La conciliation entre le principe de neutralité du service public et le droit de la non-discrimination religieuse : un acte manqué ?
A propos de l’arrêt Commune d’Ans (CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, aff. C-148/22)
Alexis Husser est docteur en droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Les expressions religieuses dans l’environnement professionnel attisent les tensions sur le plan politique et sociétal, et occupent une place croissante dans le prétoire du juge de l’Union[1]. Interrogée à plusieurs reprises sur la question du port du voile islamique dans le milieu des entreprises privées[2], la Cour de justice fut invitée, dans l’affaire qui a conduit à son arrêt de grande chambre Commune d’Ans, de traiter cette question dans un contentieux mettant en cause le secteur public[3]. Pour la première fois, la Cour de justice était en effet appelée à se prononcer sur une interdiction émanant d’un employeur public, en l’occurrence la commune d’Ans en Belgique. L’affaire s’inscrit-elle, pour autant, dans la lignée des affaires jugées par la Cour relatives à l’interdiction de porter des signes religieux dans une entreprise privée ? L’arrêt Commune d’Ans pose en effet des questions inédites sur le degré de prise en compte de la spécificité du service public, du contexte de l’État membre ainsi que de sa marge d’appréciation pour définir sa conception du principe de
Le litige porté devant la Cour de Luxembourg concerne une femme, de confession musulmane, recrutée sous contrat à durée déterminée par la commune d’Ans en Belgique, puis promue au poste de chef de bureau sous contrat à durée indéterminé. Juriste de formation, la requérante exerce l’essentiel de son activité professionnelle sans contact avec le public (en « back-office »). Après cinq années d’activité professionnelle dans la commune, elle informe son employeur de sa volonté d’arborer un foulard islamique sur son lieu de travail. Suite à cette déclaration, la commune adopte une première décision provisoire interdisant à la requérante de porter des « signes convictionnels ». Cette décision sera confirmée une seconde fois. L’administration belge modifie alors son règlement de travail en y intégrant un article intitulé « Obligation de neutralité et devoir de réserve », qui impose à l’agent le respect du principe de neutralité en vertu duquel est prohibé toute forme de prosélytisme ou port de tout signe ostensible qui puisse révéler son appartenance idéologique, philosophique ou ses convictions politiques ou religieuses. Cette règle s’applique aux agents qui sont en contact tant avec le public qu’en interne, avec leur hiérarchie et leurs collègues.
La requérante engage alors plusieurs procédures devant les juridictions belges, soutenant qu’elle fait l’objet d’une discrimination fondée sur la religion et le genre et que, de ce fait, les décisions ainsi que la règle de la commune d’Ans sont entachées de nullité. La juridiction de renvoi, le tribunal du travail de Liège, émet de sérieux doutes sur la légalité des décisions prises par l’administration communale ainsi que sur le règlement adopté par cette dernière. D’une part, elle estime que l’interdiction faite à la requérante de porter le voile constitue une discrimination directe fondée sur la religion. La première décision de la commune wallonne, adoptée sur la base d’une règle non écrite interdisant le port de tout signe convictionnel « fort ostensible, voire ostentatoire », tel le foulard islamique, est directement discriminatoire eu égard aux preuves produites par la requérante qui attestent que le port de signes religieux discrets était toléré. D’autre part, la juridiction de renvoi constate que la commune a fait le choix de la « neutralité exclusive »[4] en adoptant un règlement communal ayant une « portée collective » et visant tout signe convictionnel ostensible. Formulée ainsi, la règle en cause au principal prend les apparences d’une discrimination indirecte fondée sur la religion ou les convictions. Par ailleurs, la juridiction de renvoi relève que la règle ne poursuit pas un but légitime dès lors que la requérante exerce ses fonctions en dehors de tout contact avec les usagers. En outre, note la juridiction, la commune d’Ans pratique une neutralité « à géométrie variable », c’est-à-dire exclusive vis-à-vis de la requérante mais inclusive en ce qui concerne ses collègues manifestant d’autres convictions religieuses ou philosophiques[5].
À l’aune de ces éléments, le tribunal du travail de Liège s’interroge sur la légitimité et la proportionnalité de la politique de neutralité « exclusive et absolue » imposée à tous les agents de la commune d’Ans, même ceux qui n’ont aucun contact avec le public. En conséquence, cette juridiction a décidé de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles : la première porte sur la compatibilité avec l’article 2, sous a) et sous b) de la directive 2000/78[6] de la politique de neutralité qui consiste à organiser un « environnement administratif totalement neutre » ; l’autre question invite la Cour, une nouvelle fois[7], à se prononcer sur le point de savoir si le droit de l’Union autorise une interdiction neutre qui semble toucher une majorité de femmes et qui est susceptible de constituer une « discrimination déguisée » (ou « intersectionnelle »[8]) fondée sur le sexe[9].
Ce point ne sera pas envisagé dans le cadre de cette étude, la Cour confirmant ce qui apparaît désormais clairement comme une volonté d’ignorer la discrimination intersectionnelle affectant les femmes musulmanes au travail[10]. La seconde question préjudicielle étant jugée irrecevable, le dispositif de l’arrêt concerne donc exclusivement la première question et énonce qu’il convient d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 en ce sens qu’« une règle d’une administration communale interdisant, de façon générale et indifférenciée, aux membres du personnel de cette administration le port visible, sur le lieu de travail, de tout signe révélant, notamment, des convictions philosophiques ou religieuses peut être justifiée par la volonté de ladite administration d’instaurer, compte tenu du contexte qui est le sien, un environnement administratif totalement neutre pour autant que cette règle soit apte, nécessaire et proportionnée au regard de ce contexte et compte tenu des différents droits et intérêts en présence »[11].
Ce sont principalement la motivation de la Cour de justice sur l’examen de l’existence d’une discrimination religieuse ainsi que les développements favorables à la politique de neutralité mise en œuvre par la commune d’Ans qui font l’objet de la présente analyse. L’enjeu de l’arrêt Commune d’Ans est double. L’analyse du raisonnement de la Cour de justice, d’un point de vue technique, permet de constater l’absence de constance de la jurisprudence de la CJUE sur les discriminations religieuses dans le monde professionnel (I). Observée d’un point de vue plus socio-politique, la solution du juge de l’Union oblige ensuite à s’interroger, dans le sillage de la doctrine, sur l’existence d’une progressive hiérarchisation des identités en défaveur de la personne croyante (II).
I- Les inconstances de la jurisprudence en matière de discrimination religieuse au travail
La première impression que donne l’arrêt de la Cour de justice est celle d’une stabilité du raisonnement jurisprudentiel en matière religieuse. La particularité de l’affaire, qui touche une interdiction de porter des signes religieux émanant d’un employeur public, est passée sous silence. Les références aux jurisprudences antérieures sont omniprésentes et laissent croire à l’établissement d’une trame jurisprudentielle constante (A). Pourtant, le cœur du raisonnement est une logique de neutralité plus ferme[12] qui exprime une dissonance dans la jurisprudence, l’affaire Commune d’Ans contrastant nettement avec les arrêts récents rendus en matière de discrimination religieuse dans les entreprises privées (B).
A- L’apparence d’une jurisprudence constante
En lisant l’arrêt, on est d’abord frappé par l’importance prise par la règle du précédent[13] dans la motivation du juge de l’Union et, par effet de miroir, par l’absence de recours à la méthode du distinguishing[14]. La Cour pratique seulement l’autoréférence et la redondance en s’appuyant sur les arrêts G4S Secure Solutions[15], WABE et MH Müller Handel[16] et S.C.R.L.[17]. Sur la forme, la citation de ces arrêts occupe d’ailleurs une place considérable dans le raisonnement du juge : un paragraphe sur deux est consacré à faire référence à ces arrêts[18].
Sur le fond, la Cour s’emploie à reprendre les principes évoqués dans sa jurisprudence antérieure pour les appliquer à la présente affaire. Par des formules abstraites, le juge rappelle sa conception extensive de la notion de « religion » (point 22), la possibilité de caractériser une discrimination directe en présence d’une mesure visant à interdire des signes « ostentatoires et de grande taille » (point 25), l’absence d’une telle discrimination directe lorsque la mesure vise indifféremment et généralement toute manifestation de convictions religieuses ou philosophiques (point 26), l’exigence de neutralité aussi bien dans le texte de la règle que dans son application (point 27), la définition de la discrimination indirecte fondée sur la religion (point 29), l’inexistence d’une telle discrimination indirecte lorsque la différence de traitement est légitime et proportionnée (point 30), la reconnaissance de la marge d’appréciation des États membres quant à la place qu’ils entendent accorder à la religion dans le secteur public (point 34) et quant à la conciliation entre la liberté de religion et les objectifs légitimes pouvant justifier l’inégalité de traitement (point 35), l’obligation de poursuivre l’objectif légitime de manière cohérente et systématique (point 37), et avec efficacité, c’est-à-dire en n’admettant des travailleurs aucune manifestation visible de convictions, qu’ils soient en contact avec les usagers du service public ou en contact entre eux (point 39). Cette utilisation massive (excessive ?) de ses précédents est assurément facilitée par la « jurisprudence formulaire »[19] rendue en matière de discrimination religieuse sur le lieu de travail. Mais elle a aussi l’avantage d’habiller l’arrêt d’une autorité persuasive dans un domaine très sensible politiquement et socialement.
Par la « construction d’un réseau de précédents »[20], l’arrêt contribue donc à offrir l’image d’une continuité de la jurisprudence. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate une rupture ou des dissemblances substantielles entre le raisonnement de la Cour dans le présent arrêt et sa jurisprudence antérieure sur la discrimination religieuse dans le secteur privé. En réalité, nous le verrons, la Cour s’éloigne sensiblement de l’esprit de sa jurisprudence, au point que la constance affichée dans l’arrêt pourrait même n’être qu’« illusionnisme »[21] : la Cour rompt avec la logique d’équilibre caractéristique de sa jurisprudence récente.
B- La réalité d’une jurisprudence dissonante
La Cour de justice parvient-elle véritablement à apprécier de manière cohérente et constante la discrimination religieuse au travail ? Ou, pour le dire autrement, parvient-on à déceler, dans le raisonnement du juge de l’Union, un « visage unifié de la neutralité » ou une « affinité entre les conceptions publiques de la neutralité et les conceptions mises en avant par les entreprises ? »[22]. Une lecture minutieuse de la jurisprudence, au prisme de l’arrêt Commune d’Ans, permet d’en douter.
Au stade de la vérification de l’existence d’un objectif légitime susceptible de justifier l’inégalité de traitement mise en place par la commune belge, la Cour s’est distanciée de sa jurisprudence antérieure. Logiquement en l’espèce, la liberté d’entreprise, reconnue à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne pouvait pas servir de motif légitime pour justifier la mesure prise par l’employeur public[24]. La Cour s’est donc contentée de constater que l’interdiction de porter des signes religieux formulée par la commune a pour objectif de mettre en œuvre le principe de neutralité du service public[25]. Ceci n’est guère surprenant à première vue mais alors que dans les affaires précédentes, la CJUE s’est efforcée de rechercher d’autres fondements juridiques[26] pour justifier la politique de l’employeur privé, cette même Cour juge ici suffisant de se référer au seul principe de neutralité pour justifier l’existence d’un objectif légitime du règlement communal.
Pourtant, comme le montrent les conclusions de son avocat général, cela ne va pas de soi. Dans une logique de recherche d’équilibre, M. Collins estimait que la politique de neutralité de la commune d’Ans pourrait aussi bien se rattacher au besoin de protection des droits et libertés d’autrui « qui implique notamment le respect de toutes les convictions philosophiques ou religieuses des citoyens ainsi que le traitement non discriminatoire et sur un pied d’égalité des usagers du service public »[27]. Or la Cour est totalement silencieuse sur ce point. Comment expliquer ce choix d’économie de motivation ? Au moins deux éléments de réponse peuvent être avancés. On peut supposer, tout d’abord, que la Cour confère au principe de neutralité du service public une importance telle qu’elle considère qu’il se suffit à lui-même. On peut aussi imaginer, dans un cas d’espèce qui concerne une personne exerçant son activité en « back office », en dehors de tout contact avec le public, que la Cour n’a pas jugé pertinent de se référer au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui au moment de définir l’objectif légitime poursuivi par les mesures communales. Il est certainement regrettable que la Cour ne donne aucune indication sur sa motivation.
Mais la principale dissonance avec la jurisprudence antérieure se joue ailleurs dans le raisonnement du juge. Elle se situe au stade de l’examen de l’existence d’une justification objective de la politique de « neutralité exclusive » instaurée par la commune d’Ans. Ici, la Cour rompt très nettement avec l’esprit de sa jurisprudence récente qui imposait à l’employeur privé de prouver, pour justifier objectivement sa politique de neutralité, l’existence d’un « besoin véritable »[28]. Saluée en ce qu’elle conduisait à renforcer le contrôle de proportionnalité de la Cour de justice[29], ce qui était une exigence dans les précédentes affaires est tout simplement écartée dans le présent arrêt.
Ce choix est pleinement assumé par la Grande chambre : elle ne s’inspire pas des conclusions de son avocat général qui l’invitait pourtant à exiger de la commune belge qu’elle justifie sa conception exclusive et stricte de la neutralité par un « besoin social impérieux »[30]. Un rapprochement avec sa jurisprudence antérieure était d’ailleurs possible dès lors qu’au moins « deux types de besoin véritable de l’employeur »[31] ont été identifiés par la Cour : l’attente légitime des clients ou usagers et la prévention des conflits sociaux. Comme l’a clairement souligné la doctrine, « [l]a politique de neutralité apparaît alors à la fois comme un outil de pacification des conflits et indirectement comme un instrument économique garantissant le bon fonctionnement de l’entreprise »[32]. Pourquoi la Cour n’a-t-elle pas, en l’espèce, déclaré explicitement que le « besoin véritable » d’un employeur public peut être de préserver la paix sociale et/ou interne à l’administration concernée ?
En n’insistant pas sur l’obligation pour la commune d’Ans de prouver un « besoin », la Cour de justice réduit donc considérablement son contrôle et bouscule l’équilibre de sa jurisprudence antérieure. Faisant preuve d’une grande retenue, le juge de l’Union reconnaît aux entités infra-étatiques une « marge d’appréciation dans la conception de la neutralité du service public »[33] qu’elles entendent promouvoir sur le lieu de travail[34]. Ce faisant, la Cour admet que soit objectivement justifiée une politique de « neutralité exclusive » mais aussi d’autres politiques, telle qu’une « autorisation générale et indifférenciée de port de signes visibles de convictions […] y compris dans les contacts avec les usagers », ou une « interdiction de port de tels signes limitée aux situations impliquant de tels contacts »[35]. Cette marge de manœuvre laissée aux États membres, « allant de pair » avec l’exigence d’un contrôle juridictionnel du juge national et européen[36], n’est pas véritablement appréciée par la Cour de justice. Du moins, celle-ci ne se prononce pas in concreto sur le caractère nécessaire de la politique mise en œuvre par la commune d’Ans et n’examine pas le degré de neutralité idoine, tant du point de vue du contexte propre de la commune que de la protection des droits de la requérante.
A certains égards, la CJUE semble réceptionner passivement les différentes conceptions de la neutralité qui coexistent dans le système juridique belge et bien décrites par l’avocat général Collins : la conception exclusive, inclusive[37] et intermédiaire[38]. Or, soulignait l’avocat général, c’est précisément parce qu’il existe plusieurs conceptions de la neutralité en droit belge que le choix de la commune d’adopter une conception exclusive de la neutralité doit être justifié et répondre à un « besoin véritable »[39]. Il devrait en effet revenir à la juridiction de renvoi d’établir le degré de contrainte imposé par la législation belge sur le choix de la commune de soumettre ses agents à une interdiction absolue du port de signes religieux[40]. En outre, M. Collins estimait que la justification du choix d’appliquer une conception exclusive de la neutralité doit aussi se justifier par des éléments factuels : en constatant, par exemple, que d’autres communes belges ont adopté une politique de neutralité plus inclusive dans des contextes qui ne sont pas forcément éloignés de celui de la commune d’Ans.
Les conclusions de l’avocat général suivaient donc une logique proche de celle qui consiste à exiger des employeurs privés qu’ils prouvent un « besoin véritable ». On mesure, par contraste, le pas de côté réalisé par la Cour de justice. L’absence de tout contrôle de la justification objective de la politique de neutralité suivie par la commune d’Ans et – plus étonnant – de toutes indications utiles données à la juridiction nationale pour apprécier l’existence d’une telle justification, dénote avec les jurisprudences maintes fois citées dans l’arrêt du 28 novembre 2023. Il n’est certes pas surprenant que la CJUE laisse aux États une marge de manœuvre plus importante en matière neutralité religieuse qu’elle ne le fait pour les entreprises privées. Mais cette position demeure implicite dans l’arrêt Commune d’Ans. Elle est aussi à certains égards regrettable puisqu’il aurait sans doute été utile d’apprécier la proportionnalité d’une politique stricte de neutralité « à la française »[41] dans un pays où la conception exclusive de la neutralité n’est pas impérative[42]. En s’en remettant ainsi à la libre appréciation de l’État belge et de ses collectivités, l’arrêt de la Cour incite aussi à s’interroger sur l’émergence implicite d’une hiérarchisation des identités au détriment des personnes croyantes.
II- L’apparition implicite d’une hiérarchisation des identités ?
La fermeté du juge de l’Union[43], apparemment peu sensible aux considérations relatives à l’identité religieuse des femmes arborant le voile islamique, est une position qui interroge l’échelle des valeurs promues et protégées dans le système juridique de l’Union. De manière implicite se joue dans la jurisprudence de l’Union une partition qui est considérée par certains auteurs comme reléguant les intérêts et les droits des personnes croyantes au second plan. C’est dans le cadre de cette discussion doctrinale que doit être analysée la portée de l’arrêt Commune d’Ans. En effet, l’affaire conduit le juge à mettre face-à-face l’identité nationale de l’État belge et l’identité religieuse des femmes musulmanes (A). L’approche stricte de la Cour de justice suscitera aussi, à n’en pas douter, des questionnements sur l’émergence d’une hiérarchie des identités collectives dans la jurisprudence de l’Union (B).
A- L’identité nationale de l’État membre face à l’identité religieuse des croyants
Il est vrai que le terme « identité » ne figure pas expressément dans le raisonnement du juge de l’Union. Quant à l’avocat général Collins, il consacre seulement quelques brefs développements à l’« identité nationale » dans ses conclusions[44]. Il n’empêche que la Cour de justice, en choisissant de justifier objectivement la légitimité du principe de neutralité sur des bases constitutionnelles (articles 10 et 11 de la Constitution belge)[45], opère une « reconnaissance implicite »[46] de l’identité constitutionnelle de la Belgique. Cela ne surprend guère tant le respect de l’identité nationale des États membres a pris de l’ampleur dans la jurisprudence de la Cour : cette identité qui s’inscrivait d’abord dans un rapport conflictuel avec l’ordre juridique de l’Union a pris de l’ampleur dans la jurisprudence de la Cour de justice qui a progressivement favorisé une démarche de conciliation puis de convergence[47]. Mais le choix de la Cour est plus surprenant dès lors que l’on s’intéresse à la place qu’elle semble accorder au principe de neutralité dans la Constitution belge.
En effet, la justification proposée par la Cour de justice est pour le moins discutable car le principe de neutralité ne figure pas explicitement dans les dispositions de la Constitution belge invoquées par la Cour de justice. L’emploi du conditionnel dans la formule expliquant que le principe de neutralité « trouverait son fondement juridique dans les articles 10 et 11 de la Constitution belge, dans le principe d’impartialité et le principe de neutralité de l’État »[48] s’explique logiquement par son incompétence pour interpréter le droit national. Mais il exprime aussi, en filigrane, l’embarras du juge. Au regard des principes qui sont consacrés dans les articles 10 et 11 de la Constitution belge on comprend d’ailleurs mieux la prudence de la Cour : ces articles consacrent, respectivement, le principe d’égalité en droit et le principe de non-discrimination. Cette question du fondement juridique (et constitutionnel) du principe de neutralité sera finalement tranchée par le juge national qui risque, sur ce point, de ne pas suivre l’hypothèse formulée par la Cour de justice.
Le choix de la Cour de justice apparaît encore plus discutable si l’on suit les développements de l’avocat général sur ce point. En effet, M. Collins affirme que le principe de neutralité ne relève pas expressément de l’identité nationale de la Belgique tandis que le gouvernement français, en sa qualité d’observateur, estimait au contraire que « le fait de prévoir des restrictions à la liberté des agents du secteur public de manifester leur convictions […] religieuses dans l’exercice de leur fonctions peut être d’une importance telle dans certains États membres [y compris l’État belge] qu’il relève de l’identité nationale inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles »[49]. Pour l’avocat général, l’article 4, paragraphe 2, TUE[50] n’a aucun rôle à jouer en l’espèce étant donné « [l]’absence apparente, en Belgique, de toute définition constitutionnelle de la portée et du contenu du principe de neutralité de l’État »[51]. Il est clair, pour M. Collins, que le principe de neutralité, du moins dans sa version exclusive et stricte, ne se rapporte pas à l’identité nationale de l’État belge. Dès lors, on peine à expliquer cette volonté de la Cour de justice d’asseoir la légitimité de la politique de neutralité exclusive sur les dispositions constitutionnelles de l’État belge.
L’une des explications possibles est que l’argument, même implicite[52], du respect de l’identité nationale de l’État membre est suffisamment solide pour justifier la place réduite donnée aux exigences de protection des droits et libertés de la requérante. Du point de vue de la requérante, le souci exprimé implicitement par la Cour de justice de préserver l’identité nationale de l’État belge inhibe toute possibilité de voir son identité religieuse protégée par les dispositions du droit de l’Union. On le sait, l’argument de la protection de l’identité nationale vient « limiter l’impact du droit de l’Union »[53] et laisse une grande marge d’appréciation aux États membres[54], en valorisant la pluralité de leurs conceptions. Dès lors, l’identité au sens de différence au niveau de l’Union[55] se voit accorder une place primordiale au détriment des particularités sociales et identitaires que font valoir les individus ou les groupes au sein de la société d’un État membre.
En conséquence, l’attention accordée au respect de l’identité nationale de l’État membre va de pair avec un durcissement de la position de la Cour de justice à l’égard des revendications de la requérante au principal. L’arrêt de la Cour fait en ce sens directement écho aux développements de l’avocate générale J. Kokott qui, dans l’affaire G4S Secure Solutions, affirmait que « l’interprétation et l’application du principe d’égalité de traitement doivent aussi avoir égard à l’identité nationale des États membres inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ». Cela nécessite, selon elle, de tenir compte du « rang constitutionnel » du principe de neutralité (ou de laïcité) et de son « importance déterminante » pour le « vivre-ensemble dans la société ». Cette logique a enfin pour conséquence que « le port de signes religieux visibles peut être sujet à des restrictions plus importantes »[56].
Ces propos éclairent le choix implicite de la Cour de justice dans l’affaire Commune d’Ans, qui conduit à dissiper certaines avancées notables de sa jurisprudence antérieure en opposant l’identité nationale de l’État belge aux droits et intérêts de l’intéressée. Plusieurs éléments importants du raisonnement de la Cour témoignent même d’un durcissement de sa jurisprudence pour les droits et libertés des femmes musulmanes sur le lieu de travail : la référence lapidaire à la liberté religieuse sans indications précises sur la mise en balance des intérêts que la juridiction de renvoi devra réaliser en l’espèce (point 40) ; l’absence des « développements complémentaires »[57] consacrés dans l’arrêt S.C.R.L. liés à la tolérance, au respect et à la diversité religieuse[58] ; l’effacement de l’ « infléchissement »[59] caractérisé par la mention selon laquelle la directive 2000/78 autorise les juridictions nationales à accorder une plus grande importance à la liberté de conscience et de religion[60] ; l’absence d’examen circonstancié de l’existence d’une discrimination directe alors que le règlement communal interdit « tout signe ostensible »[61] et qu’il est dûment prouvé par la requérante que d’autres signes religieux, plus discrets, sont tolérés par l’administration belge sur le lieu de travail[62]. On ajoutera à ces nombreux éléments le choix d’opérer un contrôle de proportionnalité réduit et abstrait qui ne permet pas d’apprécier concrètement la situation de la requérante (absence de contact avec les usagers et de prosélytisme) ni les conséquences[63] de la politique de neutralité sur l’identité religieuse de la requérante (son comportement, son attitude, la force de ses convictions, sa pratique de la foi, etc.[64]).
Pour ces raisons, l’on est conduit à s’interroger sur cette approche de la Cour de justice qui semble vouloir en quelque sorte sacraliser le principe de neutralité[65]. En cédant aux inquiétudes et aux injonctions suscitées par la visibilité croissante de la diversité dans la société[66], la Cour ne prend-elle pas le risque d’abîmer d’autres valeurs fondamentales partagées et promues au niveau de l’Union, telles que le pluralisme et la tolérance[67] ? Le risque est aussi que s’instaure, dans la jurisprudence de l’Union, un « deux poids, deux mesures » ; certaines identités collectives bénéficiant d’une protection plus importante que d’autres dans la jurisprudence de l’Union.
B- Vers une hiérarchie des identités collectives ?
Au-delà du rapport entre identité nationale et identité religieuse des personnes, l’extrême rigueur de la solution pour la requérante viendra certainement nourrir un débat doctrinal émergent, qui postule l’existence d’une protection à deux vitesses, dans la jurisprudence de l’Union relative au droit de la non-discrimination au travail. L’arrêt commenté nous semble de nature à renforcer « le sentiment […] que l’expression de l’identité sexuelle serait mieux protégée que celle de l’identité religieuse »[68]. E. Dubout le rappelle en montrant que les questions d’identité sexuelle, contrairement à celles touchant à l’identité religieuse, ont progressivement fait l’objet d’un traitement protecteur dans la jurisprudence de l’Union[69]. En témoignent les arrêts qui placent les couples non-mariés (en concubinage), y compris de même sexe, dans une situation comparable aux couples mariés[70] autant que ceux qui imposent la reconnaissance de situations familiales de personnes de même sexe dans leur propre État membre[71]. L’affaire J.K. rendue le 12 janvier 2023[72] n’a fait que renforcer cette dynamique favorable aux droits des personnes homosexuelles : la Cour y a jugé que le licenciement d’un travailleur affichant son homosexualité était prohibé au sens de la directive 2000/78. Mais alors, comment expliquer que, depuis l’arrêt Achbita et, encore plus depuis l’arrêt Commune d’Ans, le licenciement d’une femme affichant sa religiosité soit largement toléré par le droit de l’Union ? Autrement dit, comment justifier que les personnes homosexuelles bénéficient d’une protection plus substantielle que les personnes croyantes dans la jurisprudence de l’Union[73] ? E. Dubout avance comme explication que la Cour cèderait à une « forme de conséquentialisme social » qui se définit par une propension à tenir compte « des conséquences que sa décision pourrait avoir sur l’ordre social »[74]. Par une « perception des risques sociaux qu’engendrerait l’expression d’une identité plutôt qu’une autre »[75], le juge de l’Union aurait comme préoccupation finale de garantir la paix sociale. Cette lecture n’est évidemment pas dénuée de pertinence dans le présent arrêt. Même s’ils ne sont pas repris dans le raisonnement de la Cour[76], les motifs invoqués par la commune d’Ans pour justifier sa politique de neutralité exclusive reposent sur l’idée que « la neutralité d’apparence imposée à tous les agents revêt non seulement une fonction exemplative quant à l’attitude à adopter à l’égard du public, mais également une garantie quant au bon fonctionnement du service et une manière d’éviter que des tensions ne naissent entre agents »[77]. On ne peut donc exclure que la Cour de justice ait voulu répondre à ces inquiétudes et ces risques de tensions sociales au sein même d’une administration[78]. Si l’on suit le raisonnement proposé par E. Dubout, la fermeté de la Cour de justice sur les questions d’expressions religieuses au travail intervient plutôt comme « le symptôme, de ce que, contrairement à l’orientation sexuelle, la manifestation de sa conviction religieuse au travail constituerait une plus grande source de tensions et de troubles au sein de la société européenne »[79]. Cela semble pouvoir se vérifier dans la jurisprudence de la Cour qui s’emploie, dans l’affaire Commune d’Ans, à légitimer une exigence maximale à l’égard d’une femme qui manifeste et pratique sa foi musulmane, et admet sans trop de difficultés qu’une administration belge puisse choisir d’imposer un principe de « neutralité exclusive » dans l’objectif de créer un « environnement administratif totalement neutre ».
En présence d’une telle compréhension pour les stratégies d’ « invisibilisation » des signes religieux dans l’environnement professionnel, il devient légitime de s’interroger sur l’efficacité du self-restraint de la Cour de justice. N’est-il pas paradoxal de se placer en juge de la paix sociale en permettant aux entreprises et aux organes de l’État de licencier des femmes portant le foulard islamique alors qu’elles font preuve d’intégration sociale par le travail ? Est-il, au fond, pertinent et efficace de garantir la paix sociale par une certaine forme d’exclusion – ou de marginalisation – sociale de ces femmes ? L’intégration culturelle des femmes musulmanes importe-t-elle davantage que leur intégration économique et sociale ? Et peut-on envisager l’une sans l’autre ? L’approche conséquentialiste permet-elle de prendre sérieusement en compte les tensions sociales dès lors qu’elle ne s’attaque pas aux causes et n’encourage d’aucune manière la mise en œuvre de dispositifs visant à promouvoir les principes de tolérance et de respect de la diversité[80] ? Peut-on se préoccuper de la paix sociale sans aborder la question du « vivre-ensemble » ?
Là se trouve l’intérêt de l’arrêt Commune d’Ans qui se situera, à coup sûr, au cœur de vives controverses doctrinales. Certains ne manqueront pas de justifier[81] ou de critiquer[82] la position de la Cour de justice en se référant aux valeurs chrétiennes et laïques qui sous-tendent les ordres juridiques nationaux et européen. D’où le regret que la Cour de justice soit si sibylline et rende un arrêt elliptique ne permettant pas, d’une part, de voir émerger un modus operandi cohérent de l’évaluation de la discrimination religieuse sur le lieu de travail ni, d’autre part, d’atteindre une conciliation plus équilibrée des droits et intérêts en présence.
[1] R. McCREA, « Faith at work : the CJEU’s headscarf rulings », EU Law Analysis, 2017, https://eulawanalysis.blogspot.com/2017/03/faith-at-work-cjeus-headscarf-rulings.html. Dans cet article, l’auteur souligne notamment l’actualité et la sensibilité politique de la question du rôle de la religion dans les sociétés européennes.
[2] CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, aff. C-157/15 ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, aff. C-188/15 ; CJUE, Gr. ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, aff. jointes C-804/18 et C-341/19 ; CJUE, 13 octobre 2022, S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), aff. C-344/20. Pour une étude approfondie de ce contentieux en droit belge, français et européen, voir L. VANBELLINGEN, La neutralité de l’entreprise face aux expressions religieuses du travailleur. Test de comparabilité en droit européen de la liberté de religion et de la non-discrimination, Bruxelles, Bruylant, 2022, 541 p.
[3] CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, aff. C-148/22.
[4] La conception exclusive de la neutralité « repose sur le postulat que tant les actes posés par l’agent public que l’apparence de ce dernier doivent être strictement neutres ». Ainsi, cette conception « interdit à tout agent public d’aborder de tels signes au travail, quels que soient la nature de ses fonctions et le contexte dans lequel elles sont exercées » (Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 66).
[5] Pour ces raisons avancées par la juridiction de renvoi, celle-ci a permis, à titre provisoire, à la requérante de porter le foulard islamique, sauf lorsqu’elle est en contact avec les usagers ou lorsqu’elle exerce des fonctions d’autorité.
[6] Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
[7] CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit.
[8] Cette notion est, à ce jour, essentiellement doctrinale car elle n’a été reprise par la Cour ni dans l’affaire WABE ni dans l’arrêt commenté. Sur la conceptualisation de cette notion dans la doctrine, voir M. V. ONUFRIO, « Intersectional Discrimination in the European Legal Systems : Toward a Common Solution ? », International Journal of Discrimination and the Law, 2014, vol. 14, pp. 126-140 ; S. FREDMAN, Intersectional Discrimination in EU Gender Equality and Non-Discrimination Law, Office des publications de l’Union européenne, 2016 ; A. LAWSON, D. SCHIEK, European Union Non-Discrimination Law and Intersectionality, Londres, Routledge, 2016 ; S. ATREY, Intersectional Discrimination, Oxford, OUP, 2019 ; E. BRIBOSIA, R. MEDARD INGHILTERRA, I. RORIVE, « Discrimination intersectionnelle en droit : mode d’emploi », RTDH, 2021, pp. 27-60 ; S. HENNETTE-VAUCHEZ, « Religious Neutrality, Laïcité and Colorblindness : A Comparative Analysis », Cardozo Law Review, vol. 42, 2021, p. 588.
[9] Il s’agit de la terminologie utilisée par la Cour de justice qui reformule la question préjudicielle de la juridiction de renvoi qui utilisait le terme « genre ».
[10] Plus précisément, la Cour estime que la discrimination indirecte fondée sur le sexe ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/78 qui est le seul acte visé par la question préjudicielle. Ce faisant, elle confirme sa jurisprudence CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit., point 58. Sur la réticence de la Cour à s’emparer de la question de la discrimination intersectionnelle, voir S. ROBIN-OLIVIER, « Chronique Politique sociale de l’UE – Discriminations au travail », RTD eur., 2022, p. 296 ; A. DJELASSI, R. MERTENS, S. WATTIER, « Principe de neutralité dans les entreprises privées : la Cour de justice étoffe sa jurisprudence relative à l’interdiction des signes religieux », RTDH, 2022, n°130, pp. 383 et suiv..
[11] Dispositif de l’arrêt CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit..
[12] Dans un court résumé de l’affaire, Marie-Christine Montecler souligne l’appréciation « ferme » de la Cour de justice en faveur du principe de neutralité de l’État. Voir M.-C. de MONTECLER, « La marge d’appréciation des États membres sur la neutralité du service public », Dalloz Actualité, 2023.
[13] Plus généralement, ce recours aux précédents n’étonne guère en raison de son évolution croissante dans la jurisprudence de la Cour de justice. Voir, sur ce point, T. TRIDIMAS, « Precedent and the Court of Justice: A Jurisprudence of Doubt », in J. DICKSON and P. ELEFTHERIADIS (Eds.), Philosophical Foundations of European Union Law, Oxford, OUP, 2012, pp. 307-330.
[14] Sur cette méthode qui consiste notamment à s’écarter d’une jurisprudence antérieure ou à éviter l’application d’un précédent, voir F. SUDRE, « La motivation et le style des décisions juridictionnelles. La Cour européenne des droits de l’homme. Le regard de la doctrine », in L. COUTRON (dir.), Pédagogie judiciaire et application des droits communautaires et européens, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 135-157.
[15] CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, op. cit..
[16] CJUE, Gr. ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit..
[17] CJUE, 13 octobre 2022, S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), op. cit..
[18] Plus précisément, ces affaires sont citées dans 10 paragraphes sur les 21 qui constituent la réponse de la Cour à la première question préjudicielle.
[19] Expression empruntée à L. AZOULAI, « L’argument sociologique dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Entre anti-sociologisme et intuitionnisme » in D. FENOUILLET (dir.) L’argument sociologique en droit, Pluriel et singularité, Paris, Dalloz, 2015, p. 185. Celle-ci désigne, selon l’auteur, « une jurisprudence procédant par composition et combinaison de formules juridiques abstraites, suivant un agencement qui varie en fonction du contexte de chaque affaire ».
[20] A. PALANCO, « Les fonctions de l’intratextualité dans la construction des récits judiciaires (Analyse comparée de la pratique de la CJUE et de la Cour EDH) », in A. BAILLEUX, E. BERNARD, S. JACQUOT (dir.), Les récits judiciaires de l’Europe, Bruxelles, Bruylant, 2019, p. 79.
[21] O. DUBOS, « La motivation des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne : un style à trois temps », in L. COUTRON (dir.), Pédagogie judiciaire et application des droits communautaires et européens, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 195.
[22] L.-L. CHRISTIANS, L. VANBELLINGEN, « Neutralités d’entreprise et neutralités d’État : tendances asymétriques en droit belge », Dr. Soc., 2018, pp. 337-342.
24] Voir, en ce sens, Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 64.
[25] CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit., point 32.
[26] On pense notamment aux arrêts dans lesquels la Cour de justice affirme que l’objectif de neutralité d’une entreprise « se rapporte » à la liberté d’entreprise, reconnue à l’article 16 de la Charte. Voir CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, op. cit., point 38 ; CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit., point 63 ; CJUE, 13 octobre 2022, S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), op. cit., point 39.
[27] Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 64.
[28] CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, aff. jointes C-804/18 et C-341/19, point 64. Dans cet arrêt, la Cour de justice estime que pour établir l’existence d’un « besoin véritable » de l’employeur, il convient de tenir compte « des droits et des attentes légitimes des clients ou des usagers ». S’agissant en l’espèce d’une politique de neutralité mise en place par une crèche privée, la Cour renvoie au « droit des parents d’assurer l’éduction et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques reconnu à l’article 14 de la Charte » ainsi qu’au « souhait de voir leurs enfants encadrés par des personnes ne manifestant pas leur religion ou leurs convictions lorsqu’elles sont en contact avec les enfants » (point 65).
[29] Voir, en ce sens, S. ROBIN-OLIVIER, « Chronique Politique sociale de l’UE – Discriminations au travail », RTD eur., 2022, p. 296 ; A. DJELASSI, R. MERTENS, S. WATTIER, « Principe de neutralité dans les entreprises privées : la Cour de justice étoffe sa jurisprudence relative à l’interdiction des signes religieux », RTDH, 2022, n°130, pp. 373-395.
[30] Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. points 65 et suiv..
[31] N. ANCIAUX, J. ICARD, « Le dédale de la non-discrimination religieuse », Dalloz, 2021, p. 1749.
[32] Ibid..
[33] CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit., point 33.
[34] Cette ample marge d’appréciation laissée aux États membres rappelle la jurisprudence de la Cour EDH en matière de neutralité religieuse sur le lieu de travail. Voir, par exemple, Cour EDH, Gr. ch., 1er juillet 2014, S.A.S c/ France, req. n°43835/11, §129 ; Cour EDH, Gr. ch., Lautsi et autres c/ Italie, req. n°30814/06, §70. Pour les juges européens, de Strasbourg et de Luxembourg, la reconnaissance d’une ample marge d’appréciation s’explique par l’absence de « consensus » en Europe sur la question de la place de la religion dans les sociétés des États membres ou parties.
[35] CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit., point 33.
[36] Ibid., point 34.
[37] Celle-ci se « fonde sur l’idée que l’apparence de l’agent public est à dissocier de la manière dont il assure le service public. Selon cette conception, c’est la neutralité des actes posés par l’agent, non celle de son apparence, qui importe, de sorte qu’il ne peut lui être interdit de porter des signes de convictions notamment philosophiques ou religieuses » (Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 66).
[38] Comme exemples de conceptions « intermédiaires » de la neutralité, l’avocat général évoque celles qui consistent « à réserver une telle interdiction aux agents qui sont en contact avec le public ou à ceux qui exercent des fonctions d’autorité, par opposition à de simples fonctions d’exécution » (Ibid.).
[39] Ibid., point 68.
[40] Ibid., point 70.
[41] Voir, dans le domaine de la fonction publique française, la circulaire du 15 mars 2017 du ministre de la Fonction publique relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique qui affirme l’obligation d’observer un « strict devoir de neutralité ». Dans la doctrine, voir S. DYENS, « L’obligation de neutralité religieuse en droit de la fonction publique », Informations Administratives et Juridiques (IAJ), 2023. Plus largement, sur la conception française du principe de laïcité et de neutralité, voir DGAFP, Guide de la laïcité dans la fonction publique, 8 décembre 2023, https://www.fonction-publique.gouv.fr/toutes-les-publications/guide-de-la-laicite-dans-la-fonction-publique.
[42] Malgré l’influence de la conception française de la neutralité en droit public belge, la doctrine souligne que « [l’]abandon de plusieurs propositions récentes d’introduire un concept de laïcité dans la Constitution belge est significatif de la distance qui se maintient encore entre le système belge et le modèle français » (L.-L. CHRISTIANS, L. VANBELLINGEN, « Neutralités d’entreprise et neutralités d’État : tendances asymétriques en droit belge », op. cit.).
[43] Pour se rendre compte de la fermeté de la position de la Cour de justice, il peut être utile de comparer son approche avec celle adoptée par la Cour EDH dans l’arrêt Cour EDH, 26 novembre 2015, Ebrahiminian c/ France, req. n°64846/11. Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg s’exprimait sur la neutralité religieuse imposée à un agent contractuel (assistante sociale) de la fonction publique hospitalière (service psychiatrique) française. L’approche de la CJUE est aussi stricte et ferme que celle de la Cour EDH. Pourtant, des éléments importants qui pouvaient expliquer l’approche ferme de la Cour EDH manquaient dans l’affaire Commune d’Ans : la Cour de Luxembourg n’était pas tenue de prendre en compte une conception stricte et univoque de la laïcité et du principe de neutralité comme on l’observe en France ; elle n’était pas non plus contrainte de tenir compte du contact direct de l’intéressée avec les usagers et de l’existence d’un « contexte de vulnérabilité des usagers du service public » (milieu hospitalier, service psychiatrique) mentionné au paragraphe 53 de l’arrêt.
[44] Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 45 à 47 et point 72.
[45] CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit., point 32.
[46] A. RIGAUX, D. SIMON, « L’autonomie identitaire des États membres de l’Union : Les habits neufs de l’Empereur ou le Roi est nu ? », in J.-C. BARBATO, S. BARBOU DES PLACES, M. DUBUY, A. MOINE (dir.), Transformations et résilience de l’État : Entre mondialisation et intégration. Liber amicorum en hommage à Jean-Denis Mouton, Paris, Pedone, 2020, pp. 583-610. Il s’agit des hypothèses dans lesquelles la Cour de justice affirme le respect de l’identité constitutionnelle des États membres sans utiliser les syntagmes « identité nationale » ou « identité constitutionnelle ».
[47] A. RIGAUX, D. SIMON, « Droit de l’Union européenne et droit constitutionnel national dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : Conflit, coexistence, convergence ? », in Révolution, Constitution, Décentralisation, Mélanges en l’honneur de Michel Verpeaux, Paris, Dalloz, 2020, pp. 459-468.
[48] CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit., point 32.
[49] Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 46.
[50] Pour rappel, d’après cette disposition du Traité sur l’Union européenne, l’« Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ».
[51] Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 72.
[52] De même quand la Cour évoque « l’absence de consensus au niveau de l’Union » (point 34) pour justifier la marge d’appréciation des États membres, on peut y voir une « allusion implicite à la jurisprudence […] sur les rapports entre identité constitutionnelle des États membres et encadrement par le droit de l’Union ». Voir D. SIMON, A. RIGAUX, « Signes religieux ostensibles », Europe, octobre 2021, comm. 328, à propos de la même formule utilisée dans l’arrêt CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit., point 86.
[53] Concl. de l’avocate générale J. Kokott, présentées le 15 avril 2021, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon „Pancharevo“, aff. C‑490/20, point 86.
[54] CJUE, Gr. ch., 7 septembre 2022, Cilevičs e. a., aff. C-391/20, point 83.
[55] Concl. de l’avocate générale J. Kokott, présentées le 15 avril 2021, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon „Pancharevo“, op. cit., point 71. Selon l’avocate générale, l’obligation de respecter l’identité nationale des États membres prescrite à l’article 4, paragraphe 2, TUE, peut se comprendre comme une obligation de respecter la pluralité de conceptions, et, partant, les différences qui caractérisent chaque État membre ».
[56] Concl. de l’avocate générale J. Kokott, présentées le 31 mai 2016, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, op. cit., points 32 et 125.
[57] A. RIGAUX, « Signes religieux », Europe, décembre 2022, comm. 409. L’arrêt S.C.R.L. ne nourrissait sur ce point que peu d’espoir étant donné que, comme l’a relevé A. Rigaux, ces développements ne « lassa[ait] pourtant aucune trace ni dans la conclusion de cette partie de l’arrêt, ni dans le dispositif ».
[58] CJUE, 13 octobre 2022, S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), op. cit., point 41.
[59] S. ROBIN-OLIVIER, « Chronique Politique sociale de l’UE – La liberté religieuse renforcée face à la liberté d’entreprise », op. cit..
[60] CJUE, 13 octobre 2022, S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), op. cit., point 52.
[61] CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit., point 78.
[62] Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit. point 55.
[63] La Cour n’apprécie pas les incidences ou les inconvénients de la mesure restrictive sur les femmes portant le voile islamique qui la subisse. Cela entre, par exemple, en contradiction avec la jurisprudence CJUE, Gr. Ch., 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, aff. C-83/14, points 123 et 124.
[64] Sur ce point, on retrouve dans la jurisprudence de la Cour EDH une même approche « abstraite » dans l’arrêt Cour EDH, 26 novembre 2015, Ebrahiminian c/ France, op. cit.. Celle-ci est remise en cause dans l’opinion en partie concordante et en partie dissidente de la juge O’Leary. La juge critique le caractère abstrait du contrôle de proportionnalité exercé par la Cour de Strasbourg qui ne prend pas suffisamment en compte, d’une part, le comportement ou l’attitude de la requérante et, d’autre part, les « lourdes conséquences » qu’elle subirait (licenciement) si « en raison de la force de ses convictions religieuses, elle ne se sentait pas en mesure de retirer le symbole religieux litigieux ».
[65] Dans l’affaire Cour EDH, 26 novembre 2015, Ebrahiminian c/ France, op. cit., qui concernait plus particulièrement le principe de laïcité en France opposé à une femme musulmane portant le voile islamique dans un service public hospitalier, le juge De Gaetano mettait en garde sur le caractère « dangereux », pour les « autres valeurs qui sous-tendent la Convention », d’une « sacralisation » du principe de laïcité.
[66] Voir, en ce sens, S. HENNETTE-VAUCHEZ, « Equality and the Market: the unhappy fate of religious discrimination in Europe », European Constitutional Law Review, vol. 13, n°4, 2017, pp. 744-758.
[67] Rappelons que ces valeurs figurent explicitement à l’article 2 TUE.
[68] E. DUBOUT, « L’Europe est-elle queer ? Homosexualité et valeurs de l’Union européenne/Is Europe Queer ? Homosexuality and EU’s Values », European Papers, à paraître.
[69] Ibid..
[70] CJCE, Gr. Ch., 1er avril 2008, Maruko, aff. C-267/06 ; CJUE, 12 décembre 2013, Hay c/ France, aff. C-267/12.
[71] CJUE, Gr. Ch., 5 juin 2018, Coman e. a., aff. C-673/16 (reconnaissance du statut marital) ; CJUE, Gr. Ch., 14 décembre 2021, V.M.A., aff. C-490/20 (reconnaissance du statut parental).
[72] CJUE, 12 janvier 2023, J. K., aff. C-356/21.
[73] Cette hiérarchisation des protections offertes par le droit de l’Union à ces groupes sociaux s’observe principalement en matière de non-discrimination. Dans le domaine de l’asile, la Cour de justice retient et protège une conception globale (subjective et objective) tant de l’identité sexuelle que de l’identité religieuse des personnes visées par une persécution dans leur pays d’origine. Voir, par ex. : CJUE, Gr. Ch., 5 septembre 2012, Y et Z, aff. jointes C-71/11 et C-99/11 (religion) et CJUE, 7 novembre 2013, X, Y et Z, aff. jointes C-199/12 à C-201/12 (orientation sexuelle).
[74] E. DUBOUT, « L’Europe est-elle queer ? Homosexualité et valeurs de l’Union européenne/Is Europe Queer ? Homosexuality and EU’s Values », op. cit..
[75] Ibid..
[76] Par contraste avec l’arrêt CJUE, Gr. Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handel, op. cit. dans lequel la Cour de justice a expressément reconnu que la « prévention des conflits sociaux » pouvait correspondre à un « besoin véritable » de l’employeur susceptible de justifier objectivement sa politique de neutralité.
[77] Ces motifs sont repris dans Concl. de l’avocat général Anthony M. Collins, présentées le 4 mai 2023, dans l’affaire CJUE, Gr. ch., 28 novembre 2023, Commune d’Ans, op. cit., note de bas de page 47.
[78] Notons toutefois, comme l’a souligné l’avocat général Collins, que ces motifs n’ont nullement été étayés par la commune d’Ans et ne reposent a priori sur aucune preuve tangible (point 67 de ses conclusions).
[79] E. DUBOUT, « L’Europe est-elle queer ? Homosexualité et valeurs de l’Union européenne/Is Europe Queer ? Homosexuality and EU’s Values », op. cit.. L’auteur soutient à l’appui de travaux sociologique et de philosophie politique que « les revendications des minorités sexuelles seraient socialement moins perturbatrices que celles d’autres minorités, notamment religieuses ou ethniques ». Cette hypothèse est d’une certaine façon corroborée par les affaires relatives aux droits des personnes homosexuelles portées devant la Cour de justice, où il n’a jamais été fait mention d’une menace pour l’ordre social ou d’un quelconque risque de tensions sociales dans l’État membre concerné.
[80] La question est d’autant plus légitime que la Cour semblait attacher une importance à ces principes dans une jurisprudence récente qu’elle n’a pas souhaité renforcer ni préciser (CJUE, 13 octobre 2022, S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), op. cit., point 41).
[81] Sur l’influence indéniable de l’héritage chrétien en Europe, voir R. McCREA, Religion et ordre juridique de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 31 et suiv..
[82] J. H. H. WEILER, « Je suis Achbita ! », RTD eur., 2019, pp. 85-104. Dans cet article, l’auteur explique en effet que l’« insensibilité absolue de la Cour » dans cette première affaire sur la non-discrimination religieuse au travail est largement influencée par l’héritage de la révolution chrétienne et la tradition laïque de la Révolution française. Le Professeur Weiler avance, par ses « observations sociologiques et théologiques », que la religion chrétienne s’est progressivement débarrassée de la multitude des pratiques rituelles qui caractérisent, aujourd’hui encore, les Nomos juif et islamique. La foi chrétienne s’est intériorisée et apparaît ainsi plus aisément conciliable avec les contraintes que pose l’application du principe de neutralité dans la sphère professionnelle. Cette évolution de la religion chrétienne, bien ancrée dans les sociétés européennes, explique aussi, d’une certaine façon, la difficulté que rencontre la Cour pour distinguer ce qui relève de la simple manifestation de la foi de ce qui relève d’une pratique indissociable de la foi religieuse. Ainsi, la mise en œuvre du principe de neutralité dans les entreprises et l’administration, aussi bien que son appréhension juridictionnelle, seraient teintées d’une idéologie chrétienne et d’un certain rapport à la foi.