Penser la complémentarité de l’action de la Cour européenne des droits de l’homme et des institutions non juridictionnelles du Conseil de l’Europe
Noël Boy est doctorant à l’Université de Montpellier – IDEDH
Dans les altercations opposant les gouvernements populistes aux organisations européennes quant au respect de l’État de droit, certains acteurs focalisent davantage l’attention que d’autres. Dans le cadre de l’Union européenne, plusieurs institutions jouent concomitamment un rôle clef, comme la Cour de Justice de l’Union européenne, la Commission européenne ou encore le Parlement européen. En revanche, au sein du Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CourEDH) est l’acteur concentrant généralement toute l’attention. Or, le système conventionnel est loin de reposer exclusivement sur la Cour européenne des droits de l’homme, ce que le phénomène de la crise de l’État de droit a permis de mettre en exergue en mobilisant d’autres acteurs au sein du Conseil de l’Europe.
C’est l’articulation de leurs actions qui nous amène à nous intéresser à la complémentarité entre l’action de la CourEDH et les institutions non juridictionnelles du Conseil de l’Europe dans le contexte de la crise de l’État de droit.
Ce phénomène concerne actuellement les États européens au sein desquels les actions et réformes entreprises par des gouvernements s’insèrent dans « un processus de démantèlement de l’État de droit en s’en prenant à la justice constitutionnelle, à l’indépendance de la justice, à la liberté de la presse, aux réfugiés, aux minorités, etc. »[1]. Ainsi, tandis que la formule de « crise de l’État de droit » a pu être utilisée de manière plus générale pour faire référence aux atteintes que la notion connaît depuis les années 2000 – en raison des politiques antiterroristes ou de la multiplication des situations d’état d’urgence[2] – nos développements resteront ici concentrés sur la crise de l’État de droit comprise comme l’ensemble des réformes nationales mises en place par les gouvernements populistes et venant porter atteinte à la notion d’État de droit[3].
Ces atteintes, bien qu’intervenant au sein des États, affectent néanmoins largement le Conseil de l’Europe. En effet, les organes du Conseil de l’Europe sont pleinement touchés par cette crise qui entraîne une importante remise en question de l’organisation, qu’il s’agisse de son autorité ou encore de son mode de fonctionnement.
Cette remise en cause va concerner non seulement la CourEDH – la forçant à développer dans sa jurisprudence la notion de l’État de droit[4] – mais aussi d’autres acteurs du Conseil de l’Europe. Ainsi, si plusieurs institutions ou organes du Conseil de l’Europe sont amenés à intervenir dans le cadre de la crise de l’État de droit[5], notre attention se portera dans le cadre de la présente contribution sur la complémentarité entre l’action de la CourEDH, de la Commission de Venise et du Comité des ministres. L’action du Comité des ministres, tout d’abord, semble être un choix obvie tant son action de surveillance de l’exécution des arrêts complète le travail et l’action de la CourEDH[6]. Le choix de la Commission de Venise s’impose quant à lui au regard des avis émis ainsi que du travail de définition effectué par cet organe, ses travaux venant compléter en amont l’action de la CourEDH, tout particulièrement dans le domaine de l’État de droit.
Enfin, cette contribution s’insère dans une réflexion plus générale portant sur « les juridictions supranationales européennes et la crise de l’état de droit » et plus particulièrement dans la thématique du troisième axe de ce colloque cherchant à s’interroger sur l’opportunité de repenser le rôle des juridictions supranationales européennes à la suite de la crise de l’État de droit. Au regard de ces éléments, notre contribution portera par conséquent sur la manière dont la crise de l’État de droit nous permet de repenser la complémentarité entre la CourEDH, le Comité des ministres et la Commission de Venise. Celle-ci a en effet permis de mettre en lumière les imperfections de ce système tripartite – composé par la Commission, la Cour et le Comité – (I), mais également de nous interroger sur les opportunités de changements et adaptations possibles de ce système (II).
I) Une crise révélatrice d’imperfections
La crise de l’État de droit va avoir des répercussions non seulement au sein même des États mais également au sein du Conseil de l’Europe en ce qu’elle permet de souligner voire d’accentuer certaines imperfections du système conventionnel. En effet, cette crise révèle non seulement le caractère asymétrique de la complémentarité d’action entre la Cour, la Commission de Venise et le Comité des ministres (A) mais aussi son caractère limité (B).
A) Une complémentarité asymétrique
La complémentarité de l’action de la CourEDH, la Commission de Venise et du Comité des ministres peut être considérée comme asymétrique en ce que le système conventionnel repose presque exclusivement sur la collaboration entre la CourEDH et le Comité des ministres. Chargé, en vertu de l’article 46 de la Convention, de surveiller la bonne exécution des arrêts rendus par la Cour[7], le Comité voit son rôle se renforcer depuis l’entrée en vigueur du Protocole 14 le 1er juin 2010[8]. Le rôle du Comité des ministres va également s’accentuer à la suite des Conférences de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme de 2010, 2011 et 2012 donnant lieu respectivement à la Déclaration d’Interlaken[9], la déclaration d’Izmir[10] et la Déclaration de Brighton[11] et insistant sur la nécessité d’améliorer le travail de surveillance des arrêts par le Comité des ministres[12]. Dès lors, et malgré les critiques ou les doutes existant quant à la composition politique de cet organe[13], le Comité des ministres se voit systématiquement et efficacement lié au travail interprétatif de la Cour[14].
À l’inverse, l’action de la Commission de Venise est bien plus diffuse et fragmentée. Cette Commission, créée en 1990, ne voit la promotion de l’État de droit et de la démocratie incluse dans ses objectifs qu’en 2004 lors de la révision de son statut. Des références aux travaux de la Commission de Venise apparaissent dans environ 600 arrêts et décisions de la Cour depuis 2001[15]. Au sein de ceux-ci, environ 160 font référence aux travaux de la Commission de Venise sur l’État de droit – soit un peu plus d’un quart des références totales. Enfin, parmi ces résultats, nous constatons qu’environ la moitié – soit 80 – concernent les atteintes portées à l’Etat de droit via les violations constatées de l’article 6 de la Convention. Ces références deviennent par ailleurs de plus en plus fréquentes au fur et à mesure des années[16].
Au regard de ces chiffres, nous pouvons tout d’abord constater qu’une partie conséquente des références aux travaux de la Commission de Venise concernent des procédures touchant, de près ou de loin, à des questions portant sur le respect de l’État de droit. De plus, il ressort qu’une grande partie des références interviennent tout particulièrement dans des affaires relatives à des atteintes portées aux systèmes judiciaires des États parties. Nous pouvons à titre d’exemple évoquer des arrêts de principes tels que les affaires Baka contre Hongrie[17] ; Ramos Nunes de Carvalho e Sá contre Portugal[18] ou encore Guðmundur Andri Ástráðsson contre Islande[19]. Plus précisément encore, les rapports de la Commission ont permis d’appuyer le raisonnement de la CourEDH dans de nombreux arrêts relatifs à son bras de fer engagé avec la Pologne vis-à-vis des différentes réformes législatives mises en place par le gouvernement au pouvoir depuis 2015. Nous notons ainsi un appui important sur les travaux de la Commission tout particulièrement dans les premières affaires relatives aux changements intervenus dans le système judiciaire polonais[20]. Les travaux de la Commission de Venise sont ainsi régulièrement mobilisés par la Cour dans sa motivation relative à la protection de l’État de droit.
Ces références se justifient dans la mesure où la Commission de Venise a effectué un travail d’envergure quant à la définition et la clarification du concept d’État de droit – et avant cela de prééminence du droit. En effet, d’un point de vue formel, la notion de « rule of law » n’apparaît, dans la Convention européenne des droits de l’homme, que dans le préambule[21]. La notion se retrouve enfin dans le Statut du Conseil de l’Europe, à la fois dans son Préambule,[22] mais aussi dans son article 3 lequel dispose que tout État membre « reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Au-delà de ces mentions éparses, la notion de l’État de droit a également connu une utilisation et des explications laconiques de la part de la Cour[23], rendant le travail de définition de la Commission de Venise d’autant plus nécessaire[24].
Nous devons à la Commission de Venise, à travers son « rapport sur la prééminence du droit » de 2011 et sa « liste des critères de l’État de droit » de 2016 d’apporter une grille de lecture et une délimitation plus claire au concept d’État de Droit[25]. En cela, l’asymétrie soulevée précédemment – asymétrie entre l’action systématique du Comité et celle, ponctuelle, de la Commission – semblerait contrebalancée. En effet, si le Comité des ministres intervenait systématiquement, en tant qu’acteur ordinaire pour compléter l’action de la Cour, la Commission interviendrait quant à elle en tant qu’acteur exceptionnel[26] apportant son expertise sur des sujets précis, comme celui de l’État de droit.
Nous pourrions envisager ainsi la complémentarité entre ces différents acteurs si n’intervenait pas une seconde asymétrie. En effet, les documents adoptés par la Commission de Venise ne sont pas opposables aux États membres du Conseil de l’Europe, ils n’ont pas de caractère contraignant, ne permettant pas de sanctionner un État qui ne respecterait pas les indications de cet organe. Dans ce sens, nous constatons que les différents avis rendus par la Commission au sujet des réformes polonaises – qu’il s’agisse des réformes concernant la Cour constitutionnelle[27] ou encore celles portant sur la mise à la retraite d’office des juges[28] – sont majoritairement ignorés par la Pologne. Si la Commission peut proposer une définition et une grille de critères de la notion, elle n’est pas en mesure de l’imposer. La Cour EDH pourrait potentiellement faire siens les critères développés par la Commission, les rendant ainsi contraignants grâce à la force obligatoire de ses arrêts. Une telle appropriation du travail de la Commission permettrait dès lors à la Cour de pouvoir opposer cette définition et ces critères aux États dont les actions ont pour conséquence de mettre l’État de droit en porte à faux. Néanmoins, qu’il s’agisse d’une volonté de garder un dialogue ouvert ou bien d’une crainte des critiques qu’engendrerait une telle action, la Cour n’a aujourd’hui pas encore franchi le pas en intégrant dans son argumentation les éléments de définitions mis en avant par la Commission.
Ainsi, dans le contexte de la crise de l’État de droit, la complémentarité asymétrique entre la Commission de Venise et la Cour européenne des droits de l’Homme semble représenter une première limite. En effet, les efforts de définition et d’expertise effectués par la Commission sont des outils dont la Cour doit user avec parcimonie, dans la mesure où, il ne s’agit pas d’outils pouvant être légitimement imposés aux États parties à la Convention.
B) Une complémentarité limitée
À côté de cette asymétrie, la crise de l’État de droit a mis en exergue de manière générale les limites inhérentes au système conventionnel, lesquelles concernent notamment l’action de la Commission de Venise et celle du Comité des ministres.
Les limites relatives à l’action de la Commission de Venise concernent le travail de définition déjà évoqué précédemment. Les efforts de définition de l’État de droit restent relativement récents, le travail de la Commission restant encore aujourd’hui inachevé. Deux illustrations des limites de la définition proposée par la Commission nous semblent ici particulièrement pertinentes.
Premièrement, le travail de définition demeure essentiellement concentré sur le volet formel de l’État de droit, les implications de son volet substantiel étant, quant à elles, beaucoup plus floues[29]. Il serait possible d’argumenter que ce manque de précision n’est pas une limite, mais au contraire une force. Faire de l’État de droit un concept pouvant devenir un principe directeur de la Convention, pouvant être mobilisé à l’appui de toute violation des droits garantis, pourrait en effet constituer un atout considérable dans l’interprétation effectué par la Cour[30].
À l’inverse, une définition clairement délimitée de l’État de droit serait vue comme un frein à l’efficacité de son action. Dans le débat portant sur la question de la portée à octroyer à l’État de droit, nous serions ici plus enclins à défendre la thèse d’une notion clairement définie et délimitée permettant d’écarter toute remise en question ou doute quant à son application. Une définition conduisant à un concept diffus aux applications systématiques reviendrait selon nous à affaiblir la notion et à diluer son importance. Une interprétation trop large du volet substantiel de l’État de droit signifierait alors que toute violation d’un droit conventionnel constituerait une violation de l’État de droit dans son volet substantiel. Dès lors, dans une situation de violation permanente des éléments constitutifs de l’État de droit, la notion de crise de l’État de droit telle que nous l’entendons pour parler de la situation de certains États perdrait tout son sens puisque la crise serait alors généralisée.
Sans discuter de la capacité du Conseil de l’Europe à réagir à une situation de violation globalisée de l’État de droit, nous pouvons d’ores et déjà constater, à l’heure actuelle, des limites concernant l’action de la Commission de Venise dans le cadre de la crise de l’État de droit en Pologne et en Hongrie. En effet, si la Commission de Venise considère être parvenue à délimiter un tronc commun quant à la définition de l’État de droit, cette notion – considérée comme faisant partie du patrimoine commun des États européens – reste encore aujourd’hui très marquée par des influences historiques d’Europe de l’Ouest. En effet, la définition retenue par la Commission de Venise se fonde principalement sur les expériences passées et les obstacles survenus dans les États originaires du Conseil de l’Europe[31]. De fait, cette définition peine à prendre en considération les obstacles, passés ou actuels, provenant particulièrement des États d’Europe centrale et orientale tels que le formalisme judiciaire[32] ou bien les résistances de la part de gouvernements populistes[33]. Ces obstacles témoignent ainsi aujourd’hui des difficultés à dépasser dans le cadre de la définition de l’État de droit, difficultés que la Commission de Venise semble encore avoir du mal à prendre en considération dans ses travaux.
Au-delà des problèmes que soulèvent les comportements des gouvernements populistes pour le travail de la Commission de Venise, nous pouvons relever que le Comité des ministres est lui aussi impacté par ces attitudes nationales qui constituent des limites importantes dans l’action de l’organe. De par sa nature politique, cet organe a été perçu comme pouvant plus facilement engager un dialogue ou négocier avec les autorités des États en empruntant des canaux diplomatiques. Cependant, ce volet diplomatique semble aujourd’hui inopérant lorsque les représentants d’États comme la Hongrie ou la Pologne contestent ou rejettent la plupart des arrêts constatant une violation d’un droit conventionnel en lien avec l’État de droit. À ce titre, les arrêts les plus récents concernant la Pologne n’ont pas encore fait l’objet d’un contrôle du Comité quant à leur exécution. Néanmoins, lorsque nous prenons en considération le jugement du Tribunal constitutionnel polonais du 24 novembre 2021 constatant que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas au Tribunal constitutionnel polonais, la possibilité d’une bonne exécution des arrêts semble peu probable[34][35]. Dans le même sens, nous pouvons citer la Résolution prise par le Comité des ministres le 9 mars 2022 au regard de l’exécution de l’arrêt Baka c. Hongrie rendue le 23 juin 2016[36]. Dans sa résolution, le Comité relève « l’absence persistante de progrès, presque six ans après que le présent arrêt est devenu définitif »[37], soulignant ainsi la limite pesant sur l’action du Comité des ministres.
La crise de l’État de droit permet ainsi de mettre en lumière certaines limites du système conventionnel. Dans son histoire, le Conseil de l’Europe a déjà connu plusieurs crises, qu’il s’agisse de crises relatives à ses États membres comme la crise grecque en 1967 ou, plus récemment, la crise russe en 2021 ou encore de crises institutionnelle comme par exemple le cas des requêtes répétitives ou encore la question de l’engorgement du prétoire de la Cour. Face à ces situations, l’organisation est systématiquement parvenue à s’adapter et à dépasser ces crises en cherchant des moyens pour dépasser les différents obstacles[38][39]. Dans le cas de la présente crise relative aux atteintes faites aux éléments constitutifs de l’État de droit, la meilleure solution consisterait pour le Conseil de l’Europe de renforcer ses défenses en affinant la protection de cette notion. Ainsi que l’écrivait le dramaturge Aristophane, « C’est de leurs ennemis, et non pas de leurs amis, que les villes ont appris à bâtir de hautes murailles »[40]. Cette citation semble adaptée à la situation présente en ce que la crise de l’État de droit donne l’opportunité d’envisager les changements pouvant être apportés pour améliorer le système conventionnel ainsi que la protection de l’État de droit. Cette crise doit alors permettre de repenser l’action des différents acteurs agissant au sein du système conventionnel et notamment « repenser les juridictions supranationales européennes à la suite de la crise de l’État de droit ».
II) Une crise offrant l’opportunité de changements
Si la crise que traverse le Conseil de l’Europe quant à notion de l’État de droit constitue une opportunité pour réfléchir aux changements à apporter au système conventionnel, il est aussi important de prendre garde, parmi les changements envisageables, à ne pas rechercher des solutions s’écartant de trop du système dans lequel elles sont censées s’insérer (A). Ces modifications en inadéquation avec le système conventionnel doivent alors être écartées au profit de propositions en conformité avec le système conventionnel, constituant de véritables opportunités de changement pour le Conseil de l’Europe (B).
A) Le rejet de modifications inadaptées
Toute période de crise constitue un terreau fertile au changement, ces derniers pouvant être originaux ou bien au contraire inspirés d’actions ou de solutions pouvant se faire ailleurs. Il est néanmoins important de faire preuve de prudence, dans cette quête de changements, en ce que certaines propositions s’inspirant d’autres situations ne sont pas nécessairement adaptées ou transposables.
Une illustration de proposition inadaptée serait celle cherchant à rapprocher l’action de la CourEDH de celle de la Cour de Justice de l’Union européenne pouvant, dans le cadre de la procédure de constatation en manquement, condamner un État membre à payer une somme forfaitaire ou une astreinte[41]. Nous pourrions en effet, envisager qu’une modification du statut de la CourEDH lui permettrait d’assortir la détermination de la satisfaction équitable d’une astreinte ou d’une amende à l’égard de l’État ayant commis une violation. Il s’agirait alors d’une compétence similaire à la CJUE condamnant par exemple la Pologne à 1 000 000 euros d’astreintes par jour d’inexécution d’un arrêt[42]. Une telle action de sanction permettrait à la Cour de renforcer ses arrêts en violation en y ajoutant une condamnation pécuniaire visant à sanctionner l’État au regard de la violation dont il se serait rendu coupable. Cette idée d’une Cour disposant d’un pouvoir d’astreinte ou d’amende soulève néanmoins un grand nombre de difficultés quant à sa réalisation, voire quant à son intérêt. En premier lieu, cette idée d’un pouvoir de sanction de la Cour ne trouve aucun fondement au sein de la Convention qui ne permet que d’allouer une satisfaction équitable à la partie victime d’une violation d’un droit conventionnel[43]. Cette satisfaction équitable n’est par ailleurs en aucun cas une obligation pour la CourEDH dans la mesure où elle ne statue sur celle-ci que lorsqu’une demande est formée[44] et si la Cour relève, conformément à l’article 41, qu’il existe une violation de la Convention que « le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement »[45]. Ainsi, l’octroi d’une satisfaction équitable n’est pas systématique et surtout n’a pour but que de rétablir le requérant au plus proche de ce qu’aurait été sa situation s’il n’avait pas subi de violation[46]. Dans ce sens, « La Cour compense un gain manqué ou une perte éprouvée mais en aucun cas ne cherche à punir l’État »[47]. Envisager que la Cour puisse devenir compétente en matière de sanction apparaît dès lors comme une idée inadaptée au regard du fonctionnement de la Cour. De plus, au-delà de la possibilité d’une telle modification du texte conventionnel, l’observation de la pratique de la CJUE en la matière soulève également la question de la pertinence de cette modification. Les sanctions imposées par la CJUE à l’État polonais sont restées pendant bien longtemps sans effet puisque le gouvernement polonais refusait purement et simplement d’exécuter les arrêts rendus, ainsi que de payer les sommes demandées par le juge européen[48]. Ce constat peut être nuancé puisque le gouvernement polonais semble récemment s’être à nouveau ouvert au dialogue avec la Commission européenne – sous la pression de voir se déclencher le mécanisme de conditionnalité des fonds structurels à leur encontre. Néanmoins, le dernier rapport de la Commission européenne sur la situation de l’État de droit en Pologne souligne, dès la première phrase de son résumé, que « De sérieuses inquiétudes persistent quant à l’indépendance de la justice polonaise »[49]. Ainsi, si le pouvoir de sanctionner les États violant la Convention peut être vu comme une solution dissuasive dans la plupart des cas, nous constatons qu’il ne s’agit pas d’une solution sans faille dans le cas d’un État s’obstinant dans son comportement. Enfin, le Conseil de l’Europe ne dispose pas des moyens de l’Union européenne et ne peut pas imputer des subventions ou des fonds structurels, pour faire pression sur un État ou bien pour récupérer les astreintes qu’un État refuserait de payer.
Une seconde solution serait de mettre en œuvre la procédure d’arrêt pilote à l’encontre des États dont les violations révèlent des inconventionnalités systémiques et/ou structurelles[50]. La Cour pourrait ainsi, après avoir rattaché l’atteinte à l’État de droit à un problème systémique, indiquer des mesures générales à prendre par l’État, puis geler toutes les affaires similaires en déléguant aux autorités nationales la tâche de résoudre le problème identifié par la Cour. Le déclenchement d’une telle procédure à l’égard d’un État constituerait un symbole fort et permettrait à la Cour de donner directement à l’État concerné des indications quant à la marche à suivre pour mettre fin à la violation[51]. Pour autant, cette solution ne semble pas convenir aux violations dues au non-respect de l’État de droit.
En effet, la procédure d’arrêt pilote n’a de sens que si l’État qui en fait l’objet accepte de participer à ce mécanisme et d’introduire les réformes nécessaires en droit interne. Dans une situation où un État refuse toute discussion et où il se trouve lui-même à l’origine directe des problèmes signalés par la Cour, une telle procédure n’apporterait aucun bénéfice et ressemblerait davantage à une forme d’abandon de la part de la Cour qui, au travers du gel des requêtes similaires, renoncerait à la possibilité de se pencher à nouveau sur ce problème, et ce pour une durée potentiellement indéterminée. En effet, au-delà des rares cas où une position particulière fut adoptée, le traitement des affaires similaires se voit normalement ajourné temporairement lors de la procédure d’arrêt pilote[52]. La Cour se réserve normalement la possibilité de reprendre le traitement de ces affaires, notamment lorsque le délai octroyé est dépassé. Cependant, elle fut amenée à moduler sa position en concluant, dans le cas d’une absence d’exécution d’un arrêt pilote donnant lieu à une importante quantité de requêtes similaires, que « la poursuite par elle de l’examen de ces affaires selon la pratique adoptée jusqu’ici ne présente aucune utilité du point de vue des buts de la Convention »[53]. La position de la Cour dans cette affaire pouvant s’expliquer par le nombre important de requêtes de type Ivanov – à savoir plus de 12 000 requêtes. Pour autant, la possibilité d’un arrêt pilote dans le contexte des atteintes à l’État de droit, situation donnant lieu à un contentieux moins volumineux, reste selon nous une voie inadaptée. En effet, même dans le cas où la Cour déciderait de reprendre le traitement des affaires suspendues, cette décision n’interviendrait qu’après l’épuisement d’un délai plus ou moins long pendant lequel aucune solution n’aurait été apportée par les autorités nationales. Il apparaît que dès lors, peu importe les modalités adoptées par la Cour, la procédure d’arrêt pilote se révèle inadaptée à la résolution du problème des atteintes faites aux éléments constitutifs de l’État de droit au sein des États partis à la Convention.
Enfin, nous pourrions envisager une solution plus pertinente, impliquant une action du Comité des ministres. Il resterait en effet la possibilité pour le Comité, au regard de l’article 8 du Statut de Londres, de suspendre le droit de représentation des États qui « [enfreignent] gravement les dispositions de l’article 3 »[54], article disposant que « [t] out membre du Conseil de l’Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit, etc. »[55]. Cette sanction ne semble pas non plus constituer une solution adéquate dans le contexte de la crise de l’État de droit. Cette procédure ne fut en effet utilisée que dans des contextes particulièrement graves : la dictature en Grèce amenant celle-ci à dénoncer la Convention et quitter le Conseil de l’Europe en 1969[56] ; puis dans le cas de la Russie en 2022 avec tout d’abord une suspension des droits de représentation puis une exclusion, respectivement liée à l’occupation de la Crimée puis l’invasion de l’Ukraine[57]. Certes, les atteintes envers l’État de droit sont constantes et dévastatrices et la suspension des droits – sans aller jusqu’à l’exclusion – pourrait constituer une forme de punition envers les États attentant à ce principe. Néanmoins, la situation présente ne semble tout de même pas atteindre la gravité de celles ayant pu, précédemment, entraîner la suspension ou l’exclusion d’un État du Conseil de l’Europe, ces procédures étant visiblement réservées à des circonstances extrêmement graves. Qui plus est, si que la suspension est considérée comme « une mesure temporaire et non finale, qui laisse les voies de communication ouvertes »[58], force est de constater qu’une telle sanction risque généralement d’entraîner l’effet inverse en poussant un État déjà récalcitrant à s’enfermer sur sa position.
B) Recourir à un arsenal déjà existant
Par rapport aux propositions évoquées apparaissant comme inadaptées, il est plus pertinent de se concentrer sur les possibilités d’adapter des outils existants et étant d’ores et déjà à la disposition des différents acteurs. En effet, cette crise semble marquer une distinction majeure entre l’action du Conseil de l’Europe et l’action de l’Union européenne ; entre une organisation défendant l’État de Droit et une organisation utilisant l’obligation de respect de l’État comme une arme afin de sanctionner tout manquement. Aujourd’hui, alors que la CJUE confirme la validité de la conditionnalité des fonds[59] et que la Commission européenne intervient pour mettre en place ce mécanisme[60], la Cour de Strasbourg, contrairement à son homologue luxembourgeois, poursuit la protection du principe contre d’éventuelles violations de la part des États partis sans pour autant chercher à recourir à de nouveaux outils. C’est alors dans cette direction qu’il nous faut repenser l’action des différents acteurs du système conventionnel.
Dans ce sens, une première possibilité viserait à s’appuyer sur l’activité de la Commission de Venise. En réponse aux limites quant à la définition de l’État de droit, il apparaît nécessaire que la Commission poursuive son travail et approfondisse ou clarifie davantage les implications de ce principe. Sans rechercher une définition exhaustive, la Commission de Venise peut encore développer ses explications concernant la manière dont l’État de droit doit être envisagé au regard des obstacles nouveaux apparus avec le populisme et les agissements de certains États[61].
En outre, le Comité des ministres pourrait, dans le cadre de sa surveillance d’exécution des arrêts recourir de manière plus régulière à l’option du recours en manquement permis, depuis l’entrée en vigueur du Protocole 14, par l’article 46 § 4 de la Convention. Le Comité des ministres n’a eu pour l’instant recours à cette procédure qu’à deux reprises, une première fois à l’encontre de l’Azerbaïdjan en 2017[62] et une seconde fois à l’encontre de la Turquie en 2022[63]. L’utilisation de ce recours dans des arrêts non exécutés constatant des violations relatives à l’État de droit constituerait ainsi un moyen de pression à disposition du Comité des ministres. Le rapport explicatif du Protocole 14 indique justement que la mise en place de ce recours en manquement représente une alternative plus tempérée que la suspension ou l’exclusion d’un État au travers du recours à l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe[64]. Un tel recours permettrait d’appuyer davantage un arrêt rendu en donnant l’occasion à la Cour de se prononcer une nouvelle fois sur la situation de l’État concerné.
Une autre possibilité serait d’envisager une utilisation plus fréquente du recours interétatique ouvert par l’article 33 de la Convention. La plupart des affaires interétatiques qui ont donné lieu à un arrêt de la Cour montrent un certain détournement de cette procédure telle qu’elle était initialement prévue. Originellement, le système conventionnel considérait en effet qu’au travers d’un recours interétatique un État ne devait « pas être considéré comme agissant pour faire respecter ses droits propres, mais plutôt comme soumettant à la Commission une question qui touche à l’ordre public de l’Europe »[65]. La plupart des recours interétatiques introduits montrèrent néanmoins que les États utilisaient ce dernier avec une intention politique de protéger leurs ressortissants[66] ou bien comme moyen de pression diplomatique[67]. Dans ces situations, la Cour se retrouve alors à jouer davantage le rôle d’un arbitre dans un conflit entre États, à l’instar de la Cour internationale de justice. Ce recours interétatique, en tant qu’arme politique à la disposition des États, pourrait aujourd’hui constituer une action intéressante dans le contexte de la crise de l’État de droit. Un recours formé par un ou plusieurs États à l’encontre d’un autre État en raison d’atteintes à l’État de droit pourrait en effet représenter un geste politique fort, permettant à la Cour d’agir en tant qu’arbitre.
Enfin, une dernière possibilité, plus clivante, consisterait à envisager une utilisation plus restreinte de la notion d’État de droit par la CourEDH. En considérant que la crise de l’État de Droit concerne principalement des atteintes aux éléments constitutifs de la notion dans son volet procédural, il apparaît dès lors plus pertinent de concentrer et limiter la mobilisation de l’État de Droit dans son volet formel. Si « c’est de leurs ennemis, et non pas de leurs amis, que les villes ont appris à bâtir de hautes murailles », nous pourrions également y ajouter que c’est par leurs ennemis que les villes apprirent également à limiter la surface qu’elles pouvaient efficacement protéger. Aux vastes territoires indéfendables, on préférera ainsi un territoire plus réduit, mais dont la défense peut être assurée. De la même manière, ne faudrait-il pas préférer un principe mobilisé de manière plus concentré, dans un domaine plus précis, plutôt que s’étendant de manière diffuse sur l’ensemble de la Convention. La crise de l’État de droit mettant le principe face à de nouveaux obstacles et atteintes intervenant dans son volet formel, il paraîtrait alors plus sûr de renforcer davantage cet aspect du principe avant de chercher à le mobiliser dans un volet substantiel bien plus évasif. En effet, étendre les implications de l’État de droit au travers de son volet substantiel sans pour autant que toutes les implications du principe dans son volet formel ne soient définies nous semble être une extension du principe risquant risquant d’entraîner sa fragilisation.
En définitive, face aux hésitations quant aux actions à prendre dans le contexte de cette crise, il existe selon nous une certitude – de toute évidence partagée au regard de l’intitulé du dernier thème de ce colloque – à savoir la certitude que des actions peuvent et doivent être prises. De la même manière que « la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions actuelles »[68], face à la crise de l’État de Droit, il convient de repenser l’action des différents acteurs supranationaux. Le système conventionnel et l’action de la Cour – en complémentarité de celles des autres acteurs du Conseil de l’Europe – doivent évoluer et s’adapter pour faire face aux différents changements. Une des évolutions les plus souhaitables, exposées précédemment, consisterait en l’approfondissement et la clarification de la définition de l’État de droit, au moins dans son volet formel[69]. Il nous paraît en effet impossible d’espérer défendre efficacement les atteintes à un principe dont la portée et le contenu lui-même échappent aux acteurs en faisant l’application. Ainsi que le disait Socrate, « ceux qui possèdent une opinion sans la comprendre sont tels des aveugles tâtonnants sur le droit chemin »[70]. S’il ne fait nul doute que l’État de droit est un principe essentiel, il convient désormais de comprendre et déterminer le contenu de ce principe afin de ne pas nous retrouver comme des aveugles sur le droit chemin.
[1] Introduction au Dossier « Quel État de droit dans une Europe en crise » dirigé par le Professeur Éric Carpano et de la Professeur Marie-Laure Basilien-Gainche, RDLF, disponible en ligne : https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/dossier/quel-etat-de-droit-dans-une-europe-en-crise/.
[2] Sur le sujet, voir par exemple DECAUX Emmanuel, « Crise de l’État de droit, droit de l’état de crise », in Mélanges en hommage à Louis-Edmond Pettiti, Bruxelles, Bruylant, p. 267-288 ; DELMAS-MARTY Mireille, « Libertés et Sûretés les Mutations de l’État de Droit », Revue de Synthèse, Springer Verlag/Lavoisier, 2009, 130 (3), pp. 465-491.
[3] Par exemple, vis-à-vis de la Pologne, « l’élection en décembre 2015 de trois juges à des sièges qui avaient déjà été pourvus en octobre déclencha une intense controverse juridique et marqua le début de ce que les analystes appellent communément « la crise de l’état de droit » dans le pays », Cour EDH, Grzęda c. Pologne, 15 mars 2022, req n° 43572/18, § 15.
[4] Des références à la « prééminence du droit » ou à l’« État de droit » se retrouvent dans de nombreux arrêts de la Cour EDH, cependant ces références ne permettent pas d’apporter une explication sur le contenu ou l’étendue de ces notions. Dans le même sens, les références faites à la prééminence du droit au sein du Statut du Conseil de l’Europe, aux articles 1 alinéa d et article 3, ainsi que du Préambule de la Convention EDH ne permettent pas non plus de déterminer le contenu de la notion.
[5] Nous pouvons par exemple signaler l’action de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et son rôle d’enquête et de lanceur d’alerte.
[6] PALMER Simon, « The Committee of Ministers », in SCHMAHL Stefanie (ed) and BREUER Marten (ed), The Council of Europe, its Law and Policies, Oxford University Press, 2017, pp.137-165; BOILLAT Philipe, DE SALVIA Michel, DOLT Frédéric, DRZEMCZEWSKI Andrew, Les mutations de l’activité du Comité des ministres – La surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par cet organe du Conseil de l’Europe. Actes du séminaire de l’Institut International des droits de l’homme René Cassin, Anthemis, 2012, 196 p.
[7] Sur le sujet, voir LAMBERT-ABDELGAWAD Elisabeth, Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme : contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de l’Homme, édition Bruylant, 1999, 626 p. ; LAMBERT-ABDELGAWAD Elisabeth, L’exécution des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, édition du Conseil de l’Europe, 2ème Ed., 2008 , 100p.
[8] Ce protocole modifie ainsi l’article 46 de la Convention en ajoutant deux nouvelles procédures à disposition du Comité des ministres. La première procédure, contenue au paragraphe 3 de l’article 46, permet au Comité de saisir la Cour au sujet d’une difficulté d’interprétation d’un arrêt à exécuter. La seconde procédure, contenue au paragraphe 4 de l’article 46, permet au Comité de saisir la Cour au sujet d’un refus, de la part d’un État, d’exécuter un arrêt rendu par la Cour. Sur le sujet, voir BLAY-GRABARCZYK Katarzyna, AFROUKH Mustapha, SCHAHMANECHE Aurélia, « Le contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme », RFDA, 2014, n° 5, pp. 935-944.
[9] Conseil de l’Europe, Conférence sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, Déclaration d’Interlaken, 19 février 2010.
[10] Conseil de l’Europe, Conférence sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, Déclaration d’Izmir, 26 et 27 avril 2011.
[11] Conseil de l’Europe, Conférence sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, Déclaration de Brighton, 19 et 20 avril 2012.
[12] Respectivement au point F de la Déclaration d’Interlaken, au point H de la déclaration d’Izmir et au point F de la Déclaration de Brighton.
[13] Sur le sujet voir par exemple SALINAS ALCEGA Sergio, « Le contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme suite au processus d’Interlaken : l’évolution technique d’un mécanisme politique », in Revue Québécoise de droit international, vol. 27-2, 2014. pp. 99-117.
[14] Les travaux du Comité des ministres sont accessibles depuis la page internet dédiée au Service de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : https://www.coe.int/fr/web/execution.
[15] Une recherche, sur la base de données HUDOC, des arrêts et décisions, en langue anglaise, mentionnant la Commission de Venise fait ressortir en réalité 627 résultats. Cependant, plusieurs de ces résultats ne sont que des traductions officielles d’un même arrêt en plusieurs langues. Le chiffre donné de 600 arrêts et décisions de la Cour depuis 2001 écarte ainsi les multiples résultats faisant référence à un seul et même arrêt ou décision.
[16] Les travaux de la Commission de Venise sont accessibles en ligne sur la page internet du Conseil de l’Europe dédiée à la Commission de Venise : https://www.venice.coe.int/webforms/events/.
[17] Cour EDH, Baka c. Hongrie, 23 juin 2016, req n° 20261/12.
[18] Cour EDH, Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal, 6 novembre 2018, req n° 55391/13, 57728/13 et 74041/13.
[19] Cour EDH, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande, 1er décembre 2020, req n° 26374/18.
[20] Cour EDH, Xero Flor w Polsce sp. z o.o. v. Poland, 7 mai 2021, req n° 4907/18 (irrégularités d’élection d’un juge à la Cour constitutionnelle polonaise) ; Cour EDH, Broda et Bojara c. Pologne, 29 juin 2021, req n° 26691/18 et 27367/18 (loi du 12 juillet 2017 permettant au ministre de la Justice de démettre les présidents de tribunaux avant la fin de leurs mandats, sans besoin de motivation et sans possibilité de recours) ; Cour EDH, Reczkowicz v. Poland, 22 juillet 2021, req n° 43447/19 (irrégularités de nomination de juges de la nouvelle chambre disciplinaire de la Cour suprême) ; Cour EDH, Dolińska-Ficek and Ozimek v. Poland, 8 novembre 2021, req n° 49868/19 et 57511/19 (procédure de nomination des juges de la nouvelle chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême) ; Cour EDH, Advance Pharma sp. z o.o v. Poland, 3 février 2022, req n° 1469/20 (irrégularités dans la nomination de juges à la chambre civile de la Cour suprême) et enfin, Cour EDH, Grzęda c. Pologne, 15 mars 2022, req n° 43572/18 (absence de recours suite à la cessation prématurée du mandat du Conseil national de la magistrature d’un juge en exercice suite à une réforme législative).
[21] La version anglaise du texte mentionne ainsi que les gouvernements « have a common heritage of political traditions, ideals, freedom and the rule of law ». La version française quant à elle parle de gouvernements « possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit ».
[22] « Les Gouvernements (…) inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable » Statut du Conseil de l’Europe, référence STE n° 001, Londres, 3 août 1949.
[23] Sur le sujet, voir HUSSON-ROCHCONGAR Céline, « La redéfinition permanente de l’État de droit par la Cour européenne des droits de l’homme », Civitas Europa, vol. 37, no. 2, 2016, pp. 183-220.
[24] Sur le sujet, voir P. WACHSMANN, « La prééminence du droit dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Le droit des organisations internationales. Recueil d’études à la mémoire de Jacques Schwob, Bruylant, 1997, pp. 241-286 ; SOUVIGNET Xavier « La prééminence du droit dans le droit de la convention européenne des droits de l’homme » Y. MORIN, « La « prééminence du droit » dans l’ordre juridique européen, in Theory of international law at the threshold of the 21st century. Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski, Kluwer Law International, 1996, pp. 643-689.
[25] Sur le sujet voir BOY Noël, « La notion d’État de droit au sein du Conseil de l’Europe à l’aune des crises hongroise et polonaise », RDLF, 2020, chron. n° 54.
[26] Cette asymétrie de fonctionnement s’accentue également par le fait que la Commission de Venise, contrairement au Comité des ministres, n’est pas un organe permanent du Conseil de l’Europe.
[27] Commission de Venise, Avis sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 relative au Tribunal constitutionnel de Pologne, Avis n° 833/2015, 11 mars 2016 ; Commission de Venise, Avis sur la loi relative au Tribunal constitutionnel, Avis n° 860/2016, 14 octobre 2016.
[28] Commission de Venise, Avis sur le projet de Loi portant modification de la Loi sur le Conseil national de Justice ; sur le projet de loi portant modification de la Loi sur la Cour suprême, proposée par le Président de la République de Pologne, et sur la Loi sur l’organisation des Tribunaux ordinaires, Avis n° 904/2017, 11 décembre 2017.
[29] BOY Noël, « La notion d’État de droit au sein du Conseil de l’Europe à l’aune des crises hongroise et polonaise », op.cit.
[30] La notion d’État de droit pourrait ainsi rejoindre la notion de « société démocratique », laquelle fut mobilisée et développée pour devenir un principe directeur activement utilisé par la Cour. Sur le sujet, voir JACQUEMOT Florence, Le standard européen de société démocratique, Université de Montpellier, 2006.
[31] Nous pensons notamment ici au régime de l’Allemagne nazi qui a amené à prendre conscience du caractère essentiel du volet substantiel dans la notion de l’État de droit.
[32] Pour une présentation de l’impact du formalisme judiciaire dans le contexte de crise de l’État de droit en Pologne, voir MATCZAK Marcin, « The Strength of the Attack or the Weakness of the Defence? Poland’s Rule of Law Crisis and Legal Formalism », 10 février 2018, 17 p, disponibles en ligne : https://ssrn.com/abstract=3121611.
[33] Si le populisme n’est en aucun cas un problème exclusif aux États d’Europe centrale et orientale, il nous faut tout de même constater que ce sont pour l’heure dans certains de ces États que le populisme aura causé le plus de problèmes. Sur le sujet, voir DELEERSNIJDER Henry, « La dérive populiste en Europe centrale et orientale », in Hermès n° 42, 2005, pp. 181-186 ; GUEORGUIEVA Petia, « Populismes et populistes en Europe centrale et orientale » in Hermès, n° 77, 2017, pp. 117-125.
[34] Tribunal constitutionnel polonais, arrêt K6/21, 24 novembre 2021.
[35] Dans le même sens, le Tribunal constitutionnel polonais c’est à nouveau prononcé sur la compatibilité entre la Convention et la Constitution polonaise dans son arrêt K7/21 du 10 mars 2022.
[36] Cour EDH, Baka c. Hongrie, op.cit.
[37] Comité des ministres, Résolution intérimaire CM/ResDH (2022) 47, 9 mars 2022.
[38] Par exemple, dans le cas d’une crise relative à un État membre, la résolution du Comité des ministres du 16 mars 2022, portant sur l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe, fut suivie d’une résolution de la Cour européenne des droits de l’Homme du 22 mars 2022 – confirmée par le Comité dans une résolution du 23 mars – indiquant que la Fédération de Russie resterait Haute Partie contractante jusqu’au 16 septembre 2022. Sur les conséquences liées à cette décision, voir AFROUKH Mustapha et MARGUENAUD Jean-Pierre, « Les conséquences à double tranchant de l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe », Dalloz actualité, 30 mars 2022.
[39] Par exemple, dans le cas d’une crise touchant au fonctionnement de la Cour, l’accumulation de requêtes répétitives devant la Cour européenne des droits de l’homme à amené la Cour, suivant les invitations faites par le Comité des ministres dans une résolution de 2004 (Résolution (2004)3), à développer et mettre en place la procédure des arrêts pilotes, procédure inaugurée avec l’arrêt Broniowski c. Pologne, 22 juin 2004, req n° 31443/96. Sur le sujet, voir DUCOULOMBIER Peggy, « Arrêts pilotes et efficacité des nouveaux recours internes », in DOURNEAU-JOSETTE Pascal (dir.), LAMBERT ABDELGAWAD Elisabeth (dir.), Quel filtrage des requêtes par la Cour européenne des droits de l’homme ?Conseil de l’Europe, « Hors collection », 2011, pp. 255-292.
[40] Aristophane, « Les oiseaux », traduction française d’André Charles Brotier, édition Garnier, 1889, p.31.
[41] Article 260 alinéa 2, TFUE, « Si la Commission estime que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l’astreinte à payer par l’État membre concerné qu’elle estime adapté aux circonstances ».
[42] CJUE, Ordonnance du Vice-président de la Cour dans le cadre de l’affaire C-204/21R Commission c. Pologne (Indépendance et vie privée des juges), 27 octobre 2021. Cette affaire porte sur le refus de la Pologne de suspendre l’application de plusieurs législations portant notamment atteinte à l’indépendance des juridictions nationales.
[43] Article 41 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
[44] Exception faite de certaines situations exceptionnelles dans lesquelles la Cour peut se prononcer sur l’octroi de satisfaction équitable en l’absence d’une demande formée de manière appropriée, voir notamment l’arrêt Cour EDH, Nagmetov c. Russie, 30 mars 2017, req n° 35589/08.
[45] Article 41 op. cit. ; Cour EDH, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (Art.50), 31 Octobre 1995, req n° 14556/89, paragraphes 34 et s. ; Sur le sujet, voir FLAUSS Jean-Francois et LAMBERT-ABDELGAWAD Elisabeth(dir.), La pratique de l’indemnisation par la Cour européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2011.
[46] Dans ce sens, voir MARCHADIER Fabien, « La réparation », in SUDRE Frédéric (dir.), ANDRIANTSIMBAZOVINA Joël, GONZALEZ Gérard, GOUTTENOIRE Adeline, MARCHADIER Fabien, MILANO Laure, SCHAHMANECHE Aurélia, SZYMCZAK David, Les Grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, ed. PUF, 9e ed, 2019, pp960-961 ; à l’inverse, voir FLAUSS Jean-François, « Réquisitoire contre la mercantilisation excessive du contentieux de la réparation devant la Cour européenne des droits de l’homme. À propos de l’arrêt Beyeler c. Italie du 28 mai 2002 », in Receuil Dalloz, 2003, p. 227.
[47] MARCHADIER Fabien, « La réparation », op.cit.
[48] Par exemple, CJUE, Ordonnance du vice-président de la Cour dans l’affaire C-204/21 R Commission c. Pologne, 27 octobre 2021, op.cit.
[49] « Serious concerns persist related to the independence of the Polish judiciary », European Commission, 2022 Rule of Law Report Country Chapter on the rule of law situation in Poland, SWD(2022) 521 final, 13th july 2022, p. 2.
[50] Sur le sujet, DUCOULOMBIER Peggy, « arrêts pilotes et efficacité des nouveaux recours internes », op.cit. ; BUYSE Antoire, « Flying or landing ? The pilot judgment procedure in the changing European human rights architecture », in ARNARDOTTIR Oddný Mjöll (ed.) et BUYSE Antoire, Shifting centres of gravity in human rights protection : rethinking relations between the ECHR, EU and national legal orders, Routledge, 2016, pp. 101-115.
[51] Les arrêts rendus par la Cour EDH ont un caractère « déclaratoire pour l’essentiel » (Cour EDH, Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, req. n° 6833/74). Bien que ce caractère déclaratoire semble évoluer au regard de certaines jurisprudences (Cour EDH, Scozzari et Giunta c. Italie, 13 juillet 2000, req n° 39221/98 et 41963/98 ; Cour EDH, Maestri c. Italie, du 17 février 2004, req n° 39748/98), il reste néanmoins encore aujourd’hui la règle en dehors des arrêts pilotes.
[52] La Cour a ainsi déjà été amenée à décider, dans le cadre d’une procédure d’arrêt pilote, de suspendre le traitement des affaires introduites postérieurement à la date de l’arrêt pilote tout en poursuivant le traitement des affaires déjà introduites au moment de l’arrêt (voir par exemple, Cour EDH, Bourdov c. Russie (n° 2), 15 janvier 2009, req n° 33509/04, §144 et suivants). Enfin, la Cour a également pu décider, exceptionnellement, de ne pas suspendre le traitement des requêtes pendantes malgré la mise en place de la procédure d’arrêt pilote (Cour EDH, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, 21 décembre 2010, req n° 50973/08, §58).
[53] Cour EDH, Burmych c. Ukraine, 12 octobre 2017, req n° 46852/13 et al., §199. Cet arrêt faisant suite à l’arrêt pilote rendu contre l’Ukraine 8 ans auparavant, Cour EDH, Yuriy Nikolayevich Ivanov v. Ukraine, 15 octobre 2009, req n° 40450/04.
[54] Conseil de l’Europe, Statut du Conseil de l’Europe, Londres, 5 mai 1945.
[55] Ibid.
[56] Comité des ministres, Résolution (70) 34 sur les conséquences juridiques et financières du retrait de la Grèce du Conseil de l’Europe, 27 novembre 1970.
[57] Comité des ministres, Résolution CM/Res(2022)2 sur la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe, 16 mars 2022.
[58] Conseil de l’Europe, Le Conseil de l’Europe suspend les droits de représentation de la Russie, Salle de Presse, 25 février 2022, disponible en ligne : https://www.coe.int/fr/web/portal/-/council-of-europe-suspends-russia-s-rights-of-representation.
[59] CJUE, affaire Hongrie c. Parlement et Conseil, C-156/21, 16 février 2022 ; CJUE, affaire Pologne c. Parlement et Conseil, C-157/21, 16 février 2022.
[60] Commission européenne, Proposition de décision d’exécution du Conseil relative à des mesures de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit en Hongrie, COM(2022) 485 final, 18 septembre 2022.
[61] Nous pensons notamment aux exemples donnés précédemment, à savoir l’instrumentalisation du formalisme judiciaire, le rejet quasi systématique des constats de violations touchant à l’État de droit, etc.
[62] La saisine de la Cour EDH par le Comité des ministres le 5 décembre 2017 donnera lieu à l’arrêt Mammadov c. Azerbaïdjan du 29 mai 2019, req n° 15172/13.
[63] La saisine de la Cour EDH par le Comité des ministres le 2 février 2022 donnera lieu à l’arrêt Kavala c. Türkiye du 11 juillet 2022, req n° 28749/18.
[64] Rapport explicatif du Protocole n° 14 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, Strasbourg, 13 mai 2004, paragraphe 100, p. 19.
[65] Commission EDH, Autriche c. Italie, 11 janvier 1961, req n° 788/60.
[66] Par exemple, voir Commission EDH, Autriche c. Italie, op.cit. ; Cour EDH, Danemark c. Turquie, 5 avril 2000, req n° 34382/97.
[67] Par exemple, voir Commission EDH, Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce, 24 janvier 1968, req n° 3321/67 à 3323/67 et 3344/67 ; Commission EDH, Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce, 16 juillet 1970, req n° 4448/70 ; Commission EDH, France, Norvège, Danemark, Suède et Pays bas c. Turquie, 6 décembre 1983, req n° 9940-9944/82.
[68] Cour EDH, Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, req n° 5856/72.
[69] Une telle définition serait elle-même amenée à changer et évoluer dans le futur pour s’adapter à de nouvelles situations.
[70] « those who have any true notion without intelligence are only like blind men who feel their way along the road », Plato, The Republic (translated by Benjamin Jowett), Roman Roads Media, 2013, p.233.