La réponse pénale aux violences commises par le policier
Par Olivier Cahn, Professeur de droit pénal, Université Paris Nanterre, CDPC EA 3982
« Quand j’entends le mot “violences policières“, moi, personnellement, je m’étouffe »[1]
Traiter de la réponse pénale aux violences commises par le policier oblige à quelques prolégomènes.
Cette question – a priori non problématique pour le juriste – est délicate à appréhender car elle oblige à raisonner en se protégeant des instrumentalisations caricaturales qui la transforment en une question politique sensible[2]. La neutralité axiologique est ainsi mise à l’épreuve d’un discours rarement nuancé ou fondé sur des réalités factuelles.
En pratique, la suspicion de violences policières engendre l’affrontement de deux postures pavloviennes.
D’un côté, le ministère de l’intérieur et les principaux syndicats de police développent une réaction en deux temps. Ils commencent par nier l’existence d’une infraction en invoquant, en fonction des circonstances, l’absence d’acte violent ou, si l’intégrité de la victime est atteinte, l’existence d’une cause d’exonération de la responsabilité pénale[3]. Chargée de la « guerre de l’image »[4], la Direction générale de la police nationale organise la riposte médiatique à la mise en cause des forces de l’ordre et participe à la définition des éléments de langage du ministre[5]. Si cela ne suffit pas à disperser l’attention, le discours ministériel et syndical consiste alors à contester tout problème systémique et à lâcher, en apparence au moins, le fonctionnaire mis en cause pour rapporter l’action querellée à l’acte individuel isolé d’une « brebis galeuse ». Il peut aussi être fait état des policiers tués ou blessés en service dans des conditions similaires à celles de l’éventuelle bavure, ou du contexte dans lequel elle est survenue, qui sera allègrement dramatisé en invoquant, contre l’évidence ou l’histoire, une situation de violence inédite à laquelle ont été confrontés les agents de la force publique[6].
De l’autre côté, la victime des violences policières ou ses proches, souvent constitués en association, parfois avec le soutien d’activistes, ainsi que les partis d’extrême-gauche vont systématiquement contester toute responsabilité de ladite victime dans la violence qu’elle a subie et arguer que les conditions de la légalité du recours à la force par le policier n’étaient pas réunies. Le cas individuel est présenté comme l’expression d’un problème systémique affectant l’institution policière[7]. Sont alors mobilisées des ressources puisées dans la doctrine critique radicale[8]. S’exprime enfin une défiance systématique envers les institutions de contrôle – qu’elles soient d’enquête, de poursuites ou de jugement -, accusées, plus ou moins explicitement, d’appartenir à l’appareil d’État qui se chargera de couvrir et légitimer l’action policière, y compris contre la vérité juridique des faits[9].
Ces discours politiques antagonistes, qui saturent le champ de l’expression publique, ont en commun d’avoir pour objet d’exclure la légitimité de l’intervention du juge répressif, puisqu’à la négation de l’existence de toute infraction répond la suspicion d’une collusion entre les institutions policière et judiciaire, sous l’égide de l’exécutif.
Par ailleurs, une autre antienne du ministère de l’intérieur consiste à affirmer que « les policiers représentent 7 % de l’ensemble de la fonction publique, mais font l’objet de 55 % des sanctions prononcées à l’encontre de tous les fonctionnaires. C’est dire à quel point la police et la gendarmerie sont surveillées, contrôlées, inspectées, sanctionnées »[10].
La proposition est intéressante en ce qu’elle rappelle combien la police est effectivement contrôlée et combien est dénué de vérité l’argument selon lequel les violences policières seraient systématiquement couvertes par les autorités étatiques. Elle doit cependant être nuancée en rappelant que le ministre répond – et c’est une pratique systématique – à une interpellation sur les violences policières par une réponse évoquant l’ensemble des manquements déontologiques et infractions ayant conduit à sanctionner des agents de la force publique. C. Moreau de Bellaing a montré que, parmi les fautes susceptibles d’être reprochées à un policier, celles qui donnent lieu systématiquement à des sanctions, disciplinaires et parfois judiciaires, sont celles que la hiérarchie considère comme des « dévoiements de l’institution policière » ; or, les violences illicites qui résultent de l’usage de la force « légitime » ne sont pas considérées comme telles[11].
À l’intoxication politique s’ajoute la complexité de la relation police-justice. Le bel ordonnancement prévu par le code de procédure pénale, aux termes duquel la force publique est subordonnée à l’autorité judiciaire[12], est largement obsolète. Les politiques publiques de sécurité et l’application à l’institution judiciaire des règles du new public management ont inversé le rapport de force et rendu la justice répressive dépendante des services de police[13], permettant à la revendication policière d’un traitement privilégié par la justice lorsqu’un agent est mis en cause de s’épanouir; la concurrence entre syndicats de police et l’ascendant que la réforme des corps et carrières de 1995 leur a permis de prendre au sein de l’Administration ont exacerbé la radicalité corporatiste[14]. S’est ainsi déployé un discours par lequel les policiers, tout à la fois, reprochent à la justice son laxisme lorsqu’ils sont victimes, et dénoncent sa sévérité et son absence de considération pour leur qualité et leurs conditions d’exercice, lorsqu’ils sont auteurs[15]. Ainsi, le traitement judiciaire des violences policières se transforme en outil de pérennisation du rapport de force par la mise à l’épreuve récurrente de la confiance accordée par les policiers à la justice. Chaque affaire de violences commises par ou contre un policier, et a fortiori chaque procédure pénale qu’elle engendre, offre aux syndicats de police l’occasion de rappeler les magistrats à l’ordre qu’ils entendent les voir consacrer et de jouer à leur encontre l’importante fraction de l’opinion publique qui réclame de l’autorité[16]. La réponse pénale aux violences policières devient ainsi, pour les syndicats de police, un moyen de défier les magistrats, contre la Constitution et les principes de l’État de droit, mais avec le soutien, dorénavant explicite, des ministres de l’intérieur et grâce à la pusillanimité des gardes des Sceaux.
En outre, comme le rappelle C. Moreau de Bellaing, si « la question de la mesure policière est souvent mise en rapport avec les exigences identifiées comme corollaires de l’État démocratique », il faut aussi admettre que « le caractère hautement autoréférentiel de l’activité policière rend complexe la garantie de cette mesure. Ainsi, la théorie politique a montré en quoi l’étalon servant à mesurer la justesse de l’intervention policière est fixé par la force publique elle-même »[17]. Partant, les règles qui gouvernent l’usage de la force par les policiers[18], qui constituent pourtant un fondement de la démocratie libérale, sont mises en œuvre par le juge en intégrant la construction policière de leurs implications.
Il est alors déstabilisant pour le juriste de constater qu’une question aussi éminemment juridique que celle de la réponse pénale aux violences commises par le policier ne peut être traitée par la seule interprétation du droit qui est, d’abord, négligé dans les discours politiques dominants qui ne laissent aucun espace à la justice pénale entre, d’une part, l’affirmation péremptoire d’une légitimité incontestable de l’activité policière et, d’autre part, celle du « police partout, justice nulle part » et, ensuite, distordu par le rapport de force imposé par la police à la justice. Il faut donc dépasser ces obstacles.
Au préalable, une ultime mise au point sur le rapport de notre sujet à la légitimité de l’usage de la force par les policiers doit être opérée. Chacun se souvient de la déclaration du ministre de l’intérieur : « La police exerce une violence, certes, mais une violence légitime. C’est vieux comme Max Weber! »[19]; analyse que le Président de la République a ensuite fait sienne[20]. Selon cette position, fondée sur la confusion de la force et de la violence[21], la notion de « violences commises par le policier » serait un oxymore et une aporie car l’agent de la force publique, lorsqu’il mettrait en œuvre la coercition, n’agirait que par délégation de l’État et la légalité de son action découlerait a priori de ce qu’elle ne serait que l’expression de la violence légitime de l’État. Pareille analyse résulte d’une lecture erronée de Weber[22]. Catherine Colliot-Thélène la qualifie d’« absurdité » puisque « quand [Weber] dit, “l’État se caractérise par le monopole de la violence légitime”, la légitimité [renvoie] à une reconnaissance factuelle du bien-fondé du pouvoir qui n’est jamais définitivement acquise, qui relève de probabilités. La probabilité, sur un certain territoire, que la majeure partie des citoyens, reconnaissent ce type de pouvoir comme celui qui en dernière instance doit trancher les conflits »[23]. En d’autres termes, Weber identifie « l’Etat moderne comme un organe qui a réussi à monopoliser la garantie des droits qui, auparavant, appartenait à des corps ou des instances différents » et décrit ainsi un « processus d’unification du pouvoir politique qui correspond à la genèse de la modernité ». La violence évoquée par Weber n’est pas la « violence physique » des forces de l’ordre, mais la « violence symbolique » qui permet d’expliquer le phénomène par lequel des « dominants, en nombre restreint, [peuvent exercer] une violence sur des dominés » sans qu’il n’y ait « davantage de révoltes, [ou] de révolutions » parce que les groupes dominés acceptent la légitimité de cette violence en ce qu’elle émane de l’entité qu’ils reconnaissent comme l’État[24]. Dès lors, les « violences commises par le policier » ne sont « légitimes » qu’autant qu’elles sont légales, c’est-à-dire conformes aux prescriptions des normes juridiques qui en régissent la mise en œuvre. Si l’agent de la force publique ne se conforme pas à la contrainte légale, il se réduit à un délinquant. Or, l’autorité chargée de décider de la conformité à la loi de l’action du policier n’est pas une immanence qui la revêtirait d’une légitimité absolue, mais le juge pénal. Le juriste le sait car, en quelque sorte, « C’est vieux comme Montesquieu »[25]…
Débarrassé de l’argument de la légitimité a priori de la violence policière, nous pouvons nous concentrer sur la seule question qui doit nous intéresser, celle de la légalité de l’usage de la force par un policier. Pour ce faire, nous adopterons la typologie de la « violence policière » proposée par F. Dieu[26]. Parmi les mobilisations de la « force physique » par le policier dans l’exercice de ses fonctions, l’auteur distingue la violence instrumentale[27] de la violence dérivée[28] et de la violence déviante[29]. Seules les deux dernières formes intéressent cette étude.
Faute de statistiques officielles spécialement compilées, deux sources paraissent épistémologiquement acceptables pour appréhender la réalité des violences commises par les policiers : d’une part, les rapports de l’IGPN et les statistiques du ministère de la justice et, d’autre part, la doctrine sociologique pertinente.
Tout en étant conscient des limites méthodologiques de l’analyse, il est intéressant de se référer aux rapports 2020 à 2022[30] de l’IGPN, dont la lecture permet de constater qu’une moyenne d’environ 1 100 enquêtes judiciaires sont ouvertes par an depuis 2015 et que plus ou moins 47% de celles-ci se rapportent à des faits d’usage de la force[31]. Entre 15 et 20 fonctionnaires font l’objet de poursuites annuellement, les trois-quarts étant renvoyés en correctionnelle ou, très rarement, aux assises, 20% étant mis en examen et le reste bénéficiant d’une mesure alternative aux poursuites. Par ailleurs, l’IGPN se voit confier entre 180 et 195 enquêtes administratives par an. Elle n’est saisie que des affaires les plus graves – soit 10% des procédures -, tandis que les manquements moins graves sont traités en interne par la hiérarchie. En moyenne, ces enquêtes donnent lieu au constat de 50 à 60 manquements par un usage disproportionné de la force ou une atteinte au devoir de protection de la personne interpellée. Enfin, sur la plate-forme dédiée[32], 6300 signalements en moyenne ont été déposés par an durant les trois années de référence[33]. 70% des signalements environ sont jugés recevables et sur ces derniers, 900 à 1000 par an concernent des allégations d’usage illicite de la force[34]. Ils conduisent à convaincre 3 à 5 policiers par an de manquements déontologiques pour usage disproportionné de la force[35]. Selon les données communiquées par le ministère de la justice relatives au « traitement des auteurs dans les affaires de violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publiques »[36], en 2016, 534 auteurs ont été signalés à la justice, 119 ont fait l’objet de poursuites et 55 ont été condamnés ; en 2019, ces chiffres étaient respectivement de 596, 95 et 60 et en 2021, de 836, 146 et 87.
Ainsi, les allégations de violences constituent le principal motif de saisine de l’IGPN mais elles donnent lieu à un faible nombre de poursuites pénales. Il faut cependant se garder de conclusions hâtives. Ces chiffres n’autorisent que deux certitudes : d’une part, les allégations de violences dirigées contre les policiers font bien l’objet d’un traitement répressif et ne sont pas ignorées par les autorités ; d’autre part, leur faiblesse s’explique aussi – et peut-être surtout – par le fait que l’essentiel des allégations de violences policières ne sont pas répréhensibles parce qu’après enquête, l’usage de la force est apparu conforme aux prescriptions légales. Toutefois, ils conduisent à émettre une hypothèse qui nuance le propos précédent : par comparaison avec les justiciables « ordinaires » et à la lecture des dispositions légales, les policiers bénéficient a priori d’un traitement bienveillant puisque, d’abord, un nombre substantiel d’affaires de violences caractérisées par les enquêtes de l’IGPN sont traitées par la voie disciplinaire, alors que le code pénal prévoit que les violences ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours, commises par une personne dépositaire de l’autorité publique, sont des délits[37] et, ensuite, le ratio d’enquêtes judiciaires conduisant effectivement à des poursuites pénales est extraordinairement bas. Cette hypothèse est soutenue par les travaux de C. Moreau de Bellaing, qui relève que les violences illicites « semblent résister aux dispositifs de contrôle actuels » et que « l’étude de l’activité des instances de contrôle interne met en évidence [que] la sanction de violences illégitimes […] est relativement rare »[38].
De surcroît, n’en déplaise au ministère de l’intérieur et aux syndicats de police, ces chiffres témoignent d’un nombre important d’actes de violences reprochés aux policiers. Ainsi, si l’IGPN n’est saisie que de 10% des enquêtes administratives, cela signifie mutatis mutandis qu’entre 500 et 600 faits de violences illicites moins graves sont traités annuellement par les hiérarchies en interne.
Trois caractéristiques de l’activité de la police en France contribuent à éclairer ces constats.
D’abord, « le style d’action [de la police] reste principalement proactif et confrontationnel, […]. Un tel style d’action entretient un rapport distant aux règles de droit : il est d’abord orienté vers une logique de découverte des infractions [tandis que] se trouve valorisé un modèle professionnel privilégiant la “chasse“ aux délinquants »[39]. Le ministère de l’intérieur ne cherche plus à le nier et affirme que la police de proximité se confond dorénavant avec celle d’intervention[40]. Cela est confirmé par l’étude Éclairages, qui relève que « ce sont des conceptions privilégiant la dimension répressive du métier policier qui dominent » et qu’en conséquence, « l’utilisation de plus de force que ce qui est prévu dans les textes » est considérée comme acceptable par 59,8 % des répondants quand seulement 37,6 % s’y opposent. En outre, particulièrement dans la police nationale, « une majorité des répondants considère qu’il existe souvent une contradiction entre efficacité et respect du règlement, et que mener à bien la mission est prioritaire »[41]. D. Monjardet l’avait établi en 1996[42]; presque 30 ans après, son constat demeure exact.
Ensuite, la violence policière n’est pas dénuée de sens ou de rationalité. Elle n’est surtout pas, comme l’affirme le ministère de l’intérieur, le fait de « brebis galeuses » isolées. Dès 1978, Y. Michaud a mis en évidence le mécanisme de l’administration de punitions policières[43]. Cette pratique a été analysée par F. Jobard comme un moyen de sanctionner des comportements perpétrés par ceux que le ministère de l’intérieur qualifie d’« indésirables » dans l’espace public, que les agents de la force publique considèrent comme illicites mais pour lesquels ils estiment inefficace ou inapproprié[44] le recours à la justice[45]. Ces méthodes sont, en pratique, tolérées par la hiérarchie policière[46] et l’institution judiciaire[47], circonscrivant ainsi le champ de la « bavure »[48]. Et même dans ce cas, l’usage illicite de la force est généralement « euphémisé » par la justice et peu sévèrement puni[49].
Enfin, la responsabilité de la hiérarchie, jusqu’au ministre de l’intérieur, ne doit pas être sous-estimée. Le contraste entre le traitement réservé aux manifestants contre la réforme des retraites et celui dont les agriculteurs ont bénéficié nous rappelle d’abord que la police est un corps discipliné[50].
Tous ces éléments de contexte doivent être conservés à l’esprit par qui veut comprendre le contraste entre la sévérité du droit pénal matériel destiné à réprimer les violences commises par le policier (I) et la mansuétude qui caractérise la mise en œuvre de la réponse pénale apportée à ces dernières (II).
I. La réponse aux violences commises par le policier en droit pénal matériel
L’usage illicite de la violence par une personne dépositaire de l’autorité publique est sévèrement réprimé par le droit national (A) et, si les institutions répressives négligent de le punir à la juste mesure de sa gravité, l’État s’expose à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (B).
A. Les qualifications par le droit national[51]
Sans que cela puisse surprendre ni être critiqué, la qualité de « personne dépositaire de l’autorité publique […] dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » constitue une circonstance aggravante des violences volontaires.
Ainsi, reçoivent une qualification criminelle les violences susceptibles de caractériser des « torture et actes de barbarie »[52] mais aussi l’homicide volontaire perpétré par un policier[53], les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner[54] et les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente[55]. Constituent des délits punis d’emprisonnement les violences volontaires, quelle que soit la durée de l’ITT qu’elles ont occasionnée[56]. Contrairement à celle des particuliers, la violence commise par l’agent de la force publique n’est jamais contraventionnelle.
Notons cependant l’incohérence du législateur, qui octroie pour certaines infractions de violences un privilège au policier, en prévoyant que la violence qu’il exerce est moins sévèrement sanctionnée que celle qu’il subit[57], tandis que pour d’autres, il prévoit la même sanction, que le policier soit auteur ou victime[58].
Si les violences commises par le policier ne sont pas effectivement réprimées par les autorités nationales, la France s’expose à une condamnation infamante par la Cour européenne des droits de l’homme.
B. Les atteintes aux articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
S’agissant d’abord des violations constatées de l’article 3, la France est l’un des rares pays du Conseil de l’Europe à avoir été condamnée pour des faits qualifiés de torture perpétrés par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions[59]. Elle a aussi subi un nombre conséquent de condamnations en raison de traitements inhumains et dégradants perpétrés par des policiers et gendarmes[60].
En outre, elle a subi des condamnations pour des violations de l’article 2 de la Convention en raison du défaut d’enquêtes sérieuses ou de sanctions infligées à des policiers et gendarmes qui avaient commis des actes homicides[61]. Notons que la Cour n’a pas systématiquement conclu à une violation de la Convention[62] – ce qui confirme qu’elle n’a pas d’acrimonie particulière envers la France et ses forces de l’ordre.
Reste que, d’une part, le rythme des condamnations infligées à la France par la Cour de Strasbourg en raison des violences perpétrées par ses forces de l’ordre est constant et soutenu ; d’autre part, il révèle implicitement mais nécessairement les carences de la réponse pénale apportée par les juridictions françaises aux violences commises par les policiers.
II. La réponse aux violences commises par le policier en procédure pénale
Les syndicats policiers majoritaires revendiquent que les policiers ne soient pas soumis à la loi commune et que, par leur état même et en raison du service qu’ils rendent à la société, ils bénéficient d’un régime répressif dérogatoire, plus protecteur que celui appliqué aux autres justiciables. Cette revendication confirme que les policiers n’admettent pas que, lorsqu’ils commettent une infraction dans l’exercice de leurs fonctions, ils deviennent des délinquants qui doivent être traités comme tels. Même si elle est discutable au regard des droits constitutionnels à la sûreté et à l’égalité, elle n’est pas ignorée par le législateur[63].
Cependant, l’examen de la réponse procédurale aux violences commises par les policiers conduit à s’interroger sur l’utilité de cette revendication. En effet, même si cela n’est pas prévu par les dispositions du code de procédure pénale, il apparaît que, tant durant la phase préalable (A) que durant le procès pénal (B), les policiers bénéficient déjà d’un traitement répressif privilégié et d’une réponse pénale exceptionnellement mesurée, par comparaison avec les justiciables « ordinaires ».
A. La phase préalable au procès
S’il serait inexact d’affirmer que les violences perpétrées par les policiers sont traitées avec pusillanimité, il n’en demeure pas moins que la justice pénale applique à ces infractions une répression qui se distingue à plusieurs égards de celle appliquée aux délinquants « ordinaires », lorsqu’ils commettent des faits similaires. Les procédures diligentées contre les policiers pour des faits de violence présentent en effet quatre caractéristiques.
1. La protection par le ministère de l’intérieur
Il a été rappelé en introduction que, lorsque les violences policières sont établies sans pouvoir être valablement contestées, la réponse du ministère de l’intérieur consiste systématiquement à affirmer qu’il s’agit d’un acte individuel.
Pourtant, il serait hâtif d’interpréter cette pratique comme un reniement du « lampiste » par sa hiérarchie[64]. Outre la remarquable solidarité entre les fonctionnaires de police, qui exprime un esprit de corps peu commun dans la fonction publique, le ministère permet quasi systématiquement aux fonctionnaires mis en cause de bénéficier de la protection fonctionnelle[65] et accepte de prendre en charge les honoraires d’avocats spécialisés qui pourront l’assister durant des procédures qui s’avèrent souvent longues et coûteuses.
2. La bienveillance du ministère public
Dans certains ressorts[66], les dossiers relatifs aux violences policières sont exclusivement traités par le procureur de la République, les autres membres du parquet n’étant pas autorisés à intervenir dans ces procédures. S’il ne nous a pas été possible d’obtenir confirmation du caractère systématique de cette pratique, elle semble au moins répandue et signale le caractère sensible de ces dossiers et l’attention particulière qui leur est portée par l’autorité judiciaire.
Les difficultés auxquelles le ministère public se trouve confronté ne doivent pas être sous-estimées. Elles résultent, d’abord, de la distance qui sépare le temps médiatique du temps judiciaire ; ensuite, elles consistent dans la subtilité qu’implique souvent la confrontation des faits au droit, particulièrement pour déceler l’existence d’une éventuelle cause d’exonération de la responsabilité pénale au bénéfice de l’agent. Dès lors, « il importe en définitive, dans ce type de procédure, autant pour le service enquêteur que pour l’autorité judiciaire, d’avoir une approche très juridique ; même si les éléments contextuels sont nécessairement pris en compte, l’analyse des faits doit suivre un raisonnement rigoureux et le cheminement que les textes juridiques imposent »[67]. Les parquets s’astreignent ainsi à un haut niveau d’exigence lorsqu’ils traitent des affaires de violences policières. Comme le résume un procureur de la République, dans « les dossiers où pénalement les policiers sont mis en cause, […] en dépit du nombre de plaintes et récriminations que le parquet reçoit, il y a très peu de poursuites qui sont engagées. Non pas parce qu’on les classerait par complicité avec les forces de police ou gendarmerie, mais parce qu’en réalité on a à coeur de conduire des enquêtes précises et complètes pour qu’on ne poursuive pas à tort et à travers des policiers »[68].
Or, même si on peut le regretter, cette circonspection et l’attention portée au droit constitue, en soi, une sorte de privilège, dans un système répressif soumis à l’exigence de célérité et d’efficacité de la chaîne pénale.
Cela est confirmé par les chiffres communiqués par le ministère de la justice[69]. Ils permettent d’établir une augmentation de 57% des mises en cause d’agents de la force publique, et une baisse concomitante du volume de poursuites, passé de 20 à 17% sur la période de référence. Par comparaison, le chiffre des poursuites engagées contre les mis en cause pour des faits de violences volontaires en population générale et hors cadre familial est de 32%. Par ailleurs, dans les affaires de violences policières, le taux d’affaires considérées comme « non poursuivables » est particulièrement important puisqu’entre 2016 et 2021, il est passé de 55% à 75% des affaires (contre 35% en population générale). Toutefois, le taux de classement sans suite pour « inopportunité des poursuites » est similaire à celui de la population générale (soit environ 15%) des affaires « poursuivables ». Enfin, le traitement par des mesures alternatives aux poursuites est supérieur en population générale (35%) à celui appliqué aux personnes dépositaires de l’autorité publique (22%).
Que peut-on en déduire ? Le delta du pourcentage d’affaires jugées « poursuivables » en faveur des agents de la force publique s’explique probablement dans une large mesure par l’existence à leur bénéfice de causes d’exonération de la responsabilité pénale[70]. Dans une moindre mesure, il est aussi possible d’expliquer la diminution du nombre d’affaires poursuivables par l’accroissement des plaintes non fondées, lié à « l’effet de mode » d’une période où, depuis le mouvement des gilets jaunes, une contestation s’est développée dans la population à l’égard du recours à la force légitime. Cependant, ces explications ne suffisent pas à justifier l’ampleur des disparités et ces chiffres s’avèrent d’autant plus préoccupants que seules les affaires de violences policières les plus sérieuses sont transmises à la justice, ce qui devrait mécaniquement entraîner un taux substantiel de poursuites. L’hypothèse selon laquelle le traitement accordé aux personnes dépositaires de l’autorité publique est, sinon plus favorable, au moins plus exigeant en termes de qualité des preuves requises pour déterminer la décision d’engager des poursuites pénales, est ainsi confortée.
3. L’endogamie de l’organe d’enquête
En pratique, les procureurs saisissent systématiquement l’IGPN pour tout fait de nature délictuelle ou criminelle mettant en cause un fonctionnaire de police dans l’exercice de ses fonctions[71].
Cette institution est critiquée. Ses détracteurs lui reprochent, outre des enquêtes trop lentes, ne suivant pas toutes les pistes et des conclusions trop souvent favorables, le fait qu’elle est un service de police, rattaché à la DGPN, et qu’elle ne dispose pas a priori de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires à l’exécution de ses missions[72]. Le ministre de l’intérieur concède l’existence d’un problème d’impartialité objective et reconnait « que les sanctions prévues ne sont pas toujours appliquées »[73]. À l’inverse, selon l’étude Eclairages, l’IGPN n’est jugée « efficace » que par 68.5% des policiers et « juste » seulement par 55.7% d’entre eux.
Il nous semble que ces critiques doivent être nuancées.
D’abord, il faut regretter la pratique du ministère public selon laquelle, dans les affaires de violences policières, il est souvent procédé à une co-saisine de la police judiciaire locale et de l’IGPN. En effet, si l’IGPN opère par l’intermédiaire de ses délégations, qui sont distinctes des services de police auxquels appartiennent les agents visés par les enquêtes, en revanche, particulièrement dans les petites et moyennes agglomérations, des liens, favorables ou défavorables, existent entre les enquêteurs qui sont chargés d’une partie des investigations et les mis en cause[74]. Cela pose la question des moyens de l’IGPN, composée de 270 personnels, mais dotée seulement d’une centaine d’enquêteurs.
Ensuite, l’étude des pratiques de l’IGPN conduit à constater, plutôt qu’un biais de partialité, le même très haut niveau d’exigence juridique que celui précédemment signalé s’agissant des parquets[75]. À nouveau, le privilège octroyé au policier suspecté de violences réside plutôt dans le caractère scrupuleux d’enquêtes menées à charge et à décharge, qui conduisent à conclure fréquemment que les preuves collectées ne sont pas suffisantes pour justifier des poursuites pénales.
4. La retenue dans le choix des qualifications
La qualification des faits par le ministère public et les juges d’instruction confirme la bienveillance du traitement réservé aux fonctionnaires de police suspectés de violences.
Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, le principe selon lequel la répression s’exerce sur le fondement de la plus haute expression pénale n’est pas toujours respecté – particulièrement en matière d’homicide où la qualification de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner est préférée à celle de meurtre; de même, en cas de violences perpétrées par un ou plusieurs membres d’un groupe d’agents, il n’est pas rare de trouver des classements sans suite pour défaut d’identification de l’auteur, alors que la jurisprudence permettrait parfois de considérer l’ensemble des protagonistes comme co-auteurs[76]. Enfin, le cumul de qualifications est très peu utilisé alors même que la tendance jurisprudentielle est favorable à cette pratique[77].
Ainsi, durant toute la procédure préalable au procès, les policiers suspectés d’avoir commis des violences bénéficient de privilèges non négligeables dans le traitement de leurs dossiers. Le procès confirme ce caractère de la procédure pénale.
B. Le procès
Outre une nouvelle expression de la solidarité du corps, l’administration de la justice pénale aux policiers auteurs de violences se caractérise par l’absence de recours aux procédures accélérées et par la mansuétude des peines prononcées.
1. Solidarité du corps : « L’art de faire la salle »
Nouvelle expression de la solidarité qui unit les fonctionnaires de police lorsque l’un d’entre eux est mis en cause, les audiences de jugement sont généralement soumises à la pression exercée sur le juge par les collègues du fonctionnaire poursuivi. Ainsi, il est fréquent que la salle soit remplie durant le procès d’agents venus soutenir leur collègue et manifester, avec plus ou moins de véhémence, leur hostilité à ces procédures. Il est aussi des cas où la (haute) hiérarchie policière vient témoigner en faveur de l’agent poursuivi[78].
2. L’administration sereine et scrupuleuse de la justice
Si le ministre de l’intérieur a cru pouvoir affirmer que « les policiers ne peuvent pas être les seules personnes en France pour lesquelles la présomption d’innocence […] est remplacée par la présomption de culpabilité »[79], l’étude de la pratique judiciaire est loin de confirmer cette crainte.
Alors que les violences sont parmi les infractions qui donnent habituellement lieu au recours à des procédures accélérées, particulièrement la comparution immédiate, la pratique de ces formes dégradées d’administration de la répression n’existe pas dès lors que l’auteur présumé des faits est une personne dépositaire de l’autorité publique. Cela permet de garantir au fonctionnaire de bien préparer sa défense, mais aussi, par l’écoulement du temps, de restaurer la sérénité nécessaire aux débats. La seule forme d’alternative utilisée est, selon le parquet de Paris[80], la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui permet de négocier la peine et de préserver la discrétion du procès au bénéfice du fonctionnaire.
En outre, selon les chiffres du ministère de la justice[81], entre 2016 et 2021, 6 à 10% seulement des personnes dépositaires de l’autorité publiques mises en cause pour des violences volontaires ont été condamnées[82], tandis que le taux de condamnation des policiers poursuivis variait de 45 à 63%, ce qui correspond à un taux de relaxe élevé et supérieur à celui existant d’ordinaire devant les juridictions correctionnelles[83]. Il est particulièrement remarquable que, tandis qu’il est malmené lorsque sont jugés des justiciables « ordinaires », le principe in dubio pro reo reçoive une application scrupuleuse lorsque l’auteur des faits est un agent de la force publique[84].
Ainsi, outre qu’ils sont moins poursuivis, les agents de la force publique sont moins condamnés que les justiciables ordinaires.
3. La mansuétude des peines
Selon les données communiquées par le ministère de la justice, des peines d’emprisonnement sont prononcées contre les agents dans 70 % à 80 % des condamnations. Notons toutefois que le recours à la prison ferme diminue, passant de 35% en 2010 à 17% en 2021[85]. De surcroît, les peines prononcées sont généralement faibles, sans rapport de proportionnalité avec la gravité des faits reprochés et régulièrement en-deçà des réquisitions du parquet – au point que la Cour européenne des droits de l’homme commence à s’en préoccuper[86].
Moreau de Bellaing[87] confirme ce fonctionnement inhabituellement clément de la justice. Il relève que « hormis des situations de sévices manifestement extérieurs au périmètre légal de l’usage de la force, les policiers sont peu condamnés pour violences illégitimes » et insiste sur le fait que « si l’on parcourt l’ensemble de cette chaîne de contrôle, il semble alors justifié d’affirmer que les usages illégitimes de la violence sont, en France, peu sévèrement, et assez rarement sanctionnés ».
Au demeurant, selon l’étude Eclairages, les agents sont manifestement conscients des limites de la répression puisque seulement 50% considèrent que les violations de la loi par leurs collègues sont toujours sanctionnées, tandis que plus de 40% pensent que ce n’est pas systématique et que 6 % estiment que les sanctions sont rares, voire inexistantes.
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Qu’il nous soit permis une conclusion quelque peu provocatrice : les policiers ne sont pas fondés à se plaindre du laxisme de la justice puisqu’en pratique, ils en sont les principaux bénéficiaires avérés ; et si « le problème de la police, c’est la justice », c’est uniquement en ce qu’en pratique, elle ne débarrasse peut-être pas suffisamment l’institution de ceux de ses éléments dont les méthodes sont déviantes.
Reste que l’attachement aux principes du droit pénal libéral commande de retenir que la réponse pénale aux violences commises par le policier est une bonne justice, respectueuse des principes et des justiciables et peu sévère. Loin d’être critiquable, une telle justice devrait servir de modèle pour le traitement de l’ensemble des délinquants.
[1] G. Darmanin, ministre de l’intérieur, audition par la Commission des lois, Assemblée nationale, 28 juillet 2020.
[2] Les fluctuations de la parole présidentielle permettent de l’illustrer (v. T. Le Meneec, « Violences policières: comment Emmanuel Macron a fait évoluer son discours depuis 2017 », FranceInfo, 24 avril 2023). Ainsi en mars 2017, E. Macron, candidat à l’élection présidentielle, affirmait qu’il n’y avait «aucun bon argument» pour «expliquer les violences policières» et que, «dès qu’il y a une bavure, il faut qu’il y ait une sanction». Interpellé en mars 2019 sur les nombreuses violences subies par les gilets jaunes, il affirmait : «Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit». En décembre 2020, après l’affaire Zecler, il déclarait : «Il y a des violences de policiers ». Mais en avril 2023, dernier état connu de ses convictions, il assénait: « Je récuse aussi le terme de violences policières. La police et la gendarmerie ont le monopole de ce qu’on appelle la violence légitime, elles protègent le citoyen, s’opposent à ces gens aux comportements inacceptables» (Le Parisien, « Emmanuel Macron face à nos lecteurs : “Ce qui m’importe, c’est que le pays avance“ », 23 avril 2023).
[3] Principalement la légitime défense ou l’autorisation de la loi.
[4] Rapport de A. Thourot et J.-M. Fauvergue, Députés, au Premier ministre, D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, sept. 2018.
[5] Ainsi, par exemple, les éléments connus des services de police sur la victime, s’ils sont « défavorables », fuitent opportunément dans la presse. De même, si des images mettant en cause l’action de la force publique sont diffusées, il sera prétendu qu’elles sont sorties de leur contexte.
[6] V. les auditions de G. Darmanin par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, le 30 novembre 2020 et le 23 juillet 2023.
[7] Soit le racisme, soit la violence illégale comme mode d’action ordinaire (« la police tue », voire « la police assassine »).
[8] V., par exemple, Collectif, Police, La Fabrique, 2020; Collectif, Défaire la police, Ed. Divergences, 2021 ou G. Ricordeau (dir.), 1312 raisons d’abolir la police, Lux, coll. Instinct de liberté, 2023.
[9] V. par exemple, les communiqués de presse du Comité Adama ou les positions de certains députés et représentants de La France insoumise.
[10] Audition par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, 28 juillet 2020, précit.
[11] C. Moreau de Bellaing, Force publique. Une sociologie de l’institution policière, Economica, coll. Études sociologiques, 2016.
[12] Art. 12 et seq. du code de procédure pénale.
[13] C. Mouhanna, « Les relations police-parquet en France: un partenariat mis en cause? », Droit et société, 2004/3, n°58, p.505-520 et « Les relations Police-Justice: de la confiance à la gestion des flux », Après-demain, 2014/2, n°30, p.9-10. Cette inversion avait été pressentie et appréhendée par Casamayor, La police, Gallimard, 1973, p.161-178.
[14] V. P. Pabion, Travail de représentation et rapport au politique dans le syndicalisme policier, Doctorat en science politique, Lyon II, L. Mathieu (dir.), 2018; M. Guenot, « Les syndicats policiers et la loi. Dans la boîte noire des politiques policières », Arch. pol. crim., 2023, n°45, p.157-168.
[15] F. Jobard, « Colères policières », Esprit, 2016/3-4, p.64-72.
[16] Notre article, « Ambiguïtés de la force publique », RSC 2022/1, p.155-158; v. aussi B. Brugère et G. Joron, « L’enjeu premier est de rétablir la confiance dans les forces de l’ordre, dans l’action d’une justice de qualité et désormais entre les policiers et la justice », Le Monde, Tribune, 2 aout 2023 et A. Jubier, La crise de confiance entre la police et la justice, Paris Panthéon-Assas, mémoire de Master II Justice et droit du procès, C. Mouhanna (dir.), 2024, p.81-97.
[17] C. Moreau de Bellaing, « Comment la violence vient aux policiers. École de police et enseignement de la violence légitime », Genèses 2009/2, n°75, p.24-25
[18] Droit à la sûreté (art. 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen); art. préliminaire du code de procédure pénale; art. L435-1 et R434-18 du code de la sécurité intérieure.
[19] O. Faye, « Gérald Darmanin adopte la méthode de Sarkozy pour occuper le terrain », Le Monde, 30 juillet 2020.
[20] Supra, note 2.
[21] J. Freund, L’Essence du politique, Sirey, 1965, p. 514.
[22] M. Weber, Le savant et le politique, Plon, 1959 (1919), p.113.
[23] Citée in https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-violence-legitime-de-l-etat-de-max-weber-8101512. V. aussi, C. Colliot-Thélène, « Violence policière, violence d’État », Savoir/Agir, 2021/1, n°55, p.31-37.
[24] I. Kalinowski in https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/max-weber-violence-legitime-illegitime-etat.
[25] V. J. Chevallier, L’État de droit, Montchrestien, 1992, p. 13.
[26] F. Dieu, « La violence d’État en action : essai sur la violence policière », in M. Bertrand, N. Laurent et M. Taillefer (dir.), Violences et pouvoirs politiques, PU du Mirail, 1996, p. 13-29.
[27] Qu’il définit comme celle qui s’exerce « au service et dans le cadre de la loi » et « résulte d’une utilisation normalisée et pacifiée de la violence dans le but d’exécuter une tâche policière confiée par une autorité légitime ».
[28] Qui « n’existe, quant à elle, que par rapport à la violence instrumentale, dont elle est une forme insuffisamment contrôlée ou mal utilisée. En d’autres termes, il y a violence dérivée lorsque la violence instrumentale mise en œuvre n’est pas en relation avec l’objectif légal et légitime poursuivi, en entraînant pour les victimes des conséquences disproportionnées à la situation qui a suscité sa mise en œuvre, ou en mettant en cause des victimes fortuites à l’occasion de circonstances qui initialement pouvaient justifier le recours à la force ».
[29] « Celle qui s’inscrit en dehors du cadre légal et légitime de l’action policière, qu’il s’agisse des buts poursuivis ou des moyens mis en œuvre. C’est donc une forme de violence s’écartant des normes juridiques que le policier est censé respecter et faire respecter ».
[30] Rapport IGPN 2020 à 2022, 2021-2023.
[31] Entre 500 et 550 dossiers par an. Les violences alléguées ont eu lieu, dans environ 40% des cas dans situation d’interpellation ou assimilées (perquisition, police-secours) et dans 15% des cas dans un contexte de manifestation, le reste se partageant pour entre 10 et 13% entre les contrôles d’identité, les contrôles routiers et les situations diverses. Un peu plus de 60% se sont déroulés sur la voie publique, 12.5% dans les locaux de police et 9.5% dans le cadre d’une garde-à-vue.
[32] PFS.
[33] Mais les chiffres sont en hausse constante (6843 en 2022).
[34] 25 % des signalements recevables.
[35] Il faut se garder de l’impression d’un chiffre dérisoire: les affaires de violences sérieuses conduisent rarement à un signalement mais font l’objet de plaintes.
[36] N. Sweeny, « Exclu Politis / Violences policières : toujours plus de mis en cause et toujours moins de poursuites », Politis, 22 décembre 2022.
[37] Art. 222-13 du code pénal, l’article R625-1 du même code excluant de son champ d’application les situations relevant de cette première disposition.
[38] C. Moreau de Bellaing, « Le contrôle de l’activité policière », in J. de Maillard et W. Skogan (dir.), Police et société en France, Les Presses de SciencesPo, 2023, p.123-127.
[39] J. de Maillard et W. Skogan, « Introduction », in J. de Maillard et W. Skogan (dir.), loc. cit., p.25-26. V. dans le même sens, A.-D. Houte, Citoyens policiers. Une autre histoire de la sécurité publique en France, de la garde nationale aux voisins vigilants, La Découverte, 2024, p.281-285 et D. Fassin, La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Le Seuil, 2011.
[40] Ibid. Comp. Audition du ministre de l’intérieur, Ass. nat. Com. des lois, 30 novembre 2020, précit., p.32-33. Rappelons aussi l’article L111-1 du code de la sécurité intérieure, pris en son alinéa 2. L’ordre des mots a un sens en droit et confirme, s’il en était besoin, que la police française est une la police de l’ordre, qui protège l’Etat, plutôt qu’une police de résolution des problèmes de sécurité, qui protège la population.
[41] DDD, J . de Maillard, S. Roché, A. Jardin, J. Noble, M. Zagrodzki, Éclairages. Déontologie et relations police-population: les attitudes des gendarmes et des policiers, février 2024.
[42] D. Monjardet, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, La Découverte, 1996.
[43] Y. Michaud, Violence et politique, Gallimard, coll. NRF Essais, 1978, p.120.
[44] Au terme d’un ratio coût (exigence de la rédaction d’une procédure)/bénéfice (sanction susceptible d’être prononcée par un tribunal).
[45] F. Jobard, Bavures policières ? La force publique et ses usages, La Découverte, coll. TAP/Politique et société, 2002. V. aussi D. Fassin, op. cit., p.307 et seq.
[46] Le HuffPost, « Darmanin met les violences policières sur le compte de la “fatigue“ », 24 mars 2023.
[47] Ainsi, par exemple, la justice ne sanctionne pas les arrestations préventives massives sur le fondement de délits de convenance policière à l’occasion du même mouvement, alors même que pratiquement aucunes poursuites ne sont ensuite engagées.
[48] Par exemple, les affaires Théo ou Cédric Chouviat.
[49] Cf. infra.
[50] F. Jobard, « Les protestations des agriculteurs ne relèvent pas du désordre, mais du rituel », Le Monde, Tribune, 1er février 2024.
[51] Ne sont envisagées que les qualifications applicables aux violences commises par le policier dans le cadre de son activité de mise en œuvre de la force publique.
[52] Art. 222-3, 7°, du code pénal.
[53] Art. 221-1 du code pénal.
[54] Art. 222-8, 7°, du code pénal.
[55] Art. 222-10, 7°, du code pénal.
[56] Art. 222-12, 7°, et 222-13, 7°, du code pénal.
[57] Homicide volontaire (art. 221-1 et art. 221-4, 4°, CP), les violences volontaires quelle que soit la durée de l’ITT (art. 222-12, 222-13 et art. 222-14-5 CP) et les violences, quel que soit le résultat pénal, lorsqu’elles sont commises en bande organisée ou avec guet-apens, et avec usage ou menace d’une arme (art. 222-14-1 CP).
[58] Torture et actes de barbarie (art. 222-3, 4° et 7° CP), les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (art. 222-8, 4° et 7° CP) et les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (art. 222-10, 4° et 7° CP).
[59] CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c. France, n°25803.
[60] CEDH, 1er avril 2004, Rivas c. France, n°59584/00; CEDH, 4 novembre 2010, Darraj c. France, n°34588/07; CEDH, 3 octobre 2013, Douet c. France, n°16705/10; CEDH, 16 juillet 2015, Ghedir et autres c. France, n°20579/12; CEDH, 16 novembre 2017, Boukrourou et autres c. France, n°30059/15 et CEDH, 30 avril 2020, Castellani c. France, n°43207/16.
[61] CEDH, 17 avril 2014, Guerdner et autres c. France, n°67780/10; CEDH, 21 juin 2018, Semache c. France, n°36083/16; CEDH, 7 juin 2018, Toubache c. France, n°19510/15; CEDH, 23 mai 2019, Chebab c. France, n°542/13.
[62] CEDH, 4 septembre 2018, Mendy c. France, n°71428/12; CEDH, 18 février 2021, P.M. et F.F. c. France, n°60324/15 et 60335/15; CEDH, 16 décembre 2021, Tenenbaum c. France, n°68260/17; CEDH, 19 mai 2022, Bouras c. France, n°31754/18 ou CEDH 11 mai 2023, Décoire c/ France, n°17949/22.
[63] V. notre article, « Ambiguïtés de la force publique », RSC, 2022/1, p.176-180.
[64] L’affaire « Hedi », lors des émeutes de l’été 2023, permet de l’illustrer: v. D. Jullien et J. Parienté, « Une chronologie de la crise dans la police, du tabassage d’Hedi R. à l’incarcération d’un policier et aux propos de Gérald Darmanin », Le Monde, 28 juillet 2023; J.-M. Decugis, « Frédéric Veaux, patron de la police : “Avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison“ », Le Parisien, 23 juillet 2023; « Gérald Darmanin dit comprendre la “colère“ et la “tristesse“ des policiers, après plusieurs jours de protestation », Le Monde, 27 juillet 2023.
[65] Art. L134-1 et seq. du code général de la fonction publique.
[66] Par exemple, Nantes, Lille, Bobigny.
[67] A. Duret, Vice-procureur TJ Paris, citée in IGPN, Rapport 2021, 2022.
[68] Cité par A. Jubier, loc. cit., p.82.
[69] Précit.
[70] Principalement, la légitime défense et l’autorisation de la loi (art. 122-4 et 122-5 du code pénal).
[71] A. Duret, Vice-procureur TJ Paris, citée in IGPN, Rapport 2021, 2022. De même, l’IGGN est saisie lorsqu’un gendarme est mis en cause.
[72] CNCDH, Avis sur les rapports entre police et population (A – 2021 – 2), 11 février 2021, p.23-25 et Avis sur les rapports entre police et population (A-2023-2), 19 octobre 2023 et CEDH, Chebab c. France, 23 mai 2019, req. n° 542/13. V. aussi A. Caillé, « Réforme de l’IGPN : “Les procédures doivent se dérouler sous le contrôle d’une commission donnant plus de garanties de neutralité“ », Le Monde, Tribune, 26 juillet 2023 et « Le Conseil de l’Europe appelle Paris à réformer l’IGPN et l’IGGN afin “d’améliorer la perception de leur indépendance et de leur impartialité“ », Le Monde, 10 octobre 2023.
[73] G. Darmanin, 30 novembre 2020, précit.
[74] Cette difficulté nous semble devoir se renforcer dans le contexte de la réforme de la police nationale mise en œuvre depuis le 1er janvier 2024, dès lors que la police judiciaire ne bénéficiera plus de la distance avec la hiérarchie, protectrice de son indépendance, dès lors qu’elle est dorénavant placée sous l’autorité du DDPN (v. nos articles, « LOPMI 2023 – “Citius, Altius, Fortius sed non Communiter“ », RSC 2023/1, p.215-235 et « Le pouvoir sans l’ordre », RSC 2024/1, p.213-232).
[75] C. Mouhanna, entretien avec l’auteur, 26 juin 2024.
[76] V. X. Pin, Droit pénal général, 14è éd., Dalloz, Cours, 2023, p.374.
[77] Depuis Crim. 15 décembre 2021, n°21-81.864, Publié. Les faux procès-verbaux ou des procès-verbaux dont le contenu est volontairement erroné permettent de l’illustrer. La lecture des rapports de l’IGPN autorise à considérer que la rédaction de PV mensongers – c’est-à-dire, selon l’inspection, « des procès-verbaux [qui] ne reflètent volontairement pas la réalité des faits » – par les agents mis en cause pour des faits de violences est récurrente (58 en 2019, 49 en 2020, 67 en 2021 et 61 en 2022). Le ministre de l’intérieur lui-même a dû, dans l’affaire Zecler, concéder l’existence de cette pratique (G. Darmanin, audition Ass. Nat. 30 novembre 2023, précit.). Or, le faux en écriture publique est un crime et devrait donc entraîner systématiquement le renvoi des agents devant la cour criminelle. Pourtant, en pratique, l’existence d’une telle infraction est généralement ramenée à un élément de contexte du dossier, destiné à éclairer la juridiction sur le degré d’intégrité du fonctionnaire qu’elle a à juger, mais n’est que très rarement poursuivi.
[78] Par exemple, le témoignage de F. Veaux, DGPN, durant le procès du commissaire C. Chassaing (v. Y. Gauchard, « Mort de Steve Maia Caniço à Nantes : le commissaire Chassaing n’a “pas tout maîtrisé“ », Le Monde, 13 juin 2024).
[79] « De hauts magistrats “inquiets“ après les propos de Gérald Darmanin sur une “présomption de culpabilité“ pesant sur les policiers », Le Monde, 28 juillet 2023.
[80] Vice procureur TJ Paris, cité in rapport IGPN précit.
[81] N.Sweeny, Politis, 22 décembre 2022, précit.
[82] Tandis que les taux de condamnation des mis en cause en population générale s’établissent aux alentours de 25%.
[83] Autour de 30%.
[84] V. pour quelques exemples, I. Halissat, « Violences: cinq ans après, un policier relaxé », Libération, 17 nov. 2023, Dossier 5 ans après. Que reste-t-il des gilets jaunes, p.7; F. Leboucq, « A la barre – Manifestant éborgné en 2016 : le policier acquitté aux assises de Paris au motif de la légitime défense », Libération, 15 décembre 2022; L’essor de la gendarmerie, « Décès d’Henri Lenfant lors d’une interpellation: le gendarme de l’antenne GIGN acquitté, appel du parquet », 22 février 2024.
[85] Ce qui ne doit pas surprendre puisque, durant cette période, la jurisprudence s’est durcie s’agissant du prononcé d’un emprisonnement ferme à l’encontre de primo-délinquants – ce que sont généralement les agents de la force publique traduit devant les tribunaux.
[86] CEDH, 11 avril 2023, Théron c. France, n°16147/23
[87] C. Moreau de Bellaing, « Le contrôle de l’activité policière », in J. de Maillard et W. Skogan (dir.), loc. cit, p.126-137.