Le nom de famille sous les fourches caudines de la Cour EDH
Le nom de famille sous les fourches caudines de la Cour EDH
Par Anne-Sophie Brun-Wauthier
Dans une décision De Ram c. France du 19 septembre 2013, la Cour a validé les dispositions transitoires de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille. La décision permet de faire le point sur la conventionnalité des règles françaises de dévolution du nom de famille.
L’arrêt De Ram c. France permet d’affirmer qu’il ne semble désormais plus guère envisageable d’obtenir une condamnation des anciennes règles relatives à la dévolution du nom de famille. Pour mémoire, le système antérieur reposait sur la dévolution de principe du nom patronymique : l’enfant portait, dans toute la mesure du possible, le nom de son père. L’enfant légitime portait le nom de son père en vertu d’une coutume. L’enfant naturel portait le nom de celui de ses parents à l’égard duquel la filiation avait été établie en premier lieu ; si la filiation avait été établie à l’égard des deux parents simultanément, le Code civil prévoyait que l’enfant portait le nom de son père. La mère ne transmettait donc son nom que dans le cas très précis où, non mariée, elle avait établi le lien de filiation en premier. La loi du 4 mars 2002 mit un terme au système de dévolution du nom patronymique. Le principe est, en effet, que les parents de l’enfant né après le 1er janvier 2005 sont libres de choisir que ce dernier porte le nom du père, de la mère, ou les deux noms accolés, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Le choix des parents doit être fait par déclaration conjointe au moment de la déclaration de la naissance.
Le système antérieur réalisait-il une discrimination entre parents fondée sur le sexe ?
On peut en douter car il faudrait, pour ce faire, admettre au préalable que père et mère sont, à l’égard de l’arrivée de l’enfant, dans une situation sinon identique du moins analogue. L’affirmation pourrait être discutée. Las, nous ne trouverons pas la réponse dans la décision De Ram c. France car la principale intéressée, i.e. la mère prétendument discriminée, n’avait pas été partie à la procédure nationale de changement de nom et ne s’était pas jointe à la requête devant la Cour EDH. Celle-ci considère alors que le père de famille ne peut se prétendre victime d’une différence de traitement, éventuellement constitutive d’une discrimination, puisque lui-même a pu transmettre son nom à ses deux filles. Certes… On a pourtant connu la Cour plus accommodante concernant la notion de victime. On songe par exemple à la qualité de victime reconnue à Mme Burghartz, qui disait avoir beaucoup souffert du refus opposé à son mari d’adjoindre au nom de famille commun choisi (en l’occurrence le nom de Madame), à titre de nom d’usage, son nom de naissance. La Cour avait alors estimé que l’épouse de la victime de la discrimination pouvait aussi se prétendre victime par contrecoup de la décision incriminée 1.
Les dispositions transitoires de la loi du 4 mars 2002 ne constituaient-elles pas une discrimination fondée sur la date de naissance de l’enfant ?
Le système mis en place par la loi du 4 mars 2002 ne s’applique qu’aux enfants nés après le 1er janvier 2005. Le législateur avait néanmoins prévu un régime transitoire pour les enfants nés avant cette date : les parents avaient la possibilité de demander l’adjonction en deuxième position du nom du parent qui ne l’avait pas transmis, à condition toutefois que l’enfant soit âgé de moins de 13 ans au 1er septembre 2003. En l’espèce, les enfants étant nées en 1986 et 1989, elles ne remplissaient pas la dernière condition. Les magistrats strasbourgeois estiment que la différence de traitement poursuit un but légitime : assurer la transition dans le temps des nouvelles règles, dans le respect de l’immutabilité du nom et de l’impératif de sécurité juridique de l’état civil. Plusieurs éléments permettent également à la Cour de considérer que la différence de traitement est raisonnable, proportionnée. Tous n’emportent pas l’adhésion. Il en est ainsi de la possibilité de demander un changement de nom par la voie administrative (par décret, C. civ., art. 61). Que les personnes aient la possibilité de demander un changement dont on sait qu’il ne leur sera pas accordé 2 ne paraît guère convaincant. Reste que la procédure est une condition sine qua non du recours devant la Cour EDH, qui, à défaut, déclarerait la requête irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes. De même, que les intéressés aient la possibilité d’adjoindre, à titre de nom d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien, ne fait pas forcément pencher la balance en faveur de la proportionnalité de la disposition transitoire tant il est vrai que le nom d’usage n’est pas un véritable nom de famille et ne peut, à ce titre, être transmis (L. n°85-1372 du 23 décembre 1985, art. 43). Enfin, les magistrats européens semblent considérer que le critère d’âge a été judicieusement choisi par le législateur français pour correspondre au seuil d’âge au-delà duquel le consentement de l’enfant au changement de nom est nécessaire. Si l’on comprend bien, restreindre le changement de nom aux enfants de moins de 13 ans est opportun car l’on est certain de ne pas leur demander leur avis… Tout au contraire, il nous apparaît que la demande émanant de grands enfants, comme en l’espèce, mérite d’être entendue, au nom de leur droit au respect de la vie privée.
De la possibilité pour le grand enfant de solliciter, au nom de son droit à l’identité, l’adjonction du nom de son parent qui ne le lui a pas transmis.
La possibilité, pour le jeune majeur, d’adjoindre le nom de son autre parent avait été prévue par la loi du 4 mars 2002. La suppression de la disposition par une loi du 18 juin 2003 est regrettable. L’adjonction à la majorité aurait permis de lisser l’application de la loi dans le temps car les enfants qui ne remplissaient pas les conditions du régime transitoire auraient retrouvé, à leur majorité, la possibilité de porter le double nom. Plus généralement, la faculté offerte au jeune majeur apparaissait respectueuse de son droit à l’identité. Grâce à l’extension de la vie privée à la vie privée sociale réalisée par l’arrêt Niemietz de 1992 – le droit à la vie privée englobant le droit de nouer et de développer des relations avec ses semblables, le nom d’une personne, en tant que moyen d’identification personnelle et de relation avec autrui, concerne sa vie privée et doit, à ce titre, être protégé contre les ingérences des Etats. La Cour européenne a, plus largement, consacré un droit à l’identité. Le droit à la vie privée sociale inclut ainsi un droit au développement personnel, lequel s’entend notamment « du droit d’aller vers les autres paré de tous les détails de son identité » 3. L’article 8 de la CEDH ne saurait entraîner un droit au libre choix du nom 4. S’agissant, en revanche, simplement d’accoler au nom qui lui a été dévolu celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien, le jeune majeur pourrait se prévaloir d’une violation de son droit à l’identité, identité inscrite dans deux générations, paternelle et maternelle. Trois arguments ont motivé la suppression de la possibilité offerte au jeune majeur d’accoler le nom de famille de l’autre parent. Le motif de la complexité engendrée, notamment d’un point de vue administratif, ne devrait pas emporter la conviction de la Cour EDH 5. L’argument des principes d’indisponibilité de l’état et d’immutabilité du nom ne sont pas davantage convaincants. Le premier principe est en perte de vitesse compte tenu des nouvelles règles de dévolution du nom qui font une large part à la volonté dans l’attribution du nom de famille. Quant à l’argument de l’immutabilité du nom, il ne semble pas rédhibitoire dès lors qu’il ne s’agit que d’accoler, en deuxième position, un autre nom. Le principe connaît en outre de nombreuses atteintes, ne serait-ce que pour les enfants adoptifs. Le troisième argument est peut-être le plus convaincant : autoriser le majeur à accoler le nom de ses deux parents porterait atteinte au principe d’unité de nom dans la fratrie encore que la mise en œuvre d’un tel principe ne soit pas garantie, loin s’en faut 6. Combinés, les motifs du refus français pourraient, cependant, convaincre la Cour de la légitimité du but poursuivi par le législateur. Le débat serait, par conséquent, circonscrit au rapport de proportionnalité. Dans cette perspective, le gouvernement français ne devrait pas manquer de soulever la possibilité d’ajouter à son nom, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis. Comme indiqué précédemment, le double nom à titre de nom d’usage ne constitue qu’un pis-aller et ne répond pas à la préoccupation relative à la transmission du nom. Le gouvernement français pourrait, également, exciper de l’absence de consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe sur la question, absence de consensus qui augmente d’autant la marge d’appréciation des Etats. Enfin, il pourrait arguer de la possibilité d’une adjonction, sollicitée dans le cadre d’une procédure administrative de changement de nom (C. civ., art. 61) mais, à l’heure actuelle, un tel changement n’est accordé que dans des circonstances exceptionnelles. Au final, il n’est pas exclu que la Cour EDH puisse conclure à une violation de l’article 8 en raison de l’absence de rapport de proportionnalité.
La fin de toute discrimination dans la dévolution du nom de famille grâce aux modifications opérées par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ?
La règle issue de la loi du 4 mars 2002 qui prévoyait que l’enfant dont la filiation avait été établie simultanément à l’égard de ses père et mère ou qui avait été adopté par deux époux portait, à défaut de choix de ces derniers, le nom de son père pouvait, à bien des égards, apparaître comme une dernière discrimination entre parents fondée sur le sexe 7. La menace d’une condamnation par la Cour EDH a-t-elle pesé ? Quoi qu’il en soit, le Code civil a été modifié ; son article 311-21 dispose désormais que « En cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier d’état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique ». La distinction entre les deux hypothèses que sont le défaut de choix et le désaccord provient de la commission des lois du Sénat. Le texte originel adopté par l’Assemblée nationale prévoyait, en effet, qu’en toute hypothèse, en l’absence de choix commun des parents, l’enfant aurait reçu leurs deux noms, accolés dans l’ordre alphabétique. Cette solution aurait, à l’évidence, contribué à la généralisation du double nom. Cependant, le système apparaît satisfaisant : en cas de désaccord, le double nom est transmis tandis qu’en l’absence de choix manifesté, on peut présumer que les parents ont opté pour la transmission, traditionnelle, du nom du père. On remarquera toutefois que la règle diffère en cas d’adoption. De fait, l’enfant pouvant désormais être adopté par deux pères ou deux mères, il n’était plus possible de faire primer le nom du père. C’est la raison pour laquelle l’article 357 a été modifié, son alinéa 4 disposant que « En l’absence de déclaration conjointe mentionnant le choix de nom de l’enfant, celui-ci prend le nom de l’adoptant et de son conjoint ou de chacun des deux adoptants, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique ». La dissemblance entre les enfants ne saurait être taxée de discrimination, laquelle suppose que les individus soient placés dans une situation analogue, si ce n’est identique. Or, tous les enfants ne sont pas dans des situations analogues devant le nom, dès lors que celui-ci est lié à l’établissement de la filiation et que les règles d’établissement de la filiation demeurent différentes, selon que les parents sont mariés ou non 8, ou selon que l’enfant est adopté ou non.
Notes:
- Cour EDH 22 février 1994, Burghartz c. Suisse ↩
- V. AS Brun-Wauthier, « Le fabuleux destin du nom de famille. Le nom de famille à l’épreuve de la CEDH », PA. 27 mars 2013, n°62, spéc. note 31 ↩
- V. F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF, 2ème éd., 2004, p. 379 ↩
- Ou du prénom, Cour EDH 25 nov. 1994, Stjerna c. Finlande ; 24 oct. 1996, Guillot c. France ↩
- Rappelons à cet égard la réponse de cette dernière, dans l’arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni, à l’argument du gouvernement britannique relativement aux difficultés de mise en œuvre du changement de sexe des transsexuels dans le système britannique d’enregistrement des naissances : si la Cour « ne sous-estime pas les difficultés que pose un changement fondamental du système ni les importantes répercussions qu’une telle mesure aura inévitablement », elle considère que ces difficultés « ne sont pas insurmontables » et que « l’on peut raisonnablement exiger de la société qu’elle accepte certains inconvénients afin de permettre à des personnes de vivre dans la dignité et dans le respect » (Cour EDH 11 juil. 2002, § 91). Dans le même sens, Cour EDH 16 nov. 2004, Unal Tekeli c/ Turquie, précit., § 67. La tenue des registres d’état civil n’apparaît-elle pas du reste « davantage alourdie par la complexité de la coexistence de noms doubles et simples que par la généralisation du double nom » (M.-P. Baudin-Maurin, art. précit.) et par le maintien des règles anciennes aux enfants nés avant le 1er janvier 2005 ? V. aussi CJCE 14 oct. 2008, Grunkin et Paul, aff. C-353/06 : « les considérations de facilité administrative qui ont conduit l’État membre dont l’intéressé possède la nationalité à interdire les noms de famille composés ne sauraient suffire pour justifier une telle entrave à la libre circulation, d’autant plus que l’interdiction en question n’apparaît pas comme absolue à la lumière de la législation de l’Etat membre concerné » ↩
- I. Corpart, « La vision égalitaire de la dévolution du nom de famille », D. 2003, 2849 ↩
- AS Brun-Wauthier, art. préc. ↩
- En raison du maintien de la présomption de paternité, la filiation de l’enfant issu de parents mariés ensemble est, en principe, indivisible, établie simultanément à l’égard des deux parents, tandis que la filiation de l’enfant issu de parents non mariés ensemble est toujours divisible et peut être établie successivement ↩