Les « Aînées suisses pour le climat » devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. L’espèce humaine, la démocratie et le colibri
Marie-Angèle Hermitte est Directrice d’études honoraire à l’EHESS et Directrice de recherches honoraire au CNRS
Le 9 avril 2024, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie par cinq citoyennes suisses et l’association les Ainées pour le climat, a condamné la Suisse pour l’insuffisance de sa politique climatique et le refus de reconnaître l’association comme « victime » ayant droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme1.
Cet arrêt est un jalon important du lent processus d’émancipation d’un droit climatique spécifique au sein des ordres juridiques : entrée dans les sciences au début du XIXe au titre de la notion d’effet de serre, la question du climat devient politique au début des années soixante-dix en termes plus concrets de réchauffement climatique avec le Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement (1972)2, avant d’être consacrée « préoccupation commune à l’humanité » en 1992 avec la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Son article 3-1 organisa l’action des États parties autour du principe de « responsabilités communes mais différenciées » qui repose sur des idées assez évidentes mais discutées3 : ce sont les pays dits développés dont le développement gourmand en énergies fossiles a accumulé un stock de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, créant une responsabilité historique dans la situation actuelle, et ce sont toujours ceux qui émettent le plus par habitant. Au contraire, la Chine, plus gros émetteur actuel, est loin derrière les États-Unis en termes d’émissions par habitant, et une partie importante des émissions chinoises est liée aux produits destinés à l’exportation vers les pays développés. Logiquement, ces émissions devraient leur être rattachées4.
En 1992, la CNUCC avait aussi fixé un objectif : stabiliser les « concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » ; mais rien n’était dit d’un calendrier ou de manières de faire. – c’était le travail des conférences des parties (COP) censées transformer une convention-cadre en droit positif. On espéra beaucoup de deux dates marquantes.
La première fut celle du Protocole de Kyoto (1997) par lequel les pays industrialisés prirent des engagements en matière de réduction de leurs émissions par rapport à 1990, suivant des périodes d’engagement (2008-2012, 2013-2020)5. Les émissions ne cessèrent pourtant d’augmenter, les compensations prévues en faveur des pays en développement en termes de ressources financières et de de transferts de technologies ne furent pas mises en œuvre.
En 2015, l’Accord de Paris réussit un double exploit : obtenir un consensus incluant tous les États parties et fixer l’objectif de tenir la température moyenne à + 2° (si possible 1°5) par rapport aux niveaux préindustriels. En compensation, l’Accord renonçait à un échéancier précis comme aux objectifs quantifiés de réduction et à d’éventuelles sanctions, se contentant de demander à chacun de choisir ses contributions, les « contributions déterminées au niveau national » qui joueront un rôle majeur dans l’arrêt de la Cour (CDN)6. Mais l’objectif, fixé à des fins diplomatiques pour être un objectif commun, était probablement déjà irréalisable7. La rançon de l’universalité fut l’article 8 qui précise qu’il ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation. Il y avait donc un refus clair de la communauté internationale de consentir, en l’état, à un système d’obligations juridiquement sanctionnées8.
Cette non-justiciabilité des engagements a été progressivement contournée par un certain nombre de juridictions, de tous niveaux et dans différents États, trouvant des motifs d’obligations dans le chef des États. La CEDH vient d’apporter sa contribution par un arrêt de Grande Chambre, donc définitif, dont les principes généraux valent pour les 46 États membres9. La Cour a choisi de franchir l’obstacle dans une décision encensée autant que critiquée par ceux qui se rallient à l’opinion séparée du juge Eicke, qui pointe un par un tous les écarts réalisés par les juges majoritaires au vu de la jurisprudence antérieure de la Cour en matière environnementale10. Une partie de l’effort de la Cour a été de s’attacher à montrer, par un florilège de références et de citations que, pour franchir ce pas, elle s’inscrit dans un mouvement global répondant à l’urgence de la situation. La reconnaissance de la justiciabilité des questions climatiques progresse effectivement à travers certaines juridictions nationales, encore partagées sur la question, au niveau interrégional et au niveau international (I). La CEDH a accepté de juger le plan suisse en considérant que les droits de l’homme face au changement climatique engendrent un droit spécial, différent sur certains points du droit de l’environnement (II). Elle développe à cette occasion une conception spécifique de la démocratie où les associations tiennent un rôle crucial puisqu’elle leur reconnaît la capacité à s’opposer non seulement aux choix du Parlement, mais aussi au résultat d’un referendum (III). Enfin, la Cour entérine discrètement la vision des Aînées pour le climat, qui demandent à la Suisse de « faire sa part », même si celle-ci est minuscule, et reconnaît l’obligation de tenir compte des générations futures (IV).
I- La longue marche de la justiciabilité des questions climatiques
Dès les premières réflexions sur le changement climatique, l’impossibilité de lier un dommage précis à une source précise, contrairement aux marées noires par exemple, sembla constituer un obstacle difficile à contourner en termes de causalité. Le refus des États de s’engager par des obligations sanctionnées par une Cour de justice dédiée rendant des décisions exécutoires, n’aida pas à trouver une solution11. C’est ce que les commentateurs avaient qualifié de « non-justiciabilité » des affaires climatiques12. Face à ce constat, un juge pakistanais, précurseur en la matière, avait eu cette phrase : « le pouvoir judiciaire en tant qu’institution ou acteur n’a pas été considéré comme faisant partie intégrante du débat sur le changement climatique. Les négociations internationales ou les plates-formes internationales ne l’incluent pas en tant que partie prenante ou acteur politique majeur. J’exhorte les organisations internationales ici présentes à se pencher sur cet aspect »13.
Les commentateurs cherchaient toutes les solutions possibles. En 2018, S. Maljean-Dubois avait exploré les voies d’une justiciabilité possible au titre de la responsabilité internationale des États, concluant : « la probabilité de contentieux contre les grands émetteurs va croissante » et peut tenter autant les États les plus vulnérables, telles les îles, que les États vertueux 14. Cela commence à être le cas, même si le chemin fut plutôt ouvert par des « citoyens concernés » s’adressant aux tribunaux de leurs États, avec des tentatives en direction des juridictions interrégionales, les « États vulnérables » ne s’adressant aux juridictions interrégionales ou internationales que dans un second temps.
Tout a commencé en droit interne par des semi-échecs devant les tribunaux américains, lors d’actions intentées par des enfants et des communautés autochtones : un échec des Inuit en Alaska en 2008, avant que les Athabaskans n’envoient en 2013 une pétition en direction de la Commission Interaméricaine des droits de l’homme, qui put consacrer le principe d’un lien entre changement climatique et jouissance des droits fondamentaux humains ; elle fut suivie dès 2018 par la Cour constitutionnelle de Colombie qui lia déforestation, réchauffement climatique, atteinte aux droits des « jeunes plaideurs » et des générations futures sujets de droit, protégés par la procédure dite de « tutela » 15. Or c’est bien le lien avec les droits fondamentaux humains qui débloque progressivement la situation.
En Europe, un tournant majeur se produisit en 2019. Avec l’affaire Urgenda, la Cour suprême des Pays-Bas alla très loin puisqu’elle condamna l’État, redevable d’une obligation de diligence, à revoir ses engagements, jugés insuffisants. La Cour rattache les questions climatiques au droit à la vie, à la santé et au domicile tels qu’ils sont protégés par la CEDH et analyse la nécessité de comprendre différemment la séparation des pouvoirs dans ce domaine16.
Il y a donc cette double « stratégie de résistance » évoquée par C. Cournil, menée par des individus, des groupes et des associations d’une part, certaines juridictions d’autre part17. Ce sentiment d’urgence gagne très inégalement du terrain dans certains milieux économiques : citons d’un mot le récent travail de l’INSEE sur la manière de rendre visibles les coûts implicites des émissions de GES, absents des indicateurs macroéconomiques usuels du changement climatique qui ne comprennent que le coût des dommages induits par le dérèglement climatique et le coût à payer pour décarboner les productions 18 . Les décisions de ces juges illustrent ainsi une conscience croissante de la gravité de la menace qu’ils traduisent en termes d’urgence justifiant les innovations jurisprudentielles ; ce qu’É. Pic nomme justement « état d’urgence inversé »19.
Le 23 décembre 2022, c’est le Comité des droits de l’homme de l’ONU qui jugea recevable la pétition d’autochtones australiens résidents des îles Torres souffrant de la salinisation des terres et menacées de submersion, l’Australie ayant refusé de reconnaître une obligation à agir. Sur le fondement du Pacte international relatif aux droit économiques, sociaux et culturels, les pétitionnaires invoquaient la violation de leurs droits à une vie digne, la protection du domicile, de leur vie familiale ainsi que leur culture traditionnelle. Le Comité considéra que les menaces pesant sur ces droits pouvaient inclure les effets du changement climatique qui constituent « parmi les menaces les plus pressantes et les plus graves qui pèsent sur la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie » (pt. 8.3). Du fait de l’insuffisance des mesures d’adaptation, l’État australien fut convaincu d’avoir violé l’article 17 du Pacte en ne protégeant pas leur domicile, et l’article 27 concernant la spécificité du « droit inaliénable des peuples autochtones de jouir des territoires et des ressources naturelles » comme leur « culture minoritaire ».
Les juridictions internationales, désormais saisies, en sont au niveau des « avis consultatifs ».
En 2018, la Cour internationale de justice entra timidement en scène en retenant le rôle des arbres dans la fourniture de « services écosystémiques » à l’occasion d’une affaire opposant le Costa Rica au Nicaragua20. Le 21 mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer, saisi par la Commission des petits États insulaires, a établi sa propre compétence en reconnaissant que les émissions anthropiques de GES constituent une « pollution du milieu marin »21. Il en déduit l’obligation pour les États Parties de prendre les mesures nécessaires pour réduire cette pollution en s’efforçant d’harmoniser leurs politiques conformément aux normes internationales pertinentes (il se réfère à la CNUCC et à l’Accord de Paris, reprend l’objectif 1,5°, et la notion de calendrier des trajectoires d’émissions). Il s’agit d’obligations de diligence d’un niveau élevé compte tenu des risques « aigus » de préjudice grave et de leur irréversibilité, ce qui implique une approche de précaution. L’obligation s’impose plus particulièrement dans un contexte de pollution transfrontière (donc plus spécifique et localisable que le risque global). Il doit être tenu compte des ressources et des capacités des États, comptables aussi des émissions des navires battant leur pavillon ou immatriculés par leurs soins22.
La Cour internationale de Justice a également été saisie d’une demande d’avis consultatif par l’Assemblée générale, portant précisément sur les « obligations des États » à l’égard des changements climatiques, les générations présentes et futures étant mises en avant. Si les sécheresses et phénomènes météorologiques extrêmes sont évidemment évoqués, la demande a le mérite d’insister aussi sur la disponibilité en eau et tous « moyens d’existence ». Effectivement, un point insuffisamment compris en général, porte sur les conséquences du changement climatique sur la production alimentaire, que ce soit pour cause de sécheresses ou d’inondations récurrentes. Les questions posées portent précisément sur le contenu juridique des textes internationaux concernant le climat : « Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États ? » Quelles sont « les conséquences juridiques » des actions et omissions ayant causé des dommages significatifs au système climatique, entraînant des conséquences de ces obligations », particulièrement pour les États vulnérables, les peuples et les individus des générations présentes et futures. De nombreux intervenants aux intérêts très divergents ont été autorisés à participer à la procédure, telle l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, le Forum des îles du Pacifique et l’Alliance des petits États insulaires, mais aussi l’OMS, l’Union internationale pour la conservation de la nature. La question de la justiciabilité du droit climatique international est clairement posée. Notons pour ne pas l’oublier, que cette procédure est le résultat de la mobilisation de quelques étudiants et de leurs professeurs de l’Université du Pacifique, auteurs d’une pétition reprise par le gouvernement de Vanuatu, frappé par les cyclones destructeurs Judy et Kevin, puis par le Forum des îles du Pacifique et élargie à un nombre conséquent d’États, sans opposition, pourtant redoutée, de la Chine et des États-Unis, ces derniers ayant pourtant fait valoir que la voie diplomatique était plus désirable que la voie juridictionnelle23.
Parmi les autres voies envisageables, une solution apparemment modeste était de considérer les « contributions déterminées au niveau national », les CDN sur lesquelles les États parties à l’Accord de Paris s’engagent24, comme des « actes étatiques unilatéraux », obligations consenties par un État à l’égard des autres États parties. H. Hellio en avait mis en lumière les potentialités25. Il anticipa ce qui s’est réellement passé, soit l’hypothèse des « juridictions régionales spécialisées ouvertes aux recours des personnes privées » en matière de droits de l’homme, et de pointer l’importance particulière du dialogue des juges dans ce domaine.
Si l’on essaie de comprendre ce qui a provoqué cette vague d’actions en justice si différentes les unes des autres, nationales, régionales et internationales, on constate que les initiateurs premiers sont des personnes physiques, des enfants, des étudiants, un agriculteur, un maire, ou des associations ad hoc, depuis Urgenda jusqu’aux Aînées suisses en passant par les avocats de Notre Affaire à Tous. C’est ce très petit nombre d’individus qui a entraîné à sa suite des groupes d’États, particulièrement ceux des îles menacées : sont-ils les fers de lance d’un nouveau peuple mondial ou des militants 26?
II- Les générations futures et l’espèce humaine émancipent un « droit climatique »
Adoptée en 1950, la Convention européenne des droits de l’homme n’avait pas évoqué l’environnement, et les tentatives successives pour élaborer un protocole spécifique restèrent à ce jour sans succès, même si le Conseil de l’Europe abrite la convention sur « la vie sauvage et les milieux naturels » et la convention européenne du « paysage »27. Tous ces instruments restent en tout état de cause séparés du texte principal28. En 2022, le Comité directeur pour les droits de l’homme a annoncé travailler à un projet de recommandation du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et l’environnement, envisageant cette fois un instrument contraignant ; en l’état, il est difficile de dire si l’arrêt de la Cour aura un effet entraînant ou repoussoir.
Confrontée à cette absence de référence à l’environnement, la Cour avait pris le relai en 1990, en reconnaissant que les bruits d’un aéroport pouvaient dégrader la qualité de vie des habitants à proximité. Ce faisant, elle liait environnement et droits de l’homme29. La révolution s’est en fait produite à ce moment-là, la Cour revendiquant dans ce domaine sa capacité à faire de la Convention un instrument « vivant » interprété à la lumière des « conditions de vie actuelles ». Ensuite, elle ne fera que déployer les potentialités du lien entre les humains et leur milieu de vie au fil des requêtes individuelles portant sur des questions environnementales diverses (usines polluantes, bruits, déchets – plus de 300 décisions en 2024). Par rapport aux bruits d’une aéroport qu’il était facile de lier à la notion de domicile, les liens entre dégradation d’un environnement et atteintes aux droits fondamentaux se sont multipliés et diversifiés en partant des demandes des individus. Mais, si la Cour a innové sans relâche, elle a gardé une certaine prudence, n’ajoutant pas un principe général de droit à un environnement sain, pas plus qu’un droit à un climat inchangé30.
Pour s’emparer du domaine « environnement », la Cour utilisa parfois le droit à la vie (art.2) et, plus souvent, le droit à la vie privée, familiale et à un domicile paisible (art.8), le droit à l’information (dont l’accès aux données), les articles 10 et 11 fondant la liberté d’expression, de communication des idées et informations, de réunion et d’association, – droits renforcés par la convention d’Aarhus à laquelle la Cour se réfère largement. Elle sera d’autre part vigilante sur les droits procéduraux, via l’article 6-1 sur le droit à un tribunal et à un procès équitable en matière civile et pénale31. Mais elle franchira une étape supplémentaire avec l’arrêt de 2024, en illustrant les particularismes du droit climatique à créer. Sa jurisprudence en matière environnementale « peut être utile jusqu’à un certain point » mais « les questions juridiques soulevées par le changement climatique présentent d’importantes différences ». Elles peuvent être techniques. Ainsi, les GES, inoffensifs en eux-mêmes, ne créent des risques qu’en raison de leur accumulation ; mais phénomène polycentrique, il ne peut relier une source précise à un dommage ressenti localement, ce qui oblige à avoir une conception souple du lien de causalité (pts. 415, 439).
A- L’immensité de la tâche et la nécessité de la répartir
Pour la Cour, le phénomène a une portée sans précédent (§§ 410, 414), du fait de la nécessaire « décarbonation des systèmes économiques et des modes de vie », car le phénomène est causé par les modes de fonctionnement globaux des sociétés contemporaines, ce qui oblige à engager une refonte complète des politiques normatives et pas seulement telle ou telle correction locale (§ 418). L’insuffisance des efforts mondiaux en matière d’atténuation crée des risques d’irréversibilité (pt. 420) qui requièrent l’action de toute l’humanité sur un plan spatial et temporel, soit des politiques coordonnées impliquant de la part des États une « répartition de l’effort entre les générations32 » aussi bien que la participation des individus, tous appelés à « assumer leur part d’efforts et de responsabilités » (cf. ci-dessous IV).
B- Une consécration en demi-teinte pour les générations futures ?
Les générations futures sont abondamment évoquées dans des instruments juridiques nationaux et internationaux, et les juristes de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont été invités « à prêter un nouveau serment, à l’image de celui de Bolivar (…) : que les générations de Cent ans de solitude puissent se perpétuer »33. Dans l’affaire des Aînées pour le climat, elles étaient donc logiquement au cœur de l’argumentation des requérantes qui les évoquent à de multiples reprises.
Pour leur trouver une place, la Cour va recevoir et prendre en compte les interventions d’un très grand nombre d’institutions dédiées aux droits de l’homme34, aussi bien que les raisonnements de certains juges américains et de la Cour de Karlsruhe pour promouvoir la prise en compte actuelle des intérêts des générations futures35. Elle cite « la Commission de Venise » qui demande la protection des droits de ces générations futures qui « ne participent pas à la démocratie actuelle et ne votent pas aux élections actuelles » concluant que « le pouvoir judiciaire semble être le mieux placé pour protéger les générations futures contre les décisions des hommes politiques actuels. »36. Elle reprend le lien établi par la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme entre les obligations des États liées au droit à la vie et au domicile, « lues à la lumière du principe de précaution, du principe d’équité intergénérationnelle et du devoir de coopération internationale ». Autrement dit, il faut tenir compte du long délai entre l’action au temps t et l’effet qui en découlera trente ans plus tard (§ 377). D’autres institutions onusiennes évoquant le « principe d’équité intergénérationnelle », le rattachent à des obligations de prévention et précaution, mais aussi au droit à l’information, à la participation et à la justice, tous droits que les générations futures ne peuvent exercer par elles-mêmes. Certains vont jusqu’à évoquer un statut de « normes coutumières », ce qui n’est pas acquis mais est une première marche vers la positivité de l’existence des générations futures (§ 377).
La Cour reprend à son compte tous ces raisonnements, et surtout le fait que le pouvoir judiciaire apparaît alors comme le seul outil capable de les prendre en compte malgré tout, d’où l’importance des raisonnements sur le droit au procès des requérantes. La Cour commence par rappeler qu’en 2023, le Tribunal suprême suisse (STS 3556/2023) avait débouté les auteures du recours, au motif que toute hausse des objectifs de réduction imposait « d’importants sacrifices aux générations actuelles » (pt. 265), le gouvernement glissant que le « principe de la solidarité intergénérationnelle n’a pas valeur de règle de droit international », ce qui est exact malgré toutes les déclarations y poussant dans le ciel des idées. Puis, dans son appréciation, elle se dit consciente de ce que « les effets délétères du changement climatique soulèvent la question de la répartition de l’effort entre les générations » (pts. 410, ) et pèsent tout particulièrement sur « diverses catégories vulnérables » de la société. Elle associe donc les personnes vulnérables, sujets de droit, et les générations futures qui n’ont pas de personnalité juridique. Elle rappelle que, en s’engageant dans la CNUCC, les États parties ont contracté l’obligation de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, donc la Cour les désigne comme des entités bénéficiaires d’obligations sans être sujets de droits. « Dans le cadre spécifique du changement climatique, la répartition intergénérationnelle de l’effort revêt une importance particulière » ; « le point de vue intergénérationnel met en exergue le risque inhérent à la prise de décision politique dans ce domaine, c’est-à-dire le fait que les intérêts et préoccupations de court terme pourraient l’emporter », d’où la nécessité de possibilités de contrôles juridictionnels (§ 420). Et c’est aussi ce qui justifie le recours des associations, seules à même de représenter les intérêts de ces générations (§§ 490, 521)37.
Pour autant la Cour va rester dans un entre-deux du point de vue de la technique juridique. D’un côté, elle fait des générations futures les destinataires des obligations qu’elle va imposer à l’État suisse, sans les déclarer « sujets de jouissance » capables de revendiquer des droits spécifiques devant telle ou telle juridiction 38. Jean Lefevre a pourtant raison lorsqu’il évoque la possibilité de créer une fiction juridique à laquelle serait accroché le principe de fraternité entre générations39.
C- L’humanité menacée en tant qu’espèce
L’espèce humaine est évoquée à plusieurs reprises, ce qui tranche avec le droit positif qui, sauf exception, reconnaît d’une manière ou d’une autre l’humanité40, mais pas l’espèce humaine, désignation dont la connotation biologique déplaît41. Or dans cet arrêt, il est utilisé à plusieurs reprises. Par des intervenants au procès : ainsi les représentants de la Colombie et du Chili à la demande d’avis consultatif à la Cour interaméricaine des droits de l’homme évoquent la survie de l’espèce humaine sur la planète (pt. 227) 42 , comme les professeurs de l’École polytechnique de Zürich (pt. 392). Mais, plus étonnant, la Cour elle-même y fait référence par le truchement du Rapport d’évaluation 6 du GIEC qui affirme « qu’un changement climatique anthropique a entraîné divers effets néfastes pour l’espèce humaine et la nature », et que « le monde se trouve actuellement sur une trajectoire qui risque d’avoir des conséquences néfastes très importantes pour la vie et le bien‑être de l’espèce humaine ». Quoique le choix du mot ‘espèce’ plutôt que ‘humanité’ soit atypique dans une décision de justice, la Cour l’assume en son nom propre, retenant que le changement climatique « affecte et affectera des populations entières » et risque « de détruire, dans les zones les plus touchées, la base des moyens de subsistance et de survie de l’espèce humaine » (pt. 417).
Par son insistance à signifier, à tort ou à raison, qu’il y a là un danger biologique total, la Cour déduit, acquis fondamental de son arrêt, qu’il ne serait « ni satisfaisant ni opportun de transposer directement au domaine du changement climatique la jurisprudence existante en matière d’environnement ». Techniquement, la Cour va en tirer des conséquences précises en matière de recevabilité des recours en délimitant de manière spécifique la notion de victime du changement climatique et par voie de conséquence la possibilité d’intenter un recours contre une politique étatique déterminée sur le fondement des droits humains énoncés par la Convention. Au-delà des aspects en matière de technique juridique, cela débouche sur un exposé de sa conception de la démocratie contemporaine43.
III- Associations et juridictions, les habits neufs de la démocratie
On peut limiter la notion de démocratie au schéma strict des démocraties représentatives, qui reposent sur des élections et dans certains cas l’usage du referendum – exceptionnel comme en France, intégré au processus législatif comme en Suisse. À cela s’ajoute la séparation des pouvoirs, le pouvoir (ou l’autorité judiciaire) étant toujours écartelé entre sa fonction d’application des normes et l’interprétation plus ou moins créative qu’il en donne. Depuis longtemps, les sciences politiques y ont ajouté des contre-pouvoirs, – syndicats, associations, presse, qui ne participent que très indirectement à l’élaboration et à l’application des normes tout en étant protégés par la constitution. Dans ce cadre, les critiques contre l’arrêt de la CEDH sont justifiées car elle va condamner la Suisse, dont le Parlement avait revu à la baisse le plan de réduction des émissions sous pression d’une votation populaire qui l’avait rejeté en le jugeant trop rigoureux pour les citoyens du présent. Or la Cour va renouveler le schéma traditionnel au nom de la spécificité du changement climatique, qui rendrait particulièrement difficile « d’opérer une nette distinction entre les questions de droit et les questions d’opportunité ou de choix politiques ». Elle justifie ainsi la place particulière qu’elle va donner au contrôle juridictionnel des engagements étatiques (a) et, pour ce faire, s’appuyer sur la capacité des associations à être porteuses des droits des victimes du changement climatique (b). Ce renouvellement de la fonction juridictionnelle de la CEDH pourrait bien déborder progressivement le seul cadre du droit climatique, tant les idées qui y sont exprimées semblent générales.
A- Rôle de la Cour européenne des droits de l’homme dans les sociétés démocratiques
Pour prendre la mesure de la critique possible de ce « gouvernement des juges44 », on peut suivre le raisonnement du juge Eicke, qui s’oppose aux juges majoritaires. Au point 3 de son argumentation, il rappelle que la Cour a une « immense responsabilité » : « autorité d’interprétation ultime », elle doit développer une « approche prudente et progressive à l’égard de l’interprétation évolutive de la Convention dans le cadre de ce qui est souvent décrit comme la doctrine de l’instrument vivant », les juges majoritaires ayant à son avis largement dépassé « les limites admissibles de l’interprétation évolutive ». On peut être tenté en le lisant d’opposer sa critique aux théories des « judges makers », nées dans le monde du droit anglophone. L’expression recouvre des réalités très diverses, allant de la nécessité de mieux connaître une branche du droit dans laquelle les juges ne sont pas formés à celle de trouver des solutions innovantes, généralement poussées par des citoyens impatients45.
Il rappelle donc que les États parties à l’Accord de Paris ont délibérément choisi de ne retenir que des engagements reposant sur la confiance mutuelle et la transparence, contrairement au modèle du Protocole de Kyoto (§ 14). Cela dessine l’horizon de l’interprétation prudente requise de la Cour qui devrait reconnaître qu’elle n’est pas « conçue pour assurer la protection générale de l’environnement »46. Si la Convention doit être interprétée « d’une manière qui rende (l)es droits pratiques et effectifs, et non théoriques et illusoires », la Cour ne peut pas s’appuyer sur une interprétation évolutive, pour « tirer de ces instruments un droit qui n’y figurait pas dès le départ. C’est particulièrement le cas en l’espèce, où l’omission a été délibérée » (§ 18).
Le juge Eicke réaffirme ainsi la vision classique de la « démocratie politique effective … régie par la prééminence du droit ». Et d’insister sur le fait que, dans le cas suisse, une loi plus ambitieuse sur le CO2 avait été adoptée par le Parlement, mais expressément rejetée par référendum. « Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe » et sont « en principe mieux placées qu’une juridiction internationale pour évaluer les besoins et les conditions locales (…). Cela donne à la Convention européenne des droits de l’homme un « rôle fondamentalement subsidiaire » qui se marque par l’usage des « principes de subsidiarité et de marge d’appréciation ». Pour Eicke, c’est directement en lien avec le principe de la séparation des pouvoirs dans le droit interne.
Les juges majoritaires vont, certes, rappeler que les législateurs nationaux sont les garants d’un processus décisionnel démocratique et affirmer garder à l’esprit le « rôle fondamentalement subsidiaire » de la Convention au regard de la « légitimité démocratique directe » au titre des principes de subsidiarité et de responsabilité partagée (§ 411), ce qui lui impose de sauvegarder la marge d’appréciation des États.
Mais ils mettent en avant le rôle essentiel d’une juridiction protectrice des droits humains contre « l’insuffisance de l’action passée de l’État » dont les conséquences se traduisent à l’échelle mondiale (§ 413). Elle se réfère aux rapporteurs spéciaux des Nations unies pour lesquels « la question n’est plus de savoir si les juridictions de protection des droits de l’homme doivent examiner les conséquences des dommages environnementaux sur la jouissance des droits de l’homme mais comment elles doivent le faire » (§ 451). L’aggravation des menaces sur les droits de l’homme, que « la Cour, en tant qu’organe judiciaire chargé de faire respecter les droits de l’homme, ne peut méconnaître », la conduit à la conclusion que la démocratie ne saurait être réduite à la volonté majoritaire des électeurs et des élus. Au regard de l’État de droit, la compétence des juridictions internes et de la Cour lui paraît donc complémentaire des processus décisionnels étatiques, permettant d’assurer le contrôle de la conformité des actions réelles des États avec les exigences légales. Elle admet que les effets du changement climatique étant de nature intrinsèquement collective, « savoir qui peut, dans ce contexte, chercher à obtenir une protection judiciaire sur le fondement de la Convention soulève des questions plus vastes touchant à la séparation des pouvoirs » car les risques pour l’existence même de l’humanité exigent des processus décisionnels démocratiques, complétés par un contrôle des juridictions nationales et de la Cour (§§ 413, 422). Il s’agit d’interpréter le droit issu de la convention à la lumière de la séparation des pouvoirs mais aussi des principes du droit international de l’environnement.
B- L’importance des associations, porteuses des droits des victimes du changement climatique
Pour pouvoir intenter un recours devant la CEDH au titre du droit à la vie (art. 2) ou du droit à la vie familiale paisible (art. 8), il faut pouvoir prétendre être « victime » ayant « qualité pour agir » (art. 6-1, 34). La Cour rappelle que la qualité de victime au sens de l’article 34 relève de sa compétence et qu’elle l’examine d’office (pt. 593). Mais deux thèses vont s’affronter, techniques et politiques, représentant deux conceptions de la démocratie telle qu’elle s’exprime aujourd’hui, et plus particulièrement dans le champ du changement climatique.
1. Pour le juge Eicke, ni associations, ni générations futures
Le juge rappelle que, dans la jurisprudence de la Cour, le mot « victime » désigne une personne, très généralement une personne physique, qui peut démontrer qu’elle a été directement affectée par l’acte ou l’omission en cause (art. 34 de la Convention). Il reconnaît que « l’issue d’un litige affectera inévitablement la position de nombreux particuliers », ce qui peut justifier, dans de rares cas, l’intérêt à agir d’une association, uniquement en tant que représentante légale de victimes individuelles.
Or Eicke constate que, contrairement à cette « réponse traditionnelle », les juges majoritaires vont arguer du contexte spécifique du changement climatique pour justifier le bénéfice de la qualité pour agir de l’association, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice » : cela en raison de l’urgence, de la gravité et des risques d’irréversibilité du phénomène. Au contraire, Eicke estime qu’il n’y a pas cette « imminence » du péril qui est exigée par la jurisprudence de la Cour. De même, alors que la jurisprudence exige « une source identifiée de pollution (potentielle) à proximité géographique » du dommage, les juges majoritaires ont voulu « créer un nouveau « droit pour les individus » et une obligation de « protection effective » de la part des autorités de l’État contre les effets néfastes causés par le changement climatique ». Cela reviendrait à créer une nouvelle « obligation primordiale », obligeant chaque État contractant à « prendre des mesures en vue de réduire sensiblement et progressivement ses niveaux respectifs d’émissions de GES, en vue d’atteindre la neutralité carbone dans, en principe, les trois prochaines décennies ». Or pour le juge Eicke, l’article 8 ne fournit pas de fondement à cet égard, et la Cour manque de légitimité car elle est mal équipée intellectuellement pour s’affronter à une telle difficulté. Cela lui permet de conclure que l’arrêt donnera un « (faux) espoir » à tous ceux qui voient dans les tribunaux une possibilité d’apporter des réponses dans la lutte contre le changement climatique. L’action juridictionnelle des associations pourrait même se révéler contre-productive en détournant l’attention des nécessaires efforts législatifs47.
Même s’il s’étend peu sur la question, il rappelle toutefois que le rôle donné ainsi aux associations se rapproche d’une « actio popularis » qui, pour être reconnue par un certain nombre d’États membres, fait l’objet d’un refus constant de la part de la Cour dont la tâche n’est pas d’examiner le droit in abstracto. Or c’est exactement ce qu’a fait la majorité, tout en affirmant le contraire48.
Toujours selon le juge Eicke, rien dans la convention ne vient légitimer le choix des juges majoritaires d’« éviter un fardeau disproportionné pour les générations futures » puisqu’elles n’ont aucune existence dans la Convention49.
2. Les juges majoritaires au soutien de la fonction collective et intergénérationnelle des associations de lutte contre le changement climatique
Pour les requérantes individuelles, la Cour reconnaît qu’elles appartiennent à une catégorie particulièrement sensible aux effets du changement climatique qui, d’une manière générale, touche un nombre de personnes indéterminé et requiert un « ensemble complet de politiques de transformation » qui touchent l’ensemble de la population. Reconnaître « sans réserve » un droit de recours individuel dans ce contexte, en fait collectif, « ne se concilierait guère avec l’exclusion de l’actio popularis »50. Pour éviter cet écueil, la Cour considère qu’un « requérant doit démontrer qu’il a été personnellement et directement touché par les manquements qu’il dénonce », et elle estime qu’aucune d’entre elles ne remplit ces critères, faute d’avoir établi qu’elle a été exposée à des circonstances exceptionnelles qui l’individualise face au risque global (§§ 470, 531 à 535).
C’est à propos de l’association que la Cour va innover. Les juges majoritaires commencent par admettre l’existence d’une tension entre les obligations des États, tenus d’engager des politiques totales et de très long terme (§ 478), et la fonction juridictionnelle, par définition réactive et non proactive. Cela justifie sa jurisprudence constante d’un refus de toute actio popularis51, qui serait tentante pour des associations qui pourraient en faire leur objet social.
La Cour va donc se rapprocher de l’argumentation de l’association requérante, soutenant qu’elle ne menait pas une « action d’intérêt général », mais donnait à des personnes physiques les moyens, entre autres matériels, leur permettant de porter leur action devant la Cour (§ 306). Ceci étant acquis, la Cour va porter le débat sur le terrain des particularismes de la démocratie contemporaine au regard de la spécificité du changement climatique (§§ 489 et s.). Elle justifie alors le rôle que jouent les associations en matière de changement climatique52 (§§ 614, 618), action reconnue comme essentielle par la société contemporaine, en particulier par la Convention d’Aarhus, « ratifiée par la quasi-totalité des États membres du Conseil de l’Europe », la charte des droits fondamentaux et la CJUE. Elles peuvent être l’un des seuls moyens qui permette aux personnes défavorisées sur le plan de la représentation, de faire entendre leur voix : or l’accès à un tribunal et le droit à un procès équitable occupent une place « éminente » dans une société démocratique (§§ 497, 626). La Cour va donc reconnaître l’importance d’autoriser une association à recourir à l’action en justice sur le fondement de considérations de santé et d’atteinte aux modes de vie, pour que les États soient encouragés à « engager une action adéquate propre à garantir les droits conventionnels des personnes actuellement touchées mais aussi de celles dont lesdits droits pourraient être compromis à l’avenir si rien n’est fait en temps voulu ».53
Ce n’est toutefois pas un droit absolu, le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire constituant un but légitime pouvant limiter le droit d’accès à un tribunal. La Cour a donc pour mission de « maintenir un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu » (§ 628). Elle réaffirme que la Convention ne reconnaît pas l’actio popularis, pour « éviter que la Cour ne soit saisie par des individus se plaignant de la simple existence d’une loi applicable à tous ou d’une décision de justice auxquels ils ne sont pas parties » (§ 596). Et pour éviter que l’action des associations ne se transforme en actio popularis, il faut éviter tout « type de grief abstrait relatif à une dégradation générale des conditions de vie » et toujours « considérer les conséquences de cette dégradation sur un individu ou groupe d’individus particulier » (§§ 499 et s.)54.
Pour autant, la Cour met en avant le fait que l’association, avec plus de 2 000 adhérentes âgées de73 ans en moyenne, dont l’objet est de promouvoir la réduction des émissions de GES en Suisse et d’aider à l’adaptation, défend les intérêts de ses adhérentes, mais aussi ceux de la population en général et des générations futures en introduisant des actions en justice portant sur le climat55. « Les intérêts défendus par l’association sont tels que le « litige » qu’elle soulève présente un lien direct et suffisant avec les droits de ses membres en question », suffisant pour confirmer que ces derniers sont les véritables « victimes » (§§ 618, 621, 623). Dans la mesure où les tribunaux suisses lui ont refusé l’accès à un tribunal56 en lui déniant son intérêt à agir, l’accès à la Cour européenne, sert la bonne administration de la justice. Les dénégations de la Cour concernant l’actio popularis peinent donc à convaincre (§ 460). Comme l’ont noté A. Stevignon et M. Torre-Schaub : « En définitive, en reconnaissant la qualité pour agir à une ONG, la grande chambre de la Cour nous paraît avoir introduit une exception importante à la règle de l’exclusion l’actio popularis »57.
Concernant le droit à la vie (art. 2), la Cour rappelle qu’une association ne peut pas « se plaindre de nuisances ou troubles que seules des personnes physiques peuvent ressentir », sauf dans des cas strictement délimités (§§ 473, 477). C’est pourquoi le droit à la vie protégé par l’art. 2 ne s’applique pas de manière générale, et en l’occurrence pas dans le cas des Aînées pour climat. Certes les effets délétères du changement climatique concernent toute l’humanité, mais une association requérante doit pouvoir démontrer un risque vérifiable, grave, réel et imminent pour la vie d’une catégorie des personnes âgées, ce qui n’est pas le cas ici (§§ 511-512).
Concernant l’article 8 qui protège le droit à une vie privée et familiale, la Cour commence par rappeler que les juridictions suisses n’ont pas jugé utile d’examiner la qualité pour agir de l’association sur ce fondement. Pourtant, l’action en justice contre les effets du changement climatique est au cœur de son objet social, elle qui compte plus de 2000 adhérentes, qui a été « légalement constituée », est représentative de « personnes pouvant faire valoir de manière défendable que leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie tels que protégés par la Convention se trouvent exposés à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au changement climatique ». La Cour en déduit que « les griefs soulevés par l’association requérante pour le compte de ses adhérentes relèvent de l’article 8 » : « Il s’ensuit que l’association requérante possède la nécessaire qualité pour agir dans la présente procédure et que l’article 8 trouve à s’appliquer dans le cadre de son grief » (pt. 526). Les Aînées pour le climat réussissent donc à faire sanctionner le fait que la Suisse n’ait pas « fait sa juste part ».
IV- La réduction de la marge de manœuvre des États en matière climatique : La Cour et le colibri
Très diversement appréciée, la légende du colibri mise au goût du jour par Pierre Rabhi, met en scène des oiseaux qui fuient un immense feu de forêt. Seul le colibri va essayer de transporter quelques gouttes d’eau dans son bec minuscule. Le tatou se moque : avec tes trois gouttes d’eau tu vas éteindre le feu ? Et de répondre, je sais que je n’y peux rien mais je fais ma part58 – une sorte de miroir inversé du « suum cuique tribuere » ?
C’est en tout cas ce qui a inspiré les « aînées ».
A- Faire sa part
Les Aînées affirment d’emblée que l’obligation positive de l’État est de « faire tout ce qui est en son pouvoir pour accomplir sa part, (… alors qu’il a à ce jour) accompli beaucoup moins que sa part » (§ 320, 321) puisque le schéma actuel conduirait à l’épuisement du budget entre 2030 et 2033. Ainsi, « la Suisse s’arrogerait 0,2073 % du budget mondial de CO2 restant en 2022, alors que sa population représente 0,1099 % de la population mondiale » (§ 323). Alors qu’elles utilisent à seize reprises l’expression, elles précisent qu’elles n’ont pas pour objectif de « faire appliquer l’Accord de Paris mais seulement de se prononcer sur le point de savoir si la Suisse a violé les droits qu’elles tirent de la Convention et des normes internationales que leur gouvernement a reconnues pour les protéger de l’irréversibilité du risque de catastrophe anthropique qui menace (§§ 329, 330, 33459).
L’idée de « faire sa part », quelle qu’en soit l’efficacité est reprise dans l’intervention des Pays-Bas, par l’Université de Berne, par Greenpeace Allemagne et les Scientifiques pour l’avenir.
L’argumentation de l’État suisse est exactement inverse. Le gouvernement, qui utilise trois fois l’expression pour la combattre, y oppose l’idée que, seule une « action collective des États combinée aux efforts individuels des citoyens » pourra apporter une solution car la contribution de la Suisse n’est que d’environ 0,1% des émissions mondiales (§ 337). Sa position s’appuie sur un ensemble d’arguments : le fait que les parties à l’Accord de Paris ont volontairement refusé de créer un mécanisme contraignant (§ 352) ; l’existence d’un principe de subsidiarité60 ; le fait que les « institutions démocratiques du système politique suisse fournissent des moyens suffisants et appropriés », avec particulièrement un référendum ayant rejeté une partie du projet du parlement suisse (§ 356). Judiciariser créerait alors des tensions puisque certains États seraient contraints par leurs juridictions contrairement à d’autres. Enfin, ce serait contraire au principe de séparation des pouvoirs (§ 338). Même la « doctrine de l’instrument vivant » ne pourrait être invoquée pour justifier un changement aussi radical de la jurisprudence de la Cour.
Or la Cour va plutôt suivre la requérante, allant jusqu’à utiliser à deux reprises les mots du colibri malgré le caractère mondial du phénomène. Elle rappelle le principe de répartition intergénérationnelle de l’effort (§ 420), qu’elle déduit du principe des responsabilités communes mais différenciées car « chaque État a sa propre part de responsabilité » (§§ 441 s.). Elle rejette, comme l’avaient fait les juridictions néerlandaises et belge, l’argument « de la goutte d’eau »61 par lequel les États cherchent à se soustraire à leurs responsabilités en mettant en avant les manquement des autres États et boucle le raisonnement en affirmant aussi que, chaque individu doit « assumer sa part » des efforts (§§ 419, 444).
B- … avec une marge d’appréciation réduite
On connaît déjà les arguments de la Cour faisant du domaine climatique un domaine à part62. Cela se traduit, du point de vue technique, par des modifications importantes de la manière dont sera apprécié le principe de subsidiarité, qui fait de la Convention un instrument réactif par rapport aux autorités nationales dont le rôle est de veiller au respect des droits fondamentaux énoncés par la Convention. Se tourner vers la Cour ne se fait qu’en dernier recours, après épuisement des voies de recours internes.
En matière d’environnement, c’est aux autorités nationales de prendre les décisions qui s’imposent au titre de leur marge d’appréciation63 mais la Cour va en préciser les contours. Dans la définition des objectifs à atteindre, la liberté des États pour remplir son « devoir primordial » de protection est réduite (§ 544), conformément à la CNUCC et à l’Accord de Paris, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre soumission d’objectifs et obligation de les réaliser. Pour la Cour, l’article 8 impose donc à chacun « d’accomplir sa part », c’est-à-dire de définir « sa propre trajectoire » avec l’obligation d’atteindre la neutralité carbone au cours des trois prochaines décennies. Cette trajectoire dans le temps doit être telle qu’elle ne fasse pas peser une charge disproportionnée sur les générations futures – qui bénéficient ainsi d’une véritable obligation sans pour autant bénéficier d’un droit relié à une personnalité juridique. Avec une marge d’appréciation réduite, cela implique de prendre des mesures immédiates avec des objectifs intermédiaires réguliers. En réalité, la Cour privilégie l’adoption du système « calendrier – budget carbone » ponctué de dates précises, réclame que des preuves de réalisation soient disponibles, et que cela soit assorti de mesures d’adaptation et de garanties procédurales.
On ne peut qu’observer qu’elle passe au fond très vite sur le problème difficile qui lui avait été posé par le peuple suisse – et non par le gouvernement et le Parlement : en effet, alors que le Parlement avait voté en 2020 un plan relativement ambitieux, il fut rejeté par referendum en juin 2021, obligeant la Suisse à adopter un nouveau plan, nettement en retrait, qui laissait la période 2025-2030 sans aucune disposition. C’est cette situation qui sera jugée par la Cour incompatible avec les obligations positives qu’impose l’article 8 de la convention. Elle se fonde sur les travaux du GIEC qui demande une action forte au cours de la décennie actuelle au nom des répercussions négatives pour des milliers d’années qu’aurait l’abstention (§§ 561 et s.). La Cour note que le nouveau dispositif ne fixe que des objectifs généraux, le détail des obligations restant à construire, ce qui « ne peut être considéré comme un cadre réglementaire suffisant » au regard de l’urgence (§ 567).
Ce point est important au regard de la marge d’appréciation dont jouissent les États, en principe étendue lorsqu’il s’agit de choisir les moyens de réaliser l’obligation. En effet, examinant la méthode de la constitution d’un calendrier / budget carbone, la Cour ne l’impose pas comme seule solution possible pour quantifier les émissions autorisées (§ 570), mais elle se réfère au GIEC pour estimer que c’est une méthode satisfaisante au regard du principe de responsabilités communes mais différenciées (§ 572). D’où la conclusion : « Faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente pour la conception, le développement et la mise en œuvre du cadre législatif et réglementaire pertinent, l’État défendeur a outrepassé les limites de sa marge d’appréciation et manqué aux obligations positives qui lui incombaient en la matière. Les constats qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ».
Conclusion
On peut se contenter de deux réflexions conclusives. La première est purement factuelle mais peut conforter les juridictions – nationales aussi bien qu’internationales – dans leurs tentatives d’obliger les États à passer à l’action de toute urgence. Il s’agit d’une étude marquante de l’University College de Londres, publiée par le Lancet Countdown de 202464. Elle documente l’évolution des effets sanitaires croissants du changement climatique, reliant directement l’augmentation des jours de températures dangereuses pour la santé (50 jours en 2023), comme pour la sécurité alimentaire. – données scientifique connues. Mais les auteurs accusent de manière assez atypique les gouvernements et les entreprises, financières et industrielles, pour le manque de désinvestissement dans les énergies fossiles. Une étude provenant du monde médical semble se situer dans la même détermination que la Cour européenne des droits de l’homme.
Et pour ne jamais oublier de jeter un coup d’œil sur l’histoire, en l’occurrence l’histoire du droit, remontons au Moyen Âge65. On l’a vu, techniquement, le travail de la Cour a consisté à reconnaître « l’intérêt à agir » de l’association, donc sa capacité à passer par-dessus les refus qui lui avaient été opposés par l’administration et les tribunaux suisses pour faire reconnaître ses droits. Dans un article sur la justice royale, P-A. Forcadet montre comment la notion d’« intérêt » était devenue progressivement « producteur de droit ou de liberté » dans un contexte d’extension du pouvoir normatif du roi, de son administration et de ses juridictions. Un désir de justice semble avoir fait coïncider l’intérêt du justiciable à se libérer des juridictions multiples de l’Ancien régime auxquelles il était soumis et l’intérêt du roi à renforcer son autorité à travers sa propre justice. Avec le changement climatique, ce sont le processus législatif et, éventuellement, la justice étatique qui sont démonétisés au profit des juridictions européennes, interrégionales ou internationales66. Ce qui frappera aussi les observateurs contemporains du recours aux tribunaux en matière de justice climatique, est que le mouvement au Moyen Âge est réputé marqué par la notion de « bien commun » omniprésente aujourd’hui, certes dans un sens différent, mais lié : l’intérêt général est présent, mais passe par le désir de mise en commun du « bien ». Toujours pour suivre cette piste, notons que J. Hilaire avait vu dans ce mouvement les préliminaires de la construction d’un État de droit grâce à un afflux de causes menant au développement de la souveraineté royale67. Ici, ce sont les États souverains qui sont mis en accusation – ils agissent à court terme et privilégient des intérêts particuliers au détriment de l’humanité et des générations futures – et il s’agit d’utiliser les juridictions pour remettre le pouvoir souverain dans le droit chemin. Ne pas oublier qu’au bout du bout, c’est lui qui a, en l’état, le dernier mot.
1 CEDH 9 avr. 2024, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c/ Suisse, n° 53600/20.
2 Cette première approche fut suivie en 1979 par le rapport Charney adressé à la présidence des Etats-Unis. En 1988, le Programme des Nations Unies pour l’environnement s’allie à l’Organisation météorologique mondiale pour sonner l’alerte et créer le GIEC, aujourd’hui central dans le droit climatique. Pour une histoire de la prise en compte du changement climatique dans une histoire de l’énergie, J-B. Fressoz, Sans transition, une nouvelle histoire de l’énergie, Seuil, 2024, 416 p.
3 Ce principe est une reformulation du Nouvel Ordre Économique International, issu des théories de l’échange inégal et de la décolonisation. Le « Manuel sur les droits de l’homme et l’environnement 2022 » établi par le Conseil de l’Europe pour éclairer sur la jurisprudence de la Cour le définit ainsi pour les besoins du fonctionnement de la CEDH en matière d’environnement : « Ce principe se fonde sur la constatation que les pays ont atteint des stades variables de développement, ce qui veut dire qu’ils ont contribué et contribuent à des degrés variables aussi à la dégradation de l’environnement et qu’ils ne possèdent pas les mêmes capacités techniques et financières. Il reconnaît en même temps que, seule une action globale et coordonnée peut protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre » https://rm.coe.int/manuel-environnement-rec-cm-2022-20-fr/1680a9793a
4 J-M. Arbour, La normativité juridique du principe des responsabilités communes mais différenciées, Les Cahiers de droit, Vol. 55-1, mars 2014, p.33 ; S. Lavallée, Responsabilités communes mais différenciées et protection de l’environnement : une assistance financière en quête de solidarité ? L’équité en droit international de l’environnement, Les Cahiers de droit, 2014-1, p. 139. Certaines des bases de ces choix juridique sont critiquées, que ce soit la notion de responsabilité pour le passé envers les pays en voie de développement, O. Godard, Climate justice between global and international justice – Insights from justification theory, EUI Working Paper RSCAS 2011/56, https://cadmus.eui.eu/handle/1814/19157 ou envers les générations futures, cf. O. Godard, What Future for Future Generations ?, Revue Telos, (IV), Fondation de Malte, novembre 2010, p. 17 ; une critique générale par O. Godard, La justice climatique mondiale, La Découverte, 2015, 125 p. et Climat et générations futures – Un examen critique du débat académique suscité par le Rapport Stern. 2007 https://hal.science/hal-00243059 ; de fait, chaque façon de compter donne des résultats différents. Ainsi, le think tank Influence Map a calculé que 80% des émissions de CO2 entre 2016 et 2022 ont été le fait de 57 entreprises et entités étatiques dont le TOP 10 est occupé par des entreprises chinoises et russes, les majors occidentales occupant le Top 20, https://influencemap.org/
5 38 pays et la Communauté européenne prennent des engagements chiffrés.
6 S. Lavallée et S. Maljean-Dubois, L’Accord de Paris : fin de la crise du multilatéralisme climatique ou évolution en clair-obscur ? Rev.Jur.Env. 1/2016, Dossier COP 21, 19-36,
7 Les projections à l’orée de la COP 29 avancent + 3° en 2100. Le plan français d’adaptation au changement climatique affiche +2° en 2030, +2,7° en 2050, +4° en 2100, par rapport à l’ère industrielle, https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/comprendre/strategie/plan-national-dadaptation0 ; Météo France annonce + 5°de plus en moyenne en saison estivale dans le bassin méditerranéen site Climat Diag. O. Godard illustre l’impossibilité du 1,5°, Le climat, la justice et la démocratie, Futuribles 2024-4, p.49.
8 Contra, les petits États insulaires qui précisent au contraire que cela ne constitue pas de renonciation aux droits qu’ils détiennent en principe en vertu du droit international général.
9 A. Stevignon & M. Torre-Schaub le précisent : « si la décision n’est contraignante que pour la Suisse, elle fixe un standard a minima pour les autres États membres du Conseil de l’Europe », Dalloz, Dalloz Actualité 29 avril 2024.
10 N. Lenoir, Le juge et la transition climatique : analyse critique de l’arrêt du 9 avril 2024 de la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire des « Aînées pour le climat », https://www.actu-juridique.fr/environnement/le-juge-et-la-transition-climatique-analyse-critique-de-larret-du-9-avril-2024-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-dans-laffaire-des-ainees-po/
11 Si la Cour internationale de Justice se définit elle-même comme « tribunal mondial » compétent pour régler les différends entre États, encore faut-il que les États en conflit soient d’accord pour les lui soumettre et seuls les États peuvent la saisir. Ce n’est donc pas le tribunal idéal pour juger une matière impliquant non seulement les États mais aussi les citoyens du monde entier, autant que, point le plus délicat à l’heure actuelle, les entreprises.
12 Tout le livre de C. Cournil et L. Varison porte sur ce point, Les procès climatiques entre le national et l’international, Pedone, 2018.
13 Justice Syed Mansoor Ali Shah, Judge, Supreme Court of Pakistan Islamabad, Environmental and Climate Justice – A perspective from Pakistan, Asia Pacific Judicial Colloquium on Climate Change, Lahore (Pakistan) 26-27 February 2018 ; Lahore High Court, Sept. 4 2015 Leghari v. Federation of Pakistan, WP 25501, https://jusmundi.com/fr/document/decision/en-ashgar-leghari-v-federation-of-pakistan-order-of-the-lahore-high-court-friday-4th-september-2015
14 S. Maljean-Dubois, La responsabilité internationale de l’État pour les dommages climatiques, in C. Cournil et L. Varison, p. 197.
15 En 1993, la Cour suprême des Philippines reconnaît la « responsabilité intergénérationnelles » dans l’affaire Minors Oposa c. Factoran, https://lawphil.net/judjuris/juri1993/jul1993/gr_101083_1993.html . Noter l’influence d’une association très impliquée dans la justiciabilité du changement climatique, qui s’intitule « Our Children’s Trust. N. de Sadeleer, Quand la science climatique s’invite au prétoire. Décryptage de l’affaire Urgenda, Blogdroiteuropeen Working Paper, 3/2020, Mai 2020, https://wp.me/p6OBGR-3Hn ; Cour suprême de Colombie, 5 avril 2018 (Lozano Barragán et autres v. Présidence de la République de Colombie et autres, Cf. www.escr-net.org/fr/membre/dejusticia-centro-estudios-derecho-justicia-y-sociedad ) ; à la demande de 25 adolescents et jeunes adultes, entre 7 et 25 et une ONG ONG DeJusticia. Ils avaient fait le calcul des températures attendues lorsqu’ils auraient 78 ans, leur espérance de vie à l’époque.» Sur les actions de tutelle, cf. L-F. Garcia-Lopez, L’action de tutelle en droit colombien, Thèse Montpellier, 2006 ; du même auteur, Le précédent juridictionnel – Le pouvoir du juge dans la motivation des actes administratifs en Colombie, 2019, Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, file:///Users/macbookair/Downloads/crdf-3830.pdf ; E. Donger, Children and Youth in Strategic Climate Litigation: Advancing Rights through Legal Argument and Legal Mobilization, Transnational Environmental Law, vol. 11, 2022, pp. 263–289 ; M-A. Hermitte, Each Object Has its Own Subject! The Legal Revolutions of the Human-Nature Relationship, Legal Actions for Future Generations, E. Gaillard & D. Forman (ed). Peter Lang, 2020 ; S. Faure, Enfants, jeunes et générations futures, in S. Djemmi—Wagner, & V. Vanneau (collab.), Droit(s) des générations futures, Étude, IERDJ, 2023, https://gip-ierdj.fr/fr/publications/etude-droits-des-generations-futures/ p. 129 sv.
16 Dans son arrêt du 20 décembre 2019, le Hoge Raad des Pays-Bas a fait face à l’accusation de porter atteinte à la séparation des pouvoirs, répondant sobrement que c’est « au juge de contrôler si le gouvernement et le parlement ont exercé correctement leurs pouvoirs conformément au cadre normatif qui leur est imparti » (§8.3.2). Le HR rappelle à cet égard que «la protection des droits fondamentaux constitue l’élément essentiel de l’État de droit démocratique », et que l’État garde le choix des moyens, N. de Saadeler, op.cit. O. De Sutter, Cette jurisprudence a généralement été considérée comme une « source d’inspiration », C. Collin, Suite et fin de l’affaire Urgenda, une victoire pour le climat, https://www.dalloz-actualite.fr/flash/suite-et-fin-de-l-affaire-urgenda-une-victoire-pour-climat ; le Conseil d’État français fut efficace mais réaffirma la séparation des pouvoirs, trouvant les moyens de condamner l’État à respecter le budget carbone auquel il s’était juridiquement engagé via le droit européen. C. Cournil & L. Varison, Les procès climatiques entre le national et l’international, Pedone, 2018 p. 70 ; L. Fonbaustier, Séparation des pouvoirs, environnement et santé, Revue Conseil constitutionnel, Titre VII, 2019/2 n°3, p. 42, https://www.cairn.info/revue-titre-vii-2019-2-page-42.htm
17 id. l’auteure l’enracine dans les premiers procès américains suivant la décision de G. Bush de ne pas s’engager dans le Protocole de Kyoto, p.86. Les parties qui revendiquent un intérêt à agir sont souvent des associations qui se mobilisent, mais la commune de Grande-Synthe a été recevable du fait de son niveau d’exposition aux risques submersion marine découlant de sa situation géographique CE, 19/11/2020, https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042543665. Le gouvernement ayant sélectionné 126 communes menacées à court ou moyen terme, il est étonnant qu’elles n’aient pas constitué un réseau pour coordonner des actions en matière d’adaptation.
18 S. Larrieu & S. Roux, Peut-on prendre en compte le climat dans les comptes nationaux ? https://www.insee.fr/fr/statistiques/8276271?sommaire=8071406 ; les auteurs ont essayé de prendre en compte les « effets des émissions résidentes sur l’épuisement du « capital climatique » et la diminution du budget carbone restant.
19 É. Pic, La justice climatique en ébullition, https://journals.openedition.org/revdh/19963?lang=fr p. 3.
20 Le premier souhaitait une indemnisation des services perdus, le second le coût de remplacement des arbres, évidemment moins onéreux ; la Cour reconnut les deux. https://www.icj-cij.org/files/case-related/150/150-20180202-JUD-01-00-FR.pdf
21 Avis consultatif A 31 ; sont particulièrement visés les phénomènes d’acidification des océans et leurs conséquences sur les écosystèmes et les ressources biologiques qu’ils accueillent.
22 Y compris navires battant leur pavillon, https://itlos.org/fr/main/affaires/role-des-affaires/demande-davis-consultatif-soumise-par-la-commission-des-petits-etats-insulaires-sur-le-changement-climatique-et-le-droit-international-demande-davis-consultatif-soumise-au-tribunal/
23 C’est une reprise du projet de 2011 lorsque les îles Marshall avaient souhaité saisir la CIJ avant d’abandonner l’idée. Le représentant du Vanuatu a évoqué, le 2 décembre 2024, « l’affaire la plus importante de l’histoire de l’humanité ».
24 Au début de la COP 29, le gouvernement du Royaume-Uni propose de s’engager sur une CDN ambitieuse de – 81% d’ici 2035 par rapport à 1990, https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/11/12/cop29-le-royaume-uni-s-engage-a-reduire-ses-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-de-81-d-ici-a-2035_6389880_3244.html
25 H. Hellio, Les contributions déterminées au niveau national de l’accord de Paris devant le juge international, in C. Cournil et L. Varison, op. cit., p. 219 ; li faisait remarquer que es obligations consenties par les États en matière de climat pèsent finalement sur les entreprises, ce qui permettrait d’envisager de saisir l’Organe des règlement des différends de l’OMC ou le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (CIRDI).
26 O. Godard, Le climat, la justice et la démocratie – La CEDH contre la Suisse, progrès ou dévoiement des droits de l’homme ? Futuribles 4-2024 p. 50
27 L. Boisson de Chazournes fait remonter la première tentative à 1970, L’environnement – Droits de l’homme et environnement : une relation évolutive, in Dialogue entre Juges, Conseil de l’Europe, 2020, https://www.venice.coe.int/files/Boisson%20de%20Chazournes.pdf ; plusieurs autres textes existent mais ne sont pas encore en vigueur.
28 Dans le « Manuel sur les droits de l’homme et l’environnement » adoubé par le Conseil de l’Europe, il est admis que ni la Convention ni la Charte sociale européenne de 1961 ne prévoient de protection générale de l’environnement. https://www.coe.int/fr/web/human-rights-intergovernmental-cooperation/-/manual-on-human-rights-and-the-environment ; https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/dh_dev_manual_environnement_fr
29 En l’occurrence, elle retenait la nécessité de contrebalancer les nuisances individuelles par les « nécessités » du transport aérien ; P. Baumann, Le droit à un environnement sain et la convention européenne des droits de l’homme, LGDJ, 2021, 642 p.
30 On peut noter que le « Manuel » de 2022 évoque l’intérêt de la charte sociale européenne, rappelant qu’elle aussi ignore toute forme de droit à un environnement sain. Les dispositions du Comité sur les conditions de travail pourraient devenir essentielles en période de canicule du fait de la notion d’interprétation évolutive, sachant que le lien entre environnement et droits de l’homme est désormais un acquis international. On notera que, à la suite des inondations catastrophiques de Valencia, le gouvernement espagnol a approuvé en décembre 2024, le principe d’un « congé climatique » en cas d’alerte météorologique majeure.
31 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Il est complété par l’article 13, droit à un recours « effectif ». Il faut préciser que la limitation apparente aux droits civil et pénal a été contournée par la Cour qui intervient également dans les affaires impliquant le droit public, p. 85. Ce droit est limité pour les associations de défense de l’environnement qui ne peuvent y prétendre si elles ne défendent qu’un intérêt public général (p.90, 91).
32 Pour une vision très complète de la position des générations futures dans le droit, S. Djemmi—Wagner & V. Vanneau (collab.), Droit(s) des générations futures, Étude, IERDJ, 2023, https://gip-ierdj.fr/fr/publications/etude-droits-des-generations-futures/ ; É. Gaillard, Générations futures et droit privé : vers un droit des générations futures, L.G.D.J., 2011 ; J-P. Markus (dir.), Quelle responsabilité juridique envers les générations futures ? Dalloz, 2012.
33 G. Petro, Santiago de Chile, 9/10/2023 cité par É. Pic, La justice climatique en ébullition, La Revue des droits de l’homme [Online], Actualités Droits- Libertés, Online 22 April 2024, https://doi.org/10.4000/revdh.19963
34 Les propositions les concernant s’arrêtent souvent à mi-chemin. Sur la dernière en France, cf. la proposition de loi élaborée à la suite du travail de la députée C. Muschotti, Création d’un défenseur de l’environnement et des générations futures, 2021 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0608_proposition-loi ; on remarquera les explications de Stéphane Hoynck, rapporteur public devant le Conseil d’État dans l’affaire Grande-Synthe , qui explique comment la Haute juridiction a pu se passer du recours à la catégorie « générations futures » dans la mesure où le droit européen, fixant un calendrier avec échéancier 2020, 2030, 2050, implique à ce titre les générations présentes s’obligeant pour le futur. Ce n’est pas faux, mais le calendrier peut aussi bien être vu comme un outil intergénérationnel facilité par la reconnaissance de l’intérêt à agir des associations, ce qui est plus innovant, cf. S. Djemmi—Wagner, op. cit. p. 126-127.
35 M-A. Chardeau, La Cour européenne des droits de l’Homme, nouvel acteur de la justice climatique, Actu- Juridique, 26/09/2024, https://www.actu-juridique.fr/environnement/la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-nouvel-acteur-de-la-justice-climatique/ ; elle signale à juste titre le travail considérable accompli par la Cour pour réunir l’ensemble de la pensée juridique autour de la justice climatique, l’aspect panorama en quelque sorte.
36 Commission européenne pour la démocratie par le droit, Avis no 997/2020, 9/10/ 2020, CDL-AD(2020)020-e..
37 La Cour constitutionnelle allemande avait au contraire refusé de sauter le pas, sa jurisprudence rejetant la possibilité que les associations plaident au nom de la nature.
38 Sur les notions sujet de jouissance – sujet de disposition, cf. J-P. Marguénaud – René Demogue, La notion de sujet de droit, Dalloz- Tiré à part, 2025.
39 J. Lefebvre, La protection des générations futures : entre intérêt général, responsabilité et Fraternité, La Revue des Droits de l’Homme, Libre propos, n°22, 2022 : https://doi.org/10.4000/revdh.14817 ; autant la personnalité juridique d’entités existantes hic et nunc est une abstraction propre au monde du droit, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales, et non une fiction, autant celle que pourraient endosser les générations futures qui, par hypothèse n’existent pas, serait bien une fiction sur le modèle de l’infans conceptus.
40 Même si le mot humanité est bien plus utilisé, sur le mode « le changement climatique représente un risque pour l’existence même de l’humanité », pt. 420. On y verra évidemment l’heuristique de la peur développée précocement par H. Jonas, Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1979, et son interprétation juridique par E. Brown Weiss, Justice pour les générations futures, Éditions Le sang de la terre,1993. Contra, D. Lecourt, Contre la peur, Éditions Pluriel,1993 ; G. Hottois, Aux fondements d’une éthique contemporaine, Vrin, 1993. C’est la Cour constitutionnelle allemande qui est allée le plus loin dans ses raisonnements en affirmant qu’il n’était pas justifié de permettre à une génération d’épuiser la majeure partie du budget résiduel de CO2 par ses modes de vie, si cela ne laisse plus aucune liberté aux générations futures, qui seraient alors condamnées à une « austérité radicale ».
41 Le droit français en a choqué plus d’un, lorsque le Code civil a intégré un article 16-4, « Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine ». M-A. Hermitte, De la question de la race à celle de l’espèce, Analyse juridique du transhumanisme, in G. Canselier & S. Desmoulin-Canselier (dir.), Les catégories ethno-raciales à l’ère des biotechnologies, Société de Législation comparée, 2011, p. 155 et sv.
42 Demande d’avis consultatif sur l’urgence climatique et les droits de l’homme, soumise à la Cour interaméricaine des droits de l’homme par la République de Colombie et la République du Chili, 9 janvier 2023, É. Pic, La justice climatique en ébullition, La Revue des droits de l’homme [Online], Actualités Droits- Libertés, Online 22 April 2024, https://doi.org/10.4000/revdh.19963
43 D. Bourg (dir.), Inventer la démocratie du XXIe siècle : l’Assemblée citoyenne du futur, Les liens qui libèrent, 2017.
44 S. Djemmi—Wagner (op.cit.) juge peut-être imprudemment la question dépassée, avec les mêmes arguments que la CEDH : sociétés complexes, normes enchevêtrées qui nécessitent une interprétation comblant les lacunes, les silences, les ambiguïtés, il faudrait dire aussi les contradictions, voire les lâchetés, et surtout évolutions de la société, p.71. Si le propos est imprudent, c’est que l’avancée réalisée par les tribunaux peut être stoppée par des États récalcitrants qui modifieraient volontairement les textes sur lesquelles les juridictions s’appuient pour fonder leurs décisions, et qui requiert une maîtrise délicate du déséquilibre actif entre les deux composantes de l’office du juge, la jurisdictio et l’imperium. V. Sizaire, Gouverner les juges. Pour un pouvoir judiciaire pleinement démocratique, La Dispute, 2024.
45 C’est tout le travail de J. Rochfeld dans son livre, Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne, Odile Jacob, 2019 ; J. Commaille & B. Hurel, La réforme de la justice française. Un enjeu entre instrumentalisation et démocratie, Droit et Société 2011/2, p. 391 ; M. Munir, Are Judges the Makers or Discoverers of the Law?: Theories of Adjudication and Stare Decisis with Special Reference to Case Law in Pakistan, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1792413 ; en France, on a assisté presque en même temps à la création de l’association des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale et à celle d’une chambre spéciale relative au devoir de vigilance et aux actions en responsabilité écologique (complexité, transversalité de questions émergentes).
46 Ce point est renforcé par le fait qu’aucune « des propositions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« APCE ») visant à conférer à la Cour une compétence expresse en matière d’environnement propre et sain par l’adoption d’un protocole ou d’une autre manière n’a jusqu’à présent reçu l’approbation des Parties contractantes à la Convention ». Dans la résolution 2396 du 29 septembre 2021, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe reconnaît « la responsabilité particulière des générations présentes envers les générations futures », https://pace.coe.int/fr/files/29499/html
47 S. Djemmi—Wagner (op.cit) fait ainsi remarquer que les obstacles traditionnellement mis sur l’intérêt à agir poussent les plaideurs à multiplier le type de demandeurs pour « sauter l’obstacle » : particuliers, villes, enfants, ONG, p.70.
48 Le Manuel 2022 du vocabulaire de la Convention définit ainsi cette « expression latine » : action entamée par une personne ou un groupe d’individus pour obtenir réparation au nom de l’intérêt général. Ces personnes ou groupes ne sont pas victimes eux-mêmes d’une violation et ils ne sont pas autorisés à représenter une victime quelconque. La jurisprudence de la Cour ne prévoit pas ce type d’action, en particulier pour protéger l’environnement (ref. Bursa Barosu Başkanliği et autres c. Turquie).
49 On pourra rapprocher ce point de vue de celui développé par O. Godard qui voit dans cet arrêt un droit à un environnement assurant un « conservatisme météorologique » (op.cit. p. 64) alors qu’il se limite à la recherche d’un climat vivable, quels que soient les épisodes météos qui, selon la Cour, relèvent davantage de l’adaptation
50 « Si le cercle des « victimes » effectivement ou potentiellement touchées est défini de manière ample et généreuse, cela risque d’ébranler les principes constitutionnels internes et la séparation des pouvoirs en ouvrant un large accès au système judiciaire comme moyen de provoquer des changements dans les politiques générales relatives au climat » pt. 484.
51 Le Tribunal fédéral suisse avait précisément refusé l’action de l’association, au motif que la requête cachait une telle actio popularis. Pour le Tribunal, de telles questions devaient être réglées par le processus démocratique.
52 Elle fait référence au GIEC lorsqu’il établit en 2018 l’augmentation de la fréquence et de la gravité de la mortalité liée à la chaleur avec une vulnérabilité particulière de certaines catégories, personnes âgées, enfants, femmes, personnes atteintes de maladies chroniques.
53 C. Cournil & L. Varison, op. cit. p.91
54 L’association doit avoir été légalement constituée, avoir la qualité pour agir, démontrer sa représentativité, et sa capacité à servir l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
55 S. Djemmi—Wagner remarque avec finesse que la décision de la COP21 à laquelle l’Accord est annexé, renvoyait aux « efforts déployés par toutes les entités non parties afin de faire face et de répondre aux changements climatiques, y compris ceux de la société civile, du secteur privé, des institutions financières, des villes et des autres autorités infranationales … et que c’est dans cette brèche ouverte par les États parties eux-mêmes que la société civile s’est engouffrée pour interpeller les États ne respectant pas leurs engagements », op cit. p. 63
56 L’action de l’association a été rejetée, successivement par le DETEC, autorité administrative, puis par deux niveaux de juridiction sans examen au fond de ses griefs a
57 A. Stevignon et M. Torre-Schaub, Épilogue dans l’affaire des Aînées pour le climat : la Cour européenne des droits de l’homme rend une décision remarquable, Dalloz, 29 Avril 2024.
58 La part du colibri : L’espèce humaine face à son devenir, Mikros, 2018
59 Alexandre Kiss avait vu très tôt l’importance de l’idée d’irréversibilité, A. Kiss, L’irréversibilité́ et le droit des générations futures, Revue Juridique de l’Environnement, numéro spécial, 1998, p. 51.
60 Défini ainsi dans le Manuel 2022 : La subsidiarité est à la base du mécanisme de protection des droits de l’homme institué par la Convention. Elle prévoit qu’il incombe d’abord et avant tout aux autorités nationales de veiller au respect des droits découlant de la Convention, et d’accorder des réparations s’ils ont été violés. Il ne peut donc être fait appel au mécanisme de la Convention et à la Cour européenne des droits de l’homme qu’en dernier recours, si les autorités nationales n’ont pas offert la protection ou les réparations requises. Cf. Déclaration d’Interlaken de la Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme.
61 Soutenu au contraire par O. Godard, op. cit. p. 54.
62 Caractère mondial des causes et des conséquences, certitude des données scientifiques, gravité des conséquences, risques d’irréversibilité, urgence de la lutte qui ne dispose plus que d’une courte fenêtre d’opportunité, insuffisance des actions étatiques, difficultés de la mise en balance de facteurs antagonistes
63 La jurisprudence sur ce concept est considérable. Jusqu’à maintenant, la définition adoubée par le Manuel 2022 partait des cas où des mesures imposant des restrictions à la Convention/Charte prévues par une loi sont « nécessaires dans une société démocratique », et « poursuivent un but légitime », il faut encore qu’elles soient proportionnées à ce dernier : c’est la « marge d’appréciation » dont les autorités disposent pour réaliser cet objectif. Il était déjà acquis que l’amplitude de la marge variait en fonction du problème ; ; mais en matière d’environnement, la Cour l’a jugée importante. C’est ce point que change la jurisprudence climatique car elle y est au contraire moins importante.
64 L’objet de la revue est ainsi défini : « The Lancet Countdown s’efforce de faire en sorte que la santé soit au cœur de la manière dont les décideurs comprennent et réagissent au changement climatique. Grâce à des données scientifiques de haute qualité, nous travaillons à éclairer les politiques » https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)01822-1/abstract et https://www.nature.com/articles/s41612-024-00783-2 ; https://lancetcountdown.org/
65 P-A. Forcadet, L’intérêt à agir et l’intérêt royal : aux origines de la justice publique au Moyen Âge, in La notion d’intérêt(s) en droit, dir. V. Barbé, S. Mauclair et C. Guillerminet, IFJD, Paris, 2020, p. 11-21 ; l’auteur rappelle que le mot intérêt a endossé plusieurs sens et que Cicéron adopte une concept proche de la nôtre « il importe que », qui deviendra chez les juristes, le dédommagement en cas de préjudice (Digeste. 19, 2, 33). Au XIVe, la notion de dampmages et interes, est ascquise.
66 C’est ce sur quoi insiste M-A. Chardeau, en parlant de la Cour comme « acteur de la justice climatique », op. cit.
67 J. Hilaire, La construction de l’État de droit dans les archives judiciaires de la Cour de France au XIIIe siècle, Paris, 2011.