Nul n’est censé ignorer les droits fondamentaux des patients en fin de vie, pas même le médecin, encore moins la Justice…
L’auteur livre son analyse de l’affaire Bonnemaison (Cour d’assises du département des Pyrénées-Atlantiques, 25 juin 2014 ; Conseil d’État, ass., 30 décembre 2014) dans laquelle un médecin accusé d’avoir attenté à la vie de plusieurs de ses patients atteints d’affections graves et incurables échappe à toute sanction pénale tout en se voyant lourdement sanctionné sur le terrain ordinal.
Laurence Cimar est Maître de conférences en Droit privé à l’Université Grenoble-Alpes, membre du CRJ (EA 1965) – GRDS et responsable de l’axe « Droit et Santé », SFR Santé et Société http://www.sfr-sante-societe.net/fr/component/k2/item/90-droit-et-sante
« Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément (…) »
Extrait du Serment d’Hippocrate, http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/serment.pdf
1.- Alors que le débat sur la fin de vie commanderait de se tenir à l’écart des passions et des caricatures[1], les affaires Bonnemaison et Lambert entretiennent malheureusement incohérences et incompréhensions : d’un côté un médecin qui agit hors cadre légal mais qui bénéficie d’un acquittement[2], puis se retrouve radié du tableau de l’Ordre quelques mois plus tard[3] ; de l’autre des soignants qui respectent scrupuleusement l’ensemble des textes juridiques mais qui sont empêchés d’agir en raison de recours en justice successifs[4]… Le constat est ainsi pour le moins déroutant de voir rappeler avec force les droits fondamentaux des patients, et ce qu’ils soient ou non en fin de vie[5], et de reconnaître par ailleurs une certaine impunité malgré une transgression évidente de ces normes supérieures. Mais il est vrai que nous ne sommes plus en ce domaine à une contradiction près : un avis citoyen ne reproche-t-il pas à la loi Léonetti[6] de laisser « une part trop importante à l’interprétation du corps médical, excluant le patient comme l’ensemble des citoyens de ses implications »[7], alors qu’un jury populaire ne s’émeut même pas qu’un médecin prenne seul la décision d’abréger les souffrances de patients qui n’en ont point émis la volonté ?
2.- Car tels étaient les faits sur lesquels la cour d’assises du département des Pyrénées-Atlantiques a été appelée à se prononcer. Le Dr. Bonnemaison était jugé pour avoir attenté, entre mars 2010 et juillet 2011, à la vie de 7 patients au sein de l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) du Centre Hospitalier de Bayonne dans lequel il exerçait[8]. Le chef d’accusation retenu était l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort, avec cette circonstance que les faits avaient été commis sur des personnes qu’il savait particulièrement vulnérables en raison de leur état physique ou mental[9]. Il lui était ainsi reproché d’avoir injecté, à des doses ayant entraîné la mort, de l’Hypnovel® et pour certains cas du Norcuron®, à des patients en fin de vie pour la plupart très âgés et en état d’inconscience, atteints d’affections graves et incurables, pour lesquels les traitements avaient été préalablement arrêtés conformément à la loi Léonetti. En outre, le médecin était intervenu sans en informer l’équipe médicale, ni en avoir discuté avec les familles, ne renseignant pas les dossiers médicaux. Le praticien se défendait en estimant avoir agi uniquement pour soulager les souffrances physiques et psychiques de ses patients par l’effet d’une sédation pouvant avoir pour effet secondaire d’abréger la vie. A l’issue des débats, le Dr. Bonnemaison fut acquitté, la cour d’assises n’ayant pas été convaincue de sa culpabilité du chef d’empoisonnement.
3.- C’est donc au regard des règles de droit pénal qu’il convient d’analyser ces faits et d’apprécier une décision de justice qui s’en est manifestement et délibérément écartée, mettant dès lors en péril les droits et libertés fondamentaux reconnus aux patients en fin de vie. Car la question est bien de savoir si, en l’espèce, le praticien mis en cause a agi dans le respect des dispositions légales, condition sine qua non de la justification pénale de ses actes. Tout médecin, de par la nature de son activité, attente effectivement à l’intégrité de son patient, étant par conséquent exposé à des poursuites en vertu du principe d’inviolabilité du corps humain[10]. Mais sa responsabilité pénale est exclue du fait de l’autorisation de la loi dont il bénéficie, conformément à l’article 122-4 du Code pénal[11]. Une autorisation cependant conditionnée au respect des règles juridiques qui encadrent l’exercice de la profession et l’ensemble de l’activité médicale[12]. La loi du 22 avril 2005 vient ainsi spécifiquement définir les pratiques médicales de fin de vie susceptibles d’être pénalement justifiées[13]. Mais lorsque les limitations et arrêts de traitement ou les soins mis en place pour accompagner le patient en fin de vie ne sont pas accomplis dans les conditions prescrites par les textes, le praticien n’est plus couvert par le fait justificatif et se retrouve exposé aux qualifications pénales de droit commun[14].
4.– C’est bien ce schéma de raisonnement que la cour d’assises semble avoir adopté, au prix toutefois d’une motivation pour le moins ambiguë : sans exclure totalement et explicitement l’application de la loi du 22 avril 2005, la juridiction répressive a quoi qu’il en soit rejeté la qualification de droit commun en « l’absence d’intention de donner la mort aux patients au sens de l’article 221-5 du Code pénal ». Or, de toute évidence, si les actes accomplis n’étaient pas de nature à entrer dans le champ justificatif de la loi Léonetti (I), le médecin tombait cependant sous le coup de la loi pénale, l’infraction d’empoisonnement étant bien constituée (II), qualification implicitement confortée par la décision ultérieure du juge disciplinaire (III).
I – L’impossible justification par la loi Léonetti
5.– Lorsqu’une décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise conformément à la loi du 22 avril 2005 pour des patients se trouvant en phase terminale d’affections graves et incurables, les médecins sont alors tenus de sauvegarder leur dignité et d’assurer la qualité de leur fin de vie en dispensant des soins palliatifs[15]. Toute personne malade dont l’état le requiert a effectivement le droit d’accéder à ce type de soins et à un accompagnement qui visent notamment à soulager la douleur et à apaiser la souffrance psychique[16]. A cette fin, les articles L. 1110-5, alinéa 4 et R. 4127-37 du Code de la santé publique[17], ainsi que les recommandations professionnelles[18], prévoient que les soignants peuvent recourir en dernière extrémité à un traitement antalgique ou sédatif, quand bien même celui-ci pourrait avoir pour effet secondaire d’anticiper la survenue du décès. Et c’est bien cette démarche qui aurait été suivie selon la défense, le médecin mis en cause ayant estimé que ses patients souffraient physiquement et psychiquement et recherché pour eux une sédation qui n’avait pas pour but leur décès, mais qui était susceptible de l’entraîner. Cette thèse ne pouvait toutefois emporter la conviction que si ces gestes avaient été effectivement pratiqués conformément aux dispositions précitées.
A – Les conditions d’une sédation à « double effet »
6.– Les recommandations professionnelles définissent la sédation comme « la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté. (…) Elle peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue (…). La législation française admet qu’une sédation puisse avoir pour effet d’abréger la vie, mais uniquement à titre d’effet secondaire, involontaire et impromptu, l’effet premier et volontaire devant être le soulagement de la souffrance »[19]. La sédation telle qu’entendue par les articles L. 1110-5, alinéa 4 et R. 4127-37 du Code de la santé publique relève de la prise en charge de la douleur et est une forme de soin palliatif lorsque les options thérapeutiques classiques de soulagement de la douleur et des souffrances sont épuisées, et ce quand bien même elle risquerait parfois d’anticiper le décès du patient[20]. Le législateur a donc autorisé la pratique d’un traitement dit « double effet » mais l’appréciation des comportements bénéficiant de cette justification s’avère particulièrement délicate puisque le médecin doit agir en voulant avant tout soulager – et non abréger – les souffrances de son patient[21]. Ainsi « il ne s’agit en aucun cas de provoquer délibérément la mort »[22] et il est bien question de préserver « la portée universelle et inconditionnelle de l’interdit de donner la mort à autrui »[23]. La réalisation de ce traitement est en conséquence strictement encadrée car il ne saurait être assimilé à un acte médical banal, devant demeurer une « thérapeutique de l’exception »[24].
7.– Les conditions matérielles de réalisation d’une sédation en phase terminale pouvant avoir pour effet secondaire d’abréger la vie reposent sur le principe de proportionnalité et de subsidiarité[25]. Ainsi est-elle réservée en pratique aux seuls patients dont le pronostic vital est engagé à court terme, dont les souffrances sont intolérables et présentent un caractère réfractaire, les autres traitements disponibles n’ayant pu conduire à une diminution de la douleur[26]. Le recours à la sédation se justifie donc au regard de l’état du patient et ne saurait être utilisé pour soulager la souffrance de l’équipe en situation de détresses émotionnelles ou psychologiques vécues comme insupportables[27]. Seule l’utilisation d’antalgiques et de sédatifs à des doses titrées, c’est-à-dire proportionnées à l’état du patient et ajustées régulièrement pour parvenir à l’effet attendu afin de permettre son confort, est autorisée[28]. Ainsi « L’hypnovel® est souvent utilisé en soins palliatifs car c’est un médicament maniable, efficace et très utile pour diminuer l’angoisse des patients et, dans certains cas, pour l’endormir afin d’être sûr qu’il soit soulagé. Utilisé à des doses normales, l’hypnovel® ne provoque jamais le décès d’un patient »[29]. En revanche, Le Norcuron® est quant à lui de la famille des curares qui « ne sont jamais utilisés en soins palliatifs. Ils sont utilisés en anesthésie pour les actes de chirurgie. Ils facilitent le travail minutieux que doit effectuer le chirurgien. En réanimation, les curares sont aussi utilisés pour améliorer le confort d’un patient qui doit bénéficier d’une respiration artificielle à l’aide d’une machine »[30]. Le respect du principe de proportionnalité permet de s’assurer que l’anticipation du décès du patient demeure de l’ordre du risque et de l’incertitude[31]. Les autres conditions matérielles témoignent de la volonté du législateur d’assurer la plus grande transparence possible, celle-ci étant la garantie du respect de la dignité du patient en fin de vie[32]. Ainsi le malade doit-il être en principe informé, ou à défaut, la personne de confiance et la famille ou l’un des proches. Cette transmission de l’information a pour finalité de faire échec aux pratiques clandestines, d’autant que la mise en place d’une procédure collégiale comme la consultation des directives anticipées du malade ne sont pas expressément prévues pour la réalisation de cet acte par les dispositions légales et réglementaires[33]. Toutefois, les recommandations de bonne pratique préconisent malgré tout que cette sédation fasse l’objet d’une réflexion collégiale préalable[34].
8.– S’agissant de la condition intentionnelle, l’action du médecin qui pratique une telle sédation doit être guidée par la volonté de parvenir à soulager ces souffrances réfractaires insupportables, quitte à prendre le risque de précipiter le décès. « L’intention première n’est pas d’abréger la fin de vie, mais de soulager la souffrance »[35]. Toutefois, il convient de clarifier ce critère capital de l’intention dans la pratique de la sédation à « double effet » car au sens juridique, l’intention ne se confond pas avec les mobiles : la première est classiquement définie comme la volonté de réaliser l’acte et le désir du résultat attaché à cet acte ; les seconds désignent les raisons profondes qui motivent l’acte[36]. Dès lors, si le soulagement des souffrances jugées insupportables constitue bien le mobile de la sédation, celle-ci est pratiquée avec l’intention de parvenir à la diminution de la vigilance, voire à la perte de conscience, résultat désiré distinct d’un acte pour lequel le décès serait seul recherché[37]. Il paraît donc préférable et plus éclairant de raisonner sur ces définitions juridiques de l’intention et du mobile plutôt que de retenir les interprétations médicales parfois avancées qui distinguent confusément l’intention première de l’intention secondaire[38]. La preuve de cette intention pourra d’ailleurs être déduite des conditions matérielles car les circonstances qui entourent l’acte, la nature du produit utilisé, son dosage, sont autant d’éléments éclairant sur la volonté initiale du soignant[39]. D’où l’importance de l’analyse du dossier médical et de l’expertise toxicologique dans ces situations[40], comme en témoigne d’ailleurs la jurisprudence existante[41].
B – Des actes non assimilables à une sédation à « double effet »
9.– « Il convient de rappeler combien sont précis les textes encadrant la décision d’arrêt de soin et de mise en œuvre de traitements destinés à soulager la souffrance, dont l’effet secondaire pourrait conduire à abréger la vie. Pas plus qu’en médecine, l’approximation n’est de mise en matière juridique »[42]. Pour autant, la cour et le jury ont constaté que le Dr. Bonnemaison avait estimé « de bonne foi que ces patients souffraient physiquement et psychiquement ». Les injections d’Hypnovel® ont été faites « en recherchant une sédation des patients sans qu’il soit établi par les débats que ces sédations avaient pour but le décès (…). Or, il est admis, d’une façon générale, que l’hypnovel® est un produit qui peut être utilisé pour la sédation en phase terminal même s’il peut avoir à terme des effets létaux non recherchés. S’il apparaît que M. Bonnemaison a procédé lui-même à ces injections, qu’il n’en a pas informé l’équipe soignante, qu’il n’a pas renseigné le dossier médical des patients et qu’il n’en a pas informé les familles à chaque fois, pour autant il n’est pas démontré qu’en procédant à ces injections il avait l’intention de donner la mort aux patients au sens de l’article 221-5 du Code pénal »[43]. Concernant le patient ayant fait l’objet d’une injection de Norcuron®, « la cour a constaté que son utilisation, bien que non recommandée en phase de sédation terminale, était néanmoins controversée. En tout état de cause, la cour et le jury ont relevé, là aussi, que l’intention homicide du praticien n’était pas établie »[44]. Par ces motifs, la cour d’assises écarte donc implicitement la justification tirée de la loi Léonetti, la sédation n’ayant pas été exécutée selon les conditions matérielles requises, quand bien même l’intention du médecin aurait été, selon elle, conforme à celle exigée par les textes.
10.- En réalité, c’est l’ensemble des conditions matérielles qui faisaient défaut dans les faits rapportés. S’agissant d’abord de l’état des patients, s’ils se trouvaient tous en phase terminale d’une maladie incurable et incapables d’exprimer leur volonté, il a été établi que certains d’entre eux étaient dans un état stationnaire depuis plusieurs jours, et que leur situation n’évoquait pas forcément un décès rapide[45]. Il n’est pas fait état de souffrances réfractaires insupportables qui ne puissent être prises en charge autrement que par ce type de sédation. Il est par conséquent surprenant d’affirmer que le praticien avait estimé « de bonne foi que ces patients souffraient physiquement et psychiquement », alors que les témoignages des équipes soignantes n’allaient pas en ce sens et que de par son expérience et ses compétences, le Dr. Bonnemaison était sans doute le plus à même d’évaluer l’état clinique de ses patients[46]… S’agissant ensuite des produits utilisés, et en premier lieu de l’hypnovel®, son administration conforme aux règles de bonne pratique, à des doses titrées, ne devait pas permettre au praticien de prévoir avec certitude le décès des patients dans un délai rapide et déterminé[47]. Quant à l’utilisation, en second lieu, du Norcuron®, « si la cour d’assises a mentionné un usage « controversé » en phase terminale, c’est parce qu’un article de la littérature médicale paru en 2013 s’est fait l’écho des interrogations de quelques spécialistes à propos des agonies qui, malgré les sédatifs, se prolongent et s’accompagnent de râles et de convulsions spectaculaires témoignant de la lutte ultime du corps contre la mort inéluctable. Certains se demandent si le recours aux curares ne devrait pas être envisagé pour mettre fin à ces manifestations sans doute inconscientes mais néanmoins insoutenables aux yeux des proches. Précisons que le dossier ne permet pas de savoir si les patientes concernées se trouvaient dans une telle situation – M. Bonnemaison ne le prétend d’ailleurs pas »[48]. On s’étonnera alors de ce que le doute ait pu découler de cette seule publication, là où il est exigé des médecins qu’ils fassent bénéficier leurs patients « des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées »[49] et de « soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science »[50]. L’emploi de cette substance est d’ailleurs expressément écarté par toutes les recommandations professionnelles[51]. S’agissant encore du défaut d’information de l’équipe soignante, même si les textes ne l’impose pas pour la mise en œuvre d’une telle sédation, l’un des objectifs de la loi Léonetti était précisément de mettre fin à l’isolement des médecins et de favoriser la transparence dans le processus décisionnel[52]. C’est la raison pour laquelle les recommandations de bonne pratique insistent sur l’importance de la réflexion collégiale et la nécessité de réunions de concertation pluridisciplinaire[53]. C’est cette même exigence de transparence qui impose la traçabilité de ces décisions dans le dossier médical des patients, non renseigné en l’occurrence par le praticien, mais également l’information aux familles. Des familles avec lesquelles, en l’espèce, il n’a jamais été discuté des souhaits et de la volonté des malades, la question de hâter la fin de vie n’ayant aucunement été abordée[54]. Or « à toutes les étapes de la procédure, la personne de confiance, la famille ou à défaut l’entourage le plus proche doivent être tenus au courant des questions qui se posent et des démarches entreprises, des décisions prises et de leurs motivations »[55]. Les conditions matérielles de la mise en place d’une sédation à double effet n’étaient par conséquent pas réunies et ces circonstances auraient dû conduire la cour et le jury à constater qu’il en allait de même de la condition intentionnelle.
11.- En effet, comment affirmer, au vu de ces constatations matérielles, que les injections d’Hypnovel® ont été faites « en recherchant une sédation des patients sans qu’il soit établi par les débats que ces sédations avaient pour but le décès » ? M. Bonnemaison a d’ailleurs reconnu avoir pris « pleine conscience de la gravité des actes qui lui sont reprochés qui n’étaient, pour lui, motivés exclusivement que par le souci d’éviter des souffrances extrêmes aux patients et de respecter leur dignité »[56]. S’agissant du Norcuron®, comment soutenir « qu’en tout état de cause, la cour et le jury ont relevé, là aussi, que l’intention homicide du praticien n’était pas établie », alors que M. Bonnemaison ne pouvait ignorer les recommandations de la Société de Réanimation de Langue Française qui sont sans ambiguïté à ce sujet : « Il est fondamental de rappeler que toute injection de produits avec intentionnalité de décès, comme l’injection de curares, de sédatifs en bolus à hautes doses chez un patient non ventilé ou l’injection de chlorure de potassium (…) n’est jamais justifiable et est juridiquement qualifiable d’homicide volontaire (…) »[57]. Pareille attitude interpelle inévitablement sur le pouvoir que s’arroge alors le médecin, prétendant savoir ce qui est bon pour son patient. Or « confrontés à des situations singulières et complexes pour lesquelles l’incertitude est centrale, tous les acteurs de la santé de la personne malade doivent d’abord savoir qu’ils ne savent pas ce qui est bon pour autrui et que la science et la technique ne sont pas des réponses mais des outils »[58].
Telles sont donc les limites de la portée justificative de la loi Léonetti, qui une fois franchies, exposent leur auteur à l’application de la loi pénale.
II – L’évidente application de la loi pénale
12.- En toute logique, ces constatations auraient dû conduire la cour et le jury à retenir la qualification d’empoisonnement et à prononcer une sanction conformément aux principes généraux du droit pénal[59].
A – Des actes constitutifs d’empoisonnement
13.- Aux termes de l’article 221‑5 du Code pénal, « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement (…) ». L’élément matériel de l’infraction s’entend de l’emploi ou de l’administration par quelque moyen que ce soit d’une substance ayant un caractère mortifère, soit intrinsèquement, soit du fait d’un usage ou dosage anormal. Or, tels qu’établis, les faits reprochés au praticien entrent indubitablement dans cette définition[60] : des injections sur ces patients ont bien été pratiquées par le soignant et les produits utilisés étaient bien de nature à provoquer la mort, en raison de la dose administrée pour l’Hypnovel® puisque correctement titré, il ne saurait entrainer le décès[61], intrinsèquement pour le Norcuron® car utilisé sur des patients non ventilés[62]. Le rapporteur public de l’instance disciplinaire utilise d’ailleurs, à cet égard, une formulation pour le moins éclairante : « Mais ce n’est pas un sédatif que vous avez employé : c’est un poison »[63] !
14.- S’agissant de l’élément moral, en tant que crime, l’empoisonnement est une infraction intentionnelle[64]. Cette intention s’entend non seulement de l’emploi en connaissance de cause d’une substance que l’on sait mortifère, mais également de l’intention de donner la mort[65]. S’il ne fait aucun doute que le praticien a en toute conscience, et non par inadvertance, procédé à ces injections de produits sur plusieurs patients, la cour et le jury ont en revanche estimé qu’il n’avait pas agi avec « l’intention de donner la mort aux patients au sens de l’article 221-5 du Code pénal », mais seulement en « en recherchant une sédation (…) sans qu’il soit établi par les débats que ces sédations avaient pour but le décès » [66]. Or ce mode de raisonnement rappelle à s’y méprendre l’affaire Humbert[67]. La décision de non-lieu avait été motivée par « l’absence de véritable intention criminelle », le juge d’instruction estimant que le praticien mis en cause à l’époque avait seulement eu la « volonté, par un acte positif, de faire cesser des souffrances et non de donner la mort », concluant qu’il n’y avait « pas d’intention de donner la mort au sens pénal du terme mais de préserver sa dignité et celle de sa famille ». Cette neutralisation surprenante de la norme pénale par la prise en considération de la dignité[68] se retrouve implicitement dans l’affaire commentée puisque le praticien avait déclaré avoir pris « pleine conscience de la gravité des actes qui lui sont reprochés qui n’étaient, pour lui, motivés exclusivement que par le souci d’éviter des souffrances extrêmes aux patients et de respecter leur dignité »[69]. La confusion est donc à nouveau totale entre l’intention et les mobiles, des mobiles qui, fussent-ils honorables, sont incapables par eux-mêmes de détruire la faute imputable à l’auteur[70]. La démonstration réalisée pour écarter la condition intentionnelle de la sédation permet de comprendre que si le mobile du praticien était bien de soulager des souffrances jugées intolérables, d’agir par compassion[71], son intention n’était pas de parvenir à une diminution de la vigilance, voire à une perte de conscience, mais bien de précipiter le décès des patients et d’abréger ainsi leurs souffrances[72]. De telles décisions confirment malheureusement encore aujourd’hui que « la jurisprudence n’a pas de théorie de l’intention, elle a une politique criminelle de l’intention, (…) et s’en sert artificieusement pour justifier des condamnations ou des acquittements décidés d’avance »[73]…
B – Les sanctions pénales envisageables
15.- Si la qualification d’empoisonnement avait été retenue par la cour et le jury, la réclusion criminelle à perpétuité était encourue par le praticien. L’infraction était effectivement aggravée par le fait que ces actes avaient été commis sur des personnes âgées, malades en situation de fin de vie, circonstances qui caractérisent la particulière vulnérabilité due à l’âge, à la maladie et à la déficience physique et psychique, état manifestement connu du praticien[74]. La peine complémentaire d’interdiction temporaire (inférieure à 5 ans) ou définitive d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise pouvait être également prononcée[75]. Toutefois, la cour d’assises avait toute liberté de ramener la peine privative de liberté au minimum prévu lorsque la perpétuité est encourue, soit 2 ans d’emprisonnement, avec sursis, sans l’assortir d’aucune interdiction d’exercer[76]. Les réquisitions clémentes de l’avocat général allaient d’ailleurs en ce sens puisqu’il « avait conclu à l’intention homicide à l’égard de sept patients et avait requis une peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis, sans toutefois l’assortir d’une interdiction d’exercice »[77].
16.- Mais la justice pénale, celle du peuple en l’occurrence, a cédé à l’émotion[78]… « L’on peut donc prendre acte de l’acquittement sans déduire forcément que les faits n’ont pas été matériellement commis, ou en pensant que la cour les a souverainement excusés, ce qui ne signifie pas « légitimés » »[79]. Le salut est finalement venu de la justice des pairs, comme le laissait entendre l’Ordre National des Médecins qui sans se permettre de commenter la décision de la cour d’assises, avait toutefois estimé que « l’appel du parquet était justifié compte tenu du fait que ce médecin, sans en référer à qui que ce soit, a donné la mort par injection à des patients vulnérables qui ne l’avaient pas demandée et que cette attitude est contraire aux principes de la loi et des règles déontologiques en vigueur »[80].
III – L’incontestable faute disciplinaire
17.- Il est pour le moins paradoxal que la sanction salvatrice vienne des juridictions ordinales au regard des débuts chaotiques qu’a connu la procédure disciplinaire. Si la procédure judiciaire avait été initiée suite à un rapport de signalement d’événements graves découlant de faits rapportés par des infirmières et une aide-soignante du service et adressé en août 2011 par un cadre de santé de l’UHCD à sa direction, laquelle avait saisi le procureur de la République le lendemain, le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, après audition du Dr. Bonnemaison, avait quant à lui décidé de ne pas saisir la juridiction disciplinaire[81]. C’est finalement le Conseil National de l’Ordre qui décida de porter plainte, la chambre disciplinaire de première instance d’Aquitaine prononçant alors la peine de radiation du tableau de l’Ordre pour violation de l’article R. 4127-38 du Code de la santé publique qui dispose que « le médecin (…) n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort »[82]. Cette décision fit l’objet d’un appel de l’intéressé, mais aussi du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, tous deux sollicitant son annulation. La sanction fut toutefois confirmée par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins[83], puis par le Conseil d’État qui rejeta le pourvoi du praticien le 30 décembre 2014.
A – Des actes contraires à l’article R. 4127-38 du Code de la santé publique
18.– La juridiction suprême a ainsi considéré que la décision de l’instance disciplinaire saisie n’était entachée ni de dénaturation, ni d’erreur de droit ou de qualification juridique en jugeant que les faits reprochés à M. Bonnemaison étaient constitutifs d’un manquement à l’article R. 4127-38 du Code de la santé publique[84]. En effet il ressort tant des pièces du dossier que des observations orales et témoignages recueillis par les premiers juges « quant aux circonstances et aux modalités d’administration du produit concerné, que celui-ci a été injecté dans un but létal, et que, par suite, M B… avait à plusieurs reprises, provoqué délibérément la mort »[85]. « Si le législateur a, par ces dispositions, entendu que ne saurait être imputé à une faute du médecin le décès d’un patient survenu sous l’effet d’un traitement administré parce qu’il était le seul moyen de soulager ses souffrances, il n’a pas entendu autoriser un médecin à provoquer délibérément le décès d’un patient en fin de vie par l’administration d’une substance létale »[86]. M. Bonnemaison soutient certes « que ces règles de droit interne ne suffisent pas à assurer le respect du principe de dignité humaine et du droit fondamental de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable tels qu’ils seraient consacrés par le droit international », mais « il n’apporte au soutien de ce moyen aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé »[87]. Aussi, « dès lors qu’elle a retenu que M. B… avait à plusieurs reprises, provoqué délibérément la mort, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins n’avait pas à tenir compte des circonstances que M. B… aurait agi dans le but de soulager la souffrance des patients et en concertation avec leurs familles, qui n’étaient pas de nature à enlever leur caractère fautif aux actes commis »[88], formulation qui montre l’indifférence des mobiles dans la constitution de la faute disciplinaire. Le raisonnement du Conseil d’État est heureusement plus clair que ne l’a été celui du juge répressif et permet de souligner l’importance de la distinction capitale, encore récemment rappelée par la Cour EDH dans l’affaire Lambert, entre « la mort infligée volontairement et l’abstention thérapeutique » qui induit la réalisation d’actes médicaux nécessaires à l’accompagnement du patient[89].
B – La sanction disciplinaire prononcée
19.- Une telle faute disciplinaire, de par sa gravité, justifiait que soit retenue la sanction disciplinaire la plus élevée[90]. En l’espèce, et même si la radiation demeure rarement prononcée par les juridictions disciplinaires, elle ne présente pas un caractère excessif car le soignant a « gravement manqué à ses obligations en décidant parfois de ne pas informer les familles (…) et (…) en infligeant délibérément la mort, M. Bonnemaison a commis une des fautes les plus lourdes qu’un médecin puisse commettre. En agissant ainsi, le médecin ne méconnaît pas seulement le Code de déontologie : il prend le risque d’instaurer une défiance généralisée des patients à l’égard des médecins et de l’ensemble des personnels soignants. À la dernière phase de l’existence humaine, le médecin doit demeurer celui qui soigne; il ne peut pas être aussi celui qui tue. (…) En transgressant cet interdit fondamental, M. Bonnemaison s’est disqualifié pour l’exercice de la profession médicale »[91]. Quoi qu’il en soit, il importe de préciser qu’« après qu’un intervalle de trois ans au moins s’est écoulé depuis une décision définitive de radiation du tableau, le médecin frappé de cette peine peut être relevé de l’incapacité en résultant par une décision de la chambre disciplinaire qui a statué sur l’affaire en première instance »[92]. De même, si la cour d’assises d’appel établissait définitivement qu’il n’a pas commis les faits qui lui ont valu sa radiation, la sanction pourrait être réexaminée puisque l’article R. 4126-53 du Code de la santé publique autorise le médecin à en demander sa révision si « un fait vient à se produire ou à se révéler ou lorsque des pièces, inconnues lors des débats, sont produites, de nature à établir l’innocence de ce praticien »[93]. Pour autant, cette divergence d’interprétation entre juridictions répressive et disciplinaire sur des faits identiques interroge inévitablement au regard de la règle non bis in idem et de l’incidence que la sanction disciplinaire pourrait éventuellement avoir sur la tenue du procès pénal en appel[94].
20.- il est donc regrettable en l’espèce que le droit pénal ait failli dans sa fonction expressive des valeurs et droits fondamentaux qu’une société entend protéger. La décision de la cour d’assises témoigne d’une méconnaissance manifeste du droit au respect de la vie et de la volonté de la personne malade. Pourtant, les textes applicables en ce domaine ont marqué « tout le Code de la santé publique du sceau des droits de l’homme »[95] et ont reconnu par des formulations « particulièrement fermes et exigeantes » l’existence de « droits naturels inaliénables et sacrés de l’homme malade »[96]. Le Conseil d’État n’a-t-il pas rappelé avec insistance dans l’affaire Lambert le caractère essentiel de la volonté du patient et la nécessité d’éviter toute forme d’isolement et d’opacité décisionnelle afin de garantir le respect des droits et libertés fondamentaux[97] ? La Cour EDH ne vient-elle pas à son tour d’affirmer, dans la même affaire, « que le patient, même hors d’état d’exprimer sa volonté, est celui dont le consentement doit rester au centre du processus décisionnel, qui en est le sujet et acteur principal »[98] et n’a-t-elle pas constater que « les dispositions de la loi du 22 avril 2005, telles qu’interprétées par le Conseil d’État, constituent un cadre législatif suffisamment clair (…) propre à assurer la protection de la vie des patients »[99], conformément aux exigences de l’article 2 de la Convention ESDH ? Car en effet, « sans équivoque, (…) il n’est pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort »[100]. Cet interdit fondamental « est à la base de la relation de confiance entre la personne malade et le médecin »[101]. « Et l’on sent bien qu’est en cause le sacerdoce médical tout entier s’il y a des médecins apporteurs de mort »[102]. Il reste donc à espérer que la cour d’assises d’appel du Maine-et-Loire puisse rejuger l’affaire en octobre 2015[103] car seule une reconnaissance de culpabilité assortie d’une peine adaptée aux circonstances de l’infraction et à la personnalité de l’auteur pourrait permettre d’écarter le « brevet d’impunité »[104] concédé en première instance. Mais ce n’est là finalement que demander à la cour et au jury de faire une exacte et juste application de la loi pénale afin de restaurer la confiance en la Justice… et en nos médecins…
« (…) Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque ».
Extrait du Serment d’Hippocrate,
http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/serment.pdf
[1] R. Aubry, Les nouvelles figures de la fin de vie et de la mort au XXIe siècle, générées par les avancées de la médecine : constats et débats, RGDM 2013, p.85.
[2] Cour d’assises du département des Pyrénées-Atlantiques, 25 juin 2014, n°40/2014. V. G. Mémeteau, Le cas Bonnemaison, Médecine & Droit 2015, p. 30.
[3] CE, ass., 30 décembre 2014, Bonnemaison, n° 381245, RFDA 2015. 67, concl. R. Keller ; AJDA 2015. 5 ; D. 2015. 81, obs. F. Vialla.
[4] CE, ass., 24 juin 2014, Lambert, n° 375081, n° 375090, n° 375091. V. not. JCP G 2014. 825, note F. Vialla ; JCP A 2014. Act. 539, M. Touzeil-Divina ; v. aussi E. Cuq, Retour sur la décision de la Cour EDH de maintenir en vie Vincent Lambert, RDLF 2014.chron. n°18 (https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/cedh/retour-sur-la-decision-de-la-cour-edh-de-maintenir-en-vie-vincent-lambert-commentaire/).
[5] Encore dernièrement Cour EDH, gr. ch., n°46043/14, Lambert et autres c/France, 5 juin 2015.
[6] Loi n°2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, JORF 23 avril 2005.
[7] Avis citoyen, Conférence de citoyens sur la fin de vie, IFOP-CCNE, 14 déc. 2013, p. 8 (http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_citoyen.pdf).
[8] V. Feuille de motivation, cour d’assises du département des Pyrénées-Atlantiques, 25 juin 2014, préc.
[9] Art. 221-5, al. 1er et 3 et 221-4-3, C. pén.
[10] V. not. P. Mistretta, Droit pénal médical, Cujas, 2013, n°135.
[11] Ibid., n°131s. Sur la question de la justification pénale de l’activité médicale, v. B. Py, Recherches sur les justifications pénales de l’activité médicale, Thèse Nancy 2, 1993 et du même auteur, La dimension exonératrice des causes d’irresponsabilité pénale, in M. Danti-Juan (dir.), Les orientations actuelles de la responsabilité pénale en matière médicale, Cujas, coll. « Travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers », vol. 28, 2013.
[12] V. not. art. 16-3, C. civ. et Loi n°2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JORF 5 mars 2002, art. L. 1110-1 et s., C. santé publ.
[13] Exposé des motifs PPL relative aux droits des malades et à la fin de vie, J. Léonetti, Ass. Nat. 21 juill. 2004, n°1766, p. 5. V. L. Cimar, Le traitement judiciaire des affaires dites de « fin de vie » : une circulaire attendue, Dr. pénal 2012. Et. 7, n°3 et 7s.
[14] A. Prothais, Accompagnement de la fin de vie et droit pénal, JCP G 2004.I.130, n°15 qui remarquait déjà que « beaucoup n’ont pas pris suffisamment conscience de la portée pénale justificative de ces textes »…V. également en ce sens F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP G. 2006.I.119, n°5.
[15] Art. L. 1111-10 et 1111-13, C. santé publ.
[16] Art. L. 1110-9 et -10, C. santé publ.
[17] Art. L. 1110-5, al. 4 : « Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical ».
Art. R. 4127-37-I et III : « En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie ».
« Lorsqu’une limitation ou un arrêt de traitement a été décidé en application de l’article L. 1110-5 et des articles L. 1111-4 ou L. 1111-13, dans les conditions prévues aux I et II du présent article, le médecin, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncés à l’article R. 4127-38. Il veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire ».
Art. R. 4127-38 : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».
[18] Recommandations de bonne pratique, Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP), Sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifiques et complexes, 2009, validées par la Haute Autorité de Santé (HAS), http://www.sfap.org/pdf/Sedation-Situations-specifiques-complexes.pdf.; Recommandations sur la limitation et arrêt des traitements en réanimation adulte, Société de Réanimation de Langue Française (SRLF), 2009, http://www.srlf.org/data/ModuleGestionDeContenu/application/816.pdf.
[19] Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p.8.
[20] B. Legros, La difficile et délicate entrée de la sédation dans le Code de déontologie médicale, RGDM. 2011, p.133, qui précise les diverses finalités et formes de la sédation.
[21] L. Cimar, La situation juridique du patient inconscient en fin de vie, RD sanit. soc. 2006, p. 473 et réf. citées ; B. Mathieu, Fin de vie : liberté, droits et devoirs, l’impossible conciliation ?, Constitutions 2013.517.
[22] Observations du Conseil National de l’Ordre des Médecins en application de la demande avant dire droit de l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 14 février 2014, p. 4 (http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/avis_du_cnom_au_ce_avril_2014.pdf).
[23] V. L. Cimar, Le traitement judiciaire des affaires dites de « fin de vie » : une circulaire attendue, préc., n°3s.
[24] B. Legros, préc., p. 133 et 138 ; G. Laval, A.-G. Robert, Le risque pénal en fin de vie : pratiques de soins palliatifs, in Fin de vie et droit pénal – Le risque pénal dans les situations médicales de fin de fin de vie, dir. C. Ribeyre, Coll. Travaux de l’Institut de Sciences Criminelles de Grenoble, Cujas, 2014, p. 134.
[25] G. Laval, A.-G. Robert, préc., p. 138.
[26] G. Laval, A.-G. Robert, préc. p. 135.
[27] B. Legros, La difficile et délicate entrée de la sédation dans le Code de déontologie médicale, préc., ibidem et Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p. 3.
[28] B. Legros, préc., p. 152.
[29] (http://www.sfap.org/pdf/CP-SFAP-6-juin-2014.pdf). Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p.3 et G. Laval, A.-G. Robert, préc., p.136.
[30] (http://www.sfap.org/content/sedation-hypnovel-et-curares-en-questions). V. Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p. 5.
[31] G. Laval, A.-G. Robert, préc., p. 138.
[32] L. Cimar, La situation juridique du patient inconscient en fin de vie, préc., p. 474.
[33] Ibid., p. 476 et 479.
[34] Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p.8 ; v. B. Legros, préc., p. 148 et G. Laval, A.-G. Robert, préc., p. 140. V. aussi Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie, Comité de Bioéthique, Conseil de l’Europe, nov. 2013, p. 25 (http://www.coe.int/t/dg3/healthbioethic/conferences_and_symposia/Guide%20FDV%20F.pdf).
[35] Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p.8 et Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie, préc., p. 29.
[36] G. Laval, A.-G. Robert, préc. p. 137-138.
[37] G. Laval, A.-G. Robert, préc., ibidem.
[38] Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p.8 et Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie, préc., p. 29.
[39] G. Laval, A.-G. Robert, préc., p. 139 et L. Cimar, La situation juridique du patient inconscient en fin de vie, préc., p. 472.
[40] V. F. Fiechter-Boulvard, V. Scolan, La preuve des pratiques illégales de fin de vie, aspects de médecine légale, in Fin de vie et droit pénal – Le risque pénal dans les situations médicales de fin de fin de vie, préc., p. 159, n°6.
[41] Pour la suspension d’un praticien hospitalier par sa direction pour avoir, après cessation des traitements sur un patient de 81 ans atteint d’un AVC hémorragique massif dont le pronostic vital était engagé, injecté une forte dose de morphine, laquelle démontre que les effets escomptés ne pouvaient être une sédation mais la précipitation du décès : CAA Nantes, 30 juin 2010, n°09NT02723, AJFP 2011.169, note N. Sautereau. Auparavant déjà, pour un praticien hospitalier qui avait administré à une femme de 92 ans en état comateux souffrant d’une gangrène du membre inférieur suite à un AVC, une importante dose de morphine provoquant sa mort immédiate (condamné pour faute déontologique – violation de l’art. 38, C. déonto. interdisant au médecin de provoquer délibérément la mort du patient – à 1 an d’interdiction d’exercice) : CE, 29 déc. 2000, RD sanit. soc. 2001.282, concl. R. Schwartz. ; Dr. fam. 2001. Comm. 117, B. Beignier. A contrario, non lieu dans une affaire où les substances administrées ayant provoqué la mort l’ont été dans des proportions ajustées à l’intensité et à l’évolution des souffrances des patients afin de leur procurer une fin de vie digne et sereine, constituant une prise en charge de fin de vie normale : Ordo. J.I., TGI Évry, 15 fév. 2005, A.-M. Leroyer, Droits des malades – fin de vie, Loi n°2005-370 du 22 avril 2005, RTD civ. 2005.651.
[42] F. Vialla, Ordre des médecins (radiation) : rejet du pourvoi dans l’affaire Bonnemaison, D. 2015.81.
[43] V. Feuille de motivation de l’arrêt préc.
[44] Ibidem.
[45] V. CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., V.3.
[46] Ibidem.
[47] Ibidem.
[48] V. CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., V.2.
[49] Art. L. 1110-5, al. 1er, C. santé publ.
[50] Art. R. 4127-32, C. santé publ.
[51] V. supra n°7 et infra n°11. V. not. O. SMALLWOOD, La normalisation des règles de l’art médical : une nouvelle source de responsabilité pour les professionnels de santé ?, Médecine & Droit (2006) 121-126 et G. Mémeteau, Le juge ignorant la médecine ?, Gaz. Pal. 8 fév. 2014, p. 12.
[52] V. F. Vialla & Alii, Affaire Vincent L. : les maux de la fin, Médecine & Droit 2014, p. 135.
[53] Recommandations de bonne pratique, SFAP, préc., p.8
[54] En ce sens, CE, ass., 30 décembre 2014, conclusions R. Keller, préc., VI.2. et V.3.
[55] Observations du Conseil National de l’Ordre des Médecins préc., p. 4.
[56] CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., V.1. et G. Mémeteau, Le cas Bonnemaison, préc., p. 34.
[57] V. Recommandations SRLF, préc. 9.1.3, p. 17 et CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., V.3.
[58] R. Aubry, préc., p.76.
[59] Art. 130-1 et s. et 132-1, C. pén. Art. 362, C. pr. pén.
[60] CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., V.1. et VI.1.
[61] V. supra, n°7.
[62] V. supra, n°11.
[63] CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., VIII.2.
[64] Art. 121‑3, al. 1er, C. pén.
[65]En ce sens, C. André, Droit pénal spécial, Dalloz, coll. cours, 2010, n°78 ; M. Véron, Droit pénal spécial, Sirez, 13e éd., 2010, n°43 ; T. Garé, Droit pénal spécial, Larcier, 3e éd. 2014, p. 119 ; v. sur la question M.- L. Rassat, Droit pénal spécial, infractions du code pénal, Précis Dalloz, 6e éd. 2011, n°327.
[66] V. Feuille de motivation de l’arrêt préc.
[67] Ordo. JI Boulogne sur Mer, 27 fév. 2006, v. P. Maistre du Chambon, A. Lepage, Les paradoxes de la protection pénale de la vie humaine, in Mélanges Bouloc, Dalloz, 2006, p. 645, n°45.
[68] « L’acte mortifère sublimé par la considération de la dignité », P. Maistre du Chambon, A. Lepage, préc., ibidem.
[69] Préc., supra n°11.
[70] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, T.1., n°591, éd. Cujas, 2005 ; v. aussi X. Pin, DPG, n°166s et A. Prothais, Justice pour V. Humbert. Lettre ouverte à sa mère sur l’état réel de notre DP en matière dite d’euthanasie ou de FDV, Mélanges J.–H. Robert, Lexisnexis 2012, p. 620-621.
[71] CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., VIII.2.
[72] V. supra n°11 et CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., VI.1. et G. Laval, A.-G. Robert, préc., p. 141.
[73] B. Mercadal, Recherches sur l’intention en droit pénal, Rev. sc. crim. 1967.1, n°6.
[74] Art. 221-5, al. 1er et 3 et 221-4-3°, C. pén. Sans doute la circonstance aggravante de préméditation aurait-elle pu être également discutée…
[75] Art. 221-8-I-1° et 131-27, C. pén. A noter que dans le cadre du contrôle judiciaire sous lequel le médecin avait été placé à l’issue de sa mise en examen, il lui était fait obligation de ne pas se livrer à son activité professionnelle, l’infraction ayant été commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ces activités et il était à redouter qu’une nouvelle infraction soit commise (art. 138-12, C. pén.).
[76] Art. 132-18, C. pén. Dans les rares cas d’acquittements, principalement prononcés par les cours d’assises en présence de geste familial compassionnel isolé, c’est cette peine de 2 ans avec sursis qui est en général prononcée en appel après déclaration de culpabilité. V. not. C. d’Assises Val d’Oise, 9 avril 2008, affaire DEBAINE et sur appel C. d’Assises d’appel de Versailles, 16 déc. 2008, Le Monde 16 déc. 2008.
[77] V. CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., I.
[78] V. D. Vigneau, L’affaire V. Lambert et le Conseil d’État, D. 2014.1856 et R. Keller, concl. Préc., VIII.2.
[79] G. Mémeteau, Le cas Bonnemaison, préc., p. 31.
[80] Mission parlementaire sur la fin de vie, audition de l’Ordre National des Médecins, 15 oct. 2014, p.2 (http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/mission_parlementaire_fin_de_vie-_cnom_2014.pdf).
[81] Provoquant en conséquence la démission du président de cette instance. V. CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., I.
[82] 24 janvier 2013, déc. n° 1076.
[83] 15 avril 2014, déc. n°11870.
[84] CE, ass., 30 décembre 2014, préc. consid. 13 et 18.
[85] CE, ass., 30 décembre 2014, préc. consid. 13.
[86] CE, ass., 30 décembre 2014, préc. consid. 15.
[87] CE, ass., 30 décembre 2014, préc. consid. 16.
[88] CE, ass., 30 décembre 2014, préc. consid. 17.
[89] Cour EDH, gr. ch., 5 juin 2015, préc., § 121s.
[90] CE, ass., 30 décembre 2014, préc. consid. 20. Sur le contrôle de proportionnalité de la sanction disciplinaire auquel se livre désormais le Conseil d’État, v. F. Melleray, De l’erreur manifeste d’appréciation au contrôle entier dans le contentieux de la répression disciplinaire, JCP A. 2015.2076, n°27 et concl. R. Keller, préc., VII.
[91] CE, ass., 30 décembre 2014, consid. 19 et 20 et concl. R. Keller, préc., VIII.1. et 2., reprenant les commentaires du Code de déontologie médicale de l’Ordre National des Médecins, oct. 2012, p. 129.
[92] Art. L. 4124-8, C. santé publ.
[93] CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., IV.1. et IV.2.
[94] CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., IV.2. et G. Mémeteau, Le cas Bonnemaison, préc., p. 34. Plus généralement sur cette question, v. O. Décima, Pour l’articulation des sanctions pénales et disciplinaires du médecin, AJ Pén. 2012.380.
[95] Y. Lambert-Faivre, La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, D. 2002.Chron.1291 ; P. Mistretta, La loi n°2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Réflexions critiques sur un Droit en pleine mutation, JCP G. 2002.I.141, n°6.
[96] Y. Lambert-Faivre, préc., p.1296. V. M. Houser, Protéger la vie et la dignité de la personne humaine : une obligation source de responsabilité pour l’Etat, RD sanit. soc. 2013.671.
[97] CE, ass., 14 fév. 2014, Lambert, n°375081, consid. 5, v. not. RFDA 2014. 255, concl. R. Keller ; AJDA 2014. 790, chron. A. Bretonneau, J. Lessi, AJ Fam. 2014. 145, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; JCP G 2014. 552, D. Broussolle. Egalement CE, ass., 24 juin 2014, préc., consid. 16 et 17, note F. Vialla, préc.
[98] Cour EDH, gr. ch., 5 juin 2015, préc., § 178.
[99] Ibid, § 140 et 160.
[100] Académie nationale de médecine, Réponse à la saisine du Conseil d’État dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert, préc., p. 2 (http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2014/05/Re%C2%B4ponse-saisine-Conseil-Etat-22-04-14.pdf).
[101] Ibid., p. 6.
[102] G. Mémeteau, Le cas Bonnemaison, préc., p. 33.
[103] V. les réserves émises supra n°19 et CE, ass., 30 décembre 2014, concl. R. Keller, préc., I. et IV.2.
[104] « Pourquoi donc les médecins et les chirurgiens seraient-ils seuls exempts de cette responsabilité naturelle qui pèse à la fois sur toutes les fonctions publiques et sur toutes les professions ? Comment donc leur diplôme serait-il pour eux un brevet d’impunité ? », Cass. req., 18 juin 1835, DP 1835, I, 300, concl. Dupin.