La dégradation des conditions de détention et l’effectivité du référé-liberté dans un contexte de mouvement social du personnel pénitentiaire
Dans l’arrêt Leroy et autres c/France, du 18 avril 2024, la Cour EDH s’est prononcée sur les conditions de détention dans un établissement pénitentiaire dans un contexte nouveau, celui d’un mouvement social du personnel pénitentiaire, engagé à la suite de l’agression de deux surveillants, ayant entraîné le blocage de l’établissement. Elle reconnaît que les conditions de détention dans cet établissement ont été dégradées au point de devenir indignes. Elle reconnaît aussi, de manière inédite, que le référé-liberté est bien un recours préventif effectif dans un tel contexte, différent de celui lié à la surpopulation carcérale.
Le 18 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après Cour EDH) s’est, à nouveau, prononcée, dans l’arrêt Leroy et autres c/France1, sur les conditions de détention dans un établissement pénitentiaire et sur l’effectivité du référé-liberté. La nouveauté dans cette affaire tient au contexte dans lequel les faits se sont déroulés. L’origine de cette affaire est liée à un mouvement social du personnel pénitentiaire, engagé à la suite de l’agression de deux surveillants, ayant entraîné le blocage de l’établissement ; soit une « situation par nature conjoncturelle » (§46), un « évènement ponctuel, présentant un caractère provisoire et exceptionnel » (§64), comme le qualifie la Cour EDH.
La Cour EDH était saisie par dix ressortissants français, détenus au moment de l’introduction de leur requête au centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe.
Le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, qui comprend notamment un quartier maison centrale, accueille des personnes détenues condamnées à de longues peines et applique un régime de sécurité renforcée. C’est un établissement pénitentiaire relativement récent, mis en service en 2012 (comme le rappelle la Cour, §4), qui ne souffrait pas à la date d’introduction de la requête (et ne souffre pas à l’heure actuelle) d’un problème de surpopulation carcérale. En outre, cet établissement offrait, selon le rapport du Comité Européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 7 avril 2017, établi après une visite effectuée du 15 au 27 novembre 2015, de très bonnes conditions matérielles de détention.
Le 5 mars 2019, deux agents pénitentiaires furent victimes d’une attaque au couteau de la part d’un détenu et de sa femme2. Le jour même, un mouvement de contestation de la part des personnels de l’administration pénitentiaire débuta et se poursuivit jusqu’au 20 mars. Durant ce mouvement, les personnels grévistes bloquèrent l’accès au site, à tel point que l’administration pénitentiaire dû recourir à l’usage de la force publique pour permettre le passage des personnels non-grévistes et des personnels des équipes régionales d’intervention et de sécurité de l’administration pénitentiaire (ci-après ERIS) afin de pouvoir assurer la continuité du service public pénitentiaire et le fonctionnement de l’établissement. C’est dans ce contexte de mouvement social que les conditions de détention des personnes détenues requérantes se dégradèrent.
Ce n’est pas la première fois que la Cour EDH examine des conditions de détention lors d’un mouvement social. Elle en avait déjà eu l’occasion dans l’affaire Clasens contre Belgique3 du 28 mai 2019, affaire dans laquelle elle avait pu relever l’indignité des conditions de détention. S’il en va de même dans l’arrêt Leroy contre France, cet arrêt reste intéressant sur plusieurs points. D’abord, parce qu’il concerne la France. Ensuite, parce qu’à l’époque de l’affaire Clasens, le personnel pénitentiaire belge disposait du droit de faire grève, à la différence du personnel pénitentiaire français auquel ce droit n’est pas reconnu. Il y a donc une différence structurelle entre les deux affaires. Enfin, car il conduit la Cour à se prononcer de manière inédite sur l’effectivité du référé-liberté dans le cadre d’un mouvement social.
Dans l’arrêt ici commenté, la Cour EDH reconnaît, premièrement, que les conditions de détention dans cet établissement, lesquelles peuvent en temps normal être qualifiées de bonnes (voire très bonnes), ont été dégradées lors du mouvement social au point de devenir indignes. Pour ce faire, elle fournit une méthode permettant d’apprécier la dégradation des conditions de détention du fait du cumul des restrictions subies, restrictions qui ne sauraient être justifiées au nom du maintien de la sécurité (I).
Secondement, la Cour EDH indique qu’il lui revient de « se prononcer pour la première fois sur le caractère effectif du recours préventif ouvert devant le juge administratif, dans l’hypothèse où, comme dans le cas d’espèce, les conditions de détention dont l’indignité est alléguée ne découlent pas du contexte de la surpopulation carcérale »4 (§60). Et, à cette question inédite, est apportée une réponse précise sur l’effectivité du référé-liberté dans le cadre d’un mouvement social. Cet arrêt permet également d’opérer une réflexion globale sur l’effectivité du référé-liberté et de parvenir à la conclusion suivante : si le référé-liberté n’est pas un recours préventif effectif lorsque l’indignité des conditions de détention est liée au contexte de surpopulation carcérale (comme la Cour EDH l’a jugé à plusieurs reprises notamment dans l’arrêt J.M.B contre France5 de 2020, puis dans l’arrêt B.M. contre France6 en 2023), il en va différemment lorsqu’il s’agit de remédier à des conditions indignes de détention consécutives à un mouvement social (II).
i- La dégradation des conditions de détention durant le mouvement social constitutive d’un traitement inhumain et dégradant
Les justifications avancées par le gouvernement, et retenues par les juges des référés français, pour expliquer la non-reconnaissance de l’indignité des conditions de détention, axées sur le caractère temporaire des restrictions subies et la nécessité de maintenir l’ordre et la sécurité, n’ont pas convaincu le juge européen. Ce dernier retient au contraire que, même temporaires et bien que résultant des fortes contraintes sécuritaires qui ont pesé sur les autorités pénitentiaires, les restrictions subies se sont accumulées durant le mouvement social, dégradant les conditions de détention au point de porter atteinte à la dignité des personnes détenues au cours de cette période.
Ce qui est intéressant de relever dans cet arrêt est la démarche de la Cour EDH qui a consisté à examiner, en premier lieu, les restrictions alléguées par les personnes détenues lors du mouvement social puis à apprécier, en second lieu, si ces restrictions, dans leur globalité, n’étaient pas constitutives d’un traitement inhumain et dégradant. Car, en effet, prises isolément, lesdites restrictions ne s’assimilent pas toutes à des conditions de détention indignes. Cependant, la Cour EDH ne s’arrête pas à l’analyse isolée de chacune des atteintes alléguées ; elle les apprécie de manière cumulée. Pour constater la dégradation des conditions de détention et conclure à une violation de l’article 3 de la Convention, les juges européens ont donc eu recours à la technique de l’effet cumulatif, technique déjà utilisée auparavant7. Là où, les restrictions subies ne pouvaient suffire, à elles seules, à dire les conditions de détention indignes, c’est la somme de ces restrictions qui entraîne bel et bien une dégradation des conditions de détention constitutive d’une indignité.
Le premier grief invoqué par les requérants tenait au comportement des personnels des ERIS qui sont intervenus pour assurer la gestion quotidienne de l’établissement en lieu et place des personnels de l’administration pénitentiaire qui étaient en grève8. On rappellera que les ERIS9 sont amenées à intervenir lors d’un événement de grande ampleur et/ou grave affectant la sécurité de l’établissement10. Tel est le cas lorsque les exigences de maintien de l’ordre public et de continuité11 du service public pénitentiaire ne semblent plus garanties, comme en l’espèce du fait du mouvement social des personnels de surveillance. Compte tenu des missions spécifiques qui leur sont confiées, les ERIS disposent d’une dotation en armement différente de celle des personnels d’établissement, portent un uniforme spécifique et sont, afin de garantir leur anonymat et leur sécurité, dans certains cas (situation de crise en général), cagoulées. Or, les requérants estimaient que les membres de ces ERIS les avaient soumis à des traitements inhumains et dégradants tant au regard de leur gestion quotidienne de l’établissement que par une pratique violente et humiliante des fouilles réalisées.
Concernant la partie du grief relative à l’intervention des ERIS dans la gestion quotidienne de l’établissement, l’un des requérants expliquait que la présence de personnels masqués serait constitutive de pratiques intimidatrices pouvant créer un sentiment d’angoisse caractérisant un traitement inhumain et dégradant.
Pour rappel, la Cour a déjà eu l’occasion de retenir la qualification de traitements inhumains et dégradants pour des interventions « musclées » et/ou cagoulées des ERIS. Dans l’affaire Alboreo contre France12 notamment, il avait été question d’apprécier l’extraction d’une personne détenue de sa cellule, extraction au cours de laquelle ont été occasionnées des blessures. Mais, c’est parce que les atteintes portées par l’intervention des ERIS atteignaient un minimum de gravité13 qu’elles ont été considérées comme violant l’article 3 de la Convention EDH. Dans l’affaire Alboreo contre France, la Cour EDH rappelait que pour prouver que le recours à la force est constitutif d’une atteinte à la dignité des conditions de détention : « les allégations de mauvais traitements doivent être étayées (…) par des éléments de preuve appropriés »14. Elle précisait qu’« une telle preuve peut (…) résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants »15, tout en admettant que, les personnes détenues se trouvant dans une situation de particulière vulnérabilité, « il incombe à l’État de fournir une explication convaincante quant à l’origine de blessures »16 résultant de l’utilisation de la force pour procéder à l’extraction dudit détenu. Concernant plus spécifiquement le port d’une cagoule par le personnel, dans l’arrêt El Shennawy contre France17, la Cour EDH avait retenu que des opérations de sécurité réalisées, en l’occurrence des fouilles, par des forces spécialisées cagoulées peut constituer une « pratique intimidatoire » de nature à créer un sentiment d’angoisse et à intimider les détenus18.
Tel n’était pas le cas dans l’affaire ici commentée. Les allégations ne furent pas jugées suffisantes car le requérant se contentait d’invoquer « de manière générale un contact avec les ERIS difficile à supporter du fait qu’elles étaient masquées » (§87). La Cour EDH ajoute que le requérant « n’a pas fourni d’éléments étayant ses allégations selon lesquelles la tenue d’intervention des ERIS critiquée aurait (…) engendré du stress à son égard » (§88). Aussi faut-il en déduire, à l’instar de Jean-Paul Céré, que la Cour EDH refuse de retenir que « le port d’une tenue d’intervention spécifique des ERIS caractérise à lui seul l’existence d’une atteinte à la dignité » (§88)19. De plus, la Cour EDH ne retient pas de violation de l’article 3 de la Convention EDH du fait de l’intervention des ERIS car « le requérant se borne (…) à décrire la participation active des ERIS, cagoulés, à la gestion quotidienne de l’établissement pendant une quinzaine de jours », sans pour autant évoquer « de manière suffisamment détaillée d’incident particulier, de comportement déplacé ou un usage (…) d’une arme » (§87).
S’agissant de la partie du grief relative à la violation de l’article 3 de la Convention EDH par la réalisation de fouilles à corps20 par les ERIS, celle-ci n’a pas pu davantage prospérer. En effet, le moyen invoqué par l’un des requérants à propos de fouilles à corps intégrales21 n’a pas pu être examiné, celui-ci n’ayant pas épuisé les voies de recours internes sur ce sujet (M. Leroy, §85). Concernant un autre requérant (M. Lahreche) qui se plaignait, non de fouilles à corps intégrales, mais de fouilles par palpation n’impliquant pas le déshabillage (§95-97 et 98), la Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimal de gravité. Or, les juges européens estiment qu’en l’espèce les fouilles par palpation, effectivement réalisées, étaient, d’une part, justifiées par la nécessité d’assurer la sécurité intérieure de l’établissement et, d’autre part, pratiquées sans atteindre un seuil de gravité constitutif d’un traitement inhumain et dégradant dans la mesure où la personne fouillée est restée vêtue et que le port du masque par les membres des ERIS se justifiait par les besoins de discrétion et de protection de ces personnels dans un contexte de crise. Elle en arrive donc à la conclusion que ces fouilles par palpation ont été réalisées sans dépasser le minimum de gravité requis, seuil à partir duquel un traitement devient inhumain et dégradant.
En sus des violations alléguées du fait du comportement des ERIS, les requérants soulevaient des moyens relatifs à la dégradation des conditions matérielles de détention, une dégradation constitutive d’une violation de l’article 3 de la Convention, résultant de leur confinement en cellule durant une vingtaine de jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de l’absence de promenades ou d’activités physiques, ainsi que de l’absence de satisfaction de leurs besoins élémentaires, tels l’approvisionnement en produits d’hygiène, le nettoyage des cellules ou l’accès en quantité et qualité insuffisantes à l’alimentation. Les requérants prétendaient s’être trouvés dans une « situation d’extrême vulnérabilité (…) pendant vingt et un jours, alors qu’ils étaient privés des besoins élémentaires » (§101)22. Entre autres, les requérants soutenaient avoir vécu dans des conditions d’hygiène indignes car ils n’avaient pas pu se débarrasser de leurs poubelles, ce que contestait le Gouvernement qui affirmait, par ailleurs, que des kits d’hygiène avaient été distribués (§13). Les requérants indiquaient également avoir manqué de nourriture, ce que le Gouvernement réfutait, précisant que l’accès à l’alimentation n’avait pas été interrompu, tout en reconnaissant des dérèglements dans la distribution des cantines (§11 et 14).
Les détenus alléguaient également que leur droit à la vie privée et familiale avait été bafoué car ils étaient restés confinés dans leur cellule pendant toute la durée du blocage (ce que ne conteste pas le Gouvernement §12). Les atteintes au droit à la vie privée et familiale, qu’ils estimaient avoir subies, auraient été constituées car ils ont été privés, durant cette période, de tout contact avec leur famille du fait de l’absence de parloirs, d’un accès très restreint au téléphone et de retards dans la distribution des courriers. Les retards dans la distribution du courrier n’auraient d’ailleurs pas seulement entraîné des atteintes à leur droit au respect de la vie privée et familiale mais aussi à leur droit à la défense dans la mesure où, selon les requérants, les contacts avec leurs avocats avaient été rendus difficiles lors du mouvement social. Le Gouvernement tempérait ces atteintes : il reconnaissait bien que l’accès ordinaire aux parloirs n’avait pas pu être organisé jusqu’au 29 mars et admettait également des difficultés d’accès au téléphone sur deux jours mais précisait que le rétablissement d’un fonctionnement normal avait été assez rapide. Par ailleurs, si les courriers ont effectivement été distribués avec du retard, le Gouvernement indiquait que, s’agissant spécifiquement des correspondances avec les avocats, celles-ci avaient bien été remises le jour de leur arrivée23.
De tous ces griefs, aucun, à lui seul, ne permet à la Cour de conclure à une violation de l’article 3 de la Convention (ou de l’article 8 de la Convention), mais la Cour admet en revanche que la plupart des allégations participent à la dégradation générale des conditions de détention. C’est donc bien après avoir apprécié les atteintes subies dans leur globalité, par la technique de l’effet cumulatif, que la violation de l’article 3 de la Convention EDH est retenue (§114). La dégradation des conditions de détention est constituée par « l’effet cumulé du confinement, du défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, et de la privation de contacts avec le monde extérieur » qui a exposé les requérants à des conditions de détention « ne satisfaisant pas leurs besoins élémentaires, dans une mesure telle qu’elles doivent être regardées comme indignes » (§114). La Cour en conclut que les conditions matérielles quotidiennes de détention pendant le mouvement social « ont nécessairement engendré chez les requérants une détresse d’une intensité qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté ».
Pour sa défense, le Gouvernement français précisait que les autorités compétentes avaient effectué les diligences nécessaires aux fins de rétablissement de la situation. La justification du Gouvernement français n’est pas retenue par la Cour EDH. C’était pourtant bien tenté !
C’était bien tenté, d’abord, parce que les juges nationaux, bien que reconnaissant la dégradation des conditions de détention des requérants par rapport aux conditions normales de détention dans cet établissement, avaient toutefois jugé que cette dégradation n’était pas constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant ou d’une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, compte tenu des diligences accomplies par les autorités pour remédier à cette situation. C’est pour cette raison que les juges des référés n’avaient pas retenu la violation grave et manifestement illégale d’une liberté fondamentale. Les juges administratifs internes rappelaient dans les ordonnances qu’ils doivent apprécier « les moyens dont disposent l’administration » et l’utilisation que celle-ci en a fait. Tel était le cas en l’espèce, selon le juge des référés du Tribunal administratif de Caen du 14 mars 2019 qui jugea, en première instance, qu’en ayant recouru à la force publique tous les jours pour permettre le passage de personnels ayant vocation à fournir aux détenus les services de base et en ayant poursuivi les négociations avec les grévistes, l’administration pénitentiaire avait bien utilisé les moyens dont elle disposait.
C’était bien tenté, ensuite, car, l’administration pénitentiaire a, bel et bien, accompli un certain nombre de diligences afin d’essayer d’améliorer le quotidien des détenus pendant le mouvement social. Si, effectivement, dans les premiers jours du mouvement social, de fortes restrictions ont été subies par les détenus, l’administration pénitentiaire a toutefois progressivement rétabli les promenades quotidiennes, la possibilité d’exercer des activités physiques, la tenue des parloirs et a procédé à la distribution des courriers. Comme le rappelle le Gouvernement, l’administration pénitentiaire a recouru à la force publique pour permettre le passage des personnels non-grévistes et des personnels des ERIS afin d’assurer le fonctionnement (certes dégradé) de l’établissement (§7). Dès lors, le Gouvernement français pouvait penser que la Cour EDH retienne que les diligences accomplies avaient permis une amélioration substantielle du quotidien des détenus24. Ce ne fut pas le cas.
Pas plus que l’exposé de l’accomplissement des diligences nécessaires au rétablissement de la situation, les justifications du Gouvernement tenant à des considérations de sécurité et de maintien de l’ordre au sein de l’établissement ou au caractère temporaire des restrictions subies ne purent prospérer. Si les juges européens ne minorent pas les contraintes sécuritaires qui ont pesé sur les autorités pénitentiaires dans les circonstances de l’espèce et relèvent la brièveté de la période litigieuse, ils retiennent que ces considérations sont inopérantes25. Toutes ces raisons ne peuvent pas justifier un traitement inhumain et dégradant, auquel le recours préventif que constitue le référé-liberté peut remédier.
ii- L’effectivité du référé-liberté dans un contexte de mouvement social
Estimant, sur le fondement des article 6§1 et 13 de la Convention EDH, avoir été privés du droit d’accès à un tribunal dans la mesure où ils n’avaient pu faire valoir devant lui, de manière équitable, l’incompatibilité de leurs conditions de détention avec les articles 3 et 8 de la Convention EDH, les requérants arguaient ne pas disposer d’une voie de recours effective permettant, à bref délai, de faire cesser ou de remédier à l’indignité de leurs conditions de détention. La Cour EDH ne retient pas cette argumentation.
La question qui se posait était de savoir si ce recours préventif que constitue le référé-liberté est bel et bien effectif dans un contexte particulier, en l’occurrence dans le cadre d’un mouvement social. La Cour note que c’est la première fois qu’il lui revient d’apprécier l’effectivité du référé-liberté dans le cadre d’un événement ponctuel de blocage de l’établissement (§60). Pour ce faire, elle procède à une analyse globale de ce recours, analyse au terme de laquelle, elle considère que le référé-liberté est, dans ce contexte, une voie de recours préventive effective.
La Cour européenne jugea le référé-liberté, effectif, en premier lieu, car ce recours avait « une chance raisonnable de succès ». La chance raisonnable de succès s’apprécie sur plusieurs aspects mais aussi d’un point de vue théorique et pratique.
La Cour note tout d’abord que deux des requérants, M. Leroy et M. Lahreche, avaient saisi le juge administratif d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Dans leurs requêtes respectives, ils demandaient que le juge administratif enjoigne au Garde des Sceaux de prendre les mesures nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal de l’établissement et notamment que leurs besoins élémentaires, en matière d’hygiène, de promenades, de contacts avec les familles, puissent être satisfaits et qu’il soit mis fin à la pratique des fouilles telles qu’elles se déroulaient durant le mouvement social. Les demandes ne concernant pas des mesures d’ordre structurel, pour chacune de ces atteintes à une liberté fondamentale, le référé-liberté est bel et bien un recours ayant des chances raisonnables de succès comme le rappellent les juges européens.
La question sous-jacente qui se posait alors était de savoir si ce mouvement social pouvait être assimilé à un problème structurel. La question mérite d’être posée car, on le sait, le juge des référés français ne peut prononcer des mesures visant à remédier à un problème d’ordre structurel, ce qui a conduit la Cour EDH, à plusieurs reprises, à qualifier le référé-liberté de recours ineffectif. Il s’agit là d’un aspect maintenant bien connu mais central de la question de l’effectivité du référé-liberté ; à savoir l’indignité résulte-t-elle d’un problème ponctuel auquel le juge de référé peut, au regard de son office, remédier ou l’indignité résulte-t-elle d’un problème structurel ou lié à la surpopulation carcérale, problème auquel le juge des référés ne peut pas remédier. C’est ce qui explique que le référé-liberté a pu être qualifié par Christophe Roux de recours « alternativement effectif »26. En l’espèce, la Cour souligne que « dans les présentes affaires, le juge du référé-liberté a été saisi d’une situation liée à un évènement ponctuel, présentant un caractère provisoire et exceptionnel, qui ne touchait pas le problème de la surpopulation carcérale et les conditions de détention qui en découlent » pour ensuite retenir que « dans l’exercice de son pouvoir d’injonction, il était donc tout à fait à même d’ordonner des mesures provisoires de nature à remédier aux atteintes alléguées aux droits des requérants protégés par l’article 3 de la Convention » (§64). Les mesures que le juge administratif pouvait prononcer étaient susceptibles d’être mises en œuvre, rapidement et de porter effet à bref délai, par exemple en ordonnant la distribution de kits d’hygiène ou le rétablissement des promenades et des contacts avec les familles ainsi qu’en encadrant la pratique des fouilles27 (§65).
Si le constat d’une effectivité vaut en principe, il doit se vérifier en pratique pour être jugé effectif. Aussi, l’exercice d’un référé-liberté dans le cadre d’un mouvement social n’est ni illusoire ni impossible, comme le note le juge européen. La Cour relève tout d’abord, que deux détenus (MM. Leroy et Lahreche), ont recouru, avec l’assistance de leur avocat, à la voie du référé-liberté pour contester précisément les conditions de détention litigieuses, ce qui lui permet de déduire que « cette voie de recours était normalement disponible » (§61). La Cour rejette alors les arguments de certains requérants, dont les requêtes ont été déclarées irrecevables faute d’épuisement des voies de recours internes, qui estimaient que le rejet des requêtes de MM. Leroy et Lahreche était suffisant pour établir de manière évidente que cette voie de recours était vouée à l’échec. En effet, huit requérants précisaient qu’ils avaient été informés du rejet des recours et que, se trouvant dans une situation « parfaitement similaire à ces derniers, il était vain de solliciter à nouveau l’intervention du juge » (§48). Tel n’est pas l’avis de la Cour qui, concluant à l’effectivité du référé-liberté, y compris dans les circonstances d’un blocage d’un établissement, signifie aux requérants que le non-exercice de cette voie de recours a pour effet d’entraîner l’irrecevabilité des requêtes pour non-épuisement des voies de recours internes28.
Outre la prétendue absence de chance raisonnable de succès, les requérants contestaient le délai de jugement de leurs affaires. L’examen de leurs recours avait été de six jours devant le tribunal administratif et de vingt-huit jours devant le Conseil d’État, soit, en première instance comme en appel, bien au-delà des quarante-huit heures indiquées dans le code de justice administrative. Les requérants soutenaient notamment que le temps consacré à l’examen de leur appel avait « ruiné l’effectivité du recours engagé » (§119). La Cour ne retient pourtant pas de violation de l’article 13 de la Convention EDH. Après avoir indiqué qu’un recours interne doit présenter des garanties minimales de célérité, elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « si le temps nécessaire à l’examen d’un recours peut mettre en cause son efficacité, cela n’implique pas pour autant que le simple dépassement d’un délai légal constitue une méconnaissance du droit garanti à l’article 13 de la Convention EDH »29. La question n’était donc pas de savoir si le dépassement du délai légal entraînait mécaniquement l’ineffectivité du recours mais plus précisément de savoir si le recours avait été apte à prospérer en temps utile, car un recours inapte à prospérer en temps utile n’est, selon la Cour, « ni adéquat, ni effectif » (§128).
La juridiction européenne relève alors que si la procédure a duré au total un mois et sept jours et s’est terminée après la fin du mouvement litigieux, les mesures d’instruction réalisées, tant par le juge des référés en première instance qu’en appel, justifient le dépassement du délai légal (§130). Alors, certes, le juge des référés du Conseil d’État a été saisi deux jours avant que les agents pénitentiaires votent la fin du blocage de sorte que la décision fut rendue le 15 avril 2019, soit presque un mois après la fin du mouvement, mais le délai mis pour statuer est justifié par les indispensables mesures d’instruction contradictoire (afin de mesurer notamment la potentialité de la reprise des missions par les agents du service public pénitentiaire, ainsi que d’apprécier les mesures prises par l’administration pénitentiaire pour tenter d’assurer des conditions normales de détention), leur prolongation et la tenue d’une audience. L’ensemble de ces mesures a, certes, allongé le délai de jugement mais n’a pas affecté substantiellement l’effectivité du recours en appel, compte tenu des circonstances de l’espèce, et ce d’autant que les requérants avaient pu bénéficier d’un jugement de première instance alors que la situation litigieuse était encore en cours.
Si les mesures d’instruction réalisées par les juges des référés (en première instance et en appel) ainsi que la tenue d’audiences ont inévitablement conduit à un allongement de la durée de traitement de l’affaire, il devenait difficile de soutenir que les requérants n’ont pas pu défendre leurs intérêts devant le juge administratif. Partant, l’argument selon lequel le recours ne serait pas effectif du fait des difficultés rencontrées pour apporter la preuve des allégations par les détenus n’est pas retenu, pas plus que l’argument selon lequel le juge administratif aurait pris uniquement en compte les observations du ministre de la Justice, sans les vérifier, se déplacer ou ordonner une expertise (§118). Assurément, compte tenu de leur situation et de leur entière dépendance vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, les personnes détenues rencontrent des difficultés pour apporter la preuve de leurs allégations, mais en l’espèce, la Cour estime que les requérants ont pu défendre leurs intérêts devant le juge dès lors que ce dernier a tenu des audiences, rendu des décisions motivées et répondu à l’ensemble de leurs moyens selon les modalités spécifiques de la procédure en référé (§131). Elle observe que le juge administratif a adapté la procédure d’instruction à l’affaire : « le juge interne a tenu compte des circonstances de l’affaire pour fixer le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires, la date d’audience et celle de la clôture de l’instruction ». Elle juge « qu’il était opportun, avant de rendre sa décision, de mesurer au moyen d’une prolongation de l’instruction, l’évolution de (la) reprise ainsi que la nature et l’ampleur des moyens mis en œuvre par les autorités compétentes pour rétablir les conditions normales de détention » (§132), quitte à ce que cela conduise à rendre une décision alors que le blocage du site était levé.
Un dernier aspect du référé-liberté était pointé par les requérants afin de contester l’effectivité de ce recours, à savoir la problématique de l’exécution des mesures prescrites par le juge. Ce dernier point est examiné par la Cour EDH pour lui permettre de conclure que le référé-liberté est un recours préventif effectif en pratique, notamment lorsque l’administration pénitentiaire est confrontée à un événement ponctuel. Elle précise qu’« il ne résulte ni des éléments, ni de la procédure devant le juge interne ni des éléments apportés par les requérants devant la Cour que les autorités pénitentiaires n’auraient pas été en mesure d’exécuter de manière satisfaisante de telles mesures » (§65). D’ailleurs, l’administration pénitentiaire a tenté de prendre différentes mesures pour retrouver une gestion quotidienne normale de l’établissement. Elle a notamment fait appel aux ERIS pour assurer la gestion quotidienne de l’établissement et a rétabli dès que possible l’utilisation du téléphone et la distribution des courriers. Pour appuyer son appréciation, la Cour renvoie à nouveau à l’affaire Clasens contre Belgique dans laquelle des carences structurelles avérées (à savoir le refus total des agents de l’administration pénitentiaire en grève30 de travailler31 qui avait conduit à la précarité et l’irrégularité des services minimums) dans la gestion du mouvement social empêchaient l’exécution des mesures prescrites par le juge des référés. L’administration pénitentiaire belge n’était donc pas en mesure d’accomplir des diligences, y compris celles ordonnées par le juge, pour rétablir le fonctionnement minimal du service public pénitentiaire. La Cour le décrit très bien : « en réalité l’ineffectivité du recours en référé durant la grève des agents pénitentiaires, dénoncée par le requérant, était largement dépendante de la nature structurelle des problèmes découlant d’une telle grève. C’est l’absence d’encadrement de la continuité de missions des agents pénitentiaires en période de grève qui est à l’origine de l’ineffectivité du recours et a compromis l’exécution de la décision favorable prononcée par le juge judiciaire. En effet, même si le juge en référé a exercé sa compétence, cela n’a pas pu mener à un redressement de la situation dénoncée par le requérant vu que la fourniture des services minimums aux détenus était de toute façon tributaire des fluctuations du mouvement de grève » (§45). Tel n’est pas le cas dans l’affaire Leroy.
Enfin, la Cour note que les requérants disposent de procédures leur permettant le cas échéant de rechercher l’exécution des mesures prescrites par le juge (§66). Sur ce point, elle renvoie aux affaires précédentes, dans lesquelles elle semble se borner à apprécier le cadre juridique français et les recours à la disposition des personnes détenues pour obtenir l’exécution des injonctions prononcées par le juge des référés. Il semble toutefois qu’elle soit déconnectée de la pratique de l’exécution des décisions du juge administratif dans le domaine pénitentiaire qui résulte parfois d’une « résistance »32 ou d’une « inertie »33 de l’administration pénitentiaire34 et qui a conduit Florent Blanco à demander dans une tribune la création d’un référé-exécution35. Gageons qu’elle soit saisie un jour de griefs en ce sens, permettant un examen précis de la question.
1 Cour EDH, 18 avril 2024, Leroy et autres c/France, req. nos 32439/19, 37876/19 et 46898/19.
2 L’attaque a eu lieu à 9h20 le 5 mars 2019. Le détenu et son épouse se sont ensuite retranchés au sein de l’Unité de vie familiale pendant plusieurs heures (§5). Le couple a revendiqué son acte au nom de l’État islamique.
3 Cour EDH, 28 mai 2019, Clasens c/Belgique, req. n° 26564/16 ; O. Nederlandt, L. Descamps, « Considérations relatives au service minimum garanti dans les prisons belges en temps de grève des agents pénitentiaires. (obs. sous Cour EDH, arrêt Clasens c/Belgique, 28 mai 2019) », Rev. Trim Dr. h., 2020/2, n° 122, pp. 187-213.
4 Souligné par nous.
5 Cour EDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c/France, req. n° 9671/15 ; AJDA, 2020, p. 263, note J.-M Pastor ; AJDA, 2020, p. 1064, note H. Avvenire ; AJ pénal, 2020, p. 122, étude J.-P. Céré ; D., 2020, p. 753 note J.-F. Renucci ; D., 2020, p. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; D., 2020, p. 1643, obs. J. Pradel ; JCP G, 2020, 154, Aperçu rapide B. Pastre-Belda ; Rev. pénit., n° 1, p. 179, obs. C. Margaine ; D. Roets, « Les conditions de détention en France dans le collimateur de la Cour européenne des droits de l’homme : coup de tonnerre ou… coup d’épée dans l’eau ? (obs. sous Cour EDH, arrêt J.M.B. et autres c/France, 30 janvier 2020) », Rev. Trim Dr. h., 2020/3, n° 123, pp. 729-749.
6 Cour EDH, 6 juillet 2023, B.M et autres c/France, req. n° 84187/17; M. Dominati, « Conditions de détention indignes : la France encore condamnée par la CEDH », Dalloz actualité, 12 juillet 2013 ; C. Maillafet et C. Tzutzuiano, « Les conditions indignes de détention et l’effectivité des recours. Réflexions à partir de l’arrêt de la Cour EDH, B.M. et a. c/France, du 6 juillet 2023 », RDLF, 2023, chron. n° 42; B. Pastre-Belda, « L’effectivité contextualisée du référé-liberté. Le cas des fouilles de personnes détenues. À propos de l’affaire Cour EDH, 6 juillet 2023, B.M. et autres c/France, n° 84187/17 », RDLF, 2024, chron. n° 50.
7 Cour EDH, 6 mars 2001, Dougoz c/ Grèce, req. n° 40907/98 ; 20 octobre 2016, Muršić c/Croatie, req. n° 7334/13 ; 17 novembre 2015, Bamouhammad c/ Belgique, req. n° 47687/13 ; Cour EDH, 28 mai 2019, Clasens c/ Belgique, req. n° 26564/16.
8 Les personnels de l’administration pénitentiaire, en tant que fonctionnaires de services déconcentrés des forces de sécurité intérieure, ne peuvent faire grève en vertu de l’article 3 de l’ordonnance du 6 août 1958 portant statut spécial pour le personnel de l’administration pénitentiaire. Cet article, adopté par le Gouvernement de la IVe République sur le fondement de la loi n° 58-520 du 3 juin 1958 relative aux pleins pouvoirs, dispose que « toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l’administration pénitentiaire est interdit ». C’est en réaction à d’importants mouvements de grève initiés par des syndicats des surveillants de prison un an plus tôt (grève de la Prison de la Santé en 1957), que le Gouvernement décidait de soumettre les personnels des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire à un statut spécial dérogeant sur certains points au statut général des fonctionnaires, compte tenu de la spécificité des missions de surveillance qui leur sont confiées et des exigences de maintien de l’ordre public et de continuité du service public pénitentiaire. Cela concerne les personnels de direction, de surveillance, d’administration et d’intendance, éducatif et de probation, technique et de formation professionnelle des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire. Pourtant, cela n’empêche pas la survenance de mouvements sociaux, souvent en réaction à une agression d’un agent pénitentiaire.
9 Les ERIS ont été créées en février 2003 dans le ressort de chaque direction régionale dans une perspective de renforcement de la sécurité générale des établissements pénitentiaires. Les missions principales des ERIS étaient d’intervenir en renfort des équipes locales en cas de tensions particulières, de participer aux fouilles des détenus et de rétablir l’ordre dans les établissements pénitentiaires (note du 27 février 2003). Les neuf ERIS sont réparties à Dijon, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg et Toulouse.
10 Conformément à l’article D. 221-2 du code pénitentiaire. Voir Rép. pén., vo Prison – Organisation générale (chap. 5 – Règles de sécurité, not. §246), par J.-P. Céré, « La création de ce corps a eu pour objet de développer un certain professionnalisme et d’éviter aux surveillants de l’établissement de faire l’objet de vindicte de la part des détenus après les fouilles générales ». Voir commentaire de l’article L. 225-4 du code pénitentiaire. Voir également, Rép. pén., vo Prison – Organisation générale (chap. 5 – Règles de sécurité, not. § 227 à 237), par J.-P. Céré.
11 Le principe de continuité s’entend ici de la gestion quotidienne de l’établissement et de la garde des personnes détenues dans des conditions ne portant pas atteinte à la dignité.
12 Cour EDH, 20 octobre 2011, Alboreo c/ France, req. n° 51019/08.
13 Pour une critique du « minimum de gravité », voir L. Burgogue-Larsen, « Chronique de jurisprudence européenne », AJDA, 2012, p. 143.
14 Cour EDH, Alboreo c/France, §89.
15 Ibid.
16 Cour EDH, Alboreo c/ France, §90.
17 Cour EDH, 20 janvier 2011, El Shennawy c/ France, req. n° 51246/08.
18 Cour EDH, El Shennawy c/France, §44.
19 J.-P. Céré, « La privation de tout contact pour une personne détenue constitue un traitement dégradant – Cour EDH 18 avril 2024 », AJ pénal, 2024, p. 349.
20 Au cours de la période de blocage (et plus particulièrement du 23 au 25 mars), une opération de fouille générale, qui fit l’objet d’une information au procureur de la République, a comporté des fouilles de cellule et des fouilles à corps intégrales des personnes détenues.
21 On peut regretter, avec la Juge Elosegui, que la Cour ne se soit pas prononcée au sujet des fouilles à corps intégrales réalisées par des forces de sécurité cagoulées. En relevant ceci dans son opinion concordante, la Juge invitait les requérants futurs à épuiser les voies de recours sur ce point.
22 Certains requérants alléguaient en outre « ne pas avoir pu voir de médecin » (§11) alors qu’aucun d’entre eux ne suivait de traitement médical et qu’ils n’avaient pas sollicité d’assistance médicale durant la période litigieuse, selon la version du Gouvernement qui ajoutait, par ailleurs, que le personnel médical avait bien été présent tous les jours (§15). Le droit à la santé des détenus n’avait donc pas non plus été bafoué.
23 Il indique d’ailleurs que les premiers courriers en provenance des avocats sont arrivés le mardi 19 mars et qu’ils ont été immédiatement remis à leurs destinataires.
24 Cour EDH, Clasens c/ Belgique, §36 et 37.
25 Sur ce point, voir l’analyse de F. Charlent, « La dignité des conditions de détention dans un contexte de grève du personnel pénitentiaire », Dalloz actualité, 16 mai 2024.
26 Ch. Roux, « Conditions de détention : le référé-liberté alternativement effectif », Droit administratif, sept. 2023, pp. 5-6, note 93.
27 On sait qu’en matière de fouilles (réalisées en temps de fonctionnement normal de l’établissement pénitentiaire), le référé-liberté est également considéré comme un recours préventif effectif. En la matière, la Cour EDH retient que le référé-liberté offre une « chance raisonnable de succès » (§ 63), cette voie de recours étant « effective » mais également « disponible, en théorie comme en pratique » (§ 65).
28 La Cour en profite pour rappeler que pour garantir un système de protection des droits des personnes détenues effectif, il doit coexister, en droit interne, de façon complémentaire, des remèdes préventifs et compensatoires. Elle constate que tel est bien le cas en droit français, dans la mesure où il existe deux voies de recours indépendantes l’une de l’autre, l’une préventive et l’autre compensatoire, qui coexistent de façon complémentaire. Aussi déclare-t-elle seulement deux des requêtes portées devant elle recevables, les deux requérants en question ayant épuisé l’une des voies de recours préventif existant en la matière, en l’occurrence le référé-liberté. Elle déclare en revanche irrecevables les huit autres requêtes pour non-épuisement des voies de recours internes. Sept sont irrecevables faute de recours exercés. La requête de M. S. K. est quant à elle déclaré irrecevable faute d’épuisement des voies de recours interne, celui-ci, bien qu’ayant exercé un recours en responsabilité contre l’État aux fins d’obtenir la réparation du préjudice résultant de ses conditions de détention du 6 au 20 mars 2019, n’a pas pleinement épuisé les voies de recours internes en s’abstenant d’interjeter appel du jugement du tribunal administratif de Caen, rejetant sa demande, rendu le 19 mai 2021.
29 Cour EDH, 28 septembre 2000, Messina c/ Italie (n°2), req. n° 25498/94.
30 Et la Cour de le rappeler : au moment des faits, il n’existait pas en droit belge de texte qui prévoyait un service minimum garanti dans le milieu pénitentiaire en période de grève (§20).
31 Cour EDH, Clasens c/ Belgique, §36.
32 Après l’annulation de la note mettant en place un régime de fouilles intégrales à la sortie des parloirs, il est coutumier que de voir une note au contenu identique être adoptée en remplacement. Voir notamment, entre autres, TA Melun, ord. 4 mai 2013, M. C.A. et Section Française de l’Observatoire International des prisons, n° 1303469/13 et 1303494/13.
33 Ainsi, par l’exemple, l’installation de moustiquaires aux fenêtres des salles d’enseignement prescrite par le juge pour lutter contre la prolifération des moustiques n’avait pas été réalisée parce que les détenus n’en avaient pas fait la demande. Cf. L. Domingo, « Conclusions » sur CE, 11 février 2022, Section française de l’Observatoire International des prisons, (req. n° 452354), disponible sur arianeweb.
34 Sur ce point, voir N. Ferran, « Exécution des décisions de justice. Une bataille de longue haleine », Dedans Dehors, mars 2022 n°114, pp. 38-40 ; N. Ferran, « Le recours en responsabilité au secours de l’exécution des ordonnances rendues dans le contentieux des conditions de détention », AJDA, 2022, pp. 2396-2401 ; J. Falxa, « Conditions de détention. Exécution des décisions du juge administratif », Dalloz, 2022, pp. 1062-1063 ; F. Blanco, « L’exécution des décisions de condamnation dans le contentieux des conditions de détention », in S. Niquège, Le contentieux des conditions indignes de détention, Paris, Mare et Martin, 2023, pp. 99-118. Voir également M. Dominati, « La dignité est prétendument rétablie au centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine », TA Cergy-Pontoise, 22 mai 2024, n° 2406006, Dalloz actualité, 3 juin 2024.
35 F. Blanco, « Pour un référé-exécution devant les juridictions administratives », AJDA, 27 novembre 2023, p. 2137.