Chronique de droit constitutionnel comparé 2021, 1/2. Comment te dire adieu ? Fin de vie et Constitution
J. Arlettaz, Professeur de droit public, Université de Montpellier, CERCOP, A. Berthout, Doctorant, Université de Montpellier, CERCOP, F. Camillieri, Doctorante en cotutelle, Université de Pise et Université de Montpellier, Y. Gbohignon Doué, Doctorant vacataire, Université de Montpellier, CERCOP, G. Galustian, Doctorante, ATER, Université de Montpellier, CERCOP, A. Mauras, Doctorante, ATER, Université de Montpellier, CERCOP.
En 1968, le parolier Serge Gainsbourg faisait jouer le son « ex » dans la bouche de Françoise Hardy pour chanter un chagrin qui peinait à trouver les mots et s’interroger pour cela sur les modalités de la rupture sentimentale. Empruntant largement au champ lexical de la raison (« perplexe ») comme de la volonté (« prétexte »), le texte évoque sans difficulté et dans un parfait anachronisme, les enjeux constitutionnels de la fin de vie quand, parfois, la volonté du patient qui souhaite mourir achoppe sur les obstacles juridiques interdisant la concrétisation de sa volonté. De fait, en 2021, les législateurs comme les juges constitutionnels ont été questionnés sur la fin de vie et ont été contraints de traiter tant la problématique du « comment » que les conditions de « l’adieu ». A l’exception de l’Espagne, du Portugal et de la Belgique qui se sont saisis de la question de la fin de vie dans l’enceinte législative sans y être invitée par leur juge constitutionnel, l’Allemagne, l’Autriche, la Colombie, le Canada ou encore l’Italie ont connu un dialogue tout aussi riche que complexe entre leur Cour constitutionnelle ou suprême et leur législateur. Classique en matière de droits fondamentaux, ce dialogue fut particulièrement fécond sur la question de la fin de vie en raison notamment de ressources constitutionnelles paradoxalement faibles : les Constitutions disent en effet tout de la vie et si peu de la mort. Il est vrai que, en droit, l’euthanasie ou le suicide assisté soulève moins la problématique de la mort que celle de l’accompagnement juridique d’une volonté, celle du patient, et d’un acte, celui du prescripteur. Cet accompagnement juridique place dès lors le droit sur la fin de vie juste avant la mort qui en même temps devient, par lui, inévitable ; dans ce contexte, le silence de la Constitution sur la mort se voit comblé par la convocation de principes constitutionnels sur la vie, tels que le principe de dignité, le droit à l’autodétermination ou encore le droit au respect de la vie privée. Comment se dire adieu en droit constitutionnel consiste donc à questionner non pas l’existence d’un droit hypothétique à mourir, unanimement rejeté par les systèmes juridiques, mais à résoudre l’épineuse problématique de la construction ou, au contraire, de la totale négation d’un droit à vivre sa mort dignement.
Organiser juridiquement sa mort, se dire adieu selon la loi, perturbe dès lors le champ constitutionnel et explique certainement pourquoi en 2021, sur cette question, les juges constitutionnels ont surtout cherché à convaincre : convaincre un législateur de légiférer, convaincre un juge fédéral de juger ou convaincre ses collègues de la nécessité de rejuger. Mais confier aux – seuls – juges la charge d’assurer l’évolution d’un cadre juridique aux confluences des droits les plus fondamentaux ne relève jamais de l’évidence dans un régime démocratique. Cette chronique s’en fait annuellement l’écho en soulignant ces réguliers appels de détresse lancés par des juges suprêmes défendant la conviction selon laquelle le lieu privilégié du débat et de la conciliation des conflits en matière de droits fondamentaux demeure le Parlement, non une Cour ; il en va de même concernant la fin de vie. L’élaboration par la jurisprudence d’un encadrement juridique de la fin de vie n’est d’ailleurs pas une fatalité. L’Espagne et le Portugal en sont des illustrations, la Belgique avant eux en affrontant « le tabou de la mort de l’enfant »[1] et bien d’autres précédents législatifs, qui ont permis aux députés de réfléchir sur le temps long, au cadre juridique de la fin de vie. La Nouvelle-Zélande a de son côté fait un choix plus radical en proposant la légalisation de l’euthanasie par voie référendaire ; le peuple néozélandais s’est exprimé favorablement à près de 66% lors du référendum du 17 octobre 2020. En France, la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité n’est plus débattue au Sénat depuis mars 2021 ; en 2017, le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de la loi dite Léonetti-Claeys et le Conseil d’Etat a refusé de transmettre une nouvelle QPC sur ce thème en décembre 2021[2].
Ces diverses actualités constitutionnelles ont notamment placé le débat juridico-juridictionnel de l’euthanasie ou du suicide assisté dans une authentique réflexion sur le temps qui passe : celle qui conduit à laisser au Parlement le temps de légiférer – Italie – celle qui élude ou interroge une jurisprudence passée parce que les temps ont changé – Colombie et Autriche – celle qui questionne la notion de « mort imminente » – Canada, Colombie et Espagne. Presque toutes ont conduit à une incontournable interprétation des normes constitutionnelles (I), à une inédite gestion des précédents (II), à une irrésistible reconfiguration de l’office des juges (III), ont explicitement mentionné une inspiration venue d’ailleurs (IV) et mené à une réponse législative (V).
J. Arlettaz
I. Fonder les adieux : l’interprétation des sources constitutionnelles
L’encadrement juridique de la fin de vie pose la question des sources constitutionnelles pouvant fonder une loi en ce domaine. En l’absence de source unanimement consacrée, les juges nationaux et la Cour européenne des droits de l’homme contrôlent la législation portant sur la fin de vie à l’aune de divers droits constitutionnellement et conventionnellement garantis. Sont ainsi notamment mobilisés les droits à la vie, au respect de la vie privée, à l’autodétermination mais également le droit de mourir ou le principe de dignité humaine.
Dans la mesure où le suicide assisté et l’euthanasie sont des moyens pour mettre fin à la vie d’un individu, il semble a priori logique de confronter la législation en ce domaine au droit à la vie. Pourtant, au sein des droits nationaux, la tendance s’observe d’un rejet quasi-unanime de ce fondement par les juges constitutionnels. Cette position s’éloigne quelque peu de celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui confronte la problématique juridique de la fin de vie au droit à la vie tout en reconnaissant, en l’absence de consensus, une large marge de manœuvre aux législateurs nationaux[3].
La diversité de positions des juges internes et de la Cour européenne peut se comprendre au regard de la place qu’occupe le droit à la vie au sein des ensembles normatifs concernés. Alors qu’il est expressément reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme dans son article 2, le droit à la vie est en effet rarement présent dans le corpus des droits constitutionnellement concernés. Ainsi en France, si le Conseil d’Etat opère un contrôle au regard du droit à la vie[4], le Conseil constitutionnel a refusé de fonder sa décision de 2017[5] sur un hypothétique droit à la vie. Cette différence de raisonnement répond aux normes de référence de chacun de ces contrôles. Le Conseil d’Etat, juge de droit commun de la conventionalité de la loi, se réfère plus aisément aux droits de source européenne tandis que le juge constitutionnel, « [p]ar son refus de consacrer le droit à la vie comme droit constitutionnellement garanti, […] marque l’autonomie des sources constitutionnelles par rapport aux sources conventionnelles »[6]. Sur ce point, le cas français se démarque de la jurisprudence développée par les Cours constitutionnelles autrichienne et belge. En ce qui concerne la juridiction autrichienne d’abord, celle-ci cite explicitement le « droit à la protection de la vie ancré à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme » même si elle précise par ailleurs qu’« il est […] erroné d’[en] déduire un devoir de vivre»[7]. Quant à la juridiction belge, en se prononçant sur la dépénalisation de l’euthanasie pour les mineurs, elle mentionne pareillement l’argument tenant au droit à la vie[8] tout en précisant, à l’instar de son homologue autrichien, qu’il « ne pourrait découler de [ce droit] une obligation de vivre » [9].
En la matière, le Portugal et le Canada font figure d’exception dans la mesure où les normes suprêmes concernées consacrent expressément le droit à la vie. Ainsi l’article 24.1 de la Constitution portugaise précise que « la vie humaine est inviolable » et l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés indique que « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Le Tribunal constitutionnel portugais, en présence d’un droit expressément consacré, est dès lors l’une des rares juridictions constitutionnelles à confronter directement l’aide médicale à mourir au droit à la vie. Le Tribunal précise sur ce point que « la discussion sur la conformité constitutionnelle des conditions ou des hypothèses concrètes […] de l’assistance médicale à mourir n’a de sens – et d’utilité – que si une telle […] assistance médicale à mourir n’est pas, d’emblée, et en elle-même, envisagée incompatible avec la Constitution, à savoir avec son article 24, alinéa 1 »[10]. Cependant, le juge portugais reconnaît le caractère non absolu de ce droit et la possibilité de l’aménager dans des « conditions particulières – en l’occurrence très particulières »[11]. La Cour suprême du Canada de son côté conclut, dans la décision Carter, que « la prohibition de l’aide médicale à mourir porte atteinte au droit à la vie »[12].
La référence au droit à la vie dans le domaine étudié interroge inévitablement sur son périmètre et conduit ainsi à se demander s’il contient un volet négatif, à savoir le droit de mourir. Le juge portugais précise en ce sens que le doit à la vie « n’a pas de dimension négative : le droit de vivre (et donc de ne pas être tué) ne s’oppose pas à un droit de mourir ou d’être tué (par un tiers ou avec le concours de l’autorité publique), un droit de ne pas vivre ou un droit de choisir de continuer ou non à vivre »[13]. De la même manière au Canada, aussi bien la Cour suprême dans sa décision Carter[14] que la Cour supérieure du Québec dans sa décision Truchon[15], circonscrivent le droit à la vie à celui de « ne pas mourir », de sorte que la mort raisonnablement prévisible « contrevient […] au droit à la vie de l’article 7 de la Charte. »[16] Cette position des juridictions nationales – canadienne ou portugaise – converge avec celle de la Cour européenne des droits de l’Homme qui précise, dans la décision Pretty c. le Royaume-Uni de 2002[17], que « l’article 2 ne saurait sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir »[18]. En l’absence de consensus sur la question, la Cour de Strasbourg refuse de consacrer un droit au suicide[19].
Si l’invocation directe du droit à la vie n’est pas aisée dans l’ensemble des systèmes étudiés, il est mobilisé par certains juges constitutionnels de façon indirecte et vient nourrir un autre droit consacré à part entière. Les exemples autrichien et colombien sont parlants sur ce point. Concernant le système autrichien d’abord, s’il ne se distingue pas des autres régimes étudiés en ce que le droit à la vie ne fonde pas directement un droit à mourir, il se singularise, en revanche, en ce que le droit à l’autodétermination invocable dans le domaine étudié est partiellement fondé sur le droit à la vie. En effet, la Cour constitutionnelle autrichienne précise, dans la décision du 11 décembre 2020[20], que l’Etat de droit démocratique est basé sur plusieurs principes, à savoir le droit au respect de sa vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne, le droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention et le principe d’égalité tel que consacré dans l’article 7§1 de la Constitution. La Cour souligne, se fondant sur l’article 63§1 du Traité de Saint-Germain qui a valeur constitutionnelle[21], que l’État a l’obligation de « garantir à tous […] une protection pleine et entière de la vie et de la liberté ». Quant au système colombien, si le juge constitutionnel ne confronte pas directement la loi pénalisant l’homicide par compassion au droit à la vie, il fait référence à ce dernier à l’occasion du test de pondération qu’il effectue entre le droit à la vie et le droit à une mort digne. En 2021, la Cour revient alors sur la position développée dans sa décision de 1997[22] en précisant que « le droit à la vie, tel qu’envisagé dans la pondération, se fait plus léger lorsque la mort est proche, et cela implique que les devoirs de protection que l’Etat doit à la vie, et spécialement l’obligation de préserver la vie à tout prix, diminue devant l’alternative d’une mort prochaine en souffrance ou d’une mort prochaine, telle que définie par le patient »[23].
Ainsi, la référence au droit à la vie est souvent évitée par les juges nationaux qui ont tendance, en revanche, à mobiliser le principe de dignité humaine, ce dernier s’avérant alors plus pertinent pour appréhender les conflits propres à la fin de vie. Evoquant le Conseil constitutionnel, Agnès ROBLOT-TROIZIER souligne que celui-ci « contourne le problème juridique de la fin de la vie : alors qu’il est interrogé sur la possibilité de donner la mort à une personne maintenue en vie artificiellement et dont l’état est irrémédiable, le Conseil répond en s’attachant à la dignité de la personne et à l’autonomie de sa volonté. Autrement dit, il transforme la question de la mort en une question de conditions de vie et de choix autonome du moment de la mort »[24]. En effet, les juges semblent plus à l’aise avec le principe de dignité que la Cour colombienne qualifie de « fondement et [de] finalité de tous les droits fondamentaux »[25] en ce qu’il comporte plusieurs dimensions, « spécialement la dignité comme autonomie (vivre comme on le souhaite), la dignité comme intégrité (vivre sans humiliation), lesquelles à leur tour comptent sur le développement plus ample des articles 12 (droit à l’intégrité personnelle) et 16 de la Constitution Politique (libre développement de la personnalité). »[26] Selon le juge colombien, l’autonomie constitue « l’élément éthique »[27] de la dignité. Le lien entre le principe de dignité et le droit à l’autodétermination se retrouve en effet régulièrement au sein de la jurisprudence des Cours constitutionnelles. Le juge autrichien, par exemple, ne vise pas le principe de dignité en tant que tel mais convoque le droit de mourir dans la dignité qui compose, avec le droit de façonner sa vie, le droit à l’autodétermination[28]. La Cour de Karlsruhe considère de même et de façon constante que le droit à l’autodétermination des individus tiré de l’article 2§1 de la Loi Fondamentale est un prolongement logique de la dignité humaine laquelle est « fondée sur l’idée que l’être humain, dans la liberté, se détermine et se développe lui-même »[29]. Dès lors, l’autodétermination « s’enracine dans la dignité humaine »[30] et suppose, entre autres, le droit à une mort autodéterminée[31]. L’individu a donc le droit de refuser des traitements le maintenant en vie ainsi que de décider de mettre fin lui-même à sa vie, y compris en ayant recours à l’aide d’un tiers : « le droit de mettre fin à ses jours garantit que l’individu puisse se déterminer de manière autonome de lui-même, conformément à l’image qu’il a de lui-même, et préserver ainsi sa personnalité »[32]. Le juge allemand précise également l’importance de l’encadrement de la fin de vie. Il souligne en effet que « [c]ompte tenu de l’irréversibilité de l’exécution d’une décision de suicide, l’importance de la vie en tant que valeur suprême au sein de l’ordre constitutionnel impose de s’opposer aux suicides qui ne sont pas portés par une libre autodétermination et une responsabilité personnelle. L’Etat doit veiller à ce que la décision de recourir au suicide assisté repose effectivement sur une volonté libre »[33]. Sur cette question, la jurisprudence allemande s’inspire de celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui pose à la charge des Etats l’obligation de s’assurer que la décision d’un individu de mettre fin à sa vie a été prise librement et en connaissance de cause[34]. Alors que la juridiction européenne fonde cette obligation sur le droit à la vie, la Cour allemande parle de la vie en tant que « valeur suprême » et la mobilise dans le cadre du contrôle de la légitimité du but poursuivi par le législateur.
En matière de droit à l’autodétermination, le système allemand a manifestement inspiré le constituant portugais qui consacre, dans l’article 26 paragraphe 1 de la norme suprême, le droit fondamental au développement de la personnalité qui inclut la liberté générale d’action et la capacité d’autodétermination individuelle. L’article 2 (1) du Grundgesetz comporte en effet, selon la doctrine et la jurisprudence allemandes, deux aspects différents : le droit général de la personnalité et la liberté générale d’action. Le juge portugais précise alors qu’en vertu de ce droit, chaque individu a « le pouvoir de prendre des décisions cruciales sur la façon dont il entend vivre sa propre vie et, par nature, sur la façon dont il n’entend pas continuer à la vivre » de sorte que « la protection absolue et sans exceptions de la vie humaine ne permet pas d’apporter une réponse satisfaisante, car elle tend à imposer un sacrifice de l’autonomie individuelle contraire à la dignité de la personne qui souffre, convertissant son droit de vivre en un douloureux devoir d’accomplissement »[35]. La Cour constitutionnelle italienne se tient à la même lecture en soulignant que « l’interdiction absolue de l’aide au suicide finit donc par limiter la liberté d’autodétermination du patient dans le choix des thérapies, […] lui imposant finalement une méthode unique pour prendre congé, sans que cette limitation soit considérée comme préalable à la protection d’un autre intérêt constitutionnellement appréciable, avec pour conséquence une violation du principe de la dignité humaine »[36].
Ainsi, la dignité humaine se présente non pas comme une limite au droit d’un individu à choisir le moment et la manière de mettre fin à sa vie mais, bien au contraire, comme le fondement de ce dernier. Le juge constitutionnel allemand précise dans ce sens que « la dignité humaine n’est pas la limite de l’autodétermination de la personne, mais sa raison ». Dès lors, le droit à choisir le moment de sa mort existe « dans toutes les phases de l’existence humaine » et n’est pas « particulièrement limité aux états de maladie graves ou incurables ou certaines phases de la vie et de la maladie »[37]. Ainsi, le système allemand se distingue des autres droits nationaux étudiés en raison de son interprétation particulièrement poussée du droit à l’autodétermination dès lors qu’il interdit au législateur, sur ce fondement, de fixer des conditions de fond au suicide assisté. La jurisprudence du juge autrichien sur ce point semble moins clairement assumée. Il indique en effet que le droit à l’autodétermination comprend, entre autres, « la décision de savoir si et pour quelles raisons une personne souhaite mettre fin à sa vie dans la dignité. Tout cela dépend des convictions et des idées de chaque individu et relève de son autonomie »[38].
Le principe de dignité se trouve également dans les jurisprudences française et canadienne qui l’abordent avec une spécificité propre à chacune. Le Conseil constitutionnel français contrôle le respect du principe de dignité de façon conjointe avec la liberté personnelle[39]. La dignité est également mobilisée par le juge canadien pour estimer contraire à la Constitution la condition législative d’une mort raisonnablement prévisible pour justifier une demande d’aide médicale à mourir[40]. Abordé sous l’angle du droit à la liberté et à la sécurité, la Cour suprême de Québec précise qu’il n’est pas question de « maintenir en vie et contre leur gré, des personnes qui, au bout d’un certain temps, arriveront naturellement au stade d’une mort imminente où elles pourront demander l’aide médicale à mourir, au terme de souffrances inutiles et au prix de la négation complète de leur dignité »[41].
Enfin, la Belgique, le Royaume-Uni et la Cour européenne des droits de l’Homme se sont principalement appuyés sur le droit au respect de la vie privée. Selon la Cour constitutionnelle belge, en effet, « le droit de chacun de choisir de mettre fin à sa vie pour éviter une fin de vie indigne et pénible […] découle du droit au respect de la vie privée »[42]. De même la jurisprudence britannique s’est fondée sur le seul droit à la vie privée tiré de l’article 8 de la Convention européenne[43]. Sur cette question, la jurisprudence britannique est à rapprocher de la position de la Cour européenne qui, notamment dans la décision Haas c. Suisse de 2011, précise que chaque individu a le droit « de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d’agir en conséquence, [ceci étant] l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention. »[44].
A l’aune de l’étude des sources mobilisées par les Cours nationales et la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de la fin de vie, se dresse le constat d’une grande divergence entre les juges qui s’explique, pour partie seulement, par des références normatives différentes selon les systèmes juridiques concernés. Le choix du droit fondamental – constitutionnel ou conventionnel – auquel se rattache la problématique de la fin de vie s’avère hésitant et prudent. Le droit à la vie étant souvent contourné, la fin de vie peut se rattacher dans certains systèmes, nationaux ou européen, à la vie privée. Alors que le droit au suicide – Rechts auf Selbsttötung – n’est clairement consacré que par la juridiction constitutionnelle allemande, les juges nationaux reconnaissent cependant, dans certains Etats, le droit à la mort digne et autodéterminée.
G. Galustian
II. Repenser les adieux : la gestion des précédents jurisprudentiels
Les cours canadienne, autrichienne et colombienne ont récemment été soumises à la gestion de leurs précédents jurisprudentiels relatifs à la fin de vie. En 1993, la Cour suprême du Canada déclarait la constitutionnalité de la législation pénalisant le suicide assisté ; en 2016 la Cour constitutionnelle autrichienne validait également la constitutionnalité de la pénalisation de l’aide au suicide lorsque la Cour constitutionnelle colombienne ouvrait, en 1997, le droit à l’euthanasie et au suicide assisté aux personnes souffrant d’une maladie en phase en terminale. Dans les trois cas, les juges ont eu à se défaire de ces précédents aux fins de repenser les adieux.
Consacrée par la Chambre des Lords en 1898, la règle du précédent signifie que « toute décision de la Chambre des Lords, portant sur une question de droit, lie d’une façon définitive et obligatoire, dans tout nouveau litige, non seulement les tribunaux inférieurs sans exception mais la Chambre des Lords elle-même. »[45] La rigidité de cette règle, qui « participe de l’acceptabilité du pouvoir créateur »[46] du « judge made law », n’a pas été sans poser de difficultés dans la confection du droit jurisprudentiel anglo-saxon. Comme le signale Gerald Dworkin, « il est difficile d’imaginer plus grande frustration, pour un organisme créateur, que d’être entravé par une règle qu’il s’est imposée lui-même, qui lui interdit de changer d’opinion quand les temps et les conditions ne sont plus les mêmes »[47]. Conscients du carcan dans lequel ils s’étaient enfermés, les Lords prirent la plume en 1966 de manière à s’octroyer le pouvoir de « s’écarter d’une décision ancienne quand ils penseront devoir le faire. »[48] L’assouplissement du stare decisis[49] n’est donc pas nouveau et ne constitue pas l’apanage du juge anglais puisque le modèle de common law correspond à l’une des deux traditions juridiques majeures diffusées à travers le monde. C’est ainsi que dans les pays de tradition civiliste comme dans ceux de common law, le précédent fait autorité pour la Cour qui l’a prononcé et pour celles situées à l’échelon inférieur dans l’organigramme judiciaire. Bien que l’idée qui se dégage du mot « autorité » soit la même, le concept ne revêt pas la même portée en pays de common law et en pays de droit civil. En common law « le précédent crée une règle que les tribunaux sont obligés de suivre »[50] alors qu’en civil law, « le précédent ne commande pas, il recommande qu’on le suive. »[51] Ces différentes traditions juridiques, entendues comme deux manières de concevoir le droit, influent sur la force du précédent et plus précisément sur l’autorité qui en découle. Au Canada, système qui se rattache à la famille de common law[52], et en Colombie où se côtoient les modèles de common law et de civil law[53], les magistrats constitutionnels ont tricoté au fil du temps, une série de critères jurisprudentiels, leur permettant de se départir du précédent lorsqu’ils pensent « devoir le faire »[54]. Au contraire, le juge autrichien, fortement ancré dans la tradition civiliste[55], envisage le précédent comme un modèle proposé qui ne s’impose pas. Parce qu’il « ne déroge à aucune règle, pas même à une règle de courtoisie, en exprimant avec déférence une opinion contraire »[56], le juge autrichien se défait du précédent sans prendre le soin d’en justifier la raison. Malgré ces différences, il ressort de la comparaison que les trois juges ont renversé les précédents relatifs à la fin de vie[57], au nom de la reconnaissance d’un droit nouveau. Le droit au suicide assisté est désormais reconnu par la Cour suprême du Canada[58] et par la Cour constitutionnelle autrichienne[59], lorsque la Cour colombienne n’a fait qu’élargir les conditions d’accès aux droits à l’euthanasie et au suicide assisté, en supprimant la condition de « maladie en phase terminale » pour les sujets bénéficiaires desdits droits[60]. Ainsi, un problème de société idéologiquement controversé a conduit les juges à revenir sur leurs jurisprudences, devenues de facto obsolètes. Or le procédé par lequel l’obsolescence fut proclamée diffère dans les trois cas. L’analyse comparée révèle, en effet, que les organes ayant initié le revirement varient au sein de ces Etats, et que l’objet du revirement, en Colombie, demeure singulier.
Qui renverse quoi ? – À cette question, en apparence très simple, il serait tentant de répondre que la Cour suprême canadienne renverse, par sa décision Carter de 2015[61], le précédent Rodriguez de 1993[62], que la Cour constitutionnelle autrichienne de 2020[63] renverse le précédent de 2016[64], et que la Cour constitutionnelle colombienne de 2021[65] renverse le précédent de la Cour de 1997[66]. Cette réponse, aussi pédagogique soit-elle, ne permet pourtant pas de saisir la palette de nuances qu’offre la comparaison, tant sur l’appréciation de l’organe à l’origine du revirement que sur celle de l’objet renversé.
Le renversement ascendant – Au Canada le renversement du précédent Rodriguez dans l’affaire Carter suit le tempo d’une valse à trois temps. Le premier temps prend forme au travers du jugement prononcé en première instance par la juge Smith[67]. Comme le relève la Cour suprême du Canada, les faits à l’origine des affaires Rodriguez et Carter étaient similaires[68] et en ce sens, la même règle de droit s’appliquait, c’est-à-dire l’article 241(1)(b) du Code criminel du Canada qui pose l’interdiction de l’aide médicale à mourir. Les conditions étaient donc remplies pour qu’il y ait « précédent » de sorte que la constitutionnalité de l’article 241(1)(b) faisait autorité. La juge de première instance décide, cependant, de se libérer du précédent Rodriguez. Pour ce faire, elle soutient que les tribunaux inférieurs ne sont pas liés par ce qui a été arrêté par la Cour suprême lorsque « les termes [de la Cour suprême] sont suffisamment tangents à la décision de l’affaire »[69] ; et de préciser que le silence de la Cour empêche la règle du stare decisis de s’appliquer. Une fois le cadre posé, la juge Smith s’emploie, dans un premier temps, à rechercher ce que la Cour suprême du Canada a décidé dans l’affaire Rodriguez, de manière à identifier, dans un second temps, ce qui n’a pas été décidé par la Cour. Elle relève que la Cour suprême a, certes, examiné la constitutionnalité de la disposition litigieuse par rapport à l’article 7 de la Charte canadienne, mais constate qu’elle a limité son contrôle aux droits à la sécurité et à la liberté sans s’exprimer sur l’éventuelle atteinte au droit à la vie, prévue par cette même clause. Ce faisant, la juge valide l’argument présenté par les demandeurs selon lequel le fait d’« aborder une question de façon tangentielle [comme ce fut le cas du droit à la vie] ne constitue pas la même chose que celui de la trancher, et que l’absence de référence ou le silence quant à un concept déterminé, n’équivaut pas à une décision »[70]. Ajouté à cela, elle relève que l’atteinte à l’article 15(1) protégeant le droit à l’égalité a été supposée[71]. L’incomplétude du contrôle réalisé par la Cour suprême dans l’affaire Rodriguez conduit la juge Smith à se délier du stare decisis en déclarant l’inconstitutionnalité de l’article 241(1)(b) CP.
S’ensuit le deuxième temps – ou plutôt le contretemps – par lequel la Cour d’appel de Colombie-Britannique, infirme fermement le jugement de première instance[72] aux motifs que « la juge (…) était tenue de conclure qu’on avait statué péremptoirement sur l’affaire des demandeurs dans l’arrêt Rodriguez »[73]. Et de conclure que « s’il y a lieu d’examiner la constitutionnalité de l’article 241 du Code pénal sans égard à l’arrêt Rodriguez, c’est à la Cour suprême du Canada qu’il appartient de le faire. »[74] Cette conclusion – classique en appel – s’inscrit dans le sillage de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario, à l’occasion de l’affaire Bedford. Dans cette affaire, les juges d’appel avaient annoncé les possibles dérives d’un réexamen régulier des litiges par les juridictions inférieures. Selon eux, ce réexamen reviendrait à remettre en cause « la légitimité des décisions de la Charte et la primauté du droit [aboutissant ainsi] « non pas à un arbre vivant et vibrant, mais à un jardin de plantes annuelles devant être déraciné et remplacé régulièrement »[75]. Cette métaphore appelle quelques remarques. Outre la stabilité du droit invoquée en filigrane, les juges d’appel entendent valoriser une approche plus stricte de la règle du stare decisis que celle défendue en première instance. L’objectif consiste, certainement, à éviter que l’indiscipline des juridictions inférieures ne se répercute sur leurs propres arrêts.
Se dessine alors le troisième temps : le temps de la sentence. La Cour suprême du Canada intervient pour clore le débat en approuvant le jugement de première instance. Plus qu’une validation du raisonnement tenu par la juge Smith, la décision de la Cour en réalise la légitimation. La conception retenue ne souffre aucunement de modération : « le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. »[76] En quelques mots le ton est donné, la figure du juge « bouche du précédent » est rejetée, celle du juge activiste, formellement revendiquée. La Cour achève la valse par un temps fort : elle rend une décision unanime au nom de « La Cour », en ne mentionnant pas l’identité de son rédacteur et en omettant sciemment de faire apparaître la traditionnelle signature des juges. Cette omission, loin d’être accessoire, poursuit un objectif précis, celui de « renforcer l’impression de consensus judiciaire qui se dégage déjà du caractère unanime de sa décision »[77]. À la question, « qui renverse quoi ? », la jurisprudence Carter indique que c’est l’Institution judiciaire – et non le compromis issu de la somme des opinions de chaque juge – qui renverse le précédent Rodriguez, et ce, sous l’impulsion d’une juge de première instance, maître dans l’art de repenser les collisions normatives.
Le renversement de la chose jugée matérielle en Colombie – À la différence de son homologue canadien, le traitement de la question de l’organe en Colombie, se révèle moins intéressant que celle de l’objet. C’est bien la Cour constitutionnelle de 2021 qui renverse le précédent de la Cour constitutionnelle de 1997. Pour rappel, en 1997 la Cour constitutionnelle s’était déjà prononcée sur la pénalisation de l’homicide par compassion – expression colombienne qui désigne l’euthanasie – prévue à l’article 326 du décret-loi 100 de 1980. Par cette décision, la Cour avait formulé une réserve interprétative conditionnant la constitutionnalité de cette disposition. Selon cette réserve, l’euthanasie n’est pas pénalisée lorsque trois conditions sont réunies : le consentement de la victime, la réalisation de l’acte par un médecin et l’existence d’une maladie en phase terminale[78]. C’est précisément la constitutionnalité de cette dernière condition qui a été contestée devant la Cour de 2021. Cependant, durant le laps de temps écoulé entre les deux sentences – 1997-2021 – le Congrès a modifié l’assise textuelle régulant l’homicide par compassion. Par la loi 599 de 2000, le législateur colombien a supprimé le décret-loi de 1980, et a introduit à la place, l’article 106 au sein du Code pénal[79], lequel pose à son tour, la pénalisation de l’euthanasie. Face à ce nouveau statut normatif, la Cour dispose d’un panel de parades juridiques pour résoudre la situation. Prévoyante, la Cour colombienne a progressivement construit une jurisprudence subtile lui permettant de revenir sur l’autorité de la chose jugée[80] à la fois formelle et matérielle[81]. Conformément à cette jurisprudence, la Cour soutient que « dans le cas d’espèce, il n’y a pas de chose jugée formelle puisque l’article 326 du Code pénal de 1980, issu du décret-loi 100 de 1980, a été remplacé par l’article 106 de la Loi 599 de 2000 (Code pénal en vigueur), lequel constitue la norme actuellement contestée. La demande ne se dirige donc pas contre la même disposition juridique. »[82] En revanche, la Cour estime être en présence de la chose jugée matérielle puisqu’elle s’est déjà prononcée « sur un contenu normatif identique à celui de la demande dans la sentence C-239 de 1997. »[83] Elle précise que les deux dispositions contestées – celle de 1980 et celle de 2000 – sont deux normes de caractère punitif qui établissent des sanctions pénales. En outre les deux articles se réfèrent à la même conduite, l’homicide par compassion, et en proposent une définition comprenant les mêmes éléments[84]. Malgré l’analogie d’objet, la Cour admet la réouverture du débat en se fondant sur deux motifs : le changement de contexte normatif et l’évolution dans la signification des principes constitutionnels importants[85]. Un troisième motif, plus radical, est avancé. La Cour explique que le Congrès a adopté l’article 106 du Code pénal en 2000, sans prendre en compte sa jurisprudence de 1997 par laquelle elle avait prononcé une sentence additive, conditionnant la constitutionnalité de la disposition contestée. Autrement dit, le Congrès s’est contenté de reproduire l’ancien article sans le complément normatif. Par une sorte de parallélisme des formes, la Cour considère qu’elle ne porte pas atteinte à l’autorité de la chose jugée en contrôlant une nouvelle fois la constitutionnalité de l’homicide par compassion eu égard à la transgression préalable de cette même autorité par le Congrès[86].
Ainsi, à la question « qui renverse quoi ? », deux réponses se profilent. La première puise sa source dans l’autorité de la chose jugée matérielle. La Cour constitutionnelle de 2021, renverse la signification normative de l’article 326 du décret-loi de 1980 attribuée par la Cour de 1997, en supprimant la condition de maladie en phase terminale. La seconde s’appuie sur le conflit institutionnel. Le non-respect par le Congrès de la chose jugée constitutionnelle annule son autorité et – si le raisonnement est poussé à son maximum – cela implique que la Cour ne renverse « rien ».
Quand la Cour autrichienne se renverse – Loin de la richesse des jurisprudences colombienne et canadienne, le renversement opéré par la Cour constitutionnelle autrichienne de 2020[87] n’est autre que celui de la décision de 2016 validant la pénalisation du suicide assisté[88]. Dans les deux décisions, la contestation visait la même disposition, à savoir l’article 78 du Code pénal selon lequel « quiconque incite une autre personne à se suicider ou l’aide à le faire est passible d’une peine privative de liberté de six mois à cinq ans. »[89] Par la jurisprudence de 2020, la Cour autrichienne déclare la seconde infraction relative à l’aide au suicide, inconstitutionnelle, bien qu’elle l’ait déclaré constitutionnelle quatre ans auparavant. En 2016, la Cour constitutionnelle a effectivement eu à connaître d’un recours formé à l’encontre du refus de l’administration de délivrer une autorisation. Cette autorisation avait pour objet de permettre la création d’une association faisant la promotion du suicide assisté. Or, en Autriche, le cadre légal limite la liberté d’association en ce qu’il interdit la création d’associations dont la mission se révèlerait contraire aux lois pénales. En l’espèce, l’association poursuivait, selon la Cour, un objectif contraire à l’article 78 du Code pénal car elle prévoyait de « fournir une assistance au suicide aux membres de l’association. »[90] C’est la raison pour laquelle, le refus d’enregistrement émis par l’administration a été validé par la Cour de 2016. À cette occasion, le juge autrichien a réalisé un contrôle de constitutionnalité sommaire de l’article 78 CP en invoquant la jurisprudence de la CEDH, Pretty c. R.U[91]. La jurisprudence de la Cour régionale lui a notamment permis de justifier sa retenue. Le juge expliquait en effet qu’en matière de politique juridique, le législateur dispose d’une large marge d’appréciation[92]. En 2020, le juge autrichien mentionne cette décision mais annonce qu’il n’en tiendra pas compte[93]. Aucune justification n’est exposée. La raison tient sûrement au fait que le juge ne se sente pas lié par sa jurisprudence antérieure, qui constitue une « simple invitation »[94] à être suivie, sans qu’il soit « inconvenant de la décliner »[95] ; ou encore par la déférence traditionnelle de la Cour constitutionnelle à l’égard du législateur, fortement critiquée par les commentateurs, qui l’invitent régulièrement à dépasser sa jurisprudence « peu audacieuse en matière de droits fondamentaux »[96]. Le renouvellement de la composition organique de la Cour peut également fournir certaines explications. La nomination de cinq nouveaux juges en quatre ans a potentiellement modifié le courant idéologique dominant au sein de la Cour, et ce, à la faveur de la libéralisation du droit via la consécration de nouveaux droits.
À la question de savoir « qui renverse quoi ? », la réponse arbore une allure plus classique en Autriche. La Cour constitutionnelle de 2020 renverse le précédent de la Cour constitutionnelle de 2016 sans en exprimer les motifs. Or la comparaison fait savoir que les juges colombien et canadien n’empruntent pas le chemin choisi par la cour autrichienne. Au contraire, les motifs du revirement sont exposés, et la prise en compte du contexte ne demeure pas étranger à la décision de s’affranchir de jurisprudences anciennes.
La justification du revirement par le contexte – Au moment d’analyser le jugement rendu en première instance, la Cour suprême canadienne, cite l’arrêt Bedford, par lequel elle a accordé une certaine liberté au juge du fait : « les tribunaux inférieurs peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question se pose ; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve “change radicalement la donne” »[97]. À l’instar de cette jurisprudence, la Cour colombienne a admis la possibilité de se départir du précédent dès lors qu’elle se trouve en présence « d’une modification du paramètre de contrôle, dérivée de l’incorporation de nouveaux mandats importants dans la Constitution ou au sein du bloc de constitutionnalité ; d’une modification concernant la signification matérielle ou la compréhension des mandats constitutionnels, dérivée de changements sociaux, politiques, ou économiques significatifs ; ou en raison de la variation du contexte normatif dans lequel s’insère la norme objet du contrôle. »[98] Dans les deux cas, l’évolution des contextes normatif et factuel, autorise le juge à se délier du précédent. Ces deux lignes jurisprudentielles esquissées par les cours colombienne et canadienne, favorisent le développement du droit à la lumière du temps présent.
Concernant le contrôle opéré par la Cour canadienne, celle-ci estime que la juge Smith se trouvait à la fois en présence d’une nouvelle question de droit et d’une nouvelle question de fait[99]. Les critères de la jurisprudence Bedford étaient donc remplis. La Cour suprême considère effectivement que le cadre juridique applicable à l’analyse des principes de justice fondamentale, prévus à l’article 7 de la Charte, a évolué depuis l’affaire Rodriguez (nouvelle question de droit). Elle affirme ainsi que « trois principes centraux se sont dégagés de la jurisprudence récente relative à l’article 7 : les lois qui portent atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ne doivent pas être arbitraires, avoir une portée excessive ou entraîner des conséquences totalement disproportionnées à leur sujet. »[100] Une fois le nouveau cadre normatif exposé, la Cour choisit d’axer l’essentiel de son contrôle sur l’atteinte au principe de portée excessive. Selon la Cour, l’interdiction de l’aide à mourir revêt une portée excessive[101] puisque l’objet de la loi vise à empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à se suicider. Or la prohibition générale s’oppose à ce que les personnes capables, libres et éclairées bénéficient de l’aide médicale à mourir[102]. En ce sens, la portée excessive de la loi nie les droits des personnes non vulnérables, raison pour laquelle son inconstitutionnalité est déclarée.
Le deuxième élément analysé par la Cour, concerne à la fois la prise en compte des faits sociaux et dans une moindre mesure, l’évolution du droit étranger[103]. Sur la prise en compte des faits sociaux, la Cour suprême valide le fait que la juge de première instance ait accordé une place de choix aux preuves apportées par les témoins et aux études scientifiques menées par les experts. Le passage de Rodriguez à Carter est ainsi présenté par la Cour « comme étant moins dû à une évolution idéologique qu’à un changement d’attitude judiciaire eu égard au rôle plus important du juge des faits et à la nouvelle vision entourant l’admissibilité des faits législatifs et sociaux. »[104] Sur ce point, la Cour colombienne accueille également les témoignages par lesquels l’évolution du fait social est avancée. De nombreux experts, en médecine, en droit, en politiques publiques ou encore des organismes associatifs et des citoyens se sont présentés devant la Cour pour émettre leurs observations[105]. Loin de rester de simples observations, la Cour les érige en véritables justifications : « la sentence C-239 de 1997, devient obsolète, conformément aux avancées scientifiques, juridiques et philosophiques actuelles, lesquelles démontrent, à ce jour, un changement, tant au niveau des paramètres de contrôle que dans la signification retenue en 1997, notamment dans la détermination de la portée et des fondements de la décision. »[106] Ajouté à cela, la Cour fournit, en annexe, une sorte d’état des lieux des droits étrangers, en matière de reconnaissance des droits à l’euthanasie et au suicide assisté, présenté sous la forme de rapports par pays[107]. Ce matériau lui permet, notamment, de justifier le contournement du principe de la chose jugée puisque l’une des conditions posées réside dans le changement de contexte normatif[108]. La Cour justifie ainsi ce changement en mobilisant l’argument de droit étranger : « actuellement 15 pays ont régulé le droit à la mort digne, le suicide assisté ou l’homicide par compassion, alors qu’au moment où la sentence C-239 de 1997 fut prononcée, seulement deux pays avaient admis ce type de procédés, comme par exemple, un Etat des Etats-Unis d’Amérique. »[109] En outre, la Cour motive la modification du contexte juridique par l’évolution du droit national. Sont invoqués le changement de statut des normes contestées[110], l’adoption d’une législation régulant les soins palliatifs[111] et les nombreuses injonctions qu’elle a formulées au Ministère de la Santé et de la Protection Sociale dans sa jurisprudence antérieure, lesquelles ont débouché sur une importante régulation administrative du droit à mourir dignement[112]. L’ensemble de ces éléments conduit la Cour à admettre que le contexte normatif dans lequel s’insère l’homicide par compassion a évolué[113]. La deuxième condition évaluée par la Cour réside dans l’évolution de la compréhension du droit à mourir dignement. Reprenant l’argument de la loi sur les soins palliatifs, adoptée en 2014, elle signale que ceux-ci constituent désormais une des dimensions du droit fondamental à mourir dignement[114]. La Cour constitutionnelle explique par ailleurs, que les nombreuses actions qu’elle a eu à connaître dans le cadre du contentieux de tutela – c’est-à-dire la version colombienne du recours d’amparo – lui ont permis d’enrichir matériellement le contenu de ce droit[115]. C’est donc par l’appréhension des faits litigieux, au travers du contrôle in concreto effectué lors du traitement des actions de tutela, que le juge colombien a dessiné les contours du droit à mourir dignement. En 2021, la prise en compte des faits de l’espèce cède la place à l’admission du fait social au cours du contrôle abstrait de constitutionnalité[116]. L’examen in abstracto permet à la Cour de confirmer le concept contemporain du droit à la mort digne préalablement esquissé. Ce concept, substantiellement riche, implique que les personnes souffrant d’une maladie incurable aient accès aux soins palliatifs, au suicide assisté et à l’euthanasie, de manière à accueillir la mort dans la dignité.
Si d’aucuns considèrent le précédent comme la « manifestation de la mémoire du juge »[117], la comparaison enseigne que la mémoire d’un passé lointain ou proche ne s’oppose pas à ce que les juges assument une nouvelle manière de juger ancrée dans leur temps. Certains sujets, porteurs d’une charge axiologique importante, et à ce titre, fortement débattus au sein de la société, appellent le juge à s’en saisir une fois de plus. C’est ainsi que les juges canadien, autrichien et colombien ont répondu aux demandes des justiciables en adaptant le droit au fait social. En définitive, les jurisprudences portant sur la fin de vie démontrent que le précédent « précède » mais n’oblige pas, tout simplement parce que les cours suprêmes et constitutionnelles sont souveraines.
A. Mauras
III. Contrôler les adieux : la (re)configuration de l’office des juges
L’étude du pouvoir que s’arrogent les juges dans leur contrôle des législations relatives à la fin de vie permet de mettre en lumière deux tendances principales. La première s’inscrit dans une lecture horizontale de la séparation des pouvoirs et conduit à comparer les rapports entre l’office des juges constitutionnels et le pouvoir normatif des législateurs (A). La France, la Belgique, le Portugal, le Royaume-Uni ou encore la Cour EDH constituent les illustrations d’un juge marqué par une retenue parfois jugée décevante. Les juges allemand et colombien quant à eux sont très incisifs. Entre les deux, se situent les offices des juges canadien et italien qui font preuve d’un activisme réactionnaire. La seconde tendance s’inscrit dans une lecture verticale de la séparation des pouvoirs et va principalement concerner, au regard du fédéralisme canadien, l’influence réciproque constatée entre les instances fédérales et provinciales (B).
A. Les offices du juge et du législateur : entre retenue et activisme judiciaires marqués
L’étude de l’office du juge face au législateur dans le cadre du contentieux sur la fin de vie permet de mettre en relief deux activismes différents qui s’évaluent au regard des effets qu’ils entendent conférer à l’annulation ou à la censure de la loi qu’ils prononcent. Les juges vont-ils se cantonner à leur rôle quasi certain de législateur négatif ou vont-ils se muter en véritable législateur positif concurrençant le législateur officiel ? Cette distinction permet de révéler deux conceptions différentes de leur office. La première est constituée de juges conscients de leur fonction comme du pouvoir du législateur qui, pour cela, se limitent à censurer la disposition législative en cause et à renvoyer au législateur l’entière responsabilité de prévoir une nouvelle disposition plus adaptée (1). La seconde catégorie quant à elle est constituée de juges plus incisifs qui outrepassent leur pouvoir et leur champ de compétences, se transformant donc en législateur (2).
1. L’office prudent de juges peu activistes : la France et le Royaume-Uni
Comme le titre de sa chronique l’indique, la Professeure Roblot-Troizier relève la « prudence du Conseil constitutionnel sur la question de la fin de vie »[118]. En effet, le contexte législatif concernant la fin de vie est prévu par la loi 2 février 2016 dite « Léonetti-Clayes » en vertu de laquelle, « toute personne a droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance »[119]. Cette réforme législative a, entre autres, élargi les cas de recours à une sédation profonde et continue associée à l’arrêt des traitements de maintien en vie et a renforcé la portée des directives anticipées. Ce dispositif législatif a donc fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d’État qui a accepté de la transmettre au Conseil constitutionnel sur le seul fondement d’une « question nouvelle »[120]. Comme le note Mme Roblot-Troizier, ce n’est pas tant « la pertinence de la question de constitutionnalité, mais bien l’opportunité d’offrir au Conseil constitutionnel la possibilité de se prononcer sur le dispositif législatif d’arrêt des traitements qui justifie le renvoi de la QPC, puisque les autorités politiques n’ont pas jugé bon de le saisir en amont »[121]. Dans sa décision du 2 juin 2017, notant l’existence d’un protocole précis de même que la présence de garanties légales prévues dans le Code de santé publique, le Conseil constitutionnel va se réfugier dans son considérant bien établi selon lequel « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur »[122].
Le juge anglais a adopté une même posture en rappelant que « la conscience de la Nation » anglaise, c’est le Parlement. Saisie à l’occasion de l’affaire Conway c. Secretary of State for Justice, la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a conclu que la disposition litigieuse portait atteinte au droit à la vie privée, telle que définie dans l’article 8(1) de la Convention EDH, mais a toutefois estimé que l’atteinte était justifiée. Elle a effectué son test habituel notamment en vérifiant que l’objectif poursuivi par la loi était suffisant et qu’il avait un lien raisonnable avec les mesures adoptées, que l’atteinte était nécessaire et, enfin, que la loi réalisait un équilibre adéquat entre les droits de l’individu et les intérêts de la communauté. Mais l’élément le plus important à noter, c’est que la Cour questionne elle-même sa légitimité en la matière. Elle souligne en effet que sur de telles questions, « il n’y a pas une solution unique, claire et uniquement rationnelle qui puisse être identifiée »[123] . S’appuyant sur les propos du juge en chef dans l’affaire Nicklinson[124] devant la Cour d’appel, elle rappelle que le Parlement en tant que « conscience de la nation » serait plus légitime qu’elle pour des décisions qui soulèvent « des questions profondément sensibles sur la nature de notre société, ses valeurs et ses normes, sur lesquelles des questions passionnées mais débouchant sur des opinions contradictoires sont tenues »[125]. D’autant plus que « l’examen accordé par le Parlement par le biais de ses processus (y compris les enquêtes et les rapports des comités spéciaux) à la question de l’aide à mourir au fil des ans a été plus approfondi et plus complet que ce qui pourrait être réalisé lors d’une audience devant un tribunal pour trancher des questions de droit »[126]. Ce dernier argument sera d’ailleurs avancé par le juge canadien comme il le sera présenté plus tard.
Il en est de même au Portugal et en Belgique. Le Tribunal constitutionnel portugais a en effet été saisi par le Président de la République pour effectuer un contrôle préventif du Décret n° 109/XIV adopté par l’Assemblée de la République le 12 février 2021[127]. Ce décret modifiait le Code pénal et avait pour objet de réglementer « les conditions particulières dans lesquelles l’anticipation de l’aide médicale à mourir n’est pas punissable ». En d’autres termes, cette modification avait pour objet la dépénalisation de l’aide médicale à mourir. Le juge a, dans un arrêt n° 123/2021 du 15 mars 2021[128], déclaré l’inconstitutionnalité de ce décret en raison d’une « densité normative insuffisante », certains concepts du décret étant imprécis, indéterminés ou insuffisamment précis. Le Tribunal considère dans un premier temps que « le critère d’anticipation du décès par décision de la personne, majeure, lorsqu’elle se trouve « en situation de souffrance intolérable » » est d’une déterminabilité suffisante mais que des notions telles que la « blessure définitive », « gravité extrême » et « consensus scientifique » sont marquées par une « insuffisance évidente de la densité normative de la disposition légale rendant, par conséquent, l’article 2, paragraphe 1, du décret 109/XIV incapable, en raison de l’indétermination, de discipliner la conduite de ses destinataires en termes prévisibles et contrôlables ». Cette approche conduit le juge portugais à prononcer une censure du décret. Il appelle donc le législateur à revoir sa copie sans pour autant la lui imposer. La même attitude se constate chez le juge belge qui, saisi de la loi qui étend l’euthanasie aux mineurs, va préciser que « dans les matières éthiques, il appartient au législateur d’apprécier les choix qui doivent être faits en la matière »[129].
L’arrêt de la Cour constitutionnelle belge est intéressant car cette dernière prend soin de rappeler tout d’abord qu’en vertu de la jurisprudence constante de la Cour EDH et notamment ses arrêts Haas[130] et Koch[131], « une large marge d’appréciation [est reconnue] aux États lorsqu’ils réglementent l’euthanasie, essentiellement au motif qu’il n’existe pas de consensus européen »[132]. En effet, depuis l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni[133], la Cour a certes reconnu qu’en vertu de l’article 8 de la Convention, l’interdiction de la pratique du suicide assisté par le droit pénal d’un État peut constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie privée mais a aussi consacré une marge nationale d’appréciation « considérable dans ce domaine »[134] au bénéfice des Etats.
2. L’office gourmand de juges très activistes : l’Allemagne et la Colombie
Devant le juge allemand se posait la question de la constitutionnalité de l’article 217 du code pénal dont le second paragraphe en particulier interdisait toute forme d’assistance au suicide dans un cadre professionnel. En Allemagne, c’est la pratique professionnelle de cette activité qui était principalement visée par la requête. Le juge allemand va, dans une décision à la fois très motivée et particulièrement activiste, annuler l’article 217 du code pénal en considérant qu’il viole le droit à l’autodétermination (art. 2§1 de la Loi Fondamentale) des personnes souhaitant se suicider, des médecins et des associations. Il juge également la disposition contraire à la liberté professionnelle des médecins et des avocats[135]. Il précise enfin qu’« en raison des violations du droit constitutionnel énoncées ci-dessus, l’article 217 du code pénal doit être déclaré nul »[136]. Ne pouvant s’en tenir à une simple déclaration, le juge va dans cette optique donner de nombreuses indications au législateur en vue de pallier ce déficit, indications qu’il expose dans cinq paragraphes assez détaillés. Il précise d’abord que l’intervention de l’État pour réglementer le suicide assisté doit strictement se limiter à la protection du droit à l’autodétermination[137] ; à cette fin, le législateur dispose d’« un large éventail d’options »[138]. Il doit entre autres « adopter des garanties procédurales telles que des obligations légales de fournir des informations ou de respecter des délais d’attente ; des exigences d’obtention d’un agrément administratif, qui assurent la fiabilité des services d’aide au suicide offerts »[139]. Tout cela s’accompagne de la possibilité de « recourir au droit pénal, ou du moins [de] prévoir des sanctions pénales en cas de manquements ». Cette dernière indication s’apparente à un sceau d’approbation tendant à rassurer le législateur sur la bonne voie à suivre, une voie qui, tel que conseillée par la Cour, garantirait à la nouvelle législation une immunité constitutionnelle épargnant la future disposition d’une éventuelle censure. Ce n’est plus un ‘’aiguillage’’, c’est une ‘’feuille de route’’ qu’impose le juge allemand au législateur. La Cour ira jusqu’à préciser que « la licéité de l’aide au suicide peut ne pas être liée à des critères de fond, par exemple en exigeant un diagnostic de maladie incurable ou en phase terminale »[140]. Une précision de taille mais très avant-gardiste et qui rappelle le contentieux canadien dans lequel il a fallu que les juridictions se prononcent une seconde fois sur le critère de la fin de vie posé par le législateur fédéral. Le juge allemand préfère écarter en amont cette possibilité, position qui n’est d’ailleurs pas passée inaperçue. Norbert Lammert, ancien président de la Chambre basse du parlement allemand entre 2005 et 2017 rappelait à ce sujet que, bien « que la position de la Cour constitutionnelle soit totalement défendable »[141], il ne voyait pas en quoi « cette position serait supérieure à celle que le législateur a élaborée au cours d’un processus qui [fut] tout sauf précipité puisqu’il a duré plusieurs mois. La position du Parlement était le fruit d’un examen minutieux de toutes les alternatives imaginables »[142]. Une critique qui n’est pas sans rappeler l’argument de la Haute Cour britannique cité plus haut qui, pour justifier sa réticence sur de telles questions, relevait le caractère plus « approfondi et complet » du processus d’adoption d’une loi par rapport au jugement d’un tribunal. D’autant plus que certains requérants notaient que la décision de la Cour allait trop loin car, selon eux, le droit à mourir devait rester réservé aux « personnes malades »[143]. Si la position du juge allemand contraste avec, entre autres, celle du juge britannique, elle semble en revanche correspondre, d’un point de vue idéologique à la position de la Cour constitutionnelle colombienne.
De l’autre côté de l’Atlantique en effet, un recours objectif fut effectué par deux requérants contre l’article 106 du Code pénal issu de la Loi colombienne 599 de 2000[144]. Ces derniers demandaient à la Cour constitutionnelle, d’une part, de déclarer la disposition conforme à la Constitution à condition qu’elle soit interprétée de manière à ne pas pénaliser l’acte réalisé avec le consentement du sujet passif, d’autre part, que soit supprimée la condition selon laquelle le patient devait se trouver en phase terminale[145] pour bénéficier de l’homicide par compassion. Ces requêtes seront acceptées par la Cour qui émettra une réserve interprétative dite « sentence additive »[146]. En outre, au-delà de cette réserve interprétative, la Cour va enjoindre le législateur au respect de sa jurisprudence en menaçant de ne faire aucun cas du principe de l’autorité de la chose jugée si ce dernier passait outre ses indications[147]. Ainsi, selon la Cour, la nouvelle législation bénéficiera d’une sorte de ‘’présomption de constitutionnalité’’ l’épargnant de toute nouvelle censure si sont respectées ses prescriptions. Cette stratégie, qui tend à encadrer la législation à venir, est parfaitement comparable à la position adoptée par la Cour constitutionnelle allemande. En délimitant en amont le travail législatif, ces deux juges repoussent les limites classiques du principe de la séparation des pouvoirs. L’office du juge constitutionnel ne se limite pas à une simple déclaration d’inconstitutionnalité mais va jusqu’à débuter la réécriture des dispositions déclarées inconstitutionnelles. L’attitude du juge colombien le démontre encore mieux quand ce dernier se permet d’anticiper les futurs débats parlementaires en imposant au législateur que ces débats ne soient pas guidés par une « pente glissante »[148]. C’est une position éminemment politique à valeur prémonitoire que prend la Cour constitutionnelle colombienne qui sort du cadre de son office juridictionnel. Il convient par ailleurs de noter que l’activisme des juges allemand et colombien ne se fonde nullement sur la volonté d’éviter un vide juridique dans la mesure où, d’une part, ils n’y font pas référence et, d’autre part, ne donnent aucun délai d’adaptation de la loi au Parlement, comme l’ont fait les juges canadien et italien.
3. L’office tempéré des juges canadien et italien
L’attitude du juge canadien contraste avec celle des juges colombien et allemand même s’il fait lui aussi preuve d’un activisme marqué. En effet, quand dans l’affaire Carter, la Cour suprême canadienne autorise le droit au suicide assisté, elle refuse d’accorder l’exemption constitutionnelle autonome demandée par les requérants[149] et donne un délai d’un an au législateur pour tirer les conclusions de sa décision. C’est seulement face au retard du législateur dans l’adoption d’un nouveau dispositif législatif qu’elle va, au détour du prolongement de ce délai[150], approuver le fait que pendant cette période de transition, les critères qu’elle a mentionnés dans son arrêt servent de dispositif législatif en attendant l’intervention du législateur[151]. Tout comme le juge italien l’aura très justement noté, « il faut éviter que le système judiciaire présente des zones franches échappant à la légitimité constitutionnelle et ce notamment dans des domaines, comme le pénal, où la nécessité d’assurer une protection efficace des droits fondamentaux, touchée par les choix du législateur, est plus urgente »[152]. Faisant suite aux invitations répétées du juge italien à l’endroit du législateur afin que ce dernier réécrive l’article 580 du code pénal déclaré inconstitutionnel en 2018[153], la Cour constitutionnelle italienne s’était enfin décidée à intervenir pour déclarer l’inconstitutionnalité « pour des raisons enracinées non seulement dans les droits fondamentaux du patient et dans sa dignité, mais aussi dans les droits inviolables de l’accusé, qui autrement seraient soumis à une sanction pénale sur la base d’une norme inconstitutionnelle pour des raisons juridiques qui ne lui sont pas imputables »[154]. Cette décision marque donc « la fin, selon la Cour, de la primauté du principe de la « collaboration institutionnelle loyale », qui doit donc céder le pas à la nécessité de protéger la Constitution violée »[155]. La Cour constitutionnelle italienne se muait, tout comme la Cour suprême canadienne, en législateur ‘’malgré elle’’ sans pour autant laisser le sentiment de contourner le législateur. Même si, dès son ordonnance de 2018, la Cour italienne « encadre fortement le renvoi à la discrétion du législateur en donnant des critères assez précis de ce qu’elle considère être l’exception à la pénalisation de l’article contesté »[156], sa position reste relativement nuancée par le double souci de ne pas laisser une disposition inconstitutionnelle subsister tout en laissant au législateur le plein contrôle de son office. Les juges italien et canadien font preuve d’un activisme totalement différent de celui des juges colombien et allemand dans la mesure où leur action s’inscrit dans un « esprit de collaboration institutionnelle loyale » et non de contrainte, quoique cette contrainte institutionnelle intervienne a posteriori pour condamner l’inertie du législateur. Les décisions des Cours canadienne et italienne permettent donc de voir un juge nuancé, ni apeuré par son pouvoir au point de demeurer totalement inerte, ni submergé par celui-ci au point de sombrer dans un activisme démesuré. L’originalité du procédé de l’exemption constitutionnelle offert par le fédéralisme canadien permet en outre de percevoir une autre facette de l’office des juges, cette fois-ci entre juges ‘’constitutionnels’’.
B. Les offices des juges fédéraux et provinciaux : entre réaction et influence réciproques
Le contentieux canadien sur la fin de vie offre un exemple type de l’influence réciproque entre juges fédéraux et juges provinciaux mais aussi entre législateurs fédéral et provinciaux et parfois même entre législateur provincial et juge fédéral. L’étude de ces influences multiples démontre que les instances juridiques provinciales de façon générale et du Québec en particulier, ont fortement participé à la construction de la position des instances fédérales canadiennes dans le contentieux canadien sur la fin de vie. Ce qui pourrait d’ailleurs expliquer le faible impact de l’argument du droit étranger dans le raisonnement de la Cour suprême canadienne comme il sera évoqué plus loin.
Pour revenir rapidement sur quelques repères historiques, il convient de rappeler que l’histoire judiciaire et législative de la fin de vie au Canada commence au début des années 1970 avec la dépénalisation du suicide ou de la tentative de suicide[157]. Puis, au milieu des années 1980, les articles 14[158] et 241 alinéas a et b[159] poseront une interdiction totale du suicide assisté de façon médicale, ce qui témoigne d’une position rigoriste du pouvoir fédéral sur la question de la fin de vie. Mais comme le note très justement Guy Lamarche, « deux décisions de tribunaux sont des jalons importants »[160] pour comprendre la question de la fin de vie au Canada. Il est vrai que ces deux premières décisions, pionnières dans le domaine, traduisent fidèlement le contraste fédéral entre une position fédérale conservatrice et une posture québécoise plus libérale.
1. La position rigoriste et conservatrice du juge fédéral
L’affirmation de la position conservatrice du juge fédéral intervient en réaction à une décision du juge provincial. En effet, face à la législation fédérale présentée ci-dessus qui semblait interdire toute forme d’euthanasie ou de suicide assisté, le juge québécois va se montrer plus clément, plus souple voire avant-gardiste. À l’occasion de l’affaire Nancy B[161]., qui concernait une jeune femme de 25 ans atteinte de paralysie motrice due au syndrome de Guillain Baré, la question se posait de savoir si le juge pouvait accéder à sa demande d’interruption de son traitement et plus particulièrement à sa volonté de débrancher le respirateur la maintenant en vie. En vertu de l’article 19.1 du code civil du Bas-Canada, « nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de traitements ou de toute intervention »[162]. Dans le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 6 janvier 1992, le juge Durfour vérifiera le caractère « libre et éclairé » du consentement exprimé par madame Nancy B. à la lumière des critères posés par l’arrêt de principe de la Cour suprême canadienne, Reibl c. Hughes[163]. Il en conclut qu’« il ressort donc clairement de notre droit civil que Nancy B., dont le consentement à cet égard a été librement donné et éclairé, est en droit d’exiger que le traitement d’assistance respiratoire qui lui est administré cesse »[164]. Cette première décision, majeure dans le domaine de la fin de vie, traduit la position d’une Cour québécoise conciliante, position qui sera réitérée une trentaine d’années plus tard dans l’affaire Truchon. L’affaire Nancy B. a ainsi donné à voir une opposition entre une idéologie fédérale rigoriste et une idéologie provinciale plus souple. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dès l’année suivante, la Cour suprême canadienne va s’empresser de rappeler sa vision sur la fin de vie dans la jurisprudence Rodriguez.
S’il est vrai, comme le montre l’avocate Sylvette Guillemard que les cas de Nancy B. et Rodriguez « présentent des différences notables »[165] dans la mesure où le premier fait référence à l’euthanasie passive tandis que le second concerne un cas d’’euthanasie active, il n’en demeure pas moins essentiel de relever qu’il y avait aussi une véritable crainte de la part de l’échelon fédéral de voir sa politique législative sur la fin de vie concurrencée par des assouplissements au niveau provincial. Sans revenir sur les faits, la jurisprudence Rodriguez[166] voit la Cour suprême canadienne confirmer le dispositif législatif fédéral prévoyant une peine allant jusqu’à 14 ans d’emprisonnement pour une personne qui aide une autre à se donner la mort. La demande de Mme Sue Rodriguez a été rejetée en première instance[167], en appel[168] ainsi que devant la Cour suprême qui a considéré la disposition conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. Or la décision de la Cour suprême constitue une réponse à la jurisprudence Nancy B. de la Cour supérieure québécoise. Tout au long de son développement en effet, la Cour suprême canadienne rappelle fréquemment la distinction entre les situations de Nancy B. et de Mme Rodriguez : Nancy B. concerne une mesure passive tandis que l’affaire Rodriguez en litige concerne une mesure active qui, pour sa part, ne peut pas être légale. Cependant, la Cour évoquera également le caractère douteux de cette distinction qui reposerait d’une certaine manière sur « une fiction juridique »[169].
2. L’influence probable du législateur québécois dans l’affaire Carter
Le second élément qui permet de montrer ce rapport institutionnel de type fédéral se perçoit au moment de la décision Carter[170] de 2015. L’arrêt Carter constitue le revirement jurisprudentiel de l’arrêt Rodriguez de 1993. Ce revirement jurisprudentiel s’inscrit dans un contexte qu’il semble essentiel d’expliquer. Le premier élément de contexte concerne la dissidence exprimée dans l’arrêt Rodriguez. En effet, même si cette jurisprudence a interdit le suicide assisté ou de façon plus précise, l’euthanasie active, les avis furent très partagés. La majorité fut acquise à seulement cinq juges contre quatre, le juge en chef Lamer représentant l’un des juges minoritaires. Au-delà du rapport de force très serré, c’est la diversité des arguments avancés par les différents juges dissidents qui pouvaient laisser présager un éventuel revirement. Les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin ont toutes les deux fondé leur dissidence sur la violation de l’article 7 de la Charte[171] qui protège le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité » tandis que le juge en chef Lamer a fondé sa dissidence sur l’article 15(1)[172] qui concerne le droit à l’égalité et plus particulièrement le principe de non-discrimination fondée sur la déficience physique. Le second élément de contexte, plus important, est relatif à la législation de la Province du Québec. En effet, « avant même que la Cour suprême du Canada n’entende Carter c. Canada, le Québec avait déjà adopté sa propre loi »[173] légalisant le suicide assisté. Le texte adopté le 5 juin 2014 a « pour but d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie »[174]. La section II de cette loi est explicitement intitulée « Aide médicale à mourir » et énonce donc les conditions dans lesquelles une personne pourrait bénéficier d’une telle assistance. Cette législation entendait donc légaliser le suicide assisté dans la Province du Québec même si cela restait soumis à des conditions suffisamment strictes[175]. Or, dans le même temps, l’affaire Carter se déroulait devant les différentes juridictions. Il semble donc très difficile d’ignorer la possibilité que les juges aient été influencé par la loi québécoise au moment de décider dans l’affaire Carter le 06 février 2015. Encore une fois, peut être ici vue l’influence de l’échelon provincial sur l’échelon fédéral, une influence assez originale étant donné que c’est le pouvoir législatif provincial qui influence le pouvoir juridictionnel fédéral.
3. La position déterminante du juge québécois dans l’affaire Truchon
Le troisième et dernier élément qui sera avancé pour justifier ce rapport institutionnel de type fédéral se perçoit à la suite de la décision Carter. En effet, quand la Cour suprême déclare que les articles 241b) et 14 du Code criminel « sont nuls »[176], elle précise également qu’« il appartient au Parlement et aux législatures provinciales de répondre, s’ils choisissent de le faire, en adoptant une loi compatible avec les paramètres constitutionnels énoncés dans les présents motifs »[177]. La Cour suprême canadienne fait donc preuve, comme il a été démontré plus haut, d’un activisme très mesuré en laissant aux législateurs fédéral et provinciaux, le soin d’adapter leurs dispositifs législatifs. Cela se traduit aussi par son refus d’accorder une exemption constitutionnelle autonome aux requérants comme l’avaient déjà fait la juge Lynn Smith[178] en première instance et comme l’y invitait la Cour d’appel[179]. La Cour motive d’ailleurs son refus en affirmant qu’« il faut donner au législateur l’occasion de concevoir une réparation convenable. […] Pareille exemption serait source d’incertitude, saperait la primauté du droit et constituerait une usurpation de la fonction du législateur, qui est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes »[180].
L’exemption constitutionnelle autonome est une création purement jurisprudentielle de la Cour suprême fondée sur l’article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés en vertu duquel « toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». C’est donc une sorte de « réparation individuelle d’une atteinte » qu’accorde un tribunal aux justiciables. L’exemption constitutionnelle permet en effet à un tribunal de soustraire un groupe d’individus, bien souvent très limité, à l’application d’une disposition constitutionnelle toujours en vigueur. En d’autres termes, alors qu’une disposition adoptée par le législateur continue d’exister et de s’appliquer dans l’ordre juridique, le juge peut décider de soustraire certaines personnes à son application et prévoir un régime transitoire auquel ces personnes seront soumises, en lieu et place du dispositif législatif. Ils bénéficient donc d’une exemption d’application de ladite disposition. Le juge Lamer dans l’affaire Rodriguez a noté que cette exemption ne peut être accordée que « pendant la période de suspension d’une déclaration d’invalidité »[181]. En résumé, « l’exemption constitutionnelle implique que la déclaration d’invalidité́ prend effet immédiatement et que la règle invalidée cesse aussitôt de produire ses effets sur l’individu ou le groupe bénéficiant de l’exemption constitutionnelle. Ceci alors qu’elle continue de s’appliquer à l’ensemble de la société durant la période de suspension »[182]. Cet outil juridictionnel illustre ainsi le possible rôle normatif du juge, le refus de la Cour canadienne étant pour cela significatif.
Le refus par la Cour suprême d’accéder à cette demande se comprend aisément dans la mesure où, comme elle le souligne elle-même, Mme Taylor, la principale requérante est morte. Il n’y avait donc plus aucun intérêt à prononcer une telle exemption constitutionnelle, le législateur disposant du temps nécessaire pour prévoir un dispositif législatif plus adapté. Pourtant, le législateur fédéral a modifié le code criminel afin d’autoriser le suicide assisté tout en soumettant son accès à certaines conditions dont celle d’une « mort naturelle raisonnablement prévisible », limitant ainsi le recours au suicide assisté aux situations manifestes de fin de vie. C’est en fait le critère que la Cour constitutionnelle colombienne a imposé au milieu des années 1990 avant de l’annuler et que la Cour constitutionnelle allemande a de façon anticipée écarté. Encore une fois, le parallèle entre ce critère fédéral de la « mort naturelle raisonnablement prévisible » peut être fait avec la législation québécoise dans laquelle figurait le critère de la « fin de vie ». Il s’agit donc du même critère sous deux appellations différentes et il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce soit la Cour supérieure du Québec qui s’en soit saisie afin de déclarer sa non-conformité, à l’occasion de l’affaire Truchon.
L’affaire Truchon[183] mettra un terme à cette longue analyse. Suite à l’arrêt Carter, la Cour suprême a octroyé, dans un délai d’un an, au Parlement fédéral la responsabilité d’adopter un dispositif législatif conforme à sa décision. Le législateur fédéral s’exécute en adoptant un dispositif législatif qui oblige les personnes à être en fin de vie pour pouvoir bénéficier du suicide assisté. M. Jean Truchon et Mme Nicole Gladu, deux adultes aptes souffrant de handicaps majeurs irréversibles et éprouvant des souffrances intolérables remplissent toutes les autres conditions imposées sauf celle de la « mort naturelle raisonnablement prévisible ». Ils introduisent donc un recours pour déclarer ce critère inconstitutionnel. La question de droit qui se posait était surtout celle de savoir si ce critère correspondait aux aspirations émises par la Cour suprême dans l’arrêt Carter.
Encore une fois, la Cour supérieure va jouer son rôle de juridiction avant-gardiste et conciliant en affirmant que « le fondement de la décision Carter n’est pas la proximité de la mort ou le lien temporel avec la mort naturelle anticipée mais plutôt le respect de la volonté de la personne, la préservation de sa dignité et principalement le soulagement de ses souffrances intolérables associées à une maladie grave et irrémédiable »[184]. La communication juridictionnelle de type fédéral est encore une fois établie entre une Cour suprême qui pose un principe et une Cour provinciale qui le précise. La réponse du juge québécois n’est d’ailleurs pas si étonnante. En effet, si dans un premier temps la Cour suprême a refusé d’accéder à la demande d’exemption constitutionnelle, elle a fini par l’autoriser en raison du retard du Parlement à adopter un dispositif législatif adapté. Comme le juge italien qui, en raison de l’inertie du législateur, a fini par censurer l’article 580 du code pénal, la Cour suprême a dû rendre un second arrêt Carter -plus précisément une ordonnance- souvent moins connu dans lequel, sous certaines conditions, elle accorde des exemptions constitutionnelles en attendant que le Parlement légifère à la suite d’une nouvelle prolongation de quatre mois, en plus du délai d’un an de départ[185]. Or, pendant cette période transitoire, ce sont les critères énoncés au paragraphe 127 de l’arrêt Carter qui vont fonder les différentes jurisprudences rendues par les juges soumis à ce type de contentieux. Parmi ces affaires, trois concernaient assurément des personnes dont le pronostic vital n’était point engagé et dans ces trois cas, les juridictions ont interprété le critère des « problèmes graves et irrémédiables »[186] comme n’exigeant pas nécessairement que le malade soit « en fin de vie », en « phase terminale » ou que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible »[187]. La position de la Cour supérieure du Québec dans la jurisprudence Truchon ne s’inscrivait donc pas dans un vide juridique et semblait d’une certaine façon fortement prévisible.
La communication entre instance fédérale et instances provinciales a encore été mise en lumière. Il est vrai que l’exemple de la province du Québec est très parlant quand il s’agit de la circulation des décisions dans un contexte fédéral. Au-delà du principe du Stare Decisis qui revêt un double intérêt dans un système de Common Law de type fédéral, il y a une réelle influence réciproque entre les différentes institutions, entre juges, entre législateurs, entre juges et législateurs. Cette communication ne se limite donc pas à une contrainte verticale des instances fédérales sur les instances provinciales. Carter et Truchon sont les symboles de cette circulation moins contraignante et d’une influence réciproque plus délicate et souple.
Y. Gbohignon Doué
[1] X. BIOY, « « Moi aussi, aujourd’hui, je rentre chez moi… » (obs. sous Cour const. B. Arrêt n° 153/2015 du 29 octobre 2015), RTDH 2016, n° 107, p. 775 ; voir également X. BIOY, « Approches constitutionnelles du droit à la vie » in M. LEVINET (sous la dir.), Le doit au respect de la vie au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruylant, 2010, p. 93.
[2] Conseil d’Etat, 21 décembre 2021, Association Dignitas, Affaire n° 456926.
[3] CourEDH, 5 juin 2015, Lambert et autres c. France, n° 46043/14, §144.
[4] Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat juge que la loi du 2 février 2016 dite loi « Léonetti-Clayes » n’est pas incompatible avec l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
[5] Cons. Constitutionnel, Décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté].
[6] A. ROBLOT-TROIZIER, « La prudence du Conseil constitutionnel sur la question de la fin de vie », RFDA, 2017, p. 1177.
[7] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019, 9.
[8] Décision n° 153/2015 du 29 octobre 2015 de la Cour constitutionnelle (euthanasie des personnes mineures), point B.17.1.
[9] Décision n° 153/2015 du 29 octobre 2015 de la Cour constitutionnelle (euthanasie des personnes mineures), point B. 17.2.
[10] Tribunal constitutionnel portugais, n° 123/2021 du 15 mars 2021, §23.
[11] Tribunal constitutionnel portugais, n° 123/2021 du 15 mars 2021, §26.
[12] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §56.
[13] Tribunal constitutionnel portugais, n° 123/2021 du 15 mars 2021, §28.
[14] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §.62.
[15] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, §522.
[16] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, §522
[17] Cour EDH [Sec.], du 29 avril 2002, Pretty C. Royaume-Uni , Réclamation n° 2346/02 , §§ 39-40
[18] Cour EDH [Sec.], du 29 avril 2002, Pretty C. Royaume-Uni , Réclamation n° 2346/02, §39.
[19] CEDH, 20 juin 2011, n° 31322/07, Haas c. Suisse.
[20] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019, 5.
[21] En vertu de l’article 149 de la Constitution autrichienne.
[22] Cour constitutionnelle colombienne, arrêt C-239 de 1997.
[23] Cour constitutionnelle colombienne, arrêt C-233/2021 du 22 juillet 2021, point 394, p.99.
[24] A. ROBLOT-TROIZIER, « La prudence du Conseil constitutionnel sur la question de la fin de vie », RFDA, 2017, p. 1177.
[25] Cour constitutionnelle colombienne, arrêt C-233/2021 du 22 juillet 2021, point 205, p. 53.
[26] Cour constitutionnelle colombienne, arrêt C-233/2021 du 22 juillet 2021, point 119, p. 32.
[27] Cour constitutionnelle colombienne, arrêt C-233/2021 du 22 juillet 2021, point 209, p. 54.
[28] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019, 5.
[29] BVerfGE 153, du 26 février 2020, 2347/15,182, §206.
[30] BVerfGE 153, du 26 février 2020, 2347/15,182, §207.
[31] BVerfGE 153, du 26 février 2020, 2347/15,182, §209.
[32] BVerfGE 153, du 26 février 2020, 2347/15,182, §209.
[33] BVerfGE 153, du 26 février 2020, 2347/15,182, §232.
[34] CEDH, 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, n° 31322/07, § 54, 57-58.
[35] Tribunal constitutionnel portugais, n° 123/2021 du 15 mars 2021, §32.
[36] Cour constitutionnelle italienne, arrêt n° 223 de 1996, §9.
[37] BVerfGE 153, du 26 février 2020, 2347/15,182, §209.
[38] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019, 6.
[39] Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-632 QPC, 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, §§6-14.
[40] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, § 584.
[41] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, § 584
[42] Cour constitutionnelle, n° 153/2015, 29 octobre 2015 (euthanasie des personnes mineures), Point 26.
[43] Conway v Secretary of State for Justice [2017] EWHC 640.
[44] CEDH, 20 janvier 2011, n°31322/07, Haas c. Suisse, §51 ; CEDH, 13 mai 2013, n°67810/10, Gross c. Suisse.
[45] London street tramways v. London City Council [1898] A.C. 375.
[46] M-C. Ponthoreau, Droit(s) Constitutionnel(s) Comparé(s), Economica, 2010, p.133.
[47] G. Dworkin « Un adoucissement de la théorie du stare decisis à la chambre des Lords », RIDC, 1967, volume 19, n°1, p. 186.
[48] G. Dworkin précise, le 26 juillet 1966 « avant que la Chambre des Lords ne prononce son arrêt, le Lord Chancellor fit la déclaration suivante en son propre nom et en celui des Lords of Appeal in Ordinary (…) Les lords reconnaissent cependant qu’une adhésion trop rigoureuse à la règle du précédent peut conduire à de l’injustice dans un cas déterminé et aussi entravé exagérément l’évolution régulière du droit. Ils se proposent par conséquent de modifier leur pratique actuelle, et tout en tenant les décisions antérieures de cette chambre pour des précédents obligatoires, de s’écarter d’une décision ancienne quand ils penseront devoir le faire. » Ibidem., p. 190.
[49] Expression latine qui signifie « rester sur la décision ».
[50] A. Mayrand, « L’autorité du précédent au Québec », La Revue juridique Thémis, volume 28, n°1 et 2, 1994, p.3.
[51] Ibidem.
[52] R. Legeais, Grands systèmes de droit contemporains. Approche comparative, LexisNexis, 3ème ed., 2016, p.131.
[53] C. Deik Acostamadiedo, El precedente en el contencioso administrativo: teoría local para determinar y aplicar de manera racional los precedentes de unificación del Consejo de Estado, Thèse. Dactyl. Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, et Universidad Externado de Colombia, 2018, pp. 80-93.
[54] Pour reprendre l’expression de Lord Chancellor, prononcée en 1966 ; G. Dworkin « Un adoucissement de la théorie du stare decisis à la chambre des Lords »…op.cit.,p.190.
[55] R. Legeais, Grands systèmes de droit contemporains. Approche comparative…op.cit., pp.177-181.
[56] A. Mayrand, « L’autorité du précédent au Québec »…op.cit., p.3.
[57] En 1993 la Cour suprême canadienne a validé la constitutionnalité de la pénalisation du suicide assisté via la jurisprudence, Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, 30-09-1993, [https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1054/index.do]. La disposition contestée était l’article 241 (1)(b), lequel dispose : « est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, que le suicide s’ensuive ou non, selon le cas (…) aide une autre personne à se donner la mort. » En 2016, la Cour constitutionnelle a également déclaré la constitutionnalité de l’article 78 du Code pénal selon lequel « quiconque incite une autre personne à se suicider ou l’aide à le faire est passible d’une peine privative de liberté de six mois à cinq ans » via la décision VfSlg 20057/2016, 8 mars 2016. En Colombie, la Cour constitutionnelle renverse le précédent C-239 de 1997, par lequel l’article 326 du décret-loi 100 de 1980 prévoyant la pénalisation de l’homicide par compassion – c’est-à-dire de l’euthanasie – a été déclaré constitutionnel. Cependant la déclaration de constitutionnalité a été assortie d’une réserve interprétative selon laquelle, l’homicide par compassion n’est pas pénalisé, dès lors que le patient a donné son consentement, que l’acte a été pratiqué par un médecin et que le patient souffre d’une maladie en phase terminale.
[58] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331.
[59] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019.
[60] Sentence du 22 juillet 2021, C-233/2021.
[61] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331.
[62] Cour suprême du Canada, Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, 30-09-1993, [https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1054/index.do].
[63] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019.
[64] VfSlg, 8 mars 2016, 20057/2016.
[65] Sentence C-233/2021.
[66] Sentence C-239/1997.
[67] Cour suprême de Colombie-Britannique, 2012 BCSC 886, 287 C.C.C. (3d) 1.
[68] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, § 42 : « Les faits en litige dans Rodriguez étaient très semblables à ceux dont était saisie la juge de première instance. Mme Rodriguez comme Mme Taylor allait mourir de SLA. Elle revendiquait, elle aussi, le droit de demander une aide médicale à mourir lorsque sa souffrance deviendrait intolérable. »
[69] Cour suprême de Colombie-Britannique, Carter v. Canada (Procureur général), 2012 BCSC 886 (CanLII), <https://canlii.ca/t/frpws>, §911. Sur ce point la juge de première instance de Colombie-Britannique, reprend la jurisprudence Bedford et le raisonnement des juges d’appel mais pas leur conclusion ; lorsque la juge Smith rend son jugement, la Cour suprême n’a pas encore rendu son arrêt Bedford, raison pour laquelle elle se réfère à l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (Cour d’appel de l’Ontario, Canada (Procureur général) v. Bedford, 2012 ONCA 186 (CanLII)). Dans cet arrêt, les juges d’appel estimaient que le juge de première instance peut « rompre avec un précédent en raison de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles données sociales, politiques ou économiques pour tirer des conclusions de faits susceptibles d’être examinées ensuite par une juridiction supérieure, mais ne peut les appliquer pour arriver à une solution différente de celle retenue dans le précédent », citée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bedford ; CSC Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S., §41. En 2013, lorsque la Cour suprême du Canada rend son arrêt Bedford, elle rejette les conclusions de la Cour d’appel de l’Ontario, en permettant aux juges de premières instances de revenir sur le précédent : « La règle du stare decisis issue de la common law est subordonnée à la Constitution et ne saurait avoir pour effet d’obliger un tribunal à valider une loi inconstitutionnelle. Une juridiction inférieure ne peut toutefois pas faire abstraction d’un précédent qui fait autorité, et la barre est haute lorsqu’il s’agit d’en justifier le réexamen. Les conditions sont réunies lorsqu’une nouvelle question de droit se pose ou lorsqu’il y a modification importante de la situation ou de la preuve. » Cour suprême du Canada, Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S., p.1104.
[70] Cour suprême de Colombie-Britannique, Carter v. Canada (Procureur général), 2012 BCSC 886 (CanLII), §923.
[71] Ibidem., §936.
[72] Cour d’appel de Colombie-Britannique, 2013 BCCA 435, 51 B.C.L.R. (5th) 213.
[73] Cour d’appel de Colombie-Britannique, Carter c. Canada (Procureur général), 2013 BCCA 435 (CanLII), §324 <https://canlii.ca/t/g0x9p>.
[74] Ibidem., §352.
[75] Cour d’appel de l’Ontario, Canada (Procureur général) v. Bedford, 2012 ONCA 186 (CanLII), <https://canlii.ca/t/fqqwq>, §. 84. La conception stricte du stare decisis est, selon la Cour d’appel, d’autant plus importante en matière de droits consacrés par la Charte car « dans de tels cas, la preuve, les faits législatifs, les valeurs, les attitudes et les perspectives continueront d’évoluer » [TRADUCTION].
[76] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §44.
[77] H. Paillard et M. Giroux, « L’aide médicale à mourir au Canada : de Rodriguez à Carter », RDLF, chron. n°6, 2019, p.2.
[78] La Cour constitutionnelle de 2021 se réfère explicitement aux trois conditions posées par la sentence de 1997, au paragraphe 182 de sa décision ; sentence C-233/2021, point 182, p.47.
[79] L’article 106 du Code pénal établit que « celui qui tue une autre personne par pitié, pour mettre fin à d’intenses souffrances provenant de lésions corporelles ou d’une maladie grave et incurable sera puni d’une peine de prison comprise entre seize et vingt-quatre mois. » V. Sentence C-233/2021, point II, p. 3.
[80] La Cour a posé dans sa jurisprudence antérieure la distinction entre la chose jugée absolue et relative. Cette distinction est directement liée aux problèmes juridiques et moyens analysés par la Cour dans une sentence préalable à l’affaire soumise à son contrôle. La chose jugée absolue affecte toutes les sentences dans lesquelles la Cour a prononcé l’annulation-inapplication de la norme mais également dans les affaires où la Cour a contrôlé la disposition litigieuse par rapport à toute la Constitution. Au contraire, la chose jugée relative, se présente lorsque dans la sentence préalable, la Cour n’a eu qu’à résoudre le problème constitutionnel ou les moyens invoqués par les parties. Elle peut être explicite ou implicite. Sentence C-233/2021, points 131 et 132, p.35. La Cour a également consacré la catégorie de la chose jugée apparente, directement liée à la motivation de la sentence. La Cour colombienne explique que lorsqu’elle adopte une décision portant sur la constitutionnalité d’une norme, bien que dans la partie motivationnelle elle se réfère à une autre norme, sans incorporer aucune autre forme d’argumentation, la chose jugée n’est qu’apparente. Ibidem., point 137, p.36.
[81] Selon la Cour, la chose jugée formelle se produit lorsqu’une demande se dirige contre une disposition préalablement contestée alors que la chose jugée matérielle survient lorsque l’objet de la contestation porte sur la norme, c’est-à-dire sur le contenu interprété, bien qu’il se trouve dans une autre disposition. Sentence C-233/2021, point 130, p.34.
[82] Ibidem, point 155, p.40.
[83] Ibidem, point 157, p.41.
[84] Ces deux éléments sont : priver une personne de sa vie, pour des raisons altruistes, dans le but de la libérer de ses intenses souffrances causées par une lésion ou une maladie grave et incurable. Ibidem, point 158, p.41. Bien que les deux articles prévoient des sanctions distinctes, la Cour explique que cet élément n’est pas essentiel dans la résolution du problème juridique, ce qui compte ce sont les circonstances dans lesquelles cette conduite se trouve justifiée constitutionnellement, et par conséquent ne devrait pas être pénalisée. Ibidem, point 159, p.41.
[85] Ibidem, point 160, p.41.
[86] Ibidem, points 177 à 191, pp.46-49.
[87] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019.
[88] VfSlg, 8 mars 2016, 20057/2016.
[89] StGB, art. 78 : « Wer einen anderen dazu verleitet, sich selbst zu töten, oder ihm dazu Hilfe leistet, ist mit Freiheitsstrafe von sechs Monaten bis zu fünf Jahren zu bestrafen. »
[90] VfSlg, 8 mars 2016, 20057/2016, 2.2.3.
[91] CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n°2346/02.
[92] Selon la Cour, la marge de manœuvre accordée au législateur est confirmée par l’arrêt Pretty c. RU de la CEDH puisque la juridiction régionale n’a pas prononcé l’inconventionnalité de l’interdiction absolue du suicide assisté. VfSlg, 8 mars 2016, 20057/2016, 3.3.1 ; L’argument exposé par la Cour autrichienne en 2016 peut s’expliquer par la démarche traditionnelle de la Cour, « fortement marquée par les maximes de l’herméneutique de la Théorie pure du droit. L’idée de départ en est que beaucoup de choses sont discutables et controversées. Il convient par conséquent de s’immiscer le moins possible dans le travail du législateur. » Entretien avec M. Ludwig Adamovich, Président de la Cour constitutionnelle autrichienne, mené par Otto Pfsermann, Cahiers du Conseil constitutionnel n°7 (Dossier Autriche), décembre 1999, p.3.
[93] VfGH, 11 décembre 2020, G139/2019, §7.
[94] A. Mayrand, « L’autorité du précédent au Québec »…op.cit., p.3.
[95] Ibidem.
[96] Entretien avec M. Ludwig Adamovich, Président de la Cour constitutionnelle autrichienne, mené par Otto Pfsermann…op. cit., p.3.
[97] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §44.
[98] Sentence de la Cour constitutionnelle colombienne, C-233/2021, point 139, pp. 36-37.
[99] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §45 : « Ces deux conditions étaient réunies en l’espèce. La juge de première instance a expliqué sa décision de réexaminer l’arrêt Rodriguez en signalant les changements, tant dans le cadre juridique applicable à l’art. 7 que dans la preuve relative à la maîtrise du risque d’abus associé à l’aide au suicide. »
[100] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §72.
[101] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, § 85 : « L’analyse de la portée excessive consiste à déterminer si une loi qui nie des droits d’une manière généralement favorable à la réalisation de son objet va trop loin en niant les droits de certaines personnes d’une façon qui n’a aucun rapport avec son objet : Bedford, par. 101 et 112-113. »
[102] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §86.
[103] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §47 : « L’ensemble des faits législatifs et sociaux dans l’affaire qui nous occupe différait également des éléments de preuve soumis à la Cour dans l’affaire Rodriguez. Les juges majoritaires dans Rodriguez se sont fondés sur la preuve (1) de l’acceptation générale d’une distinction morale ou éthique entre l’euthanasie passive et l’euthanasie active (p. 605-607); (2) de l’absence de « demi- mesure » susceptible de protéger les personnes vulnérables (p. 613-614); et (3) du « consensus important », dans les pays occidentaux, sur l’opinion selon laquelle une prohibition générale est nécessaire pour empêcher un dérapage (p. 601-606 et 613). Le dossier soumis à la juge des faits en l’espèce comportait des éléments de preuve susceptibles de miner chacune de ces conclusions s’ils étaient acceptés (voir Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, par. 136, le juge Rothstein). »
[104] H. Paillard et M. Giroux, « L’aide médicale à mourir au Canada : de Rodriguez à Carter »…op.cit, p.6.
[105] Sentence C-233/2021, points 19 à 73, pp. 6-21.
[106] Ibidem, point 73, p.21.
[107] Ibidem, annexe 1, « La régulation des services pour la mort digne en droit comparé », points 483 à 515, pp. 124-135. La Cour réalise un large tour d’horizon en présentant les différents Etats ayant reconnu, ou se situant sur le chemin de la reconnaissance du droit à la mort digne. Elle expose ainsi la situation juridique en Allemagne, en Australie, en Autriche, en Belgique, au Canada, au Chili, en Espagne, aux Etats-Unis, en France, en Irlande, au Luxembourg, aux Pays-Bas, au Portugal, en Nouvelle-Zélande et en Suisse.
[108] Ibidem, point 160, p.41.
[109] Ibidem, point 164, p.42.
[110] La loi a remplacé le décret-loi.
[111] Ibidem, point 162, p.42.
[112] Ibidem, point 163, p.42 : la Cour précise que ces nombreuses injonctions ont permis de débloquer certaines barrières faisant obstacle à l’application du droit à mourir dignement.
[113] Ibidem, point 165, p.43.
[114] Ibidem, point 170, p.44.
[115] Depuis 2014, la Cour s’est prononcée à sept reprises « sur la signification de la douleur et de la souffrance intense du patient ; sur les procédures ou les omissions qui participent de la construction du concept d’euthanasie ; sur les modalités relatives à l’émission d’un consentement informé et sur la possibilité d’admettre un consentement substitutif lorsque le patient n’est pas en mesure de l’exprimer ; sur la situation des enfants souffrant de maladies graves ; sur la relation entre la mort digne, la vie digne et les conditions de solitude ou les affectations cognitives propres aux âges avancés ; ou sur les barrières à l’accès de ce service dans certains lieux déterminés du pays. » Ibidem, points 172 et 173, p.45.
[116] Une action en inconstitutionnalité (recours objectif) a été formée par deux justiciables, Daniel Porras Lemus et Alejandro Matta Herrera, devant la Cour constitutionnelle colombienne, afin que celle-ci contrôle la constitutionnalité de l’article 106 du Code pénal, conformément aux articles 241 et 242 de la Constitution colombienne.
[117] V. la thèse de Coralie Richaud, Le précédent dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, préf. D. Rousseau, avant-propos de N. Maestracci, Coll. « Thèses », Varenne, 2016.
[118] Agnès ROBLOT-TROIZIER, « La prudence du Conseil constitutionnel sur la question de la fin de vie », RFDA, 2017, p. 1177.
[119] Code de la santé publique, Art. L 1110-5
[120] Conseil d’État – 1ère et 6ème chambres réunies, 3 mars 2017 / n° 403944, §.4
[121] Ibid..
[122] Conseil constitutionnel français, Décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté], §.11
[123] Haute Cour de justice, Conway v Secretary of State for Justice, [2017] EWHC 640, §.109
[124] Voir Cour d’appel, Nicklinson, R (on the application of) v A Primary Care Trust, [2013] EWCA Civ 961, §.155
[125] Id.;
[126] Id.; §.110
[127] DECRET N°109/XIV, Réglementant les conditions dans lesquelles la mort médicalement assistée n’est pas punissable et modifiant le Code pénal [TRADUCTION]
[128] Tribunal constitutionnel portugais, Arrêt N° 123/2021 : http://www.tribunalconstitucional.pt/tc/acordaos/20210123.html#_ednref27
[129] Cour constitutionnelle belge, Arrêt n° 153/2015 du 29 octobre 2015 de la Cour constitutionnelle (euthanasie des personnes mineures), point B.19.2
[130] CEDH, 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, § 55
[131] CEDH, 19 juillet 2012, Koch c. Allemagne, § 70
[132] Cour constitutionnelle belge, Arrêt n° 153/2015 du 29 octobre 2015 de la Cour constitutionnelle (euthanasie des personnes mineures), point B.19.1
[133] Cour EDH, (Section IV), Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, §.88
[134] Cour EDH, (arrêt de grande chambre), Haas c. Suisse, 20 janvier 2011, §.55. Position par la suite réaffirmée dans les arrêts Koch c. Allemagne, 19 juillet 2012, §. 70; Lambert et autres c. France, 5 juin 2015, §.145 ou encore Gard et autres c. Royaume-Uni, 27 juin 2017, §.98
[135] Cour constitutionnelle allemande, Décision du 26 février 2020 (153, 182) §.337.
[136] Cour constitutionnelle allemande, Décision du 26 février 2020 (153, 182) §.337. Voir la version anglaise http://www.bverfg.de/e/rs20200226_2bvr234715.html
[137] Idem.; §.338
[138] Idem.; §.339
[139] Ibid.;
[140] Idem.; §.340
[141] Reportage ARTE sur YouTube, Allemagne : les pouvoirs de la Cour constitutionnelle, 26mins26s. [https://www.youtube.com/watch?v=lgPl8lWjV_Y]
[142] Idem.; 26’30 à 26’54
[143] Idem.; 27’05
[144] Sentencia C-233/2021, p.3. « Celui qui tue une autre personne par pitié, pour mettre fin à d’intenses souffrances provenant de lésions corporelles ou d’une maladie grave et incurable sera puni d’une peine de prison comprise entre seize et vingt-quatre mois. »
[145] Ibidem, p.22.
[146] Sentencia C-233/2021, p. 118. « le délit d’homicide par compassion n’est pas encouru, lorsque la conduite résulte de l’action d’un médecin, qu’elle est réalisée avec le consentement libre et informé, préalable et postérieur au diagnostic réalisé sur le sujet passif de l’acte, et à chaque fois, que le patient subit une intense souffrance physique et psychologique, provenant d’une lésion corporelle ou d’une maladie grave et incurable ».
Quant à la condition de phase terminale, elle précise que « la condition de maladie terminale constitue une barrière à l’exercice fondamental du droit à la mort digne, une restriction disproportionnée à la dignité humaine, dans ses dimensions d’autonomie et d’intégrité physique et morale », Sentencia C-233/2021, point 468, p. 115.
[147] Elle dit à ce propos que « toute modification ou reproduction de la norme initialement contrôlée – qu’elle soit d’origine législative ou juridictionnelle – doit maintenir la formule de pondération admissible, établie par la Cour constitutionnelle. Si cela n’est pas respecté, rien ne s’oppose à ce que la Cour étudie une nouvelle demande contre la disposition contrôlée, et ce, sans méconnaître le principe de la chose jugée constitutionnelle », Sentencia C-233/2021, point 471, p. 116.
[148] Une pente glissante, dans le jargon parlementaire espagnol, est une sorte d’argument erroné, illusoire, qui « semble bon, mais qui ne l’est pas en réalité, puisqu’il cache un piège ou une imprécision qui l’invalide ». Dans le cas des débats sur l’euthanasie, « l’argument prévoit que, si les critères pour accéder à la mort sont plus flexibles au moment de réaliser un acte médical spécifique, alors la valeur de la vie se perd, car, postérieurement, d’autres conditions seront rendues flexibles jusqu’à arriver à la permissibilité absolue. Ainsi, non seulement la vie est moins protégée, mais en plus, les personnes vulnérables sont fragilisées, puisqu’elles pourront faire l’objet de manipulations, ou d’auto-manipulations, car elles seront abattues pour continuer avec une vie affrontant des conditions de santé extrêmes ».
[149] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331 §.129
[150] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4 (CanLII), [2016] 1 RCS 13, 15-01-2016, <https://canlii.ca/t/gmxkr>, §.4
[151] Idem.; §.6 Les critères sont quant à eux prévus au §.127 de l’arrêt Carter de 2015.
[152] Cour constitutionnelle italienne, 24 septembre 2019, n° 242/2019, rappelant sa décision n°99/2019 du 19 avril 2019
[153] Cour constitutionnelle italienne, Ordonnance N°207 de 2018.
[154] Cour constitutionnelle italienne, n° 242/2019.
[155] Eleonora Bottini, Cour constitutionnelle italienne, 24 septembre 2019, n° 242/2019 [pénalisation de l’aide au suicide], Chronique de droit constitutionnel comparé (juillet 2019 à fin décembre 2019), Titre VII, Cahiers du Conseil constitutionnel, N°4, Avril 2020.
[156] Idem..
[157] Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1972, c.13, art 16
[158] Article 14 du code criminel canadien « nul n’a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n’atteint pas la responsabilité pénale d’une personne qui inflige la mort à celui qui a donné ce consentement »
[159] Code criminel, L.R.C., article 241, Version antérieure à 2015 « est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, que le suicide s’ensuive ou non, selon le cas :
- conseille à une personne de se donner la mort ou l’encourage à se donner la mort;
- aide quelqu’un à se donner la mort »
[160] Guy Lamarche, « Le débat sur le droit de choisir l’aide médicale à mourir », Frontières 20.1 (2007): 97-98.
[161] Cour supérieure du Québec, Nancy B. v. Hotel-Dieu de Quebec, 1992 CanLII 8511 (QC CS), <https://canlii.ca/t/g9gmb>
[162] Code civil du Bas-Canada.
[163] Cour suprême du Canada, Reibl c. Hughes, [1980] 2 R.C.S. 880, 7 Octobre 1980
[164] Cour supérieure du Québec, Nancy B. v. Hotel-Dieu de Quebec, 1992 CanLII 8511 (QC CS), §.44
[165] Sylvette Guillemard, « Deux décisions judiciaires canadiennes récentes sur le droit à la mort. Monsieur le juge puis-je mourir? », Revue internationale de droit comparé, Vol. 46 N°3, Juillet-septembre 1994. pp. 909-919.
[166] Cour suprême du Canada, Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, 30-09-1993, [https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1054/index.do]
[167] Cour suprême de Colombie-Britannique, Rodriguez v. B.C. (Attorney General of), 1992 CanLII 726 (BC SC), 29-12-1992, <https://canlii.ca/t/1dg8v>
[168] Cour d’appel de Colombie-Britannique, Rodriguez v. British Columbia (Attorney General),1993 CanLII 1191 (BC CA), 08-03-1993 <https://canlii.ca/t/1db7t>
[169] Cour suprême du Canada, Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), p. 606
[170] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331
[171] Cour suprême du Canada, Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), p. 523 et s.
[172] Idem.; p. 525 et s.
[173] Henri Pallard et Michel Giroux, « L’aide médicale à mourir au Canada : de Rodriguez à Carter», RDLF 2019 chron. n°06, [https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/droit-constitutionnel/laide-medicale-a-mourir-au-canada-de-rodriguez-a-carter/]
[174] Loi concernant les soins de fin de vie, S-32.0001, article premier.
[175] Ibid.; Art. 26
[176] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §.117
[177] Ibid. §.126
[178] Cour suprême de Colombie-Britannique, Carter c. Canada (Procureur général), 2012 BCSC 886 (CanLII), 15 Juin 2012, <https://canlii.ca/t/frpws>, §.1400 et s.
[179] Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2013 BCCA 435, 51 B.C.L.R. (5th) 213, §. 326.
[180] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §. 125.
[181] Cour suprême du Canada, Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), p.577
[182] Merlin Voghel, « La suspension des effets de la déclaration d’invalidité constitutionnelle dans la jurisprudence de la Cour suprême », Cahiers de Droit de l’Université de Laval, (2016).
[183] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792, 11-09-2019
[184] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, §.497
[185] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4 (CanLII), [2016] 1 RCS 13, 15-01-2016, <https://canlii.ca/t/gmxkr>, §.4
[186] Critère issu du §. 127 de l’arrêt Carter I.
[187] Voir les arrêts Cour d’appel d’Alberta, Canada (Attorney General) v E.F., 2016 ABCA 155 (CanLII), <https://canlii.ca/t/grqkg> , 17 Mai 2016; Cour supérieure de justice d’Ontario, I.J. v Canada (Attorney General), 2016 ONSC 3380 (CanLII), <https://canlii.ca/t/grt98>, 24 Mai 2016; Cour suprême de Colombie-Britannique, H.H. (Re), 2016 BCSC 971 (CanLII), <https://canlii.ca/t/grwh9>, 28 Mai 2016.