Du refus d’accorder la pension de réversion au partenaire survivant
Le refus français d’accorder le bénéfice de la pension de réversion au partenaire survivant échappera-t-il à une condamnation européenne pour discrimination ?
Par Anne-Sophie Brun-Wauthier
La proposition de loi visant à étendre le bénéfice du droit à pension de réversion aux couples liés par un pacte civil de solidarité et aux concubins notoires est, depuis quelques jours, caduque. Et pourtant, il semble bien que le refus d’accorder le bénéfice de la pension de réversion au partenaire survivant réalise une discrimination justiciable des articles 8 et 14 de la Convention EDH.
La proposition de loi visant à étendre le bénéfice du droit à pension de réversion aux couples liés par un pacte civil de solidarité et aux concubins notoires est, depuis quelques jours, caduque. Interrogée mercredi 26 octobre par la députée PS Marie-Françoise Clergeau lors de l’examen du projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale, la ministre du Budget Valérie Pécresse a très clairement rejeté toute éventualité d’extension (Libération, 26 oct. 2011). Et pourtant, il semble bien que le refus d’accorder le bénéfice de la pension de réversion au partenaire survivant réalise une discrimination justiciable des articles 8 et 14 de la Convention EDH.
Applicabilité de l’article 8 à la pension de réversion. L’applicabilité de l’article 8 ne pose guère de difficulté. La réversion pourrait, d’une part, être analysée comme une relation d’ordre successoral, auquel cas la vie familiale serait en cause, conformément à la jurisprudence constante de la Cour EDH depuis l’arrêt Marckx. La Cour a d’ores et déjà accepté d’étudier à l’aune de l’article 8 le refus d’accorder les droits de pension à la compagne d’un homme décédé auquel elle était unie religieusement (Cour EDH 20 janv. 2009, Serife Yigit c. Turquie, JCP 2009, 115, obs. A. Gouttenoire). La réversion pourrait, d’autre part, être analysée comme un droit additionnel, i.e. un droit non garanti conventionnellement mais reconnu dans le droit interne d’un Etat membre et devant, par voie de conséquence, être garanti par cet Etat sans discrimination. Comme elle l’a fait dans l’arrêt EB c. France à propos du droit d’accès à l’adoption par une personne célibataire (Cour EDH 22 janv. 2008, JCP 2008, II, 10071, note A. Gouttenoire et F. Sudre), la Cour pourrait ainsi considérer qu’en accordant le bénéfice d’une pension de réversion au conjoint survivant, la France est allée plus loin que ce qu’impose l’article 8 mais que, dans la mesure où elle reconnaît ce droit, elle doit le garantir sans discrimination.
Différence de traitement entre conjoint survivant et partenaire survivant – ratio legis de la réversion. Envisager une discrimination suppose néanmoins que l’on établisse que conjoint survivant et partenaire survivant se trouvent dans une position analogue, sinon identique. Il n’est alors nullement question de comparer, de manière générale, mariage et pacs, mais d’identifier très précisément ce qui, dans le mariage, justifie que la pension de réversion soit octroyée au conjoint survivant, pour vérifier ensuite si l’on retrouve la raison d’être de la disposition dans le pacs.
Traditionnellement, c’est la solidarité financière entre époux qui est invoquée au fondement de l’octroi d’une pension de réversion. C’est ainsi que le Conseil d’état et la Cour de cassation ont justifié le refus de l’accorder au concubin survivant (CE 6 déc. 2006, Dr. Fam. 2007, comm. n°27, V. Larribau-Terneyre ; JCP 2007, éd. N, II 10096, note A. Devers). Telle est également la position de la HALDE (Délib. HALDE n° 2010-20 et n° 2010-21, rapp. spéciaux annexés, 1er févr. 2010 : JO 3 avr. 2010, textes n° 113 et n° 114) et même du gouvernement qui, à l’occasion d’une réponse ministérielle, a affirmé que « la réversion a vocation à compenser la part prise par le conjoint survivant dans la constitution des droits à retraite du conjoint décédé : elle est donc intimement liée à l’existence d’une solidarité financière totale entre les conjoints » (RM JO Sénat 08/07/2009, p. 6650). Pourtant, si l’on admet que la raison d’être de la disposition accordant une pension de réversion au conjoint survivant est la solidarité financière ayant existé entre les époux, force est d’observer que l’on retrouve cet élément à l’identique, ou presque, dans le pacs.
La solidarité financière en mariage prise comme ratio legis de l’octroi d’une pension de réversion ne peut être, en effet, que celle imposée par le régime primaire impératif. La solidarité financière accrue découlant du choix d’un régime de biens communautaire ne saurait être prise en considération, même si près de 90% des couples mariés le sont sous un régime de communauté, car elle n’est pas commune à tous les couples mariés. Si l’on en revient à la solidarité financière du régime primaire, celle-ci s’articule principalement autour de deux éléments : la contribution aux charges du mariage et la solidarité pour les dettes destinées à l’entretien du ménage ou à l’éducation des enfants (C. civ., resp. art. 214 et 220) ; tous éléments que l’on retrouve à l’identique ou presque dans le pacs, les partenaires s’obligeant à contribuer aux dettes contractées pour les besoins de la vie courante et étant tenus solidairement pour les mêmes dettes (C. civ., 515-4).
D’aucuns pourraient plaider que les dispositions précitées du pacs n’obligent pas le partenaire du débiteur à participer au paiement des cotisations retraite, que ce soit au stade de la contribution comme de l’obligation à la dette, car les dépenses contractées pour les besoins de la vie courante seraient entendues de manière plus stricte que les charges du mariage ou les dépenses destinées à l’entretien du ménage. La jurisprudence pourrait souscrire à cette analyse. Elle devrait même logiquement s’y rallier au jour d’aujourd’hui car c’est visiblement la pension de réversion qui justifie qu’un époux soit solidairement tenu des cotisations retraite de son conjoint (V. en dernier lieu Civ. 1ère 4 juin 2009, Defr. 2010, art. 39069, note G. Champenois) ; à l’inverse, l’absence de pension de réversion devrait conduire à rejeter la solidarité des partenaires. Curieux raisonnement qui consiste à partir de la situation actuelle – objet de critique – pour aboutir à une interprétation qui la sert… Même si la jurisprudence opte pour cette interprétation, il n’en découle pas nécessairement une différence de situation entre conjoints et partenaires du point de vue de la pension de réversion. S’attacher à la solidarité financière uniquement en ce qu’elle oblige le conjoint du débiteur à participer au paiement des cotisations n’a en effet rien d’évident. Il est également possible d’envisager la solidarité financière plus largement, les obligations de contribution et solidarité aux dépenses de la vie commune se faisant l’expression de l’entraide imposée aux époux, entraide dont la réversion constitue le prolongement au bénéfice du survivant (possiblement en situation précaire – V. les conditions de ressources imposées dans le régime de la sécurité sociale pour bénéficier de la pension de réversion, CSS, art. L. 353-1). Or, de ce point de vue, l’analogie entre mariage et pacs est claire.
Autant dire que époux et partenaires sont, au regard du bénéfice de la pension de réversion, et non de manière générale, dans une situation analogue sinon identique et qu’une différence de traitement frappe le partenaire survivant à qui le droit français refuse d’octroyer une pension de réversion.
But légitime et proportionnalité. Le coût de l’extension (7,8 milliards d’euro en année pleine selon Valérie Pécresse, 5 milliards pour d’autres, Libération, art. précit.) et, plus généralement, l’équilibre du système voire sa viabilité pourraient-ils constituer le but légitime poursuivi par la différence de traitement ? L’admettre n’empêcherait pas la France d’être condamnée car il lui resterait à démontrer que la différence de traitement est proportionnée au but poursuivi. L’absence de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe militerait en faveur d’une marge d’appréciation large. Reste que la politique du Conseil de l’Europe est empreinte de sévérité en ce qui concerne la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, la Cour estimant que seules des considérations très fortes peuvent justifier une différence de traitement fondée sur un tel motif. Dans le cas qui nous occupe, d’aucuns argueront que la différence de traitement n’est pas fondée sur l’orientation sexuelle dans la mesure où tout partenaire survivant est exclu du bénéfice de la pension de réversion, indépendamment du fait que le couple qu’il formait était hétéro ou homosexuel. Une telle analyse fait fi de la réalité : c’est bien parce que l’on refuse au couple homosexuel le mariage que l’on se trouve dans cette situation. Comme souvent en effet, le raisonnement consistant à hiérarchiser les formes de couples et, par suite, à accorder à ses membres des droits différents, en fonction de l’ampleur de l’engagement pris l’un envers l’autre, achoppe sur l’absence d’ouverture du mariage au couple homosexuel. En clair, comment refuser d’octroyer un droit au partenaire survivant homosexuel au motif qu’il n’est pas dans les liens de l’engagement le plus plénier… auquel il n’a pas eu accès ?
QPC 29 juillet 2011. C’est du reste l’argument que l’on peut opposer au Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 2011-155 QPC du 29 juill. 2011, affirme que le principe d’égalité n’est pas méconnu au motif que le pacs, s’il assujettit les partenaires à des obligations financières réciproques et à l’égard des tiers, ne prévoit, contrairement au mariage, « ni compensation pour perte de revenus, en cas de cessation du partenariat au profit de l’un des partenaires, ni vocation successorale au survivant en cas de décès d’un partenaire ». Au rebours de l’analyse traditionnelle précédemment exposée, le Conseil fonde la réversion sur la solidarité financière des époux non pas dans le mariage mais à sa dissolution : prestation compensatoire en cas de divorce et vocation successorale ab intestat en cas de décès. Si cette solidarité financière à la vie-à la mort (du couple ou de l’un de ses membres) est la ratio legis de la réversion, les partenaires hétérosexuels en sont légitimement exclus de lege lata. La solution pourrait être différente concernant le partenaire survivant homosexuel auquel le choix entre mariage et pacs n’a pas été offert. La solution consisterait-elle à traiter différemment partenaire hétérosexuel et partenaire homosexuel – refusant au premier ce que l’on accorderait au second ? Si le pacs reste un engagement identique, que ses membres soient de même sexe ou de sexe différent, exclusif de toute solidarité après rupture, accorder la pension de réversion au partenaire homosexuel et la refuser au partenaire hétérosexuel réaliserait une discrimination au détriment de ce dernier. Resterait alors à bâtir un statut offert aux seuls couples homosexuels, incluant prestation compensatoire et vocation successorale ab intestat : un mariage homosexuel en somme…
Menace d’une condamnation européenne. La condamnation pour discrimination qui n’est pas venue du Conseil constitutionnel pourrait ainsi provenir de la Cour EDH ou même de la CJUE qui a largement tracé sa jurisprudence à venir à l’occasion de la question préjudicielle posée par l’Allemagne au sujet des droits à pension de réversion devant être accordés au survivant de même sexe du partenariat de vie. La Cour a en effet décidé que la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui institue le principe de non-discrimination en matière de rémunérations, s’oppose à une réglementation en vertu de laquelle, après le décès de son partenaire de vie, le partenaire survivant ne perçoit pas une prestation de survie équivalente à celle octroyée à un époux survivant, alors que, en droit national, le partenariat de vie placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne cette prestation (CJCE 1er avr. 2008, Dr. Fam. 2008, comm. n°92, note A. Devers ; D. 2008, 1873, note C. Weisse-Marchal).
Pour citer cet article : Anne-Sophie Brun-Wauthiez, « Le refus français d’accorder le bénéfice de la pension de réversion au partenaire survivant échappera-t-il à une condamnation européenne pour discrimination ? », RDLF 2011, chron. n°9 www.revuedlf.com)
Crédits photo : Svilen Milev, stock.xchng