Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2024
par Mustapha Afroukh, Maître de conférences HDR en droit public à Université de Montpellier, IDEDH UR_UM205, Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH UR_UM205, Thibaut Larrouturou, Maître de conférences en droit public à Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ISJPS UMR 8103. Ancien référendaire à la Cour européenne des droits de l’homme
1. Les cinquante ans de la ratification de la Convention par la France. Un anniversaire peut en cacher un autre. Si les soixante-dix ans de l’adoption de la Convention ont été évoqués dans la précédente livraison de la chronique, c’est au tour des cinquante ans de la ratification de celle‑ci par la France d’être mis à l’honneur dans ces lignes – comme ils l’ont été à la fois par un colloque organisé par la Cour de cassation et par une journée d’études, à la tonalité sans doute bien différente, préparée par le Cercle Droit & Liberté. Il est bien évidemment difficile de présenter en peu de mots une réflexion sur le bilan ou sur l’avenir des relations entre France et Convention européenne des droits de l’homme, et il faudra se contenter de rappeler ici quelques brefs éléments. Au plan européen, d’une part, la France a fait l’objet en un demi-siècle de plus d’un millier d’arrêts adoptés par la Cour européenne des droits de l’homme, concluant dans leur grande majorité à une violation d’au moins une disposition de la Convention – le plus souvent de l’article 6 § 1 relatif au droit à un procès équitable. Ces chiffres ne doivent cependant pas conduire le lecteur à conclure que la France serait structurellement une mauvaise élève du système européen de protection des droits et libertés. En effet, son taux de condamnation comme son nombre de requêtes introduites par habitant n’interpellent pas particulièrement, même à les comparer aux autres démocraties d’Europe de l’Ouest. Un parfait satisfecit serait toutefois bien malvenu, tant certains contentieux peuvent aujourd’hui encore susciter l’inquiétude en matière d’exécution (à l’instar de celui relatif aux conditions de détention dans les prisons françaises) ou remettre en cause des pans entiers de notre législation (ainsi des nombreuses requêtes pendantes touchant à la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement). Au plan national, d’autre part, le bilan est particulièrement remarquable, tant les évolutions induites par la ratification de la Convention ont été nombreuses. Bien peu de branches de notre droit peuvent affirmer ne pas avoir été affectées en quoi que ce soit par le droit de la Convention, laquelle a par ailleurs contribué à modifier profondément l’office et la place des juridictions au sein des institutions internes. En témoigne encore récemment la promotion d’une « subsidiarité prédictive » par le Premier président de la Cour de cassation, associée à une réflexion presque continue relative au contrôle de conventionnalité des juges judiciaires. En définitive, sans que la jurisprudence conventionnelle des juridictions françaises et européenne n’échappe toujours à la critique, la plus belle réalisation de l’entrée en vigueur de la Convention en France est certainement d’avoir assis l’exigence d’une démocratie « qualitative » telle qu’exprimée dans la jurisprudence de la Cour : « la démocratie ne saurait être réduite à la volonté majoritaire des électeurs et des élus, au mépris des exigences de l’État de droit. La compétence des juridictions internes et de la Cour est donc complémentaire à ces processus démocratiques » (Gde Ch., 9 avr. 2024, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c/ Suisse, § 412, no 53600/20). Un utile rappel à l’heure où, en France, de plus en plus de voix, y compris haut placées, appellent à extraire certaines décisions politiques du champ du contrôle européen, voire du contrôle juridictionnel tout court. La Cour risque dès lors d’affronter à l’avenir certaines turbulences avec l’État qui l’accueille sur son sol. Si elles se confirment, elles mettront à l’épreuve non seulement sa jurisprudence et son autorité mais encore sa diplomatie juridictionnelle, en l’occurrence incarnée par un nouveau visage.
2. Renouvellement des hautes instances de la Cour. Depuis sa première session en 1959, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà vu s’achever pas moins de seize mandats des hommes et de la femme ayant été appelés à la présider. La dernière d’entre eux, l’irlandaise Síofra O’Leary, a quitté ses fonctions le 1er juillet 2024. Lui a succédé le juge Marko Bošnjak, qui n’occupera toutefois le poste que jusqu’en mai 2025, date de la fin de son mandat de neuf ans en tant que juge élu au titre de la Slovénie. Son élection est un évènement en soi : s’il reprend le siège de la première femme parvenue jusqu’à la plus haute position de la Cour européenne des droits de l’homme, il est quant à lui le premier Président à être issu d’un ancien pays du bloc soviétique, ayant « récemment » ratifié la Convention – en 1994. La présidence de la Cour ne constitue dès lors plus un pré-carré de fait des États d’Europe de l’Ouest (Allemagne, Belgique, France, Italie, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse), nordiques (Islande et Norvège) ou helléniques (Grèce). Il s’agit là d’un motif de réjouissance. Plus inquiétant toutefois est le constat selon lequel pas moins de six juges différents auront occupé le fauteuil présidentiel entre début 2019 et fin 2025, alors que la durée moyenne du mandat présidentiel était jusqu’ici de quatre années. La Cour avait certes déjà connu avant les années 2019 des présidences « courtes », c’est-à-dire inférieures à la durée théorique du mandat – trois ans. Néanmoins, il s’agissait jusqu’alors soit d’un concours de circonstances (la présidence de l’allemand Rudolf Bernhardt lors des derniers mois d’existence de l’« ancienne Cour » en 1998) soit d’un choix stratégique (la présidence du britannique Sir Nicolas Bratza en amont de la conférence de Brighton en 2012). La durée réduite des derniers mandats présidentiels semble par contraste surtout s’expliquer par le « goulot d’étranglement » que constitue l’élection des cinq présidents de section parmi l’ensemble des juges de la Cour, première et cruciale étape du cursus honorarum officieux permettant l’accession à la magistrature suprême de la Cour (présidence de section puis vice-présidence de la Cour). Une étape que vient d’ailleurs de franchir le juge élu au titre de la France, Mattias Guyomar, quatre ans à peine après le début de son mandat… L’instabilité qui règne ces derniers temps au sommet de la Cour inquiète en tout état de cause. En premier lieu, car elle peut rendre difficile l’impulsion, la réalisation et le suivi des nécessaires réformes de la Cour. En deuxième lieu, car elle ne facilite probablement pas une diplomatie juridictionnelle à laquelle le juge strasbourgeois doit beaucoup, particulièrement dans une période où le respect des droits fondamentaux et des principes de l’État de droit n’ont pas le vent en poupe. En troisième lieu, car la présidence de la Cour peut avoir un rôle de stabilisation jurisprudentielle de par ses fonctions de présidence de la Grande Chambre et du collège de cinq juges de la Grande Chambre, par définition rendu impossible lorsque la fonction est occupée pour une brève période. Il faut dès lors espérer un retour à des présidences complètes de trois années, ce d’autant que la Cour européenne des droits de l’homme a continué dans la première moitié de 2024 à être sur tous les fronts ouverts par ses différents modes de saisine.
3. Une juridiction sur tous les fronts. Les trois principaux modes de saisine de la Cour – affaires interétatiques de l’article 33, requêtes individuelles de l’article 34 et demandes d’avis du Protocole 16 – ont tous été à l’honneur dans sa jurisprudence au premier semestre 2024.
Demandes d’avis. S’agissant tout d’abord des demandes d’avis, le collège de la Grande Chambre a décidé de ne pas accepter deux d’entre elles, portant respectivement sur la notion d’acquittement au sens de l’article 4 § 1 du Protocole no 7 et sur l’éventuelle application du volet pénal de l’article 6 § 1 à une procédure d’évaluation des biens. Dans les deux cas, c’est essentiellement l’existence d’une jurisprudence bien établie permettant de répondre aux questions posées qui justifie la décision du collège. Toutefois, l’une des deux demandes, en l’occurrence formulée par la Haute Cour de cassation et de justice de Roumanie, voit la Cour souligner par obiter dictum que les juridictions de renvoi doivent justifier leur choix de la saisir d’une demande d’avis lorsque des questions proches ont déjà été posées par une juridiction du même État à la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. Les risques d’interférence entre les deux mécanismes relèvent ainsi du contexte juridique et factuel de l’affaire pendante dont le juge national a le devoir d’informer la Cour dans sa demande d’avis. Sur ce terrain, il convient de remarquer que plusieurs juridictions ont pris l’habitude d’interroger régulièrement le juge luxembourgeois au sujet de questions touchant aux droits et libertés fondamentaux – la Cour constitutionnelle belge en étant un parfait exemple. Le temps long permettra de dire si le flux de telles questions se détourne en tout ou partie vers la juridiction strasbourgeoise, et le cas échéant si des stratégies sont à l’œuvre derrière le choix de saisir l’une ou l’autre, par-delà l’obligation de renvoi pouvant peser en application de l’article 267 du TFUE sur les Hautes juridictions des États membres de l’Union européenne.
Requêtes individuelles. S’agissant ensuite des requêtes individuelles, un nouveau contentieux de masse continue d’occuper la Cour européenne des droits de l’homme, qui a communiqué deux séries de mille requêtes chacune à la Turquie lors du premier semestre 2024, après un premier millier en décembre 2023. Toutes ont trait à des condamnations pénales pour appartenance à une organisation terroriste fondées sur l’utilisation alléguée par les intéressés de la messagerie cryptée « ByLock », et s’inscrivent dans la lignée de l’arrêt Yüksel Yalçinkaya c/ Turquie (n° 15669/20), évoqué dans la précédente livraison de la chronique. La soutenabilité d’un tel contentieux – plus de 8000 requêtes au total sont pendantes à ce sujet – est évidemment une question d’importance, et appellera sans doute la Cour à des stratégies innovantes dans un contexte turc rendu particulièrement problématique par des oppositions majeures entre juridictions internes au sujet de l’exécution des arrêts européens. Ce contexte délicat n’empêche pour autant pas le juge strasbourgeois de rappeler son attachement au droit de le saisir, qu’il a dégagé de l’article 34 de la Convention. Ainsi, dans un arrêt Boškoćević c/ Serbie (no 37364/10), qui aura hélas mis près de quatorze ans à être adopté, la Cour a conclu à la violation de cette disposition après que le requérant, employé d’une société d’État, ait reçu un courrier lui indiquant qu’il avait manqué à ses obligations et risquait le licenciement du simple fait qu’il avait saisi la juridiction strasbourgeoise d’une requête. La circonstance que le requérant ne soit pas directement employé par l’État n’empêche heureusement pas la Cour de conclure à l’existence d’une pression constitutive d’une atteinte au droit de recours individuel sous-tendant le système de la Convention. Il s’agit là d’un triste rappel que non seulement certains États acceptent toujours mal le droit de recours individuel dans certaines affaires, mais encore qu’une partie d’entre eux peuvent agir dans le but de dissuader ou d’empêcher l’exercice de ce droit1. En tout état de cause, l’attachement de la Cour au recours individuel n’empêche pas que certaines critiques soient soulevées à l’encontre du traitement procédural d’une affaire particulière. Une partie de la doctrine s’est ainsi récemment émue du rejet en juge unique de la requête Asmeta c/ France, relative à l’interdiction du port du hijab par une élève-avocate2. Il convient d’admettre que, s’agissant d’une affaire aussi sensible, et même à supposer que la requête ait été irrecevable pour des raisons ne tenant pas à la problématique de fond (épuisement des voies de recours internes, qualité de victime ?), un traitement par un comité statuant de plano aurait été plus pertinent pour éviter la consternation des observateurs de la jurisprudence strasbourgeoise.
Requêtes interétatiques. S’agissant enfin des requêtes interétatiques, la Cour a adopté deux arrêts d’importance au premier semestre 2024. Tous deux sont malheureusement voués à l’inexécution puisqu’ils concernent la Fédération de Russie, mais ils ont le mérite de constituer, sur le terrain du droit international des droits de l’homme, une continuation des constats de violation des principes de base du droit international public ayant eu lieu lors de l’invasion d’une partie de la Géorgie, en 2008 (Géorgie c/ Russie, no 39611/18), et de l’annexion de la Crimée, en 2014 (Gde Ch., Ukraine c/ Russie, nos 20958/14 et 38334/18). Dans la première affaire, relative à l’établissement de frontières administratives entre les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et le reste du territoire géorgien, la Cour parvient au constat de violation de pas moins de sept dispositions de la Convention, dont ses articles 2 et 3. À ce titre, elle estime disposer d’assez d’éléments pour conclure au-delà de tout doute raisonnable que les incidents allégués (dont des meurtres aux frontières administratives) n’étaient pas isolés et qu’ils étaient suffisamment nombreux et liés entre eux pour constituer « un ensemble ou un système de violations », à tout le moins tolérés par l’État russe du fait de son inertie apparente en matière d’enquête. Dans la seconde affaire, l’arrêt adopté par la Grande Chambre bat tristement quelques records, avec notamment pas moins de 14 dispositions de la Convention violées en l’espèce (articles 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 18, 1P1, 2P1 et 2P4). La Cour conclut à l’inconventionnalité de nombreuses pratiques administratives de la Russie, dont la seule énumération fait froid dans le dos : disparitions forcées, mauvais traitements, conditions dégradantes de détention, détentions secrètes, application rétroactive du droit pénal russe, impossibilité de renoncer à la nationalité russe, transfert de prisonniers ukrainiens dans des établissements pénitentiaires situés en Fédération de Russie, fermeture de médias et harcèlement de chefs religieux hostiles au pouvoir occupant, expropriations à grande échelle, persécution des enfants ukrainophones à l’école… La liste s’étend presque indéfiniment, glaçante. Fait remarquable pour un arrêt aussi long et une situation aussi complexe, l’arrêt est entièrement adopté à l’unanimité et ne fait l’objet d’aucune opinion séparée. Cela est sans doute bien peu de choses lorsque résonne le chant des canons, mais au moins la Cour parle-t-elle ici d’une seule voix face au retour de la guerre sur le théâtre européen.
4. Plan de la chronique. Pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2024, plusieurs thèmes ont été retenus. Seront traités le contentieux climatique (I), les liens entre Convention et droit international (II), le droit à réparation par la justice (III), la protection et le maintien de l’ordre (IV) et, enfin, les questions de société (V).
I – La justice climatique au sens de la cedh : évolution majeure plus que révolution
5. Ouverture raisonnée au contentieux climatique – Très attendues et destinées à faire date, les conclusions de la Cour, rendues le même jour – soit le 9 avril 2024 – par la même Grande chambre3 dans les trois affaires Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c/ Suisse (préc.), Carême c/ France (n° 7189/21) et Duarte Agostinho et autres c/ Portugal et 32 autres Etats membres (n° 39371/20), fixent ensemble la politique jurisprudentielle qui doit s’appliquer aux causes portant sur l’insuffisance des actions étatiques en matière de lutte contre le changement climatique, non sans démentir certains pronostics désabusés qu’on avait cru pouvoir hasarder.
Loin de sacrifier à une vision sclérosante des droits de l’homme, qui les réduirait à des prérogatives strictement individuelles dépassées par un enjeu collectif à la fois transnational et intergénérationnel4, l’arrêt de violation, dans l’affaire des Aînées suisses, permet en effet au système de la Convention d’opérer un véritable saut qualitatif. Reconnaissant pleinement la nature vitale, complexe et spécifique de la question climatique, la Cour décide de ne pas lui transposer directement sa jurisprudence environnementale, forgée à propos d’atteintes locales associées à une source unique de dommage, mais d’initier au contraire une approche adaptée aux caractéristiques du phénomène, en termes notamment de règles de causalité et de preuve5. De la même manière que l’objection de la « goutte d’eau dans l’océan » s’en trouve écartée (§ 444) et le principe d’une responsabilité individuelle des États confirmé (§ 442), toute controverse d’arrière-garde quant à l’effet du changement climatique sur la jouissance des droits protégés par la Convention est ainsi évacuée, au vu de l’évolution des connaissances scientifiques et des normes juridiques internationales, sur la base desquelles le juge européen tient d’emblée pour acquis que des mesures doivent être prises d’urgence pour limiter le réchauffement anthropique à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels (§ 436).
Pour autant, son propos n’est ni de transformer la CEDH en pacte mondial sur le climat, ni de s’ériger en jurislateur. Dans un contentieux qui interroge particulièrement la séparation des pouvoirs (§ 413), la Cour ne manque pas de souligner les limites qui s’imposent à son propre office mais aussi, de manière plus générale, aux autorités judiciaires, dont le contrôle – inhérent aux exigences de l’État de droit – ne saurait pourtant être un substitut à l’action d’un pouvoir législatif démocratiquement élu (Verein KlimaSeniorinnen Schweiz, § 412). En ce sens, le rôle du juge peut seulement être complémentaire (et pour ce qui concerne la Cour, subsidiaire). Toute une dialectique se met ainsi en place. Lu isolément, l’arrêt contre la Suisse oscille déjà entre vigilance et tempérance ; couplé aux deux décisions parallèles d’irrecevabilité, dans les affaires Carême et surtout Duarte Agostinho, il manifeste plus encore qu’adaptation du cadre conventionnel ne signifie pas dénaturation.
A. L’adaptation du système de la CEDH à la spécificité de la question climatique
6. Création d’un cas inédit de locus standi au profit des actions associatives – L’importance des actions associatives pour la défense des causes environnementales a déjà été soulignée de longue date dans le cadre du droit à un procès équitable6. Sur ce terrain, leur « particulière pertinence » se confirme a fortiori face au changement climatique, donnant lieu dans l’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz à un nouvel assouplissement des conditions d’applicabilité de l’article 67 et conduisant la Cour à dénoncer en l’occurrence une décision interne d’irrecevabilité pour actio popularis, non seulement trop prompte à minimiser l’urgence d’une action publique volontariste (§ 635), mais aussi trop indifférente à la qualité à agir de l’association et à la nature hybride de son recours (§ 634 et § 636). Les juridictions nationales – dont le rôle clé dans ce type de litige ne manque pas d’être souligné (§ 639) – sont donc averties. Encore le constat d’une atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal n’est-il pas l’élément le plus significatif.
Car l’intérêt spécifique de l’arrêt se situe avant tout du point de vue de l’objet des griefs susceptibles d’être portés à Strasbourg par une ONG, lequel déborde pour la première fois le champ du droit à un procès équitable pour s’étendre au droit au respect de la vie privée, familiale et du domicile (art. 8). Certes, la Grande chambre ne remet pas en cause la traditionnelle jurisprudence selon laquelle une personne morale ne peut se prétendre victime de la violation d’un droit substantiel à raison de nuisances ou de troubles dont seules les personnes physiques peuvent ressentir les effets8. Mais elle ne la contourne pas moins – avec un résultat à peu près équivalent à un revirement – en déplaçant le débat sur la question du titre à agir de l’association requérante, en tant que représentante de ses membres (§ 496). Se voit consacré un cas tout à fait inédit de locus standi9, propre au contentieux climatique et justifié par le constat que, dans ce domaine « où la répartition de l’effort entre les générations revêt une importance particulière », l’action collective menée par le biais d’associations ou d’autres groupes d’intérêt peut être l’un des seuls moyens pour des personnes nettement défavorisées sur le plan de la représentation (en particulier les générations futures) « de faire entendre leur voix et de tenter d’influer sur les processus décisionnels pertinents » (§ 489).
Eu égard au principe suivant lequel la Cour ne saurait accueillir aucun grief de type abstrait, formulé dans l’intérêt commun (§ 500), trois conditions doivent certes être réunies : primo, que l’association ait été légalement constituée dans le pays concerné ; secundo, qu’elle poursuive un but spécifique, conforme à ses objectifs statutaires, dans la défense des droits fondamentaux de ses adhérents et d’autres individus touchés contre les menaces liées au changement climatique au sein de l’État défendeur ; tertio, qu’elle puisse être considérée comme véritablement représentative et habilitée à agir pour le compte de personnes se trouvant exposées à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au phénomène. Mais ces conditions apparaissent d’autant moins restrictives qu’elles ne supposent pas d’établir la qualité de victime desdits adhérents ou autres individus concernés au sens de l’article 34 (§ 502). Dès lors qu’elles déterminent en même temps l’applicabilité de l’article 8 de la Convention (§ 520) et permettent donc de justifier de la compatibilité à la fois ratione personae et ratione materiae du grief, les ONG semblent ainsi accéder, dans le contentieux climatique, à un statut de requérant semi-privilégié devant la Cour européenne des droits de l’homme.
7. Consécration d’une nouvelle obligation positive de protection à la charge des États – Corollairement, l’autre apport de l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz – et sans doute le principal – est d’attacher audit article 8 « un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie » (§ 519 et § 544). Donnant tout son sens à l’ouverture du prétoire européen aux actions associatives, cette nouvelle application (particulièrement remarquable) de la technique de « protection par ricochet » se traduit en effet, sur le fond, par la consécration d’une double obligation positive matérielle, dont l’examen – inscrit dans le cadre d’une marge nationale d’appréciation dissymétrique – se fonde, d’une part, sur une grille de cinq critères, en tenant compte, d’autre part, des garanties procédurales offertes dans l’ordre juridique interne.
Pour résumer, les États ont le devoir primordial au titre de l’article 8 d’élaborer et d’appliquer des mesures d’atténuation, visant à une « réduction importante et progressive de [leurs] niveaux d’émission de GES [gaz à effets de serre], aux fins d’atteindre la neutralité nette, en principe au cours des trois prochaines décennies » (§ 548), complétées par des mesures d’adaptation destinées pour leur part « à amoindrir les conséquences les plus sévères ou immédiates du changement climatique, en tenant compte de tout besoin particulier de protection » (§ 552). Ils conservent une ample marge d’appréciation quant au choix des moyens, mais ne disposent que d’une latitude réduite quant à la définition des objectifs, qui découlent notamment de leurs engagements internationaux au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et de l’Accord de Paris sur le climat (§ 543). À partir de là, et conformément à l’ordre de priorité établi entre atténuation et adaptation, la conventionnalité des politiques climatiques nationales s’évalue de manière globale, au regard i) de l’existence d’un calendrier précis à respecter et d’une méthode de quantification des futures émissions de GES, pour atteindre la neutralité carbone ; ii) de la définition d’objectifs et trajectoires intermédiaires de réduction des émissions, iii) de la fourniture de preuves de conformité aux objectifs pertinents ou du moins d’efforts pour les réaliser, iv) de l’actualisation des objectifs selon les meilleures données disponibles et v) d’une action diligente et cohérente pour déployer la législation et les mesures pertinentes (§§ 550-551). Enfin, est également prise en compte l’équité du processus décisionnel interne, qui doit permettre au public, et plus particulièrement aux personnes susceptibles d’être concernées par les mesures, d’avoir accès aux informations pertinentes détenues par les autorités et d’être consulté (§ 554), ce paramètre ultime d’évaluation recoupant des obligations positives procédurales déjà consacrées dans le domaine environnemental.
8. Contrôle de conventionnalité doublement renforçateur – Dans la logique du tournant opéré depuis le début des années 2010, le contrôle européen reste ainsi axé sur la manière dont les pouvoirs publics s’acquittent de leurs responsabilités, plutôt que sur la substance même des mesures adoptées. Il n’en comporte pas moins des exigences assez détaillées pour constituer un instrument efficace de rappel aux impératifs de la lutte contre le réchauffement terrestre, comme en témoigne en l’espèce un constat quasi-unanime de violation, faute pour l’Etat défendeur d’avoir conçu, développé et mis en œuvre en temps utile un cadre législatif approprié, incluant un budget « carbone ».
Au-delà du cas de la Suisse, réputée pour être à la traîne en matière de réduction des émissions de GES, l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz apporte alors un double renfort à la justice climatique. D’une part, le contrôle de la Cour de Strasbourg complète au niveau régional celui possiblement exercé par la CJUE sur le fondement du Règlement (UE) 2021/1119, en l’absence de juridiction internationale dédiée. D’autre part, les implications attribuées au droit au respect de la vie privée et familiale ne peuvent que stimuler le contrôle « proactif » et/ou « prescriptif » opéré par les juridictions nationales, qu’il ait déjà emprunté à la protection des droits de l’homme10ou non11.
En tous cas, la réception de la nouvelle jurisprudence européenne en droit interne est manifestement requise, pour éviter que la démonstration d’une force opérante de la CEDH en matière climatique ne crée un « appel d’air » vers la Cour. Déjà engorgée par un stock de 68.450 affaires pendantes fin 2023, celle-ci s’est cependant employée à prévenir la formation d’un contentieux de masse.
B. La soumission des actions climatiques au système de la CEDH
9. Durcissement des conditions d’accès des particuliers au prétoire européen – D’emblée, les ajustements aux caractéristiques du changement climatique ne se révèlent pas tous bénéfiques aux requérants. S’ils sont favorables aux actions des associations (cf. supra), ils se traduisent au contraire, pour les particuliers, par un durcissement de l’indispensable qualité de victime, afin de ne pas vider de sa substance l’interdiction des actio popularis, ni nuire au « fonctionnement effectif du droit de recours individuel » (§ 483).
Au motif que chacun peut subir directement (ou a fortiori risquer de subir directement) les effets néfastes de la modification du climat, l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz exclut donc, en premier lieu, toute application de la notion de victime potentielle en la matière (§ 485). La ligne est plus radicale que celle adoptée dans le domaine environnemental, où s’agissant de sources putatives de dommage, la Cour exige seulement – tout étant relatif – des « preuves plausibles et convaincantes de la probabilité de survenance d’une violation dont[le requérant] subirait personnellement les effets »12.
Pour le même motif, c’est, en second lieu, la qualité même de victime directe qui se voit subordonnée à deux éléments cumulatifs, particulièrement et volontairement rigoureux, tenant d’une part à une exposition « intense » aux conséquences néfastes du changement climatique et d’autre part, à un besoin « impérieux » de protection individuelle en l’absence de mesures raisonnables ou adéquates de réduction du dommage (§§ 487-488). Dans l’affaire Carême c/ France, ce seuil rehaussé de gravité a plus encore voué à l’échec les griefs soulevés par l’ex-maire de Grande-Synthe, qui – en soi – se rapprochaient déjà dangereusement d’une actio popularis, dès lors que l’intéressé, devenu député européen et désormais installé à Bruxelles, ne pouvait plus guère se prévaloir de l’exposition de son ancien lieu de résidence à un risque climatique fort. En ce cas, les nouveaux critères établis par la Grande chambre n’ont fait, en somme, qu’accuser une probable irrecevabilité. En revanche, leur portée intrinsèquement restrictive s’illustre à plein, dans l’affaire Verein Klimaserioninnen Schweiz, envers les requêtes introduites à titre individuel par quatre des membres de l’association, qu’on aurait pourtant pu penser mieux fondées à se plaindre d’une atteinte spécifique à leur bien-être, leur qualité de vie et leur santé. Aux yeux de la Cour, toutefois, la circonstance que leur âge avancé13les rangeait a priori dans l’une des catégories les plus vulnérables au changement climatique ne suffit pas (§ 531) : en l’absence d’un problème médical critique dont l’aggravation possible par les vagues de chaleur ne pourrait être atténuée par des mesures raisonnables d’adaptation individuelles, la qualité de victime leur est déniée sur le terrain des article 8 et 2 de la Convention (§ 535).
Confortée par une inapplicabilité à leur égard de l’article 6§1, au motif que les actions engagées devant les tribunaux internes n’auraient pas eu une issue directement déterminante sur leurs droits particuliers (§ 624), cette conclusion rend tangible le souci de parer une multiplication tous azimuts des actions contentieuses, même si la porte n’est pas complètement fermée aux personnes physiques. Ajournée dans l’attente des décisions de la Grande chambre, la requête Müllner c/ Autriche (n° 18859/21) a d’ailleurs été, depuis, communiquée au gouvernement, le 1er juillet. Portée par un ressortissant autrichien, souffrant d’une sclérose en plaques qui le contraint à utiliser un fauteuil roulant lorsque la température atteint ou dépasse les 30 degrés Celsius, l’affaire devrait fournir un éclairage complémentaire sur le filtrage impliqué par la notion de victime.
10. Le rejet d’une modification du cadre de comparution des États devant le juge européen – Par ailleurs, le changement climatique n’emporte pas non plus ajustement de toutes les caractéristiques du système conventionnel. Au contraire, la décision d’irrecevabilité Duarte Agostinho se distingue par un net refus de faire endosser au mécanisme de la Convention un rôle qui n’est pas le sien, sous prétexte de la dimension transnationale et multilatérale du problème.
Les griefs dirigés contre le Portugal, pays de nationalité et de résidence des six jeunes requérants, sont ainsi rejetés pour défaut d’épuisement préalable des recours internes, sans que la Cour s’arrête à l’idée que les intéressés devraient en être dispensés à partir du moment où il serait assez vain de rechercher la responsabilité d’un seul État et impossible d’engager des procédures devant les tribunaux de tous. Sur ce terrain, l’argument pris de l’existence d’un système complet de recours dans l’ordre juridique portugais paraît certes passer assez rapidement sur l’exigence de leur effectivité, jugée établie par la seule réalité, en droit interne, d’un contentieux environnemental qui n’a encore jamais spécifiquement porté sur les responsabilités climatiques de l’État (§ 224). Ce n’est pas moins à bon droit que la Cour exclut de se transformer en juge de première instance de ce type de causes et que, campant sur la subsidiarité de son office, elle réfute vigoureusement la thèse suivant laquelle la compatibilité avec la Convention des mesures prises par les États face au réchauffement climatique est une question inédite, dont la portée supranationale appellerait à leur fournir directement des indications sur leurs obligations en la matière. De fait, même dans le cadre des demandes d’avis consultatif en vertu de Protocole n° 16, qui ont précisément été conçues pour permettre une résolution préalable de questions de principe relatives à l’interprétation de la CEDH, la saisine des tribunaux internes, jusqu’au dernier ressort, s’impose par définition, puisque seules les juridictions nationales suprêmes peuvent interroger la Cour. Le changement climatique ne saurait donc être érigé en motif d’exemption par nature de l’obligation d’épuisement préalable, indépendamment de toute circonstance particulière propre à la situation personnelle des requérants.
Pour la Grande chambre, il ne peut davantage être question d’en faire un fondement distinct et inédit de juridiction extraterritoriale ou un facteur d’élargissement des motifs existants, ce qui conduit à disqualifier parallèlement les griefs dirigés contre les 31 autres États défendeurs avec lesquels les requérants ne présentent aucun lien particulier de rattachement. Les spécificités en termes de causalité ne sont pas tenues pour telles qu’elles puissent en elles-mêmes justifier pareille modification par voie prétorienne du champ de la responsabilité encourue par les Parties en vertu de l’article 1 de la Convention (§ 195). La dimension multilatérale du changement climatique est encore moins de nature à faire admettre que leur juridiction ratione personae au-delà des frontières puisse être établie sur la base d’un contrôle exercé, non sur la personne même des victimes (comme le veut la jurisprudence européenne existante), mais sur « les intérêts des requérants protégés par la Convention » (comme le souhaitaient les demandeurs). Car un tel critère donnerait une étendue à la fois gravement imprévisible et tout à fait excessive aux obligations découlant de la CEDH : d’abord parce que la part respective des émissions de GES de tel ou tel État dans leurs effets néfastes à l’étranger serait difficile à isoler (§ 207) ; ensuite – sinon surtout – parce que « des personnes pouvant se trouver à peu près n’importe où dans le monde » devraient alors logiquement être considérées comme recevable à se plaindre des actions ou omissions de n’importe quelle Partie contractante (§ 206 et § 208). En bref, du point de vue de la CEDH, il faut comprendre que « la lutte contre le changement climatique au moyen de la réduction des émissions de GES à la source relève en premier lieu de l’exercice de la juridiction territoriale » (§ 207)14. D’aucuns regretteront peut-être que, contrairement au Comité des droits de l’enfant15, la Cour européenne des droits de l’homme se démarque donc des conceptions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, pour laquelle « Aux fins de l’article 1 § 1 de la Convention américaine, tout individu dont les droits […] ont été violés du fait d’un dommage transfrontière est soumis à la compétence de l’État d’origine du dommage, l’État en question exerçant un contrôle effectif sur les activités menées sur son territoire »16. Il nous semble néanmoins qu’à défaut d’être progressiste, cette solution réaliste reste la plus cohérente, aussi bien du point de vue des justiciables (qui ne gagneraient rien à une extension de la juridiction extraterritoriale des États s’ils devaient ensuite être déboutés pour non-épuisement des voies de recours internes) que de la vocation du système CEDH.
C. Boiteux-Picheral
II – Convention et droit international
11. S’il est rare qu’un semestre passe sans que la jurisprudence de la Cour ne démontre les multiples interconnexions existant entre droit de la Convention et droit international, les six premiers mois de l’année 2024 ont vu être adoptés des arrêts et décisions particulièrement intéressants en la matière, du fait des thématiques abordées ou de la démarche retenue par le juge strasbourgeois.
A. Refus d’informer sur une plainte déposée contre un chef d’État étranger
12. Absence de juridiction de la France, malgré la compétence universelle, au titre de l’article 3 de la Convention. Si la décision M. M. c/ France (no 13303/21) ne surprend guère par sa conclusion – les autorités françaises pouvaient sans violer la Convention refuser d’informer sur une plainte avec constitution de partie civile déposée contre le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi –, le raisonnement suivi pour y parvenir mérite l’attention. Quelques mots sur les faits de l’espèce s’imposent à titre liminaire pour le comprendre. Le requérant fut grièvement blessé à l’œil lors d’une manifestation dénonçant le coup d’État du 3 juillet 2013, en un temps où l’actuel président égyptien occupait entre autres les fonctions de Commandant en chef des Forces armées. Alors même qu’il habitait en 2014 aux États-Unis d’Amérique et n’avait pas de lien particulier avec la France, le requérant se rendit dans l’hexagone à l’occasion d’une visite officielle du président Al-Sissi afin de déposer plainte au titre de la compétence universelle pénale des juridictions françaises. Le juge d’instruction saisi de la plainte, la chambre d’instruction de la cour d’appel et la Cour de cassation, bien que pour des motifs différents, conclurent tous dans le sens d’un refus d’informer sur la plainte en question. Le requérant se tourna alors vers la Cour européenne des droits de l’homme pour dénoncer ce refus, à la fois sous le pavillon de l’article 3 de la Convention, pris en son volet procédural, et sous celui de son article 6 §1. Si aucun de ces deux griefs jumeaux ne prospère, des raisons bien différentes l’expliquent et font tout l’intérêt de l’arrêt. S’agissant d’une part du grief tiré du volet procédural de l’article 3 de la Convention, c’est un raisonnement tiré du défaut de juridiction de la France, et donc une irrecevabilité pour incompétence ratione loci de la Cour, qui sont opposés au requérant. La Cour poursuit l’approfondissement d’un sillon jurisprudentiel notamment creusé à l’occasion des affaires M. N. et autres c/ Belgique (déc., Gde Ch., no 3599/18), relative à un refus de visa sollicité par une famille syrienne dans une ambassade belge, et H. F. et autres c/ France (nos 24384/19 et 44234/20), à propos du refus de rapatrier les enfants de djihadistes de l’État islamique retenus en Syrie. De jurisprudence établie, lorsqu’un État partie à la Convention n’a pas ouvert d’enquête ou de procédure concernant des faits survenus en dehors de sa juridiction, il convient de rechercher si un lien juridictionnel peut en tout état de cause être établi pour que les obligations procédurales découlant notamment des articles 2 ou 3 s’imposent à cet État. L’apport de la décision commentée ici est d’affirmer que l’existence d’une compétence universelle des juridictions françaises en matière pénale « ne saurait constituer, par elle-même, une circonstance propre de nature à créer un lien juridictionnel permettant de s’écarter du principe de juridiction territoriale tel que consacré par la Convention » (§ 52). En l’absence de tout lien entre le requérant et l’État défendeur, aucune circonstance particulière n’est par ailleurs constitutive d’un tel lien dans les circonstances de l’espèce. Certes, la jurisprudence de la Cour reste, sur le terrain de la juridiction, quelque peu indéchiffrable – bien malin qui peut prédire la réflexion de la Cour quant à l’existence de circonstances propres à créer un lien juridictionnel. Toutefois, l’exclusion de la compétence universelle du champ de ces circonstances paraît cohérente avec la volonté strasbourgeoise de ne pas imposer une application universelle de la Convention aux États parties. Elle permet par ailleurs de ne pas créer un frein à la reconnaissance progressive de cette compétence universelle au sein des États européens, tout en laissant la porte ouverte à des griefs tirés de l’exercice de cette compétence dans le champ de l’article 6 § 1 de la Convention – un champ certes moins favorable aux requérants par plusieurs aspects, ainsi qu’en témoigne la présente affaire.
13. Caractère raisonnable de la limitation au droit d’accès à une juridiction au sens de l’article 6 § 1. La question de la juridiction n’arrête la Cour que quelques instants sous l’angle du droit à un procès équitable car, « à partir du moment où une personne introduit une action civile devant les juridictions d’un État, il existe indiscutablement un “lien juridictionnel” au sens de l’article 1 de la Convention » (§ 63). Elle conclut par ailleurs à l’applicabilité de l’article 6 § 1, notamment au regard de l’existence d’un droit pour la victime de se constituer partie civile afin d’obtenir réparation du préjudice subi du fait d’actes de tortures, y compris en cas d’actes commis à l’étranger, sur le fondement de la compétence universelle des juridictions françaises en matière pénale. C’est ensuite l’état du droit international qui va justifier la proportionnalité de la restriction apportée au droit d’accès au juge dans le chef du requérant. Aucune exception n’étant à l’heure actuelle reconnue au principe d’immunité pénale des États ou de leur chef, y compris en cas d’allégation de torture, la Cour, dans la lignée de sa jurisprudence constante, refuse de faire office de brise-glace sur ce terrain et d’être la première juridiction internationale à tempérer ce principe. Toutefois, si elle peut convaincre lorsqu’elle souligne que l’immunité des chefs d’État ne s’oppose pas à la présentation d’une nouvelle plainte à l’issue de leur mandat ou, au cours de celui-ci, devant une juridiction internationale, son raisonnement se fait spécieux lorsqu’elle met en avant que le requérant n’a pas été empêché de porter ses griefs devant les tribunaux internes – argument auquel celui-ci doit peut goûter dans la mesure où chaque degré juridictionnel a conclu au refus d’informer en raison de l’immunité dont bénéficiait Abdel Fattah Al-Sissi. La volonté de respecter l’un des principes cardinaux du droit international public, qu’il appartient avant tout à la Cour internationale de justice de concilier avec le jus cogens dont relève l’interdiction de la torture, suffisait ici à justifier la solution retenue.
B. Arrestation et détention d’un juge international
14. Extension des garanties dont bénéficient les juges nationaux aux juges internationaux. La réaction à court, moyen et long terme des autorités turques à la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 a été à l’origine de dizaines de milliers de violations de la Convention européenne des droits de l’homme. Peu de semaines passent sans qu’un arrêt les constatant ne soit adopté par la juridiction strasbourgeoise. Celles relevées dans l’arrêt Aydın Sefa Akay c/ Turquie (no 59/17) sont toutefois remarquables par le lien qu’elles entretiennent avec le droit international. Au moment de son arrestation pour des suspicions d’appartenance au mouvement de la bête noire du régime, Fetullah Gülen, le requérant était en effet juge du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux. Son arrestation, sa détention et les poursuites intentées contre lui étaient donc contraires à la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, et sa libération fut notamment demandée aux autorités turques par une note verbale du bureau des affaires juridiques des Nations Unies et par un ordre du Président du Mécanisme. Confrontée à la situation inédite dans sa jurisprudence d’un juge international arrêté et détenu en violation du droit international, la Cour étend sans hésiter à celui-ci le bénéfice de sa jurisprudence relative à l’indépendance des magistrats nationaux. Deux précisions tenant spécifiquement à un juge international bénéficiant d’une immunité sont par ailleurs apportées par l’arrêt. En premier lieu, le délai mis par les juridictions turques à répondre pour la première fois aux arguments tirés de l’immunité du requérant, à savoir plus de sept mois, est jugé en soi contraire à l’article 5 de la Convention, quelle que soit la solution retenue par les juges nationaux : un tel délai rend de facto « futile » la protection associée à l’immunité. En second lieu, si les juridictions internes peuvent interpréter le droit international pour déterminer l’applicabilité et l’étendue de l’immunité dont le requérant se prévaut, l’interprétation qui en résulte doit être prévisible et conforme au principe de sécurité juridique. Là encore, la Turquie est prise en défaut en l’espèce, ce qui entraîne une seconde violation de l’interdiction des arrestations arbitraires.
15. Première violation des « autres obligations découlant du droit international » de l’article 15 de la Convention. L’arrêt commenté est encore intéressant en ce que, s’agissant d’un second grief tiré de l’article 8 de la Convention et dénonçant la perquisition du domicile du requérant opérée en même temps que son arrestation, la Turquie a vainement cherché à faire valoir son droit de dérogation au titre de l’article 15 de la Convention. Si ce dernier a régulièrement échoué à éviter au régime d’Erdoğan des constats cinglants de violation de la Convention, cela a toujours été du fait de la disproportion des mesures adoptées. Or, de manière inédite à notre connaissance, le bénéfice de cette stipulation conventionnelle est ici écarté car la mesure adoptée par les autorités turques est contraire au droit des immunités internationales. Partant, plutôt que d’être disproportionnée, elle se trouve être en violation des « autres obligations découlant du droit international » de la Turquie, au sens de l’article 15. Cette première mise à l’écart des stipulations relatives à l’état d’urgence conventionnel du fait de l’« incompatibilité internationale » des mesures critiquées permet enfin de donner corps à cette clause d’exclusion, ce qui n’est pas le moindre apport de l’arrêt Aydın Sefa Akay.
C. Restitution de biens culturels illégalement exportés
16. La chatoyante subtilité de la jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole 1. Un État peut-il ordonner le retour sur son sol d’un bien culturel illégalement exporté sans porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la personne l’ayant en sa possession ? L’arrêt J. Paul Getty Trust et autres c/ Italie (no 35271/19) apporte une réponse à cette belle question, profondément ancrée dans le droit international au regard de la multitude de normes applicables (instruments internationaux relatifs à la coopération judiciaire entre États, droit de la mer si le bien culturel en cause a été découvert dans un environnement marin, nombreuses normes relatives aux biens culturels adoptées dans le cadre de l’ONU, du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne…). S’agissant d’une problématique touchant au droit de propriété du détenteur du bien culturel dont le retour est ordonné par un État, c’est l’article 1 du Protocole 1 qui entre en jeu. L’arrêt commenté ne parviendra pas à réconcilier avec la jurisprudence de la Cour les réfractaires à cet article et à ses nombreuses subtilités, dans la mesure où le juge strasbourgeois ne parvient pas ici à définir quelle règle est ici en jeu parmi les trois que contiennent d’après sa jurisprudence les stipulations conventionnelles en question. Cela a de quoi laisser quelque peu pantois le lecteur, mais n’empêche pas de saisir le raisonnement de la Cour quant à l’existence d’une base légale de qualité à la mesure critiquée, au but poursuivi et à la proportionnalité de celle-ci.
17. Spécificités de la restitution d’objets culturels uniques et irremplaçables. Sur ces trois terrains, la Cour ne peut assez souligner la large marge d’appréciation dont bénéficie l’État, notamment au regard du fait que la mesure litigieuse vise à recouvrer un objet culturel unique et irremplaçable – en l’occurrence, un bronze de la période grecque. Il est ainsi notable que la Cour ne trouve rien à redire à l’absence de limitation, dans le droit italien, de la période pendant laquelle l’État peut adopter une mesure de restitution, une caractéristique certes partagée par de nombreux droits nationaux. Par-delà la grande complexité casuistique de l’affaire – le lieu de découverte initiale du bronze n’étant pas établi avec certitude et le parcours de celui-ci avant d’être acquis par la requérante étant assez obscur –, l’influence du droit international sur le raisonnement de la Cour est omniprésente, par exemple lorsqu’il s’agit d’apprécier le comportement de l’acquéreur du bronze. S’agissant de la problématique très délicate de la restitution d’objets culturels, le juge européen démontre ainsi une nouvelle fois sa capacité à manier le droit international pour guider ou justifier son action.
T. Larrouturou
III – Le droit tempéré à réparation en justice
A. La victoire en demi-teinte des descendants de harkis
18. La réparation comme enjeu central – Mettant en cause les défaillances du gouvernement français dans le traitement réservé aux harkis lors de l’accession à l’indépendance de l’Algérie, l’affaire Tamazount et autres c/ France (n° 17131/19 et a.), jugée le 4 avril 2024, a pour premier intérêt de revenir sur une question historique d’importance nationale, qui a d’ailleurs donné lieu – postérieurement à la saisine de la Cour – à adoption d’une nouvelle loi portant reconnaissance de la Nation et instituant un mécanisme d’indemnisation spécifique17. En l’occurrence, l’exigence de réparation apparaît, de fait, centrale : non seulement elle fonde la violation alléguée de l’article 6§1 CEDH à raison de la déclaration d’incompétence opposée par le juge administratif à l’action en responsabilité pour faute introduite par les requérants en ce qui concerne l’absence de protection et le défaut de rapatriement systématique des familles de harkis à la fin de la guerre d’indépendance, mais elle se dessine également derrière les griefs tirés d’une atteinte aux articles 3 et 8 de la Convention, et à l’article 1 du Protocole n° 1, du fait des conditions de vie auxquelles les requérants ont été à l’époque soumis en France, en tant que descendants de harkis, dans le camp dit d’accueil et de transit de Bias (Lot-et-Garonne), puisque, sur ce point, les juridictions internes avaient en revanche fait droit, en appel, à leur réclamation et leur avaient alloué à chacun 15.000 euros d’indemnités tous chefs de préjudice confondus. En concluant à une non-violation sur le premier plan et à une violation sur le second, la Cour ne supplée toutefois que partiellement aux limites de la garantie interne des droits de l’homme.
19. Admission lénifiante d’une injusticiabilité « relative » des actes de gouvernement – Concernant le droit à un procès équitable, l’affaire Tamazount offrait au juge européen une rare occasion de se prononcer directement sur la compatibilité avec l’article 6§1 CEDH de la théorie de l’acte de gouvernement, qui soustrait notamment à la compétence du juge tout acte non-détachable de la conduite des relations internationales de la France18. Bien plus, vu la faute dont les requérants cherchaient la reconnaissance en justice (à savoir l’absence de plan gouvernemental systématique de rapatriement lors de la négociation et de la mise en œuvre des accords d’Évian), un lien constructif aurait paru concevable avec l’obligation procédurale récemment attachée au respect de l’article 3 du Protocole 4 par l’arrêt H.F. et autres c/ France19, où, tout en se défendant de porter une appréciation générale sur les hypothèses dans lesquelles les juridictions internes déclinent leur compétence, la Cour n’en a pas moins condamné (il est vrai, dans des circonstances exceptionnelles) l’immunité juridictionnelle conférée aux refus de rapatriement. Il s’avère cependant que ce recadrage de l’acte de gouvernement ne rejaillit pas sur le terrain du droit d’accès à un tribunal20, de sorte que si les exigences du procès équitable ont largement essaimé à la faveur de la procéduralisation des droits substantiels, ladite procéduralisation n’a pas nécessairement vocation à inspirer en retour un renforcement du droit à une décision juridictionnelle. En l’occurrence, les griefs des requérants achoppent ainsi sur trois arguments, l’un de légitimité, les deux autres de proportionnalité : le premier tenant à la préservation de la séparation des pouvoirs, pour éviter une remise en cause par le juge de décisions d’ordre diplomatique et militaire dans le contexte des relations entre la France et l’Algérie (§ 114) ; le deuxième se nourrissant à la fois de la réduction progressive de la catégorie des actes de gouvernement, à travers la technique de l’acte détachable (§ 116) et de l’incompétence de la Cour pour connaître de prétendues erreurs de droit ou de fait dans l’interprétation du droit interne, sauf arbitraire (§ 118) et le troisième étant pris – quitte à faire l’impasse sur la rigueur des conditions relatives à la preuve d’un préjudice anormal et spécial – de la possibilité alternative qui reste aux requérants d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat français (§ 121). Aux termes d’une motivation passablement déférente envers les compétences étatiques, qui dénoncerait à elle-seule le fantasme du gouvernement des juges, il suffit donc au respect du droit à un tribunal que les actes de gouvernement ne soient pas investis d’une immunité générale et absolue (§ 124).
20. Condamnation moyennement enrichissante de l’indignité des conditions d’accueil des harkis en France – Certes, la défaite des requérants sur le terrain de l’article 6 semble compensée par les constats de la Cour concernant l’indignité de l’accueil qui leur a été réservé dans leur enfance et l’on ne saurait prétendre que la reconnaissance d’une responsabilité internationale de la France à leur égard soit anodine.
En soi, toutefois, la caractérisation de traitements dégradants, ainsi que celle d’une violation tant du droit au respect de la vie privée que du droit au respect des biens, ne fait que reprendre et confirmer les appréciations du juge interne (§ 155). Aussi l’apport propre du contrôle européen consiste-t-il surtout à stigmatiser la modicité des réparations accordées sur le plan national, qui – faute d’être adéquates et suffisantes au regard de la nature des violations constatées – ne sauraient, selon une jurisprudence européenne constante, priver les requérants de leur qualité de victime au sens de l’article 34 CEDH (§ 162). Sachant que le barème appliqué par les juridictions administratives en l’espèce (de l’ordre de 1 000 EUR par année passée dans le camp) équivaut à peu près à celui ultérieurement fixé par le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022, c’est la conventionnalité du nouveau dispositif d’indemnisation forfaitaire qui apparaît ainsi sujette à caution, tant il reste en-deçà du taux retenu par la Cour elle-même au titre de l’article 41 de la Convention, à savoir 4000 euros par année (§ 177).
Concrètement, les requérants n’en retirent cependant qu’une modeste satisfaction équitable, du fait d’une stricte délimitation ratione temporis. S’étant refusée d’autorité à reconnaître une situation de violation continue, formée avant l’adhésion de la France à la CEDH mais se poursuivant après, la juridiction européenne fixe en effet le point de départ de sa compétence au 3 mai 1974 (§ 134) et en déduit logiquement que, sur toute la période durant laquelle les intéressés ont vécu dans le camp de Bias jusqu’à sa fermeture officielle en décembre 1975, seules les années 1974 et 1975 peuvent entrer dans son calcul (§ 178). En conséquence, la réparation finalement accordée par la Cour ne s’élève alors guère – après déduction proratisée des sommes déjà octroyées par le juge interne – qu’à 5.858 euros dans le meilleur des cas21. Quoique la faiblesse relative de ce montant n’enlève rien à la cruelle insuffisance reprochée au système national d’indemnisation, le gouvernement n’aura donc pas non plus à payer dans l’immédiat un prix trop élevé pour racheter l’honneur de la France vis-à-vis des supplétifs de son armée et de leurs familles…
Le sentiment d’une certaine autolimitation de la Cour se confirme a fortiori sur un tout autre terrain, concernant les procédures civiles ou administratives d’indemnisation consécutives à une décision d’acquittement au pénal.
B. L’indemnisation conditionnelle des « erreurs judiciaires »
21. Homogénéisation restrictive des exigences de l’article 6§2 CEDH – Il est acquis depuis longtemps que les exigences de la présomption d’innocence ne se limitent pas au seul procès pénal ; dès lors que ce dernier n’a pas abouti à un constat définitif de culpabilité, le principe s’oppose, au-delà, à ce que « des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée »22.
À cet égard, l’arrêt de Grande chambre du 11 juin 2024, Nealon et Hallam c/ Royaume-Uni (n° 32483/19 et n° 35049/19) se signale alors au premier chef par une uniformisation du régime de cette garantie et l’abandon officiel de la ligne jurisprudentielle qui accordait – depuis l’arrêt du 25 août 1993, Sekanina c/ Finlande (n° 13126/87, § 30) – un niveau de protection plus élevée aux personnes acquittées en interdisant même de faire état, dans l’examen de leurs demandes d’indemnisation, de soupçons persistants23. Désormais, quelle que soit la nature de la procédure ultérieure liée (demandes en réparation formées par d’anciens accusés, actions civiles engagées par les victimes contre ces derniers ou procédures disciplinaires) et que le procès pénal se soit soldé par un acquittement ou par un abandon des poursuites, les décisions et raisonnements exposés par les autorités internes dans cette procédure ultérieure liée emporteront violation de l’article 6 § 2 de la Convention, uniquement « s’ils reviennent à imputer une responsabilité [c’est-à-dire une culpabilité] pénale au requérant » (§168).
À cette aune, un régime légal peut donc – sans enfreindre l’article 6§2 – subordonner, en toute hypothèse, une indemnisation du dommage causé par la procédure pénale à la condition qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé montre au-delà de tout doute raisonnable que l’intéressé n’a pas commis l’infraction, dans la mesure où le constat négatif selon lequel ce critère rigoureux de preuve manque d’être satisfait « n’est pas assimilable à un constat positif selon lequel il [ledit demandeur] a commis l’infraction » (§ 181).
22. Légitimation pernicieuse d’une érosion de la présomption d’innocence – L’admission d’une définition aussi restrictive de l’erreur judiciaire n’a pas seulement pour effet d’exclure un peu plus l’idée que la présomption d’innocence pourrait ou devrait servir de base à un droit des personnes relaxées à réparation, qui n’est garanti sous conditions que par l’article 3 du Protocole 7 (auquel l’État défendeur s’est d’ailleurs gardé d’adhérer). Elle s’inscrit de surcroît dans une retenue aussi résolue que préoccupante à l’égard des choix nationaux, qui se dévoile dans toute sa splendeur lorsque la Cour déclare en conclusion ne pas avoir « pour tâche de dire comment les États doivent matérialiser l’obligation morale à laquelle ils pourraient être tenus à l’égard des personnes injustement condamnées » (§ 182). Tout dans cette formule, de la récusation d’une obligation juridique à l’emploi du conditionnel, tend ainsi à réduire l’impact du second aspect de l’article 6§2. Car ce qui est en définitive cautionné, c’est – comme n’ont pas manqué de le pointer les cinq juges minoritaires24– un critère qui oblige le demandeur, pour pouvoir obtenir indemnisation, à prouver positivement son innocence sur le plan pénal au moyen d’un fait nouveau, soit un renversement de la présomption même.
C. Boiteux-Picheral
IV – Protection et maintien de l’ordre
A. Recadrage des mesures dérogatoires
23. Eviter l’instrumentalisation de l’état d’urgence. Lorsque l’état d’urgence est déclaré pour un motif précis, celui par exemple de la lutte contre le terrorisme, il ne saurait justifier des mesures très éloignées de cette finalité. Voici en substance l’idée principale qui ressort de la lecture de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Domenjoud c/ France du 16 mai 2024 (n° 34749/16 et 79607/17) à propos d’assignations à résidence prononcées lors de la mise en œuvre de l’état d’urgence sécuritaire (2015-2017). C’est à l’occasion de cette période que l’intensité du contrôle du juge administratif sur les mesures prises au titre de l’état d’urgence connut une évolution significative du moins en apparence. En effet, une décision rendue le 11 décembre 2015 par le Conseil d’Etat concernant justement l’un des requérants de l’affaire Domenjoud, marquait pour la première fois le passage au triple test de l’adaptation, de la nécessité et de la proportionnalité25. Or, tout en appliquant ce contrôle entier, le Conseil d’Etat n’avait rien trouvé à redire d’une assignation résidence prononcée à l’endroit d’une personne qui n’était pas soupçonnée de mener des activités terroristes mais à qui l’on reprochait d’avoir pris « une part active dans la préparation d’actions de contestation visant à s’opposer à la tenue et au bon déroulement » de la COP21. Autrement dit, il importait peu que les motifs ayant inspiré le déclenchement de l’état d’urgence, la lutte contre le terrorisme, ne correspondent pas à ceux ayant justifié la mesure d’assignation à résidence, puisque la priorité était surtout d’éviter la dispersion des forces de l’ordre dans un contexte sensible. Rappelons, enfin, que le 24 novembre 2015, soit quelques jours après les attentats de Paris, le gouvernement français avait informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de sa décision de faire usage du droit de dérogation prévu à l’article 15 de la Convention « pour empêcher la perpétration de nouveaux attentats terroristes ».
24. L’utilisation des assignations à résidence pendant la COP21. En l’espèce, pour éviter des débordements pendant la 21e conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques organisée quelques semaines après les attentats de Paris, le ministère de l’intérieur assigna à résidence les deux requérants (M. Cédric et Joël et Domenjoud) connus pour être des militants écologistes actifs dont on pouvait craindre qu’ils participent à des actions violentes lors de cet événement. L’assignation à résidence les obligeait à se présenter trois fois par jour à heures fixes dans un service de police pour une durée correspondant à celle de la COP 21. Si les juridictions administratives saisies au titre de la procédure du référé-liberté (art. L-521-2 CJA) avaient accepté d’exercer un contrôle de conventionnalité au regard des articles 5 et 2 du Protocole n° 4 à la Convention, elles n’ont pas reconnu une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées. C’est dans ce contexte que les frères Domenjoud ont saisi la Cour européenne en invoquant une violation de ces droits. Ce n’est pas la première fois que le juge européen est amené à contrôler une mesure d’assignation à résidence prononcée pendant l’état d’urgence. Dans un arrêt Pagerie c/ France du 19 janvier 2023 relatif à l’assignation à résidence d’un individu radicalisé entre le 22 novembre 2015 et le 15 novembre 201726, la Cour avait conclu la non-violation de l’article 2 du Protocole n° 4 en se montrant très sensible au contexte de la lutte contre le terrorisme. Cette conclusion l’avait dispensée de s’interroger sur la validité de l’exercice par la France du droit de dérogation27.
25. L’importance d’une évaluation individuelle et circonstanciée. S’agissant de l’article 5, elle estime que les assignations à résidence en cause ne peuvent être assimilées à une privation de liberté dès lors que les requérants ont pu mener une vie sociale et entretenir des relations avec l’extérieur et que la durée des assignations était très courte (§ 72). En ce qui concerne l’article 2 du 4ème protocole additionnel, l’argumentaire méthodologique est des plus classique : sont successivement examinées légalité, légitimité et nécessité dans une société démocratique de l’assignation à résidence. La recherche d’une base légale ne souleva guère de difficultés : dans le sillage de l’arrêt Pagerie précité, l’arrêt indique que l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, répond aux exigences de prévisibilité de la loi. Cependant, il existe une différence de taille avec cette dernière affaire puisqu’en l’espèce les motifs ayant justifié les assignations à résidence ne coïncidaient pas avec les raisons pour lesquelles l’état d’urgence avait été déclaré en France le 14 novembre 2015 (§ 96). Dans un souci d’éviter l’instrumentalisation de l’état d’urgence, l’arrêt relève que tant le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel ont souligné le respect de l’exigence de proportionnalité des assignations à résidence (§ 99). Le point nodal du raisonnement de la Cour se trouve sans doute ici : « (elle) n’aperçoit pas de raison de se départir de sa précédente appréciation et réaffirme que la base légale des mesures litigieuses était prévisible. Elle doit cependant s’assurer que ces garanties ont été mises en œuvre de façon effective, et en particulier que l’existence d’un lien suffisant entre les mesures prises et le cadre de l’état d’urgence a été contrôlée » (§ 101). En d’autres termes, une chose est de dire que l’on se livre à un contrôle de proportionnalité, une autre est de donner une effectivité à ce contrôle en lui faisant produire tous ses effets. Une fois ce constat dressé, la Cour peut en venir au contrôle de nécessité de l’ingérence. In casu, au-delà des aspects classiques (motifs pertinents et suffisants, besoin social européen…), le contrôle de proportionnalité exercé porte sur l’existence d’un « véritable exigence d’intérêt public prévalant sur le droit de l’individu à la liberté de circulation » (§ 103) et « d’un contrôle juridictionnel comportant des garanties procédurales appropriées » (§ 106). En somme, l’enjeu est de savoir si le risque de débordements envisagé par les autorités était d’une gravité telle qu’il était susceptible de mettre en cause l’objectif de prévention du terrorisme. L’arrêt distingue alors la situation des deux requérants. En ce qui a trait à l’assignation à résidence de M. Cédric Domenjoud, la Cour relève que le requérant n’a pas établi l’inexactitude des actes et comportements qui lui étaient reprochés dans des notes blanches produites par le ministre de l’Intérieur devant les juridictions administratives. Aussi, sensible aux « graves difficultés de maintien de l’ordre (rencontrés par plusieurs pays européens) liées à la présence, dans certains rassemblements, d’activistes particulièrement agressifs, réunis en black bloc, déterminés à causer de violentes confrontations avec les forces de l’ordre et d’importantes dégradations pour faire valoir leurs revendications » (§ 116), la Cour estime que les autorités internes ont pu considérer, eu égard à ses antécédents, en particulier la participation à plusieurs actions violentes, qu’il y avait un risque sérieux qu’il réitère de telles actions lors de la COP21. Le lien entre l’assignation à résidence et le cadre de l’état d’urgence tient ici à un argument déjà mobilisé par le rapporteur public X. Domino devant le Conseil d’Etat, à savoir « le lien opérationnel ou fonctionnel, qui tient à l’ampleur de la mobilisation des forces de l’ordre qu’ils pourraient entraîner et à la nécessité de ne pas avoir mobilisé par trop ces forces dans un contexte déjà difficile, où, rappelons-le, le péril est imminent ». Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole n° 4. Il en va autrement pour son frère dans la mesure où les antécédents relevés par le ministère de l’intérieur n’apportaient pas la preuve de la participation à des actions violentes (§ 133). Une mesure aussi grave qu’une assignation à résidence ne pouvait être prononcée sur la seule base de la radicalité de ses positions politiques. Fait ainsi défaut une évaluation individuelle et circonstanciée de son comportement ou de ses actes par les autorités internes.
26. L’atteinte à la liberté de circulation non couverte par la dérogation notifiée par la France. Le constat de violation de l’article 2 du Protocole n° 4 est sans appel mais il restait encore à savoir si elle pouvait être couverte par la dérogation notifiée sur le fondement de l’article 15. Tout d’abord, l’apport de l’arrêt est de préciser que le droit à la liberté de circulation, protégé par un protocole additionnel, est un droit susceptible de dérogation (§ 149). L’existence d’un danger public menaçant la vie de la nation n’étant pas contestée, le contrôle se focalise alors sur l’exigence de stricte nécessité au sens de l’article 15 § 1 de la Convention. Or, comme l’ont souligné dans leurs tierces interventions la défenseure des droits et la Rapporteuse spéciale pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, le décalage entre l’application de la loi du 3 avril 1955 dans un contexte de lutte contre le terrorisme et l’assignation à résidence de M. Joël Domenjoud était plus que problématique. Pour la Cour, l’assignation à résidence ne présentait pas un « lien suffisamment fort » avec cette menace (§ 154). La violation de l’article 2 du Protocole n° 4 n’est donc pas couverte par la dérogation française. L’arrêt restera dans les annales comme le premier arrêt de condamnation de la France dans une affaire relative à la mise en œuvre de l’état d’urgence sécuritaire.
B. Absence d’encadrement juridique de l’encerclement policier
27. Condamnation du recours arbitraire à l’encerclement en France. L’arrêt Auray et autres c/ France (8 févr. 2024, n° 1162/22) mérite de retenir l’attention, car saisie par plusieurs requérants qui avaient fait l’objet l’encerclement pendant plusieurs heures par les forces de l’ordre sur la place Bellecour à Lyon, le 21 octobre 2010, en marge d’une manifestation contre un projet de loi sur la réforme des retraites, la Cour a conclu à une violation de l’article 2 du Protocole n° 4 (liberté de circulation) et de l’article 11 (liberté de réunion). Le constat de l’absence encadrement juridique à l’époque des faits de cette mesure n’est guère une surprise compte tenu des reproches qui avaient déjà été adressés au gouvernement par le défenseur des droits (§ 43 et s.) et de la décision du Conseil d’Etat du 10 juin 2021, qui avait censuré le point du schéma national du maintien de l’ordre relatif à la technique de l’encerclement, en ce qu’il ne précisait pas les cas où il était recommandé de l’utiliser (§ 93). C’est dire en d’autres termes que l’ingérence était dépourvue de base légale. La conclusion selon laquelle l’article 5 ne trouve pas à s’appliquer s’inscrit dans la droite ligne du précédent Austin c/ Royaume-Uni28 dans lequel la Cour avait jugé que le confinement de plusieurs manifestants pendant sept heures à l’intérieur d’un cordon de police, afin de maintenir l’ordre lors d’une manifestation antimondialisation à Londres ne constituait pas une privation de liberté au sens de l’article 5, § 1er. En l’espèce, l’encerclement de la place a duré plus ou moins cinq heures et trente minutes et s’inscrivait dans un contexte de violences urbaines. Le fait que le confinement de plusieurs requérants ait cessé quelques heures après la décision de mettre fin à l’encerclement des manifestants s’explique par les échauffourées qui s’étaient produites sur la place après 17 heures (§ 72).
C. Admission d’une répression de la mendicité
28. Le recours au distinguishing afin de ne pas appliquer un précédent. On se souvient que dans une affaire Lacatus c/ Suisse29 relative à la condamnation à une peine d’amende de la requérante (assortie d’une peine privative de liberté de cinq jours en cas de non‑paiement de la requérante) pour avoir mendié sur la voie publique à Genève, la Cour avait condamné la Suisse pour violation de l’article 8 en mobilisant notamment le principe de dignité humaine. Tout en reconnaissant que le droit de mendier n’est pas absolu, l’arrêt Lacatus pointa du doigt une interdiction absolue de mendier comme excessive et aveugle aux situations singulières comme celle de la requérante particulièrement vulnérable. En l’occurrence, dans l’affaire Dian c/ Danemark (21 mai 2024, n° 44002/22), était en cause la condamnation du requérant à une peine de vingt jours d’emprisonnement pour avoir mendié dans une rue piétonne de Copenhague. Le recours à la technique du distinguishing est notamment mis en exergue afin de ne pas suivre la solution de l’arrêt Lacatus. La Cour relève, en effet, que le requérant ne se trouve pas dans la même situation que Madame Lacatus, laquelle était âgée de 19 ans, analphabète, isolée, sans emploi et extrêmement pauvre de sorte que la mendicité était sa seule option pour survivre (§ 45). Rien de tel en l’espèce puisque si le requérant âgé de 61 ans, était analphabète et sans emploi, il a pu voyager plusieurs fois entre le Danemark et la Roumanie et même envoyer de l’argent à sa famille en Roumanie. Qui plus est, il a été rémunéré à partir de 2013 en vendant un journal Hus Forb et en collectant des bouteilles au Danemark (§ 50). L’autre différence avec l’affaire Lacatus tient à la portée de l’interdiction de la mendicité. Générale en Suisse, elle est autorisée sous certaines conditions (absence de troubles à l’ordre public) au Danemark. Par conséquent, l’article 8 n’est pas applicable.
M. Afroukh
V – Questions de société
A. Religion
29. Une séquence jurisprudentielle illustrative de l’enlacement des contrôles. Qui porte crédit aux rapports de systèmes saluera l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c/ Belgique rendu le 13 février 2024 (n°16760/22) à propos des décrets des régions flamande et wallonne interdisant l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel, qui est une sorte d’hommage à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne sur la même question en décembre 2020. Saisie d’un recours en annulation à l’encontre de ces décrets, la Cour constitutionnelle belge avait posé à la Cour de justice d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, permettant conformément au principe de subsidiarité aux États de conserver « toute règle nationale applicable à la date d’entrée en vigueur dudit règlement, visant à assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort » et sa validité au regard de l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux qui protège la liberté de religion30. Dans cet arrêt, la Cour de justice s’est servie habilement de concepts familiers du juge authentique de la Convention européenne des droits de l’homme (subsidiarité, marge d’appréciation…) pour faire chuter la liberté de religion de son piédestal. Aussi, avait-elle fait référence à une ingérence dans un droit protégé par la Charte, puis de façon stratégique à l’interprétation consensuelle et la théorie de la marge nationale d’appréciation pour juger qu’une législation nationale imposant l’étourdissement réversible de l’animal, dans le cadre de l’abattage rituel ne méconnaît pas la liberté religieuse protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c/ Belgique, qui prête une attention considérable à ce contrôle préalable de la Cour de justice, illustre bien cet enlacement des contrôles. En l’espèce, la Cour européenne a été saisie par plusieurs associations représentant la communauté musulmane ainsi que des ressortissants belges de confession musulmane et des ressortissants belges de confession juive qui résident en Belgique (art. 9 CEDH). La question de droit posée est inédite : le juge européen n’a jamais eu à contrôler une réglementation nationale interdisant l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel. Le débat contentieux est donc bien différent de celui qui était au cœur de l’affaire Cha’re Shalom Ve Tsedek c/ France (27 juin 2000) concernant le refus d’agrément pour pouvoir pratiquer l’abattage rituel opposé à une association représentative d’une tendance minoritaire au sein de la communauté israélite.
30. Précisions significatives sur l’exigence de neutralité. C’est, tout d’abord, sur le terrain de la neutralité que l’arrêt est riche d’enseignements. Il appert d’une jurisprudence constante que le droit à la liberté de religion exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci31. Le rôle de la Cour n’est pas de vérifier si la pratique invoquée est bien dictée par une religion ou si elle est radicale. Cette exigence de neutralité a été au cœur de l’arrêt Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a de la Cour de justice de l’Union européenne sur les conditions techniques dans lesquelles l’abattage rituel doit être pratiqué (29 mai 2018, C-426/16). Suivant les conclusions de l’avocat général Wahl Nils qui soulignait qu’il n’appartient pas au juge d’apprécier si le recours à l’étourdissement des animaux « est effectivement proscrit par la religion musulmane ou si, au contraire (…), il n’est retenu que par certains courants religieux », la Cour de justice a refusé d’entrer dans le « débat théologique qui existerait au sein des différents courants religieux de la communauté musulmane sur la nature absolue ou non de cette obligation ». L’arrêt Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (préc.) était assurément moins clair à propos de cette exigence. En considérant qu’un décret imposant en cas d’abattage rituel un étourdissement réversible insusceptible d’entrainer la mort de l’animal ne se rapportait qu’à un aspect technique de l’abattage rituel, le juge de l’Union ne s’est guère embarrassé de nuances. Il a fait fi de ce que pour de nombreux croyants, l’étourdissement réversible préalable n’est pas compatible avec les préceptes des religions juive et musulmane. Aussi, en l’espèce, l’affirmation de la Cour européenne selon laquelle « (elle) n’est guère équipée pour se livrer à un débat sur la nature et l’importance de convictions individuelles. En effet, ce qu’une personne peut tenir pour sacré paraîtra peut-être absurde ou hérétique aux yeux d’une autre, et aucun argument d’ordre juridique ou logique ne peut être opposé à l’assertion du croyant faisant de telle ou telle conviction ou pratique un élément important de ses prescriptions religieuses (…). Il n’appartient donc pas à la Cour de trancher la question de savoir si l’étourdissement préalable à l’abattage est conforme avec les préceptes alimentaires des croyants musulmans et juifs. Le fait qu’il existerait, tel que l’allègue le Gouvernement (…), une discussion interne ou des avis divergents au sein des communautés religieuses musulmane et juive à cet égard, ne pourrait avoir pour effet de priver les requérants de la jouissance des droits garantis par l’article 9 de la Convention » (§ 85) est-elle la bienvenue.
31. Le bien-être animal, composante de la morale publique au sens de l’article 9§2. Ensuite, l’arrêt Executief van de Moslims van België apporte des éléments de réponse tout à fait intéressants sur les frontières de la liberté de manifester ses convictions religieuses garantie par l’article 9 de la Convention. In specie, la difficulté tient au fait que le bien-être animal n’est pas mentionné comme un but légitime à l’article 9 § 2. Il en va autrement dans l’ordre juridique de l’Union européenne, le bien-être animal constituant un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union (art. 13TFUE). L’absence du bien-être animal de la liste des buts légitimes au sens de l’article 9§2 ne constituait cependant pas un obstacle insurmontable. Certes, la liste des exceptions énumérées par les clauses d’ordre public est exhaustive. La définition de ces exceptions appelle une définition étroite. Mais, la Cour a pu aller au-delà de ces buts comme l’illustre la célèbre affaire S.A.S. c/ France (1er juillet 2014) relative à l’interdiction de la dissimulation du voile intégral dans l’espace public. La Cour y avait rattaché l’objectif du vivre-ensemble à la protection des droits d’autrui. Le bien-être animal peut-il être rattaché à l’un des buts légitimes énumérés à l’article 9 §2 ? À la faveur d’une interprétation vivante de la Convention, elle juge ici que la protection du bien-être animal, composante de la morale publique, peut justifier une ingérence à l’exercice de la liberté religieuse32. Ainsi, à ses yeux, il ne saurait être question d’interpréter la Convention en faisant abstraction de l’environnement dans lequel elle évolue. On ne compte plus les formules fortes, pour ne pas dire les formules choc, destinées à établir la nécessité d’une lecture globale et contextualisée de la Convention : « la protection de la morale publique, à laquelle se réfère l’article 9 § 2 de la Convention, ne peut être comprise comme visant uniquement la protection de la dignité humaine dans les relations entre personnes » ; « la Convention ne se désintéresse pas de l’environnement dans lequel vivent les personnes qu’elle vise à protéger (…), et en particulier des animaux dont la protection a déjà retenu l’attention de la Cour ( …) » (§ 95 et 97). Réceptacle des valeurs auxquelles une société adhère à une époque donnée, la morale publique est ainsi mobilisée. Et c’est une utilisation de l’interprétation évolutive à front renversé qui est ici perceptible : alors que d’ordinaire, celle-ci est mise au service d’une approche progressiste du droit invoqué par les requérants, en l’espèce elle permet d’adopter une lecture extensive des motifs de limitation des droits garantis « compte tenu des évolutions sociétales et normatives intervenues depuis l’adoption de la Convention en 1950 » (§ 97). On ne peut s’empêcher de faire remarquer que c’est souvent la liberté religieuse qui fait les frais de cette réécriture des buts légitimes de sorte que l’idée parfois avancée de son hypertrophie semble bien relever du fantasme.
32. L’omniprésence de la subsidiarité. Enfin, s’agissant du contrôle de nécessité dans une société démocratique, il est important de préciser que l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres ne procède pas à une conciliation entre deux droits fondamentaux. L’enjeu est plutôt de savoir si l’ingérence dans l’exercice de la liberté religieuse est proportionnée au regard de l’objectif légitime du bien-être animal. La marge d’appréciation de l’Etat défendeur ne pouvait être que large. En effet, on sait depuis l’arrêt Leyla Sahin c/ Turquie que « lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national »33. Le rôle des autorités nationales est d’autant plus accru qu’est en cause « un choix de société » (§ 105) qui a été discuté démocratiquement par les législateurs fédérés. À cela s’ajoute l’absence de consensus entre les Etats membres sur la conciliation entre la liberté religieuse et le bien-être animal en matière d’abattage rituel, même si la Cour relève une promotion du bien-être animal au-delà du contexte belge. Dès lors que les décrets en cause interdisant l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel, sont bien des mesures générales qui s’appliquent à des situations prédéfinies, la Cour retient une méthodologie très classique tirée de l’arrêt grande chambre Animal defenders du 22 avril 2013. En d’autres termes, lorsque est en cause une mesure générale opérant un équilibre entre des droits ou intérêts, le juge européen focalise plus son contrôle sur le processus parlementaire qui a conduit à cette mesure que sur ses effets concrets sur les requérants. La logique de procéduralisation déploie ici tous ses effets. En contrôlant « la qualité de l’examen parlementaire », la Cour s’inscrit clairement dans le sillage de ce précédent jurisprudentiel. Aussi, est-il souligné que « les décrets litigieux ont été adoptés à la suite d’une vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux (…) et que des efforts considérables ont été déployés sur une longue période par les législateurs tour-à-tour fédéral, flamand et wallon afin de concilier au mieux les objectifs de promotion du bien-être animal et le respect de la liberté de religion (…). Les législateurs régionaux ont cherché à peser les droits et intérêts en présence au terme d’un processus législatif dûment réfléchi » (§ 109. En amont, le travail a été bien fait au niveau politique. En aval, les décrets ont fait l’objet d’un double contrôle : d’abord, saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour constitutionnelle belge, la Cour de justice a eu l’occasion de se prononcer sur la validité de l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, permettant conformément au principe de subsidiarité aux États de conserver « toute règle nationale applicable à la date d’entrée en vigueur dudit règlement, visant à assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort » au regard de l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux qui protège la liberté de religion ; ensuite, la Cour constitutionnelle belge a contrôlé la constitutionnalité desdits décrets en contrôlant notamment s’ils méconnaissaient la liberté de religion et le principe d’égalité et de non-discrimination garantis par la Constitution belge. Aux yeux de la Cour, « ce double contrôle s’inscrit dans l’esprit de la subsidiarité qui irrigue la Convention et dont l’importance a été rappelée par le Protocole no 15 qui a ajouté une référence explicite à ce principe dans le Préambule de la Convention » (§ 115). La référence au consensus scientifique « établi autour du constat selon lequel l’étourdissement préalable à la mise à mort de l’animal constitue le moyen optimal pour réduire la souffrance de l’animal au moment de sa mise à mort » (§116) démontre à quel point le juge peut indexer son contrôle sur les avancées du savoir scientifique.
33. Un contrôle de proportionnalité ambivalent. Mais alors que la Cour aurait très pu s’en tenir à cet un examen de la qualité des contrôles parlementaire et judiciaire, elle fait le choix de vérifier si la mesure qui a été retenue par les décrets litigieux est la moins préjudiciable au droit à la liberté religieuse. Or, comme l’ont noté les juges Koskelo et Küris dans leur opinion concordante, ce choix peut surprendre dès lors que la Cour a concédé à l’Etat une large marge nationale d’appréciation. Il n’en demeure pas moins que ce contrôle de proportionnalité au sens strict est surtout un moyen pour la Cour de souligner les vertus de la solution de compromis retenue par les autorités belges, à savoir une voie intermédiaire, entre l’étourdissement exigé dans le cadre d’un abattage conventionnel et l’absence d’étourdissement qui était tolérée dans le cadre de l’abattage rituel. Les décrets litigieux prévoient un étourdissement réversible pour l’abattage rituel : concrètement, il est prévu d’utiliser l’électronarcose sur les ovins et les caprins et non sur les bovins. En définitive, il ne faut pas exagérer la portée de l’arrêt qui constate une non-violation de l’article 9. Celui-ci ne saurait être analysé comme encourageant les Etats parties à la Convention à interdire l’abattage rituel. La Cour se contente de juger que l’équilibre des intérêts décidé par les législateurs régionaux belges ne viole pas la liberté religieuse. Ni plus, ni moins. Qu’il nous soit cependant permis, pour terminer, de formuler deux regrets. D’une part, on a connu le juge européen plus inspiré dans le maniement de l’interprétation consensuelle. Le renvoi aux éléments de droit comparé n’est pas d’une grande utilité puisqu’ils portent sur la réglementation de l’abattage rituel dans onze Etats parties au Conseil de l’Europe. D’autre part, tout en soulignant que son rôle n’est pas de se prononcer sur la compatibilité de l’étourdissement réversible avec les préceptes de la religion, la Cour considère que l’étourdissement réversible est la mesure la moins intrusive à la liberté religieuse. N’est-ce pas contradictoire ? Quoi qu’il en soit, l’arrêt, qui est définitif, a déjà relancé le débat en France sur l’interdiction de l’abattage rituel.
34. Interdiction du port signes religieux à l’école. Relativement à l’interdiction générale de port de signes convictionnels visibles au sein de l’enseignement officiel organisé par la Communauté flamand (9 avr., Dec. Milyas c/ Belgique, n° 50681/20), la Cour a précisé que semblable ingérence à la liberté de religion répond « au souci d’éviter toute forme d’exclusion et de pression dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui » (§ 75). La liberté de conscience de la communauté des élèves l’emporte sur la liberté de manifester ses convictions religieuses. Alors certes, le raisonnement articulé n’est pas nouveau mais il illustre bien la réversibilité des arguments pris de la vulnérabilité et du pluralisme qui contribuent à établir la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique. Aussi, en termes de rapports de systèmes, la portée de cette décision ne doit pas être négligée. Tout d’abord, la Cour a tenu à rappeler, en des termes assez fermes, qu’elle n’est pas tenue de suivre les prises de position critiques de différents comités onusiens sur l’interdiction litigieuse (§ 36). Ensuite et surtout, force est de constater le rayonnement de la décision Milyas, citée récemment par le rapporteur public J.-F. De Montgolfier dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat Association La voix lycéenne et Association Le poing levé, relatif à l’interdiction du port de l’abaya dans les écoles34.
B. Protection contre les discriminations et le harcèlement
35. Les requalifications pénales sous les fourches caudines de la CEDH. La lecture des faits de l’affaire Allouche c/ France (11 avr., n° 81249/17) fait froid dans le dos. Un amoureux éconduit par une jeune femme qui travaillait dans une association œuvrant pour la mémoire des victimes de la Shoah, avait exprimé sa déception d’une curieuse manière en lui adressant par courriels plusieurs menaces de mort et d’insultes mentionnant sa judéité et allant jusqu’à les accompagner d’une photographie d’A. Hitler. Alors que l’expression de l’antisémitisme dans ses relents les plus nauséabonds saute immédiatement aux yeux en lisant ces messages, le parquet, pour des raisons liées sans doute au souci de juger rapidement l’agresseur en comparution immédiate, a finalement retenu la qualification de menaces de mort mais sans l’assortir de la circonstance aggravante d’antisémitisme (art. 222-18-1 du code pénal). Ni le tribunal correctionnel, ni la Cour d’appel qui avait pourtant reconnu le caractère antisémite de l’agression n’ont fait droit à la demande de la requérante de requalifier les faits. Aussi, a-t-elle saisi la Cour européenne pour se plaindre du manquement des autorités à la protéger d’attaques verbales antisémites qui ont impacté sa vie privée. Alors qu’elle se plaçait sur le terrain de l’article 6 de la CEDH, la Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, estime que le grief relève plutôt de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention (§ 32). En ce domaine, les principes sont posés de longue date. Face à des actes et propos discriminatoires « particulièrement destructeurs des droits fondamentaux », l’arme de la pénalisation doit jouer à plein, les autorités devant faire preuve d’une fermeté exemplaire : « les incidents violents à motivation supposément discriminatoire, en particulier raciste, ne doivent pas être traités sur un pied d’égalité avec des délits ne comportant pas de tels motifs » (§ 51). Bien qu’il ait été rendu sur le terrain de l’article 2, on regrettera l’absence dans le raisonnement de la Cour de son arrêt Natchova c/ Bulgarie à l’origine de ces grands principes. À partir de là, le constat de violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention ne faisait guère de doute. En effet, en refusant – alors que la loi le permettait – la qualification des faits en prenant en compte leur caractère antisémite, le parquet puis les juridictions saisies n’ont pas fourni à la requérante une protection pénale effective et appropriée contre les propos discriminatoires (§§61-62). Ce rappel à l’ordre est bienvenu dans le contexte actuel d’augmentation des violences racistes et antisémites. Reste cependant une question en suspens : quid des requalifications qui ne sont pas possibles comme par exemple en droit de la presse35 ?
36. Profilage racial en Suisse : présomption de traitement discriminatoire. L’attention prêtée par la Cour européenne aux sources internationales extérieures à la Convention, qui a connu un sérieux coup d’arrêt avec l’arrêt de grande chambre Humpert c/ Allemagne du 14 décembre 2023 est au cœur de l’affaire Wa Baile c/ Suisse36 portant sur une allégation de profilage racial lors d’un contrôle d’identité à la gare de Zurich. Ce parti pris méthodologique apparaît d’autant plus naturel que plusieurs comités onusiens ont récemment exprimé des inquiétudes sur l’insuffisance des mesures prises par l’Etat défendeur face à la multiplication de comportements racistes des services de la police et de l’immigration (§ 42 et s.). Si l’arrêt n’est pas inédit dans son genre, la Cour ayant déjà connu d’affaires de profilage racial (18 oct. 2022, Basu c/ Allemagne n°215/19 et Muhammad c/ Espagne, n°34085/17), il a le mérite d’apporter des clarifications et des avancées significatives en ce qui concerne le régime de preuve applicable en pareille matière. C’est d’ailleurs sur cette question que portent les nombreuses tierces interventions, notamment celle de la défenseure des droits dont le dynamisme sur ce sujet est connu37. Il y a sans doute aussi le souci de préparer le terrain en vue de l’examen de l’affaire pendante Seydi et al c/ France relative à des contrôles d’identité qualifiés par les requérants de « contrôles au faciès ». In specie, dans l’affaire Wa baile, au-delà du constat de violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 dans son volet procédural qui sanctionne le défaut d’examen par les juges internes du grief de discrimination (§ 102), c’est surtout la violation de ces mêmes dispositions sur le terrain substantiel qui retient l’attention. En effet, circonscrivant très étroitement l’intensité du contrôle sur les allégations de contrôles d’identité discriminatoires, le juge européen tire argument de l’absence valable du contrôle d’identité du requérant pour établir une présomption de traitement discriminatoire (§ 134). Apparaît significatif et pour tout dire décisif le fait que le tribunal administratif avait considéré comme illicite le contrôle subi par le requérant en ce qu’il n’était pas justifié par des raisons objectives. Il n’appartenait dès lors pas au requérant d’apporter la preuve d’un acte raciste individuel. Le terme n’apparaît nulle part pas, mais certaines formulations jurisprudentielles inclinent à penser que la Cour a souhaité sanctionner un problème systémique de profilage racial en Suisse.
37. Harcèlement au travail : petite leçon aux juridictions françaises sur l’importance de la liberté d’expression. Enfin, dans l’affaire Allée c/ France (18 janv. 2014, n° 20725/20), la requérante, condamnée pénalement pour diffamation à la suite d’allégations de harcèlement et d’agression sexuelle dirigées contre le vice-président exécutif de l’association qui l’employait, se plaint d’une violation de l’article 10 qui protège la liberté d’expression. A l’évidence, le constat formulé en 2021 par le Professeur Wachsmann selon lequel « il y a une contradiction entre la sévérité envers le diffamateur dont témoigne l’appréciation en France de la bonne foi et les exigences de la liberté d’expression, telles que les précise la Cour européenne des droits de l’homme »38est toujours d’actualité. L’arrêt Allée en est une illustration éclatante. Tout d’abord, c’est la reconnaissance du caractère public du courriel litigieux qui est sérieusement remis en cause par la Cour qui relève qu’il n’a été adressé qu’à six personnes (§ 48). L’autre désaccord avec les juges français porte sur la preuve des faits dénoncés. Là où ceux-ci ont estimé que les allégations litigieuses n’avaient pas été prouvées excluant ainsi l’excuse de bonne foi, celle-là constate qu’il était impossible en pratique d’apporter de telles preuves dans la mesure où la requérante dénonçait des faits commis sans témoins (§ 52). Autrement dit, à l’interprétation rigide des juges français, elle oppose une interprétation plus contextualisée. Le constat de la disproportion de la sanction (amende de 500 EUR, intégralement assortie de sursis, et injonction de payer in solidum avec son époux 2 000 EUR au total pour les frais de la procédure, auxquels il faut ajouter 2 500 EUR au titre des frais de la procédure en cassation) finit par emporter la conviction de la Cour de condamner la France pour violation de l’article 10. Une lutte efficace contre le harcèlement au travail, sujet d’intérêt général (§ 50), ne peut se satisfaire de sacrifices aussi excessifs imposés à la liberté d’expression.
M. Afroukh
1 La France n’ayant d’ailleurs pas toujours été exemplaire sur ce terrain, ainsi qu’en témoigne tristement un arrêt M.A. c/ France de 2018, no 9373/15.
2 Voir par exemple : https://strasbourgobservers.com/2024/04/12/the-single-judge-and-the-single-sentence-motivation-2-the-bewildering-dismissal-of-asmeta-v-france/
3 Sur le traitement procédural de ces requêtes, voy. cette Chron. RDLF 2022, n° 44
4 Sur cette question d’une prétendue inaptitude congénitale des droits de l’homme, voir C. Boiteux-Picheral (dir.), Les droits de l’homme face aux risques pour l’humanité, LexisNexis, 2022
5 Verein KlimaSeniorinnen Schweiz, §§ 410- 440, spéc. § 422 et § 440
6 Cour EDH, 27 avr. 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c/ Espagne, n° 62543/00, § 36 et § 38.
7 À cet égard, la Cour établit en effet qu’en présence d’une action collective, l’exigence que l’issue de la procédure litigieuse soit directement déterminante pour les droits du requérant « est à comprendre dans le sens plus général de la recherche d’une forme de correction des actions et omissions des autorités », § 622.
8 Cour EDH, 29 juin 1999, déc., Asselbourg et autres et Greenpeace-Luxembourg c/ Luxembourg, n° 29121/95 ; déc., 7 févr. 2006, Besseau et autre c/ France, n° 58432/00.
9 Jusqu’alors, la disjonction des notions de requérant et de victime avait surtout joué en l’absence de pouvoir de représentation dûment signé, lorsqu’une ONG prétendait agir au nom d’une victime directe vulnérable, le plus souvent décédée avant introduction de la requête. Voy. Gde. Ch., 17 juil. 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c/ Roumanie, n° 47848/08 ; 4 juin 2020, Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c/ France, n° 15343/15, § 122.
10 Cour suprême des Pays-Bas, 20 déc. 2019, n° 19/00135, D. 2020, p. 1012, obs. V. Monteillet et G. Leray ; également, pour un fondement pris, non des droits protégés par la CEDH, mais de l’ordre constitutionnel, Cour constit. fédérale allemande, 24 mars 2021, BVerfG n°1 BvR 2656/18, 1 BvR 78/20, 1 BvR 96/20, AJDA 2022, p. 166, obs. A. Gaillet et D. Grimm – Sur le sujet, voy. notamment C. Perruso, « Les droits de l’homme au service de la lutte climatique», in C. Cournil, dir., La fabrique d’un droit climatique au service de la trajectoire «1.5», Pedone, 2021, pp. 243-264.
11 CE, 19 nov. 2020, Commune de Grande-Synthe, n° 427301, JCP G 2020, 2138, obs. B. Parance et J. Rochfeld et, dans la même affaire, CE, 1er juillet 2021, JCP G 2021, act. 795, B. Parance et J. Rochfeld.
12 Cour EDH, 29 juin 1999, dec. Asselbourg et autres c/ Luxembourg, préc.
13 82 ans pour la plus jeune
14 (Ce qui augure mal de la recevabilité de la requête Soubeste et autres c/ Autriche et 11 autres États (n° 31925/22), introduite par cinq personnes physiques originaires de France, de Chypre, de Belgique, d’Allemagne et de Suisse.
15 Constatations du 22 sept. 2021, Sacchi et consorts c/ Argentine, communication n° 104/2019, doc. ONU CRC/C/88/D/104/2019.
16 Cour IADH, Avis sur l’environnement et les droits humains, 15 novembre 2017, OC-23/17.
17 Loi n° 2022-229 du 23 février 2022 et décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis
18 En dehors de l’arrêt Markovic c/ Italie (Gde ch., 14 déc. 2006, n° 1398/03), dans lequel il a été constaté qu’en application de cette théorie, l’ordre juridique italien ne reconnaissait tout simplement pas le « droit à réparation » revendiqué par les requérants en cas d’actes de guerre, la Cour n’a guère eu à en connaître que dans la mesure où, sur ce fondement, le Conseil d’État français s’en remettait à l’époque au Ministère des affaires étrangères, soit pour décider de l’interprétation d’un traité international (Cf. Cour EDH, 24 nov. 1994, Beaumartin c/ France, n° 15287/89, soit pour apprécier le respect de la réserve de réciprocité qui conditionne la primauté des accords internationaux dans l’ordre juridique français : Cour EDH, 13 fév. 2003, Chevrol c/ France, n° 49636/99.
19 Gde ch., n° 24384/14, cette Chron., RDLF, 2023, n° 25.
20 La jurisprudence H.F et autres est bien citée au § 119, mais seulement pour ce qu’elle exprime de retenue et non pour son apport essentiel.
21 C’est-à-dire celui de Mme Zohra Tamazount, née en Algérie en 1960, qui aura passé quelques quatorze ans, enfermée au camp de Bias…
22 GC, 12 juillet 2013, Allen c/ Royaume-Uni, n° 25424/09, § 94, étant précisé que ce second aspect de l’article 6 s’est progressivement développé à compter des années 1980.
23 Voy. par ex., Cour EDH, 21 mars 2000, Rushiti c/ Autriche, n°28389/95, § 31 ; 13 juillet 2010, Tendam c/ Espagne, n° 25720/05, §§ 36-37 : une fois l’acquittement devenu définitif – même s’il s’agit d’un acquittement au bénéfice du doute – l’expression de soupçons, y compris ceux tirés des motifs de l’acquittement, n’est pas compatible avec la présomption d’innocence.
24 Opinion dissidente commune aux juges Ravarani, Bošnjak, Chanturia, Felici et Yüksel, pt. 5.
25 CE, Section, 11 décembre 2015, M. D. n° 395009 ; CE, Section, 11 décembre 2015, M. G. n°394990.
26 n° 24203/16, nos obs., RDLF, 2023, n° 48.
27 La même solution avait été retenue dans l’affaire Fanouni c/ France, 15 juin 2023, n° 31185/18.
28 Gde. ch., 15 mars 2012, n° 39692/09, 40713/09 et 41008/09.
29 19 janv. 2021, n° 14065/15, nos obs., RDLF, 2021, n° 36.
30 CJUE, 17 déc. 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., C-336/19.
31 Gde Ch., 26 oct. 2000, Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie, § 78, Rec. 2000-XI.
32 Sur le lien entre bien-être animal et morale, cf. la décision Friend et Countryside Alliance c/ Royaume-Uni, 24 novembre 2009, n° 16072/06 : sur l’abolition de la chasse à courre.
33 Gde ch., 10 nov. 2005, § 109, n° 44774/98.
34 27 sept. 2024, n°487944.
35 Chr. Bigot, « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression », Légipresse, 2024, p. 512.
36 20 févr., n° 43868/18 et 25883/21.
37 CE, 11 octobre 2023, n° 467771.
38 « Les éléments constitutifs de la bonne foi en matière de diffamation et les exigences européennes », Rec. Dalloz, 2021, p. 1727