Evolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2018
Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH
Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH
Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme au cours du second semestre 2018 se révèle particulièrement riche. Le juge européen s’est prononcé sur la détention préventive de supporters en cas d’actes d’hooliganisme 1, le système britannique de surveillance secrète des communications 2, les arrestations d’opposants politiques connus en Turquie et en Russie 3 ou bien encore la question de la non-assistance de l’avocat pendant la phase préalable au procès pénal 4.
Une série d’arrêts a fait couler beaucoup d’encre sur les sites d’information et blogs en droits et libertés : les affaires Molla Sali c/Grèce 5 et E.S. c/ Autriche 6 dont le point commun est de se rapporter à des questions religieuses, en particulier l’islam. La première porte sur l’application de la Charia en matière successorale en Grèce. La seconde met en cause la condamnation de la requérante pour dénigrement de doctrines religieuses, l’intéressée ayant accusé le prophète Mahomet de pédophilie. Disons-le clairement : les nombreuses analyses publiées sur ces deux arrêts sont révélatrices d’une profonde méconnaissance du système conventionnel et de la jurisprudence de la Cour 7. L’affaire Molla Sali a notamment alimenté une campagne de dénigrement sans précédent de la Cour accusée d’ouvrir la voie à l’application de la Charia, d’être complice de la menace islamiste… Autant de raccourcis trompeurs, d’amalgames, de procès d’intention, d’erreurs qui ne visent qu’à la discréditer. A dire vrai, l’arrêt Molla Sali dit exactement le contraire selon les mots du Président G. Raimondi 8. De deux choses l’une. Soit les auteurs de ces analyses aux relents les plus nauséabonds n’ont pas lu l’arrêt. Soit ils l’ont lu mais ne l’ont pas compris. Dans les deux cas, le constat est inquiétant. Loin d’être circonstancielle, ces réactions révèlent une hostilité de plus en plus importante à l’égard des juges des droits de l’homme 9. Ainsi que l’a écrit le Professeur Burgorgue-Larsen, « les droits de l’homme et les juges (…) qui ont en charge de les garantir, deviennent l’ennemi commun, la cause de tous les maux des sociétés démocratiques » 10. Dans ce contexte délétère marqué par la montée du populisme en Europe 11, il devient impérieux de répondre aux critiques injustes et caricaturales, d’expliquer constamment le rôle subsidiaire de la Cour européenne et de souligner les bienfaits de la protection supranationale des droits et libertés, sans tomber dans une certaine révérence vis-à-vis du juge des droits de l’homme, sa jurisprudence devant être analysée de façon lucide et sans complaisance. Il y a cependant des éléments réconfortants. Aussi, le rejet de l’initiative de l’UDC « Le droit suisse au lieu des juges étrangers » en Suisse montre-t-il que cet effort de pédagogie n’est pas vain et qu’il y a des raisons d’espérer 12.
Le Protocole n° 16, en formalisant un dialogue direct entre la Cour et les juges nationaux et en consolidant la mise en œuvre de la Convention au niveau national 13, constitue l’un des moyens de répondre à ces critiques. Le 5 octobre 2018, la Cour de cassation a été la première juridiction en Europe à saisir la Cour d’une demande d’avis relative à la transcription d’un acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA conclue à l’étranger, en ce qu’il désigne la « mère d’intention », indépendamment de toute réalité biologique 14. Le 3 décembre 2019, le collège de la grande chambre a accepté cette première demande d’avis consultatif. On notera que, pour l’heure, le Conseil d’Etat 15 et le Conseil constitutionnel 16 n’ont pas donné suite, de façon justifiée, à des conclusions tendant à ce que la Cour soit saisie d’une demande d’avis 17 A lire les arrêts du 4 octobre, on peut se demander si la demande d’avis était vraiment nécessaire à la résolution du litige dès lors qu’elle s’inscrit dans « une affaire dans laquelle la Cour européenne est déjà intervenue » 18. Aussi, faut-il y avoir une part de volontarisme de la Cour de cassation qui entend pleinement jouer le jeu de ce nouveau mécanisme de dialogue On est bien loin de la position réservée qu’elle avait manifestée à l’endroit de la QPC en 2010.
Du point de vue des méthodes de travail de la Cour, la mise en place d’une nouvelle pratique expérimentale de la Cour concernant le règlement amiable retient l’attention. Dans l’ombre des arrêts et décisions de la Cour, ce mode alternatif de règlement des requêtes introduites devant la Cour reste largement méconnu 19. A cela il faut y ajouter sa connotation péjorative : « certains ont cru pouvoir y déceler une volonté de se débarrasser à bon compte de nombreuses requêtes en période d’inflation galopante du nombre de saisines ; d’autres y ont vu une possibilité de régler l’engorgement de la Cour. Partant, au mieux les États feraient une faveur à la Cour en acceptant un règlement amiable, au pire la cause des requérants serait sacrifiée sur l’autel de l’efficacité » 20. La réalité est toute autre. Il s’inscrit pleinement dans le but de la Convention de protéger les droits et libertés. L’article 62 du Règlement de la Cour impose au Greffe de se mettre en rapport avec les parties en vue de parvenir à un règlement amiable. Jusqu’à présent, la procédure contentieuse et la procédure non-contentieuse étaient menées parallèlement. Dans le délai de seize semaines imparti pour présenter leurs observations sur la recevabilité et le fond d’une affaire, les gouvernements pouvaient informer la Cour de leur souhait de conclure un règlement amiable. La nouvelle pratique en vigueur depuis le 1er janvier 2019 procède à une dissociation de ces deux procédures. A une première phase de règlement amiable (non-contentieuse) d’une durée de douze semaines, succèdera une phase d’observations (contentieuse, avec échange d’observations) d’une durée de douze semaines.
En 2018, la Cour a statué dans plus de 42 000 affaires, dont 14 arrêts et une décision en formation de grande Chambre et 463 arrêts en formation de chambre. 40 023 requêtes ont été déclarées irrecevables ou rayées du rôle par un juge unique, un comité, une chambre ou une grande chambre. Parmi ces décisions d’irrecevabilité, on relèvera une décision Storck c/ Allemagne du 19 juillet 2018 (n° 486/14) à propos du refus par les juridictions allemandes de rouvrir une procédure civile contre une clinique privée à la suite d’un arrêt rendu par la Cour en faveur de la requérante. Le grief soulevé – l’octroi d’une réparation pour remédier aux violations de la Convention – se rapportant à la compétence du Comité des ministres, cette partie de la requête est jugée irrecevable. Dans le sillage de l’arrêt Burmych et al. c/ Ukraine 21, le juge européen se montre très soucieux de ne pas empiéter sur le rôle de l’organe politique du Conseil de l’Europe. En l’absence de grief nouveau, il ne peut pas contrôler l’exécution de ses propres arrêts. Toujours au titre des faits marquants du second semestre 2018, on relèvera le refus de la Cour d’indiquer une mesure provisoire à l’Etat français concernant l’usage par les forces de l’ordre de lanceurs de balles de défense (« flash-balls ») et de liquides incapacitants (18 déc. 2018). Nulle surprise ici compte tenu du recours exceptionnel aux mesures provisoires, ordonnés lorsque les requérants sont exposés à un risque réel de dommages irréparables.
Pour la période allant du 1er juillet 2018 au 31 décembre 2018, six thèmes ont été retenus : le droit à un procès équitable (I), le sort réservé opposants politiques en Turquie et en Russie (II), le contentieux de l’éloignement des étrangers et de l’asile (III), les enjeux sécuritaires (IV), religions et CEDH (V) et les restrictions à la liberté d’expression (VI).
I. Droit à un procès équitable
A. L’uniformisation du contrôle des restrictions législatives apportées au droit d’accès à un avocat : une clarification en forme de complexification
Dans l’affaire Beuze c/ Belgique (9 nov. 2018, n° 71409/10), dont la Chambre s’était dessaisie le 13 juin 2017, sous le coup d’un mandat d’arrêt européen pour homicide volontaire avec préméditation sur la personne de son ex-compagne, le requérant fut arrêté par la gendarmerie française et placé en garde à vue avant d’être remis aux autorités belges et déféré devant le juge d’instruction de Charleroi. Lors de son audition par les gendarmes français, il renonça à son droit de s’entretenir avec un avocat mais fut néanmoins assisté devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel. Après sa remise aux autorités belges deux semaines plus tard, il fut auditionné pendant 4h par la police judiciaire puis pendant près d’1h par le juge d’instruction sans pouvoir communiquer avec un avocat, ce droit ne lui étant reconnu qu’après son placement en détention préventive, conformément à la législation en vigueur. Tout au long de la phase d’instruction, son avocat ne fut jamais présent lors de ses interrogatoires 22, ni lors de la reconstitution des faits, alors qu’un second mandat avait été délivré à son encontre pour tentative d’homicide avec préméditation sur sa compagne précédente alors enceinte 23. Le requérant donna de multiples versions des faits mais fut condamné sur la base de déclarations de témoins, de constatations des enquêteurs, d’éléments matériels et de considérations médico-légales et psychiatriques. Il ne s’est pas auto incriminé, n’a argué avoir subi aucune forme de coercition ni été entendu en état de vulnérabilité particulière, a pu consulter son avocat à l’issue de chaque audition et interrogatoire et préparer sa défense avec lui. La Grande chambre conclut pourtant à la violation de l’article 6 §§1 et 3c) au motif que la procédure pénale considérée dans son ensemble n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales résultant de la non-assistance d’un avocat lors de la phase préalable au procès, la Cour de cassation n’en ayant pas suffisamment apprécié les conséquences sur les droits de la défense.
De cette affaire, elle fait expressément une occasion de « préciser » si les « clarifications importantes relatives au droit d’accès à un avocat » apportées à l’arrêt Salduz 24 dans l’arrêt Ibrahim et a. 25 « sont d’application générale ou si […] le constat d’une restriction d’origine législative suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 §§1 et 3c) » (§ 116). Or, comme le soulignent les juges Yudkivska, Vucinic, Turkovic et Hüseynov dans leur opinion pourtant concordante, c’est justement là que le bât blesse. Pour la Grande chambre, en effet, « à la suite de l’arrêt Salduz, sa jurisprudence a évolué progressivement, les contours du droit d’accès à un avocat ayant été précisés en fonction des griefs et des circonstances des affaires dont elle a été saisie. Ainsi, la présente affaire donne l’occasion de rappeler les raisons pour lesquelles le droit d’accès à un avocat constitue un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable, d’apporter des précisions quant au type d’assistance juridique requis avant la première audition de police ou le premier interrogatoire par un juge [et] de clarifier le point de savoir si la présence physique de l’avocat est requise au cours des auditions, interrogatoires et autres actes d’instruction menés durant la garde à vue et la procédure antérieure à la phase de jugement ». Après avoir rappelé que les garanties offertes par l’article 6 §§ 1 et 3 c) s’appliquent à tout « accusé », elle livre donc une présentation approfondie de son approche (§ 123-136). S’il « ne fait pas de doute » que ce droit est applicable dès qu’il existe une « accusation en matière pénale » et « en particulier dès l’arrestation d’un suspect », elle en rappelle les objectifs 26 en soulignant combien l’accès rapide à un avocat « constitue un contrepoids important à la vulnérabilité des suspects en garde-à-vue » qu’ils protègent à la fois de la coercition et des mauvais traitements et permet « vraisemblablement de […] prévenir tout manque d’équité qui découlerait de l’absence de notification officielle » de leurs droits procéduraux, et précise que l’effectivité de l’assistance résulte non seulement de la désignation d’un conseil mais aussi « d’exigences minimales » comme le fait de pouvoir entrer en contact avec lui – de manière confidentielle – dès la privation de liberté et de pouvoir bénéficier de sa « présence physique » durant l’ensemble des auditions et interrogatoires.
Toutefois, se penchant sur « l’articulation entre la justification de la restriction au droit d’accès à un avocat et l’équité globale de la procédure », elle en livre une interprétation paradoxale, qui donne l’impression de chercher à sauver la procédure, s’écartant sensiblement de la jurisprudence qu’elle prétend clarifier. La difficulté tient à ce qu’elle la Cour envisage l’arrêt Ibrahim et a. comme le prolongement « complémentaire » de l’arrêt Salduz et non comme son contrepoint. En effet, dans ce dernier, dans lequel elle posa le principe selon lequel « en règle générale, tout suspect a le droit d’accès à un avocat dès son premier interrogatoire par la police » (§ 55), la Grande chambre avait semblé considérer spécifiquement les cas dans lesquels il existait des « raisons impérieuses de restreindre ce droit » et ne procéder à un examen de l’équité globale de la procédure que lorsque c’était bien le cas. Précisant que l’application d’une telle restriction sur une base législative « systématique » ne pouvait constituer pareille raison, elle avait examiné les conséquences de l’admission des déclarations faites par l’accusé hors de la présence de son avocat sur l’équité globale de la procédure et considéré que cette lacune n’avait pu être compensée par d’autres garanties procédurales. Concernant au contraire une restriction qui n’était pas « de portée générale et obligatoire », l’arrêt Ibrahim semblait quant à lui déployer la jurisprudence dans une autre direction. Or, en affirmant ici qu’il avait « confirmé que l’absence de raisons impérieuses ne suffit pas en elle-même à entraîner une violation de l’article 6 [car q]u’il y ait ou non des raisons impérieuses, il convient de statuer dans chaque cas sur le respect de l’équité globale de la procédure » (§ 144), la Grande chambre affaiblit considérablement la protection garantie par la jurisprudence Salduz… et complexifie un peu plus l’état du droit dans un domaine sensible, choix d’autant plus regrettable qu’elle se déclare pourtant « consciente des difficultés que le passage du temps et l’évolution de sa jurisprudence peuvent entraîner pour les juridictions nationales » (§ 152).
B. La notion de tribunal indépendant et impartial en matière disciplinaire
Deux affaires dessinent la notion de « tribunal indépendant et impartial » telle que l’entend la Cour à travers l’examen de procédures disciplinaires. Dans la première (2 oct. 2018, Mutu et Pechstein c/ Suisse, n° 40575/10 et 67474/10), les requérants, respectivement footballeur et patineuse de vitesse professionnels, soutenaient que le Tribunal Arbitral du Sport ne pouvait être considéré comme tel. Condamné par sentence arbitrale à verser une importante somme à son club pour rupture unilatérale de son contrat après un usage de stupéfiants, le premier requérant avait opté pour l’arbitrage mais requis la récusation de deux arbitres du TAS dont il alléguait l’absence d’impartialité, le premier en raison de son mode de nomination 27 et le second car, avant de siéger en appel, il avait présidé la formation qui avait émis la sentence le concernant. Suspendue pour dopage, la seconde requérante avait été contrainte d’accepter la clause d’arbitrage pour pouvoir prendre part aux compétitions qui faisaient son métier et se plaignait de n’avoir bénéficié d’une audience publique à aucun stade de la procédure 28.
Après avoir établi le caractère « civil » des droits concernés dans les deux cas 29 – et ainsi l’applicabilité de l’article 6 § 1 -, la Cour juge les requêtes recevables ratione personae. En effet, bien que le TAS soit l’émanation d’une fondation de droit privé, le Conseil international de l’arbitrage en matière de sport, et non d’un tribunal étatique ni d’une autre institution de droit public suisse, la loi prévoit cependant dans certaines circonstances la compétence du Tribunal fédéral pour connaître de la validité de ses sentences. De plus, en l’espèce, son rejet des recours présentés par les requérants a conféré force de chose jugée aux sentences les concernant dans l’ordre juridique suisse, la responsabilité de l’État pouvant donc se voir engagée pour des actes ou omissions du TAS validés par son Tribunal fédéral.
Sur le fond, la Cour constate que le TAS est pleinement compétent « pour connaître, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question de fait et de droit » qui lui est soumise et rend des sentences de type juridictionnel qui peuvent être contestées devant le Tribunal fédéral, lequel les juge « assimilables » à celles d’un tribunal étatique. Elle considère alors que, « par le jeu combiné de la loi fédérale sur le droit international privé et de la jurisprudence du Tribunal fédéral, le TAS avait donc les apparences d’un ‘tribunal établi par la loi’ au sens de l’article 6 § 1. Optant pour une approche concrète, elle se déclare « prête à reconnaître que les organisations susceptibles de s’opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS exerçaient une réelle influence dans le mécanisme de nomination des arbitres en vigueur à l’époque des faits » mais refuse d’en conclure que la liste des arbitres établie par le CIAS « était composée, ne serait-ce qu’en majorité, d’arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux, à titre individuel, objectivement ou subjectivement, vis-à-vis de ces organisations ». Elle valide donc la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle « le TAS, lorsqu’il fonctionne comme instance d’appel extérieure aux fédérations internationales, s’apparente à une autorité judiciaire indépendante des parties » et conclut dans les deux cas à la non-violation de l’article 6 § 1 30. Elle constate en revanche une violation dans le chef de la seconde requérante du fait de l’absence d’audience publique devant le TAS.
La seconde (Gde ch., 6 nov. 2018, Ramos Nunes de Carvalho e Sá c/ Portugal, n° 55391/13 et a.) concerne une magistrate suspendue par l’assemblée plénière du Conseil Supérieur de la Magistrature au terme de trois procédures disciplinaires pour violation de ses devoirs de correction, d’honnêteté et de loyauté. Par un arrêt en date du 21 juin 2016, la quatrième section avait conclu à la violation de l’article 6 de la Convention aux motifs que l’indépendance et l’impartialité du CSM pouvaient être sujettes à caution (dans la mesure où les membres juges étaient minoritaires – 6 sur 15 présents – lors de la première des quatre délibérations consacrées à l’examen de l’affaire) 31, relevant notamment « avec appréhension que, dans le système juridique portugais, la loi ne formule aucune exigence particulière portant sur la qualification des membres non-juges du CSM » (§ 79) ; que le contrôle effectué par la Cour suprême de justice était insuffisant et qu’une audience publique s’avérait nécessaire. Concluant également que le contrôle juridictionnel insuffisant et l’absence d’audience publique 32 avaient porté atteinte au droit de la requérante à un procès équitable, la Grande chambre rejette quant à elle comme tardif le grief tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité puisque formulé plus de 2 ans après le terme des procédures internes – ce qui entraîne la critique des juges dissidents, lui reprochant d’avoir négligé de considérer dans son ensemble le « cadre institutionnel » dans lequel l’affaire avait été examinée pour se concentrer sur une approche théorique du risque de partialité.
Jugeant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention le grief tiré de ce que la requérante n’aurait pas été informée de manière détaillée de l’accusation portée contre elle – ce qui l’aurait amenée à manquer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense – au motif que les infractions qui lui étaient reprochées n’étaient pas de nature pénale, la Grande chambre se penche sur l’indépendance et l’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême à travers la dualité des fonctions de son président 33 et le rôle joué par le CSM tant dans la carrière des juges de la Cour que dans les poursuites disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet. Sur le premier point, soulignant que la Cour suprême est « la plus haute juridiction du Portugal, constituée exclusivement de juges professionnels, indépendants, inamovibles et soumis à des exigences d’incompatibilité de nature à garantir leur indépendance et leur impartialité » (§ 153), elle considère qu’aucun élément n’est « de nature à faire naître dans le chef de la requérante de craintes objectivement justifiées » (§ 155). Sur le second point, en l’absence de « déficiences sérieuses de nature structurelle ou d’apparence de parti pris au sein du CSM » et au vu de la protection de l’indépendance des magistrats assurée par le droit interne, notamment constitutionnel, elle souligne – d’une manière assez inattendue qui l’éloigne d’un contrôle approfondi – « qu’il est normal que les juges, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires et dans des contextes variés, soient amenés à traiter des affaires diverses en ayant à l’esprit qu’ils sont susceptibles, à un moment donné de leur carrière, de se trouver eux-mêmes dans une situation similaire à celle d’une des parties, y compris celle de la partie défenderesse ». Estimant impossible de « considérer qu’un tel risque purement abstrait soit de nature à jeter des doutes sur l’impartialité d’un juge, en l’absence de circonstances concrètes ayant trait à sa situation personnelle » (§ 163), elle conclut à la non-violation de l’article 6 § 1. En revanche, appliquant sa jurisprudence, elle examine conjointement les griefs relatifs à l’insuffisance du contrôle opéré par la section du contentieux et à l’absence d’audience publique en considérant à la fois l’objet de la décision attaquée, la méthode adoptée et la teneur du litige. Puisqu’il s’agissait de rechercher un éventuel manquement de la requérante à ses obligations professionnelles, elle souligne tout d’abord l’importance du contrôle juridictionnel dans les procédures disciplinaires dirigées contre les juges, le « respect nécessaire à l’exercice de leurs fonctions » (§ 196) garantissant la confiance du public dans le fonctionnement et l’indépendance du pouvoir judiciaire, et ainsi l’Etat de droit lui-même. Or, le caractère écrit de la procédure devant son assemblée plénière ayant empêché la requérante d’exposer oralement sa thèse et de faire entendre des témoins, elle constate que le CSM n’avait « pas exercé son pouvoir discrétionnaire sur une base factuelle adéquate » (§ 198) alors que, incompétente pour recueillir des éléments de preuve ou établir les faits, la section du contentieux de la Cour suprême n’avait pu examiner la véracité des faits reprochés à la requérante 34, ne pouvant ni déterminer si elle avait effectivement tenu certains propos ni se forger sur elle sa propre opinion. Elle conclut donc que la combinaison de ces deux éléments avait entraîné une violation de l’article 6 § 1, sans se pencher sur le contrôle de la méconnaissance des obligations professionnelles ni sur celui des sanctions disciplinaires elles-mêmes, invitant ainsi le Portugal à une réforme de sa gouvernance judiciaire.
C. Husson-Rochcongar
II. Intimidation des opposants politiques : l’efficacité du contrôle juridictionnel en question
Deux affaires récentes concernent le harcèlement d’opposants politiques. Dans l’affaire Navalnyy c/ Russie 35, le requérant, militant politique anti-corruption et chef de file de l’opposition, avait été arrêté à 7 reprises entre le 5 mars 2012 et le 24 février 2014 alors qu’il exerçait son droit à la liberté de manifester pacifiquement. Retenu plusieurs heures au poste de police lors de chaque interpellation pendant la rédaction d’un procès-verbal d’infraction 36 et inculpé à chaque fois d’une infraction administrative 37, il fut traduit en justice à 7 reprises et condamné 5 fois à une amende (de 1000 à 30000 roubles) et 2 fois à une peine de détention administrative (de 15 et 7 jours). Tous les recours qu’il déposa ayant été rejetés, il saisit la Cour en alléguant la violation des articles 5, 6, 11, 14 et 18 de la Convention.
Par un arrêt en date du 2 février 2017, la chambre avait conclu à l’unanimité à la violation des articles 5 (à raison des 7 arrestations du requérant et de ses 2 mises en détention provisoire), 6 (à raison de 6 des 7 procédures administratives contestées) et 11. Elle avait, en revanche, estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les griefs de violation des articles 14 et 18 combinés avec l’article 11, ni de l’article 18 combiné avec l’article 5. Or, si la Grande chambre parvient tout aussi unanimement aux mêmes constats de violation, accordant 50 000 euros au requérant au titre du préjudice moral, c’est toutefois en adoptant un raisonnement partiellement différent quant à la liberté de réunion, en acceptant de se pencher sur les griefs soulevés au titre de l’article 18 qui limite l’usage des restrictions imposées aux droits garantis (concluant à sa violation par quatorze voix contre trois) et en recommandant, sous l’angle de l’article 46, que le Gouvernement inverse cette tendance au harcèlement des opposants politiques en prenant les mesures nécessaires pour garantir le droit à la liberté de réunion pacifique sur son territoire.
Sur le premier point, constatant les similitudes avec plusieurs affaires ayant débouché sur un constat de violation de l’article 11 résultant de l’interpellation et de l’arrestation de manifestants « au seul motif que les réunions auxquelles ceux-ci participaient n’avaient pas été autorisées », la chambre avait considéré que « certains éléments étaient révélateurs de l’existence en Russie d’une pratique politique consistant à interrompre les réunions de ce type, ou les événements considérés comme tels, et à en arrêter systématiquement les participants » (§ 87). Estimant qu’en tout état de cause les mesures prises étaient disproportionnées aux buts invoqués par le Gouvernement (défense de l’ordre, prévention du crime et protection des droits et libertés d’autrui) faute de « besoin social impérieux », elle n’avait pas jugé utile d’examiner la question de l’existence d’un but légitime. Bien qu’elle parvienne également à un constat de violation de l’article 11 pour l’ensemble des épisodes concernés, la Grande chambre opte, quant à elle, pour un raisonnement différent : après avoir rappelé les grands principes de sa jurisprudence (§§ 98-103), elle conclut à l’absence de tout but légitime susceptible de justifier les 5e et 6e arrestations du requérant en procédant à un contrôle plus approfondi. Dans le premier cas, M. Navalnyy quittait le lieu d’une manifestation statique, suivi par un groupe de personnes (composé notamment de journalistes) qui n’avait pas été formé à son initiative et se contentait de marcher sur le trottoir ; dans le second, attendant d’assister à une audience judiciaire, il se trouvait devant le tribunal avec un groupe de personnes à qui l’on avait, comme à lui, refusé l’entrée, sans qu’il ait été établi qu’il aurait lui-même scandé des slogans politiques ni manifesté l’intention de tenir un tel rassemblement, et ce dans un secteur dont l’accès avait d’ores et déjà été bloqué par la police. C’est ici la qualification juridique de faits anodins – respectivement en « marche non autorisée » et en « réunion publique » – par les autorités russes qui avait fondé l’intervention des forces de l’ordre.
Constatant que, pour les 5 autres arrestations 38 c’était l’illégalité formelle du rassemblement qui avait seule justifié l’arrestation du requérant, alors même qu’il s’agissait de « réunions pacifiques qui n'[avaie]nt guère causé de troubles » (§ 127), elle conclut que ces interventions disproportionnées « traduisent un manquement persistant des autorités nationales à faire preuve de tolérance vis-à-vis des réunions non autorisées mais pacifiques et, plus généralement, à appliquer des critères conformes aux principes découlant de l’article 11 » (§ 148). Plus encore, « les pratiques internes méconnaissant ces exigences ont perduré » et, en dépit de la connaissance des exigences conventionnelles par les autorités, « il y a même eu des réformes législatives introduisant davantage de restrictions » (§ 149). Estimant qu’’il « existe un lien entre ces carences et les lacunes structurelles déjà constatées », elle considère que « l’interprétation extensive de la notion de réunion soumise à modification et le manque de tolérance à l’égard des réunions ne respectant pas la procédure mettent en lumière une autre facette encore d[e ce] problème structurel » (§ 150). Or, cette absence de garantie « se trouv[ant] aggravée par l’interprétation extensive faite en pratique de la notion de ‘réunion soumise à notification’ et par la latitude excessive dont [les autorités] jouissent pour imposer des restrictions à ces réunions par une application rigide des règles en recourant […] à des arrestations et des privations de liberté immédiates », ainsi qu’à des sanctions de nature pénale, « la combinaison de différents aspects forme ici système – au point que l'[o]n peut même se demander si, du fait des caractéristiques du régime légal applicable, l’exercice des voies de recours internes ne serait pas également dépourvu de toute chance de succès et si celles-ci ne seraient pas ineffectives » (§ 150). La violation de l’article 11 naît donc à la fois de l’absence de garanties effectives contre les abus, du fait que cette pratique a « forcément eu pour conséquence de […] dissuader [le requérant mais aussi] d’autres partisans de l’opposition ainsi que la population en général de participer à des manifestations et, plus généralement, à des débats politiques ouverts » (§ 152), ce d’autant plus qu’elle visait une personnalité très médiatisée.
Sur le second point, ce raisonnement en deux temps amène la Grande chambre à accepter de se pencher sur le grief formulé sur le terrain de l’article 18, « aspect fondamental » de l’affaire dont la substance doit être appréciée séparément. En effet, c’est en se concentrant sur les deux épisodes ne reposant sur aucun but légitime qu’elle fait application des principes exposés dans son arrêt Merabishvili c/ Géorgie du 28 novembre 2017 en rappelant que, sans existence indépendante mais doté d’une portée autonome, l’article 18 interdit « expressément […] de restreindre les droits et libertés consacrés par la Convention dans des buts autres que ceux prévus par la Convention elle-même ». Refusant de retenir l’idée d’une « pluralité de buts » pour les 5e et 6e épisodes au vu de l’impossibilité pour le Gouvernement d’invoquer « plausiblement » des buts légitimes, elle considère néanmoins qu’un constat de violation de l’article 11 « ne suffit pas en soi » à entraîner également celle de l’article 18. Recherchant si « un but inavoué ou non-conventionnel […] peut être décelé » (§ 166), elle souligne ici « une certaine constante », les raisons des arrestations étant « devenues de plus en plus improbables au fur et à mesure que diminuait la gravité des troubles potentiels ou réels imputés au requérant » (§ 168), alors pourtant que la police avait notamment « fendu la foule afin de mettre la main sur lui », ce qui rendait « particulièrement difficile » d’écarter la thèse selon laquelle il aurait été « spécifiquement et personnellement ciblé » (§ 170).
Tout en admettant que le but prédominant des mesures puisse avoir changé au cours de la période envisagée, elle conclut à la violation de l’article 18 combiné à la fois avec l’article 5 et avec l’article 11, la légitimité du but visé étant au minimum douteuse quand elle n’était pas assurément inexistante. Ainsi, la sévérité constante des autorités à l’encontre du requérant mais également l’aggravation de la situation en Russie liée à de récentes réformes au sujet desquels plusieurs organes du Conseil de l’Europe se sont déclarés préoccupés l’amène à considérer que « la thèse du requérant selon laquelle l’exercice de sa liberté de réunion est devenu spécifiquement l’objet d’une répression ciblée paraît coïncider avec le contexte plus général des initiatives prises par les autorités russes à l’époque considérée afin d’exercer une mainmise sur l’activité politique de l’opposition » (§ 173). Ce raisonnement très sévère, par lequel elle conclut « qu’il y a lieu de prendre en considération la nature et le degré de répréhensibilité du but inavoué allégué, en gardant aussi à l’esprit que la Convention est destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique régie par le principe de la primauté du droit » pour condamner le musèlement progressif des opposants politiques russes, n’est pas sans rappeler la manière dont la Cour interaméricaine des droits de l’homme est parvenue à condamner l’existence de disparitions forcées en établissant l’existence d’une pratique. Toutefois, cette sévérité pose également la question de l’efficacité du contrôle pratiqué par la Cour dans un contexte caractérisé à la fois par la revalorisation du principe de subsidiarité et par la stratégie du Conseil de l’Europe à l’égard de la Russie – d’autant que cette solution fait écho de manière alarmante au constat de violation de l’article 2 rendu dans l’affaire Mazepa et a. c/ Russie (17 juil. 2018, n° 15086/07) dans laquelle les autorités russes avaient retrouvé, poursuivi et condamné les auteurs de l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa, mais n’avaient pas enquêté de manière appropriée et prompte pour en retrouver les commanditaires. Combien de temps, en effet – et c’est là le troisième point -, la Cour pourra-t-elle juger « établi au-delà de tout doute raisonnable que les restrictions imposées au requérant […] poursuivaient [le] but inavoué […] d’étouffer le pluralisme politique, qui est un attribut du ‘régime politique véritablement démocratique’ encadré par la ‘prééminence du droit’, deux notions auxquelles renvoie le Préambule de la Convention » (§ 175) sans que la position de l’organisation européenne n’évolue au-delà du « better in than out » qui a jusqu’alors prévalu ? L’absence de toute délégation russe lors de l’ouverture de la session parlementaire du Conseil de l’Europe le 21 janvier dernier comme de toute contribution russe au budget de l’organisation depuis juin 2017 et, surtout, les menaces laissant entendre que toute sanction entraînerait la sortie de la Russie 39, ne constituent-elles pas un point de non-retour ? N’amènent-elles pas à questionner l’efficacité que les juges pensent être celle des développements consacrés à l’engagement de respecter les arrêts définitifs de la Cour découlant de l’article 46 ? Car, bien sûr, les autorités russes sont déjà alertées de la nécessité pour elles de mettre en place « un mécanisme assurant que les autorités compétentes tiennent dûment compte du caractère fondamental de la liberté de réunion pacifique et fassent preuve de la tolérance voulue à l’égard des réunions non autorisées mais pacifiques ne causant qu’une certaine gêne dans la vie quotidienne ne dépassant pas le niveau de la perturbation légère, qu’elles ne restreignent cette liberté qu’après avoir dûment vérifié que la restriction est justifiée par des intérêts légitimes […], et qu’elles ménagent un juste équilibre entre ces intérêts et l’intérêt pour l’individu d’exercer son droit à la liberté de réunion pacifique » (§ 186)… puisque c’est justement sur cette connaissance de la situation que repose le constat de violation de l’article 18.
Concernant également une forme d’intimidation exercée par les autorités à l’encontre d’un opposant politique, l’affaire Selahattin Demirtaş c/ Turquie (20 nov. 2018, n° 14305/17) porte toutefois sur l’article 3 du Protocole n° 1, aux côtés de l’article 5, à travers le placement en détention provisoire d’un parlementaire, co-président du parti de gauche pro-kurde HDP, dont l’immunité a été levée (avec celle de 153 autres) suite à une révision constitutionnelle intervenue après l’abandon du processus de « résolution pacifique » de la question kurde initié en 2012. Si la Cour juge la mise en détention du requérant conforme à la législation nationale (non-violation de l’article 5 § 1), elle considère en revanche que les juridictions internes n’ont pas suffisamment justifié sa prolongation sans examen sérieux de possibles mesures alternatives (violation du § 3). Surtout, confrontée pour la première fois à l’allégation d’une détention politique destinée à empêcher l’exercice d’un mandat parlementaire, elle choisit de joindre exception d’incompétence ratione materiae et fond. Y voyant « une problématique cruciale pour l’exercice réel d’un mandat de parlementaire », elle rappelle que le droit à des élections libres implique aussi qu’une « fois élue, la personne concernée a également le droit d’exercer son mandat » (§ 234). Dans la mesure où la détention du requérant était conforme à la législation nationale et où elle visait à garantir le « bon déroulement de la procédure pénale » (§ 237), son examen porte sur sa proportionnalité à la lumière de l’obligation positive de l’Etat de garantir une voie de recours permettant sa contestation efficace. Or, comme dans l’arrêt Navalnyy, ce ne sont pas seulement les intérêts du requérant qui sont ici mis en balance avec l’attention portée au bon fonctionnement de la justice, mais également ceux de la société dans son ensemble, tels qu’ils sont protégés par l’article 3 du Protocole n° 1 40. Ainsi, c’est parce qu’aucun motif impérieux justifiant la prolongation de la détention provisoire n’a été avancé que la Cour rend unanimement un constat de violation et, surtout, parce qu’aucune des juridictions internes saisies ne semble « avoir pris suffisamment en compte le fait que l’intéressé était non seulement un député, mais aussi l’un des leaders de l’opposition politique dans le pays, dont l’exercice du mandat parlementaire nécessitait un niveau élevé de protection » (§ 238). Adaptant le principe de l’arrêt Cordova 41, elle considère qu’en dépit du maintien de son statut comme de son salaire, « l’impossibilité pour lui de participer aux activités de l’Assemblée nationale […] constitue une atteinte injustifiée à la libre expression de l’opinion du peuple et au droit du requérant d’être élu et d’exercer son mandat parlementaire » (§ 240). Au terme d’un plaidoyer qui n’est pas sans évoquer un passage de l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et a. c/ Turquie 42 présentant la démocratie comme « l’unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant, le seul qui soit compatible avec elle » 43, elle conclut qu’en privant le requérant de toute possibilité de se consacrer à ses responsabilités, sa détention s’avérait « incompatible avec la substance même du droit d’être élu et d’exercer son mandat parlementaire », portant atteinte « au pouvoir souverain de l’électorat qui l’a élu député » (§ 240).
Elle examine alors le grief formulé sur le terrain de l’article 18 combiné avec l’article 5 § 3 en précisant que cet article « ne peut être violé qu’à partir du franchissement d’un seuil considérablement élevé » (§ 260) et en s’appuyant sur l’arrêt Merabishvili pour juger impossible de dissocier les faits d’espèce du « contexte politique et social général » puisque la plupart des accusations portées contre le requérant concernaient directement son « activité politique expressive en tant que leader d’un parti d’opposition sur la scène politique turque » (§ 263). C’est donc bien, là encore, la mise en évidence d’une pratique consistant à utiliser de plus en plus la législation pour étouffer toute dissidence qui mène à un constat de violation : « le climat politique tendu en Turquie au cours des dernières années a créé un environnement capable d’influencer certaines décisions des juridictions nationales, en particulier pendant l’état d’urgence » (§ 271). Le fait que ce soit le maintien en détention du requérant – et non son placement en détention – qui a revêtu un caractère essentiellement politique n’empêche pas la Cour de constater que ce but était devenu prédominant, l’enquête menée à son encontre ayant tout au moins été « accélérée ». Ainsi, en considération de la nature et du degré de répréhensibilité d’un but non conventionnel « d’une gravité incontestable », elle considère une fois encore que le grief concerne « le système démocratique lui-même » (§ 272) et fait application de sa jurisprudence Mehmet Hasan Altan 44 qui concernait un journaliste en jugeant « établi au-delà de tout doute raisonnable que les prolongations de la privation de liberté de l’intéressé, notamment pendant deux campagnes critiques, à savoir le référendum [sur le passage à un régime présidentiel] et l’élection présidentielle, poursuivaient un but inavoué prédominant, […] étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique ». Or, même si la Cour affirme qu’il incombe également à l’Etat de faire cesser au plus vite le maintien en détention sauf à présenter de nouveaux éléments susceptibles de le justifier, n’est-il pas, d’une certaine manière, dérisoire – et dangereusement contreproductif, si la condamnation demeure sans effet – bien qu’absolument nécessaire pour rendre justice au requérant, de condamner l’Etat à verser au requérant 10000 euros au titre du préjudice moral ?
C. Husson–Rochcongar
III. Les contrastes du contentieux de l’éloignement et du contentieux de l’asile
A. L’enracinement de la subsidiarité dans le contentieux de l’expulsion des étrangers délinquants
Dans la confrontation désormais classique du droit au respect de la vie privée et familiale et des nécessités de l’ordre public, trois arrêts d’espèce datant du second semestre 2018 permettent de faire le point sur l’application de la grille « Boultif » 45, développée par la jurisprudence Üner 46 : l’arrêt Assem Hassan Ali c/ Danemark 47, concernant l’expulsion d’un ressortissant jordanien, arrivé au Danemark à l’âge de 20 ans, père divorcé de six enfants danois issus de deux lits, condamné à deux reprises pour trafic de stupéfiants ; l’arrêt Levakovic c/ Danemark 48, concernant l’expulsion d’un ressortissant croate, immigré de très longue date, multirécidiviste depuis son adolescence et enfin, l’arrêt Saber et Boughassal c/ Espagne 49, concernant l’expulsion de deux ressortissants marocains, vivant en Espagne depuis l’âge de 12 ans au moins, plusieurs fois arrêtés et une fois condamnés pour vente de stupéfiants.
Sur le fond, on ne saurait dire qu’une évolution générale se dégage clairement de la mise en parallèle des trois affaires. Le sentiment s’installe plutôt d’une constance dans la casuistique, tant le curseur entre les intérêts en présence reste tributaire des circonstances de la cause. Dans les deux premières affaires comme dans plusieurs autres précédents, le critère pris de la gravité de l’infraction commise apparaît certes prépondérant (Assem Hassan Ali, § 47 et § 63 ; Levakovic, § 44). Et la rupture avec l’arrêt Beldjoudi c/ France 50 est d’autant plus consommée que dans la ligne de la jurisprudence Üner (préc.), l’arrêt Levakovic minore encore le poids accordé à l’âge d’entrée sur le territoire d’accueil, sans imputer à l’Etat de responsabilité différente envers les étrangers qui ont pratiquement passé toute leur vie sous sa juridiction. En l’occurrence, la mise en balance opérée par la Cour élude ainsi complètement l’absence de tout lien effectif avec le pays d’origine, en même temps qu’elle témoigne d’une appréciation renouvelée – plus exigeante – des liens avec l’Etat d’accueil. La durée du séjour n’est décidément plus un indice significatif du degré d’intégration : bien que le requérant soit arrivé au Danemark à l’âge de 9 mois et qu’il y ait toujours vécu, ses condamnations répétées à l’âge adulte sont jugées démontrer une absence persistante de volonté de se conformer aux lois danoises (Levakovic, § 44). A la lumière de ces deux constats unanimes de non-violation, il serait alors tentant de conclure à une inflexion sécuritaire confirmée de la jurisprudence européenne.
Prononcé par une autre section, l’arrêt Saber et Boughassal constitue cependant un contrepoint notable : la focalisation sur le droit au respect de la vie privée (§ 43) n’a pas ici la même incidence que dans l’affaire Levakovic ; il n’est plus question non plus de la légitime fermeté des autorités face aux ravages de la drogue, alors que cette considération s’avère déterminante dans l’affaire Assem Hassan Ali au regard de la protection due à une vie familiale passablement perturbée. Au contraire, la gravité de l’infraction est à peine évoquée en l’espèce, au détour d’une formule lénifiante (§ 50) et c’est précisément sa surpondération au niveau national qui se voit condamnée, dans la mesure où – compte tenu des motifs de l’expulsion – les juges internes se sont dispensés d’apprécier si la mesure était proportionnée au regard de la situation personnelle des requérants (§ 51) et n’ont donc pas effectué la mise en balance requise en toute hypothèse par le respect de l’article 8. A la lumière de ce motif de violation, il est alors permis de penser que la principale évolution du contentieux de l’éloignement des étrangers délinquants tient finalement à l’enracinement d’une logique – de plus en plus assumée – de « subsidiarité encadrée » 51.
En 2017, l’arrêt Ndidi c/ Royaume-Uni 52 avait déjà transposé en la matière le principe selon lequel la Cour ne saurait sans raisons sérieuses substituer son avis à celui des juridictions internes, quand la mise en balance par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par sa jurisprudence. Or ce même principe est formellement répété tant dans l’arrêt Saber et Boughassal (§ 45), qui en est la sanction directe, que dans l’arrêt Levakovic (§ 45). Il affleure également à travers l’appréciation finale portée sur le contrôle juridictionnel interne dans l’arrêt Assem Hassan Ali (§ 63). L’arrêt Ndidi tend donc à faire jurisprudence, sous une réserve qui est loin d’être négligeable : le recadrage de l’office de la Cour à une simple fonction de supervision des procédures nationales, sans contrôle autonome de proportionnalité, ne se vérifie ni dans l’arrêt Assem Hassan Ali, où le juge européen livre sa propre appréciation sur la plupart des critères du juste équilibre (fût-ce pour rejoindre en définitive la position des autorités internes), ni même dans l’arrêt Levakovic. On ne peut que s’en réjouir.
B. Le renforcement de la garantie indirecte du droit d’asile
Si la Convention européenne des droits de l’homme ne garantit pas le droit d’asile en tant que tel, contrairement à la Charte des droits fondamentaux de l’Union par exemple, la jurisprudence de la Cour en protège toutefois indirectement deux éléments essentiels : l’interdiction de refouler ou d’expulser un réfugié vers un territoire où il aurait des craintes fondées d’être persécuté et le droit, qui en est déduit, d’accéder à des procédures d’asile effectives et équitables dans l’Etat où l’intéressé recherche protection. Rendu le 11 décembre 2018 sur le fondement de l’article 3 CEDH, l’arrêt M.A et autres c/ Lituanie 53 se distingue par sa contribution à ce second volet dans le cadre particulier des contrôles aux frontières. Sous couvert de déterminer si les autorités lituaniennes ont dûment apprécié les risques allégués par une famille tchétchène avant de la refouler à trois reprises vers la Biélorussie, la Cour est en effet conduite à statuer sur la question plus inédite des responsabilités des garde-frontières.
S’inscrivant dans une logique pro homine similaire à celle de l’arrêt N.D et N.T c/ Espagne 54, l’analyse est doublement dynamique. Dans les circonstances de la cause, c’est d’abord l’admission de la réalité ou de la validité des demandes d’asile présentées par les requérants qui retient l’attention (ce point étant discuté jusque dans l’opinion dissidente des trois juges minoritaires), puisque la première s’est limitée à écrire en cyrillique, à la place de leur signature sur le formulaire leur notifiant le refus d’entrée, un terme fréquemment employé par les demandeurs tchétchènes pour signifier « asile », tandis que la troisième et dernière a été faite oralement, en russe. Les détails factuels sont importants car ils marquent le refus de la majorité de souscrire à une approche par trop formaliste, qui irait à rebours des positions du HCR (§ 108). Loin d’y voir un facteur exonératoire, la Cour relève à juste titre combien l’absence de formation ou de connaissances linguistiques des garde-frontières est susceptible de préjudicier à l’accès aux procédures d’asile (§ 108) – rappelant ainsi les Etats à l’importance de l’interprétation 55 et aux devoirs qui leur incombent en vertu notamment des normes de l’Union 56. Sur le plan des principes, ensuite, l’arrêt récuse implicitement la thèse d’une différence substantielle de régime entre les refus d’entrée et les mesures d’éloignement, en soumettant en définitive les premiers aux mêmes exigences substantielles et procédurales que celles attachés au respect de l’article 3 pour les secondes. Or, sans être révolutionnaire dans la jurisprudence européenne 57, cette indifférenciation n’en est pas moins conséquente. Il en résulte en l’espèce un constat inexorable de violation, dès lors qu’à aucun poste frontalier, les agents lituaniens n’ont pris en considération les demandes d’asile des requérants, ni n’en ont fait rapport à leurs supérieurs.
En somme, l’arrêt M.A. et autres c/ Lituanie ne garantit certes pas à tout demandeur d’asile un droit d’accès au territoire. Mais il interdit au moins qu’un contrôle frontalier – qui s’est de plus en plus axé sur la lutte contre l’immigration irrégulière dans le contexte de la crise migratoire – n’empêche l’examen d’un besoin allégué de protection 58. C’est donc un nouvel apport à la protection par ricochet du droit d’asile, dans le fil de celle déjà assurée sur le fondement de l’article 5 CEDH par l’arrêt Aamur c/ France 59 et sur le fondement de l’article 8 CEDH par l’arrêt B.A.C. c/ Grèce 60.
C. Boiteux-Picheral
IV. Les fluctuations de la protection européenne des droits de l’homme face aux enjeux sécuritaires
Alors que la préservation de la sécurité publique constitue la ratio commune de nombreux dispositifs nationaux, régulièrement portés devant la Cour de Strasbourg, leur jugement à l’aune du respect des droits de l’homme peut cependant prendre des directions curieusement différentes. Le rapprochement de deux affaires phares du second semestre 2018 est à cet égard le plus édifiant. Car autant l’arrêt Big Brother Watch et autres c/ Royaume-Uni maintient le cadre européen de contrôle à son niveau de rigueur, concernant les ingérences dans le droit au respect de la vie privée résultant des systèmes de surveillance secrète des communications (A), autant l’arrêt de Grande chambre S., V. et A. c/ Danemark l’assouplit à l’égard des privations préventives de liberté destinées à parer des risques de violences (B). Et dans cet ordre d’idées, le thème conduit encore à relever – quitte à déborder quelque peu de la période étudiée – la posture de retrait manifestée par trois décisions d’irrecevabilité, rendues le 7 février 2019, dans des affaires relatives aux conséquences néfastes et parfois meurtrières des couvre-feux instaurés fin 2015 dans certaines régions turques (C).
A. L’encadrement vigilant des systèmes de surveillance massive des communications au regard de l’article 8 CEDH
Sur un sujet des plus sensibles (l’institution et l’exploitation d’une surveillance secrète des communications), le premier intérêt de l’arrêt Big Brother Watch et autres c/ Royaume-Uni 61 est de poursuivre dans la systématisation des critères de conventionnalité des régimes d’interception, d’abord par le rappel des principes généraux qui ressortent de la jurisprudence européenne indépendamment de leur diversité de forme, ensuite et surtout par la confrontation pointilleuse d’une législation britannique – à laquelle les requérant reprochaient d’autoriser une interception massive – aux six exigences minimales que l’affaire Roman Zakharov c/ Russie avait déjà permis à la Grande chambre de dégager 62. Comme rappelé en l’occurrence 63, les dispositions de droit interne applicables doivent ainsi prévoir – pour comporter les garanties requises contre l’arbitraire et les abus – « la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception, la définition des catégories de personnes susceptibles d’être mises sur écoute, la fixation d’une limite à la durée d »exécution de la mesure, la procédure à suivre pour l’examen, l’utilisation et la conservation des données recueillies, les précautions à prendre pour la communication des données à d’autres parties, et les circonstances dans lesquelles peut ou doit s’opérer l’effacement ou la destruction des enregistrements ». Certes, la Cour se refuse à y ajouter les nouvelles exigences que les requérants estimaient nécessaires face à des moyens technologiques de surveillance aujourd’hui plus sophistiqués et intrusifs (§§ 316-320). Mais même sans cette actualisation, les conditions fixées par l’arrêt Roman Zakharov lui suffisent pour dénoncer d’une part, l’absence de surveillance adéquate notamment du choix des porteurs pour l’interception et le filtrage des communications, d’autre part, l’absence de véritables garanties applicables à la sélection des données de communication appelant un examen. Il s’ensuit donc un premier motif de violation de l’article 8, sans que l’ample marge d’appréciation consentie aux Etats pour assurer la sécurité de leur population n’ait aucun effet exonératoire (§§ 387-388). En outre, l’arrêt Big Brother watch ajoute bien à l’état du droit sur un autre terrain. Car son deuxième intérêt est d’approfondir encore la systématisation opérée, en étendant l’essentiel des six exigences minimales de l’arrêt Roman Zakharov à la question inédite et distincte du partage des contenus interceptés avec des gouvernements étrangers (§§ 423-424). Et si sur ce point, le droit interne échappe à la censure, ce n’est pas seulement par égard à la gravité de la menace terroriste et à la complexité des réseaux terroristes internationaux (§§ 485-486), mais aussi – voire surtout – par référence aux solides garanties dont s’entoure la base légale du partage de renseignements avec les Etats-Unis au Royaume-Uni.
Enfin, l’arrêt Big Brother Watch présente encore ce troisième et dernier intérêt de manifester la synergie qui s’établit avec le droit de l’Union européenne sur la question encore différente de l’obtention des données de communication auprès des opérateurs. Suite à l’arrêt Digital Rights 64 qui avait invalidé la directive 2006/24 sur la conservation des données générales ou traitées dans le cadre de services et de réseaux de communication accessibles au public, faute de garanties appropriés au regard du droit au respect de la vie privée et des données personnelles, la Cour de justice de l’Union européenne a en effet jugé que le droit de l’Union s’opposait tout autant à une règlementation nationale – telle celle du Royaume-Uni – qui ne limite pas l’accès des autorités publiques aux données de localisation aux seules fins de lutte contre la criminalité grave, ni ne soumet ledit accès à un contrôle indépendant préalable 65. Admise par le gouvernement et actée par les juridictions britanniques, cette incompatibilité conduit donc le juge de la Convention à considérer que le régime d’obtention des données litigieux ne peut passer pour être « prévu par la loi » au sens de l’article 8 CEDH. D’où un second chef de violation, indépendant cette fois des critères Roman Zakharov mais qui témoigne de la réceptivité de la Cour de Strasbourg à la jurisprudence de la Cour de Luxembourg (cf. § 463).
Au total, on serait donc tenté de conclure que si les systèmes de surveillance secrète ravivent la lancinante problématique du « quis custodiet ipsos custodes ? » (qui surveillera les surveillants ?) dans une démocratie, l’arrêt Big Brother Watch lui apporte une réponse plutôt rassurante. Toutefois, l’affaire n’est pas définitivement close, puisque son renvoi en Grande chambre a été demandé…
B. La légitimation régressive des privations préventives de liberté au regard de l’article 5 CEDH
Destiné à « clarifier et adapter la jurisprudence de la Cour relative à l’aliéna c de l’article 5 § 1 », l’arrêt de Grande chambre S., V. et A. c/ Danemark 66 est cependant loin de la faire progresser, en autorisant le recours à des privations préventives de liberté pour parer les risques d’affrontements entre spectateurs lors des rencontres de football et en en appréciant souplement les critères de conventionnalité. Délivré à propos de l’arrestation et de la détention pendant sept à huit heures de quelques soixante-dix personnes venues assister à un match à Copenhague (dont les trois requérants), en application de l’article 5§3 de la loi danoise sur la police, cet apport de principe recouvre en effet une double inflexion de fond.
Jusqu’à présent et sauf à s’inscrire dans le cadre d’une procédure pénale, une détention de courte durée destinée éviter un acte de violence imminent ne semblait pouvoir être légitimée que si elle visait à « garantir l’exécution d’une obligation prévue par la loi », au sens de l’article 5 § 1 b) 67. Sur ce dernier terrain, la Grande chambre reste certes dans la ligne de la jurisprudence antérieure 68, en répétant que l’obligation de ne pas commettre d’infractions pénales dans un futur immédiat ne saurait en soi constituer un fondement approprié, tant que les autorités n’ont pas ordonné de mesures précises qui n’ont pas été respectées (§ 83). Mais l’inapplicabilité de cette exception en l’occurrence se paie au prix d’une véritable relecture de l’article 5§1 c), qui s’inscrit pour sa part dans une forme d’évolutivité à rebours. Primo, en admettant que la nécessité d’empêcher une personne de commettre une infraction constitue un motif distinct de détention, indépendant de celui tenant à des raisons plausibles de soupçonner que l’intéressé en a déjà commis une, l’arrêt S.,V. et A. en revient à l’interprétation ancienne de l’arrêt Lawless 69, jugée mieux correspondre au libellé de la Convention et à l’intention de ses négociateurs. Mais ce faisant, la Grande chambre ne fait ni plus ni moins que renverser l’œuvre jurisprudentielle qui s’était développée, ultérieurement, à partir de l’arrêt Ciulla c/ Italie 70 et qui avait abouti dans l’arrêt Ostendorf c/ Allemagne 71 à considérer que l’article 5 § 1 c) s’applique seulement à la détention provisoire et non à la garde à vue à but préventif, ordonnée sans que la personne concernée ne soit soupçonnée d’avoir déjà commis une infraction pénale. Secundo, l’arrêt S.,V. et A. se distancie pourtant de cette même jurisprudence Lawless en tant qu’elle soumettait les trois séries de circonstances visées à l’article 5§1 c) à l’exigence commune que la privation de liberté ait pour but de conduire l’individu concerné devant l’autorité judiciaire compétente. Prenant acte du problème soulevé « depuis plusieurs décennies », et dans différents Etats membres, par les violences et les débordements des spectateurs lors des rencontres sportives (et donc en jouant implicitement de la règle d’interprétation de la Convention « à la lumière ces conditions actuelles »), la Grande chambre établit en effet que l’exigence de but ne devrait pas en elle‑même faire obstacle à une courte privation de liberté préventive lorsqu’un individu est libéré soit parce que le risque a disparu soit, par exemple, parce qu’un délai légal court a expiré (§ 126). C’est dire que l’article 5 § 1 c) n’impose plus désormais qu’une intention subjective de déférer l’intéressé devant un juge ait présidé dans tous les cas à la privation de liberté : il s’applique aussi quand le seul objectif des autorités est de relâcher les personnes arrêtées, une fois le risque passé. Et c’est alors pousser bien plus loin dans la « souplesse » que l’arrêt Brogan 72, où il avait été seulement admis que l’absence de concrétisation de cette intention n’implique pas nécessairement la non-conformité du but poursuivi à l’article 5 § 1 c)…
En complet porte-à-faux avec le principe d’une interprétation étroite des exceptions limitativement énumérées à l’article 5 § 1, la flexibilité dont la Cour fait ici preuve tend ainsi à adapter la garantie du droit à la liberté et à la sûreté aux enjeux sécuritaires, plutôt que l’inverse. Parmi les divers arguments – assez fragiles – qui sont mobilisés au soutien des nouveaux principes dégagés par l’arrêt S., V. et A. 73, domine d’ailleurs le souci itératif et central « que les policiers ne se trouvent pas dans l’impossibilité pratique d’accomplir leur devoir de maintien de l’ordre et de protection du public » (§ 116, § 123), renforcé par la prise en considération des obligations que leur créent à cet égard les articles 2 et 3 de la Convention (§ 124). En contrepoint, des limites sont certes fixées. Le droit national doit offrir les garanties requises par l’article 5§3 concernant la durée de la détention avant présentation à un juge et par l’article 5§5 sur le droit à réparation, le respect de l’article 5§3 supposant – dans le cas particulier d’une privation préventive de liberté – que la libération intervienne « plus tôt qu’un contrôle juridictionnel à bref délai », soit quelques heures après l’arrestation plutôt que quelques jours (§ 134). Surtout, la condition de nécessité, qui s’applique au second volet de l’alinéa c) comme au premier, exige notamment que des mesures moins sévères aient été envisagées et jugées insuffisantes et que l’infraction qu’il s’agit d’empêcher comporte un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des personnes ou un risque d’atteinte importante aux biens (§ 161). A la lumière de leur application à l’espèce, imprégnée par la marge nationale d’appréciation reconnue aux policiers, il est néanmoins permis de s’interroger sur la valeur de ces garanties dès lors qu’une large majorité de la Grande chambre ne s’est pas même arrêtée au manque de précision du droit interne, qui permet aux forces de l’ordre de retenir des individus pendant un laps de temps « si possible, inférieur à six heures » pour écarter un « risque de trouble à l’ordre public ou un danger pour la sûreté publique » sans autres indications.
Révélateur d’un dialogue des juges à front renversé, qui voit la juridiction européenne des droits de l’homme s’aligner en définitive sur la position contestable et contestataire d’une juridiction suprême nationale 74, l’arrêt S., V. et A. ouvre donc – après l’arrêt Austin et autres c/ Royaume-Uni 75 – une brèche préoccupante dans l’interprétation d’une disposition pourtant réputée l’une des plus fondamentales de la Convention avec les articles 2 et 3.
C. L’application rigoriste de la subsidiarité aux requêtes portant sur des couvre-feux en Turquie
Les décisions d’irrecevabilité, prononcées en chambre, à propos d’évènements survenus en décembre 2015 lors de période de couvre-feux dans le sud-est de la Turquie 76 donnent à voir une autre forme de contention du contrôle européen, non pas dans l’équilibre entre les enjeux de fond, mais dans l’articulation avec le niveau national de garantie.
En effet, malgré la gravité des violations alléguées (atteintes notamment au droit à la vie dans le chef d’une victime décédée des suites de ses blessures faute d’avoir été secourue en temps et en heure), les requérants sont implacablement renvoyés aux remèdes internes, sans qu’aucune circonstance exceptionnelle ne soit retenue à leur bénéfice pour les dispenser d’attendre que la Cour constitutionnelle turque finisse par statuer au fond sur leur cause (pendante depuis un à trois ans selon le cas). Ni le rejet par cette juridiction de leurs demandes de mesures provisoires, ni la durée des procédures ne sont jugées de nature à faire douter « à ce stade » de l’effectivité de la voie de droit. Se retranchant derrière la subsidiarité de son office, la Cour européenne des droits de l’homme considère, dans tous les cas, que sa propre saisine est prématurée tant que le juge constitutionnel ne s’est pas prononcé et cette circonstance est même opposée par la majorité, dans l’affaire Orhan Tunç, à l’examen des griefs tenant à une violation de l’article 34 de la Convention pour méconnaissance des mesures provisoires ordonnées par le juge européen.
Dès lors, si toute perspective européenne n’est pas définitivement fermée aux requérants (invités dans cette même affaire à introduire une autre requête au cas où des faits nouveaux viendraient à démontrer l’ineffectivité du recours interne), le signal est au moins aussi dissuasif pour tout requérant tenté de se précipiter à Strasbourg, qu’il se veut peut-être incitatif à l’égard du juge constitutionnel… Ainsi la Cour ne se pose-t-elle qu’en arbitre vraiment ultime entre les exigences de la sécurité nationale et celles tenant à la protection des droits fondamentaux.
C. Boiteux-Picheral
V. Religions et CEDH
A. La condamnation de l’application de la Charia en Grèce
De plus en plus, le juge européen est saisi d’affaires qui mettent en cause directement ou indirectement des pratiques, mécanismes issus de prescriptions coraniques, avec un changement d’attitude perceptible depuis la décision Dahlab c/ Suisse relatif au port du foulard islamique par une institutrice 77. En effet, la Cour n’hésite plus à apprécier ces règles religieuses au regard des valeurs fondamentales de la Convention 78. En ce sens, elle a pu juger que le port du foulard islamique n’est pas compatible avec le principe de l’égalité des sexes. La manifestation la plus évidente, quoique sujette à critique, se retrouve formulée dans l’arrêt Refah Partisi en 2003 dans lequel la Cour a estimé qu’il « est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la Charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention » 79. S’interrogeant sur cette évolution significative de la jurisprudence européenne, le Professeur Flauss concluait son analyse en ces termes : « Faut-il pour autant conclure que, ce faisant, le juge européen des droits de l’homme est désormais disposé à se prononcer sur la conventionnalité de règles religieuses assimilables à des différences de traitement discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention (…) Il serait tout aussi illusoire de le craindre que de l’espérer. Mais on conviendra néanmoins qu’à défaut de débloquer la porte la Cour a, malgré tout, entrebâillé une fenêtre… » 80. Le moins que l’on puisse dire est que l’arrêt de grande chambre Molla Sali c/ Grèce fait incontestablement écho à ces propos, confirmant l’intuition du Professeur Flauss…
Les données du litige, qui ont braqué la Cour sous les feux des projecteurs, doivent être brièvement rappelés. La requérante contestait l’arrêt de la Cour de cassation grecque ayant invalidé le testament de son mari (qui lui léguait tous ses biens), membre de la communauté musulmane de Thrace, au motif que les questions de succession au sein de cette communauté devaient être réglées par le « mufti » selon les règles de la loi islamique. La validité du testament fût contestée par les sœurs du défunt qui se prévalaient du traité de Sèvres de 1920 et du traité de Lausanne de 1923 pour demander l’application de la loi sacrée musulmane et, par conséquent, les trois-quarts de l’héritage. A l’exception du testament islamique, la Charia ne reconnaît que la succession ab intestat. Les juges du fond rejetèrent cette demande, la Cour d’appel écartant ainsi la compétence du mufti en matière de succession par voie de testament public et soulignant le respect de la volonté du défunt. A cette interprétation de la Charia comme loi spéciale ne devant pas priver les musulmans de leurs droits contre leur volonté, la Cour de cassation opposa la compétence obligatoire du mufti et à la nature des biens successoraux transmis – qui appartiennent à la catégorie des biens « possédés en pleine propriété » (moulkia) – laquelle rendait invalide le testament public du défunt. Devant la Cour européenne, la requérante allègue notamment la violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 du 1er protocole additionnel. Pour la première fois donc, celle-ci devait se prononcer sur la conventionnalité de règles religieuses assimilables à des différences de traitement discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention 81. Comme le rappelle la Cour dans la partie « en droit », ce particularisme religieux des musulmans grecs découle de plusieurs traités internationaux (Traité de Sèvres du 10 août 1920, Traité de Lausanne du 24 juillet 1923) adoptés à la suite du premier conflit mondial, exemptant « les habitants musulmans de la Thrace occidentale » et « les habitants grecs de Constantinople » de l’échange de populations conclu entre la Grèce et la Turquie. Le Traité de Lausanne prévoit que la Turquie permet aux minorités non-musulmanes de régler les questions de « statut familial ou personnel » selon « les usages de ces minorités » (article 42) et attribue les mêmes droits « à la minorité musulmane » de Thrace occidentale (article 45). En application de ces dispositions, la Grèce a adopté plusieurs textes reconnaissant le rôle des muftis et permettant l’application de la loi sacrée de l’Islam en matière de statut personnel. L’application de la Charia a donc pour fondement des traités internationaux.
La lecture des premiers éléments de l’arrêt, en particulier le rappel des constatations de plusieurs organes internationaux de protection des droits de l’homme (§§70-77), laisse clairement apparaître le caractère problématique de ce particularisme, en ce qu’il conduit à l’application de règles religieuses discriminatoires à l’encontre des femmes musulmanes en matière de divorce et de succession. Aussi, compte tenu de ce consensus européen et international, toutes les tierces-interventions (§§114-121) appelaient la Cour à ne pas délivrer un blanc-seing à l’Etat grec dans la réglementation de l’autonomie religieuse des minorités. En ce sens, ce n’était pas la mise en place de tribunaux religieux qui était discuté ici, mais plutôt l’application obligatoire de règles religieuses.
En l’espèce, la Cour n’était pas appelée à se prononcer sur la question générale de la conventionnalité de la Charia, mais seulement à « rechercher si la requérante, une femme mariée bénéficiaire du testament de son mari musulman, se trouvait dans une situation analogue ou comparable à celle d’une femme mariée bénéficiaire du testament d’un mari non musulman » (§ 138). Ce point est singulièrement important et permet de comprendre les raisons pour lesquelles la Cour ne s’est pas référée à l’arrêt Refah Partisi concernant la dissolution d’un parti politique qui souhaitait instaurer la Charia en Turquie. Autrement dit, rien ne justifiait que dans le cadre de l’appréhension contextuelle de l’affaire, la Cour élargisse son angle d’analyse et examine in abstracto « la question plus large des conséquences de l’application d’un régime légal tel que la Charia, issu d’un cadre de traditions culturelles juridiques différentes, dans l’espace juridique européen » 82. Un tel examen aurait d’ailleurs pu être extrêmement délicat et conduire la Cour à être plus sensible à l’argument du contexte historique. Il n’est donc ici nullement question d’un revirement de jurisprudence quant au constat de l’incompatibilité des règles de la Charia avec les valeurs de la Convention 83. L’arrêt se focalise sur la situation factuelle de l’espèce. Or, dans le présent cas, la requérante, qui était bien dans une situation analogue à celle d’une bénéficiaire d’un testament établi conformément au code civil par un testateur n’étant pas de confession musulmane, a été traitée différemment sur le fondement de la religion du testateur. Au regard des nombreux traités prévoyant un régime spécifique pour la minorité musulmane de Thrace, l’existence d’un but légitime était acquise, même si l’on regrette que la Cour ait ici pratiqué une stratégie de contournement du conflit normatif. L’arrêt ne dit mot en effet de la question de la hiérarchie entre les obligations internationales de la Grèce relatives à la protection de cette minorité et ses obligations au titre de la Convention, même si l’on savait déjà qu’un Etat contractant ne peut exciper d’une convention internationale antérieure à son adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme pour se soustraire aux engagements souscrits au titre de cette dernière. En ce qui concerne la proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, la Cour va prendre l’Etat défendeur à son propre jeu en dévoilant, avec raison, son hypocrisie : la Grèce avait admis dans l’affaire Serif (préc.) que les traités de Sèvres et de Lausanne n’obligeaient pas les autorités nationales à appliquer la Charia (§ 151). Ensuite, tout en rappelant le principe selon lequel il appartient aux juges nationaux d’interpréter et d’appliquer le droit interne, l’arrêt pointe les incohérences des tribunaux grecs sur la question de la conformité de l’application de la Charia au principe de l’égalité de traitement et aux normes internationales de protection des droits de l’homme (§ 153). Enfin, et c’est sans doute le point décisif de l’arrêt, la Cour se rallie aux constatations des différents organes internationaux sur la discrimination au détriment des femmes créée par l’application de la Charia aux musulmans grecs de Thrace occidentale pour mieux souligner la position isolée de la Grèce, seul Etat membre du Conseil d’Europe à prévoir l’application de la Charia à une partie de citoyens contre leur volonté (§ 158). Au-delà du caractère discriminatoire de cette application obligatoire de règles religieuses 84, il est évident que l’arrêt Molla Sali c/ Grèce marque sans conteste la volonté de la Cour de rendre un arrêt de principe dans le domaine de la protection des minorités. Ainsi, dans ce qui peut être vu comme un des paragraphes clés de l’arrêt, affirme-t-elle catégoriquement que « refuser aux membres d’une minorité religieuse le droit d’opter volontairement pour le droit commun et d’en jouir (…) constitue également une atteinte à un droit d’importance capitale dans le domaine de la protection des minorités, à savoir le droit de libre identification » (§ 157). Ce faisant, si l’État peut assumer le rôle de garant de l’identité minoritaire d’un groupe spécifique de sa population, il ne peut le faire au détriment du droit de ses membres de choisir de ne pas appartenir à ce groupe ou de ne pas suivre les pratiques et les règles de celui-ci. Il s’agit là d’un principe essentiel du droit international des droits de l’homme. Le constat de l’inconventionnalité apparaît cependant daté dans la mesure où le juge européen prend acte de la modification législative intervenue le 15 janvier 2018 visant à abolir le régime spécifique imposant le recours à la Charia pour le règlement des affaires familiales de la minorité musulmane. L’arrêt conclut à l’unanimité à une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention 85. Comment, dans ces conditions, comprendre que certains aient reproché à la Cour d’avoir ouvert la voie à l’application de la Charia ? On le sait, cet arrêt n’a pas manqué de susciter une campagne violente de la part des médias ou de personnalités habituellement hostiles à la Cour. On a beau chercher, on peine à trouver dans l’arrêt un indice allant dans ce sens. Quoiqu’en disent les contempteurs de cet arrêt, la Cour dit exactement le contraire. Quid, par ailleurs, des incidences de l’arrêt sur l’application de la Charia dans tout ou partie d’un territoire d’un État membre du Conseil de l’Europe ? Qu’il s’agisse des Sharia council au Royaume-Uni ou de l’application de la coutume mahoraise, une différence notable existe avec le cas grec : la Charia ne peut pas être imposée aux personnes « contre leur volonté » 86. A y regarder de près, l’arrêt s’inscrit certes dans un contexte très particulier mais ses incidences éventuelles sur les territoires français où le respect d’un statut personnel particulier est constitutionnellement garanti sont loin de relever de l’ordre du virtuel 87. Est-ce à dire, par ailleurs, que tout consentement à l’application de règles religieuses serait jugé compatible avec la Convention ? Bien évidemment non. Si l’arrêt sanctionne en l’espèce le fait que la requérante n’avait pas le choix de se soustraire à l’application d’un régime spécifique censé protéger la minorité musulmane, cela ne signifie nullement que la Cour encourage à une application volontaire et optionnelle de la Charia ! Encore faut-il que cette application ne heurte aucun intérêt public important 88. Enfin, il est permis de penser que l’aspect négatif du « droit de libre identification » des membres des minorités fait désormais partie de l’ordre public européen opposable à des jugements étrangers qui appliqueraient des règles discriminatoires fondées sur des principes religieux.
B. Libre critique des religions : réitération d’une jurisprudence classique trop protectrice du droit au respect des sentiments religieux
On le sait, sur la question de la critique des religions, la Cour fait preuve de prudence au nom de la défense de la marge d’appréciation de l’Etat en matière de protection des sentiments religieux. A ses yeux, les autorités sont mieux placées pour déterminer quelles sont les déclarations susceptibles de troubler la paix religieuse dans un pays. L’arrêt E.S/ Autriche du 25 octobre 2018 (qui est définitif) en constitue une illustration supplémentaire. Dans le cadre de cette affaire dans laquelle la requérante contestait sa condamnation pour dénigrement de doctrines religieuses, la Cour retient sans surprise un constat de non-violation de l’article 10 de la Convention. En l’espèce, l’intéressée qui animait depuis 2008 plusieurs séminaires sur l’islam, avait insinué que le prophète Mahomet avait des tendances pédophiles. Depuis son arrêt de principe en la matière 89 relatif à la condamnation pénale du requérant pour avoir publié un ouvrage traitant de questions théologiques et comportant certains passages sur la vie du prophète Mahomet, elle avait ainsi conclu à une non-violation de l’article 10 de la Convention en considérant qu’il s’agissait d’une attaque offensante relativement à des questions considérées comme sacrées par les musulmans. La solution arrêtée était loin d’avoir été consensuelle, puisqu’adoptée par quatre voix contre trois. L’arrêt E.S/ Autriche s’inscrit dans cette lignée jurisprudentielle relativement bien balisée. Les critères appliqués par la Cour sont des plus classiques : publicité donnée aux séminaires (§ 51), absence de contribution à un débat d’intérêt général (§ 52), qualification des propos en jugements de valeur dépourvus d’une base factuelle suffisante (§ 54), sanction pénale proportionnée (§ 56 ; il s’agissait en l’espèce d’une amende de 480 euros). Le raisonnement n’a rien de nouveau, si ce n’est l’affirmation inédite à notre sens de la formule selon laquelle « même dans le cadre d’une discussion animée, il n’est pas compatible avec l’article 10 de la Convention de faire des déclarations accusatrices sous le couvert de l’expression d’une opinion par ailleurs acceptable et de prétendre que cela rend tolérable ces déclarations qui outrepassent les limites admissibles de la liberté d’expression » (§ 55). L’arrêt laisse l’impression d’une appréciation pour le moins bienveillante de la proportionnalité, qui prend pour argent comptant les justifications avancées par les juridictions autrichiennes. Le contrôle du juste équilibre des intérêts en présence s’opère encore en faveur du droit au respect des sentiments religieux. Et c’est justement sur ce point que le bât blesse. En effet, cette jurisprudence, faisant la part belle « au conformisme, à la pensée unique, et [qui] tradui[t] une conception frileuse et timorée de la liberté de la presse 90, est loin d’être convaincante. Ainsi, il convient de donner raison au regretté Professeur Flauss qui considérait avec une sévérité tout à fait compréhensible qu’au « regard de l’avenir de la liberté d’expression en Europe, la position de la Cour est éminemment dangereuse : par anticipation, elle a donné pleine satisfaction aux revendications très récentes émanant d’autorités religieuses ou politiques du monde musulman, principalement arabe, intimant aux pays européens de restreindre la liberté d’expression pour tenir compte des sentiments des musulmans qui font désormais partie intégrante des sociétés occidentales » 91. Il serait temps que la Cour rééquilibre sa jurisprudence. Cela étant, force est de constater que la solution retenue a souvent été mal comprise. D’une part, si la Cour accepte une législation sur le blasphème pour les propos les plus injurieux 92, elle ne consacre pas un délit de blasphème. Il ressort très clairement de la jurisprudence conventionnelle qu’aucune obligation n’impose aux Etats d’adopter une législation spécifique pénalisant la liberté d’expression contre le respect des convictions religieuses. D’autre part, la thèse d’une différence de traitement entre islam et christianisme ne résiste pas à l’analyse. La jurisprudence européenne montre au contraire que tant la religion chrétienne que l’islam bénéficient de cette protection contre la représentation provocatrice d’objets de vénération religieuse. La Cour a même validé une législation sur le blasphème qui ne concernait que la protection de la foi chrétienne 93.
C. Variations autour du port d’un hijab dans un tribunal
L’arrêt Lachiri c/Belgique du 18 septembre 2018 (n°3413/09), constitue une pièce supplémentaire à verser au dossier déjà passablement étoffé du port des signes religieux 94. Relatif à la condamnation membre d’un groupe wahhabite, témoin dans le cadre d’un procès pénal, à verser une amende pour outrage à magistrat pour avoir refusé d’enlever sa calotte, l’arrêt Hamidovic avait conclu à la violation de l’article 9 au motif que le requérant, simple témoin dans un procès, n’était pas soumis à l’instar des agents publics à un devoir de neutralité (obs. M. Afroukh, cette chronique, RDLF, 2018, chron. n° 11). La solution de l’arrêt Lachiri va dans le même sens. Etait en cause ici l’exclusion de la requérante de la salle d’audience d’un tribunal en raison de son refus d’ôter son hijab. Mais l’affaire présente une triple originalité. Primo, in specie, la Cour aurait pu fonder son constat de violation sur le défaut de l’accessibilité de la base légale nationale. En effet, l’exclusion de la requérante de la salle d’audience a été prise sur le fondement de l’article 759 du code judiciaire qui prévoit que « celui qui assiste aux audiences se tient découvert, dans le respect et le silence ; tout ce que le juge ordonne pour le maintien de l’ordre est exécuté ponctuellement et à l’instant. ». Or, comme l’a expliqué le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand dans sa tierce intervention, cette disposition, reprise de l’ancien code judiciaire adopté au dix-neuvième siècle, répondait à des considérations circonstancielles (§ 28). Surtout, son application par les juges belges était très aléatoire et n’intervenait qu’en présence d’un comportement perturbateur. Selon la Cour, si l’exigence d’accessibilité du texte était manifeste, sa prévisibilité faisait défaut dès lors qu’une « incertitude, source d’insécurité juridique, existe quant à l’application de la disposition litigieuse par les magistrats belges » (§ 35). Pour preuve, en l’espèce, devant la Cour de cassation, la requérante a pu se présenter revêtue de son voile. Alors que le contrôle du respect de la condition de légalité suffisait à fonder le constat de violation de l’article 9, la Cour, une fois n’est pas coutume, va poursuivre son contrôle par l’examen du but légitime et de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, au grand dam des juges Vucinic et Gritco qui déplorent que l’arrêt n’ait pas pris au sérieux le contrôle de la base légale. Selon toute vraisemblance, la Cour souhaitait se prononcer sur le fond afin de dévoiler un « bloc de jurisprudence, révélateur d’une continuité jurisprudentielle » 95, quitte à renier « l’ordre logique de son raisonnement » 96. Secundo, singulière l’affaire l’était également dans la mesure où contrairement à la plupart des affaires mettant en cause une restriction au port d’un symbole religieux, le gouvernement ne se plaçait pas sur le terrain de la neutralité pour justifier l’exclusion de la requérante de la salle d’audience mais sur celui de la police de l’audience (§ 37). Dans le prolongement de l’arrêt Hamidovic, la Cour relève que la requérante est une simple citoyenne qui ne peut être soumise, « en raison d’un statut officiel, à une obligation de discrétion dans l’expression publique de ses convictions religieuses » (§ 44). Au surplus, la requérante n’ayant eu aucun comportement irrespectueux, l’objectif de maintien de l’ordre ne peut être retenu. Tertio, l’arrêt relève, au détour d’un obiter dictum, qu’un « tribunal est en effet un établissement “public“ dans lequel le respect de la neutralité à l’égard des croyances peut primer sur le libre exercice du droit de manifester sa religion, à l’instar des établissements d’enseignement publics » (§ 45). C’est dire, en d’autres termes, que l’objectif de neutralité, qui est ici rattaché au lieu, peut être invoqué par les Etats pour justifier des restrictions au port de signes religieux dans un tribunal. L’arrêt conclut à la violation de l’article 9. A l’instar de l’opinion dissidente du juge Ranzoni sous l’affaire Hamidovic, la juge Mourou-Vikström regrette que l’argumentation de la Cour n’ait pas été placée son sous l’égide du principe de subsidiarité, en s’appuyant notamment sur l’absence de consensus européen en la matière. Il semble pourtant qu’une minorité d’Etats ait opté pour une interdiction de signes religieux dans un tribunal (§ 21 de l’arrêt Hamidovic : absence de réglementation du port des signes religieux dans le prétoire au sein de 38 Etats membres[/foot]. A notre sens, la solution doit au contraire être approuvée même si la motivation en fragilise la portée. La circonstance que les Etats disposent habituellement d’une large nationale d’appréciation dans ce domaine ne signifie pas qu’ils se voient accorder un blanc-seing. Lorsque ne sont pas en cause des agents de l’Etat, le libre exercice du droit de manifester sa religion doit rester la règle et la restriction l’exception (pour deux raisons : maintien de l’ordre et neutralité en fonction du lieu). S’agissant du cas français, on relèvera qu’il appartient au président de l’audience d’apprécier si le port d’un signe religieux par une personne assistant à l’audience est de nature à porter atteinte à la sérénité de la justice 97). En revanche, une certaine obligation de neutralité s’impose aux jurés, désignés ou suppléants, du moins lors de la prestation de serment 98.
M. Afroukh
VI. Du rappel bienvenu de la « contextualisation » du contrôle des restrictions à la liberté d’expression
La liberté d’expression est « l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun » selon la belle formule de l’arrêt Handyside c/Royaume-Uni. Ou, si l’on préfère le dire autrement, plus qu’un droit subjectif, il s’agit d’un principe fondamental pour la vie démocratique. Ce rappel en forme d’évidence est singulièrement important car il conduit la Cour à fustiger tout discours qui nierait les valeurs de la société démocratique. Ainsi, note-t-elle qu’« on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner voire de prévenir toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance » 99. Somme toute, sa fermeté face à de tels discours haineux n’a d’égal que son opiniâtreté à défendre la liberté d’expression. Pareille aversion s’étend aux discours haineux en ligne 100. Il appert de la jurisprudence que si le juge européen se réfère dans ses arrêts à des définitions des discours haineux 101, son contrôle obéit à une démarche casuistique 102. Faisant écho au caractère concret de son office, semblable approche le conduit à s’intéresser aux circonstances dans lesquelles les propos ont été tenus. Aussi, prend-il en considération plusieurs variables : les interlocuteurs en présence, le but poursuivi par l’auteur des propos, le support utilisé, les répercussions potentielles des propos litigieux, … De nombreuses solutions peuvent être rattachées à cette exigence d’une contextualisation du contrôle.
En témoigne de manière évidente l’affaire Savva Terentyev c/ Russie (28 août 2018, n°10692/09) dans laquelle des remarques insultantes sur des policiers publiés sur un blog n’ont pas été considérés comme un discours de haine (« “Je déteste les flics, putain de merde“ ; les policiers ne sont “que des flics (…) voyous et décérébrés“ et “les représentants les plus cons et les moins éduqués de la gent animale“ ; chaque ville russe devrait avoir un four “comme à Auschwitz“ pour brûler les “flics infidèles“ avant de “nettoyer la société de ces pourritures de flics-voyous“ »). Pour ce faire, le juge européen s’intéresse au contexte dans lequel ils ont été formulés. Ceux-ci sont intervenus dans le cadre d’une discussion animée sur une perquisition par la police du bureau d’un journal qui soutenait un candidat de l’opposition. L’existence d’un contexte électoral joue donc ici en faveur de la liberté d’expression, « il est particulièrement important, au cours de la période précédant une élection, de permettre la libre circulation des opinions et des informations de toutes sortes » (§ 70). Même en présence d’un discours dont la Cour reconnaît le caractère hostile et agressif, une approche libérale l’emporte car la teneur des remarques ne visait nullement à appeler à la violence contre les policiers. Selon la Cour, la référence aux camps d’Auschwitz ne suffit pas à le discréditer, la protection des droits des survivants de l’Holocauste n’ayant jamais été invoquée (§ 72, Adde Cour EDH, 26 nov. 2015, Annen c/ Allemagne, n° 3690/10). L’analyse du contenu des remarques n’est pas sans rappeler la jurisprudence européenne concernant la question kurde en Turquie. Relevant davantage de la métaphore provocatrice (§ 74), s’adressant à la police en tant qu’institution publique (§ 75), n’intervenant pas dans le cadre d’un contexte social et politique sensible (§ 77), les remarques litigieuses bénéficiaient pleinement de la protection de la liberté d’expression. Le constat de violation de l’article 10 tient compte de l’impact potentiel limité du texte publié qui n’est resté en ligne que pendant un mois sans avoir attiré l’attention du public (§ 79). In fine, ce qui est reproché aux juges internes, c’est cette absence de contextualisation dans la mise en balance des intérêts en présence.
Un autre cas particulièrement significatif de cette exigence de contextualisation est sans conteste l’arrêt Kaboğlu et Oran c/ Turquie (30 oct. 2018, n° 1759/08, 50766/10, et 50782/10). Rendu à propos de la publication d’articles de presse contenant des attaques verbales et les menaces physiques l’encontre des requérants, professeurs d’Université, en raison des idées qu’ils avaient formulées dans un rapport portant sur les droits des minorités et les droits culturels et destiné au Gouvernement, l’arrêt met l’accent sur la nécessité d’examiner « avec une attention particulière, à la lumière des critères susmentionnés, les termes employés dans les articles litigieux, le contexte de leur publication et leur capacité à nuire » (§ 83). L’analyse du contenu des publications litigieuses se combine avec celle de leur impact. Le juge européen est d’avis que certains passages (« je vous le jure, le prix du sol est le sang et, s’il le faut, le sang sera versé. »; « À mon avis, si on avait tabassé ces personnes, les gens auraient été soulagés. Ces pro-Sèvres méritaient une bonne raclée…) » attisaient la haine contre les requérants et les exposait à un risque de violence physique, « d’autant plus qu’elles étaient publiées dans des quotidiens à diffusion nationale » (§ 85). De toute évidence, les juges internes n’ont pas pris au sérieux la gravité de tels propos livrant les intéressés à la vindicte publique. Le constat de violation de l’article 8 est sans appel.
L’affaire Mariya Alekhina et autres c/ Russie (17 juill. n° 38004/12), relative à la condamnation et l’emprisonnement de trois membres du groupe punk Pussy Riot qui avaient tenté d’interpréter l’une de leurs chansons protestataires dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou en 2012, mérite également une attention particulière. Bien qu’elle réaffirme dans la droite ligne de l’arrêt Appleby et autres c/ Royaume-Uni 103 que « [l’article 10], malgré l’importance reconnue à la liberté d’expression, ne donne pas la liberté de choisir un forum en vue d’exercer ce droit » (§ 213), la Cour se focalise d’emblée sur la sévérité de la sanction infligée aux requérantes, à savoir une condamnation à une peine de prison d’un an et onze mois, alors même que leur action n’a perturbé aucun service religieux, ni causé de blessures à des personnes se trouvant à l’intérieur de la cathédrale ou de dommages aux biens de l’église. La base juridique retenue par les juridictions internes a en effet de quoi surprendre, les requérantes ayant été poursuivies pour « hooliganisme motivé par la haine religieuse » en raison de leur comportement au sein de la cathédrale (port de cagoules, mouvements corporels, langage fort…) et non pour les paroles de leur chanson. La Cour se montre particulièrement pédagogue en rappelant patiemment l’ensemble des critères à prendre en considération pour apprécier la nécessité d’une ingérence à la liberté d’expression, en présence de propos présumés avoir incité à la haine ou à la violence (§ 217 et s.). Elle vient même fournir un vade mecum aux autorités nationales : prise en compte du contexte social et politique ; savoir si les déclarations litigieuses comportent un appel direct ou indirect à la violence, la haine et l’intolérance ; leurs conséquences préjudiciables. La volonté de la Cour de convaincre transparaît de manière d’autant plus éclatante qu’elle s’appuie sur un certain nombre de textes européens relevant de la soft law (Recommandation de politique générale de l’ECRI n°15 ; travaux de la Commission de Venise) et sur l’observation n° 34 du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies qui précise que « les interdictions des manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte, sauf dans les circonstances spécifiques envisagées au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte ». Le désaccord de la Cour avec les juges russes porte sur l’appréciation de la performance des Pussy-Riots et sa contextualisation. Là où ceux-ci y ont seulement vu une insulte et une offense à partir d’un raisonnement fondé sur une interprétation littérale de la performance, celle-là, se livrant à une appréciation à la lumière de l’ensemble de l’affaire, n’y décèle aucune incitation à la haine religieuse. Par conséquent, une sanction pénale ne pouvait pas se justifier en l’espèce. L’interdiction de l’accès aux enregistrements vidéo postés par les requérantes sur Internet a également été jugée contraire à l’article 10, l’arrêt relevant que les requérantes n’avaient pas été associés à la procédure (§ 266). Ceux qui ont suivi la procédure d’élection de la juge espagnole Elosegui et qui ont pris connaissance de ses premières opinions séparées ne seront pas surpris de constater qu’elle fut dans le camp de la minorité. Fidèle à sa posture conservatrice, elle se livre ici à une opération de déconstruction de la motivation de la Cour sur le terrain de l’article 10 en retenant des arguments pour le moins inquiétants et déconcertants : l’article 10 ne protège pas l’invasion d’églises et d’autres bâtiments et biens religieux ; l’article 10 de la Convention ne protège pas le droit d’insulter ou d’humilier des individus ; le comportement des requérantes ne mérite pas d’être protégé en vertu de l’article 10. Bref, à la suivre, le contrôle européen sur les restrictions à la liberté d’expression serait réduit à la portion congrue. Il convient de rappeler que la Cour était bien saisie en l’espèce sur le terrain de l’article 10 et non de l’article 9. Or, alors que le droit doit être interprété de manière large, les exceptions doivent être interprétées de manière étroite.
M. Afroukh
Notes:
- Gde. Ch. 22 oct. 2018, S., V. et A. c/ Danemark, n° 35563/12 ↩
- 20 sept. 2018, Big Brother Watch e.a. c/ Royaume-Uni, n° 58170/13 ↩
- Gde Ch., 15 nov. 2018, Navalnyy c/ Russie, n° 29580/12 ; 20 nov. 2018, Selahattin Demirtaş c/ Turquie n° 2, n° 14305/17, arrêts qui étaient très attendus compte tenu des rapports difficiles qu’entretient la Cour avec ces deux Etats ↩
- Gde. Ch., 9 nov. 2018, Beuze c/ Belgique, n° 71409/10 ↩
- Gde. Ch., 19 déc. 2018, n° 20452/14 ↩
- 25 oct. 2018, n° 38450/12, obs. J. Andriantsimbazovina, Gazette du Palais, 2018, n°41, p. 33 ; M. Afroukh, RDLF, 2018, chron. n° 23 ↩
- Voy., parmi d’autres, G. Puppinck, « La CEDH n’est pas Charlie », Le Figaro, 26 oct. 2018 ; « Charia : ce que révèle la décision de la CEDH », Le Figaro, 28 déc. 2018 ; « La CEDH reviendra-t-elle sur la condamnation d’une personne qui avait taxé Mahomet de pédophilie ? », Le Figaro, 15 févr. 2019 ↩
- https://www.echr.coe.int/Documents/Speech_20190125_Raimondi_JY_FRA.pdf ↩
- Sur les critiques des droits, voir les actes du très beau colloque Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, S. Touzé et E. Dubout (dir.), Pedone, 2019 ↩
- « Actualité de la CEDH », AJDA, 2019, p. 169 ↩
- Voir la contribution lumineuse du Professeur Burgorgue-Larsen « Populisme et droits de l’homme. Du désenchantement à la riposte démocratique » au colloque Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, préc. p. 199 ; ainsi que le dossier Nationalisme et droit de l’Union européenne dirigé par les Prof. L. Azoulai et D. Ritleng, RTDE, 2018, n° 4 ↩
- Initiative rejetée le 25 novembre 2018 ↩
- voy. C. Gauthier, « L’entrée en vigueur du Protocole n° 16 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, entre espérances et questionnements… », RTDH, 2019, p. 43 ↩
- arrêts n° S 10-19.053 et H 12-30.138 du 4 octobre 2018, obs. J.-P. Marguénaud, RTD Civ., 2018 p. 847 ↩
- 19 déc. 2018, n° 415241 et Ass., 12 oct. 2018, SARL Super coiffeur, n° 408567 ↩
- Déc. n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 ↩
- Voy. J. Roux, « Conseil constitutionnel et Cour EDH : premier non-usage, justifié, du Protocole n° 16 », Dalloz, 2019, p. 439 ↩
- P. Deumier, H. Fulchiron, « Première demande d’avis à la CEDH : vers une jurisprudence “augmentée“ ? », Dalloz, 2019, p.228 ↩
- art. 39 § 1 de la Convention ; 62 du règlement de la Cour ↩
- P. Dourneau-Josette, « Les modes de règlement alternatifs des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme : les règlements amiables et déclarations unilatérales », RAE/LEA, 2014, p. 565 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 12 oct. 2017, n° 35589/08, obs. C. Picheral, cette chron., RDLF, 2018, chron. n° 11 ↩
- par la police, à 7 reprises ou par le juge d’instruction, à 2 reprises ↩
- impliqué dans une affaire de vols de voitures, il fut aussi poursuivi pour vols avec violence ou menace et fraude ↩
- Gde ch., 27 nov. 2008, n° 36391/02 ↩
- Gde ch., 13 sept. 2016, n° 50541/08 ↩
- prévention des erreurs judiciaires, réalisation de l’égalité des armes, respect du droit de ne pas s’auto incriminer ↩
- il avait été choisi par son Club, le Chelsea FC ↩
- devant la commission disciplinaire de l’International Skating Union, le TAS et le Tribunal fédéral suisse ↩
- respectivement de nature patrimoniale et concernant le droit de pratiquer une profession ↩
- 5 voix contre 2 ↩
- Car sur les 17 membres, seuls 8 sont des magistrats – dont le président, qui dispose d’une voix prépondérante – les 9 autres étant nommés, 2 par l’Exécutif et 7 par le Législatif ↩
- à la fois lors de la procédure disciplinaire et en appel ↩
- en réalité à la tête des deux formations ↩
- avoir traité un inspecteur de « menteur » et demandé que le témoin qu’elle avait cité ne soit pas poursuivi ↩
- Gde ch., 15 nov 2018, n° 29580/12 ↩
- il fut même placé à deux reprises en détention préventive pendant quelques heures ↩
- manquement à la procédure de conduite des événements publics ou désobéissance à une sommation légale de la police ↩
- qui avaient eu lieu en l’absence de notification ou s’étaient prolongées au-delà de l’horaire autorisé ↩
- les déclarations à la presse du représentant permanent de la Russie auprès du Conseil de l’Europe, Ivan Soltanovski, le 18 janvier 2019 ↩
- mut. mut. Uspaskisch ↩
- 30 janv. 2003, Cordova c/ Italie (no 1), no 40877/98, § 59 ↩
- Gde ch., 30 janv. 1998, n° 19392/92 ↩
- « dans une démocratie, le parlement ou les organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique dont l’exercice du mandat parlementaire fait partie. Pendant l’exercice de son mandat, un député représente ses électeurs, attire l’attention sur leurs préoccupations et défend leurs intérêts », (§ 239) ↩
- 20 mars 2018, n° 13237/17 ↩
- Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c/ Suisse, n° 54273/00, § 48 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 18 oct. 2006, Üner c/ Pays-Bas, n° 46410/99, §§ 57-58 ↩
- Cour EDH, 23 oct. 2018, n° 25593/14 ↩
- Cour EDH, 23 oct. 2018, n° 7841/14 ↩
- Cour EDH, 18 déc. 2018, n°76550/13 ↩
- Cour EDH, 26 mars 1992, Beldjoudi c/ France, n° 12083/86 ↩
- Sur ce sujet, cf. M. Afroukh, « L’appréhension détournée de la subsidiarité par le biais des critères d’appréciation de la proportionnalité », in G. Gonzalez (dir.), La subsidiarité conventionnelle en question, Némésis-Antémis, 2016, pp. 92-104 ↩
- Cour EDH, 14 sept. 2017, n° 41215/14, § 76, cette Chron. RDLF, 2018, n° 11 ↩
- n° 59793/17 ↩
- Cour EDH, 3 oct. 2017, n° 8675/15 et 8697/15, cette Chron., RDLF, 2018, n° 11 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 21 janv. 2011, M.S.S. c/ Grèce et Belgique n° 30696/09, § 301 ↩
- Règlement 2016/339 du 9 mars 2016 dit « Code frontières Schengen », art. 16§1 ; Directive 2013/32 du 26 juin 2013 sur les procédures applicables à l’octroi et au retrait de la protection internationale, article 6 et article 8 ↩
- Voy. sur le terrain de l’article 13 combiné à l’article 3, Cour EDH, 26 avr. 2007, Gebremedinh c/. France, n° 25389/05, concernant le régime contentieux des refus d’entrée au titre de l’asile en France ↩
- Voy. sur ce point, la belle opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque, spéc. pp. 24-29 ↩
- Cour EDH, 25 juin 1996, n° 19776/92, § 43 : « Avant tout et surtout, le maintien en zone d’attente ne doit pas priver les demandeurs d’asile du droit d’accéder effectivement à la procédure de détermination du statut de réfugié » ↩
- Cour EDH, 13 oct. 2016, n° 11981/15, § 37 : obligation positive mise à la charge « des autorités compétentes d’examiner les demandes d’asile des personnes concernées dans de brefs délais afin de raccourcir autant que possible la situation de précarité et d’incertitude dans laquelle ces personnes se trouvent » ↩
- Cour EDH, 13 sept. 2018, n° 58170/13, 62322/14 et 24960/15 ↩
- Cour EDH, Gr. ch., 4 déc. 2015, n° 47143/06, § 231 ↩
- Voy. également le contrôle européen exercé sur la structure et le fonctionnement d’un dispositif suédois de renseignement d’origine électromagnétique, Cour EDH, 19 juin 2018, Centrum för Rättvisa c/ Suède, n° 35252/08 ↩
- CJUE, Gde ch., 8 avr. 2014, aff. C-239 et C-594/12 ↩
- 21 déc. 2016, Tele2 Sverige AB c/ Post- och telestyrelsen et Secretary of State for the Home Department c/ Tom Watson et autres, aff. Jtes C-203 et C-698/15 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 22 octobre 2018, n° 3553/12, n° 36678/12 et 36 678/12 ↩
- Voy. en ce sens, concernant des faits assez similaires à ceux de l’espèce, Cour EDH, 7 mars 2013, Ostendorf c/ Allemagne, n° 15598/08 ↩
- Cour EDH, 1er décembre 2011 Schwabe et M.G. c/ Allemagne, n° 8080/08 et 8577/08, § 82 ↩
- Cour EDH, 1er juillet 1961, Lawless c/ Royaume-Uni (n°3), n° 332/57 ↩
- Cour EDH, 22 fév. 1989, Ciulla c/ Italie, n° 11152/84 ↩
- préc., § 82 ↩
- Cour EDH, 29 nov. 1988, Brogan et autres c/ Royaume-Uni, n° 11209/84, § 53 ↩
- Cf. §§ 114–116, pour l’autonomisation du second volet de l’article 5§1 c) ; §§ 121-124 pour la neutralisation de l’exigence de but tenant à un renvoi devant le juge ↩
- Voy. à cet égard, les références répétées à l’arrêt rendu le 15 févr. 2017 par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’affaire R v / The Commissioner of Police for the Metropolis, § 102, § 122 et § 125 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 15 mars 2012, n° 39692/09, 40713/09 et 41008/09 ↩
- Cour EDH, 7 févr. 2019, Elçi c/ Turquie, n° 63129/15; Ahmet Tunç et autres c/ Turquie, n° 4133/16 et Tunç et Yerbasan c/ Turquie, n° 31542/16 ↩
- 15 févr. 2001, n° 42393/98 ↩
- Y. Lécuyer, « L’Islam, la Turquie et la Cour EDH », RTDH, 2006, p. 735 ; Y. Ben-Achour, « L’islam et la Cour EDH », RGDIP, 2007, p. 387 ↩
- Gde. Ch., 13 févr. 2003, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c/ Turquie, n° 41340/98, 41342/98, 41343/98 et al., obs. M. Levinet, RFDC, 2004, p. 216 ; G. Lebreton, RDP, 2002, p. 1509 ↩
- « Liberté religieuse », AJDA, 2001, p. 480 ↩
- Ce n’était pas vraiment le cas dans l’affaire Serif Yegit c/ Turquie du 2 novembre 2010 à propos du mariage religieux. S’agissant de la répudiation, la Cour européenne a rendu un arrêt de radiation du 8 novembre 2005 qui relève que les arrêts rendus en février 2004 par la Cour de cassation jugeant la répudiation contraire au principe d’égalité des époux étaient « manifestement d’une grande importance » : D.D. c/ France, n° 3/02 ↩
- Opinion concordante du juge Mits ↩
- Voir en ce sens la décision Fondation Zehra et autres c/ Turquie du 10 juillet 2018 (n° 51595/07) : dissolution d’une fondation qui œuvrait pour la création d’un État fondé sur la Charia ↩
- La filiation avec l’arrêt Refah Partisi est ici évidente. On se souvient que cette affaire, la Cour avait relevé que « les règles [de la Charia] permettant (…) la polygamie, les privilèges pour le sexe masculin dans le divorce et la succession » étaient incompatibles avec les valeurs de la démocratie au sens de la Convention, en particulier le principe de non-discrimination qui constitue l’un des principes fondamentaux de la démocratie » ↩
- Dans un rapport intitulé « Compatibilité de la Charia avec la Convention européenne des droits de l’homme: des États Parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la « Déclaration du Caire »? (Doc. 14787, 3 janvier 2019), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « tout en prenant acte de la modification de la législation effectuée en Grèce, qui a rendu l’application de la Charia optionnelle pour la minorité musulmane dans les questions de droit civil et de succession, appelle les autorités grecques à vérifier si cette modification de la législation suffira à satisfaire aux exigences de la Convention; à autoriser la minorité musulmane à choisir librement ses muftis par élection ou nomination, exclusivement en qualité de chefs religieux, en abolissant ainsi l’application de la Charia ↩
- Contrairement à ce que relève la Cour, l’application de la Charia à la population du territoire de Mayotte n’a pas pris fin en 2011. L’article 1er de l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître prévoit que « le statut civil de droit local régit l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités » ↩
- Voir en ce sens H. Fulchiron, « De l’application de la Charia en Europe, en général, et de certains statuts coutumiers en France, en particulier », Dalloz, 2019, p. 316 ↩
- N. Hervieu, « Non, la CEDH n’a pas érigé la Charia en droit de l’homme ! » Le Figaro, 28 déc. 2018 ↩
- Cour EDH, 20 sept. 1994, Otto-Preminger-Institut c/ Autriche, A-295/A), le juge européen admet la conventionnalité de sanctions civiles ou pénales visant les auteurs de représentation provocatrice d’objets de vénération religieuse. C’est un fait. La liberté d’expression est moins étendue lorsqu’intervient la critique des religions. Dans un arrêt I.A. c/ Turquie du 13 septembre 2005 (Rec. 2005-VIII ↩
- op. diss. des juges Costa, Cabral Barreto et Jungwiert s/ l’arrêt I.A. préc. ↩
- « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », AJDA 2006 p. 466 ↩
- C’est en ce sens qu’il faut comprendre la formule selon laquelle on « peut juger nécessaire, dans certaines sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse » ↩
- Arrêt Wingrove c/ Royaume-Uni du 25 novembre 1996 ↩
- Voy. G. Gonzalez, « Du pluralisme religieux dans les prétoires selon la Cour européenne de droits de l’homme », JCP A – n° 27, 6 juillet 2018 2205 ; F. X. Bréchot, « Liberté religieuse et audience », AJDA, 2018, p. 1595 ↩
- B. Brunessen, « Les blocs de jurisprudence », RTDE, 2012, p. 741 ; A. Palanco, Le précédent dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2019 ↩
- L. Burgorgue-Larsen, « Actualité de la CEDH », AJDA, 2019, p. 178 ↩
- art. 438 et 439 CPC ; art. 404 CPP ; art. R. 731-2 CJA ↩
- art. 304 CPC ↩
- Cour EDH, 4 déc. 2003, Gunduz c/ Turquie, § 40, Rec. 2003-XI ↩
- Gde. Ch., 16 juin 2015, Delfi AS c/ Estonie, n° 64569/09 ↩
- Notamment celle donnée par la recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le « discours de haine », 30 octobre 1997 ↩
- M. Oeitheimer, « La Cour européenne des droits de l’Homme face au discours de haine », RTDH, 2007, p. 63 ↩
- 6 mai 2003, Rec. 2003-VI ↩