Blasphème et liberté d’expression aux Etats-Unis
L’auteur analyse l’articulation entre liberté religieuse et liberté d’expression aux Etats-Unis. Au XIX siècle, le blasphème était pénalement sanctionné dans plusieurs Etats américains. A partir des années 1940, ce type de législation va connaître un reflux à l’instigation de la Cour Suprême qui va se référer à la liberté d’expression et au principe de non-établissement des religions. Les lois anti-blasphèmes sont désormais dépourvues d’effets.
Johann Morri est magistrat administratif 1
Même si ces polémiques n’ont pas eu le même retentissement et, fort heureusement, les mêmes suites tragiques que dans le cas de Charlie Hebdo, les Etats-Unis ont également connu leur lot de controverses autour d’œuvres jugés blasphématoires. Le dessin animé satirique South Park, diffusé depuis 1997 sur la chaîne Comedy central, tourne régulièrement les religions en ridicule. Il a mis en scène à de nombreuses reprises des figures religieuses telles que Jésus-Christ, la Vierge Marie, Bouddha, Moïse et Mahomet. Ses auteurs se sont attirés, en retour, de virulentes critiques des représentants de différentes religions. Et en 2010, les auteurs de la série ont fait l’objet de menaces de morts à la suite de la diffusion d’un des épisodes relatifs à Mahomet, qui représentait ce dernier revêtu d’un costume d’ours en peluche 2. Ces polémiques, toutefois, ont rarement trouvé leur prolongement sur le terrain juridique. Un éditorialiste de la chaîne conservatrice Fox news a bien déploré, dans une table ronde, l’absence d’une « enquête fédérale » contre les auteurs de la série, mais sans préciser aucunement quel aurait pu être le fondement d’une telle enquête 3. Ces propos n’ont suscité qu’une polémique sans lendemain.
Le fait que des propos jugés blasphématoires n’aient pas fait l’objet de suites juridiques n’est pas, en soi, une spécificité américaine. En France, si le journal Charlie Hebdo a fait régulièrement l’objet de procès sur différents fondement juridiques, les actions qui concernaient spécifiquement les attaques contre la religion, et en particulier le procès des « caricatures de Mahomet », n’ont pas abouti 4. Mais si, en France comme aux Etats-Unis, la liberté de critiquer les religions fait partie du droit positif, cette liberté s’est affirmée dans un contexte politique et social très différent. La société française a connu, depuis plus d’un siècle, un fort mouvement de sécularisation, qui s’est manifesté par le déclin de la pratique et des croyances religieuses. Les Etats-Unis n’ont pas connu d’évolution similaire, ou tout du moins pas à la même échelle : « La pratique religieuse y est exceptionnellement élevée et le discours politique reste imprégné de valeurs et de références religieuses » 5. Cette différence se traduit dans de nombreux indicateurs. En 2013, par exemple, 53 % des Américains interrogés déclaraient qu’il est essentiel de croire en Dieu pour avoir une morale, contre 15 % des Français, 19% des Espagnols et 20% des Britanniques 6. Par ailleurs, aux Etats-Unis, même si l’attachement à la religion est généralement plus important chez les conservateurs que chez les progressistes, il dépasse les clivages politiques. Ainsi, en 2011, 29 % des personnes interrogées aux Etats-Unis et se déclarant « libérales » (au sens américain du terme, qui s’oppose à conservateur ou « modéré ») estimaient que la religion joue un rôle très important dans leur vie. A la même époque, les Français dans leur ensemble n’étaient que 13% à partager ce point de vue 7.
Ainsi, en France, la critique de la religion s’inscrit dans une longue tradition, qui va de Voltaire à Brassens, et dans le contexte d’une société qui reste largement sécularisée, même si elle connaît des formes de retour du religieux – comme l’ont montré les manifestations contre le « mariage pour tous ». Par ailleurs, une grande partie du débat français porte sur la liberté et les modalités de la critique d’une religion minoritaire – l’Islam -, avec tous les risques inhérents à la critique d’une croyance qui n’est partagée que par une minorité, qui ne peut peser que marginalement sur le processus politique et l’adoption des lois. La question se présente aux Etats-Unis sous un angle différent. En effet, elle est plutôt celle de savoir si la liberté de critiquer les religions peut être protégée dans une société qui, dans sa grande majorité, reste profondément attachée aux valeurs et à la pratique religieuses, et où les religieux de toutes obédiences disposent d’un poids politique considérable. La réponse à cette question a varié dans le temps. Il existe, aux Etats-Unis, une longue tradition juridique de lois pénalisant le blasphème (I). Mais ces lois ont été privées d’effet par l’affirmation progressive d’une conception plus exigeante de la liberté d’expression et de la séparation des Eglises et de l’Etat (II).
I. Quand la religion l’emportait sur la liberté : les lois anti-blasphème dans la tradition juridique américaine
Les Etats-Unis ont longtemps offert le visage paradoxal d’un Etat dans lequel, en théorie, la liberté d’expression et la séparation des Eglises et de l’Etat étaient affirmées mais où, en réalité, l’attachement de la société à la religion l’emportait sur l’attachement à la liberté et à un Etat séculier.
A. Jusqu’au milieu du XXème siècle, le blasphème était l’objet de sanctions pénales effectives dans de nombreux Etats américains
Même si, à l’image des pèlerins du Mayflower, une partie des habitants des Treize colonies avaient fui les persécutions religieuses, l’Amérique de l’époque précédant la guerre d’Indépendance n’était pas pour autant un havre de tolérance religieuse et philosophique. La criminalisation du blasphème dans les colonies est, à l’origine, un legs de la common law anglaise. Dans le droit pénal anglais, le blasphème, au même titre que l’apostasie, l’hérésie, et le non-respect du « Jour du Seigneur » étaient au nombre des infractions pénales recensées par Blackstone dans ses Commentaires des lois de l’Angleterre (1765-1769), dans la catégorie des « infractions contre Dieu et la religion » 8. Cet ensemble d’infractions fut repris dans les colonies : dans le Massachussetts, par exemple, il fut notamment mis en œuvre contre les Quakers, qui firent l’objet de quatre pendaisons en 1659-1660 9, ainsi que lors des célèbres procès en sorcellerie de Salem dans les années 1690 10. Sous l’influence et dans le contexte de la philosophie des Lumières, des voix se firent entendre au XVIIIème siècle pour défendre la liberté d’expression et la liberté de conscience et de religion, et revendiquer la sécularisation du droit et des institutions. Avec James Madison, Thomas Jefferson, à qui l’on doit la formule d’un « mur de séparation entre l’Eglise et l’Etat » 11, fut notamment l’un des avocats de cette revendication : « Nous n’avons jamais concédé les droits de notre conscience, et nous n’aurions pu le faire. De ces droits nous sommes responsables devant notre Dieu. Les pouvoirs légitimes du Gouvernement ne s’étendent à ces actes que pour autant qu’ils fassent du tort à autrui. Mais cela ne me fait aucun tort lorsque mon voisin dit qu’il y a vingt dieux, ou qu’il n’y en a aucun. Cela ne m’enlève pas ce que j’ai dans la poche, et ça ne me casse pas la jambe. » 12 Mais si des progrès considérables furent accomplis dans la direction du pluralisme religieux et de la liberté de religion, la question de la critique de la religion elle-même, ou des attaques contre la religion, restait beaucoup moins claire. La déclaration des droits de la Virginie de 1776, par exemple, prévoit bien que « La Religion, ou le devoir que nous devons à notre Créateur, et la manière, de le remplir, ne peut être commandée que par la raison et la conviction, non par la force et la violence », et que « tous les hommes ont également droit au libre exercice de leur religion selon ce que leur dicte leur conscience ». Mais elle se conclut par un appel à la pratique des vertus chrétiennes, en indiquant qu’« il est du devoir mutuel de tous de pratiquer l’indulgence, l’amour et la charité chrétiennes les uns envers les envers les autres ».
Dans la mesure où elle marque une rupture profonde et inédite avec l’ordre juridique et politique antérieur, la Constitution américaine aurait pu mettre un terme à l’incrimination du blasphème. Et ce d’autant plus qu’elle correspond à un véritable « seuil de laïcisation » (selon le terme forgé, à propos de la France, par l’historien Jean Baubérot). En effet, il s’agit un document totalement séculier dans son contenu, puisqu’elle ne fait aucune référence à Dieu ou à une forme de divinité ou de transcendance 13. Il s’agit d’une particularité remarquable par rapport à des documents d’inspiration ou de portée équivalente adoptés sensiblement à la même époque, comme la déclaration d’indépendance de 1776 (qui fait référence au « Créateur » et au « Dieu de la nature ») ou, en France, de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qui mentionne l’ « Etre suprême » dans son préambule). Surtout, le Bill of Rights, adopté sous la forme des dix premiers amendements à la Constitution et entré en vigueur en 1791, pose à la fois, dans le Premier amendement, les bases de la séparation des pouvoirs publics et de la religion, d’une part, et la garantie de la liberté d’expression –et de la liberté de religion-, d’autre part. Il prévoit à cet égard que « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche à l’établissement d’une religion ou en interdise le libre exercice ; ou qui restreigne la liberté d’expression ou de la presse (…) ». Particulièrement original est le principe de non-établissement, qui vise à exclure toute reconnaissance officielle d’un ou plusieurs cultes par la loi. Il rend « impossible l’existence d’une religion d’Etat, les représentants américains ne pouvant voter de lois valorisant ou favorisant une confession particulière » 14. Même s’il est formulé dans des termes laconiques, qui ont alimenté les débats sur sa portée exacte, le principe de non-établissement marque incontestablement la volonté de tenir l’Etat à l’écart des affaires religieuses et d’instaurer ainsi une forme de séparation des Eglises et de l’Etat. Pourtant, comme le relevait la Cour suprême en 1957 dans l’arrêt Roth, dans l’ensemble des quatorze Etats ayant ratifié la Constitution en 1792, des lois étaient en vigueur pour pénaliser le blasphème ou le délit voisin de « profanity » (le fait de proférer des propos grossiers et/ou de manifester de l’irrespect pour la religion) 15. Surtout, ces lois continuèrent à être appliquées tout au long du XIXème et dans les premières décennies du XXème siècle. En 1811, par exemple, la juridiction suprême de l’Etat de New-York valide la condamnation pour blasphème de John Ruggles qui, alors qu’il sortait d’un bar en état d’ébriété, s’était écrié : « Jésus Christ était un bâtard et sa mère devait être une p… » 16. L’opinion délivrée par le Chief Justice Kent pour une cour unanime 17, loin d’esquiver le débat sur la constitutionnalité du délit de blasphème, se livre à une justification argumentée du maintien de ce délit dans le nouveau contexte constitutionnel : « Bien que la Constitution ait rompu avec l’établissement de la religion, elle n’interdit pas aux institutions judiciaires de connaître des infractions contre la religion et la moralité qui ne font pas référence à un tel établissement, ou à une forme particulière de gouvernement, mais qui sont punissables parce qu’elles s’attaquent à la racine des obligations morales et affaiblissent le lien social. Nous avons également besoin, aujourd’hui comme hier, de cette discipline morale, et de ces principes de vertu qui contribuent au maintien du lien social. Le peuple de cet Etat, comme celui de ce pays, professe les doctrines de la Chrétienté, qui régissent leur foi et leur pratique ; et scandaliser l’auteur de ces doctrines n’est pas seulement, d’un point de vue religieux, d’une extrême impiété, c’est aussi, du point de vue des obligations dues à la société, une violation grave de la décence et de l’ordre public ». Le raisonnement est donc le suivant: la religion, même privée de tout statut légal, incarne les valeurs communes de la morale, qui sont elles-mêmes le ciment de la société et de l’ordre. S’attaquer à la religion, ce serait donc s’attaquer à l’ordre public.
Tout au long du XIXème siècle, on retrouve des exemples de condamnation pour blasphème dans différents États américains. Dans l’affaire Commonwealth v. Kneeland 18, en 1838, un certain Kneeland, converti à une forme de panthéisme, est condamné dans le Massachussetts pour avoir, à l’occasion d’une polémique avec l’Eglise Universaliste (une dénomination protestante dont il est un ancien adepte), écrit un article mettant en cause l’existence de Dieu. Il a notamment écrit que “leur Dieu, avec tous ses attributs moraux (…) n’est rien d’autre qu’une chimère de leur propre imagination” 19. Il est condamné à une peine de prison ferme, sur le fondement d’une loi de 1782 qui interdit notamment de mettre en cause l’existence de Dieu, et sa condamnation est confirmée par la cour suprême de l’Etat du Massachussetts. Une des dernières condamnations sur le fondement d’un délit de blasphème est prononcée en 1921, dans l’Etat du Maine 20. Michael X. Mockus, un militant lituanien est poursuivi pour avoir, dans un discours en lituanien devant des ouvriers immigrés originaires de ce pays, tenus des propos enflammés contre la religion chrétienne. Dans ses propos, illustrés à l’aide d’une lanterne magique, il a notamment évoqué en des termes particulièrement sarcastiques les circonstances de la conception de Jésus-Christ et la tenue de ce dernier lors de la descente de la croix 21. Il est condamné à une peine de prison.
B. L’ « incorporation » du Premier amendement a amorcé un déclin inéluctable de cette prohibition
Une évolution juridique décisive intervient au cours des années 1940 22. La Cour Suprême des Etats-Unis amorce le mouvement d’« incorporation » du Bill of Rights, c’est-à-dire de l’application aux Etats fédérés de l’essentiel des droits et libertés contenues dans les dix premiers amendements à la Constitution. A l’origine, le Bill of Rights était conçu pour s’appliquer uniquement aux relations entre les citoyens et l’Etat fédéral. Mais l’adoption du 14ème amendement à la fin de la guerre de Sécession a notamment eu pour objet de contraindre les Etats au respect de deux catégories de droits fondamentaux : l’égalité devant la loi (equal protection) et les principes se rattachant à la garantie du due process of law (catégorie gigogne qui contient à la fois des droits procéduraux et substantiels). Après un période de tâtonnements, la Cour juge au milieu du XXème siècle que le 14ème amendement doit être interprété comme un renvoi à une partie des droits contenus dans le Bill of Rights, qui sont ainsi « incorporés » dans les normes auxquels les Etats sont soumis. Dans l’affaire Cantwell v. Connecticut 23, la Cour décide notamment que le Premier amendement, qui garantit à la fois la liberté d’expression, la liberté de religion et le principe de non-établissement des religions s’applique pleinement aux Etats. Des témoins de Jéhovah ont fait l’objet d’une condamnation pour avoir méconnu une loi du Connecticut qui soumet à autorisation préalable le porte-à-porte et les sollicitations financières à des fins religieuses ou philanthropiques. La Cour suprême déclare que cette loi, dans l’application qui en a été faite, est contraire à la liberté religieuse. Est ainsi affirmée l’applicabilité du Premier amendement aux législations émanant des Etats fédérés. Dans la mesure où ces derniers sont à l’origine de la plupart des lois antiblasphème, cette évolution va permettre de confronter ces lois aux principes contenus dans le Premier amendement : liberté d’expression, liberté de religion et principe de non-établissement des religions.
C’est – indirectement – au cinéaste italien Roberto Rossellini que l’on doit un arrêt de principe sur l’inconstitutionnalité des lois prohibant le blasphème, dans l’affaire Burstyn v. Wilson (1952) 24. En décembre 1950, un cinéma de Manhattan programme un moyen métrage de Roberto Rossellini, « Le Miracle » 25. Le film, tourné en 1948, a pour personnage principal une jeune paysanne à l’esprit simple (jouée par Anna Magnani). La jeune fille, enceinte à la suite de sa rencontre avec un inconnu qui a profité de sa naïveté, est persuadée d’avoir été miraculeusement fécondée par Saint Joseph. Elle devient la risée des habitants du village, qui la persécutent, et doit se réfugier dans la montagne. Le film s’achève par son accouchement dans l’église du village. En Italie, le film fait l’objet de réactions contrastées de la part de la presse catholique, mais il est diffusé et projeté sans incidents. Les choses se gâtent lors de sa projection aux Etats-Unis. Une ligue de vertu d’obédience catholique (la Légion Nationale de la Décence) engage une campagne d’opinion contre le film, bientôt relayée par le cardinal Spellman, archevêque de New-York. Début 1951, la commission de censure de l’Etat de New-York retire le visa d’exploitation du film, sur le fondement d’une loi de l’Etat qui permet de retirer le visa d’exploitation de tout film de caractère « sacrilège ». L’exploitant saisit les tribunaux et l’affaire remonte jusqu’à la Cour suprême des Etats-Unis. La Cour juge que les autorités publiques ne peuvent, sans méconnaître les dispositions du Premier et du Quatorzième amendement, refuser un visa d’exploitation à un film au motif de son caractère « sacrilège ». Mais le raisonnement de l’arrêt mélange deux types de considérations, qui en brouillent la portée. En effet, le raisonnement de l’arrêt contient différents passages dans lesquelles la Cour condamne les interventions de l’Etat destinées à protéger une religion contre des « attaques réelles ou imaginaire », la solution de la Cour est largement fondée sur un autre fondement, qui n’est pas spécifique au blasphème : la Cour censure en effet le principe de l’autorisation préalable (prior restraint) fondée sur des critères insuffisamment précis. C’est donc tout autant l’imprécision du terme « sacrilège » que l’immixtion de l’Etat dans la protection des croyances religieuses qui sont sanctionnées.
II. Quand la liberté l’emporte sur la religion: des lois désormais privées d’effet
Depuis 1952, la Cour suprême n’a pas eu l’occasion de se prononcer à nouveau sur la question du blasphème, en tous les cas pas de façon directe. Mais l’évolution générale de sa jurisprudence sur la liberté d’expression, d’une part, et sur le principe de non-établissement des religions, d’autre part, ne laisse subsister aucun doute sur l’inconstitutionnalité des lois antiblasphème. C’est aux juges du fond qu’on doit l’application particulière de ces principes à des lois antiblasphèmes, et notamment à une décision récente qui, si elle n’émane que d’une juridiction de première instance, est fondée sur une argumentation fouillée. Cette décision a été rendue en 2010 dans l’affaire Kalman v. Cortes 26 par un juge fédéral siégeant en Pennsylvanie. Une producteur de film s’était vu refuser l’immatriculation d’une société de production sous la dénomination sociale « Productions J’ai choisi l’Enfer » (I choose Hell production LLC ). Ce refus était fondé sur une loi de l’Etat de Pennsylvanie interdisant d’utiliser, pour l’immatriculation d’une société, une dénomination sociale contenant « des mots constituant un blasphème, des jurons, ou profanant le nom du Seigneur ». Au terme d’une argumentation détaillée et pédagogique, le tribunal écarte cette loi comme inconstitutionnelle.
A. Les lois anti-blasphème méconnaissent le principe de non établissement des religions
Le premier fondement retenu par le tribunal pour juger la loi inconstitutionnelle est le principe de non établissement des religions. Ainsi qu’on l’a indiqué précédemment, le 1er amendement à la Constitution, qui dispose que: « Le Congrès ne fera aucune loi qui établirait une religion ou qui en interdirait le libre exercice », affirme de façon inséparable un principe de séparation des Eglises et de l’Etat (ou tout du moins une forme de séparation, car le principe de non établissement, qui fait l’objet d’une application nuancée et se réduit difficilement à une formule simple) et le principe de la liberté religieuse. L’existence de ces deux garanties, qui forment deux piliers du droit constitutionnel américain, a fait dire à certains auteurs, comme Camille Froidevaux-Metterie, que le pays est doté d’une « véritable charte laïque » 27.
Pour l’application du principe de non établissement des religions, la Cour suprême a développé différents critères pour déterminer si une loi est contraire à ce principe. Elle a regroupé et articulé ces critères sous la forme d’un test (formule consacrée pour désigner, en droit américain, un ensemble de propositions logiques ou de critères pour décider de la solution d’une question juridique). Le « test » le plus couramment employé par la Cour a été formulé en 1971 dans l’affaire Lemon v. Kurtzman 28, et c’est celui dont le juge fédéral a fait application dans l’affaire Kalman v. Cortes. Le test Lemon se compose de trois éléments 29. Une loi ou une action des autorités publiques n’est conforme au principe de non établissement que si : (1) elle a un objet séculier, (2) son effet principal n’est ni de favoriser ni de restreindre l’exercice de la religion et (3) elle n’encourage pas une imbrication excessive du gouvernement et de la religion (excessive governement entanglement with religion) 30.
Le non-respect d’un seul de ces critères suffit à entraîner l’inconstitutionnalité de la loi. Dans l’affaire Kalman, le tribunal relève que tous ces critères ont été méconnus par le texte examiné. Le critère du but ou de l’objet doit, comme l’a indiqué le tribunal, être analysé en prenant le point de vue d’un observateur objectif. En d’autres termes, il ne suffit pas au législateur d’invoquer un prétexte séculier pour échapper à la sanction de ces critères. Dans l’affaire Kalman, l’Etat de Pennsylvanie avait soutenu deux types d’arguments. Il avait fait valoir que le but de la législation était, à travers l’interdiction des appellations blasphématoires, d’interdire des propos injurieux pour la société toute entière (ce qu’on pourrait appeler la variante métonymique). Il avait également indiqué qu’il s’agissait de préserver la paix civile (la variante de l’ordre public). Le tribunal écarte l’argumentation, en se fondant notamment sur le contexte de l’adoption du texte, qui faisait suite à des protestations d’organisation religieuses, dans les années 1970, contre l’ouverture d’un commerce dénommée God Damn Gun Shop (« Nom de Dieu d’Armurerie »). S’agissant du deuxième critère – l’effet -, le tribunal relève que le texte ne peut être perçu que comme une manifestation de soutien de l’Etat à la religion et une protection au profit de cette dernière. S’agissant, enfin, du critère de l’imbrication excessive, le tribunal relève que le texte qui conduit des agents publics à déterminer si des propos ont un caractère blasphématoire. Il les conduit ainsi à définir – au demeurant de façon totalement arbitraire et imprévisible – une forme d’orthodoxie religieuse. Par conséquent, il entraine au plus haut degré une confusion entre les affaires de l’Etat et de la religion.
Même si chacun de ces critères suppose une appréciation concrète, il est difficile de concevoir qu’une loi antiblasphème pourrait échapper à la censure sur l’un ou l’autre des critères de l’arrêt Lemon (et, le plus souvent, sur les trois à la fois). Ces lois constituent en effet un exemple presque chimiquement pur d’intervention de l’Etat au service des religions.
B. Les lois anti-blasphème méconnaissent également la liberté d’expression
Indépendamment du fait qu’elles sont contraires au principe de non-établissement, les lois prohibant le blasphème sont également une violation de la liberté d’expression, telle qu’elle s’est progressivement consolidée dans le droit constitutionnel américain. Même si le texte du Ier amendement n’a pas changé, son interprétation a varié dans le temps. Jusque dans les années 1930, la liberté d’expression était, en réalité, fort mal protégée par le juge constitutionnel. En particulier, lorsqu’à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, une forte répression s’est abattue sur le mouvement ouvrier, la Cour suprême a globalement validé les lois répressives. Or, certaines de ces lois relevaient du délit d’opinion pur et simple et aboutirent à des lourdes condamnations pour de simples propos contenus dans des tracts ou proférés dans des meetings 31. La protection de la liberté d’expression par la Cour suprême s’est graduellement renforcée. Le juge Oliver Wendell Holmes (1841-1935), notamment, a fait évoluer sa réflexion sur le sujet, pour poser, sur le tard, les fondements doctrinaux de la protection de cette liberté, dans son opinion dissidente sur l’affaire Abrams en 1919 32. Dans la période suivante, le juge Hugo Black (1886-1971) se fit le champion d’une conception absolutiste de cette liberté, qui trouva son aboutissement dans la jurisprudence libérale des années 1960.
Dans le droit américain contemporain, la liberté d’expression fait l’objet d’une protection qui, pour n’être pas absolue, est particulièrement élevée. A type de discours équivalent, le droit américain est généralement plus libéral que le droit français. Par exemple, des propos d’incitation à la haine ou à la violence qui, en France, tomberaient sous le coup de la loi pénale, ne peuvent être sanctionnés que s’il est démontré un risque imminent de passage à l’acte 33. La responsabilité civile pour diffamation est extrêmement restrictive : si les propos concernent un personnage public, l’organe de presse ne peut être condamné qu’en cas d’intention délibérée de nuire (actual malice) 34. Et la protection de la liberté d’expression s’étend à des actes matériels de portée symboliques, comme l’a jugé la Cour suprême en décidant, en 1989, que l’interdiction de brûler ou de profaner un drapeau américain était contraire au 1er amendement 35. Cette protection, cependant, ne repose pas sur un principe unique, mais sur une construction jurisprudentielle complexe qui distingue des degrés de protection selon la nature du discours ou des restrictions qui y sont apportées 36. Une des lignes de partage fondamentales de la jurisprudence s’opère entre les restrictions fondées sur le contenu de l’expression (content based regulations), qui sont extrêmement encadrées, et celles fondées sur le temps, le lieu et la manière selon laquelle l’opinion est exprimée (time, place and manner regulations), qui sont admises un peu plus largement. Les restrictions fondées sur le contenu sont soumises à un contrôle maximal, ce contrôle est encore plus poussé si la limitation de la liberté d’expression concerne un point de vue en particulier. En effet, comme la Cour suprême l’a indiqué à de nombreuses reprises, « Des règles qui permettent au Gouvernement de discriminer sur la base du contenu d’un message ne peuvent être tolérées au regard du 1er amendement » 37. Le gouvernement « doit s’abstenir de réguler l’expression lorsque l’idéologie spécifique, l’opinion ou la perspective de celui qui s’exprime est la raison justifiant la restriction » 38. Même si ces restrictions peuvent être théoriquement justifiée lorsqu’elles sont strictement nécessaires à la préservation d’un impérieux motif d’intérêt public (compelling state interest), en pratique, ce contrôle est tellement poussé que ces restrictions sont presque toujours inconstitutionnelles, ce qui vaut souvent à ce contrôle maximal d’être qualifié de « fatal ». Cette construction a notamment été théorisée par le Juge Oliver Wendell Holmes dans son opinion dissidente sur l’affaire Abrams, dans laquelle il opère une analogie entre la concurrence économique et le pluralisme idéologique, pour conclure que rien ne vaut « le libre marché des idées » et que « le meilleur critère de la vérité est la capacité pour une pensée de se faire accepter dans la compétition du marché » 39.
A l’aune de cette jurisprudence, il ne fait pratiquement aucun doute que les lois anti-blasphème, qui sanctionnent un point de vue particulier (la critique, l’irrespect ou l’injure vis-à-vis de la religion), sont contraires au 1er amendement. C’est la conclusion qu’en a logiquement tiré le tribunal dans l’affaire Kalman. Est-ce à dire que tout propos blasphématoire jouirait d’une protection constitutionnelle ? Il faut quand même distinguer selon la nature du discours tenu. En effet, les principes qui ont été rappelés ne s’appliquent pas à tous les types de discours : certaines catégories d’expression ne jouissent traditionnellement d’aucune protection (c’est le cas pour l’obscénité) tandis que d’autres ne font l’objet que d’une protection atténuée (notamment la publicité commerciale) 40. Le sort particulier fait à l’obscénité est potentiellement le plus problématique, dans la mesure où, historiquement, des propos à contenu ou à connotation sexuelle ont souvent été qualifiés de blasphématoire. Et l’on pense, bien sûr, au cas de Charlie Hebdo, dont les caricatures combinaient fréquemment le sexe, la politique et la religion (à la différence, par exemple, du Canard Enchaîné). Mais il est important de relever que la définition de l’obscénité par la Cour suprême n’est susceptible de s’appliquer que lorsque l’œuvre est dépourvue, dans son ensemble, de « valeur littéraire, artistique, politique ou scientifique sérieuse » 41. Or, dans le cas de Charlie Hebdo, la satire, même à contenu sexuel, avait un caractère politique affirmé. Il est donc probable que des propos ou des dessins du même type seraient pleinement protégés par la jurisprudence relative au 1er amendement.
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En 1876, Ferdinand Buisson écrivait à propos des Etats-Unis : « Rien n’est plus difficile, à nos compatriotes en particulier, que d’apprécier exactement cette alliance intime d’une foi religieuse, encore vive dans la majorité de la population, et d’un scrupuleux respect de la liberté de toutes les opinions, y compris même les opinions irréligieuses » 42. Il est notoire que dans certains domaines du droit américain, l’attachement à la religion a pris le pas sur le principe de non établissement–ce qui explique, par exemple, qu’il soit légalement possible d’ouvrir la session d’une assemblée par une prière publique 43, ou que le serment d’allégeance contienne, depuis les années 1950, une référence à Dieu 44. Mais dans le conflit entre l’attachement à la religion et la liberté d’expression, c’est cette dernière qui a prévalu. Est-ce à dire qu’il serait possible, aux Etats-Unis, de tout dire et de tout écrire sur les religions ? Sur ce point, il faut clairement séparer le droit et les mœurs. Comme l’ont montré les débats aux Etats-Unis après l’attentat de Charlie Hebdo, beaucoup des caricatures contenues dans ce journal auraient été, de fait, impubliables, soit parce qu’elles auraient choqué les milieux conservateurs et religieux, soit parce qu’elles auraient été considérées, par les libéraux, comme des attaques inacceptables contre une minorité religieuse, assimilables à du racisme ou de la xénophobie 45. Mais quelle que soit la force de la réprobation sociale qui peut s’abattre sur des propos, elle n’a pas le même statut que l’interdiction qui découle de la norme juridique. Sur le plan du droit, la liberté de critiquer la religion aux Etats-Unis est pleine et entière, et peut-être – mais c’est un autre débat -, davantage protégée qu’en France, ou les palinodies de la notion « l’ordre public » et son application rendent parfois difficile de cerner les contours de la liberté d’expression.
Notes:
- Diplômé du DEA « Droits de l’homme et libertés publiques » (Université Paris X-Nanterre) et du LLM de l’Université de Californie (Davis). Actuellement chargé de travaux dirigés à l’université de Californie (Berkeley). Cet article a bénéficié de la relecture et des remarques de D. Lochak et S. Slama et des suggestions initiales de Thomas Hochman et X. Dupré de Boulois. Qu’ils en soient remerciés ↩
- Voir l’article du journal britannique The Guardian consacré à cette affaire : http://www.theguardian.com/world/2010/apr/22/south-park-muhammad-episode-censored ↩
- http://www.today.com/popculture/fox-news-host-wants-south-park-investigated-blasphemy-1B5960016 ↩
- http://www.lemonde.fr/attaque-contre-charlie-hebdo/article/2015/01/07/l-audience-historique-du-proces-des-caricatures-de-mahomet_4551139_4550668.html ↩
- D. Lacorne, De la Religion en Amérique (nouvelle édition, 2012), p. 19 ↩
- Etude du Pew Research Center, disponible à l’adresse : http://www.pewglobal.org/2014/03/13/worldwide-many-see-belief-in-god-as-essential-to-morality/ (consulté le 19 juin 2015 ↩
- Etude du Pew Research Center : Pew-Global-Attitudes-Values-Report-FINAL-November-17-2011-10AM-EST1(consulté le 19 juin 2015) ↩
- Opinion concurrente du juge Frankfurter sur l’arrêt Burstyn v. Wilson, 343 U.S. 495 (1952), 526, et note 41, citant Blackstone, Livre IV, ch. 4, 41-64 ↩
- Rufus M. Jones, The quackers in the American colonies, 76-80 (1923), cité par Kalman v. Cortes,723 F. Supp.2d 766 (2010) ↩
- Voir, sur cette affaire, http://www.smithsonianmag.com/history/a-brief-history-of-the-salem-witch-trials-175162489/?no-ist=&page=2 ↩
- Thomas Jefferson, « Lettre à un comité de l’association baptiste de Danbury (1er janvier 1802) », cité dans Mc Connell, Garvey, Berg, Religion and the Constitution, deuxième édition, p. 42 ↩
- Thomas Jefferson, Notes sur l’Etat de Virginie, Query 17, 157-161 (1784) cité dans Mc Connell, Garvey, Berg, p. 42 (notre traduction) ↩
- Voir notamment, sur ce point, C. Froidevaux-Metterie, Politique et religion aux Etats-Unis, 2009, p. 38 ↩
- C. Froidevaux-Metterie, op. cit, p. 40 ↩
- Roth v. United States, 354 U.S. 476 (1957), 482-483 ↩
- People v. Ruggles, 8 Johns. 290 (N.Y.S. Court . 1811), cité par Kalman v. Cortes, 775 ↩
- http://nycourts.gov/history/legal-history-new-york/legal-history-eras-02/history-new-york-legal-eras-people-ruggles.html (consulté le 6 avril 2015) ↩
- Commonwealth v. Kneeland 37 Mass. 206 (1838) ↩
- Le texte original est le suivant : « their god, with all his moral attributes (aside from nature itself) is nothing more than a mere chimera of their own imagination” ↩
- State v. Michael X. Mockus 120 Me. 84, 113 A. 39 (1921) ↩
- http://allthingsmaine.blogspot.com/2006/04/state-v-michael-x-mockus.html ↩
- Voir, pour une description générale de cette évolution, Kalman v. Cortes 723 F.Supp.2d 766, 775 (2010) ↩
- 310 U.S. 296, 303 ↩
- Burstyn v. Wilson, 343 U.S. 495 (1952) ↩
- Voir, sur les circonstances exactes de l’affaire, l’opinion concurrente du juge Félix Frankfurter dans l’affaire Burstyn v. Wilson ↩
- Kalman v. Cortes, 723 F.Supp.2d 766 (2010) ↩
- C. Froidevaux-Metterie, op. cit., , p.4. Le terme a le grand mérite de rappeler que l’Etat américain est –beaucoup- plus séculier qu’on ne le perçoit généralement en Europe et que, sur certains points, comme le financement des cultes ou de l’enseignement privé, la séparation des Eglises et de l’Etat y est bien plus stricte qu’en France. Mais comme, par ailleurs, cette séparation est moins stricte sur d’autres aspects (notamment symboliques), il nous paraît néanmoins préférable d’utiliser le terme de « non établissement », même s’il est moins parlant ↩
- Lemon v. Kurtzman, 403 U.S. 602 (1971); voir, pour une présentation complète en français : E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, 2010, p. 397 et suivantes ↩
- E. Zoller, op. cit., p. 406 ↩
- Kalman v. Cortes, 784 ↩
- Voir, généralement, R. Polenberg, Fighting faiths : the Abrams case, the Supreme Court and Free speech (1987) ; et en français, E. Zoller, op. cit., p. 164-165, qui rappelle notamment la “belle unanimité” de la Cour pour valider la condamnation du leader socialiste Eugene Debs pour des propos tenus lors d’un meeting ↩
- Abrams v. United States, 250 U.S. 616 (1919) ↩
- Voir par exemple, Brandenburg v. Ohio, 395 U.S. 444 (1969) (annulant la condamnation d’un leader du Klu Klux Klan qui avait fait l’apologie de la violence et de la haine raciale, en l’absence de risque imminent et démontré) ↩
- New York Times v. Sullivan, 376 U.S. 254 (1964) ; voir E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, 2010, p. 340 et suivantes ↩
- Texas v. Johnson, 491 U.S. 397 (1989) ↩
- Pour donner un ordre d’idées, l’étude de la liberté d’expression fait généralement l’objet d’un cours spécifique dans les facultés de droit américain ↩
- Regan v. Time, Inc. 468 U.S. 641, 648-49 (1984); Forsyth county, Ga. V. Nationalist Movement, 505 U.S. 123,135 (1992) ↩
- Rosenberger v. Rectors and Visitors of University of Va., 515 U.S. 819 (1995) ↩
- Abrams v. United States, 250 U.S. 616, 630 (1919) ↩
- Dans l’affaire Kalman, le tribunal a examiné l’hypothèse que le choix d’une dénomination commerciale relève du discours commercial, mais a estimé qu’en l’occurrence, le résultat aurait été le même : Kalman, p. 795 et s. ↩
- Miller v. California, 473 U.S. 15 (1973) ↩
- Ferdinand Buisson « De l’instruction religieuse », in Rapport sur l’instruction primaire à l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876, Paris, 1878, cité par D. Lacorne, De la religion en Amérique, nouvelle édition 2012, p. 11 ↩
- Town of Greece v. Galloway 572 U.S. ___ (2014) ↩
- “I pledge allegiance to the Flag of the United States of America, and to the Republic for which it stands, one Nation under God, indivisible, with liberty and justice for all”. La référence « One Nation under God », à l’origine, ne figurait pas dans ce serment. Elle y a été introduite au cours de la Guerre froide, en 1954, sous l’influence de groupes conservateurs ↩
- Ce que, dans une tribune du New York Times, un éditorialiste avait ironiquement résumé en indiquant si l’équipe du journal avait tenté de publier le même journal sur un campus américain, « ils n’auraient pas tenu trente secondes » http://www.nytimes.com/2015/01/09/opinion/david-brooks-i-am-not-charlie-hebdo.html?_r=1 ↩
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