Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2024
Par Mustapha Afroukh, Maître de conférences HDR en droit public à Université de Montpellier, IDEDH UR_UM205, Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH UR_UM205, Thibaut Larrouturou, Maître de conférences en droit public à Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ISJPS UMR 8103. Ancien référendaire à la Cour européenne des droits de l’homme.
1. Derniers soubresauts de la crise de l’État de droit en Pologne. La Cour européenne des droits de l’homme, comme tout un chacun, est aux prises avec un monde changeant, qui semble avoir perdu bien des repères et des certitudes. Par-delà les cas, toujours trop nombreux, de violations individuelles de la Convention, d’incessantes crises géopolitiques contribuent à nourrir le flot contentieux que les juges strasbourgeois doivent maîtriser afin de parvenir à remplir leur office dans des conditions satisfaisantes. Ainsi, les requêtes liées à la tentative de coup d’État en Turquie, en 2016, et aux conflits armés qui agitent le Vieux Continent constituent à elles seules près de la moitié des requêtes actuellement pendantes devant la Cour – une proportion alarmante lorsque l’on songe aux difficultés de traitement puis d’exécution d’affaires aussi complexes et sensibles.
C’est dès lors sans doute avec un véritable soulagement qu’ont dû être accueillies au sein du Palais des droits de l’homme les élections législatives polonaises de 2023, qui ont vu la victoire de Donal Tusk, à la tête d’une coalition centriste farouchement opposée au PiS. Revenir sur les réformes illibérales de ce dernier, singulièrement la mise sous tutelle de la Cour constitutionnelle et de l’ensemble de la magistrature, est en effet l’une des priorités affichées du nouveau pouvoir en place. La nouvelle donne politique dans cet État est ainsi de nature à, tout à la fois, tarir les requêtes relatives à la crise de l’État de droit et faciliter l’exécution des nombreux arrêts adoptés par la Cour sur ce sujet, au premier rang desquels se trouve l’arrêt pilote Lech Wałęsa c/ Pologne 1. La démarche constructive du Gouvernement polonais dans ce dossier est notamment attestée par la multiplication des règlements amiables et déclarations unilatérales. Vingt-deux requêtes ont par exemple été rayées du rôle en novembre 2024 en application de ces mécanismes non contentieux, ainsi que le révèlent les décisions Dudek et Lazur c/ Pologne 2 et I.G. c/ Pologne et 19 autres requêtes 3.
La situation n’est pour autant pas des plus simples, à la fois parce que de nombreuses requêtes restent pendantes devant la Cour sur ces sujets – 700 environ, ce qui n’a rien de négligeable – et parce qu’il est particulièrement difficile pour le Gouvernement polonais de prendre des mesures efficaces et respectueuses de l’État de droit s’agissant de certains agissements du précédent pouvoir en place. Que faire par exemple des juges nommés en violation de la Constitution polonaise lors de la précédente mandature, qui siègent maintenant depuis plusieurs années ? Les difficultés dont il s’agit ont conduit la Cour à prolonger d’une année le délai accordé à la Pologne dans l’arrêt pilote Wałęsa pour adopter les mesures générales qui s’imposent. La réforme en cours du Conseil national de la magistrature constitue en ce sens un premier pas salué par le Comité des ministres 4. Ce contentieux témoigne en tout état de cause du fait que le rétablissement de l’État de droit est infiniment plus délicat à opérer que son démantèlement, énième sujet d’inquiétude en cette période où ce pilier du Conseil de l’Europe n’a plus le vent en poupe dans une partie de l’opinion européenne. Il n’en paraît dès lors que plus important de parfaire le respect de ses exigences dans les démocraties qui n’ont pas (encore ?) succombé à l’illibéralisme – ce qu’illustre possiblement une récente décision du Conseil d’État français.
2. Turbulences à venir en matière d’actes de gouvernement ? La question de la compatibilité de la théorie jurisprudentielle des actes de gouvernement avec le droit de la Convention européenne des droits de l’homme n’a, à ce jour, pas encore trouvé de réponse définitive. Un tel état de fait a de quoi surprendre, tant l’injusticiabilité qui caractérise ces actes paraît difficilement conciliable avec le droit au recours garanti par l’article 13 de la Convention et avec le droit d’accès à une juridiction que protège son article 6. Bien peu de requérants ont toutefois pris le parti de dénoncer l’impossibilité de contester la légalité de tels actes ou d’engager la responsabilité pour faute de leur auteur devant la Cour européenne des droits de l’homme. Depuis le début de la décennie, cette dernière a pourtant été saisie à deux reprises de cette problématique, et a apporté des précisions plus ou moins décisives à ce sujet.
En premier lieu, dans le célèbre arrêt H.F. et autres c/ France en date du 14 septembre 2022 5, relatif aux demandes de rapatriement des enfants de djihadistes retenus en Syrie, la Cour précisa que, « en ce qui concerne l’application de la théorie des actes de gouvernement dans les présentes affaires, qui repose sur des fondements constitutionnels, il n’appartient pas à la Cour de s’immiscer dans l’équilibre institutionnel entre le pouvoir exécutif et les juridictions de l’État défendeur ni de porter une appréciation générale sur les hypothèses dans lesquelles elles déclinent leur compétence » 6. Cette formule, que d’aucuns ont pu analyser comme une véritable onction conventionnelle donnée à la théorie des actes de gouvernement, ne tranchait cependant en rien la question : d’une part, la Cour se contentait de rappeler que son office ne l’invite généralement pas à se prononcer in abstracto sur des conceptions données des rapports entre les divers pouvoirs constitués d’un État ; d’autre part, et surtout, elle se plaçait ici dans le cadre très particulier de l’article 3 § 2 du Protocole no 4 à la Convention, qui garantit le droit d’entrer sur le territoire national et s’accommode fort bien d’un contrôle non juridictionnel à la matière. En d’autres termes, cet arrêt ne permettait guère de se prononcer sur ce que serait la position de la Cour de Strasbourg en cas de remise en cause des actes de gouvernement sous le pavillon autrement plus exigeant de l’article 6 § 1 de la Convention.
En second lieu, l’arrêt Tamazount c/ France du 4 avril 2024 7 a été l’occasion pour la Cour de se prononcer directement sur le fondement du droit à un procès équitable, pris dans sa dimension d’accès à une juridiction. Dans cette affaire, le juge strasbourgeois a conclu à l’absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Son raisonnement, quelque peu difficile à suivre il est vrai sur certains points, repose notamment – principalement peut-être – sur l’injusticiabilité relative des actes de gouvernement. La Cour a en effet relevé que, si le contentieux de la légalité et l’engagement de la responsabilité pour faute constituent des voies sans issue pour de tels actes, le Conseil d’État a admis dans une décision du 27 juin 2016 8 que « la responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d’autres États et entrées en vigueur dans l’ordre interne, à la condition que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ». Le possible engagement de la responsabilité sans faute de l’État apparaît ainsi comme le gage de la conventionnalité du régime contentieux très particulier des actes de gouvernement.
Or, une récente décision du Conseil d’État pourrait remettre en question la compatibilité de ces derniers avec le droit à un procès équitable, dans la mesure où la Haute juridiction administrative a largement restreint la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’État en la matière. Dans sa décision d’Assemblée MCR du 24 octobre 2024 9, il a en effet été précisé ce qui suit : « la responsabilité sans faute de l’État du fait de décisions non détachables de la conduite des relations internationales peut être engagée à l’égard des personnes relevant de sa juridiction sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Ce régime de responsabilité ne saurait toutefois interférer, même indirectement, avec les objectifs ou la mise en œuvre de la politique extérieure de la France. Lorsque les conditions d’engagement d’une telle action en responsabilité de l’État sont réunies, celle-ci ne peut être accueillie que lorsque l’auteur de la demande supporte une charge spéciale et d’une particulière gravité, hors de proportion avec les sujétions que peut impliquer la conduite de la politique extérieure de la France. Cette responsabilité ne saurait, en principe, être engagée au bénéfice des personnes dont une décision non détachable de la conduite des relations internationales a pour objet même de régir ou d’affecter la situation, soit à titre individuel, soit de manière collective ». Cette dernière phrase réduit drastiquement le champ des personnes pouvant engager la responsabilité sans faute de l’État – en l’espèce, la requérante, qui contestait le refus des autorités françaises de lui accorder la protection diplomatique, a vu son action en responsabilité rejetée du seul fait que ledit refus visait à régir sa situation. Le rapporteur public, dans ses conclusions sur cette affaire, avoir pourtant attiré l’attention de la formation de jugement sur le fait qu’« une indemnisation des conséquences dommageables de l’acte de gouvernement dans le cadre d’une responsabilité sans faute permettrait de justifier qu’il demeure par ailleurs injusticiable ». Il est dès lors probable que la liste des arrêts de la Cour relatifs aux actes de gouvernement s’enrichisse prochainement d’une nouvelle entrée, qui ne permettra plus au juge strasbourgeois de fonder son raisonnement sur l’injusticiabilité partielle de ces actes : elle est ici, pour la requérante, absolument totale. En cas de condamnation, un dialogue jurisprudentiel se mettra nécessairement en place entre le Palais‑Royal et le Palais des droits de l’homme, dialogue que ce dernier continue d’ailleurs d’abriter sous les auspices du Protocole 16 à la Convention – plus ou moins heureusement.*
3. Protocole n° 16 et renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne – dissemblances et articulation. S’il est bien connu des spécialistes du droit de la Convention que le Protocole no16, instituant la demande d’avis consultatif, a trouvé son inspiration dans le renvoi préjudiciel de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les différences entre les deux mécanismes sont nombreuses. Certaines étaient perceptibles avant même l’entrée en vigueur du nouvel instrument de dialogue direct entre les Hautes juridictions nationales et la juridiction strasbourgeoise. D’autres se révèlent progressivement, au fur et à mesure que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’enrichit en la matière – à un rythme tenant certes de l’adagio. L’une de ces dissemblances, même si un plus grand recul s’imposerait pour établir définitivement une réalité statistique, semble s’incarner en matière de taux d’acceptation des demandes soumises au juge européen. Côté Luxembourg, c’est la grande ouverture du prétoire qu’il est loisible d’observer alors que, côté Strasbourg, une dynamique plus réservée semble voir le jour. En effet, si les données purement numériques peuvent paraître comparables – en 2024, près de 30 % des renvois préjudiciels clos par la Cour de justice l’ont été par ordonnance tandis que, depuis l’entrée en vigueur du Protocole 16, 36 % des demandes d’avis ont été refusées par le collège de la Grande Chambre –, il faut rappeler que les deux juridictions ne sont absolument pas dans une situation similaire en la matière. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que la demande d’avis consultatif n’est accessible qu’à une poignée de Hautes juridictions européennes. Cela pourrait faire penser prima facie, d’une part, que les erreurs d’appréciation des juges a quibus quant aux conditions encadrant la saisine du juge européen devraient être moins nombreuses et, d’autre part, que des exigences de diplomatie juridictionnelle vis-à-vis des juridictions nationales suprêmes pourraient conduire la Cour de Strasbourg à une grande mansuétude. La récente décision du collège de la Grande Chambre dans l’affaire P16-2024-002, lue à la lumière des précédents refus du même organe, semble suggérer qu’il n’en est rien.
Interrogée par la Haute Cour de cassation et de justice de Roumanie au sujet de la révocation d’un magistrat en raison de son état de santé mentale, ainsi qu’au sujet de la précision de la loi applicable, la Cour a en effet décidé de ne pas accepter la demande aux motifs que la demande d’avis « ne concerne pas une question de principe au sens de l’article 1 § 1 du Protocole no 16 qui justifierait un examen par la Grande Chambre de la Cour ». Plus précisément, le collège de cinq juges chargé du filtrage des demandes d’avis a estimé ici que la jurisprudence de la Cour est assez développée sur ces points pour permettre à la juridiction demanderesse de garantir le respect des droits conventionnels, sans qu’il soit besoin pour elle de les préciser davantage. La juridiction roumaine devra dès lors se contenter d’un résumé de la jurisprudence de la Cour, assez longuement présenté par le collège aux paragraphes 18 à 30 de sa décision. Après un premier refus opposé à la Cour suprême slovaque en 2020, essentiellement parce que l’avis demandé n’était pas utile à la résolution du litige, subsidiairement parce qu’un tel avis n’était pas nécessaire pour trancher ce litige en l’état de la jurisprudence, pas moins de trois refus auront donc été opposés à de Hautes juridictions en 2024 en raison de l’existence d’une jurisprudence pertinente.
S’il est bien sûr aisé de concevoir que le collège n’entend pas laisser la Grande Chambre être noyée sous des demandes d’avis peu utiles car ne permettant pas d’ajouter aux précédents, dans un contexte contentieux toujours tendu pour la Cour, il est tout aussi facile d’imaginer que sa pratique risque d’effaroucher les juges nationaux désireux d’activer le Protocole no 16. Il est en effet sans doute peu agréable, pour une juridiction suprême, de se faire publiquement expliquer – si l’on force un peu le trait – qu’elle aurait pu s’épargner plusieurs mois de suspension du litige si elle avait passé un peu plus de temps sur HUDOC avant de formuler sa demande d’avis. Au‑delà de ce risque de dissuasion, la multiplication de tels refus, si elle devait se répéter les années à venir, appellera sans doute les observateurs de la jurisprudence de la Cour à s’interroger sur ce qui peut expliquer la méconnaissance de celle-ci par les Hautes juridictions européennes. Saisines stratégiques du juge européen plutôt que volonté réelle de se faire éclairer sur un point ? Mauvaise formation au droit de la Convention dans certains États ? Accessibilité limitée aux arrêtés et décisions de la Cour, en raison de barrières linguistiques ? Ou, peut-être, caractère pléthorique de sa jurisprudence ? Caractère que la présente chronique, alors même qu’elle n’en mentionne qu’une infime partie, confirme ici comme à chaque livraison.
Plan de la chronique. Pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2024, quatre thèmes ont été retenus. Seront traités l’accès au juge (I), la protection de la vie et de la santé publique (II), la lutte contre les violences (III), et, enfin, les enjeux sécuritaires et questions migratoires (IV).
Th. Larrouturou
I. Les méandres de l’accès au juge
A. Un durcissement de l’obligation d’épuisement préalable des recours internes comme condition d’accès au juge européen ?
4. Présomption d’effectivité des pourvois en cassation et relativisation d’un avis négatif émis par un avocat aux conseils. Mettant en cause une interdiction municipale du maillot de bain intégral (« burkini ») dans les piscines publiques, l’affaire Missaoui et Akhandaf c/ Belgique (n° 54795/21) n’aurait probablement pas conduit, sur le fond, à ébranler la valeur justificative accordée jusqu’à présent à la protection du « vivre ensemble » dans la jurisprudence européenne 10. Du point de vue du système de la Convention, néanmoins, elle présentait encore un autre enjeu, dans la mesure où, sur avis négatif d’un avocat à la Cour de cassation quant aux chances de succès d’un pourvoi contre la décision rendue à leur détriment en appel, les requérantes avaient derechef adressé leurs griefs à Strasbourg. Sachant que l’obligation d’épuisement préalable, imposée par l’article 35§1 CEDH, se limite aux seuls recours utiles, qui ne doivent donc pas être « voués à l’échec », on aurait pu penser que cette omission éclairée ne préjudicierait pas à la recevabilité de leur requête. Aux termes d’une précédente décision Chapman c/ Belgique du 5 mars 2013 (n° 54795/11, § 33), la Cour avait bien estimé qu’ « Eu égard en particulier au rôle préventif de l’avocat à la Cour de cassation », proche d’une mission de filtrage, le requérant avait en l’espèce « fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes » en consultant un tel professionnel dans les délais requis et en s’arrêtant à son avis 11. À la faveur de l’exception soulevée cette fois par le gouvernement défendeur (§§ 45-48), l’apport de la décision du 3 septembre, Missaoui et Akhandaf c/ Belgique, est alors de préciser en contrepoint « que la production d’un avis négatif sur les chances de succès d’un pourvoi […] n’établit pas automatiquement qu’un tel pourvoi serait “voué à l’échec” au sens de la jurisprudence de la Cour». Pour déterminer si les moyens pris de la violation de la Convention n’avaient aucune chance de prospérer en cassation, il faut « avoir égard à la teneur de l’avis émis ainsi qu’à l’objet de la question litigieuse compte tenu du contexte dans lequel elle se pose » (§ 53).
L’introduction de ces critères vise ainsi à clarifier le sens de la jurisprudence antérieure et leur application à l’espèce tend à dissiper le soupçon d’un revirement déguisé, en justifiant un « distiguishing ». Car si dans le cas de M. Chapman, le pourvoi envisagé se heurtait à une jurisprudence nationale constante, aucune n’apparaissait ni citée, ni véritablement fixée dans le cas de mesdames Missaoui et Akhandaf (la Cour de cassation belge n’ayant encore jamais eu l’occasion de statuer sur la légalité d’une décision juridictionnelle relative au port du burkini dans une piscine publique, au regard de la Convention ou d’autres dispositions analogues de droit national ou international, et la question semblant avoir divisé les juges du fond – § 54). Aussi l’irrecevabilité opposée en l’occurrence aux requérantes paraît-elle avant tout procéder du refus de la Cour européenne des droits de l’homme d’usurper l’office régulateur des juges suprêmes internes en déterminant à leur place, avant qu’ils n’aient été saisis, quelle ligne jurisprudentielle s’impose dans l’ordre juridique national. Légitimée par le respect du principe de subsidiarité et portée par l’effectivité reconnue « en principe » aux recours en cassation depuis l’arrêt Van Oosterwijck c/ Belgique 12, l’exclusion d’une dispense systématique en cas d’avis négatif d’un avocat aux conseils n’est cependant pas dénuée de zones d’ombre. Concrètement, elle implique en effet que – sauf jurisprudence nationale solidement établie (et dûment mentionnée) condamnant par avance l’action à échouer – les requérants doivent, pour satisfaire à l’article 35§1 de la Convention, passer outre les objections juridiques d’un spécialiste, habilité à assurer leur représentation obligatoire et user de tous les moyens procéduraux à leur disposition pour porter malgré tout leurs griefs jusqu’au dernier degré de juridiction, fût-ce en pure perte. Il n’est pas certain que la bonne administration de la justice y gagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en France (sans parler du justiciable qui n’échappera pas nécessairement au risque d’être ensuite déclaré forclos par la Cour, si le pourvoi devait finalement être jugé inutile dans les circonstances de la cause). …
5. Renvoi urbi et orbi au recours effectif ouvert en France contre une mesure d’exécution d’une décision d’enquête européenne dans le contentieux EncroChat. Sur un tout autre sujet, la décision d’irrecevabilité du 24 septembre, A.L. et E.J. c/ France (n° 44715/20) est d’égale importance, en renvoyant in fine devant les juridictions françaises tous les utilisateurs d’EncroChat 13 qui seraient poursuivis au pénal dans leurs pays respectifs d’origine ou de résidence sur la base de preuves tirées de leurs communications via cette solution cryptée et qui entendraient à ce titre contester la captation réalisée par les autorités françaises en 2020, dans le cadre d’une opération visant le fournisseur en tant que tel, ainsi que le partage de leurs données avec les services répressifs des États de poursuite en exécution de décisions d’enquête européenne (DEE) 14. À cet égard, il ressortait d’une réponse préjudicielle de la Cour de justice de l’Union, concernant certaines de ces procédures en Allemagne, que les autorités d’émission d’une DEE visant à obtenir des preuves déjà détenues par l’État d’exécution n’ont pas compétence pour contrôler la régularité de leur collecte, laquelle relève d’une procédure distincte du ressort exclusif dudit État d’exécution 15. Saisie quant à elle par deux ressortissants britanniques, incarcérés au Royaume-Uni sous le chef notamment de trafic de stupéfiants, qui alléguaient une violation de l’article 8, seul et combiné avec l’article 13, ainsi que de l’article 6 de la Convention sans avoir jamais exposé leurs griefs devant une instance française, la Cour européenne des droits de l’homme livre trois enseignements complémentaires.
Primo, creusant le sillon tracé par la CJUE et dans la droite ligne de son propre arrêt Wieder et Guarnieri c/ Royaume-Uni 16, elle établit sans surprise, par application du principe de territorialité, la juridiction de la France au sens de l’article 1 CEDH (§ 104), ce qui assoit non seulement sa propre compétence mais implique aussi celle des tribunaux français pour connaître des recours contre la captation des données d’EncroChat dans toutes les affaires où elles auraient été sollicitées par un autre État à des fins pénales. Secundo, adaptant les critères Zakharov 17 au respect du droit de ne pas s’auto-incriminer 18, elle reconnaît la qualité de victime potentielle des requérants (§ 114), et donc de toute personne à qui serait imputée une utilisation du dispositif à des fins criminelles. Dans cet enchevêtrement transnational et supranational de compétences, la Cour n’entend cependant pas pour autant être substituée aux juridictions de l’État d’exécution. Car, tertio, elle retient au contraire que l’article 694-41 du code de procédure pénale ouvrait bien aux requérants un recours effectif, qui aurait donc dû être épuisé en préalable.
Sans mettre en doute les moyens de redressement offerts par une requête en nullité devant la chambre de l’instruction, il est toutefois permis de s’étonner d’un examen passablement abstrait de la disponibilité du recours interne. Aucun développement n’est consacré à la question – pourtant cuisante – de son accessibilité pratique pour des étrangers emprisonnés dans un autre pays, dont rien ne dit qu’ils aient été au fait des procédures françaises. Une incertitude subsiste en particulier sur l’information dont les intéressés ont réellement bénéficié à cet égard, dans la mesure où, en dépit des exigences de la directive 2014/41 19, l’infiltration d’EncroChat semble seulement avoir été suivie d’un communiqué de la gendarmerie française, publié sur le site d’Eurojust le 2 juillet 2020, signalant aux utilisateurs qu’ils pouvaient solliciter l’effacement de leurs données personnelles de la procédure judiciaire, ce qui n’éclaire en rien sur leurs moyens de contester la captation et la transmission des matériaux. Au regard de sa propre publicité, on peut certes estimer que la décision A.L. et E.J. vient y remédier, en renseignant mieux désormais les requérants actuels et potentiels sur les recours dont ils disposent en France. Reste qu’en faisant l’impasse au cas d’espèce sur un critère bien établi d’effectivité au sens du droit de la Convention, la Cour donne d’autant plus le sentiment de sacrifier à la subsidiarité qu’elle tient par ailleurs à rappeler « en tout état de cause, que lorsqu’un doute existe quant à l’efficacité d’un recours interne, c’est là un point qui doit être soumis aux tribunaux nationaux » (§ 143).
6. Affirmation de l’effectivité des recours prévus dans le cadre du régime de surveillance secrète instauré par la loi n°2015-912 sur le renseignement. Une posture similaire imprègne, en dernier lieu, la décision Association confraternelle de la Presse Judiciaire et autres c/ France du 10 décembre 2024 (n° 49 526/15 et autres), qui scelle – au bout de sept à neuf ans (!) – le sort de quatorze requêtes visant les mesures de surveillance secrète permises par la loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, laquelle interdit certes leur mise en œuvre à l’égard des activités professionnelles des journalistes et des avocats (art. L 821-7 CSI) mais n’empêche pas d’y soumettre les intéressés en dehors de ce cadre. Sachant que douze de ces requêtes – évocatrices d’une actio popularis – n’ont été précédées d’aucun recours devant les juridictions internes mais ont été introduites dès le jour de l’entrée en vigueur de la loi ou dans les deux mois suivants, la Cour se livre, sur le terrain de l’article 35§1 de la Convention, à un examen objectif du dispositif national de contrôle, presqu’équivalent à celui qui aurait pu être mené au fond s’agissant de la violation alléguée des articles 8 et 10 de la Convention.
En application des principes établis dans les arrêts Big Brother Watch et autres c/ Royaume-Uni et Centrum för rättvisa c/ Suède 20, elle examine ainsi, successivement, le statut et les compétences de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNTCR), chargée à la fois d’une mission de supervision générale et d’une mission précontentieuse, puis les garanties offertes devant le Conseil d’État. Et c’est en cohérence avec sa jurisprudence antérieure que le juge européen cautionne alors les différents aménagements apportés aux exigences du procès équitable au vu, d’une part des pouvoirs étendus de contrôle et de redressement attribuées à la formation spécialisée compétente, d’autre part de la faculté déjà reconnue aux États d’appliquer une politique de « non-confirmation et de non dénégation » en matière de surveillance secrète 21 et, pour terminer, de la déclaration de constitutionnalité a priori dont ces dérogations ont bénéficié 22. À partir de là, rien ne pouvait contredire en l’espèce le caractère effectif reconnu « dans son principe » au recours prévu par l’article L. 841-1 du Code de la sécurité intérieure, précédé de celui porté devant la CNTCR (§ 121), puisque, conformément à la jurisprudence Charron et Merle‑Montet c/ France 23, une décision précédente de constitutionnalité ne dispense pas les requérants de saisir les juridictions ordinaires de leurs arguments d’inconventionnalité et que parallèlement, aucune jurisprudence de la formation spécialisée du Conseil d’État n’y faisait par définition obstacle à la date d’introduction des requêtes.
Susceptible de passer pour une économie de procédure par rapport à un arrêt de non-violation, l’irrecevabilité n’empêche donc pas de vider pour partie les griefs soulevés. Là encore, un certain parti pris en faveur de la subsidiarité ne semble pas moins se dévoiler aux détours de la motivation. En ce sens, on notera d’abord la relativisation des limites affectant les pouvoirs de la CNTCR à l’époque des faits (§ 113), bien qu’elles aient été assez significatives pour avoir dû être corrigées après avoir été jugées contraires au droit de l’Union 24. On relèvera ensuite le regard bienveillant porté sur la jurisprudence interne postérieure (§ 124), qui s’arrête à la seule existence de jugements sur la compatibilité du droit interne avec les droits garantis par la Convention mais néglige la systématicité des conclusions de non-violation devant le Conseil d’État. On y ajoutera, enfin, l’agglomération – sous couvert d’une motivation commune – de deux formes pourtant distinctes de non-épuisement, soit des instances, soit des griefs (§ 101), les deux derniers requérants ayant bien, pour leur part, exercé les recours prévus par la loi du 24 juillet 2015 mais ayant manqué en revanche d’invoquer expressément la CEDH 25.
7. Bilan. Bien que les trois décisions commentées s’articulent donc toutes en définitive autour de l’idée que « dans un ordre juridique où les droits fondamentaux sont protégés, il incombe à l’individu lésé d’éprouver l’ampleur de cette protection en donnant aux juridictions nationales la possibilité de faire évoluer ces droits par la voie de l’interprétation » 26, leur enchaînement ne signifie cependant pas que la Cour cèderait désormais à une valorisation aveugle des recours internes dans le cadre d’une politique judiciaire de durcissement de la recevabilité propre à délester son prétoire 27. Car il faut compter avec toutes ces autres affaires, plus nombreuses, où, à l’inverse, les exceptions gouvernementales de non-épuisement se voient fermement rejetées comme dans l’arrêt S.M. c/ Italie du 17 octobre 2024 (n°16310/20, §§ 45-48) ou dans l’arrêt de Grande chambre du 17 septembre 2024, Pindo Mulla c/ Espagne (cf. infra, n° 13).
B. Le reparamétrage du droit d’accès à un tribunal dans le domaine de la constitution de partie civile
8. Focus sur l’hypothétique droit à une décision sur les intérêts civils dans le cadre d’une procédure pénale. S’agissant de l’interprétation du droit à un procès équitable, la jurisprudence du second semestre 2024 aura notamment permis de consolider la portée de l’obligation de motivation s’imposant à une Cour constitutionnelle, lorsqu’elle rejette un recours direct faute d’avoir atteint la majorité qualifiée requise pour rendre une décision 28, et de faire triompher le droit d’accès au juge sur une interprétation excessivement rigoriste des règles de recevabilité en cassation posées par l’article 979 du Code de procédure civile 29. Sur la période, la référence dominante reste cependant l’arrêt du 24 septembre, Fabbri et autres c/ Saint-Marin (n° 6319/21), qui revient sur les conditions dans lesquelles des parties civiles peuvent se plaindre d’une violation du droit d’accès au juge lorsque l’abandon ou la clôture de la procédure pénale (en raison en l’occurrence d’une totale inaction du juge d’instruction et de la prescription des infractions alléguées) les empêche d’obtenir une décision sur la réparation qui leur serait due. La question est épineuse et a déjà nourri une abondante jurisprudence, tant la faculté – ni requise, ni garantie par la Convention – de formuler des prétentions civiles dans le cadre d’un procès pénal obéit à des modalités variables et emprunte à des terminologies différentes selon les États parties. Á cet égard, la Grande chambre, statuant ici sur renvoi, fait certainement œuvre de rationalisation, à travers l’énonciation de principes clairs. Le regret, néanmoins, est que cette clarification s’accompagne d’une rigidification plus propice aux États qu’aux victimes.
9. Indexation partielle de l’applicabilité de l’article 6§1, « matière civile », sur les prévisions du système juridique interne. L’article 6§1 réservant au seul accusé le bénéfice du droit à un procès équitable en matière pénale et n’admettant donc pas, en soi, le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers, la première question, fondamentale, est celle de l’applicabilité de son volet civil, qui suppose que la constitution de partie civile ni ne poursuive un but purement répressif, ni ne s’apparente à une actio popularis, mais tende à l’obtention d’une réparation (fût-elle symbolique) ou à la protection d’un droit à caractère civil. Ce principe de base, solidement établi depuis l’arrêt Perez c/ France 30, a cependant donné lieu à une profusion de développements, en fonction des spécificités des règles et pratiques nationales. Afin d’y mettre de l’ordre, l’arrêt Fabbri dégage une approche dite « cohérente et calibrée », qui – en l’absence d’obligation résultant de la Convention – s’efforce de composer avec la diversité des systèmes juridiques et qui soumet l’applicabilité de l’article 6§1 à cinq conditions cumulatives (§§ 88-93). Quatre d’entre elles (les deux premières et les deux dernières) dérivent du libellé même de la disposition ou s’inspirent d’arrêts ou de décisions antérieurs. Elles exigent, d’une part que le droit interne reconnaisse au requérant un droit matériel de caractère civil (tel qu’un droit à réparation pour le dommage subi en raison de l’infraction alléguée) et l’autorise à faire valoir ce droit dans le cadre de la procédure pénale litigieuse, qui doit être de nature judiciaire, et d’autre part que ladite procédure pénale soit déterminante pour le droit civil en cause, aux fins duquel aucune démarche ne doit par ailleurs être activement menée en parallèle devant une autre juridiction. Se rapportant également au comportement du requérant, la troisième condition est quant à elle « confirmée » dans des termes innovants, qui imposent que la victime ait agi « par le canal approprié et conformément aux principes du cadre juridique interne » en formulant des prétentions civiles dans le cadre de la procédure pénale. C’est dire que dans les États où le droit interne établit une qualité formelle de « partie civile » (comme en France ou dans l’État défendeur), le requérant doit impérativement avoir introduit une demande formelle visant à l’obtention de cette qualité.
Ce formalisme assumé, indexé sur les prévisions de l’ordre juridique national, vient ainsi juguler les interprétations, plus libérales, précédemment retenues par certaines chambres 31, y compris celle qui avait initialement statué en l’espèce. La situation des deux premiers requérants, auxquels une courte majorité avait d’abord donné gain de cause, permet de mieux mesurer la rigueur du recadrage, d’ailleurs dénoncée par sept juges minoritaires 32. En effet, bien que tous deux aient manifesté sans équivoque l’intérêt qu’ils attachaient au droit d’obtenir réparation du dommage physique qui leur avait été infligé par une collègue de travail, en déclarant d’emblée qu’ils se joindraient en qualité de partie civile à toute procédure pénale ouverte à la suite de leurs plaintes, la Grande chambre retient qu’à aucun moment ils n’ont pourtant procédé à la formalité requise à cette fin par le code de procédure pénale saint-marinais et conclut donc à l’irrecevabilité de leurs griefs pour incompatibilité ratione materiae. Encore les enseignements de l’arrêt Fabbri ne s’arrêtent-ils pas là et le cas du troisième requérant, qui s’était à l’inverse formellement déclaré partie civile, est une autre illustration, cette fois sur le fond, du degré de diligence attendue des victimes.
10. Délimitation des cas exceptionnels de violation du droit d’accès à un tribunal du fait d’une clôture de la procédure pénale – Confrontée à deux lignes jurisprudentielles divergentes sur la question d’une violation du droit d’accès à un tribunal lorsque la clôture de la procédure pénale empêche de traiter des prétentions civiles, la Grande chambre complète les enseignements de l’arrêt Nicolae Virgiliu Tănase 33 et redéfinit l’approche à suivre en distinguant trois configurations. Il en ressort que l’absence de décision au pénal sur la réparation due aux parties civiles ne méconnaît pas « en règle générale», le droit d’accès à un tribunal « si la clôture de la procédure pénale est fondée sur des motifs légaux qui ne sont pas appliqués de manière arbitraire ou déraisonnable, et si le requérant disposait ab initio d’une autre voie de recours propre à lui permettre d’obtenir une décision sur ses prétentions de caractère civil » (§ 137). Lorsqu’une clôture régulière résulte à la fois d’un grave dysfonctionnement du système interne et de l’inaction, de la négligence ou de la mauvaise foi du requérant, il n’y a pas non plus atteinte à la substance de ce droit, si la partie civile jouit d’une autre voie de recours, que ce soit cette fois ab initio ou après la clôture de la procédure pénale. En définitive, c’est donc seulement à titre exceptionnel, lorsque le grave dysfonctionnement du système interne s’avère la cause unique ou déterminante de la clôture de la procédure pénale, qu’une violation peut être constatée indépendamment de la disponibilité d’un autre recours.
Quoique le schéma, pris dans l’abstrait, apparaisse bien équilibré, la qualification des faits de l’espèce laisse songeur. Car, tout en admettant d’un côté l’existence, à l’époque pertinente, d’un grave dysfonctionnement de l’appareil judiciaire interne chargé des enquêtes qui avait conduit à la clôture pour prescription d’environ 800 procédures d’instruction (dont celle ouverte d’office sur les faits dont le 3ème requérant aurait été victime), la Grande chambre n’hésite pas d’un autre côté à imputer à l’intéressé, alors mineur, une responsabilité dans cette issue malheureuse, au motif d’un manque de diligence essentiellement manifesté par la tardivité de sa constitution de partie civile… Aussi lui oppose-t-elle la possibilité, qui demeure, d’engager une action distincte devant les juridictions civiles et conclut-elle unanimement à la non-violation du droit d’accès à un tribunal. À cette aune, il est certain que l’arrêt Fabbri coupe court au risque que l’article 6§1 ne devienne source d’une obligation positive générale de mener à terme une enquête pénale 34, ce qui était peut-être son objet ultime.
C. Boiteux-Picheral
II. Protection de la vie et de la santé publique vs Libertés individuelles
11. L’individualisme des droits de l’homme : un mythe. S’il est bien un domaine dans la jurisprudence européenne où l’intérêt général prend quasi-systématiquement le pas sur les prétentions individuelles des requérants, c’est celui de la santé publique. Lorsqu’il en va de la préservation de la vie humaine, même de façon indirecte ou lointaine, le contrôle européen se fait moins exigeant. Plusieurs arrêts récents qualifiés « d’affaires phares » sur le refus religieux des transfusions sanguines ou bien encore sur les mesures restrictives adoptées pendant la pandémie du Covid-19 sont tout à fait révélateurs de cette idée que l’hyper-individualisme, chère aux contempteurs de la Cour de Strasbourg, est bien « un mythe » 35, En finir avec les idées reçues sur la CEDH, Mare et Martin, 2024, p. 257 et s.[/foot]. La critique d’une jurisprudence « paternaliste » est même devenue récurrente.
A. Refus religieux des transfusions sanguines
12. Une problématique connue des administrativistes. Les familiers de la jurisprudence du Conseil d’Etat connaissent bien la problématique du refus de transfusion sanguine par les témoins de Jéhovah : elle a en effet donné lieu à plusieurs décisions dont la plus connue et controversée, l’ordonnance Feuillatey du 16 août 2022 36, soulignant qu’en l’espèce les soins étaient indispensables à la survie du patient que les médecins avaient tout mis en œuvre pour convaincre le patient d’accepter des soins. La Haute juridiction administrative avait alors fait peu de cas du droit de refuser tout acte médical reconnu par la loi du 4 mars 2002, interprété ici à l’aune du devoir du médecin de sauver la vie de son patient. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale en 2004, l’ancien Vice-Président du Conseil d’Etat formulait, pour assurer le service après-vente de cette décision, l’hypothèse d’un droit objectif à la vie l’emportant sur le respect de la volonté du malade 37. À rebours de la montée en puissance des droits du patient, le Conseil d’Etat l’a récemment maintenue, ce qui pose évidemment question au regard de la conciliation entre droits fondamentaux 38. X. Bioy écrit ainsi que « (l’on) retombe sur l’éternel débat concernant la réalité et la liberté du consentement lorsque l’individu subit des pressions (comme en matière de prostitution). Vouloir ignorer une parole explicite pour faire prévaloir l’implicite, à la place de la personne, c’est justement du paternalisme revêtu des habits de la dignité dans sa dimension collective et indisponible» 39.
13. Un arrêt sur l’autonomie personnelle marqué par l’omniprésence du droit à la vie… Or, force est de constater que l’arrêt de grande chambre dans l’affaire Pindo Mulla c/ Espagne en date du 17 septembre 2024 40, qui aborde pour la première fois de façon aussi directe le refus religieux de transfusions sanguines, soulève les mêmes enjeux 41. En l’occurrence, si l’Espagne est certes condamnée pour violation de l’article 8 lu à la lumière de l’article 9 en raison de défaillances du processus décisionnel ayant mené à la décision d’effectuer des transfusions sanguines, le raisonnement déployé par la Cour fait la part belle à l’obligation de protection de la vie. En ce sens, l’arrêt est déstabilisant. Plutôt que d’affronter la question de l’autonomie personnelle qui était au cœur de l’argumentation de la requérante, la Cour se réfugie dans une solution de facilité désormais classique : le recours à la procéduralisation. In specie, étaient en en cause des transfusions sanguines administrées sur la requérante, témoin de Jéhovah, contre son gré, celle-ci ayant rédigé des déclarations anticipées refusant ce type de transfusions dans toutes les situations, même en cas d’urgence vitale. Aux griefs de la requérante qui portaient tant sur le droit à l’autodétermination (art. 8) que la liberté religieuse (art. 9), la Cour fait le choix d’une approche globale déjà éprouvée dans l’affaire Abdi Ibrahim c/ Norvège (10 déc. 2021) : elle examine l’affaire sur le terrain de l’article 8 à la lumière de l’article 9.
L’attention du lecteur mérite d’être attirée sur quatre points.
1° La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (la « Convention d’Oviedo ») de 1997 a été au cœur des débats dans cette affaire : le Tribunal constitutionnel espagnol a notamment fait référence à son article 5 (qui énonce le principe du consentement libre et éclairé en matière médicale) dans sa décision du 28 mars 2011 pour considérer que le consentement du patient à toute forme d’intervention médicale fait partie intégrante du droit fondamental à l’intégrité physique ; en dénonçant devant la Cour une approche paternalisme du corps médical, la requérante faisait sienne la philosophie de cette même disposition dont le rapport explicatif souligne que « cette règle fait apparaître l’autonomie du patient dans sa relation avec les professionnels de santé et conduit à restreindre les approches paternalistes qui ignoreraient la volonté du patient » (§ 72 de l’arrêt) ; le gouvernement espagnol s’est référé, pour sa part, à l’article 8 de la Convention d’Oviedo qui donne la priorité à la vie lorsque dans une situation d’urgence le patient n’est pas en mesure de consentir à un traitement essentiel ou de le refuser. Dans ces conditions, l’affirmation selon laquelle les droits conventionnels doivent s’interpréter à la lumière de cette Convention (§ 128) est tout sauf une surprise. De ce point de vue, l’arrêt Pindo Mulla n’est pas inédit dans son genre.
2° Le juge européen a été particulièrement soucieux de bien préciser le cadre de son contrôle. Le moins que l’on puisse dire est que le mot d’ordre a été la prudence. Car il ne s’agissait pas, l’arrêt le martèle à plusieurs reprises, d’évaluer avec le bénéfice du recul, les décisions médicales qui ont été adoptées dès l’admission de la requérante à l’hôpital de La Paz. À l’instar de plusieurs arrêts relatifs à la fin de vie « dont les principes ne sont pas dépourvus de pertinence » (§ 142), la Cour se focalise sur la question de savoir si le processus décisionnel a accordé un respect suffisant à l’autonomie de la requérante. Cette autonomie n’est pas envisagée isolément mais comme un aspect d’un conflit de droits opposant, d’une part, le respect du droit du patient de donner ou de refuser son consentement à un traitement qui est protégé au titre l’article 8 de la Convention et, d’autre part, l’obligation de protection de la vie découlant de l’article 2 de la Convention (§ 146). Comme l’ont relevé les opinions concordantes de plusieurs juges, cette référence au droit à la vie est loin d’être anodine en ce qu’elle irrigue des passages clés de l’arrêt. Il est d’ailleurs intéressant de relever que, dans le cadre du dessaisissement, la Chambre, initialement saisie de l’affaire, avait communiqué sur l’obligation de protection de la vie sans lien avec les écrits de la partie requérante. Cette question a été au cœur de l’audience devant la grande chambre. De surcroît, ce conflit de droits intervient dans une situation d’extrême urgence. Cette double contextualisation permet à la Cour d’insister sur la relativisation du droit du patient de refuser un traitement puisque faisant siennes les indications du rapport explicatif de l’article 8 de la Convention d’Oviedo, lui-même repris par la loi espagnole, elle estime que lorsque, malgré la mise en œuvre de mesures raisonnables, le médecin – ou, le cas échéant, la juridiction saisie – se trouve dans l’impossibilité d’établir dans toute la mesure nécessaire que le refus d’un traitement médical vital correspond bien à la volonté du patient, c’est l’obligation de protéger la vie du patient par l’administration de soins essentiels qui prime (§ 150).
3° L’arrêt Pindo Mulla confirme, si besoin était, le rôle des tierces interventions dans la jurisprudence de la Cour. Elles apparaissent comme une caisse de résonance pour les gouvernements qui peuvent ainsi faire entendre leurs voix. In specie, dans sa tierce-intervention, le gouvernement français a souligné que « l’article 2 impose aux États l’obligation positive de prendre des mesures pour protéger la vie des patients » (§ 121), en tirant la conséquence que l’arbitrage entre plusieurs droits fondamentaux dans un domaine aussi sensible ne pouvait que conduire à la reconnaissance d’une large marge d’appréciation au profit de l’Etat défendeur. L’intervention est non seulement dictée par la législation française sur les directives anticipées, qui a déjà suscité un contentieux important sur le terrain de la QPC 42 mais également par une certaine inquiétude, la Cour étant saisie d’une affaire française de transfusions sur un patient inconscient qui s’y était opposé dans des directives anticipées confirmées par des personnes de confiance 43. Aussi, en réponse à l’appel du gouvernement français, l’arrêt énonce que « tant le principe voulant que l’on confère un effet juridique contraignant aux directives anticipées que les modalités formelles et pratiques y afférentes relèvent de la marge d’appréciation des États contractants » (§ 153).
4° Les manquements procéduraux ont commencé dès la demande adressée par les médecins de l’Hopital de la Paz au juge de permanence du tribunal d’instruction de Madrid pour obtenir des instructions sur ce qu’ils devraient faire à l’arrivée de l’intéressée. En effet, la demande n’indiquait pas une information essentielle, à savoir que la requérante avait exprimé son refus de transfusions sanguines à l’écrit et non pas uniquement à l’oral (§ 159). Cette lacune a eu une incidence sur l’ensemble de la procédure, les fonctionnaires consultés par le juge de permanence ayant exprimé des doutes sur la capacité décisionnelle de la requérante (§ 162). Tant la décision du juge de permanence que la manière dont les médecins ont préparé l’intervention chirurgicale montrent que cette question de la capacité décisionnelle de la requérante n’a pas été prise au sérieux, ses proches n’ayant pas été au demeurant informés. C’est moins le droit espagnol sur les directives anticipées qui est ici mis en cause que le processus décisionnel qui a conduit aux transfusions sanguines. Tout en reconnaissant le caractère d’urgence de la demande des médecins, l’arrêt regrette le rôle joué par le juge de permanence à partir d’informations incomplètes. Il y a ainsi eu violation de l’article 8 de la Convention, lu à la lumière de l’article 9. Appliquant les mêmes principes relatifs sur la prise en compte de l’autonomie du patient, le juge européen aboutit à une conclusion inverse dans l’affaire Lindholm and the Estate after Leif Lindholm c/ Danemark 44 parce qu’en raison de l’évolution de la maladie du requérant, également témoin de Jéhovah, les médecins ont pu écarter, après avoir eu recours dans un premier temps à des médicaments hématopoïétiques, les directives anticipées qu’il avait exprimées dans un autre contexte dans l’objectif de le maintenir en vie.
B. Restrictions suscitées par la pandémie de Covid
14. Conventionnalité d’une interdiction de manifester aux premiers stades de la pandémie du Covid-19. La solution de l’arrêt Central Unitaria de Traballadores/as c/ Espagne 45 constitue une pièce supplémentaire à verser au dossier déjà passablement étoffé de la conventionnalité des mesures restrictives prises par les Etats pour lutter contre la pandémie du Covid-19. Était en cause une question esquivée par l’arrêt de grande chambre CGAS c/ Suisse du 27 novembre 2023, à savoir la conformité à la Convention d’une interdiction d’une manifestation pendant la crise du Covid-19. En l’espèce, le syndicat requérant prévoyait d’organiser le 1ermai 2020, aux premiers stades de la pandémie, un convoi de voitures individuelles avec l’occupation des grandes artères de la ville de Vigo. Elle invoquait devant la Cour une violation de l’article 11 de la Convention. Au regard de toute la jurisprudence développée sur cette crise sanitaire 46, la requête avait peu de chances de prospérer sur le fond. En effet, il est de jurisprudence constante que les questions de politique de santé relèvent de la marge d’appréciation des autorités nationales, a fortiori dans un contexte d’une crise sanitaire sans précédent qui a eu des « des conséquences très graves non seulement pour la santé, mais aussi pour la société, l’économie, le fonctionnement des institutions de l’État et l’organisation de la vie en général » (§ 83). Semblable appréciation superprivilégiée des autorités nationales est confortée par l’absence de consensus sur la forme que devaient prendre les mesures restrictives pour y faire face. Le contrôle de proportionnalité en est réduit à une formule magique, l’examen de la nécessité de l’ingérence valorisant l’obligation de protection de la vie et de la santé des personnes. Le risque d’infection à un moment où les connaissances sur les modalités de propagation du virus étaient limitées l’emporte sur toute autre considération comme, par exemple, le fait que les autorités n’aient pas proposé au syndicat un autre itinéraire. (§ 90). Par conséquent, la Cour conclut à la non-violation de l’article 11. Dans son opinion dissidente, la juge monégasque S. Mourou-Vikström regrette une solution déséquilibrée peu protectrice du droit fondamental de manifester qui pourrait avoir un « effet dissuasif extrêmement pernicieux qui découle inévitablement de telles interdictions générales».
15. Limitations inévitables de l’exercice des droits des personnes non-vaccinées pendant le Covid-19. L’arrêt Pasquinelli et autres c/ Saint-Marin (n°24622/22) en date du 29 août 2024 retient également un constat de non-violation de l’article 8 concernant l’incitation à la vaccination du personnel de santé et socio-sanitaire, pendant la pandémie du Covid-19. Il ne s’agissait pas en effet d’une obligation comme celle issue de la loi française du 5 août 2021, au cœur de la requête Thévenon c/ France jugée irrecevable en 2022 pour non-épuisement des voies de recours internes 47. Convaincue en l’espèce, à l’instar de la Cour constitutionnelle de Saint-Marin, que la vaccination demeurait volontaire et non sanctionnée, la Cour refuse d’appliquer les principes issus de sa jurisprudence Vavřička et autres 48 assimilant la vaccination obligatoire à une ingérence au droit au respect de la vie privée. Mais cela n’a pas entraîné l’inapplicabilité de la Convention. Au terme d’un examen fondé sur les conséquences des mesures imposées aux requérants – toutes temporaires – (suspension sans traitement ; travaux d’intérêt général ; réaffectation à des postes vacants dans l’administration publique …) sur l’exercice de leur vie privée, la Cour mobilise le principe d’autonomie personnelle comme justification principale à l’applicabilité de l’article 8. Lisons plutôt : « le choix de se faire vacciner ou non, qui est vraisemblablement fondé en l’espèce sur le seul souci des requérants pour leur intégrité physique, est suffisamment lié à l’autonomie personnelle de chacun pour considérer que les mesures qui avaient été appliquées aux requérants en conséquence de leur refus de se faire vacciner volontairement, avait été fondée, entre autres, sur des raisons empiétant sur la liberté de choix de l’individu dans le domaine de la vie privée» (§77). L’exercice du contrôle de nécessité, dans ce contexte exceptionnel de lutte contre une pandémie sans précédent, est largement favorable à l’Etat. La reconnaissance de la conventionnalité des mesures imposées aux personnels de santé non vaccinés se fonde, d’une part, sur un argument technique – la marge d’appréciation de l’Etat importante dans le domaine de la santé – et, d’autre part, sur une justification substantielle : la protection de la vie humaine. Aussi, sans reprendre explicitement le concept de solidarité sociale mis en exergue dans l’affaire Vavřička et autres, l’arrêt distingue bien la situation des personnes vaccinées de celle des personnes non vaccinées plus vulnérables (§ 100). La référence à l’efficacité de la vaccination en termes de diminution des symptômes comme étant admise scientifiquement confirme la montée en puissance de l’argument scientifique dans le processus juridictionnel. S’agissant enfin de l’argument de la perte de revenus, l’arrêt oppose son caractère inévitable dans ce contexte exceptionnel, limité et imputable à certains requérants d’entreprendre des travaux d’intérêt général. Le constat de non-violation de l’article 8 est on ne peut plus logique.
Mustapha Afroukh
III. Sujets de société
16. Incrimination des clients des prostitués : ou quand la subsidiarité permet la coexistence harmonieuse des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité. L’époque où l’on pouvait opposer le contrôle abstrait de constitutionnalité au contrôle concret de conventionnalité paraît définitivement révolu. Ainsi, lorsqu’en 2016 le Conseil constitutionnel avait conclu à la conformité à la Constitution des dispositions législatives incriminant de façon générale et absolue les personnes ayant recours à la prostitution, d’aucuns avaient pointé du doigt un contrôle abstrait de constitutionnalité indigne et éloigné des standards européens. En 2024, la Cour européenne a pourtant décerné, dans son arrêt M.A. et a. c/ France 49, un brevet de conventionnalité à ces mêmes dispositions en s’appuyant sur la qualité du processus législatif long et complexe, « qui s’inscrivait dans le cadre plus général de réflexions sur les différents moyens à mettre en œuvre pour lutter contre les violences faites aux femmes ». C’est dire que la nature et l’intensité du contrôle européen font encore l’objet de nombreux malentendus. Apparaît ici significatif et pour tout dire décisif la méthode du process-based review théorisée par l’ancien président de la Cour Robert Spano, souvent mise en œuvre lorsque la juridiction européenne est confrontée à des questions hautement sensibles 50.
Arrêtons-nous instant sur le raisonnement déployé en l’espèce pour aboutir à brevet de conventionnalité. La méthodologie est directement inspirée du célèbre et controversé arrêt Animal defenders de 2013 dont il ressortait que « plus les justifications d’ordre général invoquées à l’appui de la mesure générale sont convaincantes, moins la Cour attache de l’importance à l’impact de cette mesure dans le cas particulier soumis à son examen ». Dans ce cas, l’approche individualisée et concrète, qui caractérise habituellement le contrôle européen, est jugée moins importante. La qualité du débat parlementaire revêt alors une importance capitale puisque si la Cour juge aux termes de ce contrôle que la loi a pris en compte les intérêts conflictuels en présence, elle ne s’engagera pas ou peu sur le terrain de la proportionnalité concrète. Ou l’on voit l’intérêt d’un tel positionnement sur les questions de société. Il lui permet de ne pas entrer dans des débats de fond et de respecter les choix démocratiques opérés par les législateurs nationaux.
A l’évidence, l’arrêt M. A. et autres c/ France fait sien ce contrôle minimal. En l’absence de consensus européen sur la meilleure manière d’appréhender la prostitution (mais était-ce vraiment la question ?), la marge d’appréciation de l’Etat français ne pouvait qu’être ample. Le rôle du décideur national pour trancher une question de société est ici magnifié 51. D’une part, l’objectif de lutter contre la traite des êtres humains et contre la prostitution des mineurs cadre tout à fait avec les normes internationales des Etats dans ce domaine 52. D’autre part, le législateur français n’a pas choisi la voie de la pénalisation à la légère : cette solution est le fruit d’un « processus législatif long et complexe », et constitue « l’aboutissement d’un examen attentif, par le Parlement, de tous les aspects culturels, sociaux, politiques et juridiques du dispositif mis en place pour encadrer un phénomène éminemment complexe et soulevant des questions à la fois morales et éthiques très sensibles » (§ 158). Cette approche, qui s’efforce d’objectiver un contentieux d’essence concret, est également perceptible lorsque la Cour envisage la solution de la pénalisation dans le cadre d’une politique globale privilégiant des mesures prophylactiques et d’aide à la réinsertion des personnes prostituées souhaitant quitter cette activité (§ 160).
Aussi, se trouve validée l’approche abolitionniste développée par la France, à l’instar des Etats scandinaves tiers intervenants en l’espèce, sous couvert d’une large marge nationale d’appréciation, la Cour n’admettant pas que la possibilité de se livrer à la prostitution à titre professionnel relève du cœur même de la vie privée. Semble se dessiner dès lors une différenciation implicite entre modalités économiques et non-économiques d’exercice de sa sexualité. Est-ce à dire que la Cour ne trouve à rien à redire de l’incrimination de l’achat d’actes sexuels entre adultes consentants ? Pas tout à fait. Le brevet de conventionnalité se trouve en effet conditionné à un devoir de vigilance des autorités nationales de réexaminer leur approche « de manière à pouvoir la nuancer en fonction de l’évolution des sociétés européennes et des normes internationales dans ce domaine ainsi que des conséquences produites, dans une situation donnée, par l’application de cette législation » (§ 167). Cet appel au réexamen constant de législations jugées conformes à la Convention deviendrait-il le lot de consolation pour les requérants recalés à Strasbourg ? On relèvera pour finir que la Cour se trompe lourdement en considérant que « le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions litigieuses du code pénal à l’aune du droit au respect de la vie privée, du droit à l’autonomie personnelle et du droit à la liberté sexuelle ». Celui-ci s’est en effet appuyé sur la seule liberté personnelle.
17. Dialogue (ou suivisme) entre les deux Cours européennes. Comme on le sait, la configuration dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme connaît d’une question déjà examinée par la Cour de justice n’a plus rien d’inédit. À titre d’illustration, la séquence jurisprudentielle sur l’interdiction de l’abattage rituel en Belgique illustrait cet enlacement des contrôles. L’affaire Ferrero Quintana c/ Espagne 53, relative à la limite d’âge de 35 ans pour accéder à un poste d’agent de police de la communauté autonome du Pays basque (Ertzaintza), vient utilement rappeler le développement de ces hypothèses, le juge de l’Union ayant considéré, dans le cadre d’une question préjudicielle, que l’article 4 § 1er de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, notamment son article 4, paragraphe 1 qui prévoit que « les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée» ne s’oppose pas à une telle limite d’âge 54. C’est au regard de l’article 1er du protocole 12, qui garantit le droit à la non-discrimination dans la jouissance de tout droit garanti par le droit national, que la Cour de Strasbourg envisage la différence de traitement subie par le requérant, qui n’avait pas été recruté comme agent de police au motif qu’il dépassait la limite d’âge imposée.
18. Valorisation en trompe l’œil du critère de l’âge ? La solution de la Cour de justice est reprise dans l’arrêt Ferrero Quintana c/ Espagne dont l’intérêt, au-delà de cette logique de rapports de systèmes, est de valoriser dans l’appréciation d’une différence de traitement le critère de l’âge qui était jusqu’alors marginalisé parmi la liste des critères qui appellent une vigilance accrue. Ainsi, la Cour affirme-t-elle que « l’âge peut constituer une « autre situation » aux fins de l’article 14 de la Convention, bien qu’elle n’ait, jusqu’à présent, jamais dit que la discrimination fondée sur l’âge devait être mise sur le même plan que les autres motifs de discrimination « suspects » » (§ 74). Dans son opinion concordante, le juge belge F. Krenc évoque un critère de l’âge désormais « pris au sérieux». La différence de traitement fondée sur l’âge admise, il restait à vérifier si elle répondait à un but légitime et à une justification objective raisonnable. À la suite de la Cour de justice, la Cour européenne prend acte du souci d’assurer le caractère opérationnel et le bon fonctionnement des services de police invoqué par le gouvernement espagnol. En ce qui concerne la justification de la différence de traitement, deux raisons conduisent la Cour à adopter un constat de non-violation de l’article 1er du Protocole n°12. Le premier tient au fait que l’exercice même de la fonction d’agent de police exige des capacités physiques particulières tout au long de la carrière et pas seulement au moment du recrutement (§ 92). La seconde, démontrée par des statistiques fournies par le gouvernent, concerne le risque d’un vieillissement généralisé du corps d’agents de police en cas d’absence de limite d’âge. Tirant argument de la marge d’appréciation qu’elle entend accorder aux Etats pour fixer une limite d’âge quant à l’accès certains corps, la Cour européenne se range au point de vue exprimé par le gouvernement défendeur en insistant tout particulièrement sur la spécificité du corps de l’Ertzaintza par rapport à d’autres métiers de la sécurité. Et là encore, un réexamen constant de la limite d’âge est exigé par la Cour (§ 98), l’arrêt relevant que celle-ci a évolué depuis les années 1990 passant de 30 ans à 38 ans en 2019. De ce contrôle des justifications invoquées par le gouvernement espagnol, la dimension concrète de l’affaire est absente. On comprend à l’évidence le dilemme de la Cour : soit rester focalisée sur un contrôle des justifications de la mesure générale et éviter ainsi l’individualisation de la norme ; soit exercer un contrôle de proportionnalité au sens strict. Or, une logique d’individualisation n’était pas totalement inenvisageable : par exemple, n’était-il pas possible, comme l’a jugé en 2022 55 la Cour de justice dans une affaire concernant une limite d’âge maximal à 30 ans pour la participation à un concours visant à recruter des commissaires de police en Italie, de considérer qu’une épreuve physique éliminatoire constituait une mesure adéquate et moins contraignante ? Il faudra donc attendre avant de voir l’essai d’une valorisation de l’âge parmi les critères de distinction au sens des articles 14 et 1er du Protocole n° 12 transformé.
Mustapha Afroukh
IV. Lutte contre les violences et l’exploitation
A. Violences homophobes
19. La dignité humaine, vecteur de protection des personnes vulnérables. À l’heure ou le fait même d’employer le terme LGBTI est banni des sites gouvernementaux outre-Atlantique et ou les restrictions des personnes LGBTI en Hongrie se poursuivent, l’affaire Hanovs c/ Lettonie (18 juill., n° 40861/22.), qui a trait au manquement des autorités à poursuivre une agression homophobe, est d’une importance capitale, en ce qu’il confirme la fonction libératrice de la dignité comme vecteur de protection des droits fondamentaux des personnes vulnérables 56. L’enseignement principal de l’arrêt, dont les principes devraient être enseignés dans tout cours d’éducation civique, est clair : les attaques contre les personnes LGBT constituent un affront au principe de dignité. C’est autour de ce principe en effet que le juge européen envisage le manquement des autorités lettones à leur obligation de poursuivre un crime de haine homophobe sous l’angle des articles 3 et 8, combinés avec l’article 14.
Que l’on en juge « les attaques contre les personnes LGBTI, déclenchées par des expressions d’affection, constituent un affront à la dignité humaine en ciblant les expressions universelles d’amour et de camaraderie. Le concept de dignité va au-delà de la simple fierté personnelle ou de l’estime de soi, englobant le droit d’exprimer son identité et son affection sans crainte de représailles ou de violence. (…) Au-delà de constituer un affront à la dignité humaine, les agressions contre les personnes LGBTI motivées par des démonstrations d’affection affectent profondément leur vie privée. La peur et l’insécurité que de tels actes instillent inhibent la capacité des victimes à exprimer ouvertement leurs émotions humaines fondamentales et les forcent à l’invisibilité et à la marginalisation. La menace de la violence compromet leur capacité à vivre de manière authentique et les oblige à dissimuler des aspects essentiels de leur vie privée pour éviter tout préjudice » (§ 42). Aussi, même en l’absence de blessures physiques, le manquement des autorités lettones a constitué « une atteinte à la dignité humaine en transformant un moment d’intimité en peur et traumatisme ». Ce qui ressort de l’examen de l’attitude des autorités nationales est « l’insoutenable légèreté » (pour reprendre le titre d’un roman de M. Kundera) avec laquelle elles ont traité l’agression du requérant, l’assimilant à un trouble mineur à l’ordre public poursuivi dans le cadre d’une procédure pour infraction administrative. Cette minoration a favorisé un sentiment d’impunité, susceptible de conduire à une normalisation de l’hostilité envers les personnes LGBTI et à la perpétuation d’une culture de l’intolérance. Ce qui montre que l’existence d’un cadre juridique de lutte contre les violences homophobes ne suffit pas, encore faut-il qu’il soit mis en œuvre de façon effective. L’arrêt Hanovs illustre bel et bien ce que le droit européen des droits de l’homme a de meilleur. Gageons que ces principes inspirent d’autres juridictions internes ou supranationales dans d’autres continents.
B. Violences domestiques
20. Consécration d’une nouvelle obligation positive. La lecture de l’arrêt Hasmik Khachatryan c/ Arménie 57 ramènera sans doute les lecteurs français de la chronique à la dramatique affaire Chahinez Daoud, du nom de cette jeune femme brulée vive par son époux en 2021 alors qu’elle avait déposé plusieurs plaintes contre lui. La lecture des faits fait froid dans le dos : les autorités ont totalement fermé les yeux face à des actes d’une violence inouïe (commotion cérébrale, une fracture de l’os du nez, un traumatisme crânio-cérébral fermé, une rupture du tympan et des hématomes du bras gauche, de l’ilium gauche et de l’avant-bras gauche, causés par un objet dur et contondant), qui n’ont pas cessé pendant la procédure pénale engagée contre l’ex conjoint. Preuve de cette indifférence, celui-ci a fait l’objet in fine d’une simple poursuite et condamnation pour la forme non aggravée de l’infraction de torture et par le jeu d’une loi d’amnistie, il n’eut même à purger sa peine d’un an et demi d’emprisonnement. Même l’action civile initiée par la requérante se solda par un échec.
S’estimant insuffisamment protégée par les autorités arméniennes, la requérante a donc saisi la Cour européenne pour manquement aux articles 3 et 8. Sans surprise, l’arrêt retient que le seuil de gravité de l’article 3 est atteint en prenant en considération la situation vulnérable des victimes de violence domestique (§ 163). À la question de savoir si les autorités nationales se sont acquittées de leur obligation positive de protection de la requérante, la Cour répond par la négative en deux temps.
Premier temps : sont pointées du doigt les lacunes du cadre législatif qui ne prévoyait pas l’infraction de violences domestiques. Second temps : la réponse concrète des autorités aux actes de violences domestiques litigieux a été insuffisante (§ 177), alors qu’après les nombreuses plaintes et signalements de la requérante, elles auraient dû avoir connaissance du risque de nouvelles violences. La Cour s’inscrit ici dans le sillage des critiques formulées par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes concernant le traitement des plaintes pour violence domestique depuis 2016 (§ 186). Qui plus est, en donnant effet à la loi d’amnistie au profit du requérant, les juridictions pénales ont réduit à néant la valeur dissuasive que le droit pénal est appelé à jouer dans la prévention des violations domestiques. Surtout, l’arrêt Hasmik Khachatryan c/ Arménie consacre une nouvelle obligation positive « de permettre aux victimes de violence domestique de chercher à obtenir une réparation pour dommage moral, soit directement de la part des auteurs des actes en cause, soit indirectement par l’intermédiaire de l’État concerné » (§ 215). Pour ce faire, le juge européen n’a eu aucune difficulté à justifier l’extension de cette obligation, déjà mobilisée dans le cadre de l’article 2, dans le cas des violences domestiques. Sont évoqués tour à tour l’interprétation systémique de la Convention, l’aspect psychologique des mauvais traitements subis par les victimes de violence domestique et la nécessité d’humaniser la réponse aux actes de violences domestiques en dépassant le simple cadre de la protection et de la dissuasion. Permettre aux victimes de se reconstruire passe par une prise en compte des dommages psychologiques subis : cette réalité est depuis longtemps au cœur de la jurisprudence de la Cour de San José 58. De ce dernier point de vue, l’arrêt Hasmik Khachatryan c/ Arménie ne constitue que le dernier avatar de la ligne jurisprudentielle qui a conduit, récemment, la Cour à étendre progressivement cette obligation positive d’indemnisation du préjudice moral 59. In casu, le droit interne ne permettant pas aux particuliers de demander réparation d’un préjudice moral, l’Etat défendeur a méconnu cette nouvelle obligation. Il est cependant relevé que la nouvelle réforme adoptée par le Parlement en 2017 sur la prévention de la violence au sein de la famille, la protection des victimes de violence va dans le bon sens.
Mustapha Afroukh
V. Confirmations et clarifications en contentieux des étrangers
A. Confirmations en matière de contrôle des frontières et de la lutte contre l’immigration irrégulière
1. Réaffirmation vigoureuse des exigences conventionnelles dans le cadre de la gestion des flux migratoires en Méditerranée
Après l’Italie l’an dernier 60, deux nouveaux États méditerranéens de première ligne, membres de l’Union, se voient rappelés aux exigences de la Convention. Et si, sur le plan des principes, les arrêts rendus contre Chypre et Malte n’innovent guère, leur valeur confirmative acquiert un poids particulier dans le contexte actuel, au regard notamment des ambiguïtés qui grèvent les différents actes du nouveau Pacte européen sur l’asile et les migrations 61, adoptés le 14 mai 2024 et destinées à prendre effet en juin ou juillet 2026.
21. Interdiction des refoulements indirects collectifs. Relatif à l’interception, dans les eaux territoriales chypriotes, d’une embarcation transportant notamment deux demandeurs d’asile syriens, suivie du renvoi sommaire des intéressés vers le Liban en application d’un accord bilatéral de réadmission, l’arrêt du 8 octobre 2024, M.A. et Z.R. c/ Chypre (n°39090/20) se situe dans la droite ligne des jurisprudences Hirsi Jamaa 62 et Ilias et Ahmed 63, en réfutant l’argument du pays tiers sûr (§§ 92-93) et en concluant en conséquence à une violation du volet procédural de l’article 3 CEDH, faute d’un examen approprié des conditions de vie des demandeurs d’asile au Liban et du risque d’un refoulement en chaîne vers la Syrie. Vue la multiplication d’instruments formels ou informels de coopération avec des États tiers pour lutter contre l’immigration irrégulière, voire externaliser le traitement des demandes d’asile 64, la Cour européenne des droits de l’homme envoie ainsi un signal fort, qui déborde le seul cas de Chypre, en répétant que les engagements souscrits au titre d’un accord bilatéral n’exonèrent en aucun cas les États parties de leurs responsabilités au regard de la Convention (§ 91).
L’arrêt se distingue en outre par un constat de violation de l’article 3 CEDH, sous son volet matériel, au motif inédit des conditions dans lesquelles, avant d’être renvoyés au Liban, les requérants ont été contraints de demeurer durant deux jours sur leur bateau, dans une forte promiscuité et sans accès à des sanitaires, ni ravitaillement suffisant en eau et en nourriture. Face à la récurrence des délais ou des refus de débarquement 65, l’interdiction conventionnelle des traitements inhumains et dégradants ne supplée certes pas aux limites du droit international, en fondant une obligation positive d’ouverture des ports aux migrants secourus en mer. Mais en passant du registre des mesures provisoires 66 visant à « prendre toutes les mesures nécessaires, dès que possible, pour fournir à tous les requérants les soins médicaux, la nourriture, l’eau et les produits de première nécessité nécessaires »[/foot] à celui du jugement de fond, elle impose plus fermement de leur garantir au moins le nécessaire pour pourvoir à leurs besoins élémentaires pendant leur stationnement forcé en mer.
S’y ajoute enfin une conclusion de violation de l’interdiction des expulsions collectives, qui – à se répéter au fil des affaires – suggère une vitalisation spécifique de l’article 4 du Protocole 4 en réponse au développement croissant de pratiques de « push-back » aux frontières 67.
22. Garanties générales nécessitées par le recours à la rétention. Problématique malheureusement tout aussi lancinante, la rétention des mineurs étrangers non-accompagnés est à l’origine de l’affaire J. B et autres c/ Malte (n° 1766/23), s’agissant de six jeunes bangladais, débarqués sur l’île avec un groupe d’une quarantaine de personnes après avoir été secourus en mer et aussitôt enfermés dans un centre pour adultes durant près de deux mois puis, dans un centre pour mineurs – aux conditions à peine moins déplorables – pendant presque quatre mois. Plus que par le constat désormais classique de violation de l’article 3 dans le chef de cinq d’entre eux, dont la présomption de minorité a été admise par les autorités, l’arrêt rendu par la Cour le 22 octobre 2024 se signale cependant par l’indication au gouvernement défendeur de mesures générales d’exécution qui se rapportent à des lacunes de l’ordre juridique interne indépendantes de l’âge des migrants. Sur le fondement de l’article 46 de la Convention (§ 166-168), Malte est en effet appelée, d’une part à remédier à une méconnaissance persistante – malgré plusieurs condamnations antérieures 68 – du droit à un recours effectif contre les conditions indignes d’une détention en cours, et d’autre part à corriger l’incompatibilité flagrante des règles de composition de l’organe de recours en matière d’immigration avec les exigences d’indépendance et d’impartialité qui s’imposent aux fins de l’article 5§4 (§ 151-155). Avec ce nouvel exemple 69, les arrêts quasi-pilotes apparaissent encore un peu plus comme le moyen de faire respecter l’État de droit dans le domaine du contentieux des étrangers et de l’asile.
2. Confirmation conventionnelle d’une possible sanction de l’aide humanitaire à l’entrée irrégulière
23. Convergence des jurisprudences constitutionnelle et européenne. Au Palais des droits de l’homme comme au Palais Montpensier, l’ « humanisation » de la lutte contre l’immigration irrégulière a ses limites. Il résultait déjà de la jurisprudence nationale que le principe constitutionnel de fraternité ne s’oppose pas à l’incrimination d’une aide à l’entrée irrégulière, même fournie sans aucune contrepartie, dès lors qu’elle a nécessairement pour conséquence – contrairement à l’aide au séjour et à la circulation – de faire naître une situation illicite 70. Prenant acte de cette interprétation du droit interne (§ 24), la décision de comité du 4 juillet 2024, Le Dall c/ France (n°21655/23) y ajoute que « le droit du requérant [bénévole au sein d’une ONG] d’apporter aide et assistance aux personnes vulnérables ne saurait l’exonérer de l’obligation générale de se conformer à la législation interne en matière d’aide à l’entrée sur le territoire» (§ 25). La violation alléguée de l’article 9 et de l’article 8 de la Convention, du fait d’une condamnation pénale à une amende de 3000 euros avec sursis, est ainsi jugée manifestement mal fondée 71.
B. Clarifications sur la portée du droit au respect de la vie privée et familiale dans le contentieux de l’éloignement et du séjour
24. Du prétendu droit au retour des délinquants étrangers expulsés… Much ado about nothing ! – Parmi la cohorte d’affaires danoises sur l’éloignement des étrangers délinquants, les arrêts du 12 novembre 2024, Sharafane c/ Danemark (n° 5199/23) ; Al-Habeeb c/ Danemark (n° 14171/23) et Savuran c/ Danemark (n° 3645/23) seraient passés tout à fait inaperçus, si une ONG bien connue – tierce intervenante dans les trois cas – n’y avait vu la consécration d’un « droit au retour » des étrangers expulsés pour raisons d’ordre public, c’est-à-dire l’interdiction en vertu de l’article 8 CEDH de tout éloignement qui n’offrirait pas à l’intéressé une garantie d’être ultérieurement réadmis 72. L’analyse ayant pu trouver quelques échos dans la presse 73 et le rejet, le 17 mars 2025, d’une demande de renvoi en Grande chambre, dans l’affaire Sharafane, étant encore dénoncé comme une pérennisation de cette insupportable atteinte à la compétence souveraine des États 74, il n’est pas inutile d’en revenir à la réalité du raisonnement judiciaire.
Primo, ce qui suscite le procès fait à la Cour s’avère un simple critère de proportionnalité, tenant à l’existence d’une « perspective réaliste de retour », qui s’inscrit dans la prise en considération classique de la portée temporelle de la mesure et n’équivaut nullement à un droit, puisqu’il s’agit seulement de savoir si, une fois que l’expulsion aura épuisé ses effets, l’étranger aura une possibilité de revenir légalement sur le territoire (sans aucune obligation pour l’État concerné de la lui accorder). Secundo, si ce critère acquiert – par exception – un poids décisif dans nos trois espèces, relatives à des étrangers résidant au Danemark depuis quelques trente ans, c’est en raison d’une particularité du droit danois lui-même, en tant que l’article 32 § 5 i) de la loi sur les étrangers permet aux juridictions nationales de réduire la durée d’une interdiction de retour lorsque celle normalement fixée par cette même loi serait « certainement contraire aux obligations internationales du Danemark ». Ainsi, quand le juge interne n’a pas fait usage de cette faculté, la Cour n’examine pas si le requérant jouit ou non d’une perspective réaliste de pouvoir revenir légalement au Danemark, comme en témoigne une quatrième affaire tranchée le même jour, par la même chambre 75, conformément aux principes établis par la jurisprudence El Dridi, autrement dit dans le plein respect de la subsidiarité 76. En revanche, lorsque les juridictions nationales ont réduit la durée de l’interdiction de retour parce qu’à leur sens, elle suffirait à rendre l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale disproportionnée vu la durée du séjour dans l’État d’accueil, la prépondérance conférée à cette considération par le droit interne implique nécessairement de vérifier que la réduction appliquée évitera bien un éloignement à vie. D’où une conclusion de violation dans l’arrêt Sharafane, où la politique danoise des visas privait pratiquement le requérant de toute chance d’obtenir une autorisation d’entrée sur le territoire à l’expiration d’une interdiction de retour limitée à six ans, et des constats de non-violation dans les affaires Al-Habeeb, et Saruvan, où subsistait au moins la possibilité d’obtenir ultérieurement un visa de court séjour (3 mois). En fait, à considérer les circonstances de l’affaire Al-Habeeb, la Cour semblerait plutôt soucieuse de ménager les appréciations et préoccupations des États – en se satisfaisant d’un hypothétique regroupement familial du requérant avec son épouse danoise après douze ans d’interdiction du territoire.
Non seulement spécifique au contexte danois mais réservé aux cas d’application de l’article 32 § 5 i) de la loi sur les étrangers, le critère des « perspectives réalistes de retour » ne saurait donc se voir attribuer la valeur d’un « principe » et, loin de le vouer à « faire jurisprudence », le refus d’un renvoi en Grande chambre peut tout bonnement tenir à son absence d’incidence générale sur l’interprétation de la Convention.
25. De la dépendance requise aux fins du regroupements familial entre étrangers majeurs. De jurisprudence constante, la notion de « vie familiale » ne s’étend pas, en contentieux des étrangers, aux relations entre des parents et leurs enfants majeurs ou entre des frères et sœurs adultes, sauf « existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux » 77. L’apport conjoint de la décision du 19 novembre, Kumari c/ Pays-Bas (n°44051/20) et de l’arrêt du 10 décembre 2024, Martinez Alvarado c/ Pays-Bas (n°4470/21), est alors d’éclairer sur le sens de cette réserve, qui mesure étroitement l’opposabilité de l’article 8 CEDH à un refus de regroupement familial entre adultes (hors cas des conjoints). Exigeant un examen au cas par cas de l’ensemble des faits survenus jusqu’à la date à laquelle la décision litigieuse est devenue définitive, la Cour consacre le principe d’une évaluation multifactorielle de la dépendance, au regard tout d’abord de l’état de santé des personnes concernées, mais aussi le cas échéant de leur situation financière (cette considération n’étant pas à elle seule suffisante) ainsi que d’autres circonstances d’espèce, parmi lesquelles la subsistance de fortes attaches ou l‘existence d’alternatives viables dans le pays d’origine. Telle une mini Grande chambre, la chambre ayant statué dans les deux affaires s’emploie ainsi à fournir une synthèse clarificatrice. Concrètement, toutefois, le périmètre du droit au regroupement familial – souvent limité dans les ordres juridiques nationaux au conjoint et aux enfants mineurs – ne se trouve guère débordé par cette approche combinatoire.
La comparaison des conclusions d’espèce est à cet égard édifiante. D’un côté, en effet, la Cour rejoint l’appréciation des autorités néerlandaises dans l’affaire Kumari, en jugeant irrecevable pour incompatibilité ratione materiae les griefs d’une ressortissante indienne de 55 ans désireuse de s’installer avec son fils et invoquant à cette fin des problèmes de santé généralement associés à l’âge qui ne nécessitaient pas une assistance constante. D’un autre côté, elle stigmatise au contraire un examen national inapproprié et insuffisant de l’article 8 CEDH dans l’affaire Martinez-Alvarado, s’agissant d’un ressortissant péruvien de 42 ans, atteint d’un lourd handicap mental et de ce fait tributaire des soins quotidiens de ses quatre sœurs qui l’avaient pris en charge depuis le décès de leurs parents cinq ans auparavant. Autant dire que le droit au respect de la vie familiale ne paraît destiné à opérer que dans des circonstances statistiquement assez résiduelles, sans vraiment menacer le contrôle de l’immigration familiale.
C. Boiteux-Picheral
Notes:
- no 50849/21. ↩
- no 41097/20 et 39577/22. ↩
- no 42668/21 et autres. ↩
- Voir sur ce point : https://search.coe.int/cm?i=0900001680b19201. ↩
- no 24384/19 et 44234/20. ↩
- § 281 de l’arrêt. ↩
- no 17131/19 et autres. Cet arrêt a été abordé dans une précédente livraison de la chronique : https://revuedlf.com/non-classe/evolutions-de-la-jurisprudence-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-premier-semestre-2024/#sdfootnote18anc. ↩
- no 382319. ↩
- no 465144. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 1er juill. 2014, S.A.S. c/ France, n° 43835/11, § 122 et §§ 153-157 ; 11 juill. 2017, Belcacemi et Ouassar c/ Belgique, n° 37798/13, §§ 61-62 ; 11 juillet 2017, Dakir c/ Belgique, n° 4619/12, §§ 60-61. ↩
- En conséquence, la Cour avait fait courir le délai de six mois – non pas à la date du jugement en appel – mais à celle de l’avis négatif émis par l’avocat, lui conférant ainsi valeur de « décision interne définitive » ↩
- Cour EDH, 6 novembre 1980, Van Oosterwijck c/ Belgique, n° 7654/76. ↩
- Société néerlandaise, EncroChat fournissait un service de messagerie chiffrée fonctionnant en circuit fermé, distribué de manière occulte entre 2016 et 2020 et très majoritairement utilisé par les réseaux criminels. Selon un communiqué de presse d’Eurojust du 27 juin 2023, son démantèlement a ainsi conduit à l’arrestation de 6 558 suspects qui sont autant de requérants potentiels. ↩
- Régi par la directive 2014/41 du 3 avril 2014, cet instrument de coopération entre États membres de l’Union européenne en matière pénale permet, soit de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre – dénommé « État d’exécution » – afin de rechercher des preuves, soit d’obtenir des preuves existantes qui sont déjà en possession des autorités compétentes de l’État d’exécution. C’est cette seconde hypothèse qui s’illustre en l’occurrence. ↩
- CJUE, Gde ch., 30 avr. 2024, M.N. (EncroChat), aff. C-670/22, EU:C:2024:372, pt. 100. ↩
- CourEDH, 12 sept. 2023, no 64371/16 et 64407/16, cette Chron. RDLF 2024, n° 38, pt. 6, obs. T. Larrouturou. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 4 décembre 2015, Roman Zakharov c/ Russie, n° 47143/06, §171. ↩
- Voy. par analogie, Crim, 25 octobre 2022, n° 21-85.763, établissant la qualité d’un utilisateur français d’EncroChat, mis en examen dans le cadre d’une procédure séparée à laquelle ont été versées des matériaux issues de la captation litigieuse, pour agir en nullité des opérations de captation. ↩
- Sous réserve que cela ne nuise pas à la confidentialité de l’enquête, l’autorité d’émission et l’autorité d’exécution d’une DEE sont engagées à prendre « les mesures appropriées pour veiller à ce que des informations soient fournies sur les possibilités de recours prévues par le droit national lorsque celles-ci deviennent applicables et en temps utile afin de garantir leur exercice effectif », art. 14§3. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 25 mai 2021, n° 58170/13 et autres, § 359 et n° 35252/08, § 273, cette Chron., RDLF, 2021, n° 36. ↩
- Cour EDH, 18 mai 2010 Kennedy c/ Royaume‑Uni, n° 26839/05, § 189. ↩
- Cons. Constit., 23 juillet 2015, décision 2015‑713 DC, pts 85-86. ↩
- Cour EDH, Déc., 16 janvier 2018, n° 22612/15, § 28 ; voy. également, Cour EDH, 5 mai 2020, Graner c/ France (déc.), n° 84536/17, § 53 et 12 juillet 2023, Déc., Daoudi c/ France, n° 48638/18, § 30. ↩
- CE, 21 avril 2021, n°393099, tirant les conséquences de l’arrêt de la CJUE, La Quadrature du Net e.a. (Gde ch., 6 octobre 2020, C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791) et loi n° 2021‑998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. ↩
- C’est au demeurant le seul point sur lequel la belle unanimité de la chambre se fissure, deux juges ayant voté contre l’irrecevabilité de leurs requêtes. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 27 novembre 2023, Communauté genevoise d’action syndicale c/ Suisse, n° 21881/20, § 159, cette Chron., RDLF, 2024, n° 38, pt. 8, obs. T. Larrouturou. ↩
- C. Boiteux-Picheral, « La recevabilité devant la Cour européenne des droits de l’homme au péril du droit de recours individuel », RTDH, 2025, n° 3, à paraître. ↩
- Cour EDH, 16 juillet 2024, Meli et Swinkels Family Brewers N.V. c/ Albanie, n° 41373/21 et 48801/21, §§72-76. ↩
- Cour EDH, 21 novembre 2024, Justine c/ France n° 78664/17. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 12 févr. 2004, Perez c/ France n° 47287/99, § 70. ↩
- Cour EDH, 7 décembre 2017, Arnoldi c/ Italie, n° 35637/04 ; 18 mars 2021, Petrella c/ Italie, n° 24340/07. ↩
- Voy. l’opinion partiellement dissidente commune aux juges Bošnjak, Pastor Vilanova, Kūris, Jelić, Felici, Guerra Martins et Derenčinović ↩
- Cour EDH, Gde ch., 25 juin 2019, n°41720/13, §§ 198-202 : dans un cas où les poursuites pénales avaient été abandonnées par le Parquet au motif que les éléments d’une infraction n’étaient pas tous constitués, non-violation du droit d’accès à un tribunal si le requérant dispose d’une autre voie de recours, en particulier devant les juridictions civiles. ↩
- Voy. les pts 11-12 de l’opinion dissidente commune aux juges Kjølbro, Ranzoni et Koskelo sous l’arrêt rendu en l’espèce par la chambre le 18 octobre 2022 et le pt. 4 de l’opinion concordante de la juge Schembri Orland sous l’arrêt de Grande chambre. ↩
- D. Szycmzak, « Hyper-individualisme : le credo numéro un de la Cour », in M. Afroukh (dir. ↩
- n°249552. ↩
- Audition de R. Denoix de Saint Marc, Mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, Doc. Ass. Nat., n° 1708, p. 649 s\., 30 juin 2004. ↩
- 20 mai 2022, n° 463713. ↩
- « Refus de soins vitaux, vingt ans après », AJDA, 2022, p. 1693. ↩
- n°15541/20. ↩
- Dans l’arrêt Témoins de Jéhovah de Moscou c/ Russie du 10 juin 2010, qui concernait la dissolution d’organisations des témoins de Jéhovah en Russie, le juge européen a reconnu que la décision d’un témoin de Jéhovah de refuser du sang bénéficiait de la protection des articles 8 et 9 de la Convention. ↩
- Voir notamment la décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022 portant sur les exceptions à la force obligatoire des directives anticipées prévues par l’article L. 1111-11 du code de la santé publique. ↩
- n° 44183/22, Justine c/ France. ↩
- 5 nov. 2024, n° 25636/22 ↩
- 17 oct., n° 49363/20. ↩
- M. Afroukh et J.-P. Marguénaud, « La jurisprudence européenne relative à la Covid-19 dans la phase des essais cliniques », Dalloz, 2022, p. 1130 ; A. Glazewski, « Le contentieux covid-19 devant la Cour européenne des droits de l’homme », RDLF, 2023, chron. n° 39. ↩
- 13 sept. 2022, n°46061/21. ↩
- Gde ch., 18 avr. 2021, Vavřička et autres c/ République tchèque, n° 47621/13. ↩
- n° 63664/19 et autres. ↩
- Voir sur cette question la belle étude d’A. Tamion, « Le process-based review dans la jurisprudence la Cour européenne des droits de l’homme », Cette Rev., 2025, chron. n° 26. ↩
- Pour une comparaison avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, voy. M. Guerrini, « Une interrogation constitutionnelle sur le vivre-ensemble : la « question de société » », Questions constitutionnelles, 31 mars 2025. ↩
- Sont ainsi citées de nombreux instruments onusiens et travaux de rapporteurs spéciaux sur l’esclavage et les violences faites aux femmes et aux filles…. ↩
- 26 nov., n° 2669/19 : arrêt frappé d’une demande de renvoi en Grande chambre. ↩
- 15 nov. 2016, Gorka Salaberria Sorondo, aff. C-258/15. ↩
- arrêt du 17 novembre 2022, VT, C‑304/21. ↩
- M. Afroukh et J.-P. Marguénaud, « Le redéploiement de la dignité humaine », Cette Rev., 2021, chron. n° 19. ↩
- 12 déc. 2024, n° 11829/16. ↩
- L.-M. Gutierez, « Les violences sexistes et sexuelles devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme », Cette Rev., 2025, chron. n°14 ↩
- par exemple au bénéfice des victimes de traite des êtres humains : 28 nov. 2023, n° 18269/18, Krachunova c/ Bulgarie. ↩
- Voy. notamment Cour EDH, 30 mars 2023, J.A. et autres c/ Italie, Cette Chron. RDLF, 2023, chron. n° 48, §§ 26-27 ↩
- Voy. à ce sujet, E. Stoppioni (dir.), « Dossier : Le Pacte asile et migration », RTDE, 2024, pp.277- 307. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c/ Italie, n° 27765/09. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 21 nov. 2019, Ilias et Ahmed c/ Hongrie, n° 47287/15, Cette Chron. RDLF, 2020, n° 32, III B. ↩
- Par ex., Protocole d’accord du 2 février 2017 entre l’Italie et la Libye, prorogé jusqu’au 1er février 2026 ; Protocole d’accord du 28 mai 2020 entre Malte et la Libye ; Mémorandum d’entente du 16 juillet 2023 entre l’UE et la Tunisie ; Protocole d’accord du 6 novembre 2023 entre l’Italie et l’Albanie… ↩
- Sur ce point, voy. par exemple, le tableau dressé par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union dans sa mise à jour semestrielle de décembre 2021 sur les opérations SAR en Méditerranée, December 2021 Update – Search and Rescue (SAR) operations in the Mediterranean and fundamental rights | European Union Agency for Fundamental Rights. ↩
- Voy. à cet égard les mesures provisoires indiquées au gouvernement italien le 30 janvier 2019 dans l’affaire du Sea Watch III (n° 5504/19 et 5604/19 ↩
- Voy. par ex. pour les frontières terrestres, Cour EDH, 4 avr. 2024, Sherov et autres c/ Pologne, n° 54029/17 ; 19 sept. 2024, M.D. et autres c/ Hongrie, n° 60778/19. ↩
- Cour EDH, 29octobre 2015, Story et autres c/ Malte, n° 56854/13 et al., §§ 83-85 ; 17 juillet 2018, Abdilla v. Malta, n° 36199/15, § 71 ; 17 octobre 2023, A.D. c/ Malte, n° 12427/22, §§ 201-202. ↩
- Précédemment, voy. Cour EDH, 18 juillet 2023, Camara c/ Belgique, n°49255/22, et 11 juillet 2023, S.E. c/ Serbie, n° 61365/16, cette Chron., RDLF, 2024, n° 38, pts. 40-41. ↩
- Cons. Constit., 6 juillet 2018, décision 2018-717/718 QPC, cons. 12 et cons. 24 ; adde 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC, cons. 107. ↩
- Comp. avec l’arrêt de non-violation du 10 novembre 2011, Mallah c. France, n° 29681/08. ↩
- Délinquants étrangers : les droits de l’homme contre la sécurité nationale ↩
- Par ex., La CEDH consacre le droit des étrangers expulsés à revenir en Europe; Jurisprudence : La CEDH conditionne désormais une expulsion à la garantie du retour possible du délinquant étranger en Europe. – Les Observateurs ↩
- Le «droit au retour» des étrangers expulsés ↩
- Cour EDH, 12 novembre 2024, Winther c/ Danemark ,n° 9588/21, § 49. ↩
- Winther, § 50. ↩
- par ex. CourEDH, 7 nov. 2000, Kwakye-Nti et Dufie c/ Pays-Bas (déc.), n° 31519/96 ; 29 mai 2018, Danelyan c/ Suisse (déc.), n°76424/14, § 29 ; 9 mai 2023, Ghadamian c/ Suisse, n° 21768/19,§ 42. ↩