligations positives d’agir vis-à-vis de la situation de ces ressortissants. Cependant, il ressort en réalité du raisonnement suivi par la Cour qu’il ne s’agit là que d’une condamnation en demi-teinte de la France, la Cour ayant très largement tempéré la portée des obligations positives à la charge de la France. Par les choix qu’elle opère, la Cour cherche en réalité à ménager les intérêts des États et à se prémunir par avance de toute critique d’activisme.
Notons tout d’abord que la Cour affiche une certaine déférence vis-à-vis des États et de leurs intérêts. Elle se dit « conscience des approches variées retenues par les États » en matière de politique de retour de leurs nationaux détenus dans le Nord-Est syrien, ceux-ci cherchant « à concilier les nécessités de la conduite de leurs politiques gouvernementales et le respect des obligations juridiques qui leur incombent en vertu du droit national ou international » (§ 262, affirmation très contestable pour ce qui concerne la France : celle-ci ne semble même pas avoir déterminé son comportement en se fondant sur « le respect des obligations juridiques qui lui incombent »…) ; elle se dit « particulièrement consciente des difficultés réelles que les États rencontrent pour protéger leurs populations de la violence terroriste et des préoccupations majeures que représentent les attentats perpétrés dans le contexte actuel » (§ 273), etc.
Mais l’effort déployé par la Cour de Strasbourg pour ménager au maximum les intérêts des États (tout en parvenant néanmoins à condamner la France dans le cas d’espèce) se voit surtout si l’on se penche sur ce que la Cour refuse de faire au fond de son arrêt.
Dans cette affaire, la Cour modifie sans vraiment le dire son approche générale de la théorie des obligations positives. Formulée de manière très générale, la théorie des obligations positives implique pour l’État d’« adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu » 35. Ce que la Cour contrôle habituellement, c’est donc la mise en œuvre, par l’État, des mesures « raisonnables et adéquates » pour protéger les droits de l’individu et garantir leur jouissance effective, étant entendu que 1) l’État jouit d’une « marge d’appréciation » dans le choix des mesures à mettre en œuvre, et que 2) les obligations positives « ne doivent pas non plus être interprétées de manière à imposer [à l’État] un fardeau insupportable ou excessif » 36.
Or, dans son arrêt, la Cour ne se pose jamais la question de savoir si la France aurait pu mettre en œuvre certaines mesures « adéquates et raisonnables », ne constituant pas non plus un « fardeau excessif », afin de garantir la jouissance effective du droit d’entrer sur le territoire national. Comme le relèvent deux juges dans leur opinion séparée, la Cour esquive toute « la jurisprudence constante de la Cour en matière d’obligations positives », ce qui aurait dû l’amener à définir en termes généraux les obligations positives découlant de l’article 3 § 2 du Protocole n°4, par exemple de la manière suivante : « on ne peut exiger d’un État ni plus (ni moins) que de prendre de bonne foi des mesures réelles, raisonnables et non discriminatoires afin de faciliter le retour d’un de ses ressortissants, à moins qu’un motif conforme à la Convention ne justifie son refus de le faire » 37. Sur ce point, la Cour se contente de dire que « l’exercice effectif des droits garantis peut, dans certaines circonstances, imposer à l’État de mettre en œuvre des mesures opérationnelles » (§ 252). Mais à aucun moment la Cour ne se demande si de telles « mesures opérationnelles » auraient pu être mises en œuvre pour protéger le droit d’entrer sur le territoire national sans imposer un « fardeau excessif » aux autorités françaises. La Cour ne cherche aucunement à « évaluer la faisabilité juridique et pratique » de la mise en œuvre par la France de mesures matérielles, telles que le rapatriement, afin de garantir la jouissance effective du droit garanti par l’article 3 § 2 du Protocole n°4.
Or, il y avait de nombreuses choses à dire sur ce point. Premièrement, se posait la question de savoir si le fait pour la France de procéder directement au rapatriement de ses ressortissants détenus au Kurdistan syrien – mesure « adéquate » à la jouissance effective du droit d’entrer sur le territoire national s’il en est – constituait véritablement une mesure « déraisonnable » imposant un « fardeau excessif » aux autorités françaises. Aux regards des faits exceptionnels de l’espèce, il est permis d’en douter. Il se peut bien, comme le prétend le Gouvernement français, que les opérations de rapatriement sont des opérations complexes et difficiles « compte tenu notamment de la situation sécuritaire incertaine et évolutive de la zone » (§ 253). Mais ces difficultés affichées par le Gouvernement français sont battues en brèche par un fait incontestable : à la date de l’arrêt, le Gouvernement français avait déjà procédé à pas moins de cinq opérations de rapatriement de ses ressortissants. En quoi exiger du Gouvernement français qu’il en mène une sixième aurait-il été « déraisonnable » ? Rappelons également que les FDS affichaient ouvertement leur souhait que les États concernés rapatrient leurs ressortissants (et tous les États qui avaient souhaité le faire avaient jusqu’à présent pu le faire), et que les proches des requérants étaient détenues dans une zone qui, bien que située sur le territoire syrien, échappait au contrôle des autorités de Damas de sorte que la France aurait pu se passer du consentement du régime syrien pour effectuer de telles opérations sur son territoire. Deuxièmement, la Cour aurait pu se poser la question de savoir si la France aurait pu mettre en œuvre d’autres mesures que le simple rapatriement pour garantir la jouissance effective du droit des mères et des enfants d’entrer sur le territoire français. À ce titre, les Rapporteures spéciales relèvent que « des partenariats efficaces peuvent être mis en place pour retrouver, identifier et fournir les moyens pratiques nécessaires pour extraire des individus de territoires sous le contrôle d’acteurs non-étatiques et assurer en toute sécurité leur retour dans leur pays d’origine » 38 En particulier, les États-Unis d’Amérique proposaient de mettre à disposition des États concernés les moyens matériels et humains propres à assurer le retour de leurs ressortissants sur le territoire national. Certains États, tels que l’Algérie, avaient ainsi pu rapatrier leurs ressortissants via les moyens déployés par les états-uniens. Une telle option était-elle envisageable dans le cas d’espèce ? Exiger de la France des tractations en ce sens aurait-il été « déraisonnable » ? Ceci aurait-il fait peser sur les autorités un « fardeau excessif » ? De tout ceci, la Cour ne discute pas.
Au lieu de s’interroger sur les mesures matérielles que la France aurait pu mettre en œuvre pour garantir la jouissance du droit d’entrer sur le territoire national, la Cour se réfugie dans une vision strictement procédurale des obligations positives découlant de l’article 3 § 2 du Protocole n°4. Si, pour la Cour, l’article 3 § 2 du Protocole n°4 « peut faire naître une obligation positive à la charge de l’État » lorsque le « refus d’entreprendre toute démarche conduirait le national concerné à se retrouver dans une situation comparable, de facto, à celle d’un exilé » (§ 260), une telle obligation doit recevoir une « interprétation étroite » et n’être opposable à l’État « qu’en présence de circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque des éléments extraterritoriaux menacent directement l’intégrité physique et la vie d’un enfant placé dans une situation de grande vulnérabilité » (§ 261). En de telles circonstances, la Cour dit que son contrôle « se limitera à l’existence d’une protection effective contre l’arbitraire dans la manière dont l’État en question s’est acquitté de son obligation positive » (ibid.)… En somme, en refusant d’appliquer sa jurisprudence générale en matière d’obligation positive et d’accepter de reconnaître que la protection d’un droit matériel suppose pour l’État la mise en œuvre de mesures matérielles, la seule obligation positive qui pèse sur l’État, c’est « une simple obligation de prévenir l’arbitraire 39 – ce qui revient, en d’autres termes, « à autoriser certaines formes d’exil non arbitraire » …
La Cour semble justifier son choix de ne pas procéder à un tel contrôle par le fait « qu’aucune obligation de droit international conventionnel ou coutumier ne contraint les États à rapatrier leurs ressortissants » (§ 259). Ceci est parfaitement exact. Mais là n’est pas la question : il se peut parfaitement que, dans certaines situations exceptionnelles, rapatrier des ressortissants ne constitue pas une mesure « déraisonnable » imposant un « fardeau insupportable ou excessif » aux autorités, de sorte qu’une telle mesure doive être mise en œuvre afin de garantir la jouissance effective du droit d’entrer sur le territoire national. Évidemment, dans la plupart des situations, une telle obligation serait complètement déraisonnable : on ne saurait, par exemple, exiger d’un État qu’il planifie et mette en œuvre une opération visant à rapatrier ses ressortissants détenus par un autre État à l’issue d’une procédure pénale ou bien ses ressortissants pris en otage par des groupes terroristes à l’autre bout de la planète. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce : il s’agit là d’une opération à la portée des autorités françaises, comme le montre le fait patent qu’elles ont déjà planifié, programmé et exécuté cinq opérations de rapatriement. Il se peut même que la présente affaire ait été l’un des très rares exemples dans lesquels exiger d’un État le rapatriement de ses ressortissants aurait été un choix tout à fait raisonnable…
La véritable raison sous-jacente au choix de la Cour nous semble résider dans le fait qu’imposer aux États une obligation positive d’agir matériellement ou même diplomatiquement en dehors de leur territoire national (et en plus, hors de l’espace juridique du Conseil de l’Europe) pour protéger les droits individuels constitue une étape que la Cour n’est pas prête à franchir. En vérité, le « choix de la majorité s’inscrit dans une optique de résultat », soit « éviter d’ »ouvrir les vannes » qui feraient peser sur les États une charge excessive pour faciliter les rapatriements de leurs ressortissants se trouvant dans différentes situations de détresse à l’étranger » 40. Par le passé, la Cour a pourtant déjà reconnu une obligation positive à la charge de l’État d’agir les droits de personnes se trouvant sur un territoire qui n’est pas sous le contrôle dudit État. Dans l’affaire Ilascu et autres c. Moldova et Russie, la Cour avait ainsi pu dire que « même en l’absence de contrôle effectif sur la région transnistrienne, la Moldova demeure tenue (…) par l’obligation positive de prendre les mesures qui sont en son pouvoir et en conformité avec le droit international – qu’elles soient d’ordre diplomatique, économique, judiciaire ou autre – afin d’assurer dans le chef des requérants le respect des droits garantis par la Convention » 41. Il est vrai que la Transnistrie est une région située sur le territoire Moldave, soustrait à son emprise par une administration locale subordonnée à la Russie ; mais cette subtilité n’est que purement formelle : l’important, c’est qu’un État contractant se soit vu imposer l’obligation d’agir pour influencer la situation juridique de personnes se trouvant sur un territoire qu’il ne contrôle pas matériellement. Et dans l’affaire Treska c. Albanie et Italie, la Cour avait confirmé que « [m]ême en l’absence de contrôle effectif d’un territoire hors de ses frontières, l’État a toujours l’obligation positive découlant de l’article 1er de la convention de prendre les mesures diplomatiques, économiques, judiciaires ou autres qui sont en son pouvoir et en conformité avec le droit international pour assurer aux requérants le respect des droits garantis par la Convention » 42.
Par ailleurs, le choix de ne consacrer qu’une obligation positive de nature procédurale cadre mal avec le caractère absolu de l’interdiction de l’exil. Ainsi que le relèvent les juges Pavli et Schembri Orland dans leur opinion séparée, l’étude des travaux préparatoires de l’article 3 du Protocole n°4 révèle que les rédacteurs avaient pour intention expresse de prononcer une « condamnation absolue et inconditionnelle de l’exil » dans le « cercle homogène du Conseil de l’Europe » 43. Ceci avait justifié la suppression du terme « arbitrairement » du texte initial, qui reproduisait la disposition équivalente du PIDCP. En consacrant cette simple obligation positive de prévenir l’arbitraire, la Cour réintroduit donc le caractère relatif de la proscription de l’exil des nationaux, pourvu que la décision ayant présidé à la condamnation des ressortissants à un « exil de fait » ait été dépourvue d’arbitraire… Nous touchons là aux limites de la procéduralisation des obligations positives découlant de droits matériels. Et par ailleurs, puisque le contrôle devant être mis en œuvre au niveau national par l’organe de contrôle des décisions de refus de rapatriement suppose forcément de se pencher sur le fond de la décision de ne pas rapatrier (l’organe de contrôle doit contrôler « les motifs » (§ 276) présidant à la décision), la question de savoir quelles obligations pèsent sur l’État dans le cas où cette décision n’est pas justifiée au fond continue de se poser. Si l’organe de contrôle constate que la décision de ne pas rapatrier est illicite au fond, l’État doit-il mettre en œuvre des mesures matérielles afin de faciliter le retour sur le territoire national ? Cette question reste en suspens.
Il n’en demeure pas moins que, par cet arrêt, la Cour de Strasbourg parvient avec brio à se dépêtrer d’une situation extrêmement délicate et à résoudre la « double contrainte » à laquelle elle fait face : mettre fin à une situation objectivement injuste dans laquelle des enfants se trouvent victimes des choix irresponsables de leurs parents et de l’État français, tout en limitant au maximum la portée de sa décision afin de ne pas brusquer les États partie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Notes:
- L’auteur tient à remercier les organisateurs de la Deuxième journée d’étude Paul Tavernier, et tout particulièrement M. Mustapha Afroukh et le Pr. Sébastien Touzé, pour leur invitation à participer à ce colloque. Il tient également à remercier Victoria Dhaisne, Cécile Goubault-Larrecq et Claire Méric, doctorantes au CRDH, pour les discussions passionnées auxquelles cet arrêt à donné lieu. Toutes les erreurs éventuelles relèvent néanmoins de la responsabilité seule de l’auteur ↩
- « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, en hommage aux premiers maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, à Paris le 14 mai 2019 », Vie publique, accessible à l’adresse suivante : https://www.vie-publique.fr/discours/268584-emmanuel-macron-14052019-militaire-hommage ↩
- Code civil, art. 18 : « Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français » ↩
- CICR, « Syrie : un camp qui fourmille d’enfants. Récit de Mari Aftret Mortvedt, CICR », 26 juillet 2019, disponible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/document/syrie-un-camp-qui-fourmille-denfants ↩
- CICR, « Déclaration du président du CICR Peter Maurer, au terme de sa visite de cinq jours à Damas et dans le nord-est de la Syrie », 22 mars 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/document/declaration-du-president-du-cicr-peter-maurer-au-terme-de-sa-visite-de-cinq-jours-damas-et ↩
- En plus des rapports suscités, voir notamment (par ordre chronologique) : OMS, « WHO concerned over critical health situation in Al-Hol camp, Al-Hasakeh », communiqué de presse du 31 janvier 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.emro.who.int/syria/news/who-concerned-over-critical-health-situation-in-al-hol-camp-al-hasakeh.html ; ONU, « Syrie : forte augmentation du nombre d’enfants morts de froid dans les camps (UNICEF) », communiqué de presse du 27 février 2019, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/fr/story/2019/02/1037392 ; UNICEF, « Protégez les droits des enfants des combattants étrangers bloqués en Syrie et en Iraq », déclaration de Henrietta Fore, directrice générale de l’UNICEF, 21 mai 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.unicef.org/fr/communiqu%C3%A9s-de-presse/protegez-les-droits-des-enfants-des-combattants-etrangers- ; Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, « Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient rapatrier d’urgence leurs ressortissants mineurs bloqués dans le nord de la Syrie », 28 mai 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/council-of-europe-member-states-should-urgently-repatriate-their-under-age-nationals-stranded-in-northern-syria ; ONU, « La cheffe des droits de l’homme de l’ONU plaide pour le rapatriement des familles de djihadistes », 24 juin 2019, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/fr/story/2019/06/1046181 ; Human Rights Watch, « Syrie : les familles des membres présumés de l’EI sont détenues dans des conditions déplorables », 23 juillet 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/fr/news/2019/07/23/syrie-les-familles-des-membres-presumes-de-lei-sont-detenues-dans-des-conditions ↩
- OCHA, « Syria : Humanitarian Response in Al Hol Camp. Situation Report No. 2 », 20 avril 2019, disponible à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/syria-humanitarian-response-al-hol-camp-situation-report-no-2-enar ↩
- Mathieu Suc, « Emmanuel Macron ne veut plus rapatrier les djihadistes français », Mediapart, 1er mars 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.mediapart.fr/journal/international/010319/emmanuel-macron-ne-veut-plus-rapatrier-les-djihadistes-francais ↩
- Elise Vincent, Nathalie Guibert, « La France a rapatrié de Syrie cinq enfants orphelins de djihadistes », Le Monde, 15 mars 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/15/enfants-de-djihadistes-la-france-a-rapatrie-de-syrie-plusieurs-orphelins_5436588_3210.html ↩
- En pratique, la France accepte de rapatrier des orphelins ou des enfants dans le cas où leur mère, présente avec eux dans les camps du Nord-Est syrien, accepte de renoncer à l’exercice de ses droits parentaux. Si les rapatriements concernaient dans un premier temps des enfants gravement malades ou blessés, ils furent rapidement étendus à l’ensemble des enfants, quelle que soit leur état de santé ↩
- Elise Vincent, Nathalie Guibert, « La France a rapatrié de Syrie cinq enfants orphelins de djihadistes », op. cit ↩
- Marc Semo, « Rapatriement de douze orphelins liés à l’EI : l’approche au cas par cas, « position constante » de la France », Le Monde, 10 juin 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/10/les-kurdes-de-syrie-remettent-a-la-france-12-orphelins-de-familles-djihadistes_5474162_3210.html) ↩
- Hélène Sallon, « Paris rapatrie en urgence une enfant française malade du Nord-Est syrien », Le Monde, 23 avril 2020, accessible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/23/paris-rapatrie-en-urgence-une-enfant-francaise-du-nord-est-syrien_6037575_3210.html ↩
- Allan Kaval, « Les Kurdes demandent le départ des djihadistes étrangers détenus en Syrie », Le Monde, 8 octobre 2018, accessible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2018/10/08/djihadistes-etrangers-detenus-en-syrie-les-kurdes-demandent-leur-rapatriement_5366374_3210.html) ↩
- « Syrie : face à l’afflux de déplacés, les forces anti-EI en appellent aux pays concernés », La Croix, 24 février 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.la-croix.com/Monde/Syrie-face-afflux-deplaces-forces-anti-EI-appellent-pays-concernes-2019-02-24-1301004700) ↩
- CEDH, Gde ch., 14 sept. 2022, H.F. et autres c. France, n°24384/19 et 44234/20, § 29 ↩
- Nous laissons de côté la question relative à la qualité de victime des requérants. Ce point de droit, bien qu’extrêmement intéressant en tant que tel, est traité de manière assez « classique » par la Cour de Strasbourg et ne nous semble pas nécessiter de développements plus approfondis dans le cadre de cette étude ↩
- Dans ses écritures, le Gouvernement français ne discute d’ailleurs pas ce point ↩
- Comme en témoigne notamment le nombre très important d’organisations de défense des droits de l’Homme participant à la procédure en tant que tiers intervenants ↩
- CEDH, La conscience de l’Europe. 50 ans de la Cour européenne des droits de l’homme, Londres, Third Millenium, 2010 ↩
- Sept États participent à la procédure en tant que tiers intervenants : la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède ↩
- CEDH, arrêt du 7 juil. 2011, Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, n°55721/07, § 130 : « La « juridiction », au sens de l’article 1, est une condition sine qua non. Elle doit avoir été exercée pour qu’un Etat contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention » ↩
- Certains auteurs avaient d’ailleurs fait part de leur perplexité à cet égard. Voir Julian Fernandez, Muriel Ubeda-Saillard, « Macron, criminel de guerre ? A propos du sort réservé aux enfants français retenus en Syrie et de la « plainte » déposée à la Cour pénale internationale », Le blog des juristes, 20 avril 2021, accessible à l’adresse suivante : https://blog.leclubdesjuristes.com/emmanuel-macron-criminel-de-guerre-a-propos-du-sort-reserve-aux-enfants-francais-detenus-en-syrie-et-de-la-plainte-deposee-a-la-cour-penale-internationale-par-julian-fernandez-e/) ↩
- Dans sa jurisprudence en langue française, la Cour affirme en réalité que c’est la « compétence juridictionnelle » de l’État qui est « principalement territoriale », sans jamais expliquer le lien entre cette notion et celle de « juridiction » au sens de l’article 1er de la Convention. La comparaison avec les arrêts rédigés ou traduits en langue anglaise ne fait qu’ajouter de la confusion à cet égard ↩
- Il s’agit des arrêts Markovic et autre c. Italie et Güzelyurtlü et autres c. Turquie ↩
- CEDH, décision du 5 mai 2020, M.N. et autres c. Belgique, n°3599/18, § 112 ↩
- Pierre Bourdieu, « La force du droit. Eléments pour une sociologie du champ juridique », A.R.S.S., vol. 64, sept. 1986, pp. 3-4 ↩
- Comme le relève par exemple la Pr. Ubéda-Saillard, le pouvoir juridiquement reconnu de l’État de nationalité de « protéger ses nationaux lorsqu’ils sont victimes de mauvais traitements à l’étranger » est une « expression de sa compétence personnelle ». Muriel Ubéda-Saillard, « Les aspects opérationnels de l’exercice de la compétence personnelle à l’égard des nationaux à l’étranger », AFDI, 2009, p. 138 ↩
- Comité des droits de l’homme, Observation générale n°36 (article 6 : droit à la vie), 3 sept. 2019, doc. N.U. CCPR/C/GC/36 ↩
- Rapporteure spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, « Extraterritorial jurisdiction of States over children and their guardians in camps, prisons, or elsewhere in the northern Syrian Arab Republic », non daté (2020), § 15. Document disponible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Executions/UNSRsPublicJurisdictionAnalysis2020.pdf)) ↩
- CDE, constatations du 8 fév. 2022, F.B. et autres et D.A. et autres c. France, doc. N.U. CRC/C/89/D/77/2019, § 6.4. Une telle interprétation de la notion de juridiction est également défendue par certains tiers intervenants, comme le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand. Voir l’arrêt commenté, § 183 ↩
- Pour la réaction de la France à cette interprétation de la notion de juridiction, voir l’arrêt commenté, § 159 : « le Gouvernement avertit qu’une juridiction fondée sur la capacité d’action des États aboutirait à la création d’une juridiction « à la carte » à hauteur de la capacité d’agir des États, relative et évolutive, qui serait source d’une grande insécurité juridique pour eux. Cette insécurité découlerait également de la difficulté pour la Cour de porter une appréciation sur la conduite des relations internationales par les États » ↩
- CEDH, 12 sept. 2012, Nada c. Suisse, n°10593/08, § 122 ↩
- Com. EDH, décision du 11 janv. 1994, C.B. c. Allemagne, n°22012/93, § 3 ↩
- Voir par exemple CEDH, arrêt du 9 déc. 1994, Lopez-Ostra c. Espagne, n°16798/90, § 51 ↩
- Voir par exemple, CEDH, arrêt du 8 juil. 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie, n°48787/99, § 332 ↩
- Opinion concordante commune aux juges Pavil et Schembri Orland, § 2 ↩
- Rapporteure spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, « Extraterritorial jurisdiction of States over children and their guardians in camps, prisons, or elsewhere in the northern Syrian Arab Republic », op. cit. ↩
- Opinion concordante commune aux juges Pavil et Schembri Orland, § 3 ↩
- Opinion concordante commune aux juges Pavil et Schembri Orland, § 3 ↩
- CEDH, arrêt du 8 juil. 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie, op. cit., § 331 ↩
- Cour EDH, décision du 29 juin 2006, Treska c. Albanie et Italie, n°26937/04, p. 12 ↩
- Opinion concordante commune aux juges Pavil et Schembri Orland, § 3 ↩