Légalisation des actes publics étrangers : itinéraire d’une procédure censurée
Par Samy DJEMAOUN, Avocat au barreau de Paris
Avocat au barreau de Paris, Maître Samy Djemaoun a participé à la rédaction du recours au fond, du référé suspension et de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d’État, pour le compte d’un cabinet d’avocats aux Conseils. Il n’a pas participé à la procédure devant le Conseil constitutionnel. Les propos contenus dans cet article n’engagent que lui.
Le Conseil constitutionnel a censuré le premier et troisième alinéas du paragraphe II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (Cons. const., 18 février 2022, n°2021-972 QPC), tout en reportant au 31 décembre 2022 la date de leur abrogation.
Cette censure donne l’occasion de revenir sur l’histoire et les enjeux de cette procédure ainsi que les raisons de sa censure.
La légalisation est « la formalité par laquelle les agents diplomatiques ou consulaires du pays sur le territoire duquel l’acte doit être produit attestent la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. » 1.
Le fondement juridique de la légalisation des actes publics étrangers a longtemps été une ordonnance de la marine royale de 1681 avant de devenir coutumier. Avec l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022, cette procédure retrouve un fondement légal (I).
Certaines questions soulevées par la légalisation des actes publics étrangers ont émergé à l’occasion d’un référé suspension devant le juge des référés du Conseil d’État, notamment concernant les demandeurs d’asile et les mineurs non accompagnés (II).
La transmission de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel a permis la censure totale des dispositions contestées, « entachées d’incompétence négative dans des conditions qui portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif » mais l’effet abrogatif des dispositions législatives censurées ne permettra pas aux auteurs de la QPC de se prévaloir de cette déclaration d’inconstitutionnalité à l’encontre du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère. Seule l’exception d’inconventionnalité des dispositions législatives censurées pourrait prospérer au regard de l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv.EDH) (III).
I- Légalisation des actes publics étrangers : à la recherche d’un fondement juridique
En France, l’article 8 du décret n°53-914 du 26 septembre 1953 portant simplifications de formalités administratives a supprimé la légalisation dans l’ordre juridique interne.
S’agissant des actes publics français destinés à être produits à l’étranger, le décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 a mis en place une procédure simplifiée de légalisation des actes publics français, laquelle a été précisée par une circulaire interministérielle du 4 mai 1981. Ces actes publics sont seulement soumis à un visa de conformité.
Cependant, le sort des actes publics étrangers destinés à être produits en France est tout autre. Il faut remonter jusqu’au XVIIème siècle pour trouver les prémisses de l’exigence de la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère destinés à être produits en France. En effet, l’article 23 de l’ordonnance sur la marine royale du 3 août 1681 disposait que « tous actes expédiés dans les pays étrangers où il y aura des consuls ne feront aucune foi s’ils ne sont pas par eux légalisés ».
« Abrogée par erreur par l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques » 2, l’obligation de légalisation des actes publics étrangers destinés à être produits en France se retrouvait sans fondement juridique. La Cour de cassation, en 2009, lui a cependant trouvé un fondement coutumier : « malgré l’abrogation de l’ordonnance de la marine d’août 1681, la formalité de la légalisation des actes de l’état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeure, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, obligatoire » (Cass. 1re civ., 4 juin 2009, n° 08-13.541).
Force est de constater que ce fondement coutumier – qui suppose la réunion de deux éléments : une pratique et un opinio juris (conviction de son caractère obligatoire) – était fragile, dans la mesure où un nombre important de conventions internationales – à l’instar de la convention de La Haye du 5 octobre 1961 précitée qui comptait 94 États-parties au moment où la Cour de cassation a statué en 2009 et désormais 121) – dispensent de l’exigence de légalisation, de sorte que la pratique de la légalisation se réduit comme une peau de chagrin, laissant fortement douter de l’existence même de cette coutume.
Pourtant, la Cour de cassation estimait – et estime toujours – que la légalisation des actes publics étrangers est obligatoire, sauf engagement international contraire, et peut être effectuée soit en France, par le consul du pays où l’acte a été établi, soit à l’étranger, par le consul de France établi dans ce pays. Faute de légalisation, l’acte public étranger ne peut produire ses effets en France (Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-10.962 ; Cass. 1re civ., 3 décembre 2014, n° 13-27.857 ; Civ. 1re, 13 avr. 2016, n° 15-50.018 ; Civ. 1re, 11 octobre 2017, n° 16‑23.865). Dans cette logique, de la légalisation de l’acte public étranger dépend sa force probante (Civ. 1re, 16 octobre 2019, n° 19-16.353).
La Cour de cassation s’est faite l’écho de sa propre jurisprudence à l’occasion de chacun de ses rapports annuels entre 2009 et 2016, invitant, dans ce dernier rapport, à « affirmer, en droit positif, le principe d’obligation de légalisation des actes de l’état civil étranger » (Rapport annuel de la Cour de cassation 2016, p. 23).
En dehors de cette jurisprudence, le décret n° 2007-1205 du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation d’actes, a repris la définition de la légalisation donnée par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 précitée, en érigeant la légalisation non comme une obligation mais une simple possibilité.
Il est intéressant, à cet égard, de mentionner que le Conseil d’État, contrairement à la Cour de cassation, n’a jamais estimé la légalisation des actes d’état civil comme un procédé obligatoire permettant de vérifier la véracité de l’acte. Bien au contraire, il considère la légalisation des actes d’état civil comme une simple possibilité (CE, 25 mai 2018, n° 407343 : inédit au Lebon, concl. M. Guillaume Odinet). Plus encore, il juge que : « il résulte des dispositions de l’article 47 du code civil (…) que les actes d’état civil étranger peuvent être écartés lorsque des données extérieures établissent que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » (CE, réf., 16 juin 2017, n° 411051 : inédit au Lebon, CE, réf., 3 novembre 2020, n° 445619, 445587 et 445586).
Ainsi, le seul fondement à la légalisation des actes publics étrangers est donc cette « coutume internationale », dont l’existence, ainsi qu’il a été exposé, résulte seulement de la conviction de la Cour de cassation.
C’est dans ce contexte que la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice – dont les travaux parlementaires font d’ailleurs référence aux « recommandations constantes de la Cour de cassation dans ses rapports annuels, parus depuis 2009 » et ne mentionnent à aucun moment le décret n° 2007-1205 du 10 août 2007 3 – a, dans le II de son article 16 prévoit que :
« Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet.
La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu.
Un décret en Conseil d’Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation. »
La légalisation des actes publics étrangers destinés à être produits en France (re)trouve un ancrage légal et devient obligatoire, sauf convention internationale contraire. Par exemple, les États parties à la Convention du 5 octobre 1961 supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers ne sont pas soumis à une telle exigence de légalisation.
Le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, pris pour l’application du II de l’article 16 de la loi précitée, détaille les modalités de cette légalisation.
Depuis le 1er janvier 2021, le décret n° 2007-1205 du 10 août 2007 concerne la légalisation des actes publics émanant d’une autorité française et le décret 2020‑1368 du 10 novembre 2020 réglemente la certification de signature des actes sous seing privé. Quant au décret 2020-1370 du 10 novembre 2020, pris pour application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, il rend obligatoire la légalisation de tous les actes publics établis par une autorité étrangère, sauf engagement international contraire, afin que ceux-ci puissent produire leurs effets en France.
Pour autant, la légalisation des actes publics étrangers n’est pas sans poser des problèmes concrets d’application.
II- Les questions soulevées par la légalisation des actes publics étrangers
Saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du Conseil d’État avait rejeté le recours tendant à la suspension de l’exécution du décret du 10 novembre 2020 (CE, réf., 12 février 2021, n° 448294). Sans revenir sur l’intégralité des moyens soulevés, le rejet du moyen relatif à la méconnaissance de la coutume internationale et de l’article 47 du code civil est surprenant (A) mais la neutralisation de l’obligation de légalisation des actes publics étrangers pour certaines catégories de personnes est salutaire. Les demandeurs d’asile semblent ainsi être exemptés de la procédure de légalisation pour les documents concernant leur identité et leur état civil, même si le juge des référés du Conseil d’État semble avoir confondu « réfugiés » et « demandeurs d’asile » (B). Quant aux mineurs non accompagnés, la légalisation ne peut faire obstacle à ce que la protection à laquelle ils ont le droit (mesure d’assistance éducative, garanties attachées à leur minorité) dans les contentieux d’urgence les concernant leur soit octroyée (C).
S’agissant de la question de la conciliation de la légalisation des actes publics étrangers et de l’article 47 du code civil, elle n’est pas tranchée (D).
A- La « surlégalisation » et la coutume internationale
Ainsi qu’il a été précédemment exposé, la Cour de cassation estime que « malgré l’abrogation de l’ordonnance de la marine d’août 1681, la formalité de la légalisation des actes de l’état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeure, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, obligatoire » (Cass. 1re civ., 4 juin 2009, n° 08-13.541 et 08-10.962) en précisant que la légalisation peut être effectuée soit, en France, par le consul du pays où l’acte a été établi, soit, à l’étranger, par le consul de France établi dans ce pays (Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-10.962 ; Cass. 1re civ., 3 décembre 2014, n° 13-27.857 ; Civ. 1re, 13 avr. 2016, n° 15-50.018 ; Civ. 1re, 11 octobre 2017, n° 16-23.865).
Elle a donc expressément proscrit la « surlégalisation » d’un acte public d’une autorité étrangère c’est-à-dire la légalisation par la France d’un acte public étranger déjà légalisé par les autorités compétentes de l’État étranger et s’est d’ailleurs faite l’écho de sa propre jurisprudence à l’occasion de chacun de ses rapports annuels entre 2009 et 2016, invitant, dans ce dernier, à « affirmer, en droit positif, le principe d’obligation de légalisation des actes de l’état civil étranger » (Rapport annuel de la Cour de cassation 2016, p. 23).
Or, l’esprit du II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme, apparaît clairement à la lecture des travaux parlementaires de cette loi. En effet, dès le projet de loi initialement déposé au Sénat le 20 avril 2018, il était prévu de consacrer : « (…) dans la loi le principe de légalisation des actes publics, formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. L’ordonnance royale d’août 1681 qui posait le principe de légalisation en droit français a été abrogée, mais la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises la survivance de la règle, qu’il est donc proposé de consacrer, afin de limiter les contentieux et d’alléger ainsi la charge des juridictions. » 4
Dans le même sens, le tome 1 du rapport des sénateurs MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne (p. 112) faisait expressément référence aux « recommandations constantes de la Cour de cassation dans ses rapports annuels, parus depuis 2009 ».
5Le rapport n°1396-1397 (p. 120) déposé le 9 novembre 2018, par les députés rapporteurs, Mme Laetitia Avia et M. Didier Paris, à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, affirmait d’ailleurs que la légalisation des actes publics étrangers avait été « abrogée par erreur par l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques » et reconnaissait que la disposition prévoyant la légalisation des actes publics étrangers était, autant « la conséquence de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a considéré la légalisation comme une exigence de la coutume internationale qu’il n’appartenait pas au législateur de supprimer » que « la traduction d’une recommandation constamment formulée par la Cour depuis 2009 dans ses rapports annuels »
L’esprit du II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 est, de facto, une codification de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la légalisation qui interdit le recours à la « surlégalisation ».
Ainsi éclairé par les travaux parlementaires, le II de l’article 16 de la loi précitée devait être regardé comme imposant la légalisation des actes étrangers en réservant la possibilité que cette légalisation puisse être faite soit par les autorités diplomatiques compétentes de l’État étranger dans lequel l’acte a été établi soit par celles de l’État français. Autrement dit, les travaux parlementaires permettaient d’affirmer que la « surlégalisation » avait été expressément écartée par le législateur.
Cependant, l’article 3 du décret du 10 novembre 2020, impose – sauf pour des hypothèses très limitées énumérées à l’article 4 – au ressortissant étranger non seulement de faire légaliser son acte public auprès des autorités diplomatiques de son pays, en résidence en France, puis de se rendre dans son pays auprès des autorités diplomatiques françaises pour faire légaliser son acte public déjà légalisé. Il s’agit d’une « surlégalisation » dans la mesure où l’ambassadeur ou le chef de poste consulaire français doit légaliser les actes publics émis par les autorités de son État de résidence eux-mêmes légalisés par l’autorité compétente de cet État.
Le décret du 10 novembre 2020 semble donc méconnaître non seulement les objectifs de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 mais également avoir restreint son champ d’application et aurait dû conduire à caractériser un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué au regard de la jurisprudence (CE, 30 novembre 1998, Ville de Saint-Malo, n° 194031 : au Lebon, concl. M. Jacques‑Henri Stahl).
Il ressortait par ailleurs de l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 que « (…) en ce qui concerne les actes de naissance et de décès, leur objet étant de constater un fait et non un acte juridique, il suffit que les règles de compétence et de forme imposées par la loi locale aient été observées pour que ces actes aient pleine valeur en France. La dénomination que la loi étrangère leur donne (actes de baptême, d’ondoiement, de sépulture, etc.) importe peu, pourvu que, d’après cette loi, ils aient pour effet d’établir officiellement la naissance ou le décès. »
Or, en exigeant, sauf engagement international contraire, une « surlégalisation » des actes publics étrangers (excepté les hypothèses résiduelles de l’article 4) pour que ceux-ci puissent produire leurs effets en France, le décret du 10 novembre 2020 méconnaît la coutume internationale, selon laquelle l’acte peut être légalisé, soit par les autorités diplomatiques du pays dans lequel l’acte public a été établi, soit par les autorités diplomatiques françaises dans le pays de résidence.
La solution retenue par le juge des référés du Conseil d’État a été tout autre : « Toutefois, et contrairement à ce qu’ils soutiennent, il ne résulte en tout état de cause pas de l’instruction que la coutume internationale dont ils se prévalent en matière de légalisation, dont l’existence n’est pas contestée s’agissant de l’obligation de procéder à cette formalité, s’étendrait aux modalités de cette légalisation et, en particulier, qu’elle inclurait » l’usage diplomatique » dont fait état l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999, selon lequel les copies ou extraits d’actes de l’état civil établis dans un pays étranger peuvent être légalisés, non seulement dans ce pays étranger par le consul de France qui y est accrédité, mais également en France par le consul du pays où ils ont été établis. » (CE, réf., 12 février 2021, n° 448294)
Cette solution est parfaitement contestable, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation et des travaux parlementaires de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.
B- La légalisation des actes publics étrangers et les demandeurs d’asile
La légalisation des actes publics étrangers avait pour conséquence de faire dépendre, sauf engagement international contraire, la production et la force probante des actes publics étrangers, non seulement de leur légalisation, mais surtout d’une « surlégalisation » par les autorités diplomatiques françaises. Dans le contentieux du droit l’asile, la production d’actes publics étrangers – tels que les actes d’état civil et les jugements – conditionne justement, pour les demandeurs d’asile, la jouissance et l’effectivité de leurs droits. En durcissant les conditions de production et de force probante en France, des actes publics étrangers, le décret du 10 novembre 2020, qui concernait tous les États n’étant pas parties à la Convention de la Haye (au premier rang desquels l’Afghanistan (10 100 demandes), la Guinée (5 800), le Bangladesh (5 050), la Côte d’Ivoire (4 950) et le Nigéria (3 970), principaux pays de provenance des primo-demandeurs d’asile) portait atteinte à la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Concrètement, il arrive très régulièrement que la question de la nationalité du demandeur d’asile se pose, dans la mesure où la nationalité même du demandeur d’asile peut être, au sens du 2° du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, un motif de persécution. Si un demandeur d’asile – dont le pays duquel il est ressortissant n’a signé aucun accord international le liant avec la France – est en possession d’un acte d’état civil (acte de naissance, jugement) et souhaite le produire dans le cadre de sa demande d’asile pour attester de sa nationalité et le cas-échéant des persécutions dont il a fait ou risque de faire l’objet, il n’aurait pu le faire que si celui-ci eût été légalisé. Or, pour ce faire, le demandeur d’asile aurait été contraint de se rendre auprès des autorités diplomatiques de son pays ou des autorités diplomatiques françaises dans son pays. Autrement dit, alors que le principe même de l’asile suppose que la protection du demandeur d’asile ne puisse pas être assurée ou souhaitée par son pays 6, un demandeur d’asile se serait vu contraint, soit de retourner dans son pays qu’il a fui en raison des persécutions liées à sa nationalité afin de faire légaliser son acte d’état civil auprès des autorités diplomatiques françaises, soit de faire légaliser son acte public étranger auprès des autorités diplomatiques de son pays en résidence en France. Dans tous les cas, cette situation vidait de sa substance le principe du droit d’asile. Au surplus, en imposant une « surlégalisation » (faire légaliser, par les autorités diplomatiques françaises un acte déjà légalisé par les autorités diplomatiques du pays dans lequel l’acte public a été établi), le décret du 10 novembre 2020 obligeait l’étranger non seulement à faire légaliser son acte public auprès des autorités diplomatiques de son pays en résidence en France puis de se rendre dans son pays auprès des autorités diplomatiques françaises pour faire légaliser son acte public déjà légalisé.
Au total, il était ainsi évident que la légalisation, et a fortiori la « surlégalisation », avaient pour effet d’exposer le demandeur d’asile à de nouvelles persécutions et à priver, par « un formalisme excessif et l’imposition d’une charge trop lourde » (CEDH, 16 janvier 2007, Solmaz c. Turquie, n° 27561/02, §35) du caractère effectif du droit d’asile.
Cette situation conduisait également et directement à la méconnaissance du principe de confidentialité des demandes d’asile (CE, Sect., 1er octobre 2014, M. E, n°349560 ; CE 10 février 2016, n°373529, aux Tables) dans la mesure où l’information sur l’existence de la demande d’asile était nécessairement transmise à l’autorité étrangère, ce qui était susceptible d’exposer le demandeur d’asile et les membres de sa famille à des risques pour leur sécurité.
C’est la raison pour laquelle le juge des référés du Conseil d’État a estimé que « l’article 8 de la convention relative à la coopération internationale en matière d’aide administrative aux réfugiés, signée à Bâle le 3 septembre 1985, ratifié et entré en vigueur en France, dispensant de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des Etats liés par cette convention les documents concernant l’identité et l’état civil des réfugiés qui émanent de leurs autorités d’origine » était au nombre des « engagements internationaux contraires ».
Cependant, il apparaît que le juge des référés du Conseil d’État semble avoir confondu « réfugié » (qui est une personne qui a obtenu une protection internationale) et « demandeur d’asile » (qui est une personne qui a sollicité une protection internationale mais dont l’examen de la demande est toujours en cours). Or, l’article 8 de la convention relative à la coopération internationale en matière d’aide administrative aux réfugiés, s’applique à ces derniers. Dans son paragraphe 16, le juge des référés du Conseil d’État semble cependant avoir entendu ne pas appliquer la procédure de légalisation aux « demandeurs d’asile ».
Par ailleurs, seuls les « documents concernant l’identité et l’état civil » sont concernés ce qui exclut, par exemple, les assignations en justice, jugements, qui constituent pourtant des éléments de preuve fréquents et décisifs dans l’examen des demandes d’asile.
Si le juge des référés du Conseil d’État a précisé que, potentiellement, toutes les conventions internationales pouvaient faire échec à la légalisation des actes publics étrangers, la neutralisation de l’obligation de légalisation pour les demandeurs d’asile n’est pas satisfaisante. Elle l’est davantage s’agissant des mineurs non accompagnés.
C- La légalisation des actes publics étrangers et les mineurs non accompagnés
La légalisation des actes publics étrangers posait également des difficultés pour les contentieux d’urgence concernant les mineurs non accompagnés.
À l’occasion de l’évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, le département doit mettre en place un accueil provisoire d’urgence d’une durée de cinq jours (article R. 221-11 III du code de l’action sociale et des familles). Le mineur non accompagné est alors amené, lorsqu’il le peut, à produire un acte d’état civil. A priori, celui-ci n’a pas à être légalisé puisque justement, le mineur non accompagné est prévenu des risques en cas de présentation de faux.
7La raison de cette absence de légalisation est simple : le mineur n’a, le plus souvent, aucun acte d’état civil. Lorsque le mineur non accompagné en possède un et qu’un doute sur l’authenticité de l’acte de l’état civil apparaît, une vérification auprès de l’autorité étrangère compétente de son authenticité est possible conformément à l’ancien article L. 111-6 (nouvel article L. 811-2) du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). À ce titre, on rappellera que la référence à la « légalisation » à l’article L. 111-6 du CESEDA, a été supprimée au motif que « la procédure prévue à l’article 47 du code civil vise en effet à vérifier la régularité et l’exactitude d’un tel acte, et non à le légaliser à proprement parler. » 8 On voit donc que l’intérêt supérieur de l’enfant conduit à ne pas exiger une légalisation avant toute production de l’acte d’état civil. La logique est d’ailleurs inverse et implique une vérification sans légalisation.
Deux solutions se présentent à l’issue de ce délai de cinq jours : soit le président du conseil départemental saisit le procureur de la République et l’accueil provisoire d’urgence se prolonge tant que n’intervient pas une décision de l’autorité judiciaire (article L. 223-2 alinéa 4 et article 375-5 du code civil second alinéa) ; soit il met fin à la prise en charge, et l’accueil provisoire d’urgence prend fin.
Le mineur a alors la faculté de saisir le juge des enfants, sur le fondement des articles 375-5 et 375-3 du code civil, afin d’obtenir d’une part, des mesures provisoires, et d’autre part, des mesures d’assistance éducative définitives.
Dans l’attente de la décision du juge des enfants, le mineur peut saisir le juge des référés pour demander le maintien de cet accueil provisoire d’urgence si l’évaluation est manifestement erronée, tant que le juge des enfants n’a pas statué (CE 4 juin 2020, n°440.686 ; CE 22 septembre 2020, n°444634 ; CE 12 juin 2020, n°440922 ; CE 12 octobre 2020, n°445089).
L’obligation de légalisation des actes d’état civil contraignait donc le mineur non accompagné à produire les actes d’état civil, dans un délai très bref de cinq jours durant lesquels un accueil provisoire d’urgence est assuré, puis devant le juge des référés, en cas de refus de prise en charge, et partant, dans le cadre d’un contentieux de l’extrême urgence, dans l’attente de la décision du juge des enfants, et enfin, devant le juge des enfants, notamment dans le cadre d’une demande de mesures provisoires.
L’acte d’état civil est donc un élément, sinon essentiel, du moins indispensable pour le mineur non accompagné pour prouver sa minorité (rappelons, à cet égard, que la Conseil constitutionnel a rappelé le caractère non fiable du test osseux auxquels les mineurs non accompagnés peuvent être soumis, en vertu de l’article 388 du code civil (Cons. Cons. 21 mars 2019, QPC n° 2018-768).
L’imposition d’une obligation de légalisation allait donc à l’encontre même des contentieux d’urgence dans lesquels le mineur non accompagné pouvait se retrouver, et conduisait à instaurer une preuve impossible lorsque celui-ci invoquait sa minorité :
- à l’occasion de son placement en rétention administrative (article L. 741-5 du CESEDA interdit le placement en rétention administrative des mineurs) ;
- dans le cadre de l’édiction d’une obligation de quitter le territoire français ou d’une expulsion (les articles L. 611-3 1° et L. 631-4 du CESEDA interdisent de telles mesures à l’égard des mineurs).
En faisant dépendre la force probante d’un acte d’état civil, le II de l’article 16 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 avait donc pour effet d’obliger le mineur non accompagné à faire légaliser son acte d’état civil auprès des autorités diplomatiques de son pays ou de celles des autorités françaises. Ce formalisme extrêmement excessif et concrètement irréalisable au regard, tant de l’urgence des procédures que de la précarité du public concerné, conduisait inévitablement à refuser systématiquement la prise en charge au titre de la protection de l’enfance du mineur non accompagné en possession d’acte d’état civil – quand il a la chance d’en avoir. Plus encore, le même problème évoqué pour les demandeurs d’asile se retrouvait : les mineurs non accompagnés étaient contraints, dans un délai de cinq jours de se rendre auprès autorités diplomatiques de son pays en résidence en France (pays justement qu’il a quitté) ou de celles des autorités françaises en résidant dans le pays duquel il est ressortissant (ce qui reviendrait à vider de sa substance la notion d’intérêt supérieur de l’enfant et la protection auquel le mineur non accompagné a droit). De surcroît, la « surlégalisation » était d’autant plus contraire à l’article 3‑1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
La solution retenue par le juge des référés du Conseil d’État a été de neutraliser l’obligation de légalisation des actes publics étrangers pour les mineurs étrangers : « la seule circonstance que le législateur n’ait pas dispensé de légalisation les actes d’état civil produits en justice par des mineurs étrangers dans le cadre d’une demande de mesure d’assistance éducative ou dans des contentieux d’urgence les concernant ne peut, par elle-même, faire obstacle à ce que la protection à laquelle les intéressés ont droit soit le cas échéant assurée ou à ce qu’ils bénéficient des garanties attachées à leur minorité. » (CE, réf., 12 février 2021, n° 448294).
D- La légalisation des actes publics étrangers et l’article 47 du code civil
La question de l’articulation du II de l’article 16 de loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 avec l’article 47 du code civil n’a pas été expressément soulevée mais mérite d’être posée.
En effet, l’article 47 du code civil pose « traditionnellement une présomption de régularité lorsque l’acte avait été dressé selon les formes usitées localement, en vertu des principes de confiance et de réciprocité sur lesquels se fondent les relations internationales » (Rapport n° 492 (2005-2006) de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 septembre 2006).
La jurisprudence du Conseil d’État permet de conclure que l’acte d’état civil étranger fait foi sans légalisation et que ce n’est pas en raison du défaut de légalisation que leur force probante est écartée mais au regard d’éléments extérieurs remettant en cause l’authenticité de leur contenu (CE, avis, 26 avr. 2018, n° 416550 : inédit au Lebon, concl. M. Guillaume Odinet ; CE, réf., 16 juin 2017, n° 411051 : inédit au Lebon, CE, réf., 3 novembre 2020, n° 445619, 445587 et 445586). Le Conseil d’État va même plus loin en estimant que, faute pour l’étranger d’avoir présenté des documents d’état civil probants, il peut, à l’audience publique, en l’absence de documents d’état civil, justifier par tout moyen du lien de parenté revendiqué (CE, réf., 28 septembre 2007, n° 308826).
Le Conseil d’État, contrairement à la Cour de cassation, n’a ainsi jamais estimé la légalisation des actes d’état civil comme un procédé obligatoire permettant de vérifier la véracité de l’acte. Bien au contraire, il considère la légalisation des actes d’état civil étrangers comme une simple possibilité (CE, 25 mai 2018, n° 407343 : inédit au Lebon, concl. M. Guillaume Odinet).
La raison tient vraisemblablement à ce que l’article 47 du code civil pose « traditionnellement une présomption de régularité lorsque l’acte avait été dressé selon les formes usitées localement, en vertu des principes de confiance et de réciprocité sur lesquels se fondent les relations internationales » (Rapport n° 492 (2005-2006) de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 septembre 2006).
Ainsi, l’article 47 du code civil semble exclure la légalisation. Or, l’article 47 du civil et le II de l’article 16 de loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 sont des normes de nature législative.
Afin de concilier ces deux normes, un détour par la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’impose. « L‘objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (…) impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. » (CC, DC, 12 mai 2011, Loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, n° 2011-629, cons. 5). Plus précisément, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur « doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi» (Cons. Const., 21 juin 2018, Loi relative à l’élection des représentants au Parlement européen, n° 2018-766 DC, cons. 5 ; CC, 28 avril 2005, Loi relative à la création du registre international français, n° 2005-514 DC, cons. 14).
Si « la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » (Cons. const., QPC, 6 avril 2012, M. Pierre G., n° 2012-230, cons. 6), il n’en demeure pas moins que cet objectif à valeur constitutionnelle peut être invoquée en combinaison avec un autre principe ou droits constitutionnellement protégés (Cons. const., 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, n° 2017-750 DC, cons. 28).
Le Conseil constitutionnel fait découler le principe de clarté de la loi directement de l’article 34 de la Constitution et il lui incombe « de procéder à l’interprétation des dispositions d’une loi qui lui est déférée dans la mesure où cette interprétation est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité » (Cons. const., 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, n° 2001-455 DC, cons. 9).
Plus encore, « l’intelligibilité d’un texte vise avant toute autre chose à protéger les citoyens contre l’insécurité juridique générée par un système producteur d’une quantité de normes impossible à absorber et au demeurant souvent complexes. Lorsqu’un texte législatif apparait parfaitement inintelligible c’est le principe d’égalité entre les citoyens qui se trouve in fine méconnu. » (Cons. const., 12 mai 2011, Loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, n° 2011-629 DC – Saisine par 60 députés).
Enfin, le Conseil constitutionnel veille à ce que la loi ne crée pas de confusion dans l’esprit des citoyens (Cons. const. 6 juillet 1994, Loi relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux, n° 94-341 DC, cons. 6) ou n’ajoute pas une complexité inutile à la mise en œuvre d’un article de loi déjà en vigueur (Cons. const. 11 décembre 2003, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, n° 2003-486 DC, cons. 13).
Il aurait pu être soutenu que le II de l’article 16 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019, en prévoyant une obligation de légalisation pour tous les actes publics, sauf conventions internationales contraires, y compris des actes d’état civil étrangers – afin que ceux-ci puissent produire leurs effets en France et acquérir force probante – porte atteinte à l’article 34 de la Constitution, au principe de clarté de la loi, à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. La raison tient à la circonstance que le législateur a introduit un risque d’arbitraire (à l’inverse de la Cour de cassation, le Conseil d’État fait jouer la présomption de régularité des actes civils étrangers prévue à l’article 47 du code civil sans légalisation) en reportant sur le pouvoir réglementaire ainsi que sur les autorités administratives et juridictionnelles, le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi.
Le II de l’article 16 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 aurait, par conséquent, au regard de son inintelligibilité, été contraire au principe d’égalité puisque « lorsqu’un texte législatif apparait parfaitement inintelligible c’est le principe d’égalité entre les citoyens qui se trouve in fine méconnu. » (Cons. const., 12 mai 2011, Loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, n° 2011-629 DC). En effet, cette inintelligibilité du II de l’article 16 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 aurait pour effet traiter des individus placés dans une situation identique (les personnes devant produire un acte d’état civil étranger) différemment (au regard des positions jurisprudentielles contraires relatives à la lecture de l’article 47 du code civil, certaines administrations ou juridictions pourraient accepter qu’un acte d’état civil non légalisé fasse foi et d’autres pourraient le refuser).
Le moyen tiré de la contrariété de la loi n° 2019 222 du 23 mars 2019 à l’article 34 de la Constitution – et au principe de clarté de la loi en découlant – ainsi qu’à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi et par conséquent au principe d’égalité, aurait pu être regardé comme présentant un caractère sérieux.
D’ailleurs, dans ses conclusions sur la décision de renvoi, le rapporteur public, M. Olivier Fuchs, relevait « la difficulté de conciliation avec les dispositions de l’article 47 du code civil » en indiquant « que l’une des possibilités serait de reconnaître que le législateur, en 2019, n’a pas entendu révolutionner l’administration de la preuve sur ce point mais simplement reprendre en substance les dispositions antérieurement abrogées, en d’autres termes que la légalisation est une procédure ayant pour seul objet de garantir la régularité d’un acte, et plus précisément encore s’assurer de son auteur et non de substance et qu’elle est sans incidence sur la possibilité de présenter un acte étranger, y compris non légalisé, comme preuve devant le juge. » (Conclusions de M. Olivier Fuchs sur CE, 31 décembre, ADDE et InforMIE, GISTI, SAF et CNB n° 448305 et 454519, 454144)
Le Conseil d’État pourrait donc adopter cette interprétation dans le cadre du recours au fond.
En tout état de cause, cet exemple met en exergue la potentielle contrariété d’une loi par rapport à une autre et la possibilité, à l’occasion d’une QPC, de se prévaloir d’un tel moyen.
III- Légalisation des actes publics étrangers : une déclaration d’inconstitutionnalité totale temporellement neutralisée
Le 31 décembre 2021, le Conseil d’État a transmis la QPC au Conseil constitutionnel (CE, 31 décembre, ADDE et InforMIE, GISTI, SAF et CNB, n° 448305 et 454519, 454144, concl. M. Olivier Fuchs).
C’est le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – DDHC – du 26 août 1789 (droit à un recours juridictionnel effectif) qui a permis au Conseil d’État de regarder la question comme présentant un caractère sérieux.
Parmi les moyens soulevés (méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale, du droit d’asile, du droit à l’identité, de l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant), le Conseil constitutionnel s’est placé sur le terrain de l’article 16 de la DDHC pour censurer le premier et troisième alinéas du paragraphe II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Comme pour le refus par le juge d’instruction d’une autorisation de correspondance (Cons.const. n° 2018-715 QPC du 22 juin 2018), ou la décision de demander l’exécution d’une condamnation sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne (Cons. const. 7 mai 2021, n° 2021-905 QPC), le Conseil constitutionnel constate l’absence de droit de voie de recours contre une décision de refus de légalisation d’un acte public étranger.
À ce propos, dans ses conclusions sur la décision de renvoi, le rapporteur public, M. Olivier Fuchs, rappelait que le Conseil d’État s’était déclaré incompétent pour contrôler le refus de légalisation d’un acte civil (CE, réf., 26 octobre 2004, n°273392) et que, devant le juge judiciaire, aucune voie de recours n’était prévue contre un tel refus.
C’est donc une inconstitutionnalité totale qui est prononcée. Le Conseil constitutionnel a cependant différé l’abrogation des dispositions législatives censurées en la reportant au 31 décembre 2022.
Le recours au fond va donc reprendre mais la déclaration d’inconstitutionnalité sera sans incidence sur l’issue du litige dirigé contre le décret du 10 novembre 2020 dont la disposition censurée constitue la base légale. En effet, il s’agit là d’une application de la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 14 novembre 2012, Association France nature environnement réseau juridique, n° 340539, T. pp. 940-965) selon laquelle, lorsque le Conseil constitutionnel a différé dans le temps l’abrogation des dispositions législatives censurées, les effets que la disposition législative censurée a produits avant la date de son abrogation ne sont pas remis en cause, y compris pour les auteurs de la QPC, de sorte que la déclaration d’inconstitutionnalité n’a aucune incidence sur l’issue du litige dirigé contre le décret du 10 novembre 2020 dont la disposition censurée constitue la base légale. Il en aurait été autrement si le Conseil constitutionnel n’avait pas modulé, dans le temps, les effets de l’abrogation (CE, 31 décembre 2018, n° 400912).
Il sera cependant possible de soulever l’exception d’inconventionnalité des dispositions législatives censurées à l’appui des conclusions dirigées contre le décret du 10 novembre 2020 dès lors qu’elles en constituent la base légale (CE, 13 juin 2016, n° 372721 : aux Tables, pp. 615-902, concl. Mme Aurélie Bretonneau). En effet, si le Conseil constitutionnel a reporté l’abrogation des dispositions législatives censurées au 31 décembre 2022, il n’a prévu aucun régime transitoire en créant une voie recours qui neutraliserait l’inconventionnalité, comme il a pu le faire par le passé (CE, 12 décembre 2018, SFOIP n° 417244 : Lebon p. 450, concl. Mme Aurélie Bretonneau). Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 13 de la Conv.EDH a de grandes chances de prospérer.
L’exception d’inconventionnalité vient donc au secours de l’inconstitutionnalité temporellement neutralisée.
Notes:
- Article 2 de la Convention du 5 octobre 1961 supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers dite « Convention de La Haye » ↩
- Rapport n°1396-1397 relatif à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, déposé le 9 novembre 2018, par les députés rapporteurs, Mme Laetitia Avia et M. Didier Paris, p. 120. L’article 7 de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques (ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009) a abrogé l’ordonnance sur la marine royale du 3 août 1681 ↩
- Rapport sur la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, des sénateurs MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne, Tome 1, p. 112 ↩
- https://www.senat.fr/leg/pjl17-463.pdf p.10 ↩
- https://www.senat.fr/rap/l18-011-1/l18-011-11.pdf
p. 112 ↩ - 2° du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951. ↩
- L’article 8 de l’arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ↩
- Rapport n°3359 du député-rapporteur M. Patrick Delnate concernant l’élaboration de la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages ; ↩