La protection pénale de la vie et de l’intégrité des policiers
Par Paul Cazalbou, Professeur à l’Université de Toulouse
Réfléchir à la protection de la vie et de l’intégrité des policiers a le mérite de sortir le pénaliste de sa zone de confort. Ce dernier ayant plutôt l’habitude, ces dernières années, de traiter les questions liées à l’usage de la force par les membres des forces de sécurité intérieure que la question de savoir comment ils sont protégés par le droit pénal. A vrai dire cette question est tout à la fois plus simple, par certains de ses aspects, et plus complexe, par d’autres, que celle des violences policières, thèmes de la journée d’étude, entendue comme l’exercice illégitime de la force par les membres des forces de sécurité intérieures.
Plus simple parce qu’à l’évidence, le policier dont nous parlerons ici est celui qui s’avère être ou qui risque d’être victime d’une infraction de nature à porter atteinte à sa vie ou à son intégrité physique ou psychique. On voit mal ce qu’il y aurait à dire d’une telle situation si ce n’est qu’elle mérite la répression de celui qui en est à l’origine et, s’agissant du policier qui la subit, la reconnaissance du statut de victime plein et entier au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale. Techniquement elle pose aussi moins de questions. A l’inverse, lorsque le policier fait usage de la force la situation est plus délicate à apprécier. L’acte du policier ne sera pas évalué à lui seul, il faudra également évaluer les circonstances dans lesquelles il est intervenu et, en particulier, l’attitude et le comportement de celui qui en fait les frais. Une question de proportionnalité de sa réponse à la situation sera posée et les questions de proportionnalité font partie de celles qui gênent particulièrement les juristes aux entournures. Tout le monde ne situe en effet pas le zéro de la balance au même endroit.
Par certains autres aspects, cette question de la protection de la vie et de l’intégrité physique des policiers est singulièrement plus délicate à traiter pour un juriste pénaliste car elle semble, de très loin, dépasser le champ de ses compétences. Il semble en effet que la protection des policiers passe par des considérations qui n’ont proprement rien à voir avec le droit. Au vu des taches et des missions qui leurs sont dévolues, leur protection effective semble impliquer de s’intéresser à leur dotation en matériel individuel et collectif de protection mais également à leur maintien en condition physique. C’est alors la question de leur entraînement qui se pose et en particulier de leur entraînement au maniement des armes dont ils disposent. C’est également la question de leur formation aux techniques d’intervention et de neutralisation, à leur apprentissage des techniques de communication et de « désescalade » dans des situations de crise, qui se pose[1]. On peut également s’interroger sur le suivi psychologique des agents dans une profession marquée par de nombreux suicides dont le lien avec l’activité professionnelle est difficilement niable, beaucoup d’entre eux étant réalisés au moyen de l’arme de service et sur le lieu de travail[2]. Cette dernière problématique pose d’ailleurs la question sous-jacente de la formation de la hiérarchie policière à la prévention des risques psycho-sociaux. Elle pourrait même déborder sur celle de l’organisation et de la planification des missions concrètes des policiers et sur le rapport existant entre les objectifs assignés, d’une part, et les moyens dévolus, d’autre part. Le risque d’être victime d’une atteinte à la vie pouvant varier très fortement selon que ces moyens sont, ou ne sont pas, en adéquation avec le niveau de risque des missions accomplies. La liste est donc longue de toutes mesures qui pourraient être prises afin d’alléger la charge physique et psychique de ces agents dont on sait qu’elle ne donne pas toujours lieu à reconnaissance y compris, d’ailleurs, par leur employeur[3]. S’il faut s’interroger sur la protection de la vie et de l’intégrité physique des fonctionnaires de la police nationale ce sont ces questions qu’il faut avant tout traiter. Or il semble, à tout le moins, qu’il y ait bien des problèmes qui se posent à tous ces points de vue.
Le droit pénal dans tout cela paraît fondamentalement anecdotique pour assurer leur protection et cela pour une raison assez triviale que l’on a parfois tendance à oublier. Son rôle n’est pas de protéger la victime de l’infraction mais de punir son auteur. Si le droit pénal peut avoir un rôle protecteur ce n’est in fine qu’à travers son aspect préventif qui permet de dissuader les auteurs potentiels d’une infraction par la peine qu’il fulmine à leur encontre. Mais il faut là bien admettre que s’il est déjà difficile d’avoir des chiffres fiables sur les infractions effectivement commises et leur répression par le système pénal, il est encore plus délicat, c’est un euphémisme, d’avoir des chiffres tout court sur les infractions que les individus auraient renoncé à commettre du fait de la crainte de la sanction pénale. On peut donc gloser sur l’effet préventif et protecteur du droit pénal, on est bien incapable de savoir ce qu’il représente et combien de policiers n’ont pas été victime d’une infraction du fait de la crainte des auteurs potentiels de subir une peine.
Ce que l’on sait en revanche avec beaucoup plus de certitude c’est la manière dont le législateur intervient, en matière pénale, pour protéger les policiers. Il adopte des dispositions législatives. Il en adopte même plutôt beaucoup s’agissant de la protection des policiers. Qu’on en juge, les textes pénaux adoptés dans cette optique sont nombreux et particulièrement sur la période contemporaine.
Le nombre n’étant toutefois pas toujours gage de qualité et d’efficacité des diverses interventions législatives récentes nous nous permettrons d’évaluer cette intervention du simple point de vue juridique et de constater qu’elle est tout à la fois désordonnée (I) et dérisoire (II).
I – Une intervention désordonnée
L’intervention du législateur, lorsqu’il s’agit de protéger les fonctionnaires de police apparaît tout à la fois désordonnées en la forme (A) mais également sur le fond (B).
A – Le désordre formel
Ce qui saute aux yeux à la simple lecture des dispositions visant à protéger le policier en matière pénale c’est la dispersion des textes spécifiques au sein du Code pénal lui-même.
A dire le vrai, ce désordre ne tient pas nécessairement à un travail désordonné du législateur, il correspond plus à celui du travail d’un « bon élève » qui a entendu suivre le plan de la partie spéciale du code. Le résultat obtenu est toutefois le même et les textes dispersés. Les dispositions liées aux atteintes à la vie des fonctionnaires de police se retrouvent ainsi dans le Livre II du Code pénal[4] ainsi que celles consacrées aux violences volontaires qu’ils pourraient subir[5]. On retrouve en revanche les dispositions relatives aux destructions et dégradations de leurs biens au sein du Livre III[6]. Enfin on ne peut s’empêcher de remarquer que certaines dispositions dont on peut estimer qu’elles relèvent de la protection, entre autres, du policier se trouvent dans le livre IV du Code pénal dans un chapitre intitulé « Des atteintes à l’administration publique commises par les particuliers » et particulièrement à l’article 433-3 du Code pénal consacré aux « menaces ou actes d’intimidations commis contre les personnes exerçant une fonction publique ». Il y a là une variante spécifique des infractions de menaces classiques des articles 222-17 et suivants du Code pénal qui sont, elles, pourtant incriminées dans le Livre II du Code pénal. On trouve dans ce même chapitre une section 4 consacrée à l’outrage adressé à un « dépositaire de l’autorité publique »[7].
On peut assez légitimement s’interroger sur ce choix de dispersion des textes applicables. Notamment au vu de la raison qui pousse à faire des textes spécifiques relatifs aux policiers qui visent à protéger des représentants de l’État particulièrement exposés. Pourquoi ne pas considérer qu’à travers eux c’est bien l’État qui est atteint et donc que toutes les dispositions les concernant devrait se trouver dans le livre IV du Code ? Ou, pourquoi pas, au sein du Code qui réglemente leur activité, celui de la sécurité intérieure. Code qui, au demeurant, comporte des dispositions spécifiques relatives à la « Protection juridiques des personnes concourant à la sécurité intérieure » qui peuvent d’ailleurs s’étendre, entre autres, à leurs « conjoints, enfants et ascendants directs […] lorsque du fait des fonctions de ces dernières, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrage »[8].
Cette dispersion des textes ne pose toutefois qu’un problème purement formel, plus délicat paraît le désordre qui touche au fond des dispositions en cause.
B – Le désordre de fond
Le second élément assez remarquable dans la désorganisation constatée consiste dans l’utilisation par le législateur tant de circonstances aggravantes que d’infractions autonomes afin de renforcer la protection du policier.
Meurtre, violences, destruction ou dégradation sont en effet autant d’infractions pénales dont la répression variera à la hausse du fait de la qualité de fonctionnaire de la police nationale. A l’inverse s’agissant des menaces ou actes d’intimidations à l’encontre d’une personne exerçant une fonction publique, qui s’appliquent donc aux policiers, le législateur crée une infraction totalement autonome n’entretenant aucun lien avec les infractions plus classiques de menaces. L’alternative entre les deux techniques est assez discutable. Le policier victime d’infraction n’est visiblement pas victime de comportements spécifiques mais d’infraction très classiques. Pourquoi ne pas alors simplement généraliser la technique de la circonstance aggravante ? Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de remarquer que lorsque le législateur incrimine spécialement les menaces contre un fonctionnaire de police il ne se contente pas de prévoir une peine plus sévère que pour les menaces classiques. Il allège également la charge probatoire en supprimant certains éléments constitutifs des menaces classiques de l’article 222-17 du Code pénal et notamment l’exigence d’une réitération ou d’une matérialisation. L’infraction est également étendue à la menace de commettre un délit contre les biens et, s’agissant des menaces de commettre un délit, il n’est pas nécessaire que la tentative de ce délit soit punissable. En somme, la seule menace de commettre des violences volontaires délictuelles est punissable lorsque adressée à un fonctionnaire de police mais pas lorsqu’elle est adressée à un individu lambda. Là le problème n’est plus celui de la désorganisation mais carrément celui de la légitimité d’une telle intervention. Pourquoi la menace contre un fonctionnaire de police serait-elle entendue plus largement que la menace contre un quidam ?
Au sein de la technique des circonstances aggravantes le désordre est encore marqué à plusieurs niveaux.
A un niveau assez formel, on remarque l’emploi de vocables différents et plus ou moins englobant pour désigner les personnes dont la qualité aggrave la répression de l’infraction. Généralement le législateur se lance dans de longues énumérations de catégories d’individus au sein desquelles se retrouvent les « fonctionnaires de la Police Nationale »[9] mais parfois il préfère regrouper sous la désignation englobante de dépositaire de l’autorité publique comme dans le cas de l’infraction d’outrage prévue par l’article 433-5 du Code pénal. C’est assez peu problématique, on se demande toutefois encore pourquoi une manière uniforme de légiférer n’est pas adoptée.
Dans certains cas, en revanche, des différences sont remarquables entre certaines de ces circonstances aggravantes qui procèdent pourtant toutes de la qualité de fonctionnaire de la Police nationale de l’individu. Pour que cette qualité entraîne l’aggravation de la répression le législateur prévoit généralement que deux autres conditions soient remplies. La qualité en question doit ainsi être « connue » de l’auteur des faits ou « apparente » et l’infraction doit avoir été commise dans l’exercice de ses fonctions ou du fait de ses fonctions[10]. Mais d’un texte à l’autre on constate toutefois des variations. L’article 222-14-1 du Code pénal, relatif aux violences en bande organisée ou avec guet-apens, met ainsi totalement de côté la nécessité d’une « qualité apparente ou connue » et vise les violences commises contre cet individu « dans l’exercice, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions ou de sa mission ». L’article 322-3 du Code pénal relatif aux destructions de biens sans danger pour les personnes au préjudice d’un fonctionnaire de la police nationale précise que cette destruction doit avoir été réalisée « en vue d’influencer son comportement dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ». Dans ce dernier cas, c’est un véritable dol spécial qui devient nécessaire et qui doit bien évidemment faire l’objet d’une démonstration par l’autorité de poursuite. Enfin, l’article 322-8 du Code pénal, relatif aux destructions de biens dangereuses pour les personnes, prévoit une aggravation lorsque l’infraction est commise en raison de la qualité de fonctionnaire de la police nationale du propriétaire ou de l’utilisateur du bien mais n’évoque pas même le dol spécial pourtant mentionné pour les mêmes destructions lorsqu’elles ne présentent pas de risque pour les personnes.
Désordonnée, l’intervention du législateur, l’est enfin au regard du périmètre des personnes protégées par des dispositions spéciales liées à la qualité de fonctionnaire de la police nationale. On constate ainsi une extension des aggravations aux proches du fonctionnaire de police désignés usuellement comme « le conjoint, les ascendants ou les descendants en ligne directe ou sur toute autre personne vivant habituellement au domicile des » fonctionnaires de la police nationale « à raison des fonctions exercées par ces dernières »[11]. On comprend bien évidemment l’intérêt de telles dispositions mais on ne s’explique pas cette rédaction qui, si elle évoque le conjoint, passe sous silence le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin[12]. Des qualités que le législateur connaît pourtant puisqu’il les utilise couramment au sein d’autres textes relatifs aux circonstances aggravantes[13]. De la même manière, certains textes étendent la protection aux « personnes affectées dans les services de police nationale » sous l’autorité du « fonctionnaire de police nationale » (art. 222-14-5 CP) ce qui permet de protéger des personnes n’ayant pas nécessairement la qualité de fonctionnaire de la police nationale mais travaillant sous leur autorité. Or une telle extension si elle est prévue pour les violences ayant entraîné plus de 8j d’ITT, moins de 8j d’ITT ou pas d’ITT du tout, ne sont pas spécifiquement prévues dans le cas d’autres qualifications alors que, par cohérence d’ensemble, cela pourrait se justifier[14].
On le voit donc, les interventions du législateur pour aggraver la répression des infractions commises contre des policiers sont pour le moins désordonnées. Elles sont également assez dérisoires dans leurs effets.
II – Une intervention dérisoire
Le caractère dérisoire des interventions législatives destinées à protéger la vie et l’intégrité des policiers apparaît assez nettement pour peu que l’on prenne connaissance de leur impact concret sur la répression (A) mais il est peut-être encore plus marqué dans l’une des dernières interventions législatives en date qui frappe particulièrement à cet égard en ce qu’elle semble atteindre le point limite de ce qu’il est possible de faire avec de simples textes (B).
A – Une technique d’aggravation globalement inapte à protéger
Si l’on excepte les cas dans lesquels le législateur incrimine à titre autonome des atteintes directement portées contre des policiers, qui sont plutôt rares, le constat est fait, d’une manière générale, d’une utilisation de la qualité de policier comme circonstance aggravante d’infractions de droit commun afin d’assurer la protection de leur vie ou de leur intégrité. Une telle technique qui pourrait paraître satisfaisante et apte à atteindre l’objectif de protection fixé paraît en réalité assez peu convaincante et, ce, pour plusieurs raisons.
Il convient tout d’abord de remarquer que ce type d’intervention législative ne conduit pas à créer de nouvelles incriminations spécifiques aux atteintes portées contre les fonctionnaires de la police nationale. Elle n’étend donc pas le champ des comportements répréhensibles et la répression de ces mêmes comportements serait tout à fait envisageable en son absence. Un policier est avant tout un individu dont le meurtre est punissable selon les dispositions de droit commun de même qu’il peut être victime de violences qui sont tout aussi répréhensibles que les violences commises sur tout un chacun. Les différentes interventions législatives visant à le protéger n’ont donc pas véritablement pour effet d’ériger en infraction des comportements qui, réalisés sur un individu lambda, n’en seraient pas. Il existe bien certaines dispositions très spécifiques qui permettent de réprimer des comportements qui ne seraient pas punissable lorsque commis à l’égard d’un quidam mais celles-ci ont un champ d’application bien spécifique qui ne s’étend d’ailleurs pas à l’ensemble des « policiers » mais seulement à certains d’entre eux[15].
On ne peut ensuite s’empêcher de remarquer que la « plus-value » en termes de répression liée à la qualité de fonctionnaire de police n’est pas nécessairement très marquée. Si l’on prend l’exemple du meurtre aggravé par la circonstance que la victime est un fonctionnaire de la police nationale, il est clair que sa répression atteint des sommets en ce qu’il permet d’appliquer la réclusion criminelle à perpétuité en application de l’article 221-4[16]. Mais il n’y a là rien de fondamentalement original quand on sait qu’un meurtre avec préméditation ou guet-apens[17], commis pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité de l’auteur d’un délit[18] ou encore commis en bande organisée[19] permet d’atteindre le même seuil de répression sans que la qualité de la victime n’entre un seul instant en ligne de compte. Or les fonctionnaires de police peuvent précisément être la cible de tels comportements, soit qu’ils aient été ciblés spécifiquement à l’avance, soit qu’ils tentent de s’interposer lors d’un braquage face à des individus lourdement armés et déterminés. Ils n’en tireront pas pour autant une « protection » plus importante qui serait liée à leur qualité. D’autres exemples pourraient être pris au sein des dispositions prévoyant une aggravation de la répression lorsque l’infraction est commise à l’encontre d’un tel fonctionnaire. L’élévation des peines encourues n’apparaît réellement jamais significative dans un code prévoyant déjà des peines singulièrement élevées[20]. Il faut d’ailleurs garder à l’esprit que ces peines, y compris aggravées, ne forment que des maxima et que la faculté d’individualisation offerte aux magistrats, de même que la situation des établissements pénitentiaires français, font que ces maxima sont bien souvent théoriques[21] si l’on excepte les infractions de meurtres mais pour lesquelles, comme nous venons de le dire, la plus-value répressive tirée des textes est assez peu marquée.
Il convient enfin de remarquer que ces dispositions ne sont pas véritablement spécifiques aux fonctionnaires de la police nationale et que bien souvent d’autres catégories d’individus en bénéficient sur la même base d’aggravation[22]. Si protection il y a, elle semble donc bien être assez largement partagée.
Un cas particulier semble toutefois avoir été fait plus récemment, applicable notamment aux fonctionnaires de la police nationale, mais plus que d’asseoir l’efficacité de la technique employée, il semble surtout en montrer les limites.
B – Une technique révélatrice des limites de l’intervention législative
Poussée à l’extrême la technique de l’aggravation de peine lorsque l’infraction est commise à l’encontre d’un fonctionnaire de la police nationale donne l’impression que le législateur en est réduit à bégayer pour accroître leur protection. Il semble qu’à cet égard l’embarras du législateur dans l’élévation du degré de répression des infractions commises à l’encontre des fonctionnaires de la police nationale ait atteint son paroxysme avec certaines dispositions issues de la loi n°2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Entre autres dispositifs baroques du point de vue la légistique pénale[23], le législateur a profité de cette loi pour modifier les règles d’aggravation de la peine pour les infractions de violences volontaires commise à l’encontre, notamment, des fonctionnaires de la police nationale.
Jusque là, les infractions de violences volontaires prévues par les articles 222-11 et 222-13 du Code pénal prévoyaient au sein de leurs longues listes de circonstances aggravantes la situation particulière de la victime « fonctionnaire de la police nationale » qui entraînait l’aggravation de la répression d’un cran au même titre que l’ensemble des circonstances aggravantes attachées à ces qualifications. Les textes se référaient à ces fonctionnaires au sein de dispositions beaucoup plus larges incluant les magistrats, les jurés et autres gardiens assermentés d’immeubles sans opérer de distinction dans l’aggravation entre eux.
Soucieux d’accroître la répression des violences volontaires commises à l’encontre, notamment, des fonctionnaires de la police nationale le législateur a, par la loi du 24 janvier 2022, créé une nouvelle incrimination autonome de violences commises sur « un militaire de la gendarmerie nationale, un militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense, un fonctionnaire de la police nationale, un agent de police municipale, un garde champêtre, un agent des douanes, un sapeur-pompier professionnel ou volontaire ou un agent de l’administration pénitentiaire dans l’exercice ou du fait de ses fonctions et lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur » intégrée au Code pénal dans un nouvel article 222-14-5 qui vient allonger le paragraphe du Code pénal déjà bien fourni intitulé « Des violences ». Cette nouvelle disposition, fonctionne comme une incrimination autonome des violences ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours et des violences ayant entrainé une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant pas entrainé d’ITT lorsqu’elles sont commises sur les personnes désignées et dont les peines principales sont d’ores et déjà élevées d’un cran par rapport à leurs homologues des articles 222-11 et 13 du Code pénal. Afin de tenir compte du fait que ces violences peuvent tout de même être accompagnées d’autres circonstances aggravantes plus classiques le législateur prévoit au sein des alinéas 4 et 5 de ce nouvel article 222-14-5 des aggravations supplémentaires lorsque l’infraction est accompagnée d’une ou deux, ou plus, des circonstances prévues aux 8° à 15° de l’article 222-12 du Code pénal. Afin, d’ailleurs, d’éviter une redondance de ce nouveau texte avec les incriminations des articles 222-11 et 222-13 du Code pénal il opère une modification des articles 222-12 et 222-13, retirant de ces textes la références aux différents individus entrant dans le champ du nouveau texte. L’objectif fixé est atteint, la répression des violences commises, notamment, sur les fonctionnaires de la police nationale est désormais augmenté d’un cran au regard des violences plus classiques.
L’ensemble obtenu n’est toutefois ni plus ni moins que du bricolage législatif dont l’impact concret est soumis à la plus grande caution[24]. L’observateur avisé remarquera toutefois qu’au sein des incriminations de violences de telles dispositions ne sont pas tout à fait originales. Le législateur avait ainsi déjà incriminé dans le même ensemble de textes relatifs aux violences, avec un résultat dont on ose dire qu’il est probant en termes de protection des forces de police, l’embuscade tendue à leur encontre[25]. Si cet observateur pousse un peu plus loin ses recherches il remarquera, toujours dans le même ensemble, qu’il existe une autre catégorie d’individus bénéficiant – quoique seulement à la condition que les violences commises à leur endroit soient habituelles – de texte spécifiques : les mineurs de quinze ans.
[1] Qu’il s’agisse de la formation initiale ou de la formation continue des agents, il semble qu’il y ait à redire : V. C. Di Folco et M. Carrère, Rapport sur la formation initiale et continue des personnels de la police et de la gendarmerie nationale, Sénat, n°410, déposé le 8 mars 2023.
[2] Sur cette question : Encrenaz G., et al. Suicide dans la Police nationale française : trajectoire de vie et facteurs associés, Encéphale, 2015.
[3] La police nationale ayant un rapport aux heures supplémentaires assez singulier au sein de la fonction publique : Les heures supplémentaires dans la fonction publique, Octobre 2020, Cour des comptes.
[4] Part. Art. 221-4 4° du Code pénal.
[5] Dispositions dispersées des articles 222-7 à 222-16-3 du Code pénal.
[6] Part. Art. 322-3 3° et 322-8 3° du Code pénal.
[7] Art. 433-5 du Code pénal.
[8] V. Art. L113-1 du Code de la sécurité intérieure
[9] Par ex. Art. 221-4 4° du Code pénal.
[10] Idem Art. 221-4 4° du Code pénal.
[11] Par ex. Art. 221-4 4° ter du Code pénal.
[12] Sauf à estimer que le concubin et le partenaire lié par un pacte civil de solidarité vivent nécessairement « habituellement à leur domicile » ce qui n’est peut-être pas si évident que cela.
[13] Par ex. Art. 221-4 9° du Code pénal.
[14] Par ex. Art. 433-3 du Code pénal qui n’est visiblement pas applicable lorsque la victime serait « une personne affectée dans un service de police nationale » sans avoir la qualité de fonctionnaire alors que son application est possible aux menaces proférées à l’encontre d’une personne exerçant une activité de sécurité privée.
[15] Voir ainsi l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse disposant que : « Le fait de révéler, par quelque moyen d’expression que ce soit, l’identité des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de personnels civils du ministère de la défense ou d’agents des douanes appartenant à des services ou unités désignés par arrêté du ministre intéressé et dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat, est puni d’une amende de 15 000 euros. ».
[16] L’article comprend également des dispositions permettant à la cour d’assises d’être plus sévère s’agissant de la période de sûreté.
[17] Art. 221-3 du Code pénal.
[18] Art. 221-2 al. 2 du Code pénal.
[19] Art. 221-4 8° du Code pénal.
[20] Les menaces de mort de l’article 222-17 du Code pénal exposent ainsi leur auteur à 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende quand les mêmes menaces adressées à un fonctionnaire de la police nationale l’exposent en vertu de l’article 433-3 du Code pénal à 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Il n’y a là qu’un cran de décalage dans l’échelle des peines.
[21] Il est vrai, toutefois, qu’une étude menée sur les peines effectivement prononcées tendant à montrer globalement que les peines effectivement prononcées sont très en deçà des encourus relève toutefois que les « prononcés » se rapprochent des « encourus » lorsque sont en cause les infractions d’outrage à dépositaire de l’autorité publique ou refus d’obtempérer : A. Philippe, La fabrique des jugements, La découverte, 2022, spéc. p. 60.
[22] La liste est longue, et généralement réutilisée d’un texte à l’autre, de l’article 221-4 4° visant indifféremment : « un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, un sapeur-pompier ou un marin-pompier, un gardien assermenté d’immeubles ou de groupes d’immeubles ou un agent exerçant pour le compte d’un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d’habitation en application de l’article L. 271-1 du code de la sécurité intérieure ».
[23] Not. la question de l’irresponsabilité pour trouble mental ..
[24] Des observations en ce sens ont déjà pu être faites en des termes qui, pour être plus policés, n’en sont pas moins cinglant : « Le Conseil d’État rappelle d’abord l’observation faite dans son avis n° 401549 du 3 décembre 2020 selon laquelle le code pénal comporte de nombreuses incriminations relatives aux menaces, intimidations ou violences contre des personnes chargées de certaines missions de service public, sans que celles-ci soient toujours claires et bien articulées entre elles. L’incrimination nouvelle créée par le projet, rajoute à la parcellisation des infractions d’atteintes aux personnes suivant la qualité des personnes qui en sont les victimes et à la complexité du dispositif d’ensemble, cette complexité résultant notamment, comme c’est le cas en l’espèce, de réponses législatives à des événements particuliers. Aussi le Conseil d’État réitère-t-il la suggestion faite au Gouvernement dans cet avis d’engager une réflexion afin de leur donner plus de lisibilité et de cohérence. », CE, avis n°402975, sur un projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, §20.
[25] Art. 222-15-1 du Code pénal tiré de la Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.