Nul ne peut « se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes ». Itinéraire d’un slogan politico-juridique
Par Gwénaële Calvès, Université de Cergy-Pontoise
Dans sa célèbre décision du 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la compatibilité entre le traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004, et la Constitution française[1]. En son Titre II, le traité comprenait une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le Conseil a examinée en s’arrêtant plus particulièrement sur l’une de ses dispositions, relative à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Elle reprenait le libellé de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui à l’époque était souvent perçu comme une menace pour le droit français de la laïcité. L’article 9 de la Convention, puis l’article II-70 de la Charte (aujourd’hui article 10), en consacrant le droit individuel et collectif de manifestation des convictions religieuses, en public comme en privé, ne risquaient-ils pas de condamner certaines règles laïques, comme l’obligation de neutralité confessionnelle imposée aux agents publics ?
Pour parer ce danger, le Conseil constitutionnel a procédé à une interprétation neutralisante de la Charte des droits fondamentaux, en affirmant – non sans audace – que cet instrument, et notamment son article relatif à la liberté de religion, avait vocation à être interprété, par le juge national comme par les Cours de Strasbourg et de Luxembourg si elles étaient appelées à examiner un point de droit français, « en harmonie avec la tradition constitutionnelle [française] ». Celle-ci impose, sur le terrain de la liberté de religion, le respect de deux principes. Le premier, déjà énoncé en 1999 à l’occasion de l’examen de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, pose qu’aucun droit collectif ne saurait être reconnu « à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance »[2]. Le second, mis au jour dans la décision du 19 novembre 2004, déplace la focale du groupe vers l’individu, pour affirmer que la laïcité de la République « interdi[t] à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers »[3].
Ce nouveau principe est présenté par la décision de 2004 comme inhérent à un énoncé constitutionnel dont le Conseil, pour la première fois, explicitait la portée : « la France est une République laïque ». Mais comment comprendre une telle affirmation ? Dans ses décisions ultérieures relatives au principe de laïcité, le juge constitutionnel n’a plus jamais mentionné la composante (ou conséquence ?) qu’il y avait décelée en 2004. Elle ne figure pas dans la définition de la laïcité de la République qu’il a avancée en 2013, articulée autour de six principes (neutralité de l’État, non-reconnaissance des cultes, respect de toutes les croyances, interdiction de discriminer à raison de la religion, garantie du libre exercice des cultes, interdiction de salarier aucun culte)[4]. Elle n’a pas davantage été rappelée lorsque des maires se sont prévalus devant le Conseil de leurs « convictions personnelles » pour réclamer le droit de ne pas célébrer de mariages entre personnes de même sexe[5], ou lorsque s’est posée la question de savoir si des familles pouvaient invoquer leurs « convictions politiques, religieuses ou philosophiques » pour se soustraire à l’obligation d’inscrire leurs enfants à l’école (publique ou privée)[6].
Dans ces deux affaires, il n’était certes pas nécessaire de réaffirmer la composante du principe de laïcité dégagée en 2004. Mais en 2004, il n’était pas nécessaire non plus d’asséner que nul ne peut « se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Cette formule qui, telle un coup de cymbale, clôt le considérant 18 de la décision relative au traité européen, n’apporte rien au raisonnement. Dans d’autres traditions juridiques que la nôtre, on la considérerait comme un obiter dictum.
Au plan juridique, sa portée est obscure, et suscite au moins deux interrogations. En quoi permet-elle, d’abord, de caractériser le principe de laïcité ? Partout où l’État affirme sa souveraineté sur un territoire et une population, il impose la prééminence de ses lois sur toutes les règles issues des droits étrangers, y compris religieux[7]. Il peut consentir des dérogations aux règles qu’il fixe, ou admettre en son sein des formes plus ou moins développées de pluralisme juridique, mais il ne saurait tolérer que tout un chacun s’affranchisse à son gré, et de son propre chef, des obligations imposées à tous. La formule de 2004 n’a donc rien de spécialement laïque, elle vaut aussi bien pour la République française que pour la République islamique d’Iran. La seconde interrogation, comme l’a relevé Pascale Deumier, concerne la notion « étrange » et « non identifiée en droit »[8] de « règle commune ». S’agit-il d’une règle « habituelle » ? D’une règle de droit commun ? D’une règle générale ? S’agit-il même d’une « règle », au sens juridique du terme ?
Nous voudrions montrer qu’il faut répondre par la négative à cette dernière question. Inédite dans le lexique du droit, la notion de « règle commune » a été retenue parce qu’elle inclut un renvoi vers d’autres types de normativité que la seule normativité juridique. Elle entend signifier que le respect de la laïcité impose à tous de se soumettre à des « règles communes » qui ne se limitent pas aux règles édictées par le parlement ou l’administration.
L’obiter dictum de 2004 marque ainsi une étape importante – quoique souvent négligée – dans le mouvement de redéfinition de la laïcité observable en France depuis le début des années 2000[9]. En insérant dans sa décision cette formule choc (ci-après abrégée en « nul ne peut se prévaloir »), le Conseil constitutionnel a voulu lancer un message politique. Le message a bien été reçu comme tel, au point d’acquérir la force d’un slogan (I). Mais sa portée juridique – en raison peut-être de sa très forte charge idéologique – demeure à peu près nulle (II).
I. Le slogan « nul ne peut se prévaloir »
Le contenu du message envoyé par le Conseil constitutionnel à travers la formule « nul ne peut se prévaloir » a été résumé d’une phrase par le Président Mazeaud, quelques semaines après le rendu de la décision du 19 novembre 2004 : la formule signifie que « le communautarisme n’a tout simplement pas sa place dans notre ordre constitutionnel »[10]. Cette interprétation a été développée dans le champ politique tout au long des années 2010 (A) avant d’amorcer une migration, au début des années 2020, vers le droit positif (B).
A- Origine et développement d’un slogan politique
La résonance « anti-communautariste » de la formule retenue par le Conseil constitutionnel en 2004 s’explique par le contexte d’une double crise, que l’élection présidentielle de 2002 avait placée au centre des débats politiques : crise du modèle français de laïcité ; crise de l’intégration des immigrés et de leurs descendants dans la société française. Au confluent de ces deux blocages (réels ou exagérés), la question de l’école se posait avec une acuité particulière. Les discussions qui ont conduit à l’adoption de la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux à l’école expriment ainsi une vive inquiétude pour l’avenir de la cohésion nationale. Elle est palpable dans les rapports Baroin, Debré et Stasi de 2003[11], dans le grand discours de réception du rapport Stasi prononcé par le Président Chirac le 17 décembre 2003[12], dans les rapports parlementaires qui ont ouvert les travaux à l’Assemblée nationale et au Sénat, dans les débats parlementaires eux-mêmes, et (sotto voce) dans l’exposé des motifs du texte finalement adopté. La circulaire d’application de la loi du 15 mars 2004 en a bien résumé l’esprit : « en protégeant l’école des revendications communautaires, [la loi] conforte son rôle en faveur d’un vouloir-vivre-ensemble »[13].
La loi n’ayant pas été déférée au Conseil constitutionnel, celui-ci a saisi l’occasion de l’examen du traité européen pour « apporter sa contribution au grand débat en cours sur la laïcité »[14]. En ciselant son obiter dictum, il a voulu – la plupart des annotateurs de la décision du 19 novembre 2004 l’ont souligné – « conforter la position prise par la loi du 15 mars 2004[15] », en « procéd[ant], d’une certaine façon, à [sa] validation a posteriori »[16].
Le contenu des « règles communes » dont nul ne peut prétendre s’affranchir au nom de ses croyances religieuses apparaît alors sous son vrai jour. Directement empruntée au discours de Jacques Chirac du 17 décembre 2003, l’expression ne désigne pas ici, ou pas seulement, la loi (avant la loi, les élèves qui arboraient ostensiblement un signe religieux ne cherchaient évidemment pas à s’affranchir d’une règle juridique qui n’existait pas). Elle embrasse une nébuleuse de normes sociales et de valeurs morales ou politiques. Elle amalgame, avait expliqué le chef de l’État, « les lois et les principes de la République », « les règles de la vie en société », « notre désir de vivre ensemble », ainsi que « nos valeurs communes » (« de respect, de tolérance, de dialogue », ou « d’égalité et de fraternité entre Français »). Toutes les dimensions de la « règle commune » ainsi entendue convergent vers une seule conclusion : « le communautarisme ne saurait être le choix de la France »[17].
Au fil de ses reprises et développements dans les débats parlementaires des années 2010, la formule « nul ne peut se prévaloir » s’est muée en un slogan destiné à manifester le rejet clair et net d’un communautarisme dont la source principale, pour de nombreux parlementaires, est l’islam : l’islam radical, l’islam instrumentalisé à des fins politiques, ou même parfois l’islam tout court. En réclamant des dérogations, des accommodements ou des droits particuliers, ses adeptes (ou ses dirigeants ?) entendraient imposer, au mépris des « règles communes », des modes de vie et des valeurs liberticides (soumission inconditionnelle aux commandements religieux, mépris pour la liberté individuelle dans toutes ses dimensions, assujettissement des femmes, fermeture à tout ce qui est extérieur au groupe).
En 2009, la mission d’information sur le port du voile islamique intégral s’était ainsi placée sur le terrain des valeurs pour préconiser l’adoption d’une résolution « réaffirmant la prééminence des valeurs républicaines sur les pratiques communautaristes et condamnant le port du voile intégral comme contraire à ces valeurs »[18]. La résolution finalement adoptée avait convoqué la formule « nul ne peut se prévaloir » (ici déconnectée du principe de laïcité, mais manifestement lestée d’un contenu extra-juridique) pour affirmer « que l’exercice de la liberté d’expression, d’opinion ou de croyance ne saurait être revendiquée par quiconque afin de s’affranchir des règles communes au mépris des valeurs, des droits et des devoirs qui fondent la société »[19].
L’année suivante, l’Assemblée nationale adoptait une autre résolution, destinée notamment à soutenir « les acteurs de terrain […] face à des pressions et des pratiques extrémistes qui contestent les lois de la République et mettent en cause l’ordre public »[20]. Après avoir « affirm[é] solennellement que dans une République laïque nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (la connexion avec le principe de laïcité est ainsi rétablie), le texte explicite la portée de cette affirmation en « condamn[ant] tous aménagements de ce principe qui, au nom d’accommodements prétendument raisonnables, consistent à transgresser les lois de la République en cédant à des revendications communautaristes »[21]. Dans le discours néo-laïque adossé au slogan « nul ne peut se prévaloir », les accommodements traditionnellement consentis par les pouvoirs publics au bénéfice des groupements religieux et de leurs membres (nous reviendrons sur ce point) sont toujours présentés comme une capitulation.
En témoigne une proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat le 19 octobre 2020, rejetée par l’Assemblée nationale le 3 décembre de la même année[22]. Elle part du « constat » (juridiquement inexact) selon lequel les personnes publiques ou privées ne disposent pas d’une « base indiscutable » pour rejeter des demandes visiblement inspirées par certaines conceptions de la religion musulmane[23]. La référence aux personnes privées (les entreprises, essentiellement) montre bien que le principe de laïcité n’est pas directement en cause. Mais la dimension anti-communautariste du slogan « nul ne peut se prévaloir », tout en restant encastrée dans un discours sur la laïcité, a fini par acquérir, aux yeux d’une partie de la classe politique, une forme d’autonomie. La proposition de loi constitutionnelle voulait ainsi insérer, à l’article 1er de la Constitution, une nouvelle disposition énonçant que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine [on notera le glissement…] ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune » – et non plus seulement de la règle commune « régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».
Au terme de cette première étape de son itinéraire (dont bien d’autres jalons auraient pu être présentés), le message anti-communautariste contenu par le slogan « nul ne peut se prévaloir » se trouve pleinement incorporé à une nouvelle vision de la laïcité, ou plus largement des « valeurs de la République » dont la laïcité est devenue un des emblèmes. On en trouve la trace dans de nombreux textes de droit mou, comme la charte de la laïcité à l’école (art. 13 : «nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’École de la République ») ou des chartes locales de la laïcité (celle de la ville d’Angoulême, par exemple, énonce que «les usagers des services publics municipaux ne peuvent se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour ne pas appliquer les principes et les valeurs de la République, ni porter atteinte au vivre-ensemble »).
B – Migration du slogan vers le droit positif
Avec la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République destinée, selon son exposé des motifs, à lutter contre « un entrisme communautariste, insidieux mais puissant […] pour l’essentiel d’inspiration islamiste », le slogan « nul ne peut se prévaloir » a fait son entrée dans le droit positif. Fera-t-il un jour l’objet d’applications conformes au vœu du législateur ? Il est permis d’en douter, mais il n’en reste pas moins que trois ensembles de textes législatifs ou réglementaires prétendent désormais attacher des effets de droit au principe selon lequel nul ne peut, dans ses relations avec l’administration, se prévaloir de ses croyances religieuses.
Le premier concerne les associations bénéficiaires de subventions publiques ou titulaires d’un agrément délivré par l’administration. La loi du 24 août 2021 leur impose de souscrire un « contrat d’engagement républicain » et d’en respecter les termes, sous peine de retrait de la subvention ou l’agrément. La loi prévoyait que le contrat s’organiserait autour de trois séries d’engagements : respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution ; s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public ; ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République. Un décret en Conseil d’État a refondu et complété cette liste[24]. L’interdiction de remettre en cause le caractère laïque de la République (intégré dans un engagement n° 1 « respect des lois de la République ») a été assortie d’une précision qui montre à quel point la formule « nul ne peut se prévaloir » fait désormais corps avec le principe de laïcité : « l’association ou la fondation bénéficiaire s’engage à ne pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant ses relations avec les collectivités publiques ». Saisi d’un recours contre le décret, le Conseil d’État n’a pas jugé bon d’examiner spécialement cette clause, dont le rapporteur public avait estimé qu’elle « ne présente pas de difficultés. Elle traduit le principe de neutralité du service public, notamment de neutralité religieuse. Elle fait directement écho à la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 »[25].
Le deuxième ensemble de textes qui consacre le principe « nul ne peut se prévaloir » se retrouve, sans surprise, en droit des étrangers. On sait que les primo-arrivants, depuis 2003, doivent manifester leur volonté de s’intégrer à la société française, ce qui suppose notamment qu’ils acceptent « les valeurs fondamentales de la République »[26]. En 2003, la laïcité figurait bien sûr au nombre de ces valeurs, mais personne n’avait encore l’idée d’inclure dans sa définition l’interdiction, valable dans n’importe quel ordre juridique, de se prévaloir de ses croyances religieuses pour ne pas respecter la loi. Au titre des éléments constitutifs de la laïcité, le contrat d’accueil et d’intégration retenait, plus classiquement, la liberté de conscience, la liberté de religion (dans le respect de l’ordre public), la tolérance et le respect des croyances, l’indépendance de l’État vis-à-vis des religions, et le fait qu’« en France, la religion relève du domaine privé ». Or depuis la loi du 26 janvier 2024[27], dans le sillage de la loi du 24 août 2021 qui s’était heurtée sur ce point à la censure du Conseil constitutionnel pour défaut d’intelligibilité des dispositions pertinentes[28], l’étranger qui sollicite un document de séjour doit s’engager à respecter les termes d’un « contrat d’engagement au respect des principes de la République »[29]. Ces principes sont énumérés par la loi : « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales », à quoi le texte ajoute non pas « la laïcité », mais l’obligation qui en condense désormais l’inspiration anti-communautariste : « ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers ». Concrètement, la rubrique « respect du principe de laïcité » du contrat conclu avec l’administration se résume à l’engagement suivant : «au sein des services publics, je m’engage à ne pas contester la légitimité d’un agent public ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public, en me fondant sur mes propres croyances ou considérations religieuses »[30].
En troisième lieu, depuis la loi du 24 août 2021, le code pénal comporte un article 433-3-1 qui incrimine le fait d’exiger, par des menaces, violences ou tout acte d’intimidation, « une exemption ou une application différenciée des règles de fonctionnement du service public ». L’élément intentionnel de ce délit réside uniquement dans le but poursuivi par l’auteur des faits : obtenir pour lui-même ou pour autrui une adaptation des règles de fonctionnement du service. Il n’est pas nécessaire d’établir qu’il était mû par des considérations religieuses (le Conseil d’État, anticipant des difficultés probatoires, avait suggéré que cette précision ne figure pas la loi). La circulaire relative à ce nouveau délit ne laisse toutefois guère de doute sur le type de « menaces séparatistes » que la loi entend réprimer, en donnant comme exemples de menaces celles qui viseraient à obtenir des horaires réservés aux femmes à la piscine, un régime alimentaire particulier à la cantine, un entretien avec un guichetier du même sexe, ou le report d’une date d’examen qui tomberait le jour d’une fête religieuse[31].
Pour que les choses soient claires pour tout le monde, la charte de la laïcité dans le service public a été révisée en décembre 2021. Elle énonce (nous soulignons) que « le principe de laïcité interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers », et précise que les usagers « ne peuvent […] exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public en se fondant sur des considérations religieuses », sous peine de s’exposer, « dans les cas les plus graves », aux sanctions pénales prévues par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
Ce nouvel énoncé prend le contre-pied de celui qui figurait dans la version initiale de la Charte diffusée en 2007. On y lisait que « les usagers ne peuvent exiger une adaptation du fonctionnement d’un service ou d’un équipement public », ce qui est une évidence, mais on trouvait aussi le rappel d’une position constante de l’administration : « cependant le service s’efforce de prendre en considération les convictions de ses usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement ». Cette position, désormais frappée d’anathème dans le discours politique, demeure bien ancrée dans les pratiques et la jurisprudence, et tend même à s’affermir.
II. La portée réelle du slogan « nul ne peut se prévaloir »
La formule « nul ne peut se prévaloir » peine à trouver l’oreille du juge. L’interprétation maximaliste qui l’érige en rempart contre toute forme d’accommodement des règles de fonctionnement des services publics ou des entreprises privées est en tout cas fermement rejetée tant par le Conseil d’État (A) que par la chambre sociale de la Cour de cassation (B).
A. Un slogan désamorcé par le Conseil d’État
Le Conseil d’État, qui n’a jamais intégré la règle « nul ne peut se prévaloir » à sa propre définition du principe de laïcité[32], a attendu 2020 pour citer l’obiter dictum formulé 16 ans plus tôt par le Conseil constitutionnel. Et lorsqu’il l’a analysé, dans sa décision Commune de Chalon-sur-Saône relative à l’adaptation des menus des cantines scolaires[33], c’est pour lui reconnaître un sens totalement opposé à celui qui lui est attribué sur la scène politique. La règle « nul ne peut se prévaloir », a-t-il affirmé, n’exclut pas du tout la recherche d’un accommodement des « règles communes » aux fins de prendre en compte les convictions ou les obligations religieuses des usagers.
L’arrêt Commune de Chalon-sur-Saône rappelle que les familles ne sauraient évidemment se prévaloir de leurs croyances religieuses pour exiger que soient proposés à leurs enfants des menus « alternatifs », d’où seraient exclus les aliments proscrits par leur religion. Aucun usager ne dispose d’un droit à l’adaptation du service. Mais il ajoute immédiatement que rien ne s’oppose à ce que l’administration réserve un accueil favorable à la demande de menus différenciés : « ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que [les] collectivités territoriales puissent proposer de tels repas ». La formule claironnée en 2004 par le Conseil constitutionnel signifie simplement, aux yeux du Conseil d’État, que les usagers n’ont aucun droit à l’accommodement raisonnable que l’administration peut – sans y être tenue – décider de leur accorder. Elle n’ajoute donc rien aux solutions traditionnelles du droit français des services publics.
En 2022, le Conseil d’État a réaffirmé qu’il n’existe pas d’obstacle de principe à la mise en oeuvre d’un accommodement pour motif religieux, dans une ordonnance très médiatisée qui a suspendu l’application d’un nouveau règlement intérieur adopté par la ville de Grenoble pour ses piscines municipales[34]. L’accommodement consenti en faveur des baigneuses désireuses de nager en burkini a, en l’espèce, été jugé déraisonnable (« lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service »), mais les premiers juges n’étaient pas fondés à opposer à l’administration communale « les dispositions de l’article 1er de la Constitution qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics »[35]. L’obiter dictum de 2004, a expliqué pour la seconde fois le Conseil d’État, ne ferme aucunement la porte à l’accommodement raisonnable. Il est toujours loisible au gestionnaire d’un service public « de tenir compte, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s’imposent à lui, de certaines spécificités du public » accueilli par le service, « les principes de laïcité et de neutralité du service public ne [faisant] pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses ».
De fait, il n’est pas rare que l’application d’une règle générale rende impossible l’accomplissement de leurs obligations religieuses par certains usagers ou administrés. Dans ces hypothèses, l’administration met en balance la nécessaire sauvegarde de la liberté de religion (qui n’est pas extérieure au principe de laïcité, mais en forme une composante à part entière) et divers impératifs d’intérêt général. La dérogation à la règle, ou son adaptation, sera donc tantôt refusée (exigence de photographie d’identité « tête nue », par exemple), tantôt accordée (autorisation de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, regroupements confessionnels de sépultures dans les cimetières, pratique du culte dans les services publics « fermés »…)[36].
Dans certains domaines, le Conseil d’État va jusqu’à exiger que le refus d’accommodement soit motivé. Par ordre d’intensité croissante du contrôle des motifs, on peut citer le refus d’un chef de service d’accorder à un agent une autorisation spéciale d’absence pour motif religieux[37], le refus d’un chef d’établissement scolaire d’accorder à un élève une dispense d’assiduité « nécessaire à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse »[38], et le refus de l’administration pénitentiaire de mettre à la disposition des détenus des aliments conformes aux prescriptions de leur culte[39].
L’interprétation maximaliste du slogan « nul ne peut se prévaloir » se situe à mille lieues de ces évolutions jurisprudentielles et de la vie des services publics. Elle ne pouvait qu’être récusée par le Conseil d’État[40].
B. Un slogan ignoré par la chambre sociale de la Cour de cassation
Le citoyen, l’administré ou l’usager des services publics ne peuvent pas – l’affaire est entendue – se prévaloir de leurs croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes qui régissent leurs relations avec les collectivités publiques. Mais qu’en est-il du salarié d’une entreprise privée ? Peut-il, au nom de ses croyances, se soustraire à ses obligations contractuelles, en refusant par exemple d’exécuter une tâche qui contrevient aux prescriptions de son culte ? Peut-il s’exonérer du respect de telle ou telle « règle commune » édictée par le règlement intérieur ?
Hier encore, la question ne se posait pas. La chambre sociale avait fermement énoncé, dans une affaire où l’employeur avait refusé d’accorder à un boucher de confession musulmane la mutation qu’il demandait pour ne plus avoir à manier de la viande de porc, que si « l’employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n’entrent pas dans le cadre du contrat de travail et l’employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d’exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché dès l’instant que celle-ci n’est pas contraire à une disposition d’ordre public »[41]. En l’absence de disposition particulière, la religion du salarié était réputée extérieure au champ de la relation de travail, en vertu d’une conception dite « laïque » de la force obligatoire des contrats[42]. Un salarié ne pouvait donc pas demander au juge de faire prévaloir, dans une situation où elles seraient entrées en conflit, ses obligations religieuses sur ses obligations contractuelles. Il arrivait que l’employeur intègre dans l’organisation du travail les prescriptions religieuses supposées de ses salariés (en accordant, par exemple, des temps de pause pour la pratique de la prière musulmane) mais il n’y était nullement tenu.
Depuis quelques années, ces solutions se trouvent toutefois profondément déstabilisées, sous l’effet d’une pénétration accrue, en droit interne, du droit unioniste de la non-discrimination. Au rebours complet du raidissement qui s’exprime sur la scène politique, l’idée d’une obligation d’accommodement raisonnable placée à la charge de l’employeur ne cesse de progresser dans la jurisprudence de la chambre sociale.
Elle y a fait son entrée en 2017[43], pour relayer une exigence formulée par la Cour de justice de l’Union européenne au sujet de la neutralité politique, philosophique et religieuse qu’une entreprise peut, certaines conditions étant remplies, imposer à ses salariés. L’application de la clause de neutralité doit notamment, avait indiqué la Cour, se limiter aux salariés en contact avec la clientèle. Mais ceux qui refuseraient de s’y conformer, avait-elle ajouté, ne s’exposent pas immédiatement à un licenciement disciplinaire, car l’employeur doit au préalable leur avoir proposé un poste n’impliquant pas de contact visuel avec les clients[44]. L’accommodement doit être recherché «en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire »[45]. Sa recherche est toutefois impérative. À défaut, le licenciement du salarié désireux de se soustraire à la « règle commune » de neutralité serait constitutif d’une discrimination.
Entrebâillée en 2017, la porte de l’accommodement raisonnable s’est ouverte en grand en 2022, lorsque la chambre sociale a considéré que devra désormais être considéré comme prima facie discriminatoire, et attentatoire à la liberté de religion, le refus de l’employeur d’accéder à une demande d’aménagement formulée par un salarié au nom de ses croyances religieuses[46]. Pour lever une telle présomption, l’employeur devra établir que son refus était justifié « par une exigence professionnelle essentielle et déterminante […] au regard d’une part de la nature et des conditions d’exercice de l’activité du salarié, […] d’autre part du caractère proportionné au but recherché de la mesure ». Est-ce à dire que, dans de nombreux cas, le refus ne sera pas susceptible de justification et « qu’il y aura donc lieu de faire droit aux demandes [des salariés] pour peu qu’elles soient fondées sur leur religion »[47] ? Ou convient-il d’être plus circonspect sur la portée exacte de l’arrêt du 19 janvier 2022[48] ? La question divise la doctrine travailliste.
Quoiqu’il en soit, il est clair que d’importantes évolutions sont en cours. Elles reflètent des mouvements de fond de notre droit, dont le plus saillant est sans doute l’essor d’un contrôle de proportionnalité in concreto qui conduit le juge à écarter l’application de la « règle commune » lorsque, dans une situation donnée, elle affecte excessivement l’exercice d’un droit fondamental. Une telle logique, même si sa finalité est de protéger les droits individuels à la non-discrimination et à la liberté de religion, risque-t-elle de favoriser, de proche en proche, le développement de revendications d’inspiration « communautariste » ? Il serait naïf d’éluder la question. Mais pour croire que la magie d’un slogan suffira à la dissoudre, il faut être plus naïf encore.
[1] CC, décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
[2] CC, décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, cons. 6.
[3] CC, décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, préc., cons. 18. Le caractère acrobatique du raisonnement déployé pour interpréter la Charte a été souligné par tous les annotateurs de la décision. Sur ce point, v. notamment O. Dord, « Le Conseil constitutionnel face à la “Constitution européenne” : contrôle des apparences ou apparence de contrôle ? », AJDA, 2005, pp. 211-218 ou F. Sudre, « Les approximations de la décision 2004-505 DC du Conseil constitutionnel ”sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union” », RFDA, 2005, pp. 34-42.
[4] CC, décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité [Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle].
[5] CC, décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013, M. Franck M. et autres.
[6] CC, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, Loi confortant le respect des principes de la République, cons. 67.
[7] En ce sens, v. E. Tawil, « Au sujet de la prééminence des lois de la République sur les règles religieuses », Gaz. Pal., 3 novembre 2020, pp. 15-18.
[8] P. Deumier, « La “règle commune” et les convictions religieuses », RTD Civ., 2023, pp. 70- 76.
[9] Sur ce mouvement, v. G. Calvès, Territoires disputés de la laïcité. Quarante questions (plus ou moins) épineuses, PUF, 2018, pp. 19-48.
[10] Vœux du Président de Pierre Mazeaud au Président de la République, Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 18, 2005 (en ligne sur le site du Conseil).
[11] Rapport Baroin Pour une nouvelle laïcité (mai 2003), rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la question des signes religieux à l’école (dit « rapport Debré », novembre 2003), rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (dit « rapport Stasi », décembre 2003).
[12] Discours sur le respect du principe de laïcité dans la République, 17 décembre 2003 (en ligne sur le site de l’Élysée)
[13] Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en oeuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, JORF, n° 118, 22 mai 2004, p. 9033.
[14] D. Chamusssy, « Le traité constitutionnel face à la Constitution française », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 18, 2005 (en ligne sur le site du Conseil).
[15] J.-P. Camby, « Le principe de laïcité : l’apaisement par le droit ? », RDP, 2005, p. 3.
[16] C. Maugüe. « Commentaire de la décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 du Conseil constitutionnel sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe », RFDA, 2005, p. 31.
[17] J. Chirac, discours préc.
[18] Assemblée nationale, Rapport d’information n° 2262, fait au nom de la mission d’information sur la pratique du du port du voile intégral sur le territoire national, 26 janvier 2010.
[19] Assemblée nationale, Résolution n° 459 sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, 11 mai 2010, pt. 2, souligné par nous.
[20] Assemblée nationale, Résolution n° 3397 sur l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse, 31 mai 2011.
[21] Ibid. pts 4 et 5.
[22] Sénat, proposition de loi constitutionnelle n° 3439 visant à garantir la prééminence des lois de la République.
[23] Refus de se soumettre tête nue à un contrôle administratif ou à des règles de sécurité dans l’entreprise ; exigence de non-mixité dans divers contextes ; demandes d’adaptation des horaires et des jours de travail, des programmes d’enseignement ou encore des menus de la restauration collective (ibid., exposé des motifs).
[24] Décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021, présentant en annexe les sept engagements à respecter. Pour une lecture critique du contrat d’engagement républicain, v. S. Hennette-Vauchez, « Lutte contre les séparatismes et liberté d’association », Études, 2022/9, pp. 57-68.
[25] CE, 30 juin 2023, n° 461962, Union syndicats solidaires et autres, concl. Domingo sur l’arrêt précité, disponible sur ArianneWeb, p. 8.
[26] Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. Le contrat d’accueil et d’intégration créé par cette loi (remplacé en 2016 par le contrat d’intégration républicaine) est une première manifestation du « tournant civique » que la France, à l’instar de la plupart de ses voisins européens, a imprimé à sa politique d’immigration. Pour une mise en perspective comparée, v. par ex. T. De Waal, « “Make Sure you Belong !” : A Critical Assessment of Integration Requirements for Residential and Citizenship Rights in Europe », Buffalo Human Rights Law Rev., 2018-2019, vol. 25, pp. 37-63.
[27] Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
[28] Le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur, « en faisant référence aux “principes de la République”, sans autre précision, et en se bornant à exiger que la personne étrangère ait “manifesté un rejet” de ces principes, [n’avait pas] adopté des dispositions permettant de déterminer avec suffisamment de précision les comportements justifiant le refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour ou le retrait d’un tel titre » (CC, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, préc., cons. 54).
[29] Art. L. 412-7 à L. 412-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce contrat s’ajoute au contrat d’intégration républicaine en vigueur depuis 2016 (art. L. 413-1 et suiv. du CESEDA)
[30] Engagement n° 7 du contrat d’engagement à respecter les principes de la République présenté en annexe du décret n° 2024-811 du 8 juillet 2024.
[31] Circulaire JUSD2131513C du 22 octobre 2021 de présentation des dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
[32] V. par ex. le dénombrement des composantes de ce principe dans ses arrêts du 9 novembre 2016, n° 395122, Commune de Melun c. Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne et n° 395223, Fédération de la libre-pensée de Vendée.
[33] CE, 11 décembre 2020, n° 426483, Commune de Chalon-sur-Saône. L’apport de cet arrêt est d’énoncer que la pratique des menus de substitution, une fois adoptée, ne pourra être supprimée que pour des raisons tenant aux exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont dispose la collectivité. Pour une application de ce nouveau vade-mecum, TA Nîmes, 9 février 2021, n° 1900310, Ligue des droits de l’homme, confirmé par CAA Toulouse, 26 janvier 2023, n° 21TL01230, Commune de Beaucaire.
[34] CE, ord. ref. du 21 juin 2022, n° 464648, Commune de Grenoble.
[35] TA Grenoble, ord. ref. du 25 mai 2022, n° 2203163, Préfet de l’Isère.
[36] Pour des développements sur l’accommodement raisonnable « à la française », v. G. Calvès, « Service public et fait religieux : la question des accommodements raisonnables », RDLF, 2022, en ligne.
[37] CE, 12 février 1997, n°125893, Melle Henny (le refus doit être motivé par les nécessités du fonctionnement normal du service).
[38] CE, 14 avril 1995, n°125148, Consistoire central des israëlites de France (le refus doit être motivé par une incompatibilité de l’absence avec l’accomplissement des tâches inhérentes aux études, ou par des raisons liées au respect de l’ordre public dans l’établissement).
[39] CE,10 février 2016, n° 385929, Khadar (l’obligation de servir aux détenus une alimentation respectant leurs convictions religieuses s’entend dans les limites des contraintes matérielles et budgétaires qui pèsent sur l’établissement).
[40] Très ponctuellement, des TA ont pu s’en emparer pour étayer des décisions de rébellion. V. par exemple TA Nice, ord. ref du 3 juillet 2023, n° 2303192, Ligue des droits de l’homme (refusant d’appliquer la grille d’analyse élaborée par le CE pour l’examen des arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages publiques) ou TA Cergy-Pontoise, ord. ref. du 4 juin 2024, n° 2407869 et du 11 juin 2024, n° 2408298 (laissant entendre que le fait d’éviter de fixer la date d’un examen le jour d’une fête religieuse, pratique bien établie et recommandée par diverses circulaires, heurte l’article 1er de la Constitution, en tant qu’il interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes).
[41] Cass. soc., 24 mars 1998, n° 95-44.738.
[42] Contrat de travail, mais aussi contrat de consommation, de vente, de prestation de service ou de bail. À propos par exemple d’un contrat de bail, la 3e chambre civile de la Cour de cassation a transposé la formulation de l’arrêt relatif au boucher de Mayotte en affirmant, dans la célèbre affaire du digicode, que « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique » (Cass. civ. 3e, 18 décembre 2002, n° 01-00.519). Sur cette « laïcité contractuelle » qui, sauf si les parties en ont ab initio convenu autrement, expulse tout élément de normativité religieuse du champ des obligations réciproques, v. la synthèse et les analyses de Suzel Ramaciotti, dans sa thèse Laïcité et droit privé, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, vol. 22, 2022, spéc. n° 121-128.
[43] Cass, soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855.
[44] CJUE, gde ch., 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita c. G4S Secure Solutions, § 43.
[45] Ibid, et repris dans Cass, soc, préc.
[46] Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-14.014. Le salarié, chef d’équipe dans le secteur de la propreté, excipait de sa religion (hindoue, semble-t-il) pour refuser une mutation sur le site d’un cimetière.
[47] J. Mouly, « Force obligatoire du contrat et convictions religieuses du salarié à l’épreuve des discriminations », D., 2022, p. 495.
[48] En ce sens, P. Adam, « Le cimetière des promesses. La force obligatoire du contrat (de travail) à l’épreuve de la liberté religieuse », SSL, n° 1985, 31 janvier 2022.