Définir la femme en droit britannique : l’inextricable contentieux « For Women Scotland »
La Cour suprême du Royaume-Uni a considéré que la femme se définissait, en droit britannique, comme la personne née biologiquement comme telle. Rendue le 15 avril 2025 à l’unanimité, cette décision a fait polémique et a été vivement critiquée par les associations soutenant les droits des personnes trans. Si la position de la Cour peut être comprise à la lumière du contexte contentieux et des méthodes du juge de common law, elle suscite des doutes quant à sa portée pratique et aux limites de l’office de la juridiction suprême face à une question de société.
Aurélien Antoine, Professeur des Universités, Titulaire de la Chaire Droit public et politique comparés, Université Jean-Monnet – Saint-Étienne, CERCRID – UMR 5137 et CERSA UMR 7106
Au printemps 2025, la Cour suprême du Royaume-Uni a refait l’actualité en France1 après les deux arrêts Miller2 qui avaient suscité un vif intérêt en pleine crise du Brexit. En 2019, le camouflet infligé à Boris Johnson avait permis aux Français de connaître la présidente charismatique de l’époque, Lady Hale. Le retour de la juridiction britannique dans les médias et sur les réseaux sociaux doit encore beaucoup aux femmes. En effet, la décision rendue le 16 avril 2025 devait trancher une question pour le moins épineuse : celle de la définition de la femme telle qu’elle découle de la législation britannique.
L’affaire débute en 2018. Le Parlement écossais (établi dans le quartier de Holyrood à Édimbourg) vote une loi de discrimination positive fondée sur le genre pour l’accès aux fonctions de responsabilités au sein des organismes publics écossais (Gender Representation on Public Boards (Scotland) Act ou GRPB). Parmi les mesures prévues par le texte, certaines visent à encourager la nomination de femmes (section 5) en application d’une compétence dérogatoire accordée au Parlement écossais (section 37 du Scotland Act 2016)3. Dans sa version originale, la femme incluait les personnes ayant changé de sexe.
C’est à l’occasion de l’adoption de cette loi que For Women Scotland Ltd (FWS) émerge. Cette association se donne pour mission de protéger et promouvoir les droits des femmes et des enfants, mais a été spécialement créée en opposition au texte de 2018. Parmi les fondatrices, des lesbiennes (Magdalen Berns), mais aussi des mères de famille (comme Susan Smith)4. Leur cause est grandement médiatisée par l’autrice J. K. Rowling qui les soutient. Deux faits divers dramatiques sont venus appuyer leurs revendications au cours des procédures engagées. La première concernait Isla Bryson, une transgenre condamnée pour des viols commis sur deux personnes nées femmes5. La survenance de ces faits a soulevé une polémique quant au lieu de son incarcération. Pour FWS, d’autres associations et des personnalités de droite comme de gauche, Isla Bryson était une menace pesant sur les femmes et devait être emprisonnée dans un établissement pour hommes. Plusieurs voix s’élevèrent pour fustiger les risques que des prédateurs prétendent être engagés dans des processus de transition afin d’être en contact direct avec des femmes en prison. Le gouvernement écossais, sensible à la réaction de l’opinion publique, finit par transférer Isla Bryson dans un pénitencier pour hommes. Dans la seconde affaire, Tiffany Scott, une personne transgenre incarcérée dans une prison pour femme, était accusée de harcèlement par lettres à l’encontre d’une adolescente de 13 ans6. La mise en exergue de ces situations par les activistes de FWS et les recours engagés depuis 2020 ont conduit d’autres mouvements féministes critiques des classifications de genre fondée sur le sexe biologique à attaquer l’association pour transphobie7.
La stratégie de FWS est avant tout juridictionnelle. Elle prétend que le texte écossais de 2018 et ses mesures d’application sont illégaux du fait d’une mauvaise interprétation de deux lois britanniques : le Gender Recognition Act 2004 (ou GRA) et l’Equality Act 2010 (ou EA). Après avoir été déboutée en première instance8, FWS a obtenu gain de cause devant l’Inner House de la Court of Session pour incompétence des autorités écossaises9. Le Parlement de Holyrood a, en conséquence, adopté un amendement au texte (Gender Representation on Public Boards (Amendment) (Scotland) Act 2024) afin d’abroger les dispositions finales de la section qui incluait les personnes trans dans la catégorie protégée « femme ».
Avant même que le droit écossais ne soit modifié, le gouvernement a publié une nouvelle directive d’interprétation (statutory guidance) selon laquelle « toute personne transgenre bénéficiant d’un certificat de reconnaissance de genre féminin (Gender Recognition Certificate ou GRC) devait être considérée comme étant une femme » au sens de l’EA de 2010. FSW attaque cet acte qui, une fois encore, est validé en première instance par l’Outer House10, puis en appel par l’Inner House11. La Cour suprême donne finalement raison à FWS en estimant que la définition de la « femme » promue par le gouvernement écossais n’est pas conforme au droit britannique et, par conséquent, excède ses compétences. La décision de la Cour a emporté de vives réactions, à la fois positives et négatives, des associations se réclamant du féminisme ou protégeant les droits LGBTQI+. La solution retenue révèle au grand jour les profondes fractures qui traversent les minorités sexuelles dans la façon de garantir leurs droits et libertés.
Pour le juriste, l’arrêt intervient surtout dans un contexte particulier marqué par des tensions inédites entre le gouvernement central et les autorités dévolues de l’Écosse depuis le Brexit. L’exécutif écossais dirigé par le Scottish National Party (SNP) a constamment défié Londres afin de se distinguer d’une politique conservatrice qu’il condamnait. Or, la Cour suprême veille, ces dernières années, à préserver l’unité du Royaume-Uni dans une interprétation des lois de dévolution et des conventions constitutionnelles qui, si elle est discutable, reste cohérente. Il paraît indispensable d’inscrire l’affaire FWS dans ce contexte jurisprudentiel (I) puisqu’elle pose d’abord un problème de répartition des compétences entre Westminster et Holyrood. Une fois ce premier travail réalisé, un commentaire éclairé de la décision de la Cour n’est possible qu’en reprenant en détail des contentieux noués en 2018 avec l’adoption du Gender Representation on Public Boards (Scotland) Act (II). L’absence de consensus juridique et politique sur le sujet de la définition de la femme a finalement placé la Cour suprême en porte-à-faux. Quelle que soit la décision qu’elle allait rendre, les controverses ne pouvaient qu’être vives. À l’unanimité d’une formation classique de cinq juges, elle a développé un raisonnement conservateur qui est critiquable, mais n’est pas irrationnel sous l’angle du rôle reconnu à une juridiction de common law dans le cadre d’une problématique dont l’issue aurait d’abord dû dépendre de l’intervention des institutions politiques (III).
Avant de traiter de ces trois points, il faut rappeler que l’objet de l’analyse n’est pas de prendre position sur un débat de nature sociétale, mais de réfléchir en droit positif sur une décision juridictionnelle à partir des méthodes du juriste12. C’est pourquoi il est pertinent de procéder par étapes et de présenter le cœur des explications des différents juges impliqués dans ce contentieux. Chacun, juriste ou non, pourra ainsi se faire son opinion à la lumière d’argumentations qui ne seront critiquées que par un prisme le plus objectif possible en fonction de l’état du droit positif à un moment et dans un contexte précis.
I. Un contexte de tension entre Londres et Édimbourg sur le terrain juridictionnel
La décision For Women Scotland a mis un terme sans doute provisoire à un débat lancinant et conflictuel. Il est avant tout révélateur des relations compliquées entre les autorités dévolues écossaises contrôlées par le SNP et le gouvernement de Londres, en particulier sur l’étendue des compétences des premières. Les litiges récents devant la Cour suprême ont caractérisé ces relations dissonantes nées avec le Brexit. Entre 2009 et 2016, la Cour n’avait rendu que quatre décisions notables sur les autorités dévolues écossaises dans un contexte plutôt apaisé13. Entre 2017 et 2025, et avant le cas FWS, cinq jurisprudences ont porté sur ce sujet, dont quatre seront mises ici en exergue14. Dans Miller 1, la Cour a rappelé que la convention Sewel, censée régir les rapports entre Londres et les institutions dévolues sur la base d’un usage politique, ne saurait être sanctionnée par les juridictions15.
En 2018, la décision Scottish Continuity Bill16 révélait un affrontement frontal entre les Parlements de Westminster et d’Édimbourg à propos du cadre juridique à donner au retrait de l’Union européenne. Hostile au retrait et aux conditions fixées par le European Union (Withdrawal) Act, le gouvernement écossais déposa un projet de loi ayant les mêmes finalités, à savoir organiser la transition juridique vers la sortie de l’UE. La Section 17 du texte introduisait une espèce de veto suspensif au profit des autorités dévolues contre des réglementations prises par l’exécutif britannique qui, en application de la loi 2018, auraient eu pour effet de porter atteinte aux prérogatives des autorités dévolues. Dans un tel cas, le Scottish Continuity Bill envisageait que la mise en œuvre de la réglementation litigieuse soit suspendue temps que Holyrood n’y avait pas explicitement consenti. Cette restriction décidée unilatéralement a été contestée par la voie de la section 33(1) du Scotland Act 1998. Elle prévoit que l’Attorney General et l’Advocate General pour l’Écosse peuvent saisir la Cour suprême afin de savoir si une disposition d’un projet de loi écossais relève bien de la compétence du Parlement de Holyrood. Pour la Cour suprême, l’article 17 était en dehors des attributions de l’assemblée, car il modifie le Scotland Act et le UK Withdrawal Act17. La solution apportée par la Cour n’est pas étonnante, mais son approche de la dévolution a suscité des commentaires nourris en lien avec une troisième décision qui en a approfondi la logique.
L’affaire de 2021 (Incorporation Reference case) mettait en cause la portée juridique en droit interne de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies ainsi que la Charte européenne de l’autonomie locale18. Les autorités écossaises avaient souhaité les incorporer dans le droit écossais alors que Westminster ne l’avait pas fait pour l’ensemble du Royaume-Uni. La question se posait donc de savoir si Holyrood avait le pouvoir de transposer ces traités dans l’ordre juridique infra-étatique sans qu’il le soit dans l’ordre juridique britannique. Pour la Cour, si certaines dispositions de ces conventions ressortissaient bien à la compétence des autorités dévolues, d’autres soulevaient des difficultés, notamment quand elles contraignaient les juridictions à interpréter la législation britannique dans un sens susceptible d’entrer en conflit avec les choix de Westminster. En outre, la législation écossaise aurait conduit à ce que les juges puissent prononcer des déclarations d’incompatibilités à l’encontre d’articles de lois britanniques qui contreviendraient aux deux textes de droit international. La Cour confirme que le Parlement écossais avait le droit de transposer des traités internationaux en droit écossais tant que leur champ demeurait dans le domaine des compétences dévolues – ce qui n’était pas le cas lorsqu’il inclut des mécanismes de remise en cause de la législation ne pouvant découler que d’un acte de Westminster.
La solution est compréhensible, mais elle résultait d’un raisonnement contesté, car il reprenait en l’approfondissant la base du jugement de 2018 sur le Scotland Continuity Bill faisant référence à une expression ambiguë. Son effet pourrait être, à l’avenir, de cantonner le pouvoir législatif des parlements dévolus peut-être au-delà de l’esprit des lois de 1998. Dans le Continuity Bill case, la Cour avait jugé que la souveraineté parlementaire reflétait « l’essence de la dévolution » et que, de plus, Westminster jouissait, malgré la dévolution, d’un « pouvoir législatif inconditionnel » (« unqualified legislative power ») à l’égard de l’Écosse19. Cela signifie que la loi de Westminster ne peut être dépendante, dans son exécution, du consentement du gouvernement écossais20. Autrement dit, l’« unqualified legislative power » peut apparaître comme atténuant l’interprétation de la souveraineté du Parlement qui aurait été relativisée depuis 1998, tant par le statut constitutionnel reconnu aux lois de dévolution21, que dans son application concrète tempérée par la convention Sewel (quand bien même Westminster dispose toujours du pouvoir, légiférer pour l’Écosse22). Mis en œuvre dans l’Incorporation Reference case, cet « unqualified legislative power » revient à exclure que les parlements nationaux puissent exercer une quelconque pression sur le Parlement britannique.
Sans entrer en détail dans la disputatio juridique qui a suivi23, la souveraineté législative inconditionnelle conférée à Westminster lui donnerait une latitude non négligeable en matière de droits et libertés fondamentaux. Cette perception n’est pas forcément favorable au principe de rule of law et en partie contradictoire avec la compétence dévolue en la matière24. C’est sans doute la raison pour laquelle des juristes écossais25 affirment que la Cour promeut désormais une conception centralisatrice de la souveraineté du Parlement sans laisser de véritables marges de manœuvre aux autorités dévolues sur le cadre juridique de la protection des droits humains.
L’« unqualified legislative power » n’en reste pas moins non défini par la Cour elle-même26. Elle n’a pas non plus minimisé ses jurisprudences précédentes soulignant le caractère constitutionnel de la dévolution et que le Parlement ne peut abroger implicitement les lois qui la soutiennent. L’Incorporation Reference case n’a pas encore dévoilé toutes ses potentialités, mais elle donne à voir une Cour prudente, voire conservatrice, quant à la portée constitutionnelle de la dévolution en lien avec les droits humains. Les jurisprudences évoquées de 2021 et de 2022 s’inscrivent, en outre, dans une valorisation de la souveraineté du Parlement, tout comme les arrêts Miller 1 et 2 l’avaient fait. Ce constat a pour conséquence de mettre une espèce de coup d’arrêt à l’interprétation dynamique de la dévolution qui transparaissait dans les premières décisions des années 200027 et prévient le royaume de tendances centrifuges qui menaceraient une unité déjà mise en danger par le Brexit.
C’est également à l’aune de cette conclusion qu’il faut lire une quatrième décision relative au projet de second référendum sur l’indépendance lancé par Nicola Sturgeon en 2022. Le jugement sur l’Indyref 228 rendu à l’unanimité par Lord Reed, le président écossais de la Cour, n’a pas surpris la majorité de la doctrine29. En aucun cas, les autorités dévolues ne pouvaient légiférer unilatéralement sur une question qui mettait directement en cause la Constitution et l’union britanniques, quand bien même le référendum n’aurait été que consultatif. Ce énième échec contentieux pour le gouvernement de Nicola Strugeon, par ailleurs affaiblie politiquement à l’époque30, annonçait celui de For Women Scotland.
Le rappel du contexte jurisprudentiel permet à ce stade de comprendre que, pour la Cour suprême, l’affaire FWS pose d’abord un problème de compétence des autorités dévolues écossaises. Les profondes tensions sociétales qu’elle recèle ont trop éclipsé ce point juridique crucial. Le but des cinq juges était de trouver une voie pour contenir les velléités par trop autonomiste des institutions écossaises. Le cas FWS s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence antérieure sur l’étendue de leurs pouvoirs dans le champ des droits humains, quitte à ce que cela passe par une interprétation restrictive de la femme qui, d’ailleurs, n’a pas fait l’unanimité lors des étapes contentieuses précédant son intervention.
II. Un long contentieux marqué par des jugements contradictoires
La décision définitive de la Cour suprême le 16 avril 2025 a rapidement effacé des mémoires les jugements qui l’ont précédée. Ils sont pourtant nécessaires à la compréhension d’un sujet qui demeurait délicat à trancher juridiquement.
Rappelons que le point de départ aux procédures engagées par FSW est l’ultime paragraphe de la section 2 de la loi écossaise de 2018. Dans sa version originale, elle prévoyait que devait être considérée comme femme une personne disposant des caractéristiques protégées en vertu d’une réattribution de genre telle qu’elle est définie à la section 7 de l’EA de 2010, et « si et seulement si cette personne vit comme femme, s’est vue proposer d’engager, est en train d’engager ou a engagé un processus (ou une partie du processus) pour devenir une femme ». La section 11 du texte de 2010 rappelle que la réattribution doit conduire à ce que la personne en cause soit reconnue comme femme ou homme. Il n’y a donc pas de catégorie spécifique trans dans le droit britannique en plus des femmes et des hommes.
La transidentité n’est envisagée juridiquement qu’en tant que caractéristique susceptible de conduire à des discriminations que le législateur proscrit à partir de 2010. Quant au GRA de 2004, il met en conformité le droit britannique à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui avait condamné le Royaume-Uni en raison d’une violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et de l’article 12 (droit de se marier et de fonder une famille) de la Convention31. Le GRA prévoit les modalités d’attribution d’un certificat de genre : démontrer une dysphorie de genre, vivre en tant que personne du sexe opposé à celui de sa naissance durant une période de deux ans au moins, avoir l’intention de vivre ainsi jusqu’à son décès, et apporter les preuves factuelles et médicales listées dans la loi32. Il revient à une autorité indépendante de déterminer si ces critères sont remplis (Gender Recognition Panel qui est un tribunal). Une fois acquis, la section 9 indique que, lorsqu’il « est attribué à une personne, le sexe de cette personne est féminin » et inversement.
FWS saisit la Court of Session écossaise afin de mettre en cause la légalité des mesures prises par le gouvernement en application de la loi de 2018. Le principal moyen de leur requête est de contester la définition de la femme admise au terme de la section 2 de la législation écossaise et de prétendre que la section 11 excéderait les compétences des autorités dévolues en matière de discriminations à l’embauche ou à la promotion (et ce, malgré la section 37 du Scotland Act 2016). Plus précisément, l’argument revient à soutenir que le groupe de personnes concerné par la définition de la femme retenue dans la loi de 2018 ne serait pas similaire et ne recouperait pas les caractéristiques protégées par le texte de 2010. Ainsi, en confondant les deux groupes, la loi de 2018 échouerait à identifier les discriminations subies par des personnes partageant les caractéristiques protégées. Dès lors, les mesures de discrimination positive envisagées par le législateur ne pouvaient atteindre leur but. Il s’agirait finalement d’une discrimination à rebours illégale : en faisant bénéficier des mécanismes d’équité aux personnes trans nées biologiquement hommes, la loi de 2018 est susceptible d’emporter une forme de « concurrence » à l’égard des personnes nées femmes protégées par l’EA. Contestant l’interprétation large des jurisprudences de la Cour de Justice33, les requérants estiment que les personnes trans ne sauraient disposer des caractéristiques protégées attachées au sexe choisi.
Dans un premier temps, leur recours est écarté par l’Outer House. Pour le juge, la section 2 ne visait qu’à renforcer le droit de la non-discrimination dans un sens d’ailleurs conforme au droit de l’UE qui traite les transgenres en fonction du sexe assigné légalement (et non biologiquement)34. L’Inner House de la Court of Session conclut le litige par une solution inverse. Le juge partage, néanmoins, un point déterminant rappelé par l’Outer House : « l’issue de l’affaire ne constitue en rien un élément du débat sur les droits des transgenres, problématique politique à laquelle la décision qui suit ne saurait contribuer pertinemment. Le cœur du contentieux a trait à la portée de certaines dispositions légales qui seraient au-delà de la compétence du Parlement écossais »35. Une autre donnée, de nature rédactionnelle, est également soulignée. Pour la cour, « la différence essentielle entre les mesures de discrimination positive prévues par la loi de 2010 et celle de la loi de 2018 tient à ce que la première fait référence à des personnes qui partagent des “caractéristiques protégées”, tandis que la seconde fait mention de la “femme” afin d’atteindre les objectifs fixés par la législation »36. La question centrale était donc de savoir si le Parlement écossais pouvait introduire cette référence aux femmes dans la loi et de les définir largement, ce que l’EA ne faisait pas.
Dans son opinion37, Lady Dorrian explique que le Parlement écossais ne pouvait retenir comme définition de la femme dans le cadre de l’extension des compétences reconnues en 2016 que celle qui n’est pas de sexe biologique mâle38. Rien n’empêchait, cependant, les députés de prévoir un dispositif de discrimination positive au profit des personnes trans39. Pour la juge, une mesure qui renvoie à un objectif de représentation égale au profit d’un groupe de personnes déterminées en fonction de caractéristiques protégées par la loi ne l’atteindrait pas si elle venait à être appliquée à un autre groupe. En étendant la portée de la loi de 2010, le Parlement écossais a excédé sa compétence législative.
Cette première phase du contentieux n’a pas fini sa course devant la Cour suprême. Une loi a abrogé le passage litigieux, mais le gouvernement écossais a adopté des directives promouvant une interprétation du droit britannique favorable à l’inclusion des personnes ayant acquis un certificat de réattribution de genre dans la catégorie « femme ». C’est cette lecture qui ouvre la seconde étape des litiges FWS. L’Outer House considère que l’issue de la première affaire ne s’impose pas en l’espèce. Le fondement du recours n’est pas le même : FWS attaque le guide d’interprétation du gouvernement écossais, qui comprend les trans ayant obtenu un certificat de réattribution en vertu du GRA 2004 dans la catégorie « femmes » protégée par le EA 2010. Selon les appelants, les directives des autorités écossaises recèlent une erreur de droit. L’interprétation du texte de 2010 en lien avec celui de 2004 aurait pour effet de définir la femme trop largement par rapport aux dispositions de la loi de 2010. Il en résulterait une incompétence des autorités dévolues qui empiètent sur le domaine réservé de Westminster. Plus précisément, FWS souligne que l’attribution d’un certificat de pleine reconnaissance de changement de sexe est « sujette aux conditions de la présente loi ou de tout autre législation ou règlement d’application » (section (9)3 du GRA). Or, pour les appelants, la loi de 2010 ne permettrait pas l’extension des caractéristiques protégées des femmes aux personnes trans (catégorie protégée distincte).
La juge de l’Outer House ne partage pas cette lecture d’un conflit entre les lois de 2004 et de 2010. Pour elle, « le sexe n’est pas circonscrit au sexe biologique ou à celui acquis à la naissance, mais inclut également les personnes qui disposent d’un certificat de reconnaissance de genre conformément au statut (…) prévu par la loi de 2004 »40. Dans son opinion, Lady Haldane écarte en particulier l’argument selon lequel certaines législations seraient mises en échec par l’interprétation de la femme en faveur des transgenres, notamment en matière de mariage ou de droit médico-légal. Si elle admet que la mise en œuvre d’autres lois impose de retenir une définition biologique de la femme, rien ne justifie que cette circonstance conduise à considérer que, pour d’autres textes, une interprétation différente soit exclue. En somme, la position de l’Ouster House est celle d’une approche au cas par cas des lois.
En appel, FWS reprend à l’appui de sa démonstration des situations potentiellement contradictoires avec les objectifs de l’EA auxquelles une définition large de la femme aboutirait. Par exemple, une femme qui se serait vu reconnaître le sexe d’homme par certificat, mais qui tomberait toutefois enceinte (conjoncture déjà survenue41 à l’origine de contentieux42), pourrait ne pas bénéficier des mesures de discrimination positive au profit de femmes prévues par la loi. Or, le fait d’être enceinte est un motif fréquent de discrimination, tant à l’embauche que pour une promotion professionnelle43. Les défendeurs peinent, sur ce point précis, à saper l’argument des requérants en se contentant de souligner que le législateur de 2004 ne pouvait pas anticiper une situation si exceptionnelle révélée lors du cas McConnell44.
Une autre circonstance est mise en exergue : celle d’une personne née femme appréhendée, lors d’une fouille au corps ou à l’occasion d’un examen clinique dans le cadre d’une procédure criminelle (pour viol, par exemple), par une personne reconnue femme en vertu d’un certificat administratif. Dans ce cas, aucune action en discrimination en raison du sexe ne pourrait être intentée. Plus largement, l’attribution du sexe de femme à un homme par le droit ne garantirait pas l’intimité de femmes dans certains lieux semi-publics (comme les toilettes ou les douches), puisqu’elles pourraient être confrontées à une personne ne disposant pas des mêmes attributs physiques (dans la mesure où le certificat de réattribution de genre peut être obtenu en l’absence de chirurgie ou traitement invasif). Les requérants évoquaient enfin les difficultés qui pourraient surgir quant au fonctionnement des associations militantes lesbiennes ou gays.
Face à ces arguments, l’Inner House explique à titre liminaire que, depuis l’adoption des lois de 2004 et de 2010, « le débat et l’appréhension des problématiques au cœur de cette affaire ont significativement évolué »45. La Cour européenne des droits de l’Homme avait elle-même modifié ses exigences sur les conditions de réattribution de genre en considérant que l’obligation de subir une intervention chirurgicale entrait en contradiction avec le choix de ne pas vouloir endurer de traitements physiques invasifs (violation de l’article 8 protégeant la vie privée)46. La juridiction ajoute que le sujet débattu relève de problématiques mettant en cause les politiques sociales dont la détermination appartient aux parlements. Les juges ne doivent s’intéresser, pour leur part, qu’à la cohérence du droit en l’espèce47. Le dernier élément de cadrage tient à la spécificité de ce second contentieux FWS par rapport au premier. Il n’a pas pour but de contester l’inclusion des hommes devenus femmes dans la définition de la femme par la loi écossaise de 2018, mais de discuter de la légalité de l’octroi d’un certificat selon les modalités de la directive à cette catégorie de personnes pour qu’elle profite des dispositions de la loi de 2018 amendée.
L’Inner Court procède ensuite en deux temps : le premier revient à considérer que, contrairement à ce que les plaignants soutiennent, le droit de la non-discrimination est cohérent et que rien, dans l’état de la législation ou de la jurisprudence, ne permet d’exclure clairement de la définition de la femme les personnes trans bénéficiant d’un certificat. Dans un second temps, les juges se sont attachés à examiner plusieurs situations factuelles, dont il est soutenu par les plaignants qu’elles provoqueraient des discriminations à rebours du fait de l’approche des autorités écossaises. Pour la cour, les incompatibilités identifiées par FWS ne sont pas pertinentes : l’octroi d’un certificat entraînant la reconnaissance du genre « femme » ou « homme », la personne concernée aura à être traitée en fonction du sexe juridique. Seul l’état de grossesse ou de la maternité paraît plus ardu à surmonter. Toutefois, pour les deux juges, la loi de 2010 peut être lue comme protégeant des discriminations les femmes enceintes ou mères, peu importe l’origine biologique ou juridique du sexe48.
Insatisfaite, l’association saisit la Cour suprême qui rappelle la question juridique fondamentale : « les références dans l’EA 2010 au sexe assigné à une personne, et aux termes “femme” ou “féminin” doivent-elles être interprétées à la lumière de la section 9 du GRA 2004 comme incluant les personnes qui ont acquis un genre par l’obtention d’un certificat de réattribution ? »49. Si tel est le cas, les directives écossaises sont conformes au droit britannique et ressortissent bien à la compétence des autorités dévolues. C’est la solution inverse que les cinq juges vont choisir.
III. Un raisonnement critiquable de la Cour en partie justifié par les limites de son office
La Cour suprême, en retenant une définition biologique de la femme, adopte une position favorable à un féminisme conservateur, mais cela ne signifie pas que son raisonnement serait mal construit et motivé des convictions politiques de juges hostiles à une minorité. Dans ce contentieux comme dans d’autres portant sur une question sociétale, il convient de distinguer la critique militante de celle qui découle de l’emploi des méthodes du juriste dans une démarche scientifique. Dès lors qu’un jugement est une production humaine, elle est toujours susceptible d’être remise en cause, en particulier lorsqu’elle touche à des sujets complexes, comme l’articulation problématique de normes législatives entre elles. Le choix de la Cour crée de réels obstacles concrets qui doivent être expliqués. Cependant, il ne faudrait pas en déduire que la juridiction a voulu s’opposer aux droits des personnes trans ni occulter la cohérence de sa démonstration, notamment par rapport à l’office d’un juge de common law. La Cour suprême prend d’infinies précautions afin de prévenir toute extrapolation de la décision qu’elle va rendre : « ce n’est pas le rôle de la Cour de juger d’arguments développés à l’occasion de débats publics sur le sens des termes “genre” ou “sexe” ni de définir le sens du mot “femme” autrement que dans le cadre de son emploi dans les dispositions de l’EA de 2010 »50. Son travail consiste finalement à produire une interprétation statutaire qui, malgré ses mérites, n’est pas exempte de limites concrètes.
A. Une interprétation de l’intention du législateur défendable
Dans les premiers paragraphes de son arrêt, la Cour détermine le cadre général de son analyse qui est celui de la « statutory interpretation ». En vertu d’une jurisprudence bien établie51, la Cour rappelle qu’il s’agit pour les juges de « rechercher la signification des mots employés par le Parlement » ou encore d’un exercice intellectuel qui exige d’identifier la portée du sens des mots tels qu’ils sont utilisés dans un contexte particulier. C’est de dernier point sur lequel insiste la Cour : par contexte, il faut entendre la lecture du mot ou du passage sujet à discussion en relation avec la section ou le groupe de sections de la loi auquel il est rattaché. D’autres dispositions pertinentes de la législation peuvent également contribuer à l’éclairer52. En seconde intention, le juge peut se référer à des documents annexes (notes explicatives parlementaires, rapport de la Law Commission, livres blancs gouvernementaux…). Reprenant Lord Bingham, la Cour indique que l’interprétation de la législation évite de s’en tenir à une lecture trop littérale des textes susceptible de négliger l’intention du Parlement et son contexte historique53. Au bout de la chaîne de l’interprétation, la Cour rappelle qu’elle doit apporter une réponse garante de constance, de clarté et de prévisibilité du droit54. Dès lors, il doit aller de soi que l’interprétation retenue est valable pour tout le texte, et non pas en considérant le seul passage de la loi qui serait spécifiquement mis en cause dans un litige. Ce principe peut être tempéré lorsque le Parlement a eu l’intention qu’un même mot dans la loi ait un sens distinct. Ce travail d’interprétation de la norme consiste, en l’espèce, à dire si les femmes trans jouissant d’un certificat relèvent bien des dispositions du EA faisant mention des « femmes » et ayant pour objet de les protéger de toute discrimination.
La démonstration sur le fond de la Cour s’étend sur soixante-dix pages. Elle s’inscrit dans une démarche historico-interprétative du droit de la non-discrimination au Royaume-Uni depuis la loi fondatrice de 1975. Le Sex Discrimination Act fait ainsi référence aux hommes et aux femmes sans prévoir ou faire mention des personnes transgenres. Malgré plusieurs évolutions, ce texte n’a jamais été amendé pour introduire une nouvelle définition de l’homme ou de la femme. Les juges en concluent donc qu’il n’y a aucun doute sur le fait que l’intention du Parlement en 1975 était de considérer l’homme et la femme selon leur sexe biologique, quand bien même il existât une communauté trans à cette époque. Plus particulièrement, la législation de 1975 visait d’abord à garantir l’intimité et la décence de chacun des deux sexes dans la fréquentation de lieux où ils sont susceptibles de se retrouver physiquement en contact ou nus. La Cour note également que des exceptions nécessaires et raisonnables étaient prévues dans le cadre des compétitions sportives et lorsque des mécanismes de discrimination positive furent instaurés afin de permettre une meilleure représentation des femmes dans certaines fonctions de direction55. Plus loin dans son arrêt, les cinq juges soulignent enfin que la loi de 2004 n’a apporté aucune modification à celle de 1975 dans la définition biologique des sexes. Elle indique à cette occasion que les promoteurs d’une démarche incluant les personnes trans n’ont pas cherché à démontrer qu’il y aurait une évolution entre 1975 et 2010 contribuant à retenir une définition autre que celle de 197556.
À la suite de cette loi amendée à plusieurs reprises, la juridiction s’attarde sur les règlements de 1999, non sans avoir rappelé au préalable que le common law ne reconnaissait pas d’autres sexes que le sexe biologique57. L’analyse de la Cour la conduit, une fois encore, à conclure que, avant la condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme et sa prise en compte par le GRA de 2004, le droit britannique n’acceptait une approche des genres que sous l’angle biologique. Les juges en profitent pour évoquer la jurisprudence Bellinger de l’Appellate Committee de la Chambre des Lords. À l’époque, et en dépit de l’arrêt Goodwin, les Law Lords n’avaient pas admis la validité d’un mariage entre un homme et une femme trans. Il ne faudrait pas éluder trop rapidement ce passage, car elle permet de comprendre que le juge de common law se refuse de retenir des significations larges de termes dont il appartient au législateur de fournir une définition précise. Dans l’arrêt Bellinger, Lord Nicholls l’affirmait avec force : la reconnaissance d’une femme trans en tant que femme au sens d’une loi relative au mariage aurait « nécessité de donner aux mots “mâle” et “féminin” dans la loi un sens nouveau et extensif »58. Or, cette évolution aurait représenté à l’époque « un changement majeur dans le droit susceptible d’avoir d’amples conséquences » qui relevait de la compétence du Parlement, en particulier lorsque le gouvernement manifestait son intention d’introduire une législation afin de répondre aux complications soulevées par le mariage d’un homme avec une femme trans.
La jurisprudence Bellinger est également centrale dans le jugement de la Court of Session de 2023 favorable aux personnes trans, mais la juge en avait écarté la pertinence, car le problème juridique n’était pas le même que celui posé par le cas FWS. La Cour suprême retient néanmoins l’interprétation de la norme sur un sujet de société sensible. Ce constat est important, car il place le rôle des juges de common law par rapport au législateur : outre le refus d’apprécier trop largement des termes à la définition insuffisamment claire à la lumière de l’évolution des mœurs, le self-restraint s’impose aussi pour des questions sociétales majeures dont la réponse ne peut relever que du corps politique.
Par la suite, la Cour présente l’économie générale de la loi de 2004 ainsi que le contentieux y afférent afin de préciser les conditions d’octroi des certificats de genre. La jurisprudence admet, par exemple, qu’une personne sollicitant un tel acte puisse conserver des attributs de son sexe biologique. Les juges en viennent alors à l’examen de la section 9 du texte de 2004 au cœur du désaccord entre le gouvernement écossais et l’association FWS. Cette section dispose que la personne bénéficiaire d’un certificat est réputée avoir acquis complètement le genre qu’elle s’est vu reconnaître, sauf exception aménagée par la loi elle-même ou de futures législations. La Cour revient à ce propos sur une jurisprudence déjà discutée en première instance, Fowler v Revenue and Customs Commissioners59. Elle offre de nouvelles clefs d’interprétation qui ne saurait provoquer des effets clairement étrangers au but de la loi et produire des conséquences « injustes, absurdes, ou irrégulières »60.
C’est ainsi que la loi de 2010 ou d’autres normes favorables à la reconnaissance des droits et libertés des personnes trans n’ont pas abrogé implicitement la loi de 2004. Dans un paragraphe plutôt solennel, la Cour écarte fermement cette lecture de l’appelant en considérant que le texte demeure pertinent pour protéger la minorité en cause dans de nombreux domaines de la vie sociale, aussi bien dans les rapports entre personnes qu’avec les autorités publiques (discriminations horizontales et verticales)61. En revanche, les juges suprêmes refusent de limiter la portée définitionnelle de la femme dans l’exception légale prévue la section 9(3)62. Dans l’affaire McConnell, la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles avait dû se prononcer sur les répercussions d’une situation rarissime d’une femme devenue homme tombée enceinte63. La Cour suprême confirme que ce type de circonstance met à mal la défense du gouvernement écossais, puisque, si le certificat de réattribution devait avoir une portée absolue, l’accès à la procréation médicalement assistée aurait dû être jugé illégal (M. McConnell étant un homme au moment de la demande d’assistance médicale) avec des conséquences graves sur la détermination de la paternité. En conséquence, l’exception de la section 9(3) doit être conçue largement afin de maintenir le droit d’une femme née biologiquement comme tel de bénéficier d’une PMA.
L’interprétation de la loi de 2004 étant faite, la Cour passe à celle de la loi de 2010 avec beaucoup de minutie. Les juges soulignent d’abord que l’EA protège des personnes ou des groupes de personnes partageant des caractéristiques propres, et susceptibles d’être discriminés par des tiers n’ayant pas des mêmes caractéristiques. Ces dernières sont définies par la loi. Ainsi, une personne mâle engagée dans un processus de réattribution de genre du sexe opposé peut être discriminée par un homme ne disposant pas de cette caractéristique64.
Ensuite, la Cour détermine le régime applicable aux personnes enceintes et en congé maternité pour conclure que la loi de 2010 n’y a pas inclus les hommes nés comme tels qui ne peuvent pas tomber enceintes. Ils ne sauraient donc bénéficier du mécanisme de lutte contre les discriminations prévu pour le groupe visé – ce que la Cour de Justice a elle-même reconnu dans les années 199065.
De ces premiers développements se dévoile un argument clef de la démonstration de la Cour : la loi de 2010 doit être lue comme protégeant des personnes appartenant à des groupes déterminés faisant l’objet de discriminations spécifiques. En conséquence, bien que les discriminations croisées soient évidemment proscrites, chaque caractéristique protégée l’est à l’exclusion des autres. La Cour fait sienne une approche doctrinale qui retient cette interprétation de l’EA : « une prétention juridique à affirmer que l’on est une femme est une revendication à être incluse dans la catégorie particulière de caractéristiques protégées à l’exclusion des autres » par la loi. A contrario, c’est aussi « une revendication à exclure les tierces personnes qui ne partagent pas les caractéristiques protégées »66.
Après avoir démontré l’exclusivité des protections de chaque caractéristique protégée par l’EA, la Cour reprend le cadre interprétatif qui doit aboutir à une définition du sexe mâle ou féminin. Elle doit être « prévisible, praticable, et pouvant être constamment comprise et appliquée »67 par les autorités sur lesquelles pèsent des obligations de non-discrimination. Ce principe signifie concrètement que les autorités publiques doivent pouvoir identifier clairement ce qui relève de chaque catégorie protégée et, surtout, d’avoir la capacité d’analyser les particularités susceptibles de désavantager un groupe par rapport à un ou plusieurs autres lorsqu’elles affectent leurs relations68. Cela revient à dire que des mesures de discriminations positives reconnues à un groupe ne doit pas conduire à ostraciser un autre. C’est justement l’enjeu du litige qui paraît assez insoluble en l’état de la législation dans la mesure où certaines femmes nées biologiquement comme telles estiment qu’admettre l’appartenance des personnes trans femme à leur catégorie pourrait provoquer des discriminations à leur encontre. Inversement, les femmes trans considèrent que ne pas leur attribuer la pleine titularité des droits prévus par l’EA au bénéficie des femmes nées femmes est discriminant.
La Cour juge finalement que, « bien que le terme “biologique” n’apparaisse pas » dans la loi, « la signification ordinaire » des sexes « correspond aux caractéristiques biologiques qui déterminent qu’un individu est un homme ou une femme ». La loi distingue systématiquement les deux groupes en fonction des données biologiques lorsqu’elle aborde des situations concrètes (grossesse, maternité, embauche, mariage, services publics exigeant la séparation entre femmes et hommes, fonctionnement des dortoirs, sports, forces armées, accès à des associations lesbiennes).
Cette grille de lecture guide la juridiction afin de privilégier une définition qui ne rendrait pas absurde l’interprétation de la loi de 2010. Pour ce faire, la Cour va étudier les protections de l’EA en appliquant la définition large de la femme et de l’homme, comprenant les personnes trans, puis vérifier si une acception biologique des sexes emporterait une remise en cause des garanties prévues par l’EA au profit des personnes trans69.
À l’appui de sa démonstration, elle considère qu’admettre l’inclusion des femmes trans dans la catégorie protégée « femme » reviendrait, a contrario, à exclure les femmes devenues hommes dans ce même groupe. Or, les conséquences pratiques de cette lecture provoqueraient des situations inextricables, en particulier dans le cas de la maternité et de la grossesse. Il semble que, pour le juge, ces circonstances sont essentielles, car elles sont à l’origine même des dispositifs anti-discrimination au bénéfice des femmes. Il faut y voir un argument historico-juridique déterminant dans le raisonnement de la Cour70. Au paragraphe 172, elle estime, de surcroît, que l’hétérogénéité du groupe des personnes trans amène une lecture trop casuistique de la loi. Elle perdrait de sa portée générale et absolue. La Cour rejette l’argument retenu par l’Inner House selon lequel le sens du mot « femme » pourrait varier en fonction des circonstances afin que la loi soit opérante71. Sous l’angle de la sécurité juridique et de la prédictibilité de l’application de la norme, cette lecture est inadaptée en common law : « par nature, une définition qui fluctue n’est pas claire, stable et prévisible. C’est même l’inverse »72. Pour asseoir un peu plus son affirmation, la juridiction suprême ajoute qu’aucune définition concurrente de la signification biologique de la femme n’est identifiable dans la législation73.
Une ultime analyse retient l’attention. Les juges soutiennent qu’une acception large, dépendante de la femme incluant les personnes trans jouissant d’un certificat, « pourrait créer en plus deux sous-groupes entre personnes partageant les mêmes caractéristiques protégées de réattribution de sexe, donnant aux titulaires d’un certificat plus de droits que ceux qui n’en disposent pas »74. Cette subdivision risquait de conduire les autorités concernées à vérifier que telle ou telle personne bénéficiait de l’acte administratif pour prétendre profiter des mesures de discrimination positive. Pourtant, la Cour relève que le certificat, une fois obtenu, est une information privée qui n’a pas à être divulguée pour obtenir des protections légales.
Résumons : dans la mesure où la loi de 2010 ne donne effectivement pas de définition préalable de la femme, il faut rechercher dans le texte des dispositions qui pourraient éclairer l’intention du législateur. Or, les seuls passages pouvant être mobilisés de ce point de vue concernent en particulier la maternité et la grossesse, qui s’en tiennent à une conception biologique. Puisque l’interprétation des mots femme ou homme ne saurait varier d’une section à une autre de l’EA pour des motifs de sécurité juridique et de prévisibilité de la norme, il faut donc considérer que la définition biologique continue de s’imposer de façon générale, d’autant que le législateur n’a pas, entre 1975 et 2010, marqué une intention claire d’inclure les personnes trans dans la catégorie « femme ». La Commission à l’égalité et des droits humains britannique l’avait elle-même admis dans son intervention au présent litige : « si le terme sexe était défini comme le sexe biologique dans l’EA de 2010, cela apporterait une plus grande clarté » dans l’application de plusieurs domaines couverts par la loi75.
En ce qui concerne les droits à la non-discrimination des personnes trans, la Cour tente de prouver que retenir la définition biologique de la femme n’aura aucune conséquence. Elles continueront d’être préservées des discriminations directes et indirectes76. Au terme de son arrêt et afin d’éviter toute ambiguïté quant à la nécessité de défendre également les personnes trans des discriminations, la Cour souligne que la lecture qu’il fait de la loi de 2010 n’emporte pas la mise à l’écart des garanties reconnues aux personnes trans, avec ou sans certificat de réattribution de genre. Les personnes trans sont protégées de toute discrimination sur le fondement de la caractéristique propre « réattribution de genre »77.
Malgré ces précautions et le caractère convaincant de l’arrêt de la Cour, plusieurs critiques sérieuses doivent être émises. Elles ne signifient pas forcément que la solution inverse aurait été meilleure. Elles illustrent plutôt le fait qu’une décision en droit peut tout simplement ne pas être en mesure d’apporter une réponse entièrement satisfaisant à des situations de fait très spécifiques.
B. Une minoration des conséquences de l’interprétation législative retenue
Si la démonstration juridique d’ensemble de la Cour se défend, l’approche biologique de la femme à laquelle elle aboutit suscite elle-même des difficultés pratiques et juridiques évincés trop rapidement par la Cour. Nombreuses sont les voix officielles qui se sont émues de l’arrêt FWS, notamment les experts de l’ONU ou le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe78.
Sur le terrain juridique, et malgré la démarche progressive et constructive de l’interprétation de la Cour, la décision contient une première faiblesse liée à un postulat discutable : celui qui consiste à soutenir qu’il y aurait une « signification ordinaire » de la femme. Cette appréciation est de nature sociétale et n’a rien de juridique. Le droit britannique et un certain nombre de textes de droit international produits par des organisations auxquelles le Royaume-Uni est partie contredisent toute évidence dans la définition juridique de la femme. Derrière l’expression « signification ordinaire » se dissimule la normalité qui, au-delà même du droit, est gênante.
La seconde réserve tient au défaut de prise en compte approfondie du droit national et international des droits humains. Le Human Rights Act de 1998, qui transpose la Convention en droit britannique est fort peu mobilisé, de même que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ou encore des institutions internationales favorables à une définition souple des sexes79. L’absence d’une analyse sérieuse sur ce plan a été sévèrement jugée par une partie de la doctrine.
En troisième lieu, la vision biologique du sexe ne peut que mener à ignorer les situations de genre intermédiaires80. Plusieurs associations ont également mis en exergue des cas concrets qui démontraient que l’opinion des juges provoquerait autant de problèmes que ceux qu’elle prétendait vouloir éviter. Kenneth Norrie, une autorité doctrinale en droit de la famille écossais, écrit même à propos du FWS case que la décision du juge suprême était censée prévenir la multiplication de futurs contentieux ; à cet égard, elle « a misérablement échoué »81.
Dès l’énoncé de la décision, plusieurs services publics qui avaient instauré des facilités en fonction du genre auquel s’identifiaient des usagers ont dû réviser leurs approches en restaurant une séparation selon le sexe biologique, au risque de mettre en péril la situation des personnes ayant changé de sexe82. Le jugement a emporté l’introduction de contrôles intrusifs et discriminants pour déterminer le sexe biologique, contrôles qui, s’ils n’ont pas lieu, conduiraient à se fier à l’appréciation des apparences physiques parfois pleine de préjugés83. Face à cette situation, la Commission britannique pour l’égalité et les droits humains a demandé au gouvernement de mettre à jour promptement le Code des bonnes pratiques pour les services ouverts au public, les fonctions publiques et les associations84. Quant au Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, il a adressé une missive aux autorités britanniques pour manifester son inquiétude à l’égard des discriminations auxquelles les personnes trans sont exposées depuis avril 202585.
Ainsi, il est à craindre que la lecture rapide de la démonstration de la Cour laisse entendre qu’une femme transgenre est, au mieux, une espèce de « troisième sexe » ou, au pire, doit continuer d’être assimilée à un homme, tout en affaiblissant la valeur des certificats de reconnaissance de genre86. Ceci revient à nier les évolutions majeures de la médecine et du droit en ce domaine (la section 7 du EA faisant d’ailleurs référence au « reassigned sex », expression qui implique que le sexe biologique déterminé à la naissance puisse changer)87. Rien n’empêchait, en théorie, d’inclure les personnes trans dans la définition de la femme afin de leur garantir les protections afférentes, et de les exclure en fonction de circonstances particulières révélant un risque pour les femmes nées comme telles88.
Ces lacunes du raisonnement de la Cour ont justifié que plusieurs requérants saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme. Au regard de la question sociétale que pose ce contentieux, la réponse qu’elle donnera n’est pas acquise89. Les réactions à l’issue de son arrêt devront être suivies avec attention, alors que l’autorité de la juridiction européenne est de plus en plus contestée outre-Manche90.
Conclusion
Force est d’admettre qu’au terme du rappel du contexte de la décision du 16 avril 2025 et de l’explication de l’opinion exprimée par des juges suprêmes unanimes, l’observateur avisé et non militant reste sur sa faim. Il semble manifeste qu’aucune solution (en droit et en fait) n’était complètement satisfaisante. Des conclusions inverses étaient tout aussi envisageables en raison des obstacles concrets que la conception biologique des sexes implique. C’est toutefois le rôle du juge que de devoir trancher. En l’état d’une législation qui ne peut être lue de façon totalement claire, la Cour suprême du Royaume-Uni a choisi une position conservatrice conforme à la logique du common law et de ce qu’elle impose dans le cadre d’un judicial review mobilisant l’interprétation du législateur. Ce conservatisme s’est encore manifesté quelques mois après l’affaire FWS lorsque, à l’occasion d’un événement commémorant les 25 ans du Human Rights Act, l’un des juges suprêmes a exprimé sa sérénité dans le cas d’un retrait du Royaume-Uni de la Convention européenne des droits de l’Homme. Lord Briggs s’est voulu rassurant sur la capacité du common law à protéger les droits et libertés fondamentaux dans cette éventualité (qu’il n’appelle cependant pas de ses vœux)91. Dans l’arrêt du 16 avril 2025, cet attachement au raisonnement de common law (sans s’attarder sur l’apport des droits international et européen des droits humains) consiste à dire ce que les lois semblent privilégier comme approche au moment où elles ont été adoptées en prenant en considération la législation antérieure, et en tenant compte de difficultés d’application d’une définition large de la femme qui sont peu contestables. Plus précisément, la Cour a rappelé que les lois anti-discrimination en faveur des femmes ont été historiquement fondées sur l’acception biologique des sexes et qu’aucun texte postérieur n’est venu la remettre en cause clairement. C’est bien la rationalité de « l’autorité du passé »92 qui s’est imposée en présence d’un débat de société dont les organes politiques n’ont pas voulu se saisir.
Cette remarque amène une seconde série de réflexions conclusives liées au rapport entre le juge et le politique. La Cour suprême ne pouvait ignorer la tendance des institutions écossaises à défier le gouvernement britannique par des initiatives juridiques audacieuses qui ont toutes mis en cause l’unité du Royaume-Uni. Durant le contentieux FWS, le Parlement écossais avait même adopté un projet de loi assouplissant considérablement les conditions de reconnaissance d’une modification de genre (Gender Recognition Reform (Scotland) Bill 2022). Il souhaitait tenir compte de façon extensive d’un rapport de la Commission européenne ou d’autres organisations de protection des droits humains jugeant le droit britannique bureaucratique et intrusif93. Deux évolutions retenaient l’attention : l’abaissement de l’âge d’octroi d’un certificat de changement de genre à 16 ans et la suppression de l’exigence d’un diagnostic médical de dysphorie. Bien que l’application du GRA de 2004 relève bien de la compétence des autorités dévolues, le gouvernement britannique opposa pour la première fois depuis l’entrée en vigueur des lois de dévolution son veto94 en raison des inégalités entre personnes trans que le texte écossais allait créer sur l’ensemble du Royaume-Uni. Or, tout ce qui porte sur le traitement des personnes sous l’angle du principe d’égalité demeure une compétence réservée de Westminster aux fins de son application uniforme sur tout le territoire. Un contentieux s’en est suivi. S’il n’est pas allé jusqu’à la Cour suprême, il fut une énième fois défavorable aux autorités écossaises95 qui abandonnèrent leur réforme. Il est fort probable que la succession de ces arrêts a eu une influence sur le juge suprême qui, dans le cadre constitutionnel britannique tel qu’il est, a pour mission de préserver l’unité du Royaume-Uni considérablement affaiblie depuis le Brexit.
À propos du retrait de l’UE, il faut se souvenir que la Cour suprême avait été contestée par une partie des conservateurs en raison de jugements retentissants96. Certains tories avaient fustigé un activisme judiciaire. Bien que cette accusation fût largement infondée97, il n’est pas absurde de penser que la Cour (dont la présidence et les membres ont été renouvelés dans d’importantes proportions depuis 2020) a voulu, après la crise du Brexit, calmer le jeu. Les juges ont sans doute souhaité éviter des interprétations trop volontaristes des lois sur une sujet sensible. Lord Reed, qui dirige la Cour depuis le départ de Lady Hale en 2020 est, de fait, plus attaché au self-restraint en matière de judicial review98.
L’intention de la Cour de prendre des distances nettes avec l’arène politique était d’autant plus justifiée dans le contentieux FWS que les partis ont refusé, au niveau national, de se saisir de ce sujet. On peut le comprendre. Ainsi que le rappellent les juges dans leur opinion, un peu plus de 8000 personnes ont obtenu un certificat de réattribution de genre selon l’Office National des Statistiques (soit une petite minorité de personnes trans qui, elles-mêmes, ne représenteraient que moins de 0,5 % de la population – et si tant est que les statistiques soient fiables)99. Un tel phénomène focalise sans doute trop le débat public pour nombre de responsables politiques qui préfèrent s’attacher aux préoccupations des citoyens que les instituts de sondage évaluent comme étant prioritaires100. Du point de vue de la stratégie électorale ou du quotidien de la quasi-totalité des Britanniques, la problématique de la définition du sexe apparaît donc secondaire. Pris à témoin d’oppositions vives entre mouvements qui se réclament toutes du féminisme, les groupes politiques ont été sommés de choisir un camp. Le juge, tout en insistant sur le fait qu’il n’a raisonné qu’en droit, a tout autant été pris à parti : que ce soit la Court of Session écossaise ou la Cour suprême, toutes les décisions ont été perçues comme des victoires de militants sur d’autres, alors que tel n’était évidemment pas l’objet des jugements rendus.
Face à une question de société aussi fondamentale que celle de la définition des genres, il ne ressortit pas à la compétence des juridictions de donner une réponse définitive, mais bien du corps politique dès lors qu’il accepte d’en faire un enjeu électoral. Le SNP l’avait fait en 2016. En revanche, ni les travaillistes ni les conservateurs n’ont véritablement souhaité s’y intéresser à l’échelle nationale. Leurs leaders ont toujours refusé d’amender le GRA de 2004 pour tenir compte des recommandations d’institutions et organismes internationaux favorables à une réévaluation des procédures de réattribution de genre. Il est regrettable que, dans ce cas comme dans d’autres (il suffit de penser au cas de la fin de vie), les juges doivent être contraints d’apporter des réponses à des problèmes qui le mettent en difficulté parce que ledit problème aurait justifié l’action des institutions politiques. La Commission britannique sur l’égalité et les droits humains, citée par la Cour suprême, n’avait pas dit autre chose lorsqu’elle conclut dans l’une de ses interventions que le gouvernement avait été averti de certaines impasses, l’appelant instamment à modifier l’EA de 2010101.
Comme l’a souligné Lady Hale, qui ne saurait être taxée de sectarisme, il appartient à la société et à la classe politique de continuer, dans un esprit le plus apaisé possible, de nourrir les échanges afin de trouver une solution viable pour toutes les minorités et leur garantir la meilleure protection102. Le débat sur la définition des sexes est loin d’être clos. Les juges de la Cour suprême n’ont jamais eu pour ambition de le refermer103.
1For Women Scotland Ltd v The Scottish Ministers [2025] UKSC 16.
2Miller v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC (Miller 1) ; Miller v The Prime Minister [2019] UKSC 41 (Miller 2).
3La loi prévoit que, pour le champ concerné, la compétence de Westminster n’est pas exclusive afin de répondre à la volonté d’étendre l’autonomie des autorités dévolues écossaises.
4M. Rhodes, « The women who wouldn’t wheesht: For Women Scotland on gender reform », Holyrood, 12 mars 2024.
5L. Bews, Isla Bryson : Transgender rapist jailed for eight years, BBC News, 28 février 2023.
6« Tiffany Scott : Call to block trans prisoner’s move to women’s jail », BBC News, 28 janvier 2023.
7L. Brooks, « Gender-critical feminist charged over allegedly transphobic tweets », The Guardian, 4 juin 2021.
8For Women Scotland Ltd [2021] CSOH 31.
9For Women Scotland Ltd v Lord Advocate [2022] CSIH 4.
10For Women Scotland [2022] CSOH 90.
11Reclaiming motion by For Women Scotland ltd against the Scottish ministers [2023] CSIH 37.
12Nous tenons, d’ores et déjà, à nous excuser si le vocabulaire employé révèle des inexactitudes dans la façon d’aborder telle ou telle communauté sexuelle, intersexuelle ou asexuelle en l’absence de consensus sur certaines définitions liées au sexe. Nous sommes, à cet égard, dépendant des termes employés par les textes en vigueur et le juge. Le lecteur ne saurait y voir une quelconque volonté de discriminer ou de heurter telle ou telle communauté.
13Martin v Her Majesty’s Advocate [2010] UKSC 10 ; AXA General Insurance Ltd v The Lord Advocate [2011] UKSC 46 ; Imperial Tobacco Limited v The Lord Advocate (Scotland) [2011] UKSC 44 ; The Christian Institute and others v The Lord Advocate (Scotland) [2016] UKSC 51.
14L’arrêt Scotch Whisky Association v The Lord Advocate (Scotland) [2017] UKSC 76 ne sera pas vu dans le cadre de cette étude, dans la mesure où il concernait au premier chef la légalité du droit écossais par rapport au droit de l’UE.
15Miller 1 préc.
16A Reference by the Attorney General and the Advocate General for Scotland “Scottish Continuity Bill” [2018] UKSC 64.
17Press summary, 13 December 2018.
18United Nations Convention on the Rights of the Child (Incorporation) (Scotland) Bill [2021] UKSC 42.
19§ 41 et 52.
20V. C. McHarg, A. McCorkindale, « The Supreme Court and Devolution : The Scottish Continuity Bill Reference », Judicial Review, 2019, p. 190.
21AXA General Insurance Ltd., préc. Lord Hope rappelle que la legislation des autorités dévolues est soumise à un contrôle minimum des juges, contraires à d’autres collectivités infra-étatiques, notament parce que la devolution fait partie des arrangements constitutionnels britanniques (§ 52). V. aussi Robinson v Secretary of State for Northern Ireland [2002] UKHL 32.
22Prérogative explicitement reconnue par la Section (28)7 du Scotland Act 1998.
23V., par exemple, S. Gillibrand, S. Banerjee, E. Carolan, « Cracks in the foundations ? : Exploring the tension between constitutional tradition and constitutional culture regarding », Public Law, 2023, p. 587 ; A. Sanger, A. Young, « An involuntary union ? Supreme Court rejects Scotland’s claim for unilateral referendum on independence », Cambridge Law Journal, 2023, vol. 82, n° 1, p. 1 ; M. Elliott, N. Kilford, « Devolution in the Supreme Court : Legislative Supremacy, Parliament’s “Unqualified” Power, and “Modifying” the Scotland Act », U.K. Const. L. Blog, 15 October 2021.
24Néanmoins, le Schedule 4 empêche le Parlement écossais d’amender le HRA, disposition qui, à elle-seule, aurait peut-être suffi à limiter la compétence des autorités dévolues plutôt que l’évocation d’un « unqualified legislative power » indéfini.
25G. Davies, « The UK Supreme Court and Devolution: Guardian of the Passive Revolution ? », Public Law, 2025, p. 58.
26M. Elliott, N. Kilford, préc.
27V. J. M. Tirapu-Sanuy, « Devolution, National Pluralism and the Role of the UK Supreme Court », Oxford Journal of Legal Studies, 2025, vol. 45, n° 3, p. 640.
28Reference by the Lord Advocate of devolution issues under paragraph 34 of Schedule 6 to the Scotland Act 1998 (Indyref2 case) [2022] UKSC 31.
29V., par exemple, L. Raible, « Self-determination at the UK Supreme Court and the failure of international law », Edin. L.R., 2023, n° 27(2), p. 219.
30Notre article, « Supreme Court’s case law on the Scottish independence referendum : substance and consequences », Costituzionalismo britannico e irlandese, 2025, n°1, p. 25.
31Cour eur. Dr. h., 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, req. n° 17488/90 ; Bellinger v Bellinger [2003] UKHL 21.
32Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, l’obtention d’un titre juridique reconnaissant le changement de sexe ne saurait être dépendant de traitements invasifs et chirurgicaux (Cour eur. dr. h., 6 avril 2017, P, Garçon et Nicot c. France, req. n° 79885/12, 52471/13, et 52596/13).
33CJUE, 12 novembre 1996, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. Conseil de l’Union européenne, aff. C-84/94, Rec. CJUE, p. I-5755 ; Chief Constable of West Yorkshire Police v A (No.2) [2004] UKHL 21.
34La juridiction ne partage donc pas l’interprétation retenue par les requérants du jugement P v S and Cornwall County Council préc.
35For Women Scotland Ltd [2021] CSOH 31, § 26.
36§ 32.
37For Women Scotland Ltd v Lord Advocate [2022] CSIH 4.
38§ 36.
39§ 39.
40[2022] CSOH 90, § 53.
41A. Hassan, J. Perini, A. Khan, A. Iyer, « Pregnancy in a Transgender Male : A Case Report and Review of the Literature », Case Rep Endocrinol., 29 juin 2022.
42R (McConnell) v Registrar General for England and Wales [2020] EWCA Civ 559.
43Reclaiming motion by For Women Scotland ltd against the Scottish ministers [2023] CSIH 37, § 21.
44§ 25.
45§ 30.
46P, Garçon et Nicot c. France, préc.
47§ 31.
48§ 61 et s.
49§ 25.
50§ 2.
51Black-Clawson International Ltd v Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg AG [1975] AC 591 ; R v Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions, Ex p Spath Holme Ltd [2001] 2 AC 349 ; R (O) v Secretary of State for the Home Department [2022] UKSC 3.
52§ 29.
53Quintavalle v Secretary of State for Health [2003] UKHL 13, § 8.
54Spath Holme Ltd, Lord Hope, § 14.
55§ 51 à 53.
56§ 164 et s. ; § 174.
57Corbett v Corbett (otherwise Ashley) [1971] P 83. V. aussi, R v Tan [1983] QB 1053.
58Bellinger v Bellinger [2003] UKHL 21, § 36 et 37.
59[2020] UKSC 22.
60§ 96, citant Lord Briggs.
61§ 100.
62§ 102 et s.
63R (McConnell) v Registrar General for England and Wales, préc.
64§ 134.
65Dekker v Stichting Vormingscentrum voor Jong Volwassenen, aff. C-177/88, Rec. 1990, p. I-03941.
66§ 142, citant M. Foran, « Defining Sex in Law », Law Quaterly Rev., 2025, n° 76, p. 91. L’auteur est l’un des meilleurs spécialistes de la question outre-Manche, mais il est partisan puisqu’il a conseillé l’association Sex Matters hostile à la définition large de la femme.
67§ 152.
68§ 153.
69§ 161 ; § 178 et s.
70§ 177 ; § 189 et s.
71§ 190.
72§ 191.
73§ 189.
74§ 198 et s.
75§ 247.
76§ 248 et s.
77§ 267.
78« UN experts warn of legal uncertainty and rights implications following UK Supreme Court ruling », Rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion et la protection de la liberté d’opinion et d’expression, 22 mai 2025.
79A. McColgan, « For Women Scotland v The Scottish Ministers [2025] UKSC 16 », European Human Rights Law Review, 2025, n° 5, p. 533.
80Le jugement ne fait ainsi aucune mention des « intersex people ». V. R. Mullins, « For Women Scotland : Fastening the “Biological” Straitjacket” », U.K. Const. L. Blog, 22nd May 2025, (https://ukconstitutionallaw.org/2025/05/22/robert-mullins-for-women-scotland-fastening-the-biological-straitjacket/).
81Judicial Review, 2025, n° 3, p. 182.
82Equality and Human Rights Commission, An interim update on the practical implications of the UK Supreme Court judgment, 25 April 2025 (https://www.equalityhumanrights.com/media-centre/interim-update-practical-implications-uk-supreme-court-judgment) ; Lette adressée à la présidente de la Commission des droits des Femmes et des Égalités et au président de la Commission sur l’Égalité et les droits humains, ref. HR/MOF/sf 134-2025, 3 octobre 2025.
83V. I. Rorive, « Qu’est-ce qu’une femme », Esprit, Juin 2025, p. 21.
84Lette au ministre des Femmes et des Égalités, 15 octobre 2025.
85Lettre préc.
86M. Beury, L. Holzer, E. Zacharias, « The UK Supreme Court’s Unworkable Sex Definitions in For Women Scotland », Völkerrechtsblog, 14 May 2025, https://voelkerrechtsblog.org/the-uk-supreme-courts-unworkable-sex-definitions-in-for-women-scotland/.
87V. A. Benn, « Biological Sex’ in the UK Supreme Court : Four Problems with For Women Scotland v Scottish Ministers », Oxford Humlan Rights Hub, 17 avril 2025.
88V. aussi M. Field, « Does the Equality Act ban trans women from women’s services ? », LinkedIn, 11 novembre 2025.
89C. Wigley, « For Women Scotland : a legal critic », Translegal Project.org, 2025, 17 p.
90En particulier par le lien qui est fait (non sans arrière-pensées et caricatures) entre sa jurisprudence et l’augmentation de l’immigration illégale. Même les travaillistes, à l’origine de l’adoption du HRA en 1998, projettent de limiter la portée des arrêts de la Cour en droit interne dans le traitement des dossiers de migrants (C. Doherty, « Shabana Mahmood to ramp up deportations by overriding ECHR in fresh immigration crackdown », The Independent, 17 novembre 2025).
91« Protecting human rights : the common law as the starting point », Justice annual conference. 25 years of the Human Rights Act, 10 novembre 2025.
92L. Assier-Andrieu, L’autorité du passé. Essai anthropologique sur la Common Law, Dalloz, coll. Les Sens du Droit, 2011, 271 p.
93Directorate-General for Justice and Consumers, Legal gender recognition in the EU The journeys of trans people towards full equality, European Commission, June 2020, 263 p.
94Section 35(b) du Scotland Act.
95Gender Recognition Reform (Scotland) Bill – Re Scottish Minister’s Petition [2023] CSOH 89. V. Paul Daly, « The Section 35 Order was Lawful After All : Re Scottish Ministers’ Petition 2023 CSOH 89 », Administrative Law Matters, 8 décembre 2023 ; M. Foran, « Section 35 and the Separation of Powers : On the Role of Unwritten Constitutional Principles in the Interpretation of the Scotland Act », U.K. Const. L. Blog, 13 décembre 2023 ; P. Sandro, « Devolution and the Phantom Menace : An alternative view on the appropriate intensity of judicial scrutiny of the s. 35 Scotland Act 1998 order », U.K. Const. L. Blog, 20 décembre 2023 ; A. Deb, « Ouroboric devolution: In Re Scottish Ministers’ Petition », Northern Ireland Legal Quarterly, 2024, n° 75(4), p. 790.
96Miller 1 et Miller 2 préc.
97V. notre article, « Le Brexit, la prérogative royale et la Cour suprême », RFDA 2020, p. 410.
98C. Gearty, « In the Shallow End », London Review of Book, 27 janvier 2022 ; L. Graham, « The Reed Court by numbers : How shallow is the “Shallow End” ? », UK Constitutional Law Assoc. Blog, 4 avril 2022.
99§ 26. V. R. Booth, « Official estimate of trans population in England and Wales dropped by ONS », The Guardian, 12 septembre 2024.
100V., par exemple, le baromètre de l’organisme YouGov, « The most important issues facing the country » (https://yougov.co.uk/topics/society/trackers/the-most-important-issues-facing-the-country).
101§ 265, pt. xvi.
102L. Knight, « Court ruling on legal definition of a woman ‘misinterpreted’, Lady Hale says”, The Guardian, 22 mai 2025.
103L’auteur remercie Thomas Perroud pour les échanges et sa relecture qui ont nourri cet article.


