Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2020
Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH
Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH
Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS,
Cette livraison intervenant dans un contexte tout à fait exceptionnel, il est difficile de ne pas évoquer les effets de la lutte contre la pandémie du covid-19 sur le respect des droits fondamentaux. Du point de vue du droit international des droits de l’homme, on sait que le débat s’est focalisé, à titre principal, sur l’utilité pour les Etats de se prévaloir du droit de dérogation 1. Ayant eu l’occasion d’en prendre part dans cette même Revue, nous n’y reviendrons pas.
Plus intéressante est l’approche développée par les organes internationaux de protection des droits de l’homme qui ne se sont pas fait faute de rappeler explicitement aux Etats leurs obligations conventionnelles en cette période si singulière. Ainsi la Cour de San José a-t-elle publié le 14 avril un communiqué intitulé « Covid-19 et droits humains : les problèmes et défis doivent être abordés dans une perspective de droits de l’homme et respectant les obligations internationales ». C’est ce dont témoigne encore la déclaration du Comité des droits de l’homme des nations unies en date du 24 avril sur « les dérogations au Pacte concernant la pandémie de Covid-19 ». Le 21 avril, le Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes a également appelé les Etats à une action commune contre la pandémie de Covid-19 du point de vue des droits des femmes et publié une note d’orientation synthétisant les droits des femmes que les Etats doivent respecter dans leurs réponses à la menace du covid-19. Rien de tel au niveau européen. Alors certes, la direction des affaires juridiques du conseil de l’Europe a publié un memo sur l’article 15 de la Convention destiné aux gouvernements afin de les aider à « faire face à l’actuelle crise sanitaire, inédite et massive, tout en respectant les valeurs fondamentales de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme » (SG/Inf(2020)11). Notons également un certain activisme de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui a multiplié les communiqués thématiques sur la question. Mais le résultat est bien que la Cour européenne apparaît en retrait par rapport à d’autres organes. Pour sa part, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples n’a pas communiqué sur le sujet, si ce n’est pour informer de l’interruption de sa 56ème session ordinaire.
En France, l’examen des décisions rendues pendant l’état d’urgence sanitaire a confirmé que l’état d’urgence était propice à la concurrence des juges. Il n’est que d’évoquer ici les décisions rendues à propos de la prolongation de plein droit de la détention provisoire adoptée au titre de l’état d’urgence sanitaire (article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 23 mars 2020). Le 26 mai, la chambre criminelle a considéré que cette disposition n’est compatible avec l’article 5 de la Convention qu’à la condition qu’un juge judiciaire examine à bref délai la nécessité de la détention en cause, alors que le Conseil d’Etat avait validé l’allongement automatique de la détention provisoire sans intervention du juge judiciaire, sans vraiment répondre aux moyens d’inconventionnalité 2.
La valorisation du contrôle de conventionnalité dans la jurisprudence de la Cour de cassation est manifeste et a même été confirmée, par la suite, dans un contexte hors état d’urgence. Que l’on songe à la saga-judiciaire sur les conditions de détention indignes, qui a trait aux conséquences de l’arrêt J.M.B et autres c/ France 3jugeant que le référé-liberté n’avait pas le caractère d’un recours préventif effectif, pour faire cesser le risque de traitements inhumains et dégradants créé par le problème structurel de surpopulation carcérale. Le 8 juillet 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que le juge judiciaire a l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant de mettre un terme à la violation de l’article 3 de la CEDH, sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires. Dans le même temps, elle transmettait au Conseil constitutionnel une QPC sur les dispositions du code de procédure pénale qui ne prévoient pas que le juge judiciaire puisse mettre un terme à une atteinte à la dignité de la personne incarcérée résultant de ses conditions matérielles de détention, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Selon l’avocate générale Sandrine Zientara-Logeay, « dans le cadre du dialogue des juges, le Conseil à l’évidence ne pourrait faire abstraction de la jurisprudence européenne pour apprécier si les dispositions législatives en matière de détention provisoire permettent l’exercice d’un contrôle préventif des atteintes à la dignité des personnes détenues ». Ou comment inviter le Conseil à donner une coloration conventionnelle à son contrôle de constitutionnalité. Chose faite. Le 2 octobre 2020, le Conseil a censuré les dispositions litigieuses du code de procédure pénale relatives à la détention provisoire et enjoint au législateur de réformer la législation. Sans citer la jurisprudence européenne et tout en excluant la pratique des interprétations conformes sur le fondement du droit supranational, le Conseil s’inspire de l’arrêt J.M.B. de la Cour… Reste désormais au juge administratif à se prononcer, puisque de nombreuses procédures sont en cours devant le Conseil d’Etat qui portent sur les conséquences de l’arrêt J.M.B. Ces décisions audacieuses placent le Conseil d’Etat dans une position bien inconfortable. Toute solution qui n’irait pas dans le sens d’un renforcement de l’office du juge des référés le ferait apparaître comme un juge ne protégeant pas suffisamment les droits fondamentaux, et donc comme une juridiction en retrait par rapport à la Cour de cassation et au Conseil constitutionnel 4.
Du côté de la Cour de Strasbourg, la décision François Graner c/ France (5 mai, n° 84536/17) est revenue sur la question de la nature du contrôle de conventionnalité. Jusqu’à présent, le juge européen s’était plutôt contenté d’encourager les juges nationaux à généraliser le contrôle in concreto en France, en complément du contrôle in abstracto exercé par le Conseil constitutionnel. Pour la première fois, elle souligne très clairement qu’un contrôle de conventionnalité in abstracto ne constituerait pas une voie de recours interne à épuiser 5. Venant d’une juridiction qui pratique elle-même le contrôle abstrait, une telle affirmation a de quoi surprendre. A notre sens, ce serait aller un peu vite en besogne que d’affirmer que cette décision signe la fin du contrôle abstrait. C’est en effet une simple décision d’irrecevabilité focalisée sur la règle d’épuisement des recours internes.
Le 20 avril, M. Robert Spano a été élu Président de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), succédant ainsi à M. Linos-Alexandre Sicilianos. Juge élu au titre de l’Islande depuis 2013, M. Spano a été nommé Président de Section en mai 2017 puis vice-Président de la Cour en mai 2019. Il prend ses fonctions dans une période importante pour la Cour : dans ce contexte délétère marqué par la montée du populisme en Europe, la défense de son rôle est plus que jamais nécessaire. D’autant qu’au-delà des critiques ponctuelles liées à une interprétation jugée discutable de la Cour, se développent des critiques structurelles qui remettent en cause son existence même. Les campagnes de dénigrement de la Cour sont notamment orchestrées par l’ECLJ. Pour preuve, l’enquête menée sur la prétendue emprise de Soros sur la Cour EDH. Le plus inquiétant est que ces élucubrations soient reprises par des parlementaires français. Alors qu’elle fête son 70ème anniversaire, la Cour européenne est attaquée de toutes parts. Certes, ces critiques ne sont pas nouvelles et elles n’ont pas abouti, de la part des Etats, à dénoncer la Convention. De ce point de vue, le modèle européen se distingue assez nettement des modèles africain et interaméricain ou l’arme de la dénonciation a déjà été activée. Mais les campagnes de dénigrement menées ici et là sont encore plus inquiétantes, en ce qu’elles remettent en cause même le principe des bienfaits de la protection des droits de l’homme. « L’âge d’or du consensus politique sur les bienfaits de la démocratie libérale (…) n’est plus » 6. C’est le cœur même du populisme et le succès du concept de démocratie illibérale 7, qu’il nous faut combattre. En insistant sur la capacité de la Convention à s’adapter à son environnement, le Président Spano montre son attachement à l’interprétation évolutive, qui a tant souvent été décriée. Il met ainsi en exergue la nécessité de préserver l’héritage de la Cour européenne des droits de l’homme. Seul petit bémol dans les débuts du nouveau Président de la Cour : sa visite controversée en Turquie où il s’est vu décerner un doctorat honoris causa, par l’Université d’Istanbul, sans évoquer publiquement le respect du respect des droits de l’homme en Turquie, ce qui a été dénoncé par les ONG et militants des droits de l’homme.
Pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2020, six thèmes ont été retenus : les apports du second avis consultatif (I), le recours à la force par les agents de l’Etat (II), la protection des groupes et personnes vulnérables (III), le contrôle des entrées sur le territoire (IV), le droit du sport (V) et les contours du discours de haine (VI).
I – Précisions significatives sur l’office de la Cour dans le cadre de sa fonction consultative
15 Etats sur 47 ont ratifié le Protocole n° 16. Il s’agit de l’Albanie, de l’Arménie, de l’Estonie, de la Finlande, de la France, de la Géorgie, de la Lituanie, du Luxembourg, de Saint Marin, de la Slovénie, de l’Ukraine, des Pays-Bas, de la Grèce, d’Andorre et de la Slovaquie. 7 Etats ont signé le protocole sans le ratifier. Et deux demandes d’avis ont pour l’heure été adressées à la Cour. Le moins qu’on puisse dire est que cette nouvelle procédure d’avis consultatif connaît « un retard à l’allumage » 8. Avec cette formule, l’ancien Président de la Cour Jean-Paul Costa ne pouvait pas mieux résumer les débuts difficiles de cette nouvelle procédure.
« Retard à l’allumage », certes, mais « coquille vide » assurément pas. Preuve de son attractivité naissante, la Cour constitutionnelle arménienne a été la seconde juridiction en Europe à se saisir de ce nouvel instrument, à propos de la conventionnalité d’une disposition du code pénal arménien sanctionnant le « renversement de l’ordre constitutionnel » (2 sept. 2019) dans une configuration tout à fait intéressante. Cette saisine a donné lieu à un avis riche d’enseignements, en particulier sur l’office de la Cour et les conditions d’exercice de sa compétence consultative.
Tout d’abord, relevons que cette demande d’avis intervient dans une configuration particulière, très différente de celui du premier avis rendu sur saisine de la Cour de cassation française. La demande d’avis de la Cour constitutionnelle s’inscrit dans le cadre d’un conflit politique entre le chef du gouvernement actuel et l’ancien Président R. Kocharyan, accusé d’avoir activé l’état d’urgence lors des manifestations de mars 2008 qui se solda par la mort de dix personnes. Robert Kotcharian, fut inculpé, sur le fondement de l’article 300.1 § 1 du code pénal de 2009, de renversement de l’ordre constitutionnel de la République d’Arménie 9. L’interrogation de la Cour constitutionnelle porte notamment la notion de loi qui figure dans plusieurs articles de la Convention, et la conventionnalité de l’article 300.1 § 1 au regard des principes de sécurité juridique, d’accessibilité, de prévisibilité, de stabilité et de non-rétroactivité de la loi pénale. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que la Cour constitutionnelle avait elle-même été saisie en août 2019 par le tribunal de première instance d’Erevan d’une question de constitutionnalité afin d’exercer un contrôle de constitutionnalité à l’aune du droit de la Convention. Il résulte, en effet, de l’article 81, § 1, de la Constitution arménienne que « la pratique des organes opérant sur la base des traités internationaux en matière de droits de l’homme, qui ont été ratifiés par la République d’Arménie, doit être prise en considération lors de l’interprétation des dispositions de la Constitution relatives aux droits et libertés fondamentaux » 10.
Du point de vue de l’articulation de la nouvelle demande d’avis et des questions de constitutionnalité, le second avis de la Cour était donc attendu avec impatience.
Trois enseignements peuvent en être tirés sur le plan procédural, qui confirment que la Grande chambre reste bien maîtresse de la procédure.
Tout d’abord, en prenant acte du contexte spécifique de la demande d’avis intervenant dans le cadre d’une procédure préjudicielle de constitutionnalité (§ 48), la Cour entend bien retenir une approche extensive de l’article 1er, § 2, du Protocole, précisant que « la juridiction qui procède à la demande ne peut solliciter un avis consultatif que dans le cadre d’une affaire pendante devant elle », à savoir qu’une demande d’avis peut être adressée par une Cour constitutionnelle dans le cadre d’une question de constitutionnalité. En l’espèce, la Cour constitutionnelle n’est pas saisie d’une affaire mais d’une question de droit, la constitutionnalité de l’article 300.1 du code pénal de 2009, dans le cadre d’une procédure pénale pendante. À bien des égards, cette solution ne constitue pas véritablement une surprise, tant il apparaissait peu probable que les demandes d’avis émanant de juridictions constitutionnelles – qui ne sont pas saisies d’une « affaire » au sens strict – ne remplissent pas les exigences de l’article 1 du Protocole 16. Si tel avait été le cas, l’objectif d’établir une meilleure relation entre les juridictions supérieures d’un Etat et la Cour afin de renforcer l’application de la Convention au niveau national aurait été réduit à néant.
Ceci étant, la Cour vient délimiter de manière stricte l’étendue de son office et considère que, dans le cadre de sa compétence consultative, elle doit se montrer très prudente quant à l’appréciation des faits. Elle examine la demande d’avis adressée mais en s’en tenant aux faits tels qu’exposés par la Cour constitutionnelle. Pour la Cour de Strasbourg, « le présent avis consultatif est destiné à servir de guide pour l’interprétation par la Cour constitutionnelle des dispositions internes pertinentes pour l’affaire pendante devant elle. Il appartiendra donc à la Cour constitutionnelle, et non à la Grande Chambre, d’interpréter l’article 300.1 du code pénal de 2009 et l’article 300 § 1 de l’ancien code pénal pour apprécier la constitutionnalité de la procédure pénale en cours » (§ 49). De fait, et sans que cela ne constitue vraiment une surprise, l’examen de la Cour ne concerne pas la procédure principale (§ 49) et l’interprétation du code pénal.
Son rôle dans le cadre du protocole n° 16 n’est pas de « statuer contradictoirement sur des requêtes par un arrêt ayant force obligatoire, mais, dans un délai aussi rapide que possible, de fournir à la juridiction dont émane la demande une orientation lui permettant de garantir le respect des droits de la Convention » (§ 51). Ce faisant, la Cour réaffirme avec force la différence entre sa fonction contentieuse et consultative et rejoint les solutions énoncées par la Cour de San José, laquelle ne cesse en effet de rappeler que la finalité de sa compétence consultative ne consiste pas à statuer sur des faits mais à délivrer une interprétation commune et à assister les Etats membres 11. On l’aura compris, cette réserve de la Cour européenne fait écho au caractère non contraignant des avis.
Ensuite, il semble que la Cour européenne reconnaisse, à l’instar de la Cour de justice de l’Union européenne, une présomption de pertinence et donc de recevabilité, des avis consultatifs. C’est bien le sens de l’article 93 §3 du règlement de la Cour qui précise que « [l]e collège de la [g]rande [c]hambre accepte la demande s’il estime qu’elle satisfait aux exigences de l’article 1 du Protocole n° 16 à la Convention ». Le second avis a cependant le mérite de souligner que la grande chambre n’est pas liée par l’appréciation portée par le collège en ce qui concerne le respect des conditions encadrant la compétence consultative de la Cour (§ 47). C’est dire, en d’autres termes, que « la décision du collège ne saurait empêcher la Grande Chambre d’apprécier si chacune des questions qui composent la demande satisfait aux conditions de l’article 1 du Protocole n° 16 ». La Grande chambre en donne une explication plutôt convaincante. En effet, le collège ne dispose pas, au moment où il se prononce, des observations écrites et orales des parties de sorte qu’il décide « à l’aveugle » selon l’heureuse expression du Professeur Coutron 12. Ce rappel à l’ordre sonne comme un avertissement pour le collège.
Le rôle de la Grande chambre est par conséquent préservé, ce qui n’est pas sans rappeler son office en matière contentieuse au titre du réexamen (art. 43). C’est une constante dans sa jurisprudence que de considérer qu’« une fois saisie, la Grande chambre peut […] exercer la plénitude [de ses] fonctions juridictionnelles » 13. Ainsi, si l’existence d’une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore d’une question grave de caractère général est « la condition préalable pour que la demande d’une partie soit accueillie […] une fois la demande acceptée, c’est l’ensemble de “l’affaire“ qui est renvoyé devant la Grande chambre, laquelle se prononcera par un nouvel arrêt » 14. Le pouvoir de reformulation des demandes d’avis, qu’elle s’était déjà reconnu dans le premier avis, conforte ce parallèle avec l’office de la grande chambre au titre de l’article 43.
Par ailleurs, le second avis consultatif rappelle dans la droite ligne du premier avis que les avis doivent « se limiter aux points qui ont un lien direct avec le litige en instance au plan interne » (§ 44), la Cour n’ayant pas vocation à répondre à des questions générales ou hypothétiques. Le protocole 16 invite les juridictions internes à poser des questions précises afin de permettre à la Cour de répondre. Or, les deux premières questions de la Cour constitutionnelle arménienne, portant sur l’interprétation de la notion de droit et de loi au sens des articles 8 à 11 de la Convention, visaient justement à amener la Cour à prendre position sur des questions sans lien avec la procédure interne en cours. Le requérant n’a nullement exercé ces droits ou allégué une atteinte à ces droits. Le pouvoir de reformulation de la Cour n’est d’aucun secours ici, dès lors que les questions n’ont pas de lien direct avec le litige en instance au plan interne (§ 55). A contrario, cela irait à l’encontre de la finalité de la fonction consultative. En apparence sévère, la solution n’en demeure pas moins logique et plutôt nuancée dans la mesure où « certains des motifs invoqués par la Cour constitutionnelle à l’appui des première et deuxième questions peuvent être compris comme portant sur des questions relatives à la sécurité juridique et à la prévisibilité, notamment les limites de l’interprétation judiciaire dans le contexte de l’article 7 de la Convention, ces questions peuvent être examinées à suffisance dans la réponse de la Cour la troisième question » (§ 55).
S’il était besoin de démontrer que la demande d’avis consultatif se rapproche du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice, le pouvoir de reformulation des questions, l’interprétation de la notion d’affaire pendante suffiraient à s’en convaincre. Les dispositions du protocole 16 telles qu’interprétées par la Cour reflètent le caractère préjudiciel de la nouvelle compétence de la Cour. Mais la Cour européenne aurait pu aller plus loin. L’opinion dissidente du juge Sarvaria révèle les lacunes de l’argumentation développée, le second avis n’abordant pas la question de savoir si le collège doit motiver sa décision d’acceptation d’une demande d’avis. Le règlement de la Cour n’impose une telle motivation que pour les décisions de refus. La Cour européenne a ici une position isolée. Autrement dit et comme en conclut très justement la juge Sarvarian, sa pratique diffère de l’approche retenue par les autres Cours supranationales. S’agissant de la Cour de justice, il relève notamment que « son règlement ne se prononce pas sur la recevabilité d’une demande d’avis consultatif mais la Grande Chambre de la CJUE adopte en pratique des décisions motivées, en assemblée plénière, dans le cadre de la procédure d’avis consultatif ». La motivation des décisions d’acceptation permettrait d’y voir plus clair et serait d’une grande aide pour les plus hautes juridictions des États membres. N’est-ce pas l’objectif phare du Protocole n° 16 que d’améliorer le dialogue avec les plus hautes juridictions nationales ? L’exigence de la bonne administration de la justice n’impose-t-elle pas cette motivation ?
Sur le fond, l’intérêt de l’avis est se prononcer sur la conventionnalité de l’utilisation de la technique de « législation par référence ». Tout en précisant que cette technique n’est pas en soi incompatible avec l’article 7 (§ 70), le juge européen énonce un certain nombre de conditions permettant à la personne concernée de déterminer quel comportement est propre à engager sa responsabilité pénale. Pour ce faire, elle a été soucieuse de guider les autorités nationales sur la meilleure manière les exigences de l’article 7. C’est en ce sens qu’il convient en effet de comprendre la Cour lorsqu’elle affirme que « la clarté et la prévisibilité d’une incrimination (imposent) que la référence soit explicite et que la norme référente définisse les éléments constitutifs de l’infraction » (§ 73). A propos de la 4ème question concernant le principe de non-rétroactivité, et la question de savoir dans quelle mesure une loi adoptée après la commission présumée d’une infraction est plus ou moins favorable à l’accusé que la loi qui était en vigueur au moment des faits allégués, la Cour s’appuyant sur un large consensus européen estime que l’article 7 impose une appréciation in concreto à la lumière des circonstances particulières de l’affaire (§ 92).
M. Afroukh
II – L’éternel retour du recours à la force par les agents de l’Etat ?
Particulièrement sous les feux de l’actualité aux États-Unis, le problème du recours disproportionné à la force est également loin d’être réglé au sein du Conseil de l’Europe en dépit de la jurisprudence très ferme de la Cour depuis l’arrêt McCann de 1995. De cette recherche d’équilibre entre sécurité des forces de l’ordre et sécurité des suspects et/ou des tiers, l’affaire Andreea-Marusia Dumitru c/ Roumanie (31 mars 2020, n° 9637/16) est l’exemple le plus frappant, sur fond de discrimination (même si la question n’en est pas directement posée à la Cour). En effet, lors d’une opération de police destinée à disperser un groupe de roms soupçonnés d’une tentative de vol, la requérante, alors âgée de 15 ans et suspectée d’y avoir pris part, fut blessée par balle. Ne jugeant pas nécessaire de s’interroger sur sa présence sur les lieux pour constater qu’elle avait subi des blessures potentiellement mortelles, la Cour constate la violation de l’article 2 dans ses volets matériel et procédural. Faute de modification apportée par les lois régissant l’organisation et le fonctionnement de la police à la réglementation de l’usage des armes à feu et munitions (dont elle a déjà relevé l’insuffisance pour « offrir le niveau de protection du droit à la vie […] requis dans les sociétés démocratiques contemporaines en Europe » 15 ), elle note l’absence de toute autre règle que l’obligation de sommation. Alors que la situation (des vols quotidiens, parfois commis par des enfants) était parfaitement connue de la police, qui ne manquait pas de temps pour s’organiser, et face au laxisme dans la formation et le maniement des armes, elle juge que les autorités n’avaient pas fait tout ce que l’on pouvait attendre d’elles pour minimiser le recours à la force meurtrière dès lors que « la seule stratégie mise en place […] avait consisté en l’utilisation des fusils de chasse mis à la disposition du bureau de police pour atteindre les suspects » (§102). Faute d’investigation ouverte comme de précaution prise pour garantir collecte et conservation de preuves, et vu les nombreuses contradictions dans le témoignage du policier ayant fait feu, elle considère également qu’elles « ne sauraient passer pour avoir vraiment cherché à établir ce qui s’est exactement passé » (§110). C’est donc en tenant compte de cette carence qu’elle rejette une fois encore la thèse de la légitime défense pour empêcher les autorités de « tirer bénéfice de leurs propres défaillances » et « permettre aux auteurs d’actes potentiellement meurtriers d’échapper à leurs responsabilités », concluant que l’enquête ne pouvait passer pour rapide et effective en raison de lacunes diverses et du délai de plus de neuf ans écoulé avant le jugement définitif.
Dans l’arrêt Kukhalashvili et a. c/ Georgie (2 avr. 2020, n° 8938/07), l’usage indifférencié et excessif de la force létale pendant une opération anti-émeute en prison (qui avait fait 7 morts et 24 blessés, dont 2 surveillants) amène également la Cour à un constat de violation de l’article 2 sous ses deux volets : pour défaut d’effectivité de l’enquête pénale (ouverte tardivement, manquant d’indépendance et d’impartialité, privant les requérants – qui n’y ont pas été associés – de leurs droits procéduraux et accusant un retard excessif) et pour un emploi « aveugle et excessif » de la force meurtrière, sans assistance médicale adéquate fournie aux victimes ni éclaircissement des circonstances individuelles dans lesquelles elles avaient trouvé la mort.
C’est en revanche au regard de l’article 3 que l’affaire Castellani c/ France (30 avr. 2020, n° 43207/16) pose la question de l’usage excessif de la force par le GIPN lors de l’interpellation d’un suspect à son domicile en présence de sa famille. Appelé en renfort de la police pour procéder à l’interpellation d’une famille de suspects dans une affaire de subornation de témoin et menaces de mort, un groupe d’intervention spécialisé dans les missions violentes peut-il accepter d’intervenir dans les mêmes conditions pour interpeler un autre suspect mis en cause dans la même affaire, sur la simple demande d’un commandant de police saisissant cette opportunité de profiter de son assistance sans que le juge d’instruction n’en ait été informé ni que le directeur départemental de la sécurité publique n’ait donné son accord ? Sans surprise, la Cour conclut que non, car l’opération n’avait pas été planifiée ni exécutée de manière à s’assurer que le recours à la force se limiterait au strict nécessaire. Le requérant, qui avait frappé un policier en affirmant se croire agressé, n’avait d’ailleurs pas été poursuivi pour rébellion alors que « les gestes accomplis par plusieurs policiers casqués et protégés par des boucliers [avaie]nt été particulièrement violents », entraînant fractures et hématomes (§65). On notera que la France a accepté par règlement amiable de verser 145 000 € pour dommage matériel et moral et frais et dépens à la famille de Lamine Dieng, franco-sénégalais de 25 ans décédé en 2007 lors de son arrestation par la police (14 mai 2020, Ramata Dieng et a. c/ France, déc., n° 1560/18).
C. Husson-Rochcongar
III – La protection des personnes et des groupes vulnérables
A- Obligations renforcées à l’égard des victimes de violences et de négligences
Par plusieurs arrêts récents, la Cour précise les obligations positives pesant sur les États parties en matière de protection des victimes de diverses formes de violence et de négligence. Dans deux affaires concernant la vulnérabilité particulière des enfants tout d’abord, elle admet la qualité à agir d’associations de protection de l’enfance, dans le prolongement de l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c/ Roumanie (Gde Ch., 17 juil. 2014), dans laquelle un jeune handicapé mental séropositif était décédé pendant un séjour en hôpital psychiatrique.
Dans la première (4 juin 2020, Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c/ France, n° 15343/15 et 16806/15), la France a été condamnée à verser un euro symbolique aux associations requérantes pour violation de l’article 3 en raison de l’insuffisance des mesures prises pour protéger une enfant contre ses parents qui la maltraitaient. Née sous X en 2001, M. avait été récupérée par sa mère un mois plus tard et avait vécu avec sa famille jusqu’à son décès en août 2009. Dès sa première année à l’école, alors qu’elle avait 6 ans, ses enseignants consignèrent dans son dossier scolaire l’observation de nombreuses lésions. Le 19 juin 2008, suite à un déménagement, la directrice de ce qui devait être sa nouvelle école, alertée d’une suspicion de maltraitance et inquiète de ne pas la voir se présenter, adressa au Procureur de la République et au président du Conseil général de la Sarthe un signalement au titre de la protection de l’enfance auquel elle joignit quatre pages rédigées par les enseignantes qui avaient constaté les blessures. Le jour même, le substitut chargé des mineurs auprès du Procureur saisit la gendarmerie afin de faire procéder à une enquête comportant un examen médicolégal de l’enfant et son audition filmée, en demandant qu’on lui rende compte en traitement en temps réel, c’est-à-dire par téléphone et non par courrier. En dépit de cette réaction immédiate, ce n’est que douze jours plus tard que les services sociaux l’informèrent par e-mail que le médecin scolaire avait constaté de récentes ecchymoses et qu’ « un certificat médical était à sa disposition à l’Inspection académique ». Un agent de police judiciaire fut saisi de l’enquête le lendemain, 2 juillet 2008, et un médecin légiste missionné le 10 juillet. Examinant l’enfant en présence de son père le 15 juillet, il releva un nombre de blessures « fortement suspect ». L’audition eut lieu le 23 juillet sans que M. s’y plaigne de violences. Après un nouveau déménagement, elle se présenta dans sa nouvelle école où le médecin scolaire attira immédiatement l’attention du directeur sur la situation lorsqu’il la reconnut le jour de la rentrée. Le 18 septembre, sa mère ayant « confirm[é] l’origine accidentelle des cicatrices », l’agent responsable de l’enquête dressa un procès-verbal concluant à l’absence d’élément susceptible de présumer qu’elle était ou avait été victime de maltraitance, ce qui amena le parquet à classer le dossier sans suite le 6 octobre, l’infraction étant « insuffisamment caractérisée ».
Le 5 mars 2009, constatant l’absence d’information de la part du parquet suite au signalement, les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) appelèrent le parquet, qui les informa du classement sans suite. Le 27 avril, le médecin scolaire examina l’enfant, « horrifié par l’état des plaies », et le directeur de l’école, qui l’avait alerté, adressa au président du Conseil général une « information préoccupante » accompagnée d’un document de trois pages faisant état de 33 journées d’absence injustifiée et de nombreuses « petites blessures » en soulignant que l’enfant, que ses parents n’avaient jamais emmenée consulter un médecin, s’était plainte à deux reprises d’avoir été « tapée » par sa mère. Après un mois d’hospitalisation de M., le service de pédiatrie adressa le 26 mai à l’ASE une note d’information pour s’informer de ses conditions de vie (alors que l’ASE avait suggéré l’envoi d’une information préoccupante lorsque l’assistante sociale du service l’avait précédemment contactée par téléphone). À sa sortie de l’hôpital, M. rejoignit sa famille, qui avait déménagé pour la quatrième fois, un rendez-vous médical étant fixé au 2 juillet.
Le Conseil général ayant reçu l’information préoccupante du directeur le 4 mai, celle-ci fut traitée par deux agents différents de l’ASE en raison du déménagement de la famille, faute de centralisation du service chargé du traitement de ces informations. Leurs démarches furent superposées du 25 mai au 11 juin sans que la note reçue de l’hôpital ne soit transmise au parquet dans la mesure où aucun fait nouveau n’avait été établi suite à ce qui n’était qu’une suspicion de maltraitance classée sans suite l’année précédente. Les deux agents visitèrent le domicile de la famille le 17 juin (visite annoncée par courrier 5 jours plus tôt) sans y relever d’éléments particulièrement inquiétants. Ne trouvant personne pour un deuxième rendez-vous fixé le 24 juin, ni le lendemain, l’une des agents appela le père fin juillet pour « confirmer une rencontre » le 27 août suivant. En août et septembre, les parents expliquèrent de diverses manières l’absence de leur fille jusqu’à ce le père signale sa disparition aux gendarmes, avant de finir par les mener au corps de l’enfant, décédée dans la nuit du 6 au 7 août des sévices infligés par ses parents. Ceux-ci furent condamnés à 30 ans de réclusion criminelle pour actes de torture et de barbarie sur mineur de 15 ans par ascendant ayant entraîné la mort et au paiement d’un euro symbolique aux deux associations requérantes, qui s’étaient constituées parties civiles (visant le Conseil général, une plainte pour non-assistance à personne en danger, déposée par une autre association, avait été classée sans suite, l’enquête n’ayant pas permis d’établir « que les personnes entendues avaient conscience de la gravité de la situation et […] qu’aucune n’avait refusé de réagir »).
Face à ce drame de la médiocrité administrative ordinaire, la Cour voit dans l’enchaînement des faits des « circonstances exceptionnelles » permettant de reconnaître aux requérantes la qualité de « représentantes de facto » de l’enfant, comme elle l’avait fait dans l’affaire Câmpeanu. Établir la vulnérabilité de la victime, la mettant dans l’impossibilité de se plaindre de son vivant, est aisé en raison de son jeune âge, de même que l’importance des allégations portées devant elle, dès lors que celles-ci relèvent de la protection garantie par les articles 2 et 3. Quant à l’absence d’héritiers ou de représentants légaux susceptibles de la saisir, la Cour considère que la « proximité familiale et affective » de ses frères et sœurs « tant avec la victime qu’avec les auteurs de la violence – leurs parents – rendait particulièrement difficile, sinon impossible, un recours de leur part contre l’État ». Le fait qu’ils se soient constitués parties civiles dans le procès devant la cour d’assises par l’intermédiaire d’un administrateur ad hoc désigné à cette fin n’y change rien, car la mission de ce dernier était circonscrite alors que l’engagement d’une procédure en responsabilité de l’État – « et a fortiori l’introduction d’une requête devant la Cour » – n’aurait pas été « nécessairement vouée à protéger leur intérêt » (§ 127-128). Quant aux associations, dont l’objet « est précisément la protection de l’enfance », sans avoir été en contact avec la victime avant son décès, elles avaient démontré leur « tentative de soulever les questions auprès des autorités nationales avant de le faire devant la Cour (a contrario, 18 juin 2013, Nencheva et a. c/ Bulgarie, no 48609/06, §93) et disposaient d’un statut procédural, englobant l’ensemble des droits appartenant aux parties (a contrario, 28 juin 2016, Comité Helsinki bulgare c/ Bulgarie (déc.), nos 35653/12 et 66172/12, §59) » puisqu’elles s’étaient constituées parties civiles tout au long de la procédure pénale et avaient actionné une procédure en responsabilité civile de l’État jusque devant la Cour de cassation (§ 130-132).
Choisissant d’examiner les faits sous l’angle des articles 3 et 13 (alors qu’étaient invoqués également les articles 2 et 6 et que les juges Yudkivska et Hüseynov soulignent dans une opinion concordante commune que c’est bien d’un risque pesant sur la vie de l’enfant dont l’État aurait dû avoir conscience), la Cour considère que le signalement opéré par la directrice de l’école en juin 2008 avait déclenché l’obligation positive de l’État de procéder à une enquête. Reconnaissant la difficulté de maintenir un équilibre entre recherche d’un danger et respect de la vie familiale, elle note la « grande réactivité » du procureur et les « mesures utiles » qu’il a prises. Elle déplore en revanche de nombreux dysfonctionnements : délai de 13 jours avant qu’un agent ne soit saisi, absence d’audition des enseignantes (alors que « les enseignants peuvent jouer un rôle primordial dans le système de prévention de la violence » en étant « parfois les seules personnes de confiance de l’enfant », §167), absence de recherche d’éclaircissements sur l’environnement familial en dépit de plusieurs déménagements (mère entendue « de manière succincte, à son domicile », pas d’audition du père, seulement présent lors de l’examen médicolégal), absence de psychologue lors de l’audition de l’enfant (qui « aurait pu être appropriée […] pour écarter tout doute face aux questionnements [soulevés] »). Sans se substituer aux autorités nationales dans l’examen des faits, la Cour considère qu’elles « auraient dû s’entourer de certaines précautions lorsque la décision de classer l’affaire sans suite avait été prise ». Elle pointe ainsi du doigt l’absence d’information des services sociaux par le parquet quant à cette décision et l’absence de centralisation des informations, car attirer l’attention sur la nécessité d’une enquête sociale ou du moins d’une surveillance « aurait accru les chances d’une réaction appropriée » en les amenant sans doute à « redoubl[er] de vigilance » (§173-174). Si la Cour conclut à la violation de l’article 3, la formulation retenue souligne toutefois le caractère paradoxal du choix consistant à ne pas examiner l’affaire sous l’angle du droit à la vie : « le système a failli à protéger M. des graves abus qu’elle a subis de la part de ses parents et qui ont d’ailleurs abouti à son décès » (nous soulignons).
Quant au grief relatif à l’article 13 combiné avec l’article 3, la Cour juge qu’il n’était pas déraisonnable de limiter ici la possibilité d’engager la responsabilité civile de l’État par l’exigence d’une faute lourde, dès lors que la jurisprudence interne avait établi que celle-ci pouvait résulter de « l’addition » d’un ensemble de négligences constitutives de fautes simples ayant entraîné un « dysfonctionnement du service de la justice » (§189), et admet l’argument du Gouvernement selon lequel il s’agissait de garantir « une certaine sérénité dans l’exercice de la fonction d’enquêter et de juger » (§193). Constatant que le juge judiciaire avait pu être saisi et qu’il avait compétence pour se prononcer, elle rejette donc le grief.
Introduite par le Comité Helsinki, la seconde affaire (23 janv. 2020, L.R. c/ Macédoine du Nord, n° 38067/15) concerne les mauvais traitements infligés à un enfant sourd et muet atteint d’un handicap mental, faute des moyens nécessaires pour répondre à ses besoins. Placé pendant près de deux ans dans un établissement destiné à accueillir des personnes atteintes de handicaps physiques, il y avait été fréquemment attaché à son lit alors que les autorités avaient été informées dès l’origine que son accueil serait impossible, faute de personnel et de qualifications suffisants. Là encore, la Cour tient compte des « circonstances exceptionnelles » de l’affaire pour autoriser l’association à agir en qualité de représentant du requérant, dès lors qu’elle lui avait rendu visite dès que sa situation avait été rendue publique, qu’elle avait contacté diverses instances, saisi immédiatement le parquet et porté l’affaire jusqu’aux plus hautes autorités de poursuite. Constatant avec ces dernières que le placement de L.R. était inapproprié et que le Gouvernement n’avait pu expliquer l’incapacité des autorités à agir « de manière prompte, concrète et appropriée », elle conclut à la violation de l’article 3 dans son volet matériel en estimant que ce caractère inadéquat avait été renforcé par le fait que L.R. ait été attaché, certes pour des « raisons de sécurité » mais d’une manière d’autant plus « incompatible avec sa dignité humaine » que son handicap, l’empêchant de se plaindre, le rendait particulièrement vulnérable, et ce sans qu’aucune autre mesure que le retrait des poignées de la fenêtre de sa chambre n’ait été prise (§79-83). Menant une enquête rapide et approfondie (nombreux documents examinés, audition des personnes concernées, faits établis), les autorités avaient cependant cherché à mettre en jeu la responsabilité pénale individuelle des employés de l’établissement et non à établir des responsabilités dans la défaillance systémique dont l’enfant avait été victime. Le recours formé par l’association avait ainsi été rejeté au motif qu’aucune intention de le soumettre à des mauvais traitement n’avait été établie. Parallèlement, une enquête portant sur l’erreur de diagnostic qui avait nuit à son développement en le privant des traitements nécessaires n’avait produit aucun résultat. Eu égard à ces éléments, la Cour conclut également à la violation de l’article 3 dans son volet procédural et condamne l’État à verser 18000 € au requérant pour dommage moral.
Les enfants n’étant toutefois pas les seuls dont la vulnérabilité exige une protection particulière, c’est également le défaut de mesures adaptées qui amène la Cour à constater plusieurs violations de la Convention dans l’affaire Strazimiri c/ Albanie (21 janv., n° 34602/16). Déclaré pénalement irresponsable car présentant une pathologie mentale, le requérant se trouve en effet incarcéré depuis 2011 en hôpital pénitentiaire en dépit d’une décision judiciaire ordonnant son hospitalisation. Estimant qu’il représentait toujours un danger pour lui-même et pour les autres et que sa famille ne pourrait s’occuper de lui en cas de remise en liberté, les juridictions internes ordonnèrent à plusieurs reprises la poursuite de son traitement hospitalier, consistant surtout en la prise de psychotropes. Les autorités judiciaires et pénales rejetèrent ses recours en estimant que, tant qu’il n’existerait pas de centre spécialisé destiné à accueillir les aliénés déclarés pénalement irresponsables et soumis à une injonction de soins, leur placement dans un établissement ayant été adapté à leurs besoins ne serait pas illégal. S’appuyant sur les rapports de l’Avocat du peuple et du CPT, établissant entre 2015 et 2019 l’état de délabrement avancé de l’hôpital pénitentiaire de Tirana, et constatant que le requérant n’avait par ailleurs jamais bénéficié d’un protocole de traitement individualisé, la Cour estime qu’il se trouve dans une situation que le CPT signale depuis 2014 comme un « abandon thérapeutique » (§109), en violation de l’article 3. Examinant son maintien en détention, elle fait application de sa jurisprudence Rooman en vérifiant si un programme adapté avait été mis en place pour préparer sa réinsertion. Les autorités n’ayant jamais envisagé de mesures alternatives, tel qu’un placement en hôpital civil, elle s’appuie à nouveau sur les constatations du CPT pour conclure à la violation de l’article 5 §1 faute de protocole thérapeutique individualisé. Constatant qu’un recours formé devant la Cour suprême était pendant depuis plus de trois ans et que le droit interne ne prévoyait aucun droit à réparation dans une telle situation de détention illégale, elle conclut également à la violation de l’article 5 §4-5. Sans estimer nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14, elle condamne l’État à verser 15 000 € au requérant pour dommage moral et juge qu’il doit lui fournir « d’urgence » une thérapie individualisée et envisager son placement dans un autre établissement. Surtout, considérant avoir affaire à une carence systémique en établissements adaptés à la prise en charge des malades mentaux, elle affirme que l’Albanie doit agir aussi vite que possible pour leur assurer des conditions de vie et des soins appropriés en rénovant ou construisant des établissements spécialisés, en prévoyant des protocoles de soins individualisés combinant traitement pharmacologique et psychothérapie, en recrutant des personnels qualifiés et en envisageant des soins ambulatoires 16.
De ces trois affaires portant sur la protection d’individus vulnérables à différents titres mérite d’être rapprochée également l’affaire Buturugă c. Roumanie (11 fév., n° 56867/15) qui, sans porter sur une vulnérabilité en soi, concerne le manquement des autorités à saisir en tant que tels des faits constitutifs de violence conjugale, sous l’angle de la cyberviolence. En effet, ayant porté plainte à deux reprises contre son conjoint qui l’avait molestée et menacée de mort, la requérante a demandé après son divorce une perquisition électronique de l’ordinateur familial destinée à prouver qu’il avait consulté ses comptes personnels et procédé à des copies de conversations, documents et photos. Cette demande ayant été rejetée au motif que les éléments susceptibles d’être recueillis seraient sans rapport avec les infractions reprochées à son ex-mari, elle déposa une nouvelle plainte pour violation du secret de sa correspondance. Établissant la réalité des menaces mais estimant qu’elles ne méritaient pas la qualification d’infraction, et en l’absence de preuve directe permettant d’établir que son ex-mari était bien responsable de ses lésions, le parquet classa l’affaire en lui infligeant une simple amende administrative d’environ 250 € et rejeta comme tardive la dernière plainte déposée.
C’est donc à nouveau la capacité des autorités à saisir les atteintes subies comme un tout qui se trouve questionnée, la Cour considérant ensemble les articles 3 et 8 pour examiner la qualité des enquêtes menées suite aux plaintes déposées. Quant aux premières, elle constate que les autorités n’ont pas abordé les faits du point de vue de la violence conjugale : les décisions rendues ont été fondées sur les dispositions pénales réprimant – moins sévèrement – les violences entre particuliers ; la spécificité des faits, reconnue dans la Convention d’Istanbul, n’a pas été prise en compte ; l’enquête n’a pas permis d’identifier le responsable des lésions, faute d’avoir recueilli des éléments de preuve quant à leur origine. N’étant « pas convaincue que de telles conclusions aient l’effet dissuasif apte à enrayer un phénomène aussi grave que la violence conjugale », elle estime que les autorités auraient dû « prendre les mesures nécessaires pour éclaircir les circonstances de la cause » (§68) en auditionnant des témoins supplémentaires voire en confrontant témoins et parties. Rejetant les arguments du Gouvernement – qui soutenait que la requérante n’avait « saisi les autorités que plusieurs jours après les incidents dénoncés [le 23 décembre pour des faits commis les 17 et 22 décembre…], et que la violence physique qu’elle aurait subie a[vait] eu un caractère ponctuel » (§69) – elle constate que « même si le cadre juridique mis en place […] a offert une forme de protection à la requérante », celle-ci est intervenue après les faits violents dénoncés et n’a pas pu remédier aux carences de l’enquête (car l’ordonnance de protection demandée avait été rendue pour une période ultérieure).
Quant à la troisième plainte, la Cour juge que les autorités « ont fait preuve d’un formalisme excessif » en ne l’examinant pas alors même que le nouveau code pénal le leur permettait, se contentant d’affirmer que les données publiées sur les réseaux sociaux étaient publiques, car « un examen sur le fond [s’imposait] afin de pouvoir appréhender de manière globale le phénomène de violence conjugale dans toutes ses formes » (§75-76). Surtout, considérant que, « tant en droit interne qu’en droit international, le phénomène de la violence domestique n’est pas perçu comme étant limité aux seuls faits de violence physique mais qu’il inclut, entre autres, la violence psychologique ou le harcèlement 17», que « la cyberviolence est actuellement reconnue comme un aspect de la violence à l’encontre des femmes et des filles et peut se présenter sous diverses formes dont les violations informatiques de la vie privée, l’intrusion dans l’ordinateur de la victime et la prise, le partage et la manipulation des données et des images, y compris des données intimes » et que, « [d]ans le contexte de la violence domestique, la cybersurveillance est souvent le fait des partenaires intimes », la Cour accepte que « des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint p[uiss]ent être pris en compte lorsque les autorités nationales enquêtent sur des faits de violence domestique » (§74). Elle conclut ainsi, dans un arrêt destiné à faire date, que l’État a manqué à ses obligations positives au regard des articles 3 et 8.
C.Husson-Rochcongar
B- Protection contingente des communautés Roms au titre du droit au respect de la vie privée et familiale
On sait, depuis l’arrêt Chapman 18, que la vulnérabilité des Roms impose d’accorder une attention spéciale à leur mode de vie et à leurs besoins. Durant le premier semestre 2020, ce principe a connu deux séries d’applications.
Concernant le contentieux désormais bien balisé des évacuations de campements illicites, l’arrêt du 14 mai, Hirtu et autres c/ France (n° 24720/13) creuse pour l’essentiel le sillon de la jurisprudence Yordanova 19 et de sa première suite française 20, en reconnaissant la légitimité de principe d’une décision d’expulsion mais en en condamnant les modalités. Par rapport à ces précédents, deux points, néanmoins, retiendront l’attention, en tant que la mesure litigieuse ne visait pas en l’occurrence une « communauté installée de longue date » et ne procédait pas non plus de l’exécution d’une décision judiciaire préalable. Sur le premier point, il apparait ainsi que si l’occupation de terrains communaux depuis six mois seulement n’autorise pas les requérants à se réclamer cette fois du droit au respect du domicile, cette circonstance n’empêche nullement le contrôle européen de s’exercer au titre du droit au respect de la vie privée et familiale, ni ne modifie les exigences attachées au respect de l’article 8, notamment celle d’accorder un grand poids à l’appartenance des intéressés à un groupe socialement défavorisé pour décider de la nécessité de l’expulsion et le cas échéant, de ses délais, de ses modalités et si possible, de la proposition d’abris de secours (Hirtu, § 70 ; Yordanova, § 133). Sur le second point, il semble dès lors que, parmi les moyens institués par la loi n° 2000-614 sur l’accueil et l’habitat des gens du voyage afin de lutter contre les implantations sauvages, la procédure administrative de mise en demeure puisse soulever davantage de problèmes de conventionnalité que la procédure d’assignation devant le juge judiciaire (en cause dans l’affaire Winterstein, préc.). En l’espèce, sa pratique pêche en tous cas à deux égards : d’abord par des délais si brefs entre la décision préfectorale (29 mars), sa notification (2 avril) et l’évacuation forcée (12 avril) qu’ils n’ont laissé place à aucune mesure d’accompagnement ; du fait, ensuite, qu’aucun contrôle juridictionnel de proportionnalité n’a été opéré en temps utile 21.
Relatif au problème inédit d’une absence de raccordement de campements non-autorisés à des services collectifs de base, l’arrêt du 10 mars, Hudorovič et autres c/ Slovénie (n° 24816/14) revêt une portée plus novatrice et plus large, puisqu’il conduit la Cour à déterminer dans quelle mesure un Etat partie peut être tenu, en vertu de l’article 8, de fournir un accès à l’eau potable et au système d’assainissement. Mais à ce sujet, et quelle que soit l’attention prêtée aux cas des communautés Roms, les analyse développées attestent d’une « perméabilité » 22toute relative de la CEDH aux droits sociaux .
D’emblée, les choses sont claires : « L’accès à l’eau potable n’est pas, en tant que tel, un droit protégé par l’article 8 de la Convention » (§ 116). Certes, cela ne signifie pas que les requêtes soient irrecevables, ni que la disposition ne puisse faire naître aucune obligation positive en la matière, la jurisprudence ayant déjà admis – même si l’action des autorités publiques en avaient alors été la cause directe – que des conditions de vie très précaires 23ou des risques sanitaires dus à la pollution de sources d’eau 24relèvent du cadre de la vie privée et familiale et du domicile. Appliquant à nouveau une approche fondée sur les conséquences, telle que définie par l’arrêt Denisov 25, la Cour entend donc bien prendre en compte l’importance de l’eau pour la survie humaine. Toutefois, la protection par ricochet s’en trouve subordonnée à un seuil « minimal » de gravité, à peine moins rigoureux que celui requis par l’article 3 : ainsi, seule une « absence persistante, sur le long terme, d’un accès à l’eau potable » qui a « des effets néfastes sur la santé et la dignité humaine, portant atteinte à la substance de la vie privée et de la jouissance du domicile » peut justifier l’applicabilité de l’article 8 (§ 116).
Cette dernière question étant jointe au fond, l’existence et la portée d’une éventuelle obligation positive sont en outre rendues tributaires de trois autres paramètres (tenant à la situation spécifique des personnes concernées, au cadre juridique existant et à la situation économique et sociale dans l’Etat défendeur – ibid.), tous facteurs par nature contingents, ainsi que de deux principes concurrents : celui, d’une part, d’une large marge nationale d’appréciation, non seulement traditionnelle dans les domaines économiques et sociaux (§ 141) mais caractéristique aussi de la réalisation concrète d’un droit-créance comme un accès adéquat à l’eau et à l’assainissement (§ 144), et celui, d’autre part, d’une prise en considération de la vulnérabilité spécifique des communautés roms (§ 142), qui se heurtent en Slovénie à de plus grandes difficultés que la majorité, dans la mesure où ils sont fréquemment refoulées des zones les plus urbanisées et les plus peuplées, équipées d’un système public de distribution de l’eau (§ 143).
Sous de tels auspices, l’examen en l’espèce tourne donc en faveur du gouvernement défendeur : à supposer même que l’article 8 soit applicable (ce qui reste en suspens, faute pour les requérants d’être parvenus à démontrer que les carences reprochées à l’Etat aient eu des conséquences sur leur santé ou leur dignité de la gravité requise), ses exigences sont effet jugées satisfaites par les mesures prises pour leur assurer un accès minimal à l’eau potable 26, sinon au service d’assainissement, d’autant qu’une part non négligeable de la population slovène n’est pas davantage desservie et que rien n’empêchait les intéressés d’utiliser les prestations sociales dont ils bénéficient pour améliorer leurs conditions de vie (§§ 158-159). A cette aune, la jurisprudence européenne sur la vulnérabilité propre à certains groupes ne peut du moins pas se voir reprocher de verser dans un paternalisme qui ferait peser un fardeau inéquitable sur les collectivités étatiques 27…
C. Boiteux-Picheral
IV – Le contrôle des entrées sur le territoire, domaine principal de perdition de la protection européenne des étrangers ?
Malgré l’impact de la crise sanitaire sur les activités de la Cour, l’actualité du contentieux des étrangers (et plus accessoirement de la nationalité) s’avère fournie sur ce premier semestre 2020. Bien qu’elles ne fassent pas véritablement évoluer le contrôle européen, deux affaires peuvent ainsi être signalées :
Statuant sur le fondement de l’article 8 et confirmant les standards minimaux issus de l’arrêt Ramadan c/ Malte 28, l’arrêt Ghoumid et autres c/ France du 25 juin (n°52273/16[/foot] légitime une décision de déchéance de la nationalité française, qui avait été prise en 2015 à l’encontre de cinq binationaux – sur la base de l’article 25 du code civil – en considération de leur condamnation pénale en 2007 pour participation à une cellule terroriste de 1995 à 2004. Sachant que le respect de la vie privée au sens de la Convention exige diligence et promptitude des autorités, là où la déchéance peut – en droit français 29 – être prononcée jusqu’à dix ans suivant la perpétration des faits, voire quinze pour les actes terroristes, il est significatif que le juge européen passe néanmoins sur les délais écoulés en l’espèce, pour ce motif que, dans un contexte de recrudescence des attentats terroristes tel qu’en a connu la France en 2015, l’évaluation du lien de loyauté et de solidarité existant l’Etat et les personnes condamnées peut être reprise avec une fermeté renforcée (§ 45).
Nouvelle illustration d’une protection absolue contre l’éloignement à raison de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, l’arrêt du 20 février, M.A. et a. c/ Bulgarie (n° 5115/18) a pour principal intérêt de prendre acte des risques qu’encourent en Chine les musulmans Ouïghours et d’opposer pour la première fois l’article 3 de la Convention à l’exécution d’une mesure d’expulsion décidée par les autorités bulgares à l’encontre de deux membres de cette minorité suspectés de terrorisme par le régime de Pékin. Alors que diverses voix dénonçaient un « silence coupable » autour de la répression dont les Ouïghours sont victimes dans la région du Xinjiang 30, cette conclusion de violation potentielle, fondée à la fois sur la situation générale du groupe et sur des circonstances individuelles, rappelle donc les Etats européens à leurs propres responsabilités.
En prolongement de la rubrique précédente, sur la protection des sujets vulnérables, il faut également relever, s’agissant de mineurs isolés étrangers, la condamnation particulièrement lourde des méthodes expéditives pratiquées à Mayotte pour lutter contre l’immigration irrégulière, même si l’apport interprétatif se révèle plus modulé (A). Cependant, c’est précisément dans le domaine du contrôle des entrées – qu’il s’agisse de franchissement des frontières ou du refus de visas humanitaires – que sont intervenues les appréciations les plus marquantes, sur le terrain de l’article 4 du Protocole 4 (B) et sur celui du champ assigné à la juridiction des Etats au sens de l’article 1 de la Convention (C).
A- La vulnérabilité des mineurs isolés, facteur de dynamisme interprétatif à éclipses dans le contexte de la gestion des flux migratoires
Se concluant par des constats – presque systématiquement unanimes – de violation de la Convention sous cinq chefs différents (articles 3, 5§1 et §4, 8, 13 et 4 du Protocole n° 4), l’arrêt du 25 juin, Moustahi c/ France (n° 9347/14) se distingue néanmoins par des apports interprétatifs contrastés.
Étaient en cause, en l’occurrence, le placement en rétention et le renvoi expéditif – malgré l’introduction d’un référé-liberté – de deux très jeunes comoriens, âgés de trois et cinq ans, appréhendés en mer, lors de leur entrée illégale à Mayotte où ils cherchaient à rejoindre leur père. Tout en rappelant combien les enjeux et les dérives de la lutte contre l’immigration irrégulière revêtent une acuité particulière dans ces îles, ces circonstances situent donc l’affaire à la confluence de deux lignes jurisprudentielles, celle – d’une part – de l’arrêt Mubilanzila Mayeka 31, concernant la rétention des mineurs non-accompagnés, et – celle d’autre part – de l’arrêt De Souza Ribeiro 32, concernant l’effectivité des recours internes contre l’éloignement dans certaines collectivités françaises d’Outre-Mer soumises à un régime dérogatoire 33. L’une, toutefois, ne fait pas fructifier l’autre et si les motifs retenus au titre de l’article 3 en renforcent l’effectivité, ceux relatifs à l’article 13 évoquent, plus encore qu’une simple stagnation, une certaine déperdition.
Sur le terrain de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, l’arrêt Moustahi a le mérite en effet de faire pièce aux manœuvres destinées à faire passer un mineur pour « accompagné ». Tout rattachement administratif à un migrant adulte qui n’a aucun lien avec l’enfant, en vue de permettre un placement en rétention, puis un renvoi forcé rapide, est ainsi fermement dénoncé : non seulement une telle pratique – fréquente à Mayotte – ne saurait empêcher de considérer que les mineurs sont isolés, mais elle est également taxée d’arbitraire (§ 65). En soi, ce dernier constat n’est certes pas érigé en source autonome de violation (ibid.) : si, comme le Conseil d’Etat, la Cour estime « qu’il appartient aux autorités nationales de déterminer, dans toute la mesure du possible, la nature des liens qui unissent les enfants à l’adulte auquel elles entendent les rattacher », eu égard à l’importance d’une telle décision pour leur intérêt dans le contexte de la gestion des flux migratoires (§ 61), ce devoir ne paraît donc pas constituer par lui-même une obligation positive procédurale imposée par l’article 3, telle que – par exemple – l’obligation consacrée par l’arrêt Mubilanzila Mayeka (préc., §§ 66-69) d’entourer le retour dans le pays de provenance de garanties que les mineurs seront dûment pris en charge pendant le voyage et à leur arrivée 34. En revanche, la nature arbitraire du rattachement (tout en constituant par ailleurs un facteur de violation de l’article 5§1) est un élément qui interfère nettement sur la caractérisation d’un traitement contraire à l’article 3 à raison des conditions de rétention et de renvoi des enfants. La portée de la norme conventionnelle s’en trouve ainsi consolidée.
Pour autant, cette consolidation ne profite nullement à l’interprétation du droit à un recours effectif, dont l’arrêt De Souza Ribeiro (préc., §§ 82-83) avait déjà dit qu’il n’impose pas d’assortir les recours internes d’un effet de plein droit suspensif à l’égard de l’exécution d’une mesure d’éloignement, lorsqu’est allégué un risque de violation du droit au respect de la vie privée et familiale et non un risque pour la vie ou un risque de traitements inhumains et dégradants. Car, l’arrêt Moustahi restreint encore cette exigence, en y soustrayant également les cas dans lesquels les griefs tirés de l’article 3 ne portent pas sur le choix du pays de destination, mais sur les modalités concrètes du renvoi (à savoir, en l’occurrence, l’absence d’accompagnement des enfants, le défaut d’organisation de leur arrivée et leur heure tardive de débarquement). Dans la mesure où ces modalités « ne sont le plus souvent pas susceptibles d’être en soi constitutives d’une violation de l’article 3 de la Convention » (§§ 153-154), un contrôle a posteriori est réputé pouvoir suffire. Comme dans l’arrêt De Souza Ribeiro, la Cour s’en tient donc à des motifs de violation de l’article 13, combiné à l’article 8, d’ordre exclusivement pratique (à savoir le caractère excessivement hâtif de l’exécution donnée à la mesure d’éloignement), épargnant le régime d’exception qui s’appliquait à Mayotte 35. Sachant que tout autant que dans l’arrêt Mubilanzila Mayeka le renvoi des enfants, sans précautions particulières, est précisément qualifié en l’espèce de traitement inhumain directement imputable à un Etat partie (§ 69), la vulnérabilité de quelques-uns apparaît clairement sacrifiée sur l’autel du réalisme administratif. Et bien que des pratiques incompatibles avec la Convention soient ici, lourdement et à juste titre, condamnées, il n’est pas anodin qu’à titre préliminaire, la Cour ait entendu réitérer « le droit des États d’établir souverainement leur politique en matière d’immigration » (§ 29).
B- La victoire de la lutte contre l’immigration irrégulière sur l’interdiction des expulsions collectives dans le cadre du contrôle des entrées par voie terrestre
Que dire de l’arrêt rendu sur renvoi par la Grande chambre, le 13 février 2020, dans l’affaire N.D et N.T. c/ Espagne (n° 8675/15 et 8697/15), sinon que malgré des auspices prometteurs, il déçoit, en faisant refluer la portée de l’interdiction des expulsions collectives face aux enjeux de la lutte contre l’immigration irrégulière ? Concernant le refoulement indiscriminé et immédiat d’un groupe de migrants subsahariens (parmi lesquels les deux requérants), montés à l’assaut de la clôture frontalière de Mellila en dehors des points de passage autorisés, la cause avait été l’occasion pour la chambre de faire prévaloir une application extensive de l’article 4 du Protocole 4, dont avait quasi-mécaniquement découlé un constat unanime de violation 36. Paradoxalement, la Grande chambre aboutit – de manière tout aussi unanime – à une conclusion strictement inverse, en confirmant pourtant l’applicabilité de l’interdiction des expulsions collectives à des mesures de renvoi forcé aux frontières terrestres (qui semblait constituer l’enjeu principal de l’affaire). Car autant l’autonomie de la notion conventionnelle d’ « expulsion » est préservée, et la distinction entre non-admission et éloignement fermement réfutée, autant l’exigence d’un examen objectif et raisonnable des situations individuelles – dont la méconnaissance détermine la nature « collective » de la mesure – est à nouveau battue en brèche. Précédemment, l’arrêt Khlaifia et autres c/ Italie 37 l’avait déjà infléchie, en établissant que l’article 4 du Protocole 4 ne garantit pas le droit à un entretien individuel, en l’absence notamment de facteurs personnels de vulnérabilité ou de motifs de craindre des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas d’expulsion. L’arrêt N.D et N.T va plus loin encore, en admettant in fine qu’en présence de tentatives de franchissement irrégulier des frontières terrestres, jouant de l’effet de masse et de la force, un refoulement pratiqué sans s’encombrer d’une procédure préalable d’identification ne contrevient pas à la norme européenne, et ne s’analyse donc pas en une expulsion collective, à condition que, d’une part, l’Etat concerné offre par ailleurs un accès réel et effectif à des possibilités d’entrée régulières, en particulier à des procédures à la frontière, permettant à toute personne fuyant un risque de persécution de déposer une demande de protection et que, d’autre part, sans raison impérieuse reposant sur des faits objectifs imputables à cet Etat, les intéressés ont manqué d’y recourir (§ 201).
Or du point de vue du droit comme des faits, une telle interprétation ne laisse pas d’être critiquable et quoiqu’elle soumette la liberté des Etats à une double limite, déplace clairement le curseur en leur faveur.
Au regard des faits, en premier lieu, les analyses de la Grande chambre se signalent par une application passablement abstraite, sinon complaisante, des critères de contrôle (le plus significatif à cet égard, au-delà du poids accordé aux statistiques gouvernementales quant à l’effectivité des possibilités d’entrée régulière, étant le doute jeté sur les informations contenues dans plusieurs rapports, en particulier du HCR et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, faisant état des difficultés, voire de l’impossibilité, pour les migrants subsahariens d’approcher des postes-frontières ibériques du côté marocain et l’argument juridique imparable selon lequel l’Espagne ne saurait, en tout état de cause, être tenue pour responsable de ces agissements – voy. § 218 et § 221).
Sur le plan du droit, en second lieu, on voudrait d’abord relever la tendance insidieuse de la jurisprudence européenne à indexer la portée de la protection offerte par l’interdiction des expulsions collectives sur l’existence d’allégations défendables au titre de l’article 3 CEDH 38: si l’applicabilité de l’article 4 Protocole 4 ne dépend pas de cette considération (cf. §§ 185- 186), la garantie d’un examen objectif et raisonnable des situations individuelles, en revanche, se voit expressément assigner pour fin « de préserver la possibilité, pour chacun des étrangers en cause, d’invoquer des risques de traitements incompatibles avec la Convention et notamment son article 3 » (§ 198 ; voy. également § 199, § 201, § 210, § 230…). Cependant, la situation des réfugiés potentiels n’en est pas tellement mieux assurée, car il faut ensuite pointer la survalorisation – et la dénaturation subreptice – du critère pris du comportement personnel des requérants, dans le contexte du franchissement des frontières terrestres. La distinction avec les tentatives d’accès par voie maritime, écartée sur le terrain de l’applicabilité (§ 187), resurgit ainsi dans la détermination des exigences de l’article 4 du Protocole 4. Dans la jurisprudence antérieure, en effet, un comportement personnel n’avait jamais dédouané l’Etat que lorsque les requérants avaient eux-mêmes fait procéduralement ou matériellement obstruction à une identification individuelle qui, soit aurait été autrement praticable, soit était tentée 39. En l’occurrence, la Cour fait plutôt sienne l’idée qu’à la différence de migrants interceptés en haute mer, les requérants disposaient de diverses voies légales propres à permettre un examen des motifs individuels militant contre un renvoi et qu’en s’abstenant de les utiliser, ils se sont volontairement exposés à toute absence d’identification personnelle (§ 231). Ce n’est donc pas seulement qu’à tenter un passage de force, en groupe, les intéressés sont assimilés à des fauteurs de troubles : tout franchissement irrégulier désigne chacun d’eux comme étant a priori suspect, y compris les demandeurs d’asile (§ 210).
Perdant en autonomie et en substance, l’article 4 du Protocole 4 paraît ainsi victime à son tour – après l’article 5 40 – de la sécurisation des frontières terrestres (en particulier des frontières extérieures de l’Espace Schengen), alors que parallèlement, la Cour refuse de s’ingérer dans la problématique des refus de visas, fussent-ils humanitaires (cf infra, C).
C- L’inapplicabilité de la Convention européenne des droits de l’homme au refus de visas humanitaires
S’il était besoin de démontrer que, malgré sa spécificité, la CEDH reste un traité de droit international, s’interprétant à la lumière du droit international, la décision d’irrecevabilité M.N. et autres c/ Belgique, du 5 mai 2020 (n° 3599/18) suffirait à s’en convaincre. Car c’est en commençant et en terminant par des principes bien établis en droit international qu’au détriment de la protection des droits de l’homme, la Grande chambre consacre l’inapplicabilité de la Convention à la situation de ressortissants syriens se plaignant que le rejet de leur demande de visa, déposée auprès de l’ambassade belge à Beyrouth en vue d’introduire une demande d’asile en Belgique, les expose à des traitements contraires à l’article 3 CEDH, sans que les recours devant les tribunaux internes aient permis d’y remédier (en violation de l’article 13).
Pour exclure que l’Etat défendeur ait exercé une quelconque « juridiction » sur ces ressortissants de pays tiers, la motivation part, en effet, de la portée principalement territoriale de la notion en droit international (§§ 98-100), dont il découle – dans la ligne de la jurisprudence Banković 41 – que seules des « circonstances exceptionnelles » peuvent justifier son extension à des situations extraterritoriales. Toute juridiction de nature territoriale étant logiquement, quoiqu’abruptement, écartée en l’espèce (§ 112), la récusation se fait plus fournie sur l’existence d’un facteur extraterritorial de responsabilité. Beaucoup (à commencer par le gouvernement belge et les onze gouvernements intervenus à son soutien) seront alors soulagés de constater que, malgré sa légendaire audace, la Cour se refuse à assimiler l’exercice d’une prérogative de puissance publique par un Etat contractant, concernant l’entrée et le séjour d’étrangers vivant en dehors du territoire national sans y avoir jamais résidé, ni y avoir aucune attache familiale, à une forme d’autorité et de contrôle effectif sur les intéressés de nature à les attirer sous la juridiction dudit Etat. Les exceptions au principe de la territorialité demeurent ainsi associées à des modes plus « coercitifs » et, de fait, moins ordinaires de pouvoir, tels qu’énumérés dans l’arrêt Al-Skeini 42 et rappelés ici (§ 102-105 : occupation militaire d’un territoire, compétences de police et de sécurité dans un autre Etat, recours à la force par des agents opérant en dehors des frontières…). Dans le même mouvement, la jurisprudence voulant que la responsabilité d’un Etat partie soit engagée par les actes et omissions de ses représentants diplomatiques et consulaires à l’étranger qui affectent des personnes relevant de leur autorité 43, voit sa portée circonscrite aux seuls cas dans lesquels les personnes concernées ont-elles-mêmes la nationalité de cet Etat, ou se trouvent, sinon, sous le pouvoir et le contrôle physique de ces mêmes agents (§ 106 et § 118). Mais par-dessus tout, la Grande chambre martèle, suivant une précédente décision d’irrecevabilité 44, que la simple introduction d’une procédure administrative ou judiciaire dans un Etat partie ne saurait suffire à établir sa juridiction extraterritoriale à l’égard d’un particulier dénué de tout autre lien avec lui, sous peine de « consacrer une application quasi-universelle de la Convention sur la base du choix unilatéral de tout individu, où qu’il se trouve dans le monde, et donc [de] créer une obligation illimitée pour les États parties d’autoriser l’entrée sur leur territoire de toute personne qui risquerait de subir un traitement contraire à la Convention en dehors de leur juridiction » (§ 123). Or, si une telle perspective apparaît particulièrement inconcevable, c’est parce qu’elle est opposée aussi, pour terminer, au « principe bien établi en droit international et reconnu par la Cour selon lequel les États parties ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux » (§ 124).
Renvoyant au droit du souverain de décider qui il autorise à entrer et à demeurer sur son territoire, l’argument est révélateur d’une déférence accentuée envers les compétences étatiques dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme. Comme la Grande chambre tient à le noter, il fait également écho à la position de la Cour de justice de l’Union européenne 45 qui, dans une affaire similaire, a sèchement tranché la question de savoir si un risque avéré de violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants 46 et / ou du droit d’asile 47 imposait aux Etats membres de délivrer un visa à validité territoriale limitée sur la base de l’article 25 du Code communautaire des visas 48, par ce constat qu’en l’état actuel du droit de l’Union, une demande de visa humanitaire introduite dans l’intention de solliciter une protection internationale dès l’arrivée dans l’Etat membre concerné « et, par suite, de séjourner dans ledit État membre plus de 90 jours sur une période de 180 jours » relève du seul droit national – ce qui entraîne l’inapplicabilité de jure de la Charte des droits fondamentaux (CDFUE). La neutralisation de la CEDH, après celle de la CDFUE, montre ainsi que le dialogue des juges est loin d’être toujours source d’une fructueuse émulation.
Car toute orthodoxe et bienvenue qu’elle puisse sembler au regard des règles internationales d’interprétation des traités, la décision M.N. et autres c/ Belgique n’aboutit pas moins – en coupant court à toute intrusion de l’article 3 CEDH dans le contentieux des refus de visas – à des résultats passablement paradoxaux. S’agissant en effet d’une famille syrienne exposée aux combats qui faisaient rage à Alep, les requérants auraient certainement pu se prévaloir de la protection de la Convention, voire en profiter vu le degré de violence généralisée régnant dans la région 49, si, plutôt que de tenter d’obtenir un visa des autorités belges, ils avaient fui leur pays en empruntant les canaux de l’immigration irrégulière et présenté leur demande à la frontière… Dans ces conditions, il ne faudra pas s’étonner que le trafic de migrants continue de prospérer sur la route des Balkans ou en Méditerranée !
C. Boiteux-Picheral
V – Indépendance et impartialité en matière footballistique : FIFA 1 – Fédération turque 0
Deux affaires récentes portent sur le fonctionnement des instances footballistiques nationales et internationales. La première (5 mars 2020, Déc., Platini c/ Suisse, n° 526/18) concerne le président de l’UEFA et vice-président de la FIFA, condamné à une interdiction d’exercice de toute activité en lien avec le football et à une forte amende par la Chambre de jugement de la Commission d’éthique de la FIFA pour avoir perçu un « complément de salaire » de 2 millions CHF dans le cadre d’un contrat oral passé avec l’ancien président de la FIFA pour des activités de conseil. La Cour juge que cette sanction (réduite par la Commission de recours de la FIFA puis le Tribunal arbitral du sport (TAS) mais confirmée par le Tribunal fédéral) n’était pas pénale puisqu’elle ne pouvait être prononcée qu’à l’encontre d’un « petit groupe d’individus dotés d’un statut particulier » (art. 7 irrecevable). Elle reconnaît que des « répercussions négatives » ont affecté la vie privée du requérant avec une certaine gravité (puisqu’il s’est vu privé de « son unique source de revenus », empêché de « développer des relations sociales », sa réputation ayant pâti d’une « certaine stigmatisation ») mais juge cependant mal-fondé le grief tiré de l’article 8. En effet, ayant librement renoncé à certaines voies de droit ordinaires, M. Platini a bénéficié de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes pour exercer un recours devant le TAS (qui a estimé que « la gravité particulière des faits, [s]a position élevée […] et la nécessité de rétablir la réputation du football et de la FIFA justifiaient la sanction ») puis devant le Tribunal fédéral. Les griefs fondés sur l’article 6 §1 n’ayant pas fait l’objet d’un recours interne, la Cour manque ici l’occasion de se prononcer sur l’illégalité du dossier présenté par le TAS et, surtout, sur l’indépendance des organes juridictionnels de la FIFA, le non-respect des droits de la défense et l’iniquité de la procédure, pourtant au cœur de l’affaire.
Elle peut s’y pencher en revanche dans la seconde (28 janv. 2020, Ali Riza et a. c/ Turquie n° 30226/10 et a.), qui concerne un footballeur professionnel condamné à une amende pour rupture illégale de contrat pour avoir quitté son club au motif qu’il lui devait des arriérés de salaire et des primes de match et un arbitre assistant de haut niveau rétrogradé comme « arbitre de province ». Elle y constate l’influence excessive du conseil d’administration de la fédération turque de football, formé essentiellement de membres ou de cadres de clubs, sur « l’organisation et le fonctionnement de [s]a commission d’arbitrage » (dont il désigne les membres) et juge que l’absence, dans son règlement, de garanties propres à protéger ces membres contre les pressions crée un doute légitime quant à son indépendance et son impartialité, en violation de l’article 6 §1, en matière contractuelle (premier requérant) comme réglementaire (second requérant). Presque tous juristes ou universitaires spécialisés en droit du sport, les membres de la commission, dont le mandat n’a pas de durée fixe, ne sont liés par aucune règle déontologique ni serment. Ils n’ont ni l’obligation de déclarer une situation susceptible de compromettre leur indépendance ou leur impartialité (aucune réclamation n’est d’ailleurs possible en ce sens), ni une quelconque protection contre des poursuites civiles, en dépit de la compétence exclusive et obligatoire de la commission sur les litiges et du caractère définitif de ses décisions, insusceptibles de contrôle juridictionnel. Enjoignant la Turquie à réformer ce mode de règlement des litiges qui pose un « problème systémique », cette décision n’en demeure pas moins paradoxale si l’on considère qu’elle rejette en revanche comme irrecevable la plainte déposée par trois footballeurs amateurs, interdits d’activité liée au football pendant un an pour avoir truqué un match de fin de saison, au motif que cette sanction disciplinaire n’avait entraîné aucun dommage matériel, puisqu’ils n’étaient ni professionnels, ni rémunérés… À l’autre extrémité du spectre footballistique, les amateurs se voient donc – le temps d’un arrêt – dans la même situation qu’une icône… déchue.
C. Husson-Rochcongar
VI – Les contours incertains du discours de haine
A- L’arrêt Baldassi sur l’appel au boycott ou l’art du distinguishing
Confrontée en en 2009, dans l’affaire Willem c/ France (16 juill., n° 10883/05), à la question de la conventionnalité de la répression pénale de l’appel par un élu local au boycott des produits israéliens, la juridiction européenne des droits de l’homme avait conclu à la non-violation de l’article 10, en jugeant qu’il s’agissait là d’un acte discriminatoire. Beaucoup y avaient alors vu une « attristante atteinte portée (…) à l’exercice de la liberté d’expression. Est-il désormais, plus généralement interdit à toute personne résidant en France (ou dans un pays européen disposant d’une législation comparable) de lancer un appel au boycott contre les produits en provenance de pays méconnaissant les libertés (Libye, Iran, Ouzbékistan, Chine, Zimbabwe…) ? » 50. En 2020, saisi de la condamnation pénale des militants qui ont participé à la campagne BDS de boycott des produits importés d’Israël (11 juin, Baldassi et autres c/ France, n° 15271/16 et 6 autres), le juge européen retient une solution inverse. Pour conclure à la violation de l’article 10, la Cour différencie justement les deux affaires. En effet, apparaît significatif, et pour tout dire décisif, le recours à la technique du distinguishing afin de ne pas suivre la solution rendue dans l’affaire Willem. En l’espèce, les requérants, qui font partie du « Collectif Palestine 68 » relayant la campagne internationale « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » (« BDS »), organisèrent en 2009 et 2010 des manifestations au sein d’hypermarchés alsaciens où étaient exposés des produits origine israélienne afin qu’ils soient boycottés et où était diffusée une pétition. Ces manifestations ont été diffusées sur internet. A la suite de ces événements, le procureur de la République de Colmar cita les requérants à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mulhouse au titre de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (provocation à la discrimination). Relaxés en première instance, les requérants furent condamnés par la Cour d’appel de Colmar, condamnation confirmée par la Cour de cassation. Répondant à l’une des demandes des associations agissant en tiers intervenantes, le juge européen affirme d’emblée que « l’appel au boycott, qui vise à communiquer ces opinions tout en appelant à des actions spécifiques qui leurs sont liées, relève donc en principe de la protection de l’article 10 de la Convention » (§ 60). Cette affirmation est lourde de sens en ce qu’elle suggère « une présomption de protection conventionnelle renforcée » 51de l’appel au boycott sauf lorsqu’il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d’autrui. Tout le contrôle de nécessité de l’ingérence repose sur une différence entre les faits de l’affaire Willem et les circonstances de l’espèce. Primo, les requérants sont de simples citoyens « qui ne sont pas astreints aux devoirs et responsabilités rattachés au mandat de maire, et dont l’influence sur les consommateurs n’est pas comparable à celle d’un maire sur les services de sa commune » (§ 66). Secundo, les manifestations en cause ont lieu dans des supermarchés afin de provoquer un débat parmi les consommateurs, alors que dans l’affaire Willem l’appel au boycott a été annoncé lors d’une séance du conseil municipal sans aucun débat ni vote et en impliquant l’ensemble des services municipaux. Qui plus est, aucun propos raciste ou antisémite n’a été tenu lors de ces manifestations. Le distinguo avec l’affaire Willem peut cependant interroger, dans la mesure où il en résulte une liberté d’expression plus étendue pour les particuliers que pour les élus ! On peine à comprendre le devoir de neutralité ainsi imposé aux élus. Pour le reste, la démarche suivie est des plus classiques : la Cour procède à une analyse in concreto des faits de l’espèce. C’est sur ce point, qu’elle marque sa désapprobation avec la Cour d’appel qui a « conclu de manière générale que l’appel au boycott constituait une provocation à la discrimination » (§ 76) sans analysé les actes et propos litigieux. Là où celle-ci assimile mécaniquement l’appel au boycott à la discrimination, celle-là estime au contraire que le contrôle doit s’opérer à la lumière de l’ensemble de l’affaire, en prenant en considération la teneur de cet appel, ses motifs et les circonstances dans lequel il s’inscrit. L’autre désaccord, avec le gouvernement, celui-ci, porte sur la qualification de l’appel au boycott tel qu’il a eu lieu en l’espèce. La qualification de l’appel au boycott comme étant politique 52va de pair avec l’application de principes très protecteurs laissant peu de place aux restrictions. Lorsqu’il est entrepris dans une démarche pacifique, sans propos racistes ou antisémites, l’appel au boycott bénéficie bien d’une protection conventionnelle renforcée. Le constat de violation de l’article 10 est sans appel. L’arrêt est définitif faute de saisine de la grande chambre dans le délai de 3 mois. Les juridictions françaises auraient été mieux inspirées de reprendre la conclusion de la Cour d’appel de Paris qui, jugeant la pénalisation de l’appel au boycott inconventionnelle, avait affirmé en 2012 qu’il s’agit d’une « critique pacifique de la politique d’un État relevant du libre jeu du débat politique, qui se trouve, aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, au cœur même de la notion de société démocratique » 53. En termes de rapports de système, il est à regretter que la Cour européenne n’ait pas pris la peine de citer l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne Organisation juive européenne, Vignobles Psagot ltd c/ Ministre de l’Économie et des Finances (aff. C-363/18), dans lequel la Cour de justice de l’Union européenne s’est appuyée sur le droit international humanitaire pour imposer que les denrées alimentaires provenant de colonies israéliennes à l’intérieur des territoires occupés portent la mention de cette origine. L’information des consommateurs, le droit d’être informés sur l’origine des produits pour faire leur choix sont également des éléments qui vont dans le sens de la solution de la Cour européenne. La Cour de Luxembourg a eu raison de souligner que « les consommateurs sont susceptibles de prendre leurs décisions d’achat en tenant compte de considérations liées au fait que les denrées alimentaires en cause au principal proviennent de colonies de peuplement établies en violation des règles du droit international humanitaire » (pt 55)
B- Utilisation erratique de l’article 17
Nous avions déjà dans le cadre de cette chronique dénoncé à propos de l’utilisation de l’article 17 une construction jurisprudentielle par a-coups au gré des considérations factuelles propres à chaque espèce, sans logique générale permettant d’identifier des critères précis de maniement de la clause d’interdiction d’abus de droit. La jurisprudence actuelle n’a toujours pas permis de mettre au jour une grille d’analyse claire, un vademecum dans l’utilisation de l’article 17. Son utilisation demeure erratique. Déjà en 2019, la Cour européenne avait refusé sans vraiment s’en expliquer de faire un usage direct de l’article 17 de la Convention dans une affaire concernant des propos négationnistes tenus par un député régional allemand. En 2020, alors que sont en cause des propos radicaux à l’égard de la population non russe (11 févr., Atamanchuk c. Russie, n° 4493/11) et des discours de haine homophobe tenus en public, elle refuse d’appliquer l’article 17 (11 juin, Dec. Carl Jóhann Lilliendahl c. Islande, n° 29297/18). Dans la première affaire, ayant déjà conclu à la non-violation de l’article 10, elle estime inutile d’examiner la question de l’applicabilité de l’article 17. Dans la seconde, elle considère qu’un discours homophobe ne visait pas à la destruction des droits garantis par la Convention. L’emploi de termes péjoratifs et blessants à l’égard des homosexuels sans appel à la violence constitue la forme la moins grave des discours de haine et ne tombe pas en l’espèce sous le coup de l’article 17.
Mais à dire vrai, la hiérarchisation des discours de haine par la Cour pose ici un problème de cohérence. Comment expliquer qu’en 2012, dans une affaire où était en cause des affiches homophobes retrouvés chez le requérant lors d’une perquisition (23 oct. 2012, Molnar c/ Roumanie, n° 16637/06), la Cour ait examiné la nécessité de l’ingérence à la lumière de l’article 17 ? La décision soulignait alors que « par leur contenu, ces messages visaient à instiguer à la haine contre ces minorités, étaient de nature à troubler gravement l’ordre public et allaient à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention et d’une société démocratique. Portant atteinte aux droits d’autrui, de tels actes sont incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme de sorte qu’en vertu des dispositions de l’article 17 de la Convention, le requérant ne puisse pas se prévaloir des dispositions de l’article 10 de la Convention », tout en concluant au rejet de la requête pour défaut manifeste de fondement de la requête. Dans l’arrêt Vejdeland et a. c/ Suède (9 févr. 2012, n°1813/07), en revanche, s’agissant de tracts distribués dans les écoles assimilant l’homosexualité à une déviance sexuelle, la Cour ne s’était pas référée à l’article 17. Si l’on comprend bien que l’arme de l’article 17 ne doit s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles et extrêmes, il n’en demeure pas moins que son maniement doit obéir à des critères clairs. Or, sur le front de la cohérence, la jurisprudence européenne déçoit. En ce qu’elle vise à hiérarchiser les discours de haine et à considérer que tous ne tombent sous le coup de l’article 17, la position de la Cour européenne mérite d’être approuvée. Elle pèche cependant par manque de cohérence : traiter différemment des propos comparables donne l’impression que la jurisprudence de la Cour navigue à vue. « Là où les juges peuvent voir une souplesse, gage d’adaptation, l’observateur extérieur discerne à l’inverse une variété analytique gage d’incohérence et sans doute, au final, d’insécurité juridique » 54. En l’espèce, l’observateur constate avec perplexité que confronté à des propos homophobes, le juge européen peut utiliser l’article 17 comme principe d’interprétation, ne pas se référer à l’article 17, ou considérer que les propos ne sont pas suffisamment graves pour subir la sanction de la déchéance.
Au-delà de cet aspect, il faut savoir gré à la Cour d’avoir considéré sans ambiguïté que les discours homophobes constituent des discours de haine, alors même que plusieurs éléments auraient pu plaider en l’espèce pour une toute autre conclusion 55. Ainsi, approuve-t-elle « la conclusion de la Cour suprême selon laquelle les propos du requérant étaient « graves, gravement blessants et préjudiciables. Dans ce contexte, la Cour rappelle que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est aussi grave que la discrimination fondée sur «la race, l’origine ou la couleur » (…). En outre, les deux organes statutaires du Conseil de l’Europe ont appelé à la protection des minorités de genre et sexuelles contre les discours haineux et discriminatoires (…), invoquant la marginalisation et la victimisation auxquelles elles ont été et continuent d’être soumises ». Plus encore, dans une autre affaire, elle n’hésite pas conclure à une violation de l’article 14 combiné à l’article 8 pour sanctionner un manquement de l’Etat à son obligation de protéger les individus contre les discours de haine homophobes (14 janv., Beizaras et Levickas c/ Lituanie, n° 41288/15).
M. Afroukh
Notes:
- voir notamment F. Sudre, « La mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme », Le Blog du Club des Juristes, 20 avril 2020 ; S. Touzé, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation », Le Blog du Club des Juristes, 22 avril 2020, ; J-.P. Costa, « L’article 15 de la CEDH« , Le Blog du Club des Juristes, 27 avril 2020 ; F. Sudre, « La CEDH face au Covid-19 : dépasser les apparences », Le Blog du Club des Juristes, 27 avril 2020 ; G. Gonzalez, « L’article 15 de la Convention européenne à l’épreuve du Covid 19 ou l’ombre d’un doute », RDLF, 2020, chron. 43 ; S. Van Drooghenbroeck, « Les dérogations à la CEDH : la question de l’article 15 », https://dres.misha.cnrs.fr/IMG/pdf/art15_van_drooghenbroeck-1.pdf ; A. Lebret, « COVID-19 pandemic and derogation to human rights », Journal of Law and the Biosciences, Volume 7, Issue 1, January-June 2020 ; K. Dzehtsiarou, « COVID-19 and the European Convention on Human Rights », https://strasbourgobservers.com ↩
- 3 avr. 2020, n° 439894 et 439877, 439887, 439890, 439898 ↩
- 30 janv. 2020, n° 9671/15, note J. Portier, RFDA 2020 p.496 ↩
- Pour une critique de l’extension des pouvoirs du juge du référé-liberté par des membres du Conseil d’Etat, v. C. Malverti et C. Beaufils, « Le référé en liberté », AJDA 2020 p.1154 ↩
- Le Conseil d’Etat a tiré les conséquences de cette décision : CE, 12 mai, n° 422327, 431026 : la haute juridiction administrative autorise un chercheur à consulter les archives du président Mitterrand sur le Rwanda, en prenant en compte les exigences attachées à l’article 10 CEDH telles qu’interprétées par la Cour ↩
- L. Burgorgue-Larsen, Les 3 Cours régionales des droits de l’homme in context, Pedone, 2020, p. 127 ↩
- v. le très bel ouvrage de J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Les droits de l’homme rendent-ils idiots ?, Seuil, coll. « La République des idées, 2019 ↩
- J.-P. Costa, Préface in M. Afroukh, J.-P. Marguénaud (dir.), Le Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, Pedone, 2020, p. 10 ↩
- conflit également entre l’assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, v. https://www.coe.int/fr/web/portal/-/secretary-general-the-constitutional-crisis-in-armenia-can-be-solved-with-the-venice-commission-s-guidance- ↩
- Cité par T. Larrouturou, in M. Afroukh, J.-P. Marguénaud (dir.), Le Protcole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, Pedone, 2020, p. 108 ↩
- Voir les références citées par M. Afroukh et A. Schahmaneche, « La fonction consultative des autres Cours supranationales protectrices des droits de l’homme », in Le Protcole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme préc. ↩
- « L’articulation entre la nouvelle procédure consultative et le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne, in Le Protcole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme préc. ↩
- Gde ch., 24 oct. 2002, Pisano c/ Italie, n° 36732/97, § 28 ↩
- Gde ch. 2 juillet 2001, K. T. c/ Finlande, Rec. 2001-VII, § 140 ; 11 juillet 2002, Göc c/ Turquie, Rec. 2002-V, § 36 ↩
- 22 fév. 2011, Soare et a., no 24329/02, §132 ↩
- sur le même thème, on signalera un nouvel arrêt concernant la Belgique, dans lequel des mesures de sécurité décidées pour protéger un détenu suicidaire ont été jugées contraires à l’article 3, Jeanty, 31 mars, n° 82284/17 ↩
- mut. mut., 28 janv. 2014, T.M. et C.M. c/ République de Moldova, no 26608/11, § 47 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 18 janv. 2001, Chapman, n° 27238/95, § 96 ↩
- Cour EDH, 24 avril 2012, Yordanova c/ Bulgarie, n° 25446/06 ↩
- Cour EDH, 17 octobre 2013, Winterstein c/ France, n° 27013/07 ↩
- Faute de domiciliation sur le territoire de la commune, le recours suspensif au fond, introduit par les requérants sur la base de l’article 9 II bis de la loi 2000-164, a été jugé irrecevable en première instance, ce qui justifie d’ailleurs également une violation de l’article 13 ↩
- F. Sudre, « La perméabilité de la Convention européenne des droits de l’homme aux droits sociaux », Mélanges Mourgeon, Buylant, 1998, p. 467 ↩
- Cour EDH, 12 juill. 2005, Moldovan et autres c/Roumanie (n° 2) , n° 4138/98 : requérants Roms contraints de vivre dans des caves, poulaillers etc.., après que leur village ait été incendié avec la complicité de policiers ↩
- Cour EDH, 10 fév. 2011, Dubetska et autres c/ Ukraine, n° 30499/06 : pollution industrielle provoquée par les activités d’une mine et d’une usine appartenant à l’Etat ; Cour EDH, 4 sept. 2014, Dzemyuk c/ Ukraine, n° 42488/02 : pollution imputable à la construction d’un cimetière municipal ↩
- Cour EDH, Gde ch., 25 sept. 2018, Denisov c/ Ukraine, n° 76639/11, §§ 103-114 ↩
- Installation d’un réservoir dans un campement, et d’un point collectif d’accès au réseau d’eau ↩
- S. Besson, « La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme. L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Laurence Burgorgue-Larsen (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Pedone, Paris, 2014, p. 80 ↩
- Cour EDH, 21 juin 2016, Ramadan c/ Malte, n° 76136/12, cette Chron. RDLF, 2016, n° 29 ↩
- Art. 25-1 Code civ. ↩
- Silence diplomatique qui n’a été qu’assez récemment rompu, le 8 septembre 2020 par le Président de la République française, E. Macron, en réponse à une question parlementaire ↩
- Cour EDH, 12 oct. 2006, Mubilanzila Mayeka c/ Belgique, n° 13178/03 ↩
- CourEDH, Gde ch.,13 déc. 2012, De Souza Ribeiro c/ France, n° 22689/07 ↩
- Les règles applicables à Mayotte à l’époque des faits, c’est-à-dire en 2013, étant comparables à cet égard à celles concernant la Guyane, en cause dans l’affaire De Souza Ribeiro ↩
- On notera au demeurant que dans les ordonnances de référé auxquelles la Cour renvoie, le juge administratif rattache l’obligation d’identification au droit au respect de la vie privée et familiale : CE, réf., 25 oct. 2014, , n° 385173, pt.7 ou au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant : CE, réf., 9 janv. 2015, n° 386865, pt. 7 et non au droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants ↩
- Par dérogation au droit commun, les recours en annulation contre une OQTF ne sont toujours pas suspensifs, mais depuis l’ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014, l’introduction d’un référé-liberté est revêtue d’un tel effet sur l’exécution de l’éloignement, au moins jusqu’à ce que le juge ait informé les parties de la tenue ou non d’une audience publique ↩
- Cette Chron. RDLF, 2018, n° 11, II A ↩
- CourEDH, Gde ch., 15 déc. 2016, n° 16483/12, cette Chron., RDLF 2017, n° 13, obs. M. Afroukh ↩
- Voy. également la réfutation qu’un effet de plein droit suspensif des recours internes soit requis au titre de l’article 13 combiné avec l’article 4 Protocole 4 quand il n’est pas allégué de risques d’atteinte à l’article 2 ou à l’article 3, Cour EDH, Gde ch, Khlaifia et autres, précité §§ 279-281 ↩
- Voy. Cour EDH, (Déc.), 16 juin 2005, Berisha et Haljiti c/ l’ex‑République yougoslave de Macédoine, n° 18670/03 et (Déc.), 1er fév. 2011, Dritsas et autres c/ Italie, n° 2344/02, auxquelles les autres références invoquées – à savoir les arrêts Hirsi Jamaa et autres c/ Italie, 23 fév. 2012, n° 27765/09, Khlaifia, préc., § 240 et M.A. c/ Chypre, 23 juil. 2013, n° 41872/10, § 247 – se bornent à renvoyer au titre des principe généraux, sans faire application du critère aux cas d’espèce ↩
- Voy. Cour EDH, Gde ch. 21 novembre 2019, Ilias et Ahmed c/ Hongrie,n° 47287/15, cette Chron., RDLF 2020, n° 32, III A ↩
- Cour EDH, Gde ch, (déc.), 19 déc. 2001, Banković et a. c/ Belgique et 16 autres États contractants, n° 52207/99 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 7 juil. 2011, Al-Skeini et autres c/ Royaume-Uni, n° 55721/07, §§ 134-140 ↩
- Comm. EDH, déc., 15 déc. 1977, X c/ Royaume-Uni, n° 7547/76 ; déc., 14 oct. 1992, M. c/ Danemark, n° 17392/90 ↩
- Cour EDH, (déc.), 28 janv. 2014, Abdul Wahab Khan c. Royaume-Uni, n° 11987/11, §§ 27-28 ↩
- CJUE, Gde ch., 7 mars 2017, X et X c/ Belgique, aff. C-638/16 PPU ↩
- Art. 4 CDFUE ↩
- Art. 18 CDFUE ↩
- Règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas de court séjour et de transit, modifié par le règlement (UE) n° 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 ↩
- A cet égard, voy. les récentes constatations de l’arrêt CourEDH, 10 oct. 2019, O.D. c/ Bulgarie, n° 34016/18, cette Chron., RDLF, 2020, n° 32, III B ↩
- J.-F. Flauss, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », AJDA 2009 p.1936 ↩
- expression employée par les associations tiers-intervenantes ↩
- § 78. Qui plus est, le sujet est d’intérêt général, en ce qu’il porte sur le respect par Israël du droit international ↩
- pôle 2, ch. 7, 24 mai 2012, n° 11/6623 ↩
- L. Burgorgue-Larsen, « Actualité de la convention européenne des droits de l’homme, AJDA, 2016, p. 143 ↩
- par exemple, le mode de diffusion des propos, § 39 ↩