Les politiques européennes en matière économique et monétaire et la Charte : une indifférence structurelle
Raphaël Bonneau est docteur en droit public à l’Université de Montpellier – IDEDH
L’imperméabilité structurelle des politiques économiques et monétaires européennes aux droits fondamentaux a empêché la Charte d’apporter une plus-value à leur protection. C’est d’abord la nature et la répartition des compétences en la matière qui s’opposent à la soumission des mesures car les conditions restrictives d’accès aux voies de droit européennes bloquent en grande partie la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne. Puis, une fois passé le filtre de la recevabilité, le contrôle restreint exercé par les juges de l’Union limite l’effectivité des droits garantis par la Charte. Cela étant, si ces obstacles juridictionnels obèrent largement la protection des droits fondamentaux dans les domaines économiques et monétaires, ils ne peuvent expliquer à eux-seuls l’absence d’impact de la Charte. Selon nous, la principale justification de de désintérêt réside dans l’absence de justiciabilité des droits économiques et sociaux garantis par la Charte.
Analyser l’impact de la Charte des droits fondamentaux sur le système de protection des droits fondamentaux dans le cadre des politiques européennes en matière économique et monétaire peut paraître selon le domaine soit ambitieux et redondant, soit étonnant.
Ambitieux en ce sens que l’Union étant une organisation d’intégration économique, l’essentiel des mesures prises pour satisfaire les buts qui lui sont assignés relèvent du domaine économique. Et redondant car le sujet des interactions entre les droits fondamentaux et les libertés économiques instaurées par les traités européens a fait l’objet d’une abondante littérature 1. De même, la question de l’apport de la Charte à la protection européenne des droits humains a déjà été largement étudiée 2. C’est pourquoi nous concentrerons nos développements sur les politiques économiques au sens de l’article 5 TFUE 3qui ont été progressivement européanisées dans le cadre de l’Union économique et monétaire (UEM).
Le caractère étonnant du sujet qui nous a été confié réside dans le questionnement de l’apport de la Charte en matière monétaire. En effet, le sujet de l’impact des politiques monétaires sur les droits fondamentaux est peut étudié en droit interne comme international en raison d’une part, de l’appréhension de la monnaie comme un bien neutre 4 – ce qui ne permet pas d’apprécier la qualité de variable économique de la masse monétaire 5 – et d’autre part, de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique des banques centrales – ce qui a conduit à exclure la politique monétaire des considérations démocratique et libérales 6.
L’émergence de cette question dans le débat public et juridique peut être rattachée aux crises financières de 2008 et 2010. Certes, l’attribution d’une compétence exclusive à l’Union européenne en matière monétaire avait reposé le débat du caractère a-démocratique du processus décisionnel dans ce domaine 7. Mais ce sont les politiques conduites pour répondre à la crise économique qui ont remis sur le devant de la scène la question de leur impact sur les droit fondamentaux des citoyens européens 8. En effet, les mesures imposées par la troïka en échange d’un soutien financier aux Etats membres en difficulté ont fait l’objet de nombreuses critiques, tant politiques que juridiques 9. Les caractères non démocratique de leur adoption et régressif en termes de droits fondamentaux de leur contenu ont permis de reposer la question de l’impact des politiques économiques et monétaires sur ces prérogatives individuelles 10. Et l’entrée en vigueur de la Charte en pleine crise économique permet d’apprécier l’impact de ce nouvel instrument sur la protection des droits fondamentaux dans les domaines économique et monétaire.
À la lecture des actes adoptés et des arrêts rendus pas la Cour de justice de l’Union européenne ces dix dernières années, il apparaît que les politiques européennes en matière économique et monétaire demeurent globalement indifférentes à l’exigence de protection des droits de l’homme. L’entrée en vigueur de la Charte n’a rien pu changer à cet état du droit car cette indifférence est structurelle. Elle découle d’une part des restrictions d’accès aux recours qui s’opposent à l’applicabilité de la Charte dans ces domaines (I) et d’autre part, du contrôle restreint exercé par le juge de l’Union dans ces matières (II).
I. L’accès limité aux voies de droit européennes, obstacle à l’applicabilité de la Charte
La première limite à l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux réside dans les conditions restrictives d’accès aux voies de droit communautaire. Ce constat n’est pas propre au domaine économique et monétaire, mais il prend dans ces matières une ampleur particulière. En effet, la répartition des compétences entre l’Union européenne et ses Etats membres ainsi que la nature des actes adoptés dans ces domaines s’opposent par principe à la contestation des politiques européennes devant la Cour de justice de l’Union. La recevabilité des recours en annulation, en indemnité et en carence, comme le succès d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, reposent sur 2 critères cumulatifs : l’imputation à l’Union de l’action ou omission incriminée et la démonstration du caractère direct et individuel, ou anormal et spécial, de l’atteinte aux droits garantis par la Charte. Or, dans les domaines économique et monétaire, la réunion de ces conditions est problématique. D’une part, l’enchevêtrement des compétences de l’Union européenne et de ses Etats membres en matière économique s’oppose à l’imputation à l’Union des mesures adoptées aux niveau européen (A). D’autre part, la généralité des politiques économiques et monétaires européennes fait obstacle à la démonstration du caractère direct et individuel, ou anormal et spécial, de l’affectation de la situation juridique des requérants (B).
A) La difficile imputation à l’Union des mesures économiques
En matière monétaire, aucun problème d’imputation ne semble se poser. L’Union dispose d’une compétence exclusive pour les Etats dont la monnaie est l‘euro 11. Conformément à l’article 51 de la Charte, l’activité normative de la BCE relève donc de son champ d’application 12. Cette soumission à l’exigence de protection des droits fondamentaux est parfaitement illustrée par le contentieux en matière prudentielle. Se fondant sur « une jurisprudence constante », la Cour de justice de l’Union considère que « le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être assuré même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause » 13. Toutefois, le recours des requérants et de des juges européens aux principes généraux du droit dans l’écrasante majorité des affaires étudiées semble indiquer que l’entrée en vigueur de la Charte n’a pas entraîné de changement substantiel 14. Car, si ni les uns, ni les autres ne l’invoquent, c’est qu’elle n’a pas accru la protection que la Cour de justice accordait jusqu’alors aux droits invoqués dans le cadre du contentieux relatif au droit de la concurrence.
Cela étant, les problèmes d’imputation à l’Union concernent davantage la matière économique que monétaire. L’enchevêtrement des compétences de l’Union et de ses Etats membres dans ce domaine rend particulièrement complexe l’identification de l’auteur des atteintes aux droits fondamentaux. Car, si la création de l’UEM a entraîné l’attribution à l’Union d’une compétence exclusive en matière monétaire pour les Etats dont la monnaie est l’euro, elle n’a pas conduit à une “communautarisation“ de leur compétence économique. Dans ce domaine, les Etats ont privilégié la méthode de la coopération, se servant de l’Union comme d’un cadre institutionnel de coordination de leurs politiques nationales 15. À l’instar de la PESC, ils ont conservé d’une part, la maîtrise du pouvoir décisionnel et, d’autre part, une large marge nationale d’appréciation en privilégiant des instruments juridiques non contraignants ou très généraux 16. De ce fait, les politiques européennes en matière économique ont été globalement exclues du champ d’application de la Charte.
L’applicabilité de la Charte a d’abord été empêchée par la conservation par les Etats de leur compétence souveraine en matière de détermination des choix économiques. L’Union n’a été investie que d’un pouvoir limité à l’édiction d’actes non contraignants et/ou dont la généralité laisse aux Etats membres une marge d’appréciation suffisante pour que les mesures leur soient imputables. C’est en tout cas la conclusion à laquelle est parvenue le tribunal dans les arrêts ADEDY. Dans cette espèce, en dépit de l’exécution par la Grèce d’une décision du Conseil prise au titre de la procédure européenne de déficit excessif, les juges de l’Union ont estimé que les violations alléguées n’étaient imputables qu’à la Grèce en raison de l’importante marge d’appréciation dont disposaient les autorités nationales 17. Le tribunal ne s’est pas prononcé explicitement sur l’applicabilité de la Charte aux mesures nationales de mise en œuvre des procédures de déficit budgétaire, rejetant le recours sur un autre fondement. Mais il est possible d’interpréter l’arrêt Association syndicale des juges portugais 18 comme une réponse négative à cette question.
Dans cette affaire, la loi incriminée avait été adoptée pour satisfaire les obligations imposées en échange d’une assistance financières extérieure à l’Union européenne. Ces exigences avaient ensuite été intégrées dans la procédure européenne de réduction du déficit excessif intentée contre le Portugal. Cependant, malgré l’insertion de ces conditions dans un cadre européen, la Cour de justice a estimé que la loi nationale ne pouvait être assimilée à une mesure nationale de mise en œuvre du droit de l’Union. Si elle a jugé la Charte applicable en l’espèce, c’est seulement en raison de l’impact potentiel de cet acte national sur l’exercice par les juges nationaux de leur office de juges de droit commun du droit de l’Union 19. Ce faisant, la Cour a laissé pendante la question de l’applicabilité de la Charte aux mesures nationales de mise en œuvre des programmes de réduction des déficits excessifs et/ou d’assistance financière imposées au titre du MES. Cela étant, l’applicabilité de la Charte est davantage empêchée par la coordination dans le cadre du MES de la politique économique et budgétaire des Etats membres que par la marge d’appréciation discrétionnaire qu’ils se réservent dans la mise en œuvre des décisions prises dans ce cadre.
L’impossibilité de parvenir à un accord unanime afin de modifier les traités constitutifs de l’Union pour instituer un mécanisme de soutien financier aux Etats en difficulté, lors de la crise des dettes souveraines, a conduit les Etats membres à recourir à une institution intergouvernementale extérieure à l’Union européenne : le mécanisme européen de stabilité (MES) 20. Ce faisant, la Cour de justice a jugé que les actes adoptés dans ce cadre n’engageaient que le MES ou ses Etats membres qui en sont les créateurs 21. La circonstance que les compétences du MES s’enchevêtrent avec celles de l’Union européenne ou que la Commission et la BCE participent à la négociation et à la signature des protocoles d’accord ne modifie pas la position de la Cour de justice. La Cour a dans l’arrêt Pringle écarté tout empiétement des Etats sur les compétences de l’Union par l’institution du MES, excluant les actes MES du champ d’application de la Charte 22. Par ailleurs, si elle admet aujourd’hui que la participation des institutions européennes au MES est susceptible d’engager la responsabilité de l’Union 23, elle écarte tout recours en annulation contre les actes adoptés par celles-ci 24.
Dans un premier temps, les juges de l’Union ont écarté l’ensemble des recours en annulation, en carence et en indemnité intentés contre les obligations imposées au titre du MES au motif que les actions et omissions de la Commission et de la BCE dans le cadre de cet instrument « ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre » 25. Selon la Cour, les institutions de l’Union agissent au nom et pour le compte du MES. Elles ne font qu’exécuter ses décisions. Par conséquent, l’Union ne peut se voir imputer les actions et omissions de ses institutions dans le cadre de ce traité extérieur à l’Union. Cependant, la Cour de justice a évolué dans l’arrêt Ledra en considérant que si l’absence de pouvoir décisionnel de la Commission et de la BCE s’opposait à l’annulation des actes adoptées par elles dans le cadre du MES, elle ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité de l’Union 26.
Cette ouverture des juges de l’Union ne peut suffire à garantir une protection effective des droits garantis par la Charte. D’une part, comme nous le verrons plus loin, le contrôle exercé par la Cour de justice de l’Union au titre du recours en indemnité est restreint. D’autre part, il intervient trop tard, une fois que la violation est consommée. Or, en l’état actuel de la jurisprudence, l’accès au recours en annulation est empêché par le refus de la Cour de justice d’enjoindre la Commission et la BCE de s’abstenir d’agir, dans le cadre du MES, en contradiction avec les obligations qui pèsent sur elles au titre du droit de l’Union.
En outre, elle estime que l’Eurogroupe qui participe à la négociation et la validation des plans d’économie, ne peut être considéré comme un organe de l’Union. Elle qualifie cette instance de « réunion informelle des ministres de la zone euro » 27. Comme le Conseil européen avant sa consécration dans le traité de Lisbonne, elle exclut toute imputabilité à l’Union des allégations de violation de la Charte résultant des actions et omissions de cette « institution » 28.
En définitive, la conservation par les Etats de la maîtrise individuelle et/ou collective de l’exercice de leur compétence en matière économique constitue le premier obstacle à l’applicabilité de la Charte. Elle limite les possibilités de contestation devant la Cour de justice des politiques coordonnées au niveau européen dans la mesure où celles-ci ne peuvent pas être imputées à l’Union et entraîner de ce fait application de la Charte. De surcroît, en recourant au MES pour adopter des mesures contraignantes dans le domaine économique, les Etats les ont fait échapper au champ d’application et la Charte et au contrôle de la Cour. Seuls les protocoles d’accord conclus directement avec l’Union européenne sont susceptibles d’être contrôlés à l’aune de cet instrument de protection des droits humains. Cependant, lorsque tel a été le cas, la Cour a trouvé dans le caractère général et indirect des atteintes aux droits fondamentaux un motif suffisant pour écarter les recours intentés par les victimes des politiques économiques européennes.
B) Le caractère indirect et général des atteintes aux droits fondamentaux causées par les politiques économiques et monétaires
En principe, la nature des politiques européennes en matière économique et monétaire s’oppose à leur contestation devant la Cour de justice. L’ensemble des recours européens requiert, au stade de la recevabilité ou du fond, la preuve du caractère direct et individuel, ou anormal et spécial, de l’atteinte aux droits garantis par la Charte. Or, les politiques économiques et monétaires sont générales ou globales. Hormis les décisions et actes pris par la Commission et la BCE en matière concurrentielle et prudentielle qui concernent directement une personne ou un groupe réduit de personnes, la majorité des mesures adoptées par l’Union dans les domaines économique et monétaire affectent l’ensemble des acteurs économiques et financiers. De plus, leurs conséquences sur les droits fondamentaux sont généralement indirectes 29. Soit, comme nous l‘avons vu précédemment, les politiques européennes requièrent des mesures nationales de mise en œuvre. Soit les violations des droits résultent des conséquences économiques des mesures européennes 30. Dans les deux hypothèses, les politiques européennes échappent au contrôle, par la Cour de justice, de leur conformité aux droits garantis par la Charte.
En matière prudentielle, l’aptitude des personnes morales à invoquer la Charte pour contester la légalité des actes de la BCE est indiscutable. Directement affectées par les sanctions prudentielles, elles doivent pouvoir bénéficier notamment du droit à la protection juridictionnelle qui se manifeste dans le cadre d’une décision de retrait d’agrément « par le droit dont dispose cette personne, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, d’introduire devant le juge de l’Union un recours en annulation contre ladite décision » 31. En revanche, la situation contentieuse est toute autre pour les actionnaires des personnes morales impactés par ces mesures. Dans l’arrêt Trasta Kommercbanka, la Cour de justice a jugé leur recours en annulation irrecevable au motif qu’ils ne sont pas directement affectés par les décisions de la BCE. En effet, la violation alléguée des droits des actionnaires découlait de la liquidation de la banque en droit interne 32. La Cour a donc écarté leurs requêtes en raison de l’absence de lien direct entre la mesure européenne et l’affectation de leurs droits. Si la liquidation de la banque est la conséquence immédiate en droit interne du retrait par la BCE de son agrément, l’interposition de « règles intermédiaires » entre la décision de la BCE et la violation des droits des requérants rompt le lien requis par la juridiction européenne au titre du recours en annulation 33.
Hormis les exemples fournis par le contentieux en matière prudentielle, l’activité de la BCE ne semble pas affecter les droits fondamentaux garantis par la Charte, ou seulement indirectement. C’est en tout cas la position de la Cour de justice qui, dans l’affaire Weiss, a nié l’impact de sa nouvelle politique non conventionnelle de quantitative easing sur les droits fondamentaux des citoyens européens 34. En refusant d’admettre un empiétement de l’Union sur la compétence économique des Etats membres 35, elle a écarté les allégations d’atteinte au droit de vote des citoyens allemands. En ne se prononçant pas sur les allégations de violation des droits des épargnants 36, tout en reconnaissant l’impact de la politique monétaire sur l’épargne 37, elle a réfuté toute éventualité d’une atteinte aux droits fondamentaux du fait des conséquences économiques de sa politique monétaire. Ce faisant, elle exclut la politique monétaire de tout contrôle du respect des exigences posées par la Charte dans la mesure où les effets des politiques monétaires sur les droits fondamentaux ne se produisent qu’au travers des conséquences économiques qu’elles induisent 38.
En matière économique, les recours contre les politiques européennes sont également empêchés par le caractère majoritairement indirect des atteintes causées aux droits fondamentaux, mais aussi par leur généralité. La première hypothèse a été illustrée par les arrêts ADEDY précédemment cités. Dans ces affaires, le tribunal a jugé que les dispositions européennes visées par les recours en annulation ne concernaient pas directement les requérants dans la mesure où elles nécessitaient « l’adoption d’une loi nationale pour être mise en œuvre » 39. Rédigées dans des termes vagues et généraux, la majorité des obligations imposées au titre des programmes de redressement budgétaire ou d’assistance financière requiert l’adoption de mesures nationales pour « spécifier […] leur contenu ». Et les Etats bénéficient en la matière d’une « importante marge d’appréciation ». Par conséquent, ce sont ces mesures nationales « qui, éventuellement, affecteront directement la situation juridique des requérants » 40. En attribuant ainsi les violations aux Etats membres, la Cour de justice préserve l’Union de toute responsabilité dans les atteintes aux droits fondamentaux au motif que le lien entre l’acte de l’Union et la violation alléguée est rompu par l’interposition de mesures internes.
Au demeurant, lorsque les dispositions européennes sont suffisamment précises et que les mesures nationales constituent la stricte mise en œuvre du droit de l’Union, la Cour trouve dans le caractère général des restrictions imposées un moyen d’exonérer l’Union de sa responsabilité dans les violations des droits garantis par la Charte causés par les programmes européens de réduction du déficit budgétaire. C’est sur ce fondement qu’elle a conclu à la non-violation des articles 19§1 TUE et 47 de la Charte dans l’arrêt Association syndicale des juges portugais. Constatant, que la baisse du traitement dont se plaignent les juges portugais n’a pas été « spécifiquement adoptée[…] à l’égard des membres du Tribunal de Contas (Cour des Comptes) », qu’« au contraire » elle s’inscrit dans le cadre de « mesures générales visant à faire contribuer un ensemble de membres de la fonction publique nationale à l’effort d’austérité dicté par les impératifs de réduction du déficit excessif du budget de l’État portugais », la Cour juge que la mesure incriminée ne saurait « être considérée comme portant atteinte à l[eur] indépendance » 41.
Il est possible d’interpréter cette solution comme la manifestation de l’exercice par la Cour de justice d’un contrôle restreint de proportionnalité en matière économique. Toutefois, nous estimons que la référence au caractère général et non spécifique des mesures incriminées plaide davantage en faveur du rejet par les juges de l’Union de cette requête au motif qu’elle est infondée. Le caractère individuel de l’affectation de la situation juridique des requérants ne participe pas des critères de recevabilité des renvois préjudiciels, mais il constitue dans cette affaire la condition de l’existence même d’une violation. Car l’atteinte à l’indépendance des juges suppose que l’imposition d’une réduction de salaire ne touche que cette catégorie d’agent public. Or, tel n’est pas le cas en l‘espèce. La Cour n’exerce donc aucun contrôle de proportionnalité. Elle rejette simplement les allégations de violation de la Charte au motif qu’elles ne sont pas avérées.
Le caractère indirect des atteintes portées par les actes de l’Union européenne aux droits fondamentaux constitue donc le second obstacle à l’invocation de la Charte en matière économique. En effet, généralement, les Etats disposent d’une large marge d’appréciation dans la définition des modalités de mise en œuvre des programmes d’ajustement européens 42. Dès lors, les mesures nationales échappent au champ d’application de la Charte dans la mesure où le lien de causalité entre la décision européenne et les atteintes aux droits fondamentaux est insuffisant pour imputer ces dernières à l’Union 43. Nous n’avons répertorié qu’un arrêt dans lequel la Cour a exercé un contrôle complet de la conformité d’une mesure nationale de mise en œuvre du droit de l’Union en matière économique aux droits garantis par la Charte. Il s’agit de l’arrêt Eugenia Florescu 44. Dans cette espèce, la Cour a été saisie d’une loi adoptée conformément aux obligations imposées au titre d’un protocole d’accord négocié directement avec l’Union européenne. Or, cette affaire reste exceptionnelle car la majorité des protocoles d’assistance financière ont été ensuite adoptés dans le cadre du MES et ont donc échappé au contrôle de la juridiction de l’Union.
En définitive, l’applicabilité de la Charte aux politiques européennes en matière économique et monétaire est principalement limitée par les restrictions d’accès aux voies de droit européennes. La nature de ces compétences et les modalités de leur exercice au sein de l’Union sont incompatibles avec les conditions requises pour intenter un recours en annulation ou obtenir gain de cause lors d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. Elles échappent ainsi largement au contrôle de la Cour. Seul le recours en indemnité permet, depuis l’arrêt Ledra, aux justiciables de contester la conformité aux droits garantis par la Charte des actions et omissions des institutions européennes. Cela étant, les contraintes qui pèsent sur l’office du juge communautaire des droits fondamentaux en matière économique et monétaire obèrent l’impact de la Charte sur la protection des droits fondamentaux.
II. Le contrôle restreint de la Cour de justice, obstacle à l’application de la Charte
L’accès à la justice européenne ne suffit pas à garantir la protection des droits fondamentaux. Encore faut-il que la Cour exerce un contrôle complet de la proportionnalité de l’ingérence européenne dans ceux-ci. Or, tel n’est pas le cas dans les domaines économique et monétaire. Et l’entrée en vigueur de la Charte n’y a rien changé. Dans ces matières, la Cour reconnaît aux institutions décisionnelles un large pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, elle n’examine que superficiellement la conformité des mesures européennes aux droits garantis par la Charte, a fortiori en période de crise économique et financière. Mais le contrôle de la Cour n’est pas réduit que dans son intensité (A). Il l’est également dans son étendue en raison du refus des Etats membres de doter les droits économiques et sociaux contenus dans la Charte d’une véritable portée normative (B).
A) Un contrôle restreint dans son intensité
En matière économique la position de la Cour de justice est constante. Depuis l’arrêt Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe 45 elle n’exerce qu’un contrôle restreint de la légalité des mesures européennes. Elle estime que la nature politique des choix effectués dans ce domaine implique d’accorder aux institutions décisionnelles européennes un « large pouvoir d’appréciation » 46. Car c’est à elles que revient la charge de déterminer les mesures susceptibles de remplir les objectifs assignés aux Communautés puis à l’Union européennes. La Cour se contente de vérifier que les institutions européennes n’ont pas méconnu « de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de [leurs] pouvoirs » 47. De même la responsabilité de l’Union ne peut être engagée « qu’en présence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle supérieure de droit protégeant les particuliers » 48. Ce faisant, la Cour a réduit la portée des droits fondamentaux dans le contrôle de légalité des politiques économiques européennes.
Lorsque l’Union européenne a été investie d’une compétence exclusive en matière monétaire, la Cour de justice a accordé le même traitement aux politiques européennes conduites dans ce domaine. Constatant le caractère politique des choix monétaires et la nécessaire indépendance des autorités chargées de les opérer, elle a accordé à la BCE un large pouvoir d’appréciation 49. Elle estime que la détermination des politiques monétaires, les évaluations menées et les missions exercées par la BCE impliquent des choix politiques et économiques qui ne relèvent pas de sa compétence. Ainsi qu’il s’agisse d’intervention sur les marchés de capitaux 50, de communication des documents fondant ses décisions 51 ou de contrôle prudentiel 52, la Cour de justice de l’Union laisse à la BCE une ample liberté dans la réalisation de ses missions statutaires. La formule est explicite lorsqu’elle indique que l’activité de la BCE « ne doit pas être entravé(e) par la perspective d’actions en dommages‑intérêts chaque fois que l’intérêt général de l’Union commande de prendre des mesures normatives susceptibles de porter atteinte aux intérêts des particuliers » 53. Ce faisant, elle fait prévaloir a priori les buts légitimes poursuivis par l’Union sur les droits fondamentaux.
L’entrée en vigueur de la Charte n’a eu aucun impact sur l’étendue de la marge d’appréciation de la BCE et, par voie de conséquence, sur l’intensité du contrôle exercé par la Cour de justice de l’Union en matière de droits fondamentaux. D’une part, en calquant son contrôle sur celui exercé en matière économique, la Cour a réduit la portée de cet instrument dans l’examen de proportionnalité 54. D’autre part, le tribunal a précisé dans l’arrêt Accorinti que la position des juges de l’Union en matière monétaire n’a pas évolué depuis l’arrêt FIAMM (précité), exprimant clairement que la protection des droits fondamentaux en matière monétaire n’a pas évolué depuis cet arrêt de principe 55.
Il est possible d’affirmer à la lecture des arrêts étudiés qu’il en est de même en matière économique. Si la Cour de justice exerce un contrôle complet de la légalité des mesures européennes dans le cadre du recours en indemnité depuis l’arrêt Ledra 56, force est de reconnaître que son évaluation de la proportionnalité demeure superficielle. Cette tendance à faire prévaloir l’objectif poursuivi par les Etats sur toute autre considération est manifeste au stade de l’examen de la nécessité et plus précisément de la substituabilité de la mesure incriminée 57. Les juges européens évacuent systématiquement les alternatives proposées par les requérants sur la seule base des affirmations des institutions décisionnelles. Ils se réfugient derrière la complexité, l’évolutivité et la technicité des choix à opérer pour renoncer à contrôler la stricte adéquation de la mesure adoptée à l’objectif poursuivi Trib UE, Chrysostomides, précité, pt. 291 ; 13 juil. 2018, Eleni Pavlikka Boudourvali, Aff. T-786/14, pts. 299-315[/foot].
En définitive, l’ample marge d’appréciation accordée aux institutions européennes en matière économique et monétaire limite l’apport de la Charte à la protection des droits fondamentaux dans ces domaines 58, que les recours portent sur les mesures européennes ou les mesures nationales de mise en œuvre. Aussi, dans l’arrêt Eugenia Florescu (précité), la Cour n’a exercé qu’un contrôle restreint de la légalité d’une mesure nationale de mise en en œuvre d’un protocole d’accord conclu avec l’Union européenne. Elle a estimé que lorsque les Etats mettent en œuvre le droit de l’Union, et qu’ils bénéficient d’un certain pouvoir discrétionnaire à cet égard 59, la circonstance qu’ils agissent dans le domaine économique leur octroie une marge d’appréciation supplémentaire 60. Ce faisant, elle a doublement réduit la portée de la Charte dans le contrôle de proportionnalité. Alors, la survenue d’une crise aussi exceptionnelle tel que la crise des dettes souveraines n’a pas aidé à revaloriser le poids des droits fondamentaux dans la mise en balance par les juges de l’Union des intérêts publics et privés en conflit 61.
Le contrôle de proportionnalité consiste en une mise en balance de l’objectif poursuivi par la mesure incriminée et du droit fondamental dont la violation est alléguée. Il repose sur la vérification de la légitimité du but poursuivi, un examen de substituabilité de la mesure et une évaluation du degré d’ingérence dans les prérogatives individuelles. Or, dans les arrêts étudiés, la Cour évacue ces différentes étapes au motif que le but poursuivi par les politiques européennes en matière économique et monétaire justifie les restrictions apportées aux droits garantis par la Charte. Certes, les objectifs d’éviter une défaillance systémique du système bancaire chypriote 62, de « remédier au dysfonctionnement des marchés de titres et rétablir un mécanisme approprié de transmission de la politique monétaire » 63 ou de faire face à la crise inédite de la dette grecque et de garantir la stabilité de la zone euro 64 constituent des buts légitimes. Pour autant, ces différents objectifs ne suffisent pas à justifier par principe une violation des droits garantis par la Charte. Si la Cour de justice ne peut exercer qu’un contrôle restreint en matière économique, et a fortiori dans le cadre d’un recours en indemnité, elle doit néanmoins vérifier que cet objectif ne peut être atteint par d’autres moyens et que l’atteinte n’est pas démesurée 65.
Or, force est de constater que dans l’arrêt Ledra, la Cour de justice élude tout simplement la question de la substituabilité de la mesure incriminée. Elle ne se prononce que sur la proportionnalité, au sens strict, de l’ingérence de la Commission dans les droits des requérants. En outre, elle fait primer l’objectif d’intérêt général poursuivi par l’Union sur le droit de propriété sans procéder à une véritable mise en balance des intérêts en présence. La Cour ne fait que reprendre l’argumentation de la Commission 66 pour conclure au caractère justifié des restrictions du droit de propriété des requérants 67.
Le tribunal fait preuve de tout autant de déférence à l’égard des arguments des institutions décisionnelles, mais il est plus respectueux des étapes du contrôle de légalité. Dans les arrêts Chrysostomides et Boudourvali, le tribunal a examiné la substituabilité des mesures proposées par les requérants. S’il a majoritairement écarté l’ensemble des alternatives sur la base des seuls arguments présentés par les autorités décisionnelles et conclu à la non-violation du droit de propriété, il a néanmoins exercé en apparence un contrôle complet de légalité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de justice a rejeté les pourvois principaux des requérants dans ces affaires, jugeant que le tribunal avait suffisamment motivé son arrêt de rejet 68.
Il est possible de s’interroger sur l’impact réel de la circonstance exceptionnelle que constitue la crise financière sur l’intensité du contrôle exercé par la juridiction de l’Union car les arrêts étudiés s’inscrivent dans le prolongement de l’arrêt FIAMM. En effet, dans cet arrêt comme dans ceux étudiés dans le cadre de cette étude, l’examen de la Cour est doublement limité par le cadre contentieux du recours en indemnité et le domaine dans lequel il intervient. De surcroît, la mention expresse de cet arrêt de référence en matière monétaire est la preuve de l’inscription de la Cour dans cette ligne jurisprudentielle. Cela étant, l’importance accordée à l’objectif particulier de résorption de la crise économique et financière ne peut être minimisé. Car en définitive, lorsque les juges de l’Union exercent un contrôle complet de proportionnalité comme dans les arrêts Ledra de la Cour et Chrysostomides et Boudourvali du tribunal, la poursuite de ce but par les mesures incriminées suffit à faire pencher la balance en défaveur des droits garantis par la Charte 69.
L’entrée en vigueur de la Charte n’a pas pu apporter de plus-value substantielle en termes de protection des droits fondamentaux dans le cadre des politiques économiques et monétaires de l’Union européenne. Les conditions restrictives d’accès à la justice européenne, le contrôle superficiel des juges européens et les circonstances exceptionnelles ont inhibé son applicabilité comme son application. Cela étant, ces considérations ne peuvent justifier à elles seules l’absence d’apport de la Charte dans ces domaines. Selon nous, il convient plutôt de rechercher dans les restrictions apportées à l’étendue du contrôle de la Cour du fait de l’injusticiabilité des droits économiques et sociaux de la Charte les raisons de l’inutilité de ce catalogue en termes de protection des droits fondamentaux en matière économique et monétaire.
B) Un contrôle restreint dans son étendue
Les carences de l’Union européenne en termes de protection des droits économiques et sociaux ne peuvent être passées sous silence dans une étude consacrée aux politiques européennes en matière économique et monétaire. Selon nous, elles expliquent en grande partie l’absence d’apport de la Charte à la protection des droits de l’homme dans ces domaines.
Les droits dits de deuxième génération sont les premiers affectés par les politiques économiques et monétaires. Or, les Etats ont refusé d’accorder une portée normative concrète à ces prérogatives lors de leur inscription dans la Charte. Les droits économiques et sociaux n’ont pas bénéfice de la justiciabilité reconnue aux droits civils et politiques. Regroupés au sein des titres “Egalité“ et “Solidarité“, ils ont été érigés au rang de principes devant guider l’action des institutions. La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi été privée de la compétence d’en apprécier le respect dans le cadre du contrôle de légalité et les justiciables empêchés de les invoquer. Au demeurant, elle n’a pas fait preuve de davantage de détermination que les gouvernements des Etats membres dans la reconnaissance de leur opposabilité. Les citoyens européens se retrouvent donc privés de la possibilité de faire valoir leurs droits économiques et sociaux devant la juridiction de l’Union, ce qui ne peut que les dissuader de tenter l’expérience. Et il nous semble que ce renoncement des justiciables à invoquer les droits sociaux garantis dans la Charte devant la Cour de justice de l’Union européenne peut être interprété comme une preuve que ce catalogue propre à l’Union n’a généré aucune plus-value en termes de protection des droits fondamentaux dans les domaines économique et monétaire.
Les crises économiques et financières de 2008 et 2010 ont montré à quel point les politiques économiques et monétaires affectent les droits économiques et sociaux. Ce sont d’ailleurs les principaux droits affectés par les mesures prises en la matière. Les citoyens européens en ont fait l’amère expérience ces douze dernières années 70. En outre, les rapports des Hauts commissaires aux droits de l’homme des Nations-Unies 71 et du Conseil de l’Europe 72 le démontrent de manière implacable 73. L’écrasante majorité des mesures prises par les Etats membres de l’Union en échange d’un soutien financier européen a entraîné une régression des droits économiques, sociaux et culturels des citoyens européens 74. Les droits civils et politiques ont été également touchés. Mais en règle générale, ils ne le sont qu’indirectement, par ricochet. Ce sont les violations des droits économiques et sociaux qui génèrent des violations des droits civils et politiques 75. Par conséquent, la Charte n’est d’aucune utilité pour les victimes des plans d’austérité. D’une part, leur contestation au motif de leur contrariété aux droits civils et politiques garantis par la Charte est empêchée par les caractère indirect des atteintes 76. D’autre part, la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne sur le terrain des droits dits de deuxième génération butte sur leur inopposabilité.
L’injusticiabilité des droits économiques et sociaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne est d’abord le fait des gouvernements des Etats membres. S’ils ont admis la compétence de la Cour de justice en matière de protection des droits civils et politiques, ils ont clairement manifesté, à chaque révision des traités, leur refus d’étendre l’office du juge de l’Union aux droits de deuxième génération. La Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs en est la première expression. Adoptée comme simple décision du Conseil européen, les gouvernements des Etats membres ont privé cet instrument d’effet contraignant. Elle a certes poussé l’adoption de normes européennes de protection des droits sociaux des travailleurs européens 77. Cependant, elle n’a produit aucun effet sur la protection des droits économiques et sociaux par la Cour de justice de l’Union, si ce n’est dissuasif. Car en refusant de ratifier cette Charte, les Etats membres ont indiqué à la juridiction européenne qu’ils ne voulaient pas voir l’office naissant du juge communautaire des droits fondamentaux s’étendre aux prérogatives qu’elle contient. Puis, en reléguant les droits économiques et sociaux au rang de principes dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union, les Etats ont entériné cette réduction du champ du contrôle du juge. Et l’adoption du socle européen des droits sociaux est une preuve supplémentaire de l’ineffectivité concrète des garanties de la Charte en la matière.
Peu importe le qualificatif droit ou principe accordé aux droits économiques et sociaux contenus dans la Charte, leur inscription dans ce catalogue n’a pas conduit à les rendre directement invocables. Leur justiciabilité demeure subordonnée à leur consécration dans le droit dérivé. Le principe d’égalité semblait bénéficier d’une certaine opposabilité autonome depuis l’affaire Defrenne 78. Cependant, la Cour de justice a néanmoins recouru à la combinaison de ce principe et de directives en matière d’égalité de traitement pour l’étendre aux discriminations liées à l’âge dans les arrêts Mangold 79 et Kücükdeveci 80. Ce faisant, les juges européens semblent avoir rejoint la ligne jurisprudentielle classique en matière de droits économiques et sociaux selon laquelle seule leur retranscription dans une norme de droit dérivé est susceptible de les rendre opposables 81. Mais cette consécration textuelle ne garantit pas leur invocabilité. Ainsi, dans l’arrêt AMS, la Cour de justice a refusé d’accorder un effet direct horizontal au droit à l’information et à la consultation en dépit de sa consécration dans une directive 82
Par conséquent, si les Etats sont les premiers responsables du défaut de protection des droits sociaux dans l’Union, les juges européens ont également leur part de responsabilité dans cet état du droit positif. Alors qu’ils se sont émancipés des traités pour s’ériger en garants de la Communauté de droit, ils ont renoncé à étendre leur office de protection des droits fondamentaux aux droits économiques et sociaux 83. Les rares fois où la Cour de justice s’est aventurée sur ce terrain, elle s’est contentée de reconnaître le caractère fondamental du droit de mener une action collective 84. Puis, elle a laissé le soin aux Etats de procéder à leur conciliation avec les libertés économiques, tout en rappelant néanmoins la prépondérance de ces dernières 85. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union en matière de droits économiques et sociaux fondamentaux demeure donc rudimentaire car les juges de l’Union sont liés par la finalité économique de l’Union européenne 86.
En définitive, alors que « l’Union européenne dispose du corpus le plus important de normes internationales dans le domaine social » 87, la Cour de justice de l’Union refuse, sous la pression des Etats membres, d’accorder aux justiciables européens une protection de leurs droits économiques et sociaux. Les nombreuses atteintes causées par les programmes d’aide aux pays en difficultés offraient pourtant l’occasion aux juges européens de poser les jalons d’une Union providence. Mais ils ne semblent pas avoir pris la mesure de l’enjeu social du sauvetage de la zone euro. En effet, dans les arrêts ADEDY, le tribunal de l’Union a écarté les allégations d’atteintes aux conditions de travail des requérants au motif que les mesures incriminées « ne concern[ai]ent pas leur situation juridique, mais uniquement leur situation de fait » (nous soulignons) 88. En assimilant de la sorte l’affectation des conditions de travail à du fait, les juges ont exclu le droit à des conditions de travail justes et équitables de la catégorie juridique de droit fondamental. Si telle n’est sans doute pas leur volonté, cette qualification témoigne néanmoins du peu de considération qu’ils accordent aux violations des droits économiques et sociaux. Car au sujet des mesures incriminées dans ces arrêts, le Comité des droits sociaux a prononcé un constat de violation du droit à une rémunération équitable 89.
Il nous semble que cette indifférence juridictionnelle, combinée à la justiciabilité très relative des droits européens de deuxième génération suffit à dissuader les requérants de porter leurs recours devant la Cour de justice de l’Union européenne 90. Sinon, comment expliquer le fossé existant entre d’un côté, les violations massives constatées par les hauts commissaires aux droits de l’homme et, de l’autre côté, l’absence de contentieux relatif aux programmes d’assistance financière européens sur le terrain des droits économiques et sociaux devant la juridiction de l’Union ?
Selon nous, il ne peut s’expliquer que par le renoncement des victimes à exercer les recours disponibles devant la Cour de justice de l’Union européenne. Peu étudié en droit, et notamment en droit public 91, le renoncement aux droits n’en est pas moins un critère d’évaluation de l’apport de la Charte. Il permet de mesurer l’attractivité d’un instrument de protection des droits de l’homme ou d’un prétoire. Si l’instrument apporte une plus-value en termes de protection des droits fondamentaux, les requérants l’invoqueront davantage à l’appui de leur recours. A contrario, si la normativité des droits garantis par celui-ci est faible, les requérants se détourneront de cet instrument ou renonceront tout simplement à intenter un recours.
Tel semble être le cas de la Charte en matière économique et monétaire. L’impossibilité pour les justiciables européens de faire valoir leurs droits économiques et sociaux devant la juridiction de l’Union semble les avoir contraint à se tourner vers les autres organes juridictionnels européens et/ou vers les juridictions nationales pour obtenir gain de cause 92. Les nombreuses irrecevabilités prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme 93, les déclarations de violation prononcées par le Comité européen des droits sociaux 94 et les condamnations prononcées par certaines juridictions nationales en témoignent. La plupart concernent les droits de deuxième génération. Alors que de leur côté, les juges de l’Union n’ont eu à connaître que deux recours portant sur des allégations de violations des droits sociaux, dans les affaires ADEDY (précitées). Après ces arrêts du tribunal, seuls les droits civils et politiques ont été invoqués par les requérants devant les juges de l’Union.
Aussi nous estimons que les carences de l’Union européenne en termes de protection des droits de deuxième génération expliquent en grande partie l’absence d’apport de la Charte dans les domaines économique et monétaire. Car en n’offrant aucune plus-value aux droits directement affectés par les politiques conduites dans ces matières, la Charte s’est privée de toute utilité pour les victimes des plans d’austérité européens.
En conclusion, nous considérons que l’absence d’apport de la Charte au système de protection des droits fondamentaux dans les domaines économique et monétaire découle de l’imperméabilité structurelle des politiques européennes en la matière à la problématique des droits humains. D’abord, la répartition des compétences économique et monétaire, conduisant à la conservation de la première par les Etats et l’attribution de la seconde à la BCE, réduit l’apport de la Charte dans la mesure où elle est inapplicable aux premiers et difficilement applicable à la seconde en raison de sa nature spécifique. De plus, la nature générale des mesures prises dans les domaines économique et monétaire ainsi que leur impact majoritairement indirect sur les droits fondamentaux, les fait échapper au contrôle de la Cour de justice de l’Union. Les conditions restrictives des voies de droit bloquent l’accès à son prétoire. Au demeurant, lorsque les juges de l’Union examinent la légalité des politiques européennes, ils n’exercent qu’un contrôle atténué en raison du caractère éminemment politique des choix économiques et monétaires opérés par les institutions décisionnelles.
Seule la reconnaissance de l’opposabilité des droits économiques et sociaux, principalement affectés par de telles mesures, nous semble pouvoir modifier cet état du droit. Elle permettrait d’opposer au but légitime poursuivi par les organes décisionnels de l’Union les droits sociaux fondamentaux des citoyens européens. En revalorisant l’importance des droits de deuxième génération, elle offrirait la possibilité aux juges de l’Union de réévaluer l’intensité de leur contrôle des mesures économiques et monétaires à l’aune de ce nouvel objectif de l’Union. Cependant, une telle évolution revêt une envergure constitutionnelle qui, si elle comporte une dimension juridique, relève avant tout du domaine politique car il s’agit de poser les fondations d’une Europe sociale maintes fois annoncée 95. L’apport de la Charte à la protection des droits fondamentaux en matière économique et monétaire est donc tributaire de la volonté des Etats. Car c’est à eux qu’appartient la compétence de réviser les traités pour communautariser la matière économique, faciliter l’accès au juge de l’Union et/ou octroyer aux droits économiques et sociaux leur opposabilité.
Notes:
- Voir par exemple pour la littérature francophone, sans pouvoir être exhaustif, L. Dubouis, Droit communautaire et protection des droits fondamentaux dans les Etats membres, Paris, Economica, 1995, 187 p. ; J-F. Akandji-Kombé, S. Leclerc et M-J. Redor (dir.), L’Union européenne et les droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 1999, 2354 p. ; F. Sudre et R. Tinière, Droit communautaire des droits fondamentaux, Paris, Anthemis, 2013, 3ème éd., 478 p. ; R. Tinière, L’office du juge communautaire des droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2008, 708 p. ; A. Bailleux, Les interactions entre liberté de circulation et droits fondamentaux dans la jurisprudence communautaire – Essai sur la figure du juge traducteur, Bruxelles, PU Saint-Louis, 2009, 735 p. ; L. Marcoux, « Le concept de droits fondamentaux dans le droit de la Communauté économique européenne », RIDC, 1983, n° 4, pp. 691-733 ; C. Maubernard, « Conciliation des droits et libertés fondamentaux dans le marché intérieur », RDLF, 2011, Chron. 5 ; L. Zevounou, « Les libertés de circulation, des libertés fondamentales ? », in L. Zevounou, A. Boujeka et T. Habu Group (dir.), Les libertés européennes de circulation au-delà de l’économique, Paris, Mare et Martin, 2019, pp. 165-195. ↩
- Voir notamment, J-Y. Carlier et O. De Schutter (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Son apport à la protection des droits fondamentaux en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2002, 304 p. ; L. Coutron et C. Picheral (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2012, 162 p. ; R. Tinière et C. Vial (dir.), La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne : entre évolution et permanence, Bruxelles, Bruylant, 2015, 414 p. ; X. Groussot et L. Pech, « La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne après le traité de Lisbonne », Questions d’Europe, 2010, n° 173 (en ligne) ; R. Tinière, « L’apport de la Charte des droits fondamentaux à la protection des données personnelles dans l’Union européenne », RAE, 2018, n° 1, pp. 29-34 ↩
- Et non 6 comme indiqué dans la vidéo ↩
- J. Carbonnier, « Conclusions générales », in P. Kahn (dir.), Droit et monnaie – États et espace monétaire transnational, Paris, Litec, 1988, p. 522-525 ; J. Clam, « Monnaie et circulation. Contribution à une analyse structurelle du médium monétaire », APD, 1998, n° 42, p. 153-174, spéc. p. 153 ↩
- S. Rossi, Macroéconomie monétaire : théories et politiques, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 3 et s. ↩
- S. Adalid, « Le rôle des banques centrales : une approche juridique au travers de l’Eurosystème », Les annales du droit, 2015, n° 9, pp. 9-42 ; D. Bradlow, « Why central banks need to take human rights more seriously », OpenDemocracy, 9 juil. 2019 (en ligne) ↩
- Voir notamment, A. Verdun, « The Institutional Design of EMU : A Democratic Deficit ? », Journal of Public Policy, 1998, n° 2, p. 107-132 ; S. Berman and K. R. McNamara, « Bank on Democracy : Why Central Banks Need Public Oversight », Foreign Affairs, 1999, Vol. 78, pp. 2-8 ; N. Jabko, « Expertise et politique à l’âge de l’euro : la Banque centrale européenne sur le terrain de la démocratie », RFSP, 2001, n° 6, pp. 903-931 ↩
- Dans ce sens, P-C. Müller-Graff, « Banque centrale européenne : monnaie, justice, démocratie – De Karlsruhe à Luxembourg », Regards sur l’économie allemande, 2014, n° 112 (en ligne) ; F. Allemand et F. Martucci, « La légitimité démocratique de la gouvernance économique européenne : la mutation de la fonction parlementaire », Revue de l’OFCE, 2014, n° 3, pp. 115-131 ↩
- Voir notamment, F. Lebaron, « La fin de la démocratie européenne ? », Savoir/Agir, 2012, n° 1, pp. 3-7 ; B. Crum, « Saving the Euro at the Cost of Democracy », JCMS, 2013, pp. 614-630 ; F. W. Scharpf, « Monetary Union, Fiscal Crisis and the Preemption of Democracy », LEQS Paper, 2011, n° 36, 46 p. ; F. Vasquez, « La gouvernance économique européenne et les droits fondamentaux : les conflits potentiels », Semaine sociale Lamy, 2016, n° 1746 ↩
- Sur ce sujet, F. Fines, « L’atteinte aux droits fondamentaux était-elle le prix du sauvetage de la zone euro ? », RDLF, 2014, Chron. n° 20 ; F. Chatzistavrou, « De la coordination nationale à la supervision supranationale : la Grèce face aux programmes d’ajustement économique de l’Union européenne », RFAP, 2016, pp. 517-530 ↩
- Article 3. c) TFUE ↩
- CJUE, 5 nov. 2019, BCE et a. c. Trasta Komercbanka AS et a., Aff. C-663/17 P, pts. 54-55 ; Trib. UE, 23 mai 2019, Steinhoff et a. c. BCE, Aff. T-107/17, pt. 95 ↩
- Trib. UE, 8 juil. 2020, Crédit agricole Corporate and Investment Bank c. BCE, Aff. T-577/18, pt. 85 ↩
- Trib. UE, 25 juin 2020, Malacalza Investimenti Srl c. BCE, Aff. T-552/19 ; 8 juil. 2020, Crédit agricole SA c. BCE, Aff. T-576/18 ; 8 juil. 2020, Crédit agricole Corporate, précité ; 8 juil. 2020, CA Consumer Finance c. BCE, Aff. T-578/18 ↩
- M. Devoluy et R. Kovar, « Union économique et monétaire », RDE, avril 2015, §§ 337 et s. ; O. Clerc et P. Kaufmann, « L’Union économique et monétaire européenne : des origines aux crises contemporaines », Paris, Pedone, 2016, pp. 86 et s. ↩
- O. Clerc, « L’UEM et la logique fonctionnaliste de l’intégration : 60 ans de vicissitudes », RUE, 2018, pp. 149-157 ; N. Sadeleer, « Classification des actes de droit non contraignants de l’Union européenne », in Les sources du droit revisitées – Vol. 1 : Normes internationales et constitutionnelles, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint Louis, 2012, pp. 256 et s. ↩
- Trib. UE, Anotati Dioikisi Enoseon Dimosion Ypallilon (ADEDY) et autres c. Conseil, Aff. T-541/10, pt. 73 ; Anotati Dioikisi Enoseon Dimosion Ypallilon (ADEDY) et autres c. Conseil, Aff. T-215/11, pt. 81 ↩
- CJUE (Gr ; Ch.), 27 fév. 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses contre Tribunal de Contas, Aff. C-64/16 ↩
- pts. 29-40, spéc. pts. 37 et 40 ↩
- K. Tuori, The Eurozone Crisis : A Constitutional Analysis, Cambridge, Cambridge UP, 2014, 300 p., spéc. pp. 97-98 ; O. Clerc, « L’UEM et la dynamique fonctionnaliste de l’intégration européenne : 60 ans de vicissitudes », RUE, 2018, pp. 149-157 ↩
- CJUE, (Ass. plén.), 27 nov. 2012, Thomas Pringle contre Governement of Ireland et a., Aff. C-370/12, pt. 161 ↩
- pt. 180. Voir également dans le même sens, Trib. UE, (ord.), 16 oct. 2014, Lella Chatziioannou c. Commission et BCE, Aff. T-330/13, pt. 48. Sur ce sujet, C. Risotta et D. Gallo, « The Portuguese Constitutional Court Case Law on Austerity Measures : A Reappraisal », in C. Kilpatrick and B. De Witte (eds.), Social Rights in Times of Crisis in the Eurozone : The Role of Fundamental Rights’ Challenges, EUI Working Papers, 2014, n° 5, pp. 87-88. Et pour une analyse de cette question, sans adhésion de l’auteure, C. Kilpartick, « Are the Bailouts Immune to EU Social Challenge Because They Are Not EU Law ? », ECLR, 2014, n° 3, pp. 393-421 ↩
- CJUE, (Gde. Ch.), 20 sept. 2016, Ledra Advertising LTD et a. c. Commission et BCE, Aff. C-8/15 à C-10/15P, pt. 67 ; Trib. UE, Bourdouvali, précité, pt. 202 ; 13 juil. 2018, Dr. K. Chrysostomides & Co. LLC et autres c. Conseil et autres, Aff. T-680/13, pt. 85 ↩
- L. Fromont, « L’applicabilité problématique de la Charte des droits fondamentaux aux mesures d’austérité : vers une immunité juridictionnelle », JEDH, 2016, n° 4, p. 484 ↩
- CJUE (Gde. Ch.), 20 sept. 2016, Mallis et Malli et a. c. Commission et BCE, Aff. C-105/15, pts. 52-53. Voir également les irrecevabilités dans les affaires T-327/13 à T-332/13. Sur ces dernières affaires, F. Martucci, « Aspects juridiques et institutionnels de la conditionnalité dans la zone euro », RUE, 2019, pp. 82 et s. ↩
- CJUE, Ledra Advertising, précité, pt. 59. Sur cet arrêt, A. Rivière, « Le contrôle renforcé des politiques d’austérité par la Cour de justice de l’Union européenne », Revue de l’euro, 2018, n° 53 (en ligne) ↩
- CJUE, Mallis, précité, pt 61 ; Trib. UE, Lella Chatziioannou, précité, pt. 53 ; (Gde. Ch.), 16 déc. 2020, Chrysostomides & Co. LLC et autres, Aff. C-597, 598, 603 et 604.18 P, pt. 90 ↩
- Sur cette question, A. Karatzia, « Cypriot Depositors Before the Court of Justice of the European Union : Knocking on the Wrong Door ? », King’s Law Journal, 2015, Vol. 26, pp. 175-184 ; F. Martucci, « Aspects juridiques et institutionnels de la conditionnalité dans la zone euro », précité, pp. 82 et s. ↩
- E. David, « Conclusion de l’atelier juridique : les institutions financières internationales et le droit international », in Les institutions financières internationales et le droit internationale, Bruxelles, Bruylant, 1999, §§ 2-4 ↩
- Sur l’effet indirect des mesures macroéconomiques et monétaires, P-C. Müller-Graff, précité ; R. Barre, « L’efficacité de la politique monétaire : quelques enseignements récents », Revue économique, 1955, n° 6, pp. 881-904 ; F. Reverchon, « Le rachat des dettes souveraines par la BCE dans la jurisprudence des juges allemands : une tentative de mise en perspective », Juspoliticum, 15 mai 2020 (en ligne) ↩
- CJUE, Trasta Komercbanka, précité, pt. 56 ↩
- Ibid., pt. 114 ↩
- Ibid. ↩
- CJUE, (Gr. Ch.), 11 déc. 2018, Heinrich Weiss et autres, Aff. C-493/17 ↩
- Ibid., pts. 53-70 ↩
- Voir sur l’atteinte au droit des épargnants, l’analyse de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, 5 mai 2020, PSPP 2, 2BvR 859/14, § 173. Sur ce point, F. Reverchon, précité ↩
- CJUE, Weiss, précité, pt. 65 ↩
- Sur ce sujet, G. Grégoire, « La Banque centrale européenne et la crise des dettes souveraines : politique monétaire, politique économique ou état d’exception ? », RIDE, 2017, n° 3, pp. 45 et s. ↩
- Trib. UE, ADEDY (T-541/10), pt. 76 ; ADEDY (T-215/11), pt. 80 ↩
- T-541/10, pt. 84 ; T-215/11, pts. 80-81 ↩
- CJUE, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, précité, pt. 49 ↩
- Trib. UE, ADEDY (T-541/10), pts. 72 et s. ; ADEDY (T-215/11), pt. 81, précitées ↩
- Voir les ordonnances d’irrecevabilité des recours en annulation : ADEDY (T-541/10) et ADEDY (T-215/11), précitées ; 25 juin 2014, Accorinti et a. c. BCE, Aff. T-224/12 ; en indemnité : Trib. UE, 7 oct. 2015, Alessandro Accorinti et a. c. BCE, Aff. T-79/13 et en carence : Trib. UE, 5 oct. 2015, Athanasios Arvanitis et a. c. Parlement européen et a., Aff. T-350/14 ; Georgios Kafetzakis et a. c. Parlement européen et a., Aff. T-38/14 et Grigoris Grigoriadis et a. c. Parlement et a., Aff. T-413/14 notamment. Certaines appréciations apparaissent d’ailleurs discutables. Voir à cet égard l’arrêt de la Cour de justice du 5 fév. 2015, Nisttahuz Poclava, Aff. C-117/14 et les ordonnances du 7 mars 2013, Sindicato dos Bancàrios do Norte et a., Aff. C-128/12 ; du 26 juin 2014, Sindicato Nacional dos Profissionais de Seguros e Afins, Aff. C-264/12 et du 21 oct. 2014, Sindicato Nacional dos Profissionais de Seguros e Afins, Aff. C-665/13. La Cour de justice a nié le lien entre les mesures incriminées et les obligations européennes alors que la Cour EDH a conclu que la loi incriminée dans les affaires Sindicato Nacional dos Profissionais de Seguros e Afins (précitées) visait précisément à exécuter le Memorandum d’accord imposé dans le cadre du MESF (Cour EDH, 8 oct. 2013, Da Conceiçao Mateus c. Portugal, req. n° 62235/12 et 57725/12 , § 5 ↩
- CJUE, (Gr. Ch.) 13 juin 2017, Eugenia Florescu et a. c. Casa Judeţeană de Pensii Sibiu et autres, Aff. C-258/14 ↩
- CJCE, 25 mai 1978, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe GmbH & Co. KG et autres c. Conseil et Commission, Aff. C-83/76, pt. 5 ↩
- pt. 5 ; CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA contre Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte : Factortame Ltd et autres, Aff. C-46 et 48/93, pt. 44 ↩
- CJCE, Brasserie du pêcheur, pt. 45 ; Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe GmbH, pt. 6 ; (Gr. Ch.), 9 sept. 2008, Fabbrica italiana accumulatori motocarri Montecchio SpA (FIAMM) et Fabbrica italiana accumulatori motocarri Montecchio Technologies LLC (C-120/06 P), Giorgio Fedon & Figli SpA et Fedon America, Inc. (C-121/06 P) c. Conseil et Commission, Aff. C-120/06 P et 121/06 P, pt. 174 ↩
- Ibid. ↩
- O. Clerc et P. Kaufmann, L’Union économique et monétaire. Des origines aux crises contemporaines, Paris, Pedone, 2016, p. 86 ↩
- Gauweiler, pt 68 ; Weiss, pt. 24. Dans le même sens, Trib. UE, Steinhoff, précité, pt. 72 ; Spiegel-Verlag, pt. 40 ; T-117/17 pt. 72 ; Trib. UE, 24 janv. 2017, Nausicaa Anadyomène SAS et Banque d’Escompte c. BCE, Aff. T-749/15, pt. 70 ; (ord.) 19 juin 2018, Alessandro Accorinti et a. c. BCE, Aff. T-79/13, pt. 68 ↩
- Trib. UE, 12 mars 2019, Fabio De Masi et Yanis Varoufakis c. BCE, Aff. T-798/17, pt. 54 ; (ord.) 27 avril 2020, Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co. KG et Michael Sauga c. BCE, Aff. T-116/17, pt. 73. Voir également, sans référence explicite à la large marge, ou pouvoir, d’appréciation, CJUE, 19 déc. 2019, BCE c. Espirito Santo Financial, Aff. C-442/18 P, pts. 35-47 ↩
- Trib. UE, Crédit agricole Corporate (pts. 116-117) ; Crédit agricole SA (pts. 133-134), précités ↩
- Trib. UE, Nausicaa, précité, pt. 71 ; Accorinti (2015), précité, pt. 69 ↩
- L. Fromont, « La protection juridictionnelle des particuliers face aux politiques d’austérité : la fin de l’imbroglio juridique ? Commentaire des arrêts Ledra Advertising e.a. et Mallis et Malli e.a. de la Cour de justice du 20 septembre 2016 », CDE, 2017, n° 2, pp. 459 et s. ↩
- Trib. UE, Alessandro Accorinti (2015), précité, pt. 69 ↩
- CJUE, Ledra Advertising, précité, pt. 55. Sur ce sujet, J. Germain, « La protection par l’Union européenne des droits fondamentaux contre les programmes d’ajustement macroéconomiques », RUE, 2017, pp. 166 et s. ↩
- Sur ce contrôle lacunaire dans l’arrêt Ledra, voir L. Fromont, « La protection juridictionnelle des particuliers face aux politiques d’austérité : la fin de l’imbroglio juridique ? Commentaire des arrêts Ledra Advertising e.a. et Mallis et Malli e.a. de la Cour de justice du 20 septembre 2016 », précité, pp. 457-459 ↩
- dans le même sens, C. Yannakopoulos, « La Cour de justice de l’Union européenne et la crise de la zone Euro : “La Trahison des images“ », Constitutionalism, 2017 (en ligne) ↩
- pt. 48 ↩
- pt. 57 ↩
- Dans ce sens, CJUE, Eugenia Florescu (pt. 57) ; Associação Sindical dos Juízes Portugueses contre Tribunal de Contas (pt. 46), précités. Voir également à ce sujet, les ordonnances d’irrecevabilité des recours en carence intentés au titre des manquements allégués des institutions européennes à leur obligation de vigilance, Trib. UE, Athanasios Arvanitis ; Georgios Kafetzakis et Grigoris Grigoriadis, précitées ↩
- Trib. UE, Bourdouvali, précité, pt. 293 ↩
- Trib. UE, Accorinti (2015), précité, pt. 89 ↩
- Trib. UE, Nausicaa, précité, pt. 98 ↩
- Trib. UE, Chrysostomides, précitée, pt. 175 ↩
- pts. 71-73 ↩
- pt. 74 ↩
- CJUE, Chrysostomides, précité, pt. 206 ↩
- CJUE, Ledra (pt. 74) ; Trib. UE, Chrysostomides (pt. 323) ; Boudourvali (pt. 322), précités ↩
- Voir à cet égard les différents Crisis Monitoring Reports élaborés par Ann Leahy, Sean Healy et Michelle Murphy pour Caritas Europa, « The Impact of the European Crisis. A study of the Impact of the Crisis and Austerity on people, With a Special Focus on Greece, Ireland, Italy, Portugal and Spain » (2013) ; « The European Crisis and its Human Cost : A Call for Fair Alternatives and Solutions » (2014) ; « Poverty and Inequality on the Rise : Just Social Models Needed as the Solutions » (2015) notamment ↩
- Rapport annuel du Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations-Unies aux droits de l’homme HCDHNU), 7 mai 2013, E/2013/82 ↩
- Magdalena Sepulveda Carmona, Protéger les droits de l’homme en temps de crise économique – Rapport de l’experte indépendante sur la question des droits de l’homme et de l’extrême pauvreté du 7 mars 2011, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2014, A/HRC/17/34 ↩
- Voir également les Résolutions 1884 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 26 juin 2012, Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux et 1888 du 27 juin 2012, La crise de la démocratie et le rôle de l’Etat dans l’Europe d’aujourd’hui ; la Résolution S-10/1 du Conseil des droits de l’homme du 23 février 2009, Répercussions de la crise économique et de la crise financière mondiale sur la réalisation universelle et l’exercice effectif des droits de l’homme ; les observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 2012, E/C12/ESP/CO/5 et du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 2013, CEDAW/C/GRC/CO/7 et CEDAW/C/ESP/CO/6 ou encore la lettre du président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels du 16 mai 2012 ↩
- Rapport annuel du HCDHNU, précité, p. 70 ↩
- M. Sepulveda, précité, p. 25. Voir les principes directeurs sur L’extrême pauvreté et les droits de l’homme, UNHCHR, (et sur ce sujet, F. Tourette, Extrême pauvreté et droits de l’homme. Analyse de l’obligation juridique et des moyens des pouvoirs publics français dans la lutte contre l’extrême pauvreté, Clermont-Ferrand, PU Droit Clermont-Ferrand, 2002, 431 p.). Dans le même sens, E. David, « Conclusion de l’atelier juridique : les institutions financières internationales et le droit international », in Les institutions financières internationales et le droit internationale, Bruxelles, Bruylant, 1999, §§ 2-4 ; E-M. Mbonda, « La pauvreté comme violation des droits humains : vers un droit à la non pauvreté », RISS, 2004, n° 2, pp. 309-321 ; C. Denizeau, « Crise économique et peines ou traitements inhumains et dégradants », in V. Tchen (dir.), Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 181 ; M. E. Salomon, « Of Austerity, Human Rights and International Institutions », ELJ, 2015, n° 4, p. 532 ↩
- voir nos précédents développements ↩
- Sur ce sujet, S. Garnier, précité ; L. He, « Les droits sociaux fondamentaux et le droit de l’Union européenne », RTDUE, 2018, n° 1 pp. 25 et s. ↩
- CJCE, 8 avril 1976, Gabrielle Defrenne c. Société anonyme belge de navigation aérienne, aff. 43/75 ↩
- CJCE (Gde. Ch.), 22 nov. 2005, Werner Mangold contre Rüdiger Helm, Aff. C-144/04 ↩
- CJUE (Gde. Ch.), 19 janv. 2010, Seda Kücükdeveci contre Swedex GmbH & Co. KG, Aff. C-555/07. Sur ces affaires, L. He, Droits sociaux fondamentaux et droit de l’Union européenne, Thèse, Paris I, 2017, pp. 215 et s. ↩
- R. Tinière, « L’invocabilité des principes de la Charte des droits fondamentaux dans les litiges horizontaux », RDLF, 2014, Chron. n° 14 ↩
- CJUE (Gde.Ch.), 15 janv. 2014, Association de médiation sociale contre Union locale des syndicats CGT et autres, Aff. C-176/12 ↩
- J. Freyssinet, « L’Europe sociale : quelles politiques, quels modèles, quels syndicalismes ? », précité ; J-P. Lhernould, « La Cour de justice de l’UE est-elle antisociale ? », Revue de Jurisprudence sociale, 2010, pp. 507-514 ↩
- CJCE, 11 déc. 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union contre Viking Line ABP et OÜ Viking Line Eesti, Aff. C-438/05, pt. 44 ; 18 déc. 2007, Laval un Partneri Ltd contre Svenska Byggnadsarbetareförbundet, Svenska Byggnadsarbetareförbundets avdelning 1, Byggettan et Svenska Elektrikerförbundet, Aff. C-341/05, pt. 91 ↩
- S. Robin-Olivier et E. Pataut, « Europe sociale ou Europe économique. À propos des affaires Viking et Laval », RDT, 2008, pp. 87 et s. ↩
- La Cour de justice de l’UE est-elle antisociale ? », Revue de jurisprudence sociale, 2010, pp. 507-514 ; C. Marzo, « La Cour de justice de l’Union européenne et la Charte des droits fondamentaux : une illustration des splendeurs et misères de la régulation sociale par la mobilisation des droits sociaux fondamentaux par le juge », Droit social, 2016, n° 3, pp. 209-218 ↩
- S. Garnier, « Etat des lieux de l’Europe sociale », La revue de l’IRES, 2018-2019, n° 96-97, p. 85 ↩
- Trib. UE, ADEDY (T-541/10), pts. 78 et 85 ; ADEDY (T-215-11), pts. 93 et 97 ↩
- Comité EDS, 23 mai 2012, GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, réclamations n° 65/2011 et 66/2011 ↩
- Sur le renoncement des requérants à exercer leurs droits en matière sociale, S. Théron, Le renoncement en droit public : tentative de définition », in N. Jacquinot (dir.), Le renoncement en droit public, Toulouse, PU Toulouse-Capitole, 2021, pp. 15 et s. ↩
- Voir à ce sujet, S. Théron, précité, pp. 7 et s. et la thèse de Johanna Benredouane, La renonciation en droit de l’aide sociale. Recherche sur l’effectivité des droits sociaux, Paris, L’Harmattan, 2020, 448 p. ↩
- Dans ce sens, F. Fines, précité ; C. Nivard, « Le Comité européen des droits sociaux, gardien de l’Etat social en Europe ? », Civitas Europe, 2014, n° 2, pp. 95-109. Et pour un inventaire des principales décisions des juridictions suprêmes des Etats membres en faveur des droits sociaux, D. Roman, « La jurisprudence sociale des Cours constitutionnelles en Europe : vers une jurisprudence de crise ? », NCC, 2016, n° 45 (en ligne) ↩
- Cour EDH, Koufaky et ADEDY c. Grèce, req. n° 57655/12 et 57657/12 ; 8 oct. 2013, Da Conceiçao Mateus c. Portugal, req. n° 62235/12 et 57725/12 ; 1 sept. 2015, Da Silva Carvalho Rico c. Portugal, req. n° 13341/14 ; 4 juil. 2017, Mockiene c. Lettonie, req. n° 75916/13 ; 14 nov. 2017, P. Plaisier B V c. Pays-Bas, req. n° 46184/16, 47789/16 et 19958/17 ; 10 juil. 2018, Aielli et a. et Arboit et a. c. Italie, req. n° 26166/18 et 27167/18 et les arrêts de la Cour EDH, 20 mai 2014, Mc Donald c. Royaume-Uni, req. n° 4241/12 ; 21 juil. 2016, Mamatas et a. c. Grèce, req. n° 63066/14, 64297/14 et 66106/14 ↩
- Comité EDS, GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, précitées ; 7 déc. 2012, Fédération des Pensionnés Salariés de Grèce (IKA-ETAM), réclamation n° 76/2012 ; Fédération panhellénique des pensionnés des services publics c. Grèce, réclamation n° 77/2012 ; Syndicat des pensionnés des Chemins de fer électriques d’Athènes-Pirée (I.S.A.P.) c. Grèce, réclamation n° 78/2012 ; Fédération panhellénique des pensionnés de l’entreprise publique de l’électricité (POS-DEI.) c. Grèce ; Syndicat des pensionnés de la Banque agricole de Grèce (ATE) c. Grèce, réclamation n° 80/2012. Sur ce sujet, C. Nivard, « Seconde condamnation des mesures d’austérité grecques par le Comité européen des droits sociaux », Actualités Droits-Libertés, CREDOF, 11 mai 2013 ; « Le comité européen des droits sociaux, gardien de l’état social en Europe ? », Civitas Europe, 2014, n° 2, pp. 95-109 ↩
- Sur ce sujet, E. Pataut, « Tours et détours de l’Europe sociale », RTDE, 2018, n° 1, pp. 9-24 ; E. Mazuyer, « Le retour du mythe de l’Europe sociale ? », RDT, 2017, n° 1, pp. 83-94 ; J. Freyssinet, « L’Europe sociale : quelles politiques, quels modèles, quels syndicalismes ? », La revue de l’IRES, 2018 et 2019, n° 96 et 97, pp. 7-38 ↩