Le Conseil constitutionnel a-t-il enfoui les générations futures ? Réflexions sur la décision 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023
Le 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les dispositions de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. La décision est inédite, en ce que le juge constitutionnel y reconnait explicitement l’existence d’une protection constitutionnelle des générations futures. Elle interroge toutefois quant à la portée de cette protection. Opérant une interprétation prudente des normes de références, le Conseil constitutionnel s’y refuse effectivement à reconnaitre l’existence d’un principe de fraternité entre les générations et ne parait pas davantage y consacrer un droit subjectif des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Au contraire, il y fait montre d’une compréhension restrictive du devoir de préservation des intérêts des générations futures, qu’un contrôle focalisé (à l’excès) sur les garanties procédurales prévues par la loi litigieuse ne permet pas de compenser. Une protection inédite donc, mais peut-être illusoire…
Par Manon Bonnet, Docteure en droit public qualifiée aux fonctions de maître de conférences (02), Enseignante chercheuse contractuelle à l’Université Grenoble Alpes, Centre d’Étude sur la Sécurité Internationale et la Coopération Européenne (CESICE EA2420)[1]
et Claire Portier, Maitre de conférences en droit public à l’Université Savoie Mont Blanc, Centre de Recherche en Droit Antoine Favre (CRDAF EA 4143)[2]
« Déchets nucléaires : le Conseil constitutionnel reconnait le droit des générations futures ». C’est ainsi que le site d’information viepublique.fr, à l’instar d’autres médias[3], résume la décision 2023-1066 QPC Association Meuse nature environnement et autres [Stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs] rendue, le 27 octobre dernier, par le juge constitutionnel français. Prometteuse, cette annonce trouve écho dans l’avis de nombreux commentateurs ayant accueilli ladite décision comme une avancée notoire[4]. Que l’on partage ou non cet optimisme, la décision suscite en tout état de cause certaines interrogations relatives tant à la portée juridique de la prise en compte des générations futures dans le contrôle de constitutionnalité qu’à l’analyse des effets potentiels et futurs des politiques contemporaines en matière d’environnement. Ce sont à ces interrogations que le présent commentaire propose, sinon de répondre, à tout le moins d’apporter quelques pistes de réflexion.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’État d’une QPC déposée par l’association Meuse nature environnement et une trentaine d’autres associations de protection de l’environnement relative à la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016.
Ces dispositions sont relatives aux modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs. Elles concernent aujourd’hui exclusivement le projet Cigéo situé sur la commune de Bure. Conçu pour stocker des déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue produits par l’ensemble des installations nucléaires actuelles, ce projet constitue une réponse à l’épineux problème de la gestion des déchets nucléaires[5]. Présenté comme le moyen le plus satisfaisant pour protéger l’homme et l’environnement sur le long terme[6] et reposant sur un principe de réversibilité[7], ce « cimetière nucléaire » est toutefois l’objet de vives contestations[8], certainement ravivées par le contexte énergétique actuel signant la relance du recours à l’énergie nucléaire et l’inexorable prolifération des déchets en résultant[9].
Devant le Conseil constitutionnel, les requérants soulevaient deux griefs à l’encontre des dispositions législatives contestées. D’une part, ils estimaient que ces dispositions méconnaissent « le droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (§2) du fait que la loi ne garantit pas « la réversibilité du stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs au-delà d’une période de cent ans » ce qui, d’après les requérants, portait atteinte à « ce que les générations futures puissent revenir sur ce choix alors que l’atteinte irrémédiable à l’environnement » (§2). Dans la continuité de la décision n°2022-843 QPC, Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, les requérants invitaient ainsi le Conseil à préciser la portée de l’interprétation de l’article 1 de la Charte de l’environnement à la lumière du septième alinéa de son préambule qui renvoie aux « générations futures ». D’autre part, les requérants estimaient que la loi porte atteinte aux « principes de solidarité et de fraternité entre les générations » (§2) qu’ils demandaient ainsi au juge constitutionnel de reconnaitre.
Marquée par une dimension politique forte et soulevant des problématiques juridiques complexes tant sur le plan de la norme contrôlée que sur celui de la norme de référence, cette QPC a fait l’objet d’une réponse quelque peu timorée de la part du Conseil. Bien que la décision se soit faite historique par la reconnaissance et la constitutionnalisation des intérêts des générations futures, celle-ci repose, en effet, sur une interprétation prudente des normes de référence (I.) et un contrôle limité de la conformité de la loi aux dispositions constitutionnelles invoquées (II.).
I- Une interprétation prudente des normes de référence
Les requérants invitaient le Conseil à reconnaitre l’existence d’un principe de solidarité et de fraternité entre les générations futures et à préciser la prise en considération de leurs intérêts dans l’application du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement. Or, d’une part, le Conseil constitutionnel est resté silencieux sur la question de la fraternité (A.). D’autre part, il a montré une compréhension quelque peu restrictive de la notion de générations futures conduisant à une reconnaissance et une constitutionnalisation fortement limitée de leurs intérêts (B.).
A- L’occultation du principe de fraternité
Le premier argument soulevé par les requérants consistait à demander au Conseil constitutionnel de tirer « du Préambule et des articles 2 et 72-3 de la Constitution, également combinés avec le préambule de la Charte de l’environnement » l’existence d’un principe de fraternité transgénérationnelle[10]. Le principe de fraternité était ainsi invoqué par les requérants dans une combinaison inédite de l’article 2 de la Constitution avec le préambule de la Charte afin de demander au Conseil constitutionnel la consécration d’un principe de fraternité entre les générations. C’est, par ailleurs, en se fondant sur cet élément que le Conseil d’État a renvoyé la QPC en estimant que cet élément constituait une question nouvelle[11]. L’argument semblait audacieux. Le silence du Conseil à cet égard, habituel depuis la consécration du principe en 2018, peut s’expliquer par deux éléments.
Premièrement, et en dépit de la progression des droits environnementaux depuis l’insertion de la Charte de l’environnement dans la Constitution, le Conseil paraît réticent à relire les droits et libertés que la Constitution garantit à la lumière du texte de 2004.
Deuxièmement, le Conseil semble, pour l’heure, peu enclin à admettre des arguments tirés du principe de fraternité dans d’autres circonstances que celles où le législateur aurait agi d’une manière qui conduirait à condamner pénalement un comportement fraternel, c’est-à-dire sans qu’une dérogation résultant de la « bonne intention » de l’individu soit possible. Presque six ans après sa consécration[12], la portée du principe de valeur constitutionnelle de fraternité se rapporterait, en effet, davantage à une obligation négative — interdisant au législateur d’empêcher la fraternité[13] — qu’à une obligation positive d’obligation de protection de la fraternité. En ce sens, la décision 2023-1039 QPC, Association Handi-social et autre du 24 mars 2023 semble révélatrice. Les requérants alléguaient que le deuxième alinéa de l’article L.146-5 du code de l’action sociale et des familles, en prévoyant le maintien à la charge des familles d’une partie du financement des fonds départementaux de compensation du handicap, portait atteinte, d’une part, au principe de solidarité et, d’autre part, au principe de fraternité. Le principe de solidarité est tiré, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de différents alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, en particulier les alinéas 10, 11[14] et 12[15] qui prévoient des solidarités à l’égard d’entités ou de groupes de personnes spécifiques, respectivement la famille, les personnes vulnérables que sont « les enfants, [..] la mère et [les] vieux travailleurs » et la Nation. Le principe de fraternité, quant à lui, est tiré des articles 2 et 72 de la Constitution[16]. Il semble ainsi que, en dépit de la proximité entre les deux principes, ceux-ci revêtent des textures différentes. Le principe de solidarité se révèle comme le fondement d’une obligation positive de l’État d’assurer la réalisation de cette solidarité, rattachée en outre à certaines catégories de personnes ou à la Nation en tant que telle. Le principe de fraternité, quant à lui, et à l’aune de la seule décision adoptée sur son fondement pour l’instant, se manifesterait davantage comme une interdiction pour l’État d’empêcher la fraternité, impliquant une obligation négative donc. Tant l’invocation que le contrôle distincts de ces griefs mettent en exergue cette dichotomie. De même, la décision de non-renvoi du Conseil d’État du 5 juillet 2023 illustre ce phénomène. Les requérants avaient déposé devant le Conseil d’État un mémoire de QPC soulevant l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article L.5422-2-2 du Code du travail relatives à la possibilité de moduler les « conditions d’activité antérieure pour l’ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l’allocation d’assurance ». Le grief des requérants reposait, entre autres, sur l’invocation du principe de solidarité envers les personnes en incapacité de travailler issu du Préambule de la Constitution de 1946 et sur l’existence d’un moyen nouveau — d’après les requérants — selon lequel un « devoir de solidarité se dégage[rait] du principe de fraternité »[17]. Le Conseil d’État, se prononçant d’abord sur le caractère sérieux de la question soulevée, a estimé que « les dispositions en litige, qui ne méconnaissent en tout état de cause pas le principe de fraternité […], ne méconnaissent pas non plus les dispositions des cinquièmes et onzièmes alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 »[18]. Plus loin, et se prononçant alors sur le caractère nouveau de la question, le juge du Palais-Royal conclut « [qu’i]l ne peut être sérieusement soutenu que la question serait nouvelle en ce que la disposition en litige méconnaîtrait “le devoir de solidarité se dégageant du principe de fraternité” »[19]. Cette position révèle ainsi la distinction entre les deux principes constitutionnels, dont le second est, par ailleurs, généralement invoqué conjointement avec le premier[20]. Juges et « sages » du Palais-Royal s’accordent ainsi à distinguer fraternité et solidarité, mais également — c’est du moins une lecture possible — à envisager la fraternité comme l’autre versant (marqué par une obligation négative) de la solidarité. À cette distinction entre fraternité et solidarité s’ajoute le fait que le Conseil constitutionnel semble réticent à tirer du principe de fraternité matière à « [alimenter] véritablement de nouveaux contentieux »[21]. Ainsi, les rares invocations du principe parvenues jusqu’au Conseil[22] ont systématiquement conduit à ce qu’il écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe de fraternité à l’aide d’un « considérant-balais » selon lequel les dispositions ne « méconnaissent pas non plus le principe de fraternité »[23].
Il était donc peu probable, dans la décision commentée, que le Conseil change de position et admette des arguments tirés du principe de fraternité dans d’autres circonstances que celles où le législateur aurait agi d’une manière qui conduirait à condamner pénalement un comportement fraternel. En tout état de cause, la portée d’une consécration d’un tel principe paraissait pour le moins incertaine, notamment eu égard à sa plus-value par rapport à l’interprétation déjà admise par le Conseil de l’article 1er de la Charte éclairé par l’alinéa 7 du Préambule dans sa décision n° 2022-843 DC, Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat du 12 août 2022.
B- La double circonscription de la prise en compte des générations futures
Le lecteur l’aura compris, l’apport majeur de la décision commentée réside dans la reconnaissance et la constitutionnalisation quasi inédite des intérêts des générations futures par le Conseil constitutionnel. Nous précisions « quasi inédite », car, en réalité, l’argument avait déjà donné lieu à une réserve d’interprétation dans la décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022 sus évoquée. Saisi de la loi autorisant l’exploitation d’un méthanier flottant et un rehaussement des plafonds d’émission de gaz à effet de serre, le Conseil constitutionnel avait implicitement considéré que le législateur devait veiller, sous peine de méconnaitre l’article 1 de la Charte de l’environnement, à « ne pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins »[24] tel qu’en dispose l’alinéa 7 de son préambule, « vecteur constitutionnel » de l’objectif de développement durable[25]. Si l’on peut d’ailleurs s’interroger quant à l’influence du concept sur le tempérament immédiatement apporté à cette exigence par le Conseil lorsqu’il avait concomitamment énoncé que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation […] au nombre desquels figurent l’indépendance de la Nation ainsi que les éléments essentiels de son potentiel économique »[26], il reste que celui-ci semble avoir, dans la décision ici commentée, poursuivi sa route. Tout en usant de la « même technique herméneutique » pour intégrer progressivement « le préambule de la Charte à la compréhension des articles substantiels du texte »[27], le Conseil livre de nouveau une décision quelque peu décevante. À l’objectif de répondre aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs, le Conseil constitutionnel parait effectivement apporter une double limitation : une limitation matérielle (1.) et une limitation temporelle (2.).
1- Une circonscription matérielle des intérêts des générations futures
Si, à la lumière de sa jurisprudence antérieure évoquée ci-dessus, il n’était pas surprenant que le Conseil constitutionnel ait interprété systématiquement l’article 1 de la Charte de l’environnement à la lumière de son préambule[28], encore faut-il préciser que cela était rendu nécessaire par la question qui lui était posée. Seul l’alinéa 7 du préambule vise les générations futures. La conséquence qu’il en retire apparaît, en revanche, plus étonnante. De ce creuset interprétatif, il ressort une obligation du législateur, non pas de veiller à ce que soit préservé la satisfaction des besoins des générations futures, mais seulement de veiller à ce que soit préservée « leur liberté de choix à cet égard » (§ 6). Ce faisant, le juge constitutionnel restreint matériellement la prise en considération de leurs intérêts. Ceux-ci ne sont pas protégés en tant que tels : le législateur doit préserver la seule liberté d’action des générations à venir dans la satisfaction de leurs besoins.
Cela dit, on pourra certainement nous opposer la subtilité de cette distinction ou encore le contexte de la saisine, qui expliquerait aisément cette spécification et le fait qu’elle n’était pas présente dans la décision du 12 aout 2022[29]. Il ne faut effectivement pas oublier que c’est la réversibilité du stockage qui se trouvait être au cœur de la décision commentée. Introduite par la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006[30], la réversibilité vise « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion »[31]. Dit autrement, la réversibilité du stockage sert à ne pas imposer les choix de gestion opérés aux générations futures. Dès lors, il apparaît logique que la prise en considération des générations futures ait été enserrée dans cette idée du libre choix : ce dernier concrétise, dans le cadre du stockage des déchets radioactifs, la prise en considération par le législateur des générations futures et les limitations des charges qu’elles seront conduites à supporter[32]. Cependant, aussi subtile que paraisse la distinction, elle reste importante. Il est une chose de laisser le choix aux générations futures de revenir sur les atteintes portées à l’environnement. Il en est une autre de préserver l’environnement de façon à ne pas les contraindre à opérer un tel choix. En optant pour la première solution, le Conseil constitutionnel semble dénaturer le sens de l’alinéa 7 du préambule ou, à tout le moins, s’éloigner des allégations des requérants. En effet, si ces derniers visaient la liberté de choix des générations futures, c’était davantage pour considérer que les modalités du principe de réversibilité faisaient « obstacle à ce que les générations futures puissent revenir sur ce choix ». Il s’agissait alors de relever « l’atteinte irrémédiable à l’environnement, et en particulier à la ressource en eau, qui en résulterait » et la violation en découlant du « droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (§ 2). En outre, et considérant ces mêmes allégations, l’inscription de l’interprétation dans le cadre stricto sensu du principe de réversibilité s’avère moins logique. Plus encore, elle revient presque à faire oublier l’objet du contrôle de constitutionnalité : celui de vérifier la conformité de la loi à la Constitution et non l’inverse. Or, en enserrant la prise en compte des intérêts des générations futures dans le cadre matériel de la loi, on a le sentiment d’une mobilisation somme toute partielle de l’alinéa 7, si ce n’est même comme reposant sur une démarche inversée. Conditionnée par la loi, l’interprétation du Conseil constitutionnel semble faire de cette dernière une norme de référence subsumant la norme constitutionnelle.
Dès lors, comment expliquer une telle interprétation ? Deux éléments peuvent participer à répondre à cette question. Le premier apparait à la fois comme cause et conséquence. Il a trait au contrôle opéré par le Conseil qui, dans la suite de la décision, ne porte aucune appréciation sur la substance du principe de réversibilité. Suivant un raisonnement quelque peu circulaire, il se contente de considérer que son existence fait partie des garanties législatives suffisantes à assurer la prise en compte intérêts des générations futures (id – à leur liberté de choix)[33] ; cela sans s’intéresser outre mesure aux effets potentiels et à long terme de la loi sur les générations futures[34]. Ainsi, le constat d’une atteinte grave et durable à l’environnement qu’il dresse au § 10 apparaît davantage comme un standard limitant le déclenchement de son contrôle qu’un élément à prendre en compte dans la constitutionnalisation de leurs intérêts[35]. Le second élément a trait au problème complexe auquel est confronté le juge dans cette affaire. Depuis les années 90, le souci des générations futures s’est progressivement matérialisé dans le droit positif, tout en laissant régner une certaine incertitude quant à la portée de sa consécration juridique. Mais comme le souligne Thomas Schellenberger, « [l]e concept de responsabilité des générations actuelles envers les générations futures se construit essentiellement par l’imputation d’obligations aux premières et non par l’octroi de droits aux secondes »[36]. Suivant cette logique, le juge constitutionnel allemand a d’ailleurs reconnu un « devoir objectif de protection » envers les générations futures procédant de « [l’]impératif de prendre soin des fondements naturels de la vie d’une manière qui permette de les léguer aux générations futures dans un état qui laisse à ces dernières un choix autre que celui de l’austérité radicale »[37]. Nonobstant, nous admettons que la décision du Conseil est ambiguë, en raison du lien immédiatement opéré entre la référence aux générations futures et l’affirmation des limitations apportées à l’exercice du droit de vivre dans environnement équilibré et respectueux de la santé (§§ 6-7). Elle laisse effectivement croire à une personnification de ces générations futures et la reconnaissance de leur droit à un environnement sain[38]. Contrairement à ce qu’affirme le Conseil d’État dans une décision du 1er décembre 2023[39], le Conseil ne formule toutefois pas clairement l’existence de ce droit[40]. Plutôt que de franchir le Rubicon en procédant à une reconnaissance risquée d’un droit des générations futures à vivre dans un environnement sain, il parait davantage identifier un devoir confortant le droit de vivre dans un environnement sain des générations présentes : celui de veiller à protéger la liberté de choix des générations à venir avec lesquelles elles sont incontestablement liées et qui ne pourront « faire osciller modestement leurs besoins et leurs libertés » que dans « le cadre très contraignant » des choix qu’elles auront opérés[41]. On en regrettera toutefois la portée somme toute réduite et conjoncturelle, dont on peine aujourd’hui à imaginer le champ des possibles jurisprudentiels au-delà le projet Cigéo[42]. Surtout, on regrettera la circonscription temporelle du concept qui l’accompagne et que le Conseil constitutionnel participe, par son silence, à valider.
2- Une circonscription temporelle du concept de générations futures
Les requérants reprochaient aux dispositions contestées ne pas garantir le libre choix des générations futures, en raison de la (courte) période pendant laquelle la loi prévoit que réversibilité devra être assurée : c’est-à-dire « au moins cent ans »[43] (§ 2). Or, le Conseil constitutionnel n’a pas semblé réceptif à l’argument, l’élément temporel étant tout juste mentionné dans l’examen de la garantie constituée par le principe de réversibilité (§ 16). La décision apparaît alors fruste, et ce d’autant plus que l’insuffisance de cette durée minimale formait le socle argumentaire des requérants.
De nouveau, le silence du Conseil constitutionnel peut cependant s’expliquer par les garanties procédurales prévues par la loi examinée. La durée de cent ans ne reste qu’une durée légale minimale. Il appartiendra, en principe, au décret pris en Conseil d’État de fixer exactement la période de temps pendant laquelle l’installation restera ouverte, dans le respect du principe de réversibilité. Au surplus, selon les termes de la loi contrôlée, la mise en service complète de l’installation doit faire l’objet d’un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité, et in fine seul le législateur pourra autoriser la fermeture définitive du centre de stockage[44]. Il en résulte qu’une durée insuffisante de garantie du principe de réversibilité pourrait toujours être mise en exergue à l’occasion d’un examen ultérieur. Cela dit, il en ressort aussi une possibilité pour le législateur de revenir sur cette durée minimale, car ce que la loi fait, elle peut le défaire. Or Conseil constitutionnel ne s’étant pas prononcé explicitement sur la constitutionnalité de cette durée minimale, il est difficile d’en tirer un quelconque enseignement quant à la marge de manœuvre qui serait laissée au législateur. Surtout, il ressort de ce silence une forme de validation par le Conseil de cette durée minimale, laquelle cadre assez mal avec le concept de générations futures.
S’il n’est pas utile de retracer ici l’émergence du concept de générations futures[45], on rappellera simplement que celui-ci reste relativement indéterminé. Le terme n’est nullement défini dans le droit positif, et se voit aisément relégué au rang de notion « attrape-tout »[46]. Même entendu comme incluant « les êtres qui appartiennent à l’avenir, par rapport à une personne ou à l’humanité actuelle, auxquelles ils sont généalogiquement reliés »[47], il soulève une difficulté majeure : celle de savoir la période à prendre en compte lorsque l’on envisage une quelconque responsabilité envers ces générations à venir[48]. Certains, à l’instar de John Rawls, ont ainsi soutenu que la responsabilité ne pouvait s’étendre au-delà de deux ou trois générations[49]. Pour d’autres, cette responsabilité devrait inclure l’ensemble du futur, car « l’obligation morale, si elle existe, n’a pas de raison objective de se limiter à ceux que l’on est susceptible de connaitre »[50]. En réalité, il ne nous appartient pas, au détour de cette étude, de livrer une réponse sur ce point. Comme le souligne Émilie Gaillard, « ouverte par nature, [la notion] ne saurait faire l’objet d’une définition académique sans encourir le risque de l’arbitraire, de la dénaturation »[51]. Pourtant, on ne peut s’empêcher de s’interroger. Lorsque le Conseil constitutionnel valide — à l’aune de la liberté de choix des générations futures — la réversibilité du projet pour une période de cent ans, ne fait-il pas lui-même preuve d’un certain arbitraire ? Ne vient-il pas implicitement appréhender les générations futures comme celles qui partagent un espace immédiat de proximité temporelle et qui serait conduite à se chevaucher ? La question est d’autant plus importante que le problème envisagé est celui d’une technologie dont on sait qu’elle va porter potentiellement polluer les sols pendant des millions, si ce n’est des milliards, d’années[52]. Dès lors le ratio de temps entre la réversibilité et les effets susceptibles d’être produits apparait quelque peu disproportionné, renforçant la frustration suscitée par le silence du Conseil constitutionnel sur la question.
II- Un contrôle limité des atteintes aux intérêts des générations futures
Au-delà de l’interprétation des normes de référence, le Conseil constitutionnel était conduit à contrôler les dispositions relatives au régime applicable à la création et l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs et ainsi préciser les conditions du contrôle de la protection des intérêts des générations futures précédemment reconnue. Sur ce point, force sera d’admettre que sa décision reflète tant les enjeux que les limites du contrôle de constitutionnalité des lois adoptées dans un contexte scientifique complexe. Plus que la solution adoptée par le Conseil, le manque de pédagogie et de clarté rédactionnelle apparaissent critiquables. Partant, il n’est guère surprenant que le Conseil constitutionnel se soit limité à un contrôle de proportionnalité restreint (A.) circonscrit à l’existence de garanties procédurales suffisantes (B.).
A- Une technique de contrôle restreint attendue
La jurisprudence QPC du Conseil constitutionnel en matière environnementale est marquée par une forme de dichotomie. Tantôt, il se trouve confronté à des mesures qui, par leur portée, risquent de porter atteinte à l’environnement et sont contestées, à ce titre, par les requérants[53]. Tantôt, il se trouve confronté à des mesures visant la protection de l’environnement, mais contestées par des requérants se sentant lésés dans leurs droits concurrents, économiques généralement, et/ou souhaitant faire valoir un droit de participation à la prise de décision[54]. Plusieurs situations dans lesquelles le Conseil se prononce sur la portée de la protection de l’environnement peuvent ainsi être distinguées. Premièrement, et cela a constitué la porte d’entrée de « l’environnementalisation du droit constitutionnel », le Conseil peut être amené à chercher si le législateur a valablement concilié un autre droit constitutionnellement garanti à l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, soit en adoptant une mesure dont l’objectif était la protection de l’environnement[55], soit en adoptant une mesure dans une autre but, mais qui avait, selon les requérants, une incidence sur l’environnement[56]. Deuxièmement, et cela constitue une branche importante et spécifique du droit constitutionnel de l’environnement[57], le Conseil peut être amené à contrôler la bonne mise en œuvre du droit de participation à l’élaboration des politiques publiques en matière environnementale tiré de l’article 7 de la Charte, le plus souvent à travers le contrôle de l’incompétence négative. Troisièmement, il a pu être saisi de QPC lorsque des requérants estimaient que les mesures législatives adoptées aux fins de protection de l’environnement ne protégeaient pas suffisamment les droits prévus par la Charte[58].
Dans la décision ici commentée, la configuration correspond au dernier cas évoqué, conduisant le Conseil à contrôler la mise en œuvre par le législateur des droits résultants de l’article 1 de la Charte au regard de l’objectif de protection de l’environnement (§ 11). À l’œil du novice, la question de l’enfouissement des déchets radioactifs en couches géologiques profondes n’apparaît pas poursuivre un but de protection de l’environnement. En réalité, tant le processus d’élaboration de la loi que le choix de la solution de l’enfouissement ont été guidés par des préoccupations écologiques et de santé. Dès lors, on ne saurait s’étonner que le Conseil souligne que le législateur a « souhaité poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé »[59], de même que l’on ne saurait être surpris par la teneur du contrôle en découlant. Confronté à une situation dans laquelle il lui était demandé de contrôler, en quelque sorte, la qualité de la mise en œuvre par le législateur de la protection de l’environnement, le Conseil constitutionnel a eu recours à une technique de contrôle de proportionnalité restreint. La formule est désormais devenue habituelle : il n’appartient pas au Conseil constitutionnel « de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques manifestement inappropriées à ces objectifs »[60]. Elle est avant tout la manifestation d’un contrôle de proportionnalité restreint s’expliquant par la différence de nature entre son pouvoir et celui du législateur et matérialisant le refus de s’exposer à la critique d’un « gouvernement des juges »[61]. Dans le contexte spécifique de la décision commentée, elle peut également être comprise comme l’expression d’un certain malaise des membres du Conseil constitutionnel à appréhender les situations scientifiques complexes. On relèvera en ce sens l’insertion, dans le considérant de principe, de l’expression « en l’état des connaissances scientifiques et techniques » que le juge constitutionnel parait mobiliser lorsqu’il existe une incertitude scientifique sur les conséquences de la disposition contrôlée. Celle-ci n’est pas nouvelle, en témoigne notamment la décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015 relative à l’obligation de vaccination imposée aux titulaires de l’autorité parentale dans laquelle il avait estimé que son contrôle devait se limiter au caractère « manifestement inapproprié » des modalités retenues par la loi au regard « de l’état des connaissances scientifiques »[62]. On trouve la même formule dans la décision n° 2022-825 DC du 21 janvier 2022 relative à la loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire dans laquelle le Conseil avait considéré « [qu’]il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé »[63].
Assurément, l’enfouissement en couche géologique profonde des déchets radioactifs comporte son lot d’interrogations scientifiques auxquelles il ne revenait certainement pas au Conseil constitutionnel de répondre et, en ce sens, la mobilisation d’une telle formule n’est guère surprenante. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, elle-même, reconnait l’impossibilité épistémique d’établir un modèle scientifique capable de simuler parfaitement l’impact d’un tel site sur des centaines de millénaires[64]. Pour autant, il aurait été appréciable que le Conseil s’efforce de faire œuvre davantage de pédagogie. Alors que dans son commentaire joint à la décision, ce dernier consacre trois pages à l’explication des choix du législateur et au contexte de l’élaboration de la loi, il n’en est nullement fait mention dans la décision commentée. En l’absence de toute analyse des raisons pour lesquelles la méthode litigieuse de gestion des déchets semble à ce jour être la plus à même de protéger les intérêts des générations futures, on comprend la critique de ceux pour qui « le Conseil constitutionnel ne s’embarrasse même plus de l’argument de l’exception pour justifier l’atteinte ainsi portée à l’environnement »[65]. En effet, à partir du moment où le Conseil affirme que les dispositions contrôlées sont effectivement susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, il aurait certainement été opportun d’expliquer, même en passant, que ce risque se présentait pour l’heure comme le plus maîtrisé possible dans un contexte de pollution s’avérant, de toute façon, inévitable. À défaut, il reste le sentiment d’une « banalisation » des atteintes à l’environnement[66] et de l’acceptation non justifiée d’une régression de sa protection que le contrôle des garanties procédurales ne suffit pas à compenser.
B- Un contrôle focalisé (à l’excès) sur les éléments procéduraux
La « montée en puissance »[67] de la protection de l’environnement a conduit à l’élaboration de différentes techniques de contrôle du Conseil en la matière. La décision ici commentée s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence tout en orientant matériellement le contrôle sur les éléments procéduraux des dispositions législatives contrôlées. Concernant l’article 1 de la Charte, le Conseil a déjà eu l’occasion d’apporter certaines précisions relatives au contrôle qu’il entend exercer sur ce fondement. Sa technique de contrôle semble reposer sur trois étapes. La première est relative au champ d’application de l’article 1 : pour que celui-ci trouve à s’appliquer, il est nécessaire de rechercher si la disposition contestée a une incidence sur l’environnement. La deuxième consiste à identifier le ou les objectifs de la norme contrôlée. La troisième porte sur le contrôle à proprement parler qui se focalise sur les « garanties propres à assurer le respect [des exigences de protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement] » (§12). La décision ici commentée amène plusieurs remarques à la fois concernant le champ d’application de l’article 1 de la charte et la portée du contrôle du conseil au regard des garanties apportées par le législateur.
Concernant d’abord le champ d’application de l’article 1 de la Charte, le Conseil constitutionnel a déjà établi que celui-ci était limité aux dispositions qui ont une « incidence sur l’environnement »[68]. Comme le souligne, par ailleurs, le commentaire officiel de la décision ici commentée[69], le Conseil a utilisé différents standards pour déterminer si une disposition entrait dans ce champ d’application. Ainsi, en 2014, il a estimé que le grief tiré de l’article 1 de la Charte devait être écarté dès lors que les dispositions en question étaient « insusceptibles d’avoir des conséquences sur l’environnement »[70]. Ce seuil d’atteinte à l’environnement, nécessaire à ce que le Conseil exerce son contrôle, n’est pas propre à l’article 1 de la Charte[71]. Néanmoins, l’interprétation récente par le Conseil de cet article à la lumière du préambule soulevait certainement la question de savoir si le critère dégagé de « conséquences sur l’environnement » doit être le même lorsqu’il s’agit d’invoquer la prise en compte des générations futures. La réponse est négative. Le critère identifié aux fins d’exercer le contrôle du respect de la prise en compte du droit des générations futures à un environnement équilibré et respectueux de la santé semble nécessiter un seuil plus élevé d’atteinte, les mesures devant être « susceptibles de porter une atteinte grave à et durable à l’environnement » (§10). Le choix de ce critère doit évidemment être rattaché à l’évolution de la norme de référence : l’introduction de la prise en compte des générations futures appelait le développement de l’aspect temporel de l’atteinte. En effet, on imagine a priori difficilement qu’une atteinte ponctuelle à l’environnement puisse porter atteinte aux droits de générations à venir, même si, en matière environnementale, la temporalité des atteintes reste souvent discutable. En tout état de cause, on peut s’étonner de ce que le choix du critère d’identification du seuil ne se soit pas porté sur le terme « irréversible » plutôt que celui de durable, à l’instar tant de la Cour constitutionnelle allemande que de la doctrine en la matière[72]. Reste qu’il aurait certainement paru paradoxal pour le Conseil de consacrer simultanément une atteinte irréversible à l’environnement et le respect du principe de réversibilité par la loi. Il faudra alors voir si le Conseil confirme à l’avenir ce choix.
Concernant la portée du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, l’objet, davantage que la méthode, appelle quelques remarques. Si l’on sait qu’en matière environnementale et, en particulier, lorsqu’il s’agit de contrôler un régime d’autorisation, le Conseil tend à se focaliser très largement sur des éléments procéduraux[73], on peut néanmoins s’étonner de l’absence de prise en compte des effets potentiels de la mesure. Dans la décision ici commentée, le contrôle du Conseil se focalise sur trois éléments successifs. La décision rappelle en effet que l’article L542-1 du Code de l’environnement prévoit le respect de la protection de la santé des personnes et de l’environnement et la nécessité de « prévenir ou limiter les charges qui seront supportées par les générations futures » (§ 12), et identifie trois catégories de garanties « propres à assurer le respect de ces exigences » (§ 13). Premièrement, il est brièvement évoqué le garde-fou législatif inscrit dans la loi contrôlée encadrant le principe même du stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs que sont la réversibilité, la mise en œuvre à travers l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage (§ 14). Deuxième catégorie de garanties identifiées par le Conseil, la procédure de création d’un centre de stockage se déroule en différentes étapes, autorisations et évaluations (§§ 15-18). Troisièmement, le Conseil met en avant la garantie issue de la nécessité de recourir à la loi pour autoriser la fermeture définitive du centre (§ 19). L’ensemble des garanties procédurales mises en place par les dispositions contrôlées, auxquelles est accolée la prise en compte de la participation des citoyens « assurée tout au long de l’activité du centre de stockage » (§19), conduisent le Conseil constitutionnel à estimer que les « dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement tel qu’interprété à la lumière du septième alinéa de son préambule » (§21). Il faut ici concéder que les dispositions contestées prévoient une procédure particulièrement complexe d’autorisation destinée à respecter le principe de participation et à assurer une mise en œuvre effective du principe de réversibilité[74]. Cette procédure s’achèvera d’ailleurs par une décision de fermeture définitive relevant de la compétence du législateur et qui sera soumise à une discussion prenant en compte les risques et les inconvénients du procédé. Sur le plan procédural, de nombreuses garanties ont donc effectivement été prévues afin que soit justement évalué le risque de création et de fermeture d’un tel centre.
Reste que, dans une décision dont l’un des apports majeurs est la réaffirmation de la prise en compte des générations futures, on peut s’étonner de ne trouver aucun élément relatif aux effets dans le temps d’un tel procédé, alors même que, nous l’avons évoqué, le Conseil constitutionnel affirme que lesdites dispositions sont « susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement » (§ 10). Le processus, l’ampleur des débats et la durée d’élaboration de cette loi, conjugués à la volonté toujours affichée du législateur de protéger autant que faire se peut l’environnement et les droits des générations futures, constituent autant d’éléments qui plaçaient le Conseil dans une position délicate[75]. Sauf à censurer une loi adoptée après un temps de débat particulièrement long (plus de 30 ans) et dont les fondements scientifiques sont particulièrement complexes (voire vertigineux dès lors que les enjeux temporels se comptent en millions d’années), le Conseil ne pouvait trancher ce qui s’apparente davantage à une question scientifique que juridique. Néanmoins, on ne peut que regretter l’absence de mention de ces différents éléments qui sont obstrués derrière la mention des « travaux préparatoires » (§11) alors même que le commentaire officiel de la décision prend un soin particulier à les détailler[76]. Par ailleurs le choix de focaliser le contrôle de proportionnalité sur les garanties procédurales doit également être mis en lien avec l’objet du contrôle opéré par le juge constitutionnel. En effet, les allégations des requérants portaient spécifiquement sur l’insuffisance de la garantie de la réversibilité du stockage. Reste que si les effets du stockage sont irréversibles, on imagine mal que l’on puisse considérer que des garanties procédurales suffisent à protéger les droits des générations futures.
***
À titre conclusif, il nous faut rappeler que la focalisation de la protection de l’environnement sur les éléments procéduraux n’est, en réalité, pas propre au Conseil constitutionnel. Les difficultés à la fois techniques et politiques de la protection de l’environnement ont conduit au développement, tant en droit international qu’en droit interne, d’obligations procédurales en ce domaine. On pensera à cet égard à l’obligation de procéder à des études d’impacts contenues dans le nouveau Traité de protection de la haute mer adopté en juin 2023[77]. Ce mouvement repose en partie sur l’idée sous-jacente que la discussion entre acteurs scientifiques, politiques et citoyens et leur contrôle mutuel sont en eux-mêmes propres à assurer une protection efficace de l’environnement. Reste à espérer que cette forme de sagesse partagée permettra de renforcer la prise en compte des intérêts des générations futures que le Conseil constitutionnel, en dépit des faiblesses de la décision commentée, a néanmoins eu le courage de faire émerger dans le périmètre restreint des normes constitutionnelles. Affaire à suivre…
[1] Manon Bonnet est rédactrice principale du I.A et II. et a généralement contribué par sa connaissance du contentieux constitutionnel.
[2] Claire Portier est rédactrice principale de l’Introduction et du I.B. et a généralement contribué par sa connaissance du droit de l’environnement et des enjeux entourant le recours à l’énergie nucléaire.
[3] En ce sens voy. par exemple site Reporterre qui a titré « Le Conseil constitutionnel reconnaît le droit des générations futures à un environnement sain », 27 octobre 2023, [lien] ; Les Échos, « Environnement : le droit des générations futures doit être pris en compte », 2 novembre 2023, [lien], Greenpeace, « La protection des générations futures enfin reconnue. Pour autant le projet Cigéo n’est pas validé », 27 octobre 2023, [lien].
[4] Voy. par exemple : S. Salles, « Constitutionnalisme vert et déchets nucléaires : consécration historique de la liberté de choix des « générations futures », La Gazette du Palais, décembre 2023, n° 40, pp. 8‑12 ; L. Radisson, « Le Conseil constitutionnel affirme la liberté de choix des générations futures », Droit de l’environnement, décembre 2023, n° 327, pp. 419‑420 ; C. Perruso, « Protection des droits des générations futures par le Conseil constitutionnel : les apports de la QPC du 27 octobre 2023 », Dalloz actualité, novembre 2023 ; J. Rochfeld, L. Fontbaustier, « Le Conseil constitutionnel et les intérêts des générations futures : À propos de Cons. const., 27 oct. 2023, n° 2023-1066, QPC », JCP G, décembre 2023, n° 49, p. 2156-2162 ; M. Moliner-Dubost « Droit des générations futures à un environnement équilibré et respectueux de la santé et stockage des déchets radioactifs La prudente audace du Conseil constitutionnel (observations sur deux oxymores) », Actualité juridique collectivités territoriales, janvier 2024, n° 1, p. 35; J-C. Rotouillié, « Le Conseil constitutionnel face au droit des générations futures et des autres peuples », AJDA 2024, pp. 216-220; E. Gaillard, « Vers la reconnaissance d’un droit des générations futures ? – Réflexions autour de la QPC n° 2023-1066 relative au stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde », EEI 2023, comm. 93 ; S. Brimo, « Le droit à un environnement sain des générations futures », La Gazette du Palais, 16 janvier 2024, n° 2, pp. 26-28 ; B. Crottet, « Le droit de vivre dans un environnement sain étendu au bénéfice des générations futures », La Gazette du Palais, n°4, 6 février 2024, pp. 1-2.
[5] Pour un historique, voy. notamment J.-M. Pontier, « Que faire des déchets radioactifs? Questions, contestations, orientations » in J.-M. Pontier et E. Roux (éds.), Droit nucléaire : les déchets nucléaires journée d’étude du 23 octobre 2013, [Nîmes], Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2014, pp. 13‑104.
[6] Notons, en effet, que la loi dite « loi Bataille » du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs organisait ces recherches en trois axes : la séparation/transmutation, le stockage géologique profond et l’entreposage de longue durée en surface. Si la loi n°2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs a acté la décision de construire un site de stockage réversible profond, c’est que cette solution apparaissait comme étant la plus satisfaisante. Voy. Autorité de sureté nucléaire (ASN), « Avis de l’Autorité de sûreté nucléaire sur les recherches relatives à la gestion des déchets à haute activité et à vie longue [HAVL] menées dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991, et liens avec le PNGDR-MV », 1er février 2006 ; Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), « Rapport global d’évaluation des recherches conduites dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991 », janvier 2006 ; C. Baille, C. Bireaux (députés), « Rapport sur l’état d’avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs », n°2159, 16 mars 2005.
[7] Sur la réversibilité, voy. infra
[8] P. Subra, « Cigéo, un conflit à vie longue », Hérodote, octobre 2018, n° 3, pp. 209‑224.
[9] En effet, la loi adoptée s’inscrivait initialement dans un mouvement de recul du nucléaire, motivé, en partie, par l’accident survenu sur la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi en mars 2011. Le contexte de relance actuel pourrait ainsi conduire « à augmenter significativement la quantité des déchets radioactifs à traiter à l’avenir dans le “Cigéo” ou, à tout le moins, à devoir sérieusement prendre en compte ce nouveau paramètre pour envisager – encore – de nouvelles solutions » : S. Salles, « Constitutionnalisme vert et déchets nucléaires : consécration historique de la liberté de choix des « générations futures », op. cit., p. 9.
[10] CE, Décision du 2 août 2023, n°467370, § 3.
[11] Id.
[12] C. Const., Décision. n°2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, Cédric H. et autre [Délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger], §§ 7-11.
[13] En ce sens voy. D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, Précis Domat, Paris-La Défense, LGDJ, 2023, pp. 939‑940.
[14] Voy. pour ex. sur les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 C. Const., Décision 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, §§ 30-34.
[15] Voy. pour ex. C. Const., Décision n° 91-291 DC du 6 mai 199, Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France […], §§ 22-26.
[16] C. Const., Décision. n°2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, op. cit., § 7.
[17] CE, 5 juillet 2023, n°472376, § 10.
[18] Ibid., § 6.
[19] Ibid., § 10.
[20] Voy. par exemple, C. Const., Décision 2019-796 DC du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020.
[21] D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 940.
[22] Les juridictions de renvoi se sont plusieurs fois refusées à renvoyer des QPC sur ce fondement. Pour l’ordre judiciaire, voy. Cass. crim., 9 août 2023, n°23-80.437 (relatif à l’article 225-5 du Code Pénal, la Cour ayant estimé que la disposition permettait « au juge d’apprécier si le comportement incriminé constitue un acte d’entraide ayant pour objet de préserver le respect de la dignité de la personne ou, au contraire de favoriser la prostitution ») ; Cass. civ. 2, 23 juin 2022, n°21-24.888 et 21-24.886 (le juge a considéré que le grief était inopérant en matière civile). Pour l’ordre administratif, voy. CE, 5 juillet 2023, n°472376 et CE, 10 mars 2023, n°469663 (relative aux dispositions de la loi n°2011-725 du 23 juin 2011 relative à l’évacuation des lieux d’habitats informels à Mayotte et en Guyane, le CE a estimé qu’il existait des garanties suffisantes pour concilier la nécessité de sauvegarde de l’ordre public et les atteintes à la vie privée et la dignité humaine, et qu’il en allait de même pour le « grief tiré de l’atteinte au principe de fraternité »). Voy. également C. Const., Décision 2023-1039 QPC du 24 mars 2023, op. cit., § 13.
[23] En ce sens, trois décisions nous semblent révélatrices. La première, en date du 27 décembre 2019, portait sur la loi de finances pour 2020 (C. Const., Décision 2019-796 DC, Loi de finances pour 2020). Les députés avaient saisi le Conseil en estimant, entre autres, que les dispositions relatives aux conditions d’accès à l’aide médicale d’État portaient une atteinte disproportionnée au principe de fraternité compte tenu du faible impact budgétaire de la mesure. Après avoir effectué un contrôle de la conciliation opérée par le législateur entre « les exigences constitutionnelles de bon emploi des deniers publics et de lutte contre la fraude en matière de protection sociale et […] le droit à la protection de la santé », le Conseil se limite à affirmer que l’alinéa attaqué ne « méconnaît pas non plus le principe de fraternité » (§129). Deux autres décisions de 2023 font montre du même silence du Conseil. Dans la décision n°2023-853 DC, Loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite du 26 juillet 2023, les députés requérants critiquaient l’article 4 de la loi insérant dans le Code pénal la répression de la « propagande ou de la publicité en faveur de méthodes visant à faciliter ou inciter à la commission des délits de violation de domicile ou d’occupation frauduleuse de certains locaux » (§34) ; et ce en ce qu’il portait atteinte, entre autres, aux principes de solidarité et de fraternité. Après avoir apprécié ladite disposition au regard de la liberté d’expression (§42), le Conseil se limite à affirmer que ledit article « ne méconnaît pas non plus le principe de fraternité » (§43).
[24] C. Const., Décision n°2022-843 DC du 12 aout 2022, Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, §§ 12, 22
[25] Les générations futures sont devenues un concept juridique en devenir, à travers l’émergence du concept de développement durable. Celui-ci n’a effectivement de sens que par rapport aux générations futures, étant communément défini comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Commission mondiale sur l’Environnement et le Développement, Notre avenir à tous (Rapport Bruntland), octobre 1987). Au terme de l’alinéa 7 de la Charte, c’est donc « afin d’assurer un développement durable [que], les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins »
[26] C. Const., Décision n°2022-843 DC du 12 aout 2022, op. cit., §§ 11-12, §§ 21-22 Il est ainsi difficile de ne pas voir la logique de développement durable dans le raisonnement du Conseil ; d’une part, en raison de la conciliation opérée entre la protection de l’environnement et les « autres intérêts de la Nation »; d’autre part, en raison de la prise en considération des générations futures, qui sont inscrites au cœur de la définition de ce concept. Voy. confortant cette idée A. Touzet, « Droit et développement durable », RDP, 2008, n°2, p. 453 et J. Rochfeld, L. Fonbaustier, op. cit., p. 1428 soulignant le lien entre cet alinéa et l’article 6 de la Charte de l’environnement, également invoqué en l’espèce, et dont il convient de rappeler qu’il pose le principe de conciliation entre la protection de l’environnement, le développement économique et le progrès social que sont les trois piliers du développement durable. Voy. également F. Savonitto, « Contrôle des dispositions relatives à la sécurité d’approvisionnement en gaz et en électricité : le Conseil constitutionnel souffle le chaud et le froid », JCP A, novembre 2022, n°45, 2310. Voy. également M. Charité, « Un contrôle de constitutionnalité plus “vert” qu’hier et moins que demain ? », JCP G, septembre 2022, n°36 soulignant la référence faite par le Conseil au développement durable, mais dans une définition différente de celle de l’article 6 de la Charte. Sur le concept de développement durable en droit constitutionnel, voy. F. Trébulle, « Droit du développement durable », JCL Environnement, fasc. 2400, sp. §§ 136 et ss.
[27]J. Rochfeld, L. Fonbaustier, op. cit., p. 2159.
[28] Notons qu’il avait déjà, auparavant, reconnu la valeur constitutionnelle du préambule : C. Const., Décision n°2014-394 QPC du 7 mai 2014, Société Casuca [Plantation en limite de propriété privée], § 5.
[29] Voy. C. Const., Décision n°2022-843 du 12 aout 2022, op. cit., § 12 : « Il résulte cependant du préambule de la Charte de l’environnement que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ». Nous soulignons. Voy. également § 22.
[30] Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, JORF n°149, 29 juin 2006, art. 5 et 12.
[31] Loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, JORF n°172, 26 juillet 2016, art. 1 ; Code de l’environnement, art. L542-10-1, al. 1
[32] Voy. Code de l’environnement, art. L542-1.
[33] Voy. infra.
[34] Contrairement à ce qu’il laisse à penser dans son commentaire. Voy. C. Const., Commentaire joint à la décision n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, p. 25.
[35] Voy. infra.
[36] T. Schellenberger, Le droit public des utilisations du sous-sol. Réflexions sur le régime juridique des stockages géologiques de déchets, thèse soutenue le 17 janvier 2014, Aix-Marseille Université, p. 513.
[37] Tribunal constitutionnel allemand, 24 mars 2021, BVerfG 1 BvR 2656/18, 1 BvR 78/20, 1 BvR 96/20, 1 BvR 288/20, sp. 193. Voy. également § 109 et § 146 : « Cette obligation de protection intergénérationnelle est toutefois de nature purement objective, étant donné que les générations futures ne peuvent, ni dans leur ensemble ni en tant que notion recouvrant la totalité des individus qui vivront alors, être considérées comme étant actuellement titulaires de droits fondamentaux ». Voy. en ce sens J. Rochfeld, L. Fonbaustier, op. cit., p. 2161. contra L. Gay, « Environnement et changement climatique : le Conseil constitutionnel fait entrer en scène les générations futures », RFDC, 2023, n°134, p. 471 identifiant une prise en compte des droits des générations futures.
[38] Voy. relevant également cette proximité dans la décision du 12 aout 2022 sans admettre la reconnaissance du droit à un environnement sain des générations futures, L. Gay, op. cit., p. 468.
[39] CE, 1 décembre 2023, n°467331, § 67.
[40] Voy. en ce sens J. Rochfeld, L. Fonbaustier, op. cit., p. 261 ; J-C. Rotouillié, op. cit, p. 216 nuancé par E. Gaillard, « Vers la reconnaissance d’un droit des générations futures ? – Réflexions autour de la QPC n° 2023-1066 relative au stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde », op. cit. voyant éventuellement la reconnaissance implicite d’un tel droit ; S. Brimo, op. cit., p. 26 considérant l’existence de nouveaux titulaires au droit à un environnement sain et B. Crottet, op. cit., pp. 1-2 considérant la reconnaissance du droit de vivre dans un environnement sain aux générations futures.
[41] J. Rochfeld, L. Fonbaustier, op. cit., p. 2161.
[42] Voy. plus généralement comme interrogeant la postérité de la décision J-C. Rotouillié, op. cit., p. 216.
[43] Code de l’environnement, art L542-10-1, al. 14
[44] Ibid., al. 14 et 16.
[45] Sur ce point, voy. notamment S. Djemmi-Wagner, V. Vanneau (dirs), Droit(s) des générations futures, IERDJ, 2023, pp. 19 et ss et E. Gaillard, Générations futures et droit privé, Paris, LGDJ, 2011, sp. pp. 139 et ss.
[46] J. Caron, « Générations futures, sans voix ni droit ? », Revue Projet, vol. 330, n° 5, 2012, p. 6.
[47] E. Gaillard, Générations futures et droit privé, op. cit., p. 7.
[48] Voy. en ce sens S. Djemmi-Wagner, V. Vanneau (dirs), op. cit., p. 30.
[49] Voy. J. Rawls, Théorie de la Justice, trad. C Audard, Paris, Sueil, 1997, 665 p. Pour une étude de la pensée de cet auteur et de ses contradicteurs (not. F. Ost), voy. E. Gaillard, Générations futures et droit privé, op. cit., pp. 333 et ss.
[50] S. Djemmi-Wagner, V. Vanneau (dirs), op. cit., p. 30 faisant référence à Dieter Birnbacher, La responsabilité envers les générations futures, Paris, PUF, 1994. Sur cette question, voy. E. Gaillard, Générations futures et droit privé, op. cit., sp. pp. 6-7, et pp. 386-387.
[51] Gaillard, Générations futures et droit privé, op. cit., p. 405.
[52] Voy. en ce sens E. Gaillard soulignant que « dès lors que nous mettons en danger l’avenir, dans un contexte de certitude ou d’incertitude, nous nous devons d’adapter notre responsabilité, notre droit, notre politique ou notre économie à l’aune temporelle de la portée de nos actions […] Avec les nouvelles technologies, nous faisons face à un conflit de temporalités entre ce que l’on se permet de faire, les effets qui en résultent et notre capacité à les encadrer, voire à les maîtriser. En clair, il nous faut adapter notre matrice de raisonnement en tenant compte de ces effets » : L. Martin-Meyer, « Générations futures : un droit d’avenir. Entretien avec Émilie Gaillard », Sésame, 2022/1, n°11, p. 54.
[53] Voy. par ex. C. Const., Décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques].
[54] Voy. par ex. C. Const., Décision n° 2013-316 QPC du 24 mai 2013, SCI Pascal et autre [Limite du domaine public maritime naturel] ; Décision n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013, Syndicat français de l’industrie cimentière et autre [Quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles] ; Décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, Société Schuepbach Energy LLC [Interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures – Abrogation des permis de recherches] ; Décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, M. Antoine de M. [Classement et déclassement de sites].
74 Voy. par ex. C. Const., Décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques].
[56] Voy. par ex. C. Const., Décision n°2011-116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel Z et autre [Troubles du voisinage et environnement] ; Décision n°2014-422 QPC du 17 octobre 2014, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis [Voitures de tourisme avec chauffeurs] ; Décision n°2014-394 QPC du 7 mai 2014, op. cit. On soulignera néanmoins que dans les deux derniers cas, le Conseil constitutionnel a estimé que les mesures n’entraient pas dans le champ d’application des dispositions invoquées de la Charte.
[57] Voy. J. Bétaille, « Les droits procéduraux environnementaux » in Droit constitutionnel de l’environnement, Collection de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, vol. 64, Le Kremlin-Bicêtre, Mare & Martin, 2021, pp. 259‑273 ; D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., pp. 941‑946.
[58] Voy. par ex. C. Const., Décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013, Loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes.
[59] Ibid.
[60] Ibid.
[61] S. Salle, op. cit., p. 10.
[62] Voy. par ex. C. Const., Décision 2015-458 QPC du 20 mars 2015, Époux L. [Obligation de vaccination], § 10 ; Décision 2013-346 QPC, op. cit., § 12 ; Décision n° 2021-946 QPC du 19 novembre 2021, Société Pétroles de la côte basque [Part des biocarburants prise en compte dans la filière gazole pour le calcul de la taxe générale sur les activités polluantes], § 10.
[63] C. Const., Décision n°2022-825 DC du 21 janvier 2022, Loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire, §§ 14, 32.
[64] Voy. par exemple la page internet de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) consacrée à la sureté du site Cigéo sur laquelle elle affirme, concernant l’impact du projet, que « l’impact maximal à l’évolution normale du stockage (apprécié de manière prudente et pénalisante, sur la base de l’état des connaissances et des incertitudes, en supposant que les humains du futur viendraient notamment utiliser les eaux des aquifères pour leurs activités) se situe au-delà d’une centaine de milliers d’années et est inférieur à 0,02 mSv/an » [lien]. Plus techniquement, voy. pour ex. la prise en compte de l’incertitude dans l’étude d’impact comprise dans le dossier d’autorisation de l’INB, pour exemple le vol. 6 « Incidence sur la santé humaine », pp. 109 et ss [lien].
[65] I. Boucobza, P. Rrapi, « Le message du Conseil constitutionnel aux générations futures : à nous la souveraineté énergétique, à vous les déchets nucléaires », Questions constitutionnelles, 12 février 2024 [lien] faisant ici référence à la décision du 12 aout 2022 dans laquelle le Conseil constitutionnel avait relevé le caractère exceptionnel de l’atteinte portée à l’environnement en raison du contexte de crise énergétique. Il ressort en effet de la décision de 2022 une plus grande pédagogie du Conseil constitutionnel. Après avoir constaté l’atteinte à l’environnement causée par les mesures litigieuses, celui-ci en avait expliqué que le caractère somme toute exceptionnel, mais également inévitable, dans un contexte de crise énergétique. Dans le cas de la décision commentée, on aurait donc apprécié que le Conseil fasse preuve d’une plus grande pédagogie, en expliquant que la loi contestée apparaissait, à ce jour, comme la solution la plus adaptée pour faire face au problème, évidemment attentatoire à l’environnement, mais également insoluble et, que représentent les déchets nucléaires à vie longue.
[66] I. Boucobza, P. Rrapi, op. cit.
[67] D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 946.
[68] C. Const, Décision n°2012-282 QPC du 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et autre [Autorisation d’installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité] ; C. Const. Décision n°2014-422 QPC, op. cit.
[69] C. Const., Commentaire joint à la décision n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, pp. 16-18
[70] C. Const. Décision n°2014-394 QPC, op. cit.
[71] On citera ici, à titre d’exemple, l’importante jurisprudence du Conseil sur l’article 7 de la Charte.
[72] J. Rochefeld et L. Fontbaustier, op. cit., pp. 2156‑2162.
[73] Voir en ce sens C. Const., Décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
[74] En effet, l’article L542-10-1 al. 11 et 12 du Code de l’environnement prévoit une procédure reposant sur la présentation, au moment de la demande, d’études menées au moyen d’un laboratoire souterrain, suivie d’un débat public résultant lui-même d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, puis d’un rapport de la commission nationale, et un avis de l’Autorité de la sûreté nucléaire. Enfin, la demande devra être transmise à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques chargé d’évaluer et de rendre compte de ses travaux aux commissions parlementaires. Ces différentes étapes doivent assurer une mise en œuvre effective de la réversibilité.
[75] Voy. Supra note 6.
[76] C. Const., Commentaire joint à la décision n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, pp. 1-7.
[77] Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, adopté à New York le 19 juin 2023, encore non entré en vigueur, art. 27 et ss.