L’insuffisance du cadre juridique applicable à la réinstallation des réfugiés en droit français
Par Delphine Burriez, Maître de conférences, Université Paris 2 Panthéon Assas
Depuis quelques années, la réinstallation des réfugiés, qui consiste en le transfert de réfugiés d’un premier pays d’exil vers un autre Etat qui a accepté de les accueillir légalement sur son territoire, est devenue une véritable composante de la politique migratoire française. La pratique se stabilise autour d’engagements périodiques pris par l’Etat français, sur une base de 10 000 réinstallés sur une période de deux ans. Mais le droit interne ne s’est pas adapté au développement de cette pratique, laissant cette dernière sans réel cadre juridique. Ce vide juridique soulève de nombreuses incertitudes, susceptibles de fragiliser les programmes de réinstallation des réfugiés.
La réinstallation des réfugiés consiste en le « transfert des réfugiés du pays où ils ont sollicité l’asile vers un autre Etat, qui a accepté de les accueillir sur son territoire » (Glossaire du HCR, p. 104, https://www.unhcr.org/fr/4ad2f5d638e.pdf). Elle constitue donc une voie d’entrée légale sur le territoire pour le réfugié en recherche d’un pays d’accueil et de sa protection. A cet égard, elle peut être rapprochée de la relocalisation mise en place dans le cadre de l’Union européenne et de la pratique des visas humanitaires, qui autorisent toutes deux l’étranger à accéder légalement au territoire. La relocalisation repose sur le transfert d’un étranger ayant introduit une demande d’asile en Italie ou en Grèce vers un autre Etat européen afin que celui-ci statue sur sa demande d’asile. Ce mécanisme dit de « solidarité » entre les Etats européennes est conçu comme un « système de dérogation aux critères de détermination de l’Etat membre responsable de la demande d’asile énoncés au chapitre III du règlement « Dublin III » » (S. Slama, « La gestion européenne de la « crise des réfugiés », un révélateur de la crise des droits fondamentaux en Europe, in M. Benlolo Carabot, Union européenne et migrations, Bruylant, 2020, pp.204 – 230, spéc. p. 217). Les visas humanitaires sont quant à eux accordés à des « personnes qui ne satisfont pas les conditions d’entrées des voies d’immigration légales et souhaitent rejoindre le territoire d’un Etat en vue d’y introduire une demande de protection internationale » (C. Peyronnet ; T. Racho, « « Ceci n’est pas un visa humanitaire » : La Cour de justice neutralise l’article 25 § 1 a) du code des visas », La Revue des droits de l’homme, publiée en ligne, 28 avril 2017, http://journals.openedition.org/revdh/3047, §3). Ces mécanismes de voie d’entrée légale ont vocation à satisfaire l’une des conditions de la demande d’asile qui repose sur la présence de l’étranger sur le territoire de l’Etat dont il entend réclamer la protection.
Mais la réinstallation va plus loin. En effet, contrairement à la relocalisation et aux visas humanitaires, la réinstallation garantit à l’étranger la reconnaissance du statut de réfugié. Le réfugié réinstallé de son premier pays d’asile obtient automatiquement et immédiatement le statut de réfugié par son pays de réinstallation. Ce dernier est donc normalement assuré, dès son départ, de bénéficier de la protection de l’Etat et n’est pas tenu, une fois arrivé légalement sur le territoire, d’introduire une demande d’asile. Dit autrement, la réinstallation fait sauter deux « verrous » en matière migratoire, celui de l’accès au territoire en sécurisant l’entrée du réfugié et celui de la régularité du séjour qui est garantie à travers le statut de réfugié. Par opposition, dans le cadre de la relocalisation et des visas humanitaires, l’Etat ayant admis l’étranger sur son territoire est appelé à instruire sa demande d’asile et peut donc lui refuser la protection internationale à l’issue de cette instruction.
A l’instar de la relocalisation (voir dans ce sens, S. Slama, précité, spéc. §§ 231-220) et des visas humanitaires, la réinstallation des réfugiés souffre d’un bilan mitigé. D’un côté, elle a pris une place importante dans les propositions faites aux Etats dans le cadre de leur politique migratoire, notamment par le biais du HCR et de l’Union européenne. On notera à cet égard que la réinstallation des réfugiés a été introduite dans les instruments internationaux adoptés en matière migratoire, comme la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants (Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 19 septembre 2016, A/RES/71/1, §§ 77-78) et le Pacte mondial sur les réfugiés (Pacte mondial sur les réfugiés, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 17 décembre 2018, A/RES/73/151, §§ 90-93), adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies, respectivement le 19 septembre 2016 et le 17 décembre 2018. D’un autre côté, le nombre de personnes réinstallées est très en deçà des besoins des personnes victimes de persécutions. En février 2020, le HCR alertait ainsi les Etats quant à l’ « écart considérable [qui] subsiste entre les besoins de réinstallation des réfugiés et la mise à disposition de places par les gouvernements à travers le monde ». Dans son rapport pour l’année 2020, le HCR estime les besoins de réinstallation à hauteur de 1,44 million de personnes dont 667 432 en Afrique, 150 000 en Ouganda, 105 200 en Ethiopie et 420 000 en Turquie (Rapport du HCR « UNHCR Projected Global Resettlement Needs 2020 », juillet 2019, pp. 62-63, https://www.unhcr.org/5d1384047.pdf). Or, malgré les nombreux appels lancés par le HCR, le nombre de personnes bénéficiant effectivement d’une réinstallation vers un pays tiers avoisine les 100 000 réfugiés pour l’année 2019 (HCR, « Global trends. Forced displacement in 2019 », p. 2). Et la tendance est à la baisse, certains Etats réduisant la voilure de manière significative. Ainsi, les Etats-Unis ont admis sur leur territoire quelques 30 000 réfugiés en 2019 contre 85 000 en 2016. Et l’année 2020 devrait permettre l’arrivée sur le territoire américain de 18 000 réfugiés réinstallés seulement.
Certains Etats mettent en œuvre des programmes de réinstallation des réfugiés depuis de nombreuses années[1]. Les premières initiatives en la matière sont apparues à la fin de la seconde guerre mondiale. Les dispositifs, souvent ad hoc, autorisant l’admission sur le territoire de personnes déplacées apparaissent ainsi en faveur des ressortissants européens à partir de 1945, en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux Etats-Unis. Ces programmes s’ouvriront ensuite, en fonction des mouvements migratoires, à d’autres nationalités. Ainsi, les Etats-Unis accueilleront sur leur territoire les étrangers fuyant les régimes communistes en Hongrie, Pologne, Yougoslavie, Corée, Chine et à Cuba. La fin de la guerre du Viêtnam en 1975 et la vague migratoire qui s’en est suivie renforceront les initiatives en la matière. Elles engageront notamment le Canada sur la voie de la réinstallation avec plus de 60 000 réfugiés réinstallés entre 1979 et 1980 en provenance du Cambodge, du Laos et du Vietnam. Les premières réinstallations du continent européen sont quant à elles réalisées par la Suède à partir 1950 et le Danemark à partir de 1956. De manière générale, les années 80 seront marquées par l’adoption de plusieurs législations nationales en matière de réinstallation consolidant les pratiques antérieures et prévoyant pour plusieurs d’entre elles un quota annuel de réinstallations des réfugiés, notamment au Danemark (1979), aux Etats-Unis (le Refugee Act de 1980), aux Pays-Bas (1984), en Finlande (1985) et en Australie (1987).
Panorama de la réinstallation en France
En comparaison, l’intérêt de la France pour le mécanisme de réinstallation des réfugiés a été beaucoup plus tardif. Il prend naissance dans la conclusion d’un accord-cadre de coopération avec le HCR le 4 février 2008 qui évoque en son article 5 un « programme de réinstallation des réfugiés ». Mais la portée de ce programme est limitée, pour ne pas dire symbolique, dès que l’accord prévoit uniquement que la France « examinera les dossiers de réfugiés dont la réinstallation sur le territoire nationale est envisagée », dans la limite d’une centaine de dossiers par an (Article 5.1 et 5.3 de l’Accord-cadre)[2]. Ce n’est finalement qu’à partir de 2013 que la France s’engagera effectivement à l’égard de l’admission d’un certain nombre de réfugiés sur le territoire français par le biais de la réinstallation. Ces engagements prennent différentes formes : déclaration unilatérale du Président de la République, acte concerté au sein de l’Union européen, acte de l’Union européenne… La nature (contraignante ou non) et la portée de ces engagements ne sont pas toujours faciles à déterminer[3]. Il nous semble possible d’établir la liste suivante des engagements pris la France en matière de réinstallation des réfugiés :
– l’engagement pris par la France en octobre 2013[4], réitéré en 2014[5], de procéder à la réinstallation de 500 réfugiés syriens ;
– l’engagement pris par la France dans le cadre des conclusions du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 2015 de procéder à la réinstallation de 2375 réfugiés syriens[6] ;
– l’engagement pris par la France en 2016 de procéder à la réinstallation de 6000 réfugiés depuis la Turquie dans le cadre de la mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 ;
– l’engagement de la France en 2017 de procéder à la réinstallation de 2000 réfugiés depuis le Liban[7] ;
– l’engagement de la France en 2017 de procéder à la réinstallation de 10 200 réfugiés sur 2 ans depuis la Turquie, le Liban, le Niger et le Tchad à la suite de l’appel de la Commission d’ouvrir 50 000 places de réinstallation sur l’ensemble du territoire européen[8] ;
– l’engagement pris par la France en octobre 2018 d’accueillir 100 femmes yézidies et leur famille, victimes de l’organisation Etat islamique et résidant dans les camps de réfugiés du Kurdistan irakien[9] ;
– l’engagement de la France dans le cadre du premier Forum mondial sur les réfugiés de décembre 2019 de procéder à la réinstallation de 10 000 réfugiés sur 2 ans[10].
Comme pour d’autres Etats, ces engagements sont bien faibles par rapport aux besoins des réfugiés. Leur mise en œuvre n’en permet pas moins à la France d’être classée 4ème pour l’année 2018 et 5ème pour l’année 2019 pays de réinstallation des réfugiés par le HCR, avec respectivement un total de 5109 et de 4544 réfugiés réinstallés (voir https://www.unhcr.org/fr-fr/reinstallation.html ainsi que la base de données du HCR, « Resettlement Data Finder »). Au-delà de ce chiffre global, il est bien difficile d’apprécier dans quelle mesure tel ou tel engagement a été effectivement honoré. En effet, les engagements se chevauchent dans le temps et certains se muent l’un en l’autre. Par exemple, la mise en œuvre du programme « 1 pour 1 » prévu dans la Déclaration UE-Turquie s’appuie en partie sur les places ouvertes par les Etats dans le cadre des conclusions du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 2015 qui n’ont pas encore été attribuées[11]. Une même réinstallation peut alors potentiellement être comptabilisée au titre de chacun de ces deux dispositifs, ce qui rend difficile l’évaluation de chaque engagement pris isolément. De manière plus globale, les données du HCR permettent de dresser les tableaux suivants en matière de réinstallation en France :
Date de l’engagement |
Nombre de places promises |
Nombre de personnes réinstallées[12] |
2013 | 500 réfugiés syriens pour 2014 |
|
2014 | 500 réfugiés syriens pour 2015 |
|
2015 | 2375 réfugiés syriens |
|
2016 | 6000 réfugiés depuis la Turquie |
|
2017 | 2000 réfugiés depuis le Liban + 10 200 réfugiés pour 2018-2019 |
|
2018 |
100 femmes yézidies et leurs enfants |
|
|
Sous-total : 21 675 places |
Sous-total : 14 564 personnes réinstallées, soit 67,20 % des engagements |
2019 |
10 000 réfugiés pour 2020-2021 |
|
|
Total : 31 675 places |
Total : 15 251 personnes réinstallées (au 30 septembre 2020), soit 48,10 % des engagements |
Selon la nationalité des personnes réinstallées |
Selon le pays de premier accueil |
10 980 syriens |
4997 depuis le Liban |
1 428 soudanais |
4662 depuis la Turquie |
558 érythréens |
1770 depuis le Tchad |
139 somaliens |
1316 depuis la Jordanie |
67 afghans |
980 depuis le Niger |
63 congolais (RDC) |
176 depuis l’Egypte |
22 iraniens |
35 depuis la Libye |
18 irakiens |
13 depuis la RDC |
Si on met de côté les engagements pour l’année 2020 dont la réalisation a été ralentie par la crise sanitaire et ceux pour l’année 2021 qui n’ont pas encore été mis en œuvre, le bilan de la France en matière de réinstallation est satisfaisant, du moins – toujours – si on l’apprécie au regard des engagements pris et non du nombre de réfugiés en exil dans le monde. Tous les engagements n’ont toutefois pas été honorés, particulièrement ceux énoncés dans le cadre de la Déclaration UE-Turquie de 2016 : 4662 réfugiés réinstallés contre 6000 places promises en 2016. On peut toutefois noter que la France, à l’instar d’autres Etats européens, semble plus favorable au mécanisme de réinstallation qu’à celui de relocalisation : au 31 mai 2018, la France a procédé à la relocalisation de quelques 5 029 demandeurs d’asile sur les 19 714 relocalisations prévues par la décision du Conseil (« Relocalisation des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie », European Migration Law, 2 avril 2018 ; http://www.europeanmigrationlaw.eu/fr/articles/donnees/relocalisation-des-demandeurs-dasile-depuis-la-grece-et-litalie.html). Il y a là une (nouvelle) preuve de ce que ces dispositifs sont appréhendés par les Etats européens davantage comme des mécanismes de contrôle aux frontières que de solidarité. L’Etat apparaît en effet plus enclin à admettre sur son territoire un étranger dont il a déjà apprécié la qualité de réfugié qu’un demandeur de protection internationale dont la demande reste à étudier[13].
La réinstallation repose sur une procédure particulière qui se déploie essentiellement sur le territoire d’un pays étranger. Dans un premier temps, le HCR, présent dans les camps de réfugiés, procède à l’identification des personnes éligibles à une opération de réinstallation. Dans un second temps, ces personnes sont « proposées » à l’Etat en vue de leur admission sur le territoire, Etat qui décidera ou non d’accepter leur transfert. Enfin, le transfert de l’étranger est organisé par l’Organisation internationale des migrations (« OIM »). Chacune de ces étapes soulèvent des questions. Quels sont les critères utilisés pour identifier les candidats à la réinstallation ? Quelles sont la portée et les modalités de l’examen réalisé par l’Etat ? Quelles sont les garanties dont bénéficient le candidat à la réinstallation ? Plus largement, c’est le cadre juridique applicable à la réinstallation des réfugiés qui est questionné. A cet égard, on ne peut que constater le silence des textes en la matière, qu’il s’agisse des textes européens ou français (1) et s’interroger sur les conséquences de ce silence, au regard tant de la définition des programmes de réinstallation (2) que des conditions dans lesquelles ils sont appelés à être mis en œuvre (3).
I- Le silence des textes normatifs européens et français sur la réinstallation
Contrairement à la relocalisation, la réinstallation ne dispose pas d’un cadre juridique en droit européen. Malgré le grand nombre de communications évoquant les programmes de réinstallation et encourageant les initiatives des Etats en la matière, aucun instrument contraignant de droit européen (règlement ou directive) n’a pu être adopté. La Commission a élaboré une proposition de règlement dès 2016 (Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre de l’Union pour la réinstallation et modifiant le règlement (UE) n°516/2014 du Parlement européen et du Conseil, 13 juillet 2016, COM/2016/0468) dont l’adoption a été relancée par l’institution européenne dans le cadre de sa proposition de réforme (Recommandation de la Commission européenne du 23 septembre 2020 « sur les voies légales d’accès à une protection dans l’UE : promouvoir la réinstallation, l’admission humanitaire et d’autres voies complémentaires », §12). La proposition prévoit que le Conseil établit, sur proposition de la Commission, un plan de réinstallation annuel de l’Union déterminant « le nombre total maximum de personnes à réinstaller, ainsi que le nombre de personnes devant être réinstallées par chaque Etat membre dans le cadre de ce total ». Lors des discussions sur le texte, le Parlement et le Conseil s’étaient accordés sur la nature purement volontaire de ces quotas étatiques, réduisant ainsi de beaucoup la portée du cadre européen proposé (voir sur ce point, F. L. Gatta, « Legal avenues to access international protection in the European Union : past actions and future perspectives », Journal européen des droits de l’homme, 2018/3, pp. 163-201 et spéc. pp. 180-185).
Le droit français est quant à lui particulièrement silencieux sur la question. Une seule disposition du CESEDA fait référence à la réinstallation : l’article L. 714-1 introduit par la loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Insérée au Chapitre IV « La dimension extérieure de l’asile » du Titre 1er « Les conditions d’octroi de l’asile » du Livre VII du code relatif au droit d’asile, elle prévoit que :
« [l]es autorités en charge de l’asile peuvent organiser, le cas échéant en effectuant des missions sur place, la réinstallation à partir de pays tiers à l’Union européenne de personnes en situation de vulnérabilité relevant de la protection internationale. Ces personnes sont autorisées à venir s’établir en France par l’autorité compétente ».
Cette disposition a été initialement introduite par le Sénat, à l’initiative de son rapporteur, lors de la première lecture du projet de loi, afin de « consacrer dans la loi les missions de réinstallation vers la France menées à l’échelle internationale par l’OFRA, afin de garantir leur pérennité »[14]. L’article L. 721‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et relatif aux missions de l’OFPRA devait ainsi être complété par la phrase suivante : « [i]l [l’OFPRA] peut, pour assurer cette mission, se rendre directement dans un pays tiers pour y mener des opérations de réinstallation vers la France ». La formulation a ensuite été modifiée par l’Assemblée nationale lors de la nouvelle lecture du texte (suite à l’échec de la Commission mixte paritaire), également à l’initiative de son rapporteur, qui lui donnera sa rédaction finale en créant un nouveau Chapitre dans le code consacré à la dimension extérieure de l’asile. Si cette disposition a permis d’introduire la réinstallation des réfugiés dans le CESEDA, elle a pour seul objet de donner un fondement juridique aux missions extérieures de l’OFPRA (qui sont réalisées dans le pays de premier accueil). Dit autrement, il ne s’agit pas de créer un cadre juridique applicable aux programmes de réinstallation, mais simplement d’offrir une base légale aux missions de l’OFPRA qui se déroulent à l’étranger.
L’absence de règles juridiques applicables à la réinstallation conduit à laisser toute latitude à l’exécutif quant à la création et la définition des programmes nationaux.
II- L’absence de contrôle en matière d’ouverture et de définition des programmes de réinstallation
En France, l’ouverture et la définition des programmes de réinstallation sont réalisées par le pouvoir exécutif et l’absence de cadre juridique pertinent lui confère pleine latitude en la matière.
D’une part, il appartient à ce dernier d’apprécier l’opportunité d’ouvrir des places au titre de la réinstallation et d’en fixer le nombre. Du fait de ses implications internationales (transfert de réfugiés d’un Etat tiers vers la France), l’ouverture des programmes de réinstallation peut s’inscrire dans les relations internationales et faire, alors, intervenir le Président de la République. La pratique française semble aller dans ce sens, faisant de la réinstallation une question de politique étrangère et non uniquement une « simple » affaire de politique migratoire nationale. Quoiqu’il en soit, le Parlement n’est pas associé à l’ouverture des programmes de réinstallation, qui consiste ni plus ni moins en la fixation de quotas d’admission sur le territoire. Pourtant, dans les Etats pratiquant la réinstallation depuis de nombreuses années, la participation du Parlement est prévue. Ainsi, aux Etats-Unis, le Président fixe le nombre de réinstallations autorisées après discussions entre le Cabinet et les membres des « Committees on the Judiciairy » du Sénat et de la Chambre des représentants (8.U.S. Code § 1157). Dans une lettre en date du 13 septembre 2019 adressée au Secrétaire d’Etat américain, le Committee de la Chambre des représentants a d’ailleurs vivement critiqué l’absence de discussions engagées par l’administration présidentielle, soulignant que « [t]his approach to consultation process undermines our ability to conduct meaningful oversight of U.S. refugee policy ». En Suède, les grandes orientations du programme national de réinstallation sont fixées annuellement par le Ministère de la justice après approbation par le Parlement. En France, aucune disposition ne prévoit la consultation du Parlement. Et le Parlement ne peut intervenir au titre de sa compétence en matière de ratification des traités, dès lors que les programmes de réinstallation ne prennent pas la forme d’un engagement juridique international (il s’agit surtout d’engagements de nature politique[15]). La participation de l’organe législatif ne peut pas non plus s’appuyer sur sa compétence en matière budgétaire. En effet, c’est l’Union européenne qui, malgré le fait qu’elle n’a développé aucun instrument juridique en la matière, assure le financement des programmes de réinstallation des réfugiés via le Fonds Asile Migration Intégration (FAMI) de l’Union européenne. Ce fonds finance chaque réinstallation à hauteur de 6 000 ou 10 000 euros par personne réinstallée[16], ainsi que les frais des missions de réinstallation mises en place par les Etats afin de décider de l’admission sur le territoire des étrangers proposés par le HCR[17]. Les opérations de réinstallation ne nécessitent donc pas d’arbitrage budgétaire en droit interne. Preuve en est, l’absence de référence faite à la réinstallation des réfugiés dans le rapport de la Cour de comptes relatif à l’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères publié le 5 mai 2020[18].
D’autre part, il appartient à l’exécutif de définir la portée de ces programmes de réinstallation, c’est-à-dire de déterminer quelle catégorie d’étrangers est visée. Ici, plusieurs solutions sont possibles, les critères reposant sur la nationalité des réfugiés et sur le pays au départ duquel la réinstallation est réalisée pouvant être combinés. Dans ce sens, un programme de réinstallation peut viser les réfugiés situés sur un territoire d’exil déterminé sans distinction de leur nationalité ou certains ressortissants situés sur ce territoire. Selon les orientations choisies, les programmes de réinstallation ne s’inscrivent pas dans la même logique. Là encore, le Parlement n’a pas droit au chapitre. Plus encore, en l’absence de règles juridiques, la notion même de « réinstallation » est difficile à appréhender. On l’a dit plus haut, la réinstallation, telle qu’elle est définie par le HCR, concerne les « réfugiés ». Mais s’agit-il, pour autant, des seuls étrangers satisfaisant les critères de l’article premier de la Convention des Nations unies du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, c’est-à-dire les personnes dont les persécutions ou risques de persécutions peuvent être rattachés à l’un des cinq motifs conventionnels : la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social et les opinions politiques ? Ou peut-il également s’agir des étrangers relevant de la protection subsidiaire[19], voire des apatrides[20] ? Sur ce point, le doute est permis à la lecture de l’Accord-cadre de coopération signé par la France et le HCR le 4 février 2008 qui limite le « programme de réinstallation » aux seuls réfugiés placés sous mandat strict du HCR, c’est-à-dire ceux bénéficiant de la protection conventionnelle (Article 5.2 de l’Accord-cadre). Certaines annonces présidentielles paraissent également limiter la réinstallation aux seuls étrangers relevant de l’article 1er de la Convention de Genève, comme celles de 2013 et de 2015 qui n’évoquaient que les « réfugiés syriens ». On peut toutefois considérer, avec l’article L. 714-1 précité qui mentionne les « personnes en situation de vulnérabilité relevant de la protection internationale » (souligné par l’auteur), que la réinstallation peut concerner les étrangers qui relèvent tant de la protection conventionnelle que de la protection subsidiaire. En pratique d’ailleurs, certains étrangers réinstallés se sont vu accorder à leur arrivée sur le territoire la protection subsidiaire. Reste la question des apatrides qui est peut-être plus délicate dès lors que leur statut, qui relève de la Convention de New York du 28 septembre 1954, est généralement dissocié de la protection accordée aux personnes victimes de persécutions[21].
Au-delà des critères généraux, la définition des programmes de réinstallation comporte un volet plus subjectif qui permet de déterminer, parmi les étrangers visés, ceux qui seront effectivement sélectionnés au titre de la réinstallation. On rappellera que le nombre de places ouvertes est très inférieur aux besoins des personnes réinstallées, ce qui nécessite une sélection drastique. L’article L. 714-1 précité mentionne à cet égard, les personnes « en situation de vulnérabilité », ce qui peut toutefois renvoyer à divers facteurs : âge, situation familiale, sexe, isolement, état de santé…Et d’autres motifs moins avouables, sécuritaires ou d’intégrabilité, pourraient être retenus par l’Etat (voir par exemple, le cas des interprètes afghans : S. Slama, « La protection fonctionnelle au service des tarjuman », Plein droit, n°124, mars 2020). Le dernier rapport de l’OFPRA indique à cet égard que « le nombre et le profil des personnes à auditionner » par l’Office dans le cadre des missions de réinstallation sont fixés en concertation avec le HCR, l’OIM, la Direction générale des étrangers en France (une direction du ministère de l’intérieur) et l’OFII (établissement public administratif placé sous la tutelle de ce même ministère)[22]. Le HCR précise quant à lui que les programmes français de réinstallation visent les « réfugiés vulnérables » sans priorisation des facteurs de vulnérabilité et ajoute que « in addition, the absence of threats to security and public order is carefully reviewed »[23]. Ainsi, dans le cadre des missions de réinstallation, des « enquêtes d’ordre public »[24] sont menées et les services du ministère de l’Intérieur sont systématiquement consultés.
Une circulaire du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la ville et du logement, en date du 12 novembre 2019, intitulée « Nouvelle organisation de l’accueil des réfugiés réinstallés à partir de l’année 2020 »[25], fournit de précieuses informations pour la période allant du 1er décembre 2017 au 30 septembre 2019 (c’est-à-dire dans le cadre de l’engagement pris par la France en 2017 de réinstallés 10 000 réfugiés en deux ans). On apprend ainsi que sur 8 692 personnes réinstallées, la grande majorité (78%) était de nationalité syrienne, le reste d’origine subsaharienne. Dans les deux cas, la proportion d’hommes et de femmes est analogue (un peu plus de 50% d’hommes). Les réinstallations concernent souvent des cellules familiales entières (pouvant compter jusqu’à onze personnes), à tout le moins en ce qui concerne les Syriens : on ne compte que 113 réfugiés isolés syriens (soit 8% des réinstallations syriennes) contre 574 réfugiés isolés d’origine subsaharienne (soit 66% des réinstallations subsahariennes). Les réinstallations concernent en très grande majorité des réfugiés « sans vulnérabilité physique ». Seuls 4% des Syriens et 1% des personnes d’origine subsaharienne réinstallés présentent des difficultés en matière de mobilité. Ces données donnent une « photographie » des programmes de réinstallations mis en œuvre par la France. Il est toutefois difficile de déterminer dans quelle mesure celle-ci procède de véritables critères de sélection ou de facteurs conjoncturels. En effet, le « profil » du réinstallé dépend en premier lieu du « profil » de l’étranger ayant quitté son pays d’origine et ayant trouvé refuge dans un pays de premier asile. On peut toutefois certainement interpréter ces données comme exprimant une préférence en faveur des cellules familiales, par opposition aux réfugiés isolés. On notera également que les mineurs non accompagnés sont exclus des programmes de réinstallation, comme l’indique cette fois-ci très clairement la circulaire[26].
L’ouverture et la définition des programmes de réinstallation des réfugiés reposent sur diverses orientations qui sont définies par l’exécutif. L’absence de règles juridiques internes évoquant la réinstallation ne permet ni d’appréhender ces orientations ni d’assurer un contrôle de ces programmes de réinstallation, notamment par le biais du Parlement.
III- L’absence d’encadrement procédural en matière de mise en œuvre des programmes de réinstallation
La réinstallation souffre également d’une absence d’encadrement procédural, tout particulièrement en ce qui concerne la phase de sélection des personnes réinstallées.
Mais avant d’aborder ce point, soulignons que le silence du droit interne interroge aussi les modalités de transfert de ces étrangers sur le territoire français. Il ressort de la pratique que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) prend en charge les principaux aspects de ce transfert, à savoir les démarches au consulat pour l’obtention du visa long séjour, les visites médicales, les séances d’orientation culturelle et, enfin, le voyage vers la France. Durant ce transfert, il semble que le futur réinstallé ne soit placé sous la protection d’aucun Etat. Ce n’est qu’une fois arrivé sur le territoire français qu’il relève de la protection de l’OFPRA. Dans la majorité des cas, la décision du directeur de l’OFPRA lui octroyant la protection internationale lui est transmise dès son débarquement de l’aéroport[27] et le réinstallé bénéficie alors des droits et obligations reconnus à tout bénéficiaire de la protection internationale.
On remarque qu’en pratique la prise en charge des réinstallés repose sur des dispositifs spécifiques. La circulaire précitée du 12 juin 2019 intitulée « Nouvelle organisation de l’accueil des réfugiés réinstallés à partir de l’année 2020 » illustre tout particulièrement cette spécialisation de la prise en charge des réfugiés réinstallés. Il apparaît que ceux-ci font l’objet, par les services de l’Etat, d’une ventilation par région sur la base d’une clé de répartition propre à la réinstallation et qui est basée sur les efforts réalisés par les territoires dans le cadre du programme de réinstallation mis en œuvre entre 2017 et 2019, la population au niveau régional, le produit intérieur brut régional ou encore le nombre de demandes d’asile enregistrées au niveau régional. Cette répartition intervient à l’issue des missions de sélections réalisées par l’OFPRA au sein des pays de premier accueil. L’accueil et la prise en charge des réinstallés sont alors confiés à des opérateurs associatifs, sur la base d’un « accompagnement social global » d’une durée de douze mois. Ces derniers sont sélectionnés via les appels à projet lancés par les préfectures de région. Cette différenciation de la prise en charge, basée uniquement sur le mode d’entrée sur le territoire français, peut surprendre. Elle s’explique par des raisons purement financières tenant en la prise en charge de chaque réinstallé par le fonds européen FAMI. L’origine européenne du financement encourage la mise en place de dispositifs propres aux réinstallés, qui semblent alors bénéficier d’une situation plus favorable en matière de prise en charge.
Surtout, on l’a dit, l’absence de cadre juridique soulève nombre d’interrogations sur les modalités de sélection des réfugiés réinstallés sur le territoire de premier accueil. A cet égard, l’article L. 714-1 mentionne la possibilité pour l’OFPRA d’organiser des « missions sur place » dans les pays de premier asile des réfugiés. Il ne s’agit pas d’une solution de principe : l’article 5 de l’accord-cadre précité conclu entre la France et le HCR prévoit ainsi une sélection par dossiers des réfugiés réinstallés. Mais les missions « hors les murs » de l’OFPRA se multiplient dans la pratique de l’Office à mesure que les programmes de réinstallation sont mis en place. Durant l’année 2019, 15 missions de réinstallation d’une durée d’environ un mois chacune ont ainsi été menées au Moyen-Orient et au Sahel, à savoir au Liban (3 missions), en Egypte (1 mission), en Turquie (4 missions), au Tchad (4 missions) et au Niger (3 missions). Les missions au Moyen-Orient, qui visaient à l’origine les seuls Syriens, ont cette année permis d’auditionner également des ressortissants de la Corne de l’Afrique qui avaient préalablement été évacués de Libye[28]. Les missions réalisées au Sahel ont quant à elle permis d’entendre des ressortissants soudanais, centrafricains et érythréens (au Tchad) mais aussi somaliens, maliens et nigérians (au Niger). A cela s’ajoutent trois missions effectuées en Irak afin d’auditionner les femmes yézidis. En tout, ce sont 1 830 auditions qui ont été réalisées dans le cadre des missions de réinstallation[29].
Si ce chiffre paraît faible au regard des plus de 90 000 auditions réalisées par l’Office sur le territoire français, il conduit néanmoins à s’interroger sur les règles applicables aux entretiens menés par l’OFPRA sur le sol étranger. La question a d’autant plus importance que ces règles visent bien souvent à assurer des garanties procédurales essentielles à l’étranger auditionné. Les entretiens réalisés par l’OFPRA dans le cadre de la procédure « normale » sont encadrés par plusieurs garanties prévues aux articles L. 723-1 à L. 723-10 du CESEDA : la confidentialité de la convocation à l’entretien, la faculté de choisir la langue dans laquelle se tiendra l’entretien ou d’être entendu « dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante », la possibilité d’être accompagné d’un avocat, d’un représentant d’une association ou d’un professionnel de santé (lorsque le demandeur est en situation de handicap), la transcription de l’entretien qui peut être communiquée à l’intéressé…L’absence de cadre juridique en matière de réinstallation interroge les modalités au regard desquelles se déroulent les entretiens menés par l’OFPRA. Ces entretiens ont certes un objet différent de ceux pratiqués par l’Office sur le territoire français puisqu’il s’agit de sélectionner, parmi les étrangers préalablement identifiés par le HCR, ceux qui, du fait de leur vulnérabilité (ou d’autres critères comme vu précédemment), sont appelés à être transférés sur le territoire français. Ils n’en comportent pas moins une appréciation de la situation de l’intéressé au regard du droit d’asile, dont résultera l’octroi à leur arrivée sur le territoire national du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire[30]. Ces entretiens devraient donc bénéficier de garanties procédurales analogues à celles prévues dans le cadre de la procédure d’asile menée sur le territoire national. La particularité des missions « hors les murs » de l’OFPRA ne doit pas justifier la violation des garanties qui doivent être accordées à tout demandeur d’asile dans ses rapports avec l’Office [31]. Et la situation particulière dans laquelle se trouve l’étranger dans le pays de premier asile (précarité, insécurité, proximité des nationaux et du pays d’origine…) devrait rendre l’Office d’autant plus attentive. On trouve d’ailleurs trace de cette crainte dans une décision de la CNDA qui note que les requérants « n’ont pas voulu critiquer ouvertement le régime syrien lors de leur entretien devant l’office qui s’est déroulé en Jordanie, de peur que leur propos soient transmis aux autorités syriennes » (CNDA, 14 novembre 2017, n°17022616 et 17022619). L’absence de cadre juridique en droit interne est ici de nature à jeter un doute, fondé ou non, sur les conditions dans lesquelles les entretiens de réinstallation sont menés. On ne trouve d’ailleurs que peu d’informations sur les modalités concrètes de réalisation de ces entretiens.
Ces questions restent très souvent dans l’ombre du juge de l’asile, dès lors que les recours dont peut connaître la Cour nationale du droit d’asile en matière de réinstallation sont limités.
Premièrement, il apparaît que la décision prise par l’Office à l’issue de l’entretien, qu’elle soit positive ou négative, ne fait pas l’objet d’une décision formelle qui serait notifiée à l’intéressé[32]. L’absence de décision formelle exclut toute possibilité de recours, dont on a par ailleurs bien du mal à imaginer comment il pourrait s’exercer sur le territoire étranger (information du droit d’introduire un recours, accès à des moyens matériels…). Et en toute hypothèse, le recours ne pourrait pas prendre la forme contentieuse, dès lors que la compétence de la Cour nationale du droit d’asile est limitée aux recours formés contre les décisions de l’OFPRA ayant pour objet la reconnaissance de la qualité de réfugié ou l’octroi de la protection subsidiaire.
Deuxièmement, les recours susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions d’admission à la protection internationale (faisant suite aux missions de réinstallation) ne permettent pas à la Cour d’apprécier les conditions dans lesquelles les entretiens ont été réalisées, ni le respect par l’OFPRA de certaines garanties procédurales fondamentales. On songe ici aux recours contestant la décision de l’OFPRA ayant accordé au réinstallé la protection subsidiaire plutôt que la protection conventionnelle. Tel peut, par exemple, être le cas des Syriens pour lesquels le rattachement des persécutions ou risques de persécutions à un motif de la Convention (au titre notamment de leurs opinions politiques imputées) n’est pas toujours admis par l’OFPRA[33]. Il n’est pas exclu qu’à l’appui de son recours, le réinstallé invoque les conditions de son entretien pour contester l’analyse faite par l’officier de protection de son récit (problème d’interprétariat par exemple). Mais alors, c’est l’office du juge de l’asile qui vient réduire la portée de ces arguments. La CNDA statue en effet en plein contentieux et n’apprécie pas en tant que telle la légalité, qu’elle soit externe ou interne, de la décision de l’OFPRA. Si des doutes concernant le déroulement de l’entretien peuvent être portés au débat, ce n’est qu’en tant qu’éléments contextuels permettant de comprendre les divergences ou incohérences des propos du requérant. Seules les hypothèses prévues à l’article L. 733-5 permettent à la Cour de procéder à l’« annulation-renvoi » de la décision du directeur général de l’OFPRA pour des raisons procédurales. Il s’agit des hypothèses où un entretien individuel n’a pas été réalisé par l’OFPRA et où le requérant « a été dans l’impossibilité de se faire comprendre lors de l’entretien, faute d’avoir pu bénéficier du concours d’un interprète dans la langue qu’il a indiquée dans sa demande d’asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, et que ce défaut d’interprétariat est imputable à l’office » (Article 733-5, al. 3 du CESEDA). Si on considère que cette disposition est applicable aux décisions reconnaissant la protection subsidiaire à un étranger suite à un entretien réalisé dans le cadre d’une mission de réinstallation, on imagine mal qu’un étranger ayant obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire suite à une opération de réinstallation et souhaitant contester cette décision afin que lui soit reconnu le statut de réfugié se place sur le terrain de l’annulation-renvoi…Il s’ensuit que l’intervention du juge ne peut venir pallier l’absence de règles encadrant la procédure de réinstallation.
* * *
L’insuffisance du cadre juridique national en matière de réinstallation des réfugiés laisse place à des choix gouvernementaux et une pratique administrative qu’il n’est pas toujours facile à identifier. Elle se comprend par le caractère relativement nouveau de ces programmes particuliers d’admission sur le territoire français. Mais la pérennisation des engagements français nécessite une adaptation du droit afin de sécuriser cette pratique, tant sur le plan politique que juridique. Ces adaptations pourraient s’inspirer des Etats ayant une longue tradition en matière de réinstallation. Elle pourrait venir du législateur ou de l’Union européenne si les blocages entre les Etats membres sur les questions migratoires parvenaient à être levés. Force est toutefois de constater qu’en France les questionnements tant juridiques que politiques autour des programmes de réinstallation des réfugiés ne sont pas légion.
[1] Pour des informations sur les pratiques nationales, voir UNHCR, Resettlement Handbook and Country Chapters, avril 2018 (disponible sur le dite du HCR : https://www.unhcr.org/protection/resettlement/4a2ccf4c6/unhcr-resettlement-handbook-country-chapters.html) et plus spécifiquement pour les pays européens, le site https://www.resettlement.eu/.
[2] Pour le nombre de réfugiés réinstallés annuellement entre 2009 et 2014 sur le fondement de cet accord, voir https://www.resettlement.eu/country/france.
[3] Voir dans ce sens notre article, « La nature équivoque des engagements internationaux des Etats en matière de réinstallation des réfugiés : l’exemple français », RGDIP, 2020-3, pp. 91-106.
[4] Engagement pris le 16 octobre 2013 après une rencontre avec le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Voir la question n°42965 de la députée Odile Saugues, publiée au JO le 19 novembre 2013, p. 11978 (http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-42965QE.htm).
[5] Voir la réponse à la question n°61336 du député Guy Delcourt, publiée au JO le 5 août 2014, p. 6648 (http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-61336QE.htm).
[6] Conclusions du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 2015, 11130/15.
[7] Voir l’étude réalisée par le Point de contact français du Réseau européen des migrations en juin 2016 et intitulé « Programmes de réinstallation et d’admission humanitaire en France. Qu’est-ce qui fonctionne ? », p.6 (étude disponible sur le site du Ministère de l’intérieur).
[8] Voir la réponse à la question n°11137 du député Fabien Gouttefarde précitée.
[9] Voir OFPRA, Rapport annuel 2019 « A l’écoute du monde », p. 11 (https://ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/rapport_dactivite_2019.pdf).
[10] Voir le communiqué de presse du Ministère de l’intérieur du 17 décembre 2019 (https://mobile.interieur.gouv.fr/Le-ministre/Communiques/La-reinstallation-des-refugies).
[11] La déclaration UE-Turquie prévoit que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un Syrien est réinstallé de la Turquie vers un Etat membre de l’Union européenne. La mise en œuvre de cette disposition nécessite que les Etats membres mettent à disposition un nombre suffisant de places de réinstallation. Il a été prévu que, dans un premier temps, ces places de réinstallation soient « prises » sur les engagements formulés par l’Etat dans le cadre des conclusions du Conseil précitées du 20 juillet 2015. Dans un second temps, les places ouvertes par les Etats aux fins de la réinstallation depuis la Turquie seront déduites des obligations faites à ces mêmes Etats en matière de relocalisation des demandeurs d’asile depuis l’Italie et la Grèce (voir Décision 2016/1754 du Conseil du 29 septembre 2016 modifiant la décision (UE) 2015/1601 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce). Selon le Rapport d’information n° 38 (2016-2017) de M. Michel BILLOUT fait au nom de la mission d’information, déposé le 14 octobre 2016 et intitulé « Accord UE-Turquie du 18 mars 2016 : une réponse fragile, ambiguë et partielle à la question migratoire », la France se serait engagée à accueillir 6000 réfugiés syriens sur les 10 600 ouvertes initialement pour la relocalisation (p. 40).
[12] Les données du HCR reposent sur les seules réinstallations faisant intervenir le HCR, ce qui n’exclut pas que d’autres personnes aient été réinstallées en dehors de ce cadre.
[13] A noter tout de même que le programme de relocalisation ne vise que les demandeurs de protection internationale possédant une nationalité qui, selon les données d’Eurostat, fait l’objet, à l’échelle de l’Union, d’un taux de reconnaissance de 75% pendant le trimestre correspondant (Décision (UE) 2015/1523 du Conseil du 14 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, Article 3-2).
[14] Rapport n° 552 (2017-2018) de M. François-Noël BUFFET, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 juin 2018, p. 32.
[15] Voir sur ce point, notre article « La nature équivoque des engagements internationaux des Etats en matière de réinstallation des réfugiés : l’exemple français », RGDIP, 2020-3, pp. 91-106, spéc. pp. 101-106.
[16] Le règlement portant création du FAMI fixe le forfait en matière de réinstallation à 6 000 euros par personne. Mais ce montant monte à 10 000 euros lorsque la personne réinstallée répond aux « priorités communes de l’Union » fixées par ledit règlement. Celles-ci visent notamment les réfugiés iraquiens en Syrie, au Liban et en Jordanie, les réfugiés iraquiens en Turquie ou encore les réfugiés syriens dans la région (voir article 17 et l’annexe III du règlement (UE) n°516/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 portant création du Fonds «Asile, migration et intégration», modifiant la décision 2008/381/CE du Conseil et abrogeant les décisions n°573/2007/CE et n°575/2007/CE du Parlement européen et du Conseil et la décision 2007/435/CE du Conseil).
[17] Pour la France et pour l’année 2019, cette prise en charge s’élève à 5895 000 euros pour les missions de réinstallations des syriens effectuées au Moyen-Orient et 275 000 euros pour celles effectuées au Niger et au Tchad (voir OFPRA, Rapport annuel 2019 « A l’écoute du monde », précité, p. 77).
[18] Cour des Comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », rapport publié le 5 mai 2020.
[19] Personnes pour lesquelles il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elles courent dans son pays un risque réel de subir la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ou, s’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international (article L. 712-1 du CESEDA).
[20] « Personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation » (article premier de la Convention relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954).
[21] Le projet de règlement de la Commission européenne de 2016 ouvre la réinstallation aux apatrides (voir article 5 de la proposition de règlement précitée).
[22] OFPRA, Rapport annuel 2019, p. 9.
[23] UNCHR, Resettlement Handbook and Country Chapters (France), 2011, révisé en juillet 2017, p.4.
[24] La pratique est aussi très répandue lorsque la demande d’asile est formulée sur le territoire français, notamment à l’égard des ressortissants afghans, syriens et libyens.
[25] Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=44879.
[26] Ibidem, Annexe 7, p. 4.
Ce critère d’exclusion qui mériterait certainement d’être discuté alors que la France s’est engagée en mars dernier, avec d’autres Etats européens, à procéder à la relocalisation de 1600 mineurs non accompagnés au départ de Grèce. A l’heure où nous écrivons, aucune relocalisation de mineurs n’a toutefois été réalisée par la France.
[27] Cette affirmation repose sur l’étude de la jurisprudence de la CNDA où il apparaît que la décision du directeur général de l’OFPRA est souvent datée du jour d’arrivée sur le territoire français. Voir par exemple, CNDA, 27 août 2019, n°18019311 ; CNDA, 29 août 2019, nos 18058390 et 18058391 ; CNDA, 18 mars 2019, nos 18021484, 18021485, 18021486, 18021487 et 18021490. Il convient de réserver le cas des réinstallés sur dossier en application de l’Accord-cadre de 2008, qui sont tenus de soumettre une demande à l’OFPRA afin d’obtenir le « transfert » de leur statut de réfugié (voir dans ce sens, UNCHR, Resettlement Handbook and Country Chapters, précité, p. 6).
[28] OFPRA, Rapport annuel 2019, p. 10-11.
[29] Ibid., p. 56.
[30] Voir dans ce sens, UNCHR, Resettlement Handbook and Country Chapters, 2011, précité, p. 4 : « For people who have been identified through a selection mission, their status will depend on the status determination done by OFPRA during the selection mission and will be either granted refugee status or subsidiary protection ». Il en est de même des dossiers soumis annuellement par le HCR à la France dans le cadre de l’Accord-cadre de 2008 (ibidem, p. 5).
[31] Voir de la même manière, la problématique des entretiens menés par l’OFRA en zone d’attente.
[32] La proposition de règlement de la Commission européenne précitée ne prévoit pas l’obligation pour les Etats d’informer l’étranger du sens de la décision de réinstallation mais uniquement de communiquer la décision octroyant la protection internationale lorsque la personne concernée est entrée sur son territoire (article 10§7).
[33] Voir par exemple, CNDA, 2 octobre 2019, n°18029555 et 18029556.