Chronique de droit constitutionnel comparé 2021, 2/2. Comment se dire adieu ? Fin de vie et Constitution
Par J. Arlettaz, Professeur de droit public, Université de Montpellier, CERCOP, A. Berthout, Doctorant, Université de Montpellier, CERCOP, F. Camillieri, Doctorante en cotutelle, Université de Pise et Université de Montpellier, Y. Gbohignon Doué, Doctorant vacataire, Université de Montpellier, CERCOP, G. Galustian, Doctorante, ATER, Université de Montpellier, CERCOP, A. Mauras, Doctorante, ATER, Université de Montpellier, CERCOP.
IV. S’inspirer des autres adieux : la citation de jurisprudences étrangères
L’analyse des décisions constitutionnelles récentes en matière de fin de vie fait ressortir un usage prétorien important, parfois même déterminant, de l’argument de droit étranger. Cet aspect du contentieux constitutionnel de la fin de vie s’inscrit dans le phénomène de la circulation des décisions de justice particulièrement mis en lumière par les travaux du professeur Alexis Le Quinio[1]. C’est qu’en effet, à l’exception des juges belge et français, toutes les juridictions étudiées ont mobilisé, à un moment ou à un autre de leur décision, la connaissance du droit étranger et particulièrement les solutions jurisprudentielles étrangères antérieures. Dans la conclusion de sa thèse de doctorat, Alexis Le Quinio soulignait, avec Horatia Muir Watt, le caractère potentiellement subversif du droit comparé en ce qu’il permettrait de se défaire des conceptions dominantes du droit dans un contexte national donné : « la comparaison est ainsi de nature à libérer le raisonnement juridique de certains carcans conceptuels sclérosants en ouvrant la porte à d’autres grilles de lecture »[2]. Alexis Le Quinio ajoutait : « le droit comparé peut ainsi être perçu comme un élément potentiel de contestation, de remise en cause de la doctrine juridique dominante »[3]. Le contentieux constitutionnel récent de la fin de vie donne plutôt raison à ce constat qui fait de la méthode comparative un outil au service de l’évolution du droit. Il reste que, comme tout outil, elle peut être utilisée d’une façon différente, voire être détournée de sa finalité principale et, partant, servir des postures juridiques très distinctes. C’est qu’en effet, l’analyse comparée du contentieux constitutionnel de la fin de vie montre que si l’invocation de l’argument de droit étranger est majoritairement utilisée dans un but subversif, au sens où il sert la remise en cause d’une situation juridique existante, elle peut aussi servir la justification de la conservation d’une conception particulière du droit déjà en place. Par conséquent, l’argument de droit étranger est, in fine, un outil pouvant servir autant une fin subversive qu’une finalité conservatrice[4]. Cette récurrence de la dualité des finalités poursuivies se retrouve dans toutes les méthodes d’invocation du droit étranger que l’on propose de distinguer ainsi : l’invocation cognitive (A), l’invocation négative (B) et l’invocation normative du droit étranger (C).
A. L’invocation cognitive du droit étranger
Définition. Si tant est qu’il soit possible en droit de distinguer le savoir du pouvoir, l’invocation cognitive du droit étranger par le juge désigne pour ce dernier le fait de décrire le droit étranger comme une simple connaissance sans en tirer de conséquence normative pour sa propre décision. Il reste que si aucune conséquence ne semble apparemment déduite, l’invocation du droit étranger contribue déjà à la légitimation de sa décision.
L’invocation cognitive du droit étranger dans une finalité subversive. L’exemple le plus topique de ce type d’invocation du droit étranger est sûrement l’arrêt du 26 février 2020 de la Cour constitutionnelle allemande. Dans les premières lignes de cette décision, le droit étranger est présenté, non pas lors du contrôle au fond de la législation en cause, mais lors de l’exposé des faits[5]. C’est juste après avoir décrit l’histoire du droit allemand relatif au suicide que le juge choisit de présenter les droits étrangers correspondants. Assez classiquement, la comparaison dans le temps est finalement couplée à une comparaison dans l’espace. S’agissant de cette dernière, les exemples choisis ne sont toutefois pas anodins. Le juge ne présente guère que les droits suisse, néerlandais, belge et canadien, ainsi que le droit de l’État américain de l’Oregon. Ils ont tous en commun la particularité d’avoir – ainsi que le note la Cour constitutionnelle allemande elle-même – « des règlementations plus libérales » que « la plupart des États européens [au sein desquels] l’assistance au suicide est interdite et punie par la loi »[6]. La Cour opère ensuite un exposé, par État, de la situation juridique relative à l’euthanasie quand elle est prévue par la loi, et du suicide assisté.
Ce type d’invocation cognitive est également présent dans la décision de la Cour colombienne du 22 juillet 2021 par laquelle elle a assoupli les conditions d’ouverture de l’euthanasie qu’elle avait posées dans sa précédente décision du 20 mai 1997. Après et avant d’avoir recours à une invocation du droit étranger plus directement normative de sa décision, la Cour opère un tour du monde juridique de la question de la fin de vie. Mais si le tour est plus long que celui effectué par son homologue allemand, il est similaire dans sa logique : la Cour ne s’intéresse qu’aux États les plus progressistes en la matière. Ainsi commence-t-elle par souligner qu’en 1997 seuls la Belgique, les Pays-Bas et l’État d’Oregon des États-Unis ont autorisé l’accès à ce qu’elle nomme « la mort digne ». Elle précise qu’actuellement, douze pays ont reconnu le « droit à mourir dignement ». Ce faisant, elle mentionne l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, la Colombie – la Cour ne s’oublie pas – l’Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Suisse ainsi que divers États des États-Unis. Elle explique en sus que des projets de loi visant à libéraliser l’accès à l’euthanasie ou au suicide assisté, sont en préparation au Chili, en France, en Irlande et au Portugal[7]. La Cour détaille ensuite divers points des droits nationaux étrangers, telle que la position de la Cour constitutionnelle allemande sur la libre autodétermination de l’individu[8] ainsi que celle de différentes législations nationales ayant posé comme condition d’accès à l’euthanasie ou au suicide assisté le fait que le patient désirant mourir soit « en phase terminale »[9].
L’invocation cognitive du droit étranger dans une finalité conservatrice. Parmi les décisions conservatrices, il est possible de désigner la décision portugaise du 15 mars 2021 en ce qu’elle déclare inconstitutionnel le décret n° 109/XIV du 12 février 2021 qui exonérait de responsabilité pénale les personnes aidant un suicide assisté ou procédant à une euthanasie dans certaines conditions. Si le caractère conservateur de cette décision peut être discuté en ce que ce sont moins l’euthanasie et le suicide assisté en tant que tels, que les conditions sous lesquelles ces actions peuvent être réalisées qui sont déclarés inconstitutionnelles, la décision reste conservatrice en ce qu’elle maintient l’état de la législation en raison d’une certaine interprétation de la norme constitutionnelle.
Avant de rentrer dans son contrôle de la mesure, la Cour commence par un tour d’horizon des législations en droit étranger. Elle invoque le droit étranger sur un plan purement cognitif, c’est-à-dire sans tirer de conséquences normatives immédiates. Mais, à la différence des décisions allemande et colombienne, la décision portugaise réalise un panorama complet de la législation en évitant de présenter uniquement les solutions étrangères les plus libérales. Ainsi écrit-elle : « au niveau du droit comparé, il est possible de dégager trois grandes tendances : i) la dépénalisation et la réglementation expresse de l’euthanasie active et/ou du suicide assisté (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Canada, certains États des États-Unis d’Amérique, Colombie, État australien de Victoria et Nouvelle-Zélande) ; ii) la tolérance du suicide assisté, sans réglementation juridique expresse (Allemagne, Italie, Suisse) ; et iii) l’interdiction de l’euthanasie active et du suicide assisté (par exemple, France et Royaume-Uni, parmi beaucoup d’autres) »[10]. La Cour consacre ensuite plusieurs paragraphes à l’état du droit dans les États européens les plus libéraux, c’est-à-dire aux Pays-Bas, à la Belgique et au Luxembourg. Elle commence par les Pays-Bas qui disposent de la législation la plus ancienne en matière de dépénalisation de l’euthanasie active et du suicide assisté. Toutefois, la Cour souligne que la législation néerlandaise de 2002 s’inscrivait dans un contexte juridique propre aux Pays-Bas où les juges toléraient déjà depuis les années 70 l’euthanasie active et le suicide assisté dans certaines situations. Ainsi les juges du Palais Ratton écrivent : « dans cette mesure, la dépénalisation et la réglementation de l’euthanasie active et du suicide assisté n’ont pas exactement marqué un tournant dans le système juridique néerlandais, car elles ont surtout eu pour effet de cristalliser, au niveau normatif, une pratique acceptée depuis longtemps par la jurisprudence »[11]. La Cour passe ensuite à une description rapide des législations belge et luxembourgeoise. Elle décrit en outre de façon fort détaillée le projet de loi espagnol, notamment les conditions ouvrant l’accès à l’euthanasie active et au suicide assisté[12].
Conclusions. L’invocation cognitive du droit étranger par les juges met en évidence que l’usage de ce recours au droit étranger est loin d’être neutre. Derrière la neutralité de la description, présentée comme de simples connaissances, ce savoir participe déjà à la légitimation de la solution adoptée. En Allemagne, le juge adoptant la position la plus libérale parmi les juridictions étudiées, ne présente que les États ayant les législations les plus libérales en matière d’euthanasie active et de suicide assisté. De même, le juge colombien se garde aussi de présenter les États qui pénalisent l’euthanasie active ou l’assistance au suicide. Il en va autrement pour le juge portugais dont le panorama est plus complet, mais – est-ce un hasard ? – sa solution est elle-même différente en ce qu’elle ferme constitutionnellement la porte à l’euthanasie active et au suicide assisté, pour un temps au moins. Sa description détaillée de la législation espagnole en cours d’adoption annonce aussi sa censure des conditions d’ouverture de l’euthanasie et du suicide assisté. Cette législation espagnole sera d’ailleurs de nouveau citée lors du contrôle de la loi portugaise[13].
En ce sens, l’invocation cognitive du droit étranger ainsi mobilisée procède d’une logique apparemment descriptive mais sa finalité sous-jacente est en réalité la légitimation d’une prescription nouvelle. Présentée comme une simple description, l’invocation cognitive constitue déjà un élément de la ratio de la nouvelle prescription.
B. L’invocation négative du droit étranger
Définition. L’invocation négative du droit étranger consiste à l’invocation du droit étranger en vue de le rejeter expressément.
L’invocation négative du droit étranger dans une finalité subversive. Dans le contentieux constitutionnel de la fin de vie, ce sont surtout les juges canadiens qui ont manié ce type de recours au droit étranger dans un sens subversif. Ainsi, dans son arrêt Carter de 2015, la Cour suprême du Canada n’accorda pas une place significative au droit étranger. Elle releva néanmoins que, depuis son arrêt Rodriguez de 1993 par lequel elle jugea conforme à la Charte canadienne des droits et libertés la criminalisation de l’assistance au suicide, une certaine évolution législative s’était opérée dans les États du monde en la matière : « le portrait législatif en matière d’aide médicale à mourir a changé au cours des deux décennies qui ont suivi l’arrêt Rodriguez »[14]. La Cour nota toutefois que « l’aide médicale à mourir demeure […] une infraction criminelle dans la plupart des pays occidentaux »[15]. Partant, dans la suite de l’arrêt, elle ne mobilisa pas le droit étranger. Il faut dire que l’arrêt Carter est en réalité le premier arrêt d’une juridiction suprême déclarant non-conforme à un droit ou à une liberté la pénalisation du suicide assisté. L’essentiel du droit étranger, et particulièrement du droit étranger jurisprudentiel, était dès lors d’une très faible utilité pour le juge canadien qui allait adopter la jurisprudence la plus progressiste au monde en la matière.
C’est ce même non-recours au droit étranger que la Cour supérieure du Québec retint dans son arrêt Truchon en date du 11 septembre 2019. La Cour québécoise énonce ceci : « bien qu’il existe certains éléments de comparaison avec notre système, aucun des régimes étrangers discutés ne se révèle identique à celui présentement en vigueur au Canada »[16]. En conséquence, elle souhaite recentrer son analyse sur la réalité sociale canadienne et exclure de son champ de réflexion les expériences étrangères : « l’expérience étrangère, avec toutes les distinctions qu’il faut y apporter, ne possède plus le poids qu’elle a déjà eu. Ce sont maintenant les constats tirés de l’expérience au Canada, expérience calquée sur la réalité sociale et culturelle du pays et indicatrice des réussites et des failles du système mis de l’avant par le Parlement et la législature qu’il faut avant tout retenir »[17]. La logique est la même que celle suivie par la Cour suprême canadienne dans Carter. C’est qu’en effet, dans l’arrêt Truchon, le juge québécois donna droit à la demande des requérants qui contestaient l’inconstitutionnalité d’une des nouvelles conditions législatives ouvrant l’accès au suicide assisté, à savoir la condition selon laquelle la mort naturelle du suicidant devait être « raisonnablement prévisible ». Au moment de sa décision, rendue deux semaines avant l’arrêt italien du 25 septembre 2019, le juge québécois ne disposait d’aucun exemple de droit étranger progressiste en la matière. La question du droit étranger n’a donc été ouverte que pour mieux être refermée.
L’invocation négative du droit étranger dans une finalité conservatrice. L’invocation négative du droit étranger n’est pas absente non plus des décisions conservatrices, à l’instar de la décision britannique Conway de 2017. La High Court of Justice cite en effet l’arrêt Carter canadien pour mieux le rejeter. Il faut dire que c’est le requérant lui-même qui a invoqué ce précédent étranger et non le juge anglais. Pour procéder au rejet de la solution Carter, la High Court va invoquer deux arguments assez peu développés. D’une part, elle va insister sur la différence entre la norme de référence mobilisée dans Carter, l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et celle à l’aune de laquelle elle doit juger le cas de Monsieur Conway, à savoir l’article 8 de la CEDH[18]. D’autre part, la Cour va insister aussi sur la différence d’espèce entre celle de Carter et la sienne. Assez froidement la Cour souligne le fait qu’alors que Monsieur Carter était soumis, en raison de sa maladie, à une « souffrance insupportable », Monsieur Conway entrait, lui, dans la catégorie des personnes « qui feront face à la mort dans les six mois »[19].
Conclusions. L’invocation négative du droit comparé peut donc être aussi bien mobilisée dans un sens subversif que dans un sens conservateur. Dans un sens subversif, cette attitude à l’égard du droit étranger est adoptée lorsque le juge est le premier au monde à adopter une solution nouvelle. N’ayant pas de solutions similaires à invoquer, il se contente de dire qu’il ne s’intéresse pas à ce qui se fait ailleurs. C’est le cas des affaires canadiennes Carter et Truchon. Ce rejet du droit étranger est d’ailleurs très significatif dans le cas de la Cour suprême canadienne qui, habituellement, mobilise très largement le droit étranger dans ses décisions. Dans les deux cas, que la solution soit subversive ou conservatrice, il est possible de remarquer que l’argumentation prétorienne de rejet est très succincte, précisément parce que les juges ne s’intéressent finalement pas aux solutions étrangères. Le droit étranger n’est évoqué que pour être écarté.
C. L’invocation normative du droit étranger
Définition. L’invocation normative du droit étranger désigne l’hypothèse dans laquelle un juge va invoquer le droit étranger tout en y attachant directement des effets juridiques.
L’invocation normative du droit étranger dans une finalité subversive. Parmi toutes les décisions étudiées, c’est l’arrêt du 22 juillet 2021 de la Cour constitutionnelle colombienne qui représente le mieux ce type de recours au droit étranger. Dans cette décision, la Cour invoque le droit non-colombien en y attachant des conséquences normatives à plusieurs reprises. C’est d’abord au stade de la recevabilité des recours que le juge prend en compte, entre autres choses, l’évolution du droit étranger en la matière depuis 1997 comme un changement de circonstances justifiant leur recevabilité. La Cour accepte de se prononcer de nouveau sur une question de droit qu’elle avait tranchée 1997 au regard du fait que le droit étranger a évolué depuis : « actuellement 15 pays ont régulé le droit à la mort digne, le suicide assisté ou l’homicide par compassion, alors qu’au moment où la sentence C-239 de 1997 fut prononcée, seulement deux pays avaient admis ce type de procédés, comme par exemple, un État des États-Unis d’Amérique »[20]. Cet aspect du droit étranger, associé à d’autres éléments[21], conduit la Cour à déclarer les recours recevables[22]. Mais c’est dans son contrôle au fond que l’usage du droit étranger est le plus poussé dans ses conséquences normatives. Afin de motiver son revirement de jurisprudence par rapport à sa décision de 1997, en supprimant la condition de la maladie en phase terminale pour accéder à l’euthanasie, la Cour de Bogota va citer abondamment la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 26 février 2020. Si un tel procédé n’est pas vraiment original pour la Cour colombienne qui cite habituellement le Bundesverfassungsgericht, l’intensité du recours à la jurisprudence allemande est en revanche ici singulière. Pour décider que la condition d’une maladie en phase terminale viole finalement le droit de mourir dignement, les juges colombiens vont solliciter les raisonnements de leurs homologues allemands, à tel point que le raisonnement de la Cour de Bogota s’entremêle presque indistinctement à celui de la Cour de Karlsruhe. Ainsi, dans un premier paragraphe, la Cour colombienne explique la portée philosophique du droit à mettre fin à ses propres jours expliquée par le juge allemand. Elle explique qu’il a considéré que, « au travers d’une pondération entre l’autonomie, la vie, le droit à la personnalité, l’identité et la faculté à s’autodéterminer que “le droit de mettre fin à sa propre vie emporte une signification des plus vitales pour l’existence de chacun. Elle reflète l’identité personnelle de chacun et constitue une expression centrale de la personne capable d’autodétermination et de responsabilité personnelle. Pour l’individu le but de la vie, et le fait d’en terminer avec sa propre vie, constituent une question de croyances et de convictions très personnelles” »[23]. Par la suite elle pose les conséquences juridiques de cette posture philosophique en citant toujours la Cour allemande. La Cour colombienne écrit que son homologue allemand a jugé que « la mort autodéterminée ne peut se limiter au fait de rejeter “des traitements d’assistance vitale et laisser une maladie en phase terminale suivre son cours”. Au contraire, le droit à une mort autodéterminée se comprend aussi dans les cas où la personne décide d’arrêter sa vie, c’est-à-dire qu’il “garantit que l’individu puisse déterminer son destin de manière autonome, conformément à la vision qu’il a de lui-même, et par conséquent, soit en mesure de protéger sa personnalité”. En d’autres termes, comme le droit à la mort autodéterminée fait partie du domaine le plus intime de la personne, cette garantie “ne peut être limitée à des maladies graves ou incurables, ni ne peut s’appliquer seulement à certaines étapes de la vie ou maladies”. Cette restriction équivaudrait “à une valorisation des motivations de la personne qui cherche à mettre fin à sa propre vie, et par conséquent à une prédétermination substantive, qui s’éloigne de la notion de liberté” »[24]. Significativement, c’est dans le paragraphe suivant que la Cour colombienne va décider d’abandonner la solution qu’elle avait retenue en 1997. Fortement inspiré par les considérations posées dans les deux paragraphes antérieurs, elle va finalement juger que « le consentement constitue la pierre angulaire du droit à mourir dignement (…) et que l’exigence relative au pronostic de mort prochaine, est disproportionnée puisqu’elle empêche les personnes affectées par les maladies citées, d’exercer leur autodétermination et de choisir la manière avec laquelle elles souhaitent en terminer avec leur vie, et génère un effet dissuasif sur les professionnels de santé qui souhaiteraient exercer leur profession avec éthique et altruisme »[25]. Le recours à la jurisprudence allemande lui permet donc de justifier sa libéralisation de l’accès à l’euthanasie. Étant donné qu’elle n’était saisie que de recours contestant la constitutionnalité de la condition de maladie en phase terminale, la Cour ne renversa sa jurisprudence que sur ce point. Mais si elle fait autant sienne la position de Karlsruhe, c’est l’ensemble des conditions matérielles de l’accès à l’euthanasie qui risquent d’être supprimées dans les prochaines affaires[26].
Parallèlement à l’arrêt de la Cour constitutionnelle colombienne, deux autres décisions pourraient entrer dans cette catégorie de l’invocation normative du droit étranger. C’est d’abord le cas de la décision autrichienne. Même s’il est impossible de le démontrer, il est très probable que la décision allemande du 26 février 2020 ait fortement influencé la solution de la décision 11 décembre 2020 de la Cour constitutionnelle autrichienne. Si l’arrêt autrichien ne mentionne pas du tout l’arrêt du Bundesverfassungsgericht, à la différence de la décision des juges constitutionnels de Bogota, ses formules et sa motivation générale font sensiblement écho à la décision allemande. Pour le dire autrement, il était politiquement délicat pour la Cour constitutionnelle autrichienne de maintenir sa position de 2016 fort mal argumentée qui confirmait la constitutionnalité de la pénalisation de l’assistance au suicide[27] alors qu’à moins de 600 kilomètres, dans un État limitrophe et germanophone, une des Cours les plus prestigieuses au monde venait de déployer une argumentation solide et charpentée en faveur de la légalité du principe de l’assistance professionnelle au suicide. Aussi, bien que l’invocation de la décision allemande par le juge autrichien soit inexistante dans le texte de la décision, il est difficile d’imaginer qu’elle n’ait pas été prise en considération à différents degrés dans le processus d’élaboration de la décision autrichienne.
Enfin, la troisième décision pouvant entrer dans ce type d’invocation du droit étranger est la décision allemande elle-même. Si au début de sa décision la Cour consacre quelques lignes à une invocation cognitive du droit étranger, par la suite, dans un second passage, au sein de son contrôle au fond, le Bundesverfassungsgericht va prendre en compte le droit étranger et y attacher des conséquences normatives. En réalité, la Cour va moins analyser les droits étrangers en tant que tels que leurs conséquences factuelles sur l’augmentation du nombre de suicides. Cette analyse est réalisée lorsque la Cour contrôle le caractère légitime du but poursuivi par le législateur en pénalisant l’assistance au suicide. Même si la Cour reste très prudente face aux statistiques des différents États qu’elle mentionne, elle fait le constat que dans les États qui ont autorisé le suicide assisté, il y a eu une très nette augmentation du nombre de suicides, surtout au cours de la dernière décennie. Il en va ainsi en Suisse, aux Pays-Bas, et en Belgique[28]. La Cour relativise ces chiffres en soulignant qu’on ne dispose d’aucunes données précisant le nombre de suicides de personnes étrangères venues mourir dans ces États[29]. De même, la Cour précise que la seule augmentation du nombre de suicide ne saurait démontrer l’existence d’une pression sociale sur les suicidés[30]. Néanmoins, la Cour admet que « le législateur pouvait partir du principe qu’une offre non réglementée d’assistance professionnelle au suicide pouvait présenter des dangers pour l’autodétermination sous forme de pressions sociales »[31]. À l’appui de son argumentation favorable à la position du législateur, la Cour va insister sur les cas des Pays-Bas et de l’État de l’Oregon qui peuvent laisser supposer qu’il existe, là-bas, une pression sociale institutionnalisée en raison du dispositif juridique de santé. Elle note en effet qu’aux Pays-Bas, l’euthanasie est désormais proposée ouvertement dans les maisons de retraite et dans les maisons de soin[32]. Elle note en outre qu’en matière de politique de santé, l’Oregon « applique déjà un principe d’économie qui exclut la prise en charge de certaines thérapies médicales en cas de maladie terminale, mais prévoit en revanche le remboursement des dépenses liées à un suicide assisté »[33]. Aussi conclut-elle que ces exemples plaident en faveur de l’existence de l’institutionnalisation d’une pression sociale, notamment d’ordre économique, sur la liberté individuelle. Les exemples étrangers servent ici la Cour à valider le caractère légitime du but poursuivi par le législateur. La particularité de l’invocation normative du droit étranger dans la décision allemande réside dans le fait que la Cour prend moins en compte le droit étranger en lui-même que les conséquences factuelles qu’il engendre. C’est donc même à un début de sociologie comparée à laquelle se livre la Cour de Karlsruhe, laquelle est soucieuse de comprendre les données statistiques sur le suicide dont on sait, depuis le maître-ouvrage sur la question, qu’elles reflètent « la tendance au suicide dont chaque société est collectivement affligée »[34].
L’invocation normative du droit étranger dans une finalité conservatrice. Dans un sens conservateur, l’invocation normative du droit étranger trouve aussi une illustration dans deux décisions relatives à la fin de vie. C’est d’abord au Portugal que le Tribunal constitutionnel censure le décret législatif en soulignant ses insuffisances rédactionnelles au regard des législations étrangères. Ainsi, le juge critique le fait que le décret portugais, à la différence de la proposition de loi espagnole, ne définisse pas ce qu’est « une souffrance intolérable ». Il fait remarquer qu’à l’instar d’autres législations européennes, le décret contrôlé aurait pu être plus précis sur la situation médicale pouvant demander l’assistance au suicide ou d’être euthanasiée. Le juge note ainsi que « ce décret s’écarte des options adoptées dans d’autres pays en n’incluant pas dans la norme des exigences telles que le “caractère durable, constant, permanent ou irrémédiable” des souffrances endurées (présent dans les législations belge et luxembourgeoise, par exemple) ou “l’absence de perspectives d’amélioration” (présent, par exemple, dans les législations néerlandaise et luxembourgeoise) et n’impose pas expressément que des facteurs de ce type soient pris en compte dans les avis à rédiger au cours de la procédure »[35]. Si l’argument de droit étranger ne constitue pas le motif de la censure constitutionnelle qui réside dans l’imprécision du décret en cause, il est néanmoins un soutien argumentatif de ce motif.
Enfin, c’est l’ordonnance italienne n. 207 du 24 octobre 2018 qui peut entrer dans cette catégorie de l’invocation normative du droit étranger dans un sens conservateur. Par cette ordonnance, la Cour constitutionnelle italienne a sursis à statuer afin de donner la possibilité au législateur de réécrire la loi pénale relative à la répression de l’assistance au suicide. C’est à la toute fin de sa décision, juste avant de décider de cette solution, que le juge cite les arrêts Carter de la Cour suprême canadienne et Nicklinson de la Cour suprême britannique, en ce qu’ils ont laissé au législateur la possibilité d’intervenir pour modifier l’état du droit. Ainsi, la Cour constitutionnelle explique que l’arrêt Carter suspend la déclaration d’inconstitutionnalité pour un délai d’un an afin de permettre au législateur d’adopter une loi nouvelle sans créer de vide juridique entre temps. Mais c’est surtout la décision britannique Nicklinson qui est mobilisée par la Corte costituzionale qui n’hésite pas à citer la Cour londonienne : « l’esprit de la présente décision est […] similaire à celui du récent arrêt de la Cour suprême anglaise sur l’assistance au suicide, dans lequel la majorité des juges a estimé qu’il était “institutionnellement inapproprié qu’une Cour déclare, à ce stade, que [la disposition alors examinée] est incompatible avec l’article 8 [CEDH]”, sans donner au Parlement la possibilité d’examiner la question »[36]. La déférence traditionnelle à l’égard du Parlement britannique est érigée en modèle par la juridiction italienne. Elle rappelle dans cette perspective que ce n’est peut-être pas à un juge de décider d’ouvrir ou non l’accès à l’euthanasie et au suicide assisté : « les juges suprêmes anglais ont souligné à cette occasion que la législation, même partielle, de l’assistance médicale au suicide assisté représente une question difficile, controversée et éthiquement sensible, qui nécessite une approche prudente de la part des tribunaux »[37]. Cette ordonnance italienne montre bien que l’argument étranger peut être mobilisé aussi bien dans un sens conservateur que dans un sens subversif. Si elle avait voulu, la Cour constitutionnelle de Rome aurait pu très bien se fonder sur le modèle canadien plutôt que sur le modèle britannique. Car si elle affirme très justement que la Cour suprême de Montréal a suspendu les effets de sa déclaration d’inconstitutionnalité, elle n’insiste guère sur le fait qu’en amont, elle a bien accepté de contrôler la constitutionnalité de la loi qui lui était déférée. Or la Cour constitutionnelle italienne va refuser d’opérer un tel contrôle, dans un premier temps, à travers cette ordonnance du 24 octobre 2018. Au contraire, elle va mettre en avant la nécessité d’une « collaboration » et du « dialogue » entre « la Cour et le Parlement », estimant qu’« il est de son devoir – dans un esprit de collaboration institutionnelle loyale et dialectique – de permettre au Parlement, en l’espèce, toute réflexion et initiative opportune »[38].
Conclusions. L’invocation normative du droit étranger est davantage mobilisée dans un sens subversif que dans un sens conservateur, la Cour colombienne poussant très loin l’usage du droit étranger dans les motifs de sa décision. En même temps, le droit étranger peut aussi venir au soutien direct d’un motif d’une décision juridictionnelle imposant la conservation d’une situation juridique existante, à l’instar des décisions portugaise et italienne. C’est en tout cas ce qu’il est possible de conclure après un rapide tour d’horizon des récentes décisions constitutionnelles relatives à l’euthanasie active et au suicide assisté ces dernières années. L’argument du droit étranger, comme tout argument juridique, n’est que d’opportunité.
A. Berthout
V. Encadrer les adieux : l’action ou la réaction du législateur
A. La définition et les modalités de la fin de vie
Dans le préambule de la loi organique n°3 du 25 mars 2021 de regulaciòn de la eutanasia (LORE), le législateur espagnol différencie – mais sans préciser quels sont les systèmes juridiques en cause – deux attitudes législatives ayant conduit à la création de deux modèles juridiques différents dans le panorama international des états qui ont choisi de régler la question de la fin de vie. Le premier modèle exigerait simplement de vérifier, d’abord, une hypothèse négative, c’est-à-dire l’absence de comportement égoïste de la personne qui procède à l’euthanasie et qui pourrait profiter de la mort du patient puis une hypothèse positive, soit la formation d’une volonté suicidaire autonome. Le second modèle exigerait en revanche, pour pouvoir identifier les comportements licites, certaines conditions — comme la présence d’une maladie source d’énormes souffrances et d’une procédure médicale rigoureuse — afin d’assurer un noyau de garanties dans le cadre de procédures détaillées par le législateur.
Le premier modèle exposé semble faire référence à la proposition de loi allemande d’avril 2021, qui fait suite à la censure constitutionnelle en février 2020 par la Cour fédérale constitutionnelle[39]. Le second modèle englobe au contraire la loi espagnole, la loi belge (loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie) et la loi autrichienne (notamment le projet de loi n° 1177 du 18 novembre 2021, adopté le 22 décembre 2021 et en vigueur à compter de 1 janvier 2022); ces dernières doivent être analysées en parallèle avec la loi canadienne (Medical Assistance in Dying Act du 17 juin 2016), qui présente des particularités antithétiques. Enfin, les projets de loi sur la fin de vie en cours d’élaboration par les parlements italien et français peuvent être considérés selon la même optique.
Cependant, cette étude suivra une méthode centrée sur l’analyse comparative des lois et projets de loi énumérés ci-dessus du point de vue, d’une part, du champ d’application subjectif de la matière puis d’autre part des conditions matérielles et procédurales de l’exercice du droit et donc de la responsabilité du professionnel de santé lorsque les conditions prévues par la loi — ou par le projet de loi — ne sont pas respectées.
En outre, deux autres considérations préliminaires sont nécessaires. En premier lieu, en ce qui concerne le droit belge et canadien, puisqu’il ne s’agit pas d’innovations législatives, on s’intéressera surtout aux changements récents ; en ce qui concerne, au contraire, les interventions, en la matière, des législateurs espagnol et autrichien, il faut souligner que l’adoption des textes législatifs susmentionnés fut différente : en Espagne, il y a eu un large débat et une forte opposition qui ont conduit à une différence de quelques voix entre les pour et les contre, tandis qu’en Autriche, la loi a été approuvée à de larges majorités. Cette différence s’explique notamment par le fait qu’en Autriche l’intervention législative a été rendue nécessaire par le jugement d’inconstitutionnalité de la Cour constitutionnelle, alors qu’en Espagne il n’y avait pas une telle contrainte ; de plus, les deux textes normatifs règlent un objet partiellement différent. Plus largement, il faut préciser ce qui, dans les lois et dans les projets de lois à l’étude, a été réglementé. Cette distinction est indispensable — et représente un antécédent logique nécessaire que les législateurs eux-mêmes s’approprient — pour définir les contours du domaine d’exonération de la responsabilité pénale du professionnel de santé. Certaine législative posent en effet les conditions permettant de causer directement la mort du patient quand d’autres, au contraire, se limite à reconnaître que l’aide au suicide médicalement assisté est licite (dans le respect des procédures types, substantielles et procédurales, le cas échéant).
Le législateur espagnol, en particulier, se concentre sur les valeurs constitutionnelles qui entrent en jeu lorsqu’il aborde la question de la fin de vie telles que, d’une part, le droit à la vie et à l’intégrité physique et morale et, d’autre part, la dignité, la liberté et l’autodétermination ; ces valeurs ont nourri un débat forgé sur une pluralité de nuances dialectiques[40], qui ont inévitablement conduit à la création d’un droit fruit de compromis et construit sur des liens rigoureux. La réforme législative relative à la LORE a introduit un nouvel alinéa et a modifié la rédaction de l’alinéa 4 de l’article 143 du Code Pénal[41]. Cependant, dans le préambule de la loi, le législateur a souligné que l’action ne pouvait se limiter à la dépénalisation des comportements impliquant des formes d’aide au suicide car cela risquait de porter atteinte au droit à la vie des personnes vulnérables, qui doivent être protégées comme la Constitution le prévoit expressément.
À cette fin, les lois espagnole et autrichienne, comme la législation belge avant elles, délimitent de manière restrictive les conditions pour que certains comportements, visant à mettre fin à la vie d’un patient, soient considérés comme licites[42].La loi espagnole se soucie, tout d’abord, de donner dans le préambule le sens étymologique de l’euthanasie, défini, tout de suite après, comme « l’acte délibéré de donner fin à la vie d’une personne, en raison de la volonté expresse de cette personne, avec pour finalité d’éviter une souffrance ». En particulier, le préambule souligne comment la doctrine bioéthique et pénale n’a restreint la notion juridique d’euthanasie qu’à sa version active et directe. De même la loi belge du 28 mai 2002, à l’art. 2, avait précisé que l’euthanasie s’entendait de « l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne ».
Si la Ley organica de regulaciòn de la eutanasia réglemente donc à la fois l’euthanasie active et le suicide médicalement assisté, la loi autrichienne (Sterbeverfügungsgesetz) ne prévoit pas de droit à l’euthanasie, à savoir l’action d’un tiers pour mettre fin à la vie du patient — qui reste un délit — mais se limite à légaliser le suicide médicalement assisté[43] c’est-à-dire la possibilité pour le patient, qui n’est pas autonome, d’être mis dans les conditions de mettre fin à ses jours avec l’assistance médicale. Quant à la loi belge de 2002, elle ne fait référence qu’à l’euthanasie mais le Conseil d’Etat a précisé, dans l’avis du 20 juin 2001, qu’il n’y a pas de différences de principe entre le suicide assisté et l’euthanasie[44]. Dans le même sens, l’art. 214.1 du Code criminel canadien définit l’aide médicale à mourir comme l’acte qui consiste, soit à « administrer à une personne, à la demande de celles-ci, une substance qui cause sa mort », soit à « prescrire ou fournir une substance à une personne, à la demande de celle-ci, afin qu’elle se l’administre et cause ainsi sa mort ».
Contrairement à l’Italie qui s’oriente vers une réglementation diversifiée de l’euthanasie — objet d’une question référendaire, sur la recevabilité de laquelle la Cour constitutionnelle italienne s’est prononcée le 15 février en déclarant irrecevable la question référendaire — et du suicide médicalement assisté — objet de discussion au Parlement —, la proposition de loi française n° 3755 visant à établir le droit à mourir dans la dignité, pendant devant le Sénat (laissée de côté depuis mars 2021), vise à inscrire dans le code de la santé publique, le droit à l’aide active à mourir (art. 1er). Ce même article précise que l’aide active à mourir se définit comme le suicide assisté ou bien l’euthanasie ; cependant, comme il ne s’agit que de simples projets de loi, ces derniers seront analysés en dernier, contrairement au projet de loi allemand qui, en raison de ses caractéristiques particulières, sera étudié en parallèle des lois déjà adoptées.
B. Le titulaire du droit à une fin de vie digne
L’étude des législations relatives à la fin de vie nécessite tout d’abord de s’intéresser au titulaire du droit d’obtenir une administration directe d’une substance ou du droit de demander et de recevoir une prescription ou une mise à disposition d’une substance que la personne se fournira elle-même.
Sur cette question, l’art. 5, al. 1, let. 4 de la loi espagnole exige que le patient soit de nationalité espagnole ou résident en Espagne depuis plus de 12 mois, capable et conscient au moment de la sollicitude et majeur. La loi belge reconnaît de son côté ce droit aux majeurs mais également aux mineurs émancipés (âgés de plus de 15 ans) ou capables de discernement ; en outre, si aucune autre condition n’est spécifiée, il est incontestable que le patient doit résider dans l’État en question. La loi autrichienne à l’art. 1, § 1er, spécifie pour sa part que le suicide n’est ouvert qu’aux personnes qui résident en Autriche ou qui sont des ressortissants autrichiens et, au paragraphe 6, ajoute que la personne doit être majeure et capable de prendre une décision à tous les stades de la procédure. Enfin, le Code criminel canadien à l’art. 241.2 (1) alinéa a), et au titre des critères d’admissibilité d’une demande d’aide médicale à mourir, exige nécessairement que le patient soit admis dans un système de santé financé par le gouvernement.
La raison pour laquelle ces lois prévoient le critère de résidence ou de nationalité réside dans la volonté d’empêcher un éventuel “ tourisme “ du suicide assisté.
C. L’encadrement du droit à une fin de vie digne
Le premier article de la proposition de loi allemande en l’état prévoit, pour toutes les personnes qui souhaitent — de manière autonome et libre — mettre fin à leurs jours, le droit de demander une aide au suicide. Cependant, le deuxième article dispose que “ toute personne peut ” — nul ne peut être obligé — « apporter de l’aide à une autre personne qui, par une volonté autonome et libre, souhaite mettre fin à sa vie ». Comme indiqué à l’art. 3, les conditions — pour qu’une personne, âgée de plus de dix-huit ans, soit considérée comme ayant une volonté autonome — sont, d’abord et avant tout, qu’elle soit capable de former sa volonté librement et sans être influencé par un trouble mental aigu, puis qu’elle connaisse « toutes les informations pertinentes pour prendre sa décision », en partant du principe qu’elle a également connaissance des alternatives au suicide. Enfin, la décision de se suicider doit être prise sans influence ni pression et doit être durable et ferme. Sur ce dernier point, le législateur envisage à l’art. 6 al. 4, afin d’examiner la décision durable et ferme, un délai de 10 jours entre la consultation en centre spécialisé — dans lequel la personne qui souhaite mourir a été conseillée au plus tard 8 semaines avant la consultation médicale — et la consultation avec le médecin. Il convient également de rappeler que le législateur allemand relève que le Bundesverfassungsgericht a précisé que l’encadrement juridique du suicide assisté constitue une mission de protection de l’Etat imposée par la Constitution ; donc, d’une part, la loi ne peut entraver cette mission et, d’autre part il faut éliminer les obstacles matériels — tels que ceux relatifs à l’achat de médicaments pour se suicider — qui s’immisceraient sur le chemin des personnes qui souhaitent mourir et, aussi, de celles qui souhaitent les aider. Ce qui mérite le plus d’attention, c’est que la proposition de loi allemande n’exige pas la présence d’une maladie — irréversible et source de souffrances physiques et/ou mentales intolérables — pour reconnaître le droit de demander une aide au suicide, le législateur allemand se bornant à considérer la maladie comme une simple possibilité qui ne ferait qu’obliger le médecin à informer la personne des traitements possibles. De plus, en vertu de l’article 5§7, le conseillant devra indiquer sur attestation s’il a des doutes sur le fait que le souhait de se suicider n’est pas dicté par une volonté libre et autonome, cette attestation devant être remise au médecin.
Les lois espagnole et belge, en revanche, délimitent les cas dans lesquels le comportement du médecin est dépénalisé. Les conditions, visées à l’art. 3 de la loi belge, listent limitativement les cas où le médecin qui pratique l’euthanasie ne commet pas d’infraction, notamment quand « le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d’une souffrance physique ou psychique[45] constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable », souffrance dont le médecin doit s’assurer de la persistance. La loi espagnole, de la même manière, impose notamment que la maladie soit grave et incurable ou sévère, chronique et invalidante, n’exigeant cependant pas que la personne dépende de traitements de maintien en vie.
L’Autriche reconnaît ce droit à la Hilfeleistung zum Selbstmord (aide au suicide) pour les patients souffrant d’une maladie terminale ou chronique, fortement handicapante et sans perspective de guérison ; l’art. 1 § 6 exige que la capacité de décision, à tous les stades de la procédure, soit « indubitable ». L’art. 3 de la loi autrichienne réécrit l’article 78 censuré par la Cour constitutionnelle et établit que « quiconque incite une autre personne à se suicider est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans » (alinéa 1) ; sera également punie toute personne qui fournit une assistance physique pour donner la mort à une personne mineure, à une personne pour un mobile répréhensible ou à une personne qui n’est pas atteinte d’une maladie au sens du §6 al. 3 de la loi sur la décision de mourir (StVfG), ou qui n’a pas été informée par un médecin conformément à l’article 7 de la StVfG ” (alinéa 2).
La loi canadienne exige elle aussi, pour que l’aide au suicide soit licite, qu’il s’agisse d’une maladie grave et incurable, physique ou mentale, de nature à causer des souffrances profondes et intolérables. Cependant, depuis le 17 mars 2021, une réforme a eu lieu qui a abrogé la lettre d) de l’art. 241.2 (2), laquelle disposition limitait le droit d’accès à l’euthanasie aux seuls patients dont la mort était raisonnablement prévisible. Ce changement est devenu nécessaire à la suite de la décision de 2019 de la Cour suprême du Québec, qui a jugé la norme excessivement restrictive des droits de la personne. De plus, à compter du 17 mars 2023, même le patient atteint d’une maladie mentale mais dans un état de déclin irréversible, pourra accéder à l’euthanasie, s’il a manifesté cette intention avant le déclin mental. Même si la demande doit toujours être liée à la présence d’une maladie, les possibilités de recourir à l’euthanasie sont considérablement élargies.
Pour être sûr du caractère grave et incurable de l’affection, le médecin belge doit tout d’abord consulter un autre médecin indépendant, qui doit s’assurer du « caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique ou psychique » ; d’autre part, si le médecin est d’avis que le décès n’interviendra pas à brève échéance, il devra consulter un deuxième médecin indépendant pour procéder aux évaluations ci-dessus. Le médecin donc, « doit arriver, avec le patient, à la conviction qu’il n’y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation et que la demande » — réfléchie et répétée et qui ne résulte pas d’une pression extérieure — « du patient est entièrement volontaire » (art. 3, al. 2).
La loi autrichienne, à l’art. 1, § 7, énonce la procédure que le patient doit suivre pour pouvoir demander l’aide au suicide, qui prévoit que la personne doit s’entretenir avec deux médecins distincts dont l’un doit être spécialiste en soin palliatif ; ces derniers doivent confirmer, dans un rapport, que la personne est capable de prendre une décision libre et autodéterminée de mourir. La loi énumère les informations que les médecins[46] doivent fournir, parmi lesquelles, on retient les alternatives au suicide, le dosage de la préparation entraînant la mort, le mode de prise de la substance létale, les effets, les complications possibles et la possibilité d’être suivi psychologiquement. De plus, le patient devra être examiné par un psychiatre si l’un des médecins constate qu’il souffre des troubles psychiatriques relevant de maladie mentale.
En Espagne, le patient doit être correctement informé par écrit de sa situation clinique et des alternatives possibles. En ce qui concerne le caractère répété de la décision, la loi espagnole, en revanche, à l’art. 5, exige que le patient — sauf cas de nécessité et d’urgence — ait émis deux demandes écrites d’aide à mourir, qui doivent se succéder sur une période d’au moins 15 jours.
En Belgique, entre la demande écrite et révocable à tout moment du patient et l’euthanasie, il doit s’écouler au moins un mois. La loi autrichienne prévoit à l’art. 1, § 8, al. 1 que la décision de mourir (Sterbeverfügung) ne peut être établie au plus tôt que 3 mois après l’entretien avec le premier médecin, mais le délai est réduit à deux semaines lorsque la maladie est en phase terminale. D’ailleurs, conformément à l’art. 1, § 10, al. 3, la décision de mourir perd sa validité au bout d’un an si elle n’est pas suivie d’application ou dès que la personne concernée le révoque, donc la personne désirant mourir doit recommencer la procédure prévue à l’art. 1, § 7.
Selon la législation canadienne, la mise en œuvre du droit de mourir, en raison des mesures de sauvegarde visées à l’art. 241.2 (3.1) du Code criminel, doit être signée devant un témoin qui n’appartient pas au personnel de santé de l’établissement où il reçoit le traitement, qui ne bénéficie d’aucune façon du décès du demandeur et, par conséquent, indépendant; après quoi au moins deux médecins ou infirmières auxiliaires indépendants doivent vérifier que cette demande satisfait à toutes les exigences susmentionnées, en signant un avis favorable en cas d’issue positive. De plus, la personne doit être informée qu’elle peut, en tout temps et par tout moyen, retirer sa demande et, en vertu de ce droit, la loi établit un délai d’attente d’au moins 90 jours, qui peut toutefois être réduit en fonction de l’état de santé du demandeur. En tout cas, « une fois que la personne manifeste, par des paroles, sons ou gestes, un refus que la substance lui soit administrée [..] ou une résistance à ce qu’elle le soit, l’aide médicale à mourir ne peut plus lui être fourni ». Dans le cas où le personnel médical aide un sujet à se suicider en violation de ces dispositions, une infraction pénale est consacrée, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Le projet de loi C-7 prévoyait également un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes pour procéder à un examen approfondi des dispositions relatives à l’aide médicale à mourir afin de discuter et d’arriver à un rapport qui sera présenté au Parlement sur l’applicabilité de ce dernier aux mineurs, à ceux souffrant de maladie mentale et en cas de présence de demandes anticipées.
La loi belge et la loi espagnole prévoient, la première à l’art. 4 et la deuxième parmi les conditions de l’art. 5, qu’il est possible pour le médecin de pratiquer l’euthanasie sur la base d’une déclaration anticipée, pour le cas où il ne pourrait plus manifester sa volonté, si — selon la loi belge — l’affection accidentelle ou pathologique est grave et incurable ainsi que si cette situation est irréversible selon l’état actuel de la science. Sur ce point, en mars 2020 une modification a été réalisée par la Loi du 15 mars 2020 visant à modifier la législation relative à l’euthanasie, qui, en son art. 2, prévoit que les testaments dressés ou renouvelés après la date d’entrée en vigueur de la loi sont valables pour une durée indéterminée, alors qu’il était auparavant établi qu’ils perdraient leur validité au bout de cinq ans. Le Chapitre V de la loi belge, intitulé “ la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation ”, régit le fonctionnement de cette commission, composée de 16 membres dont 8 médecins, 4 professeurs de droit ou avocats ainsi que d’autres membres issus de milieux spécialisés dans la problématique des patients atteints d’une maladie incurable. La commission doit vérifier que l’euthanasie a été effectuée selon les conditions et modalités prévues par la loi et doit statuer dans un délai de deux mois. Cependant, il faut souligner que, le 12 janvier 2022, la Cour Constitutionnelle belge a été saisie par le Tribunal correctionnel de Termonde, de deux questions préjudicielles quant à l’interprétation de la loi belge sur l’euthanasie[47]. En effet, la loi ne distingue pas entre le non-respect des conditions de fond et celles de procédure puisque, dans les deux cas, le médecin est poursuivi pour “ meurtre par empoisonnement « . La seconde question porte quant à elle sur la non-différenciation par la loi entre le médecin qui ne respecte pas les conditions posées par la loi de 2002 et toute autre personne qui décide de tuer autre personne par empoisonnement. L’affaire est toujours pendante devant la Cour.
Il est reconnu par la loi belge (art. 14) la possibilité pour le médecin de refuser de donner suite à une demande d’euthanasie, en précisant les raisons et en informant le patient ou la personne de confiance. Cependant, la modification apportée en 2020 prévoit que, si le médecin consulté refuse de pratiquer l’euthanasie, il doit en informer la personne ou le curateur en expliquant les raisons, au plus tard sept jours après la formulation initiale de la demande. Dans tous les cas — et également en cas de refus du médecin pour des raisons idéologiques — la modification législative prévoit que « le médecin qui refuse de donner suite à une requête d’euthanasie est tenu de transmettre au patient ou à la personne de confiance les coordonnées d’un centre ou d’une association spécialisé en matière de droit à l’euthanasie et, à la demande du patient ou de la personne de confiance, de communiquer dans les quatre jours de cette demande le dossier médical du patient au médecin désigné par le patient ou par la personne de confiance ». Cette nouvelle condition a soulevé un débat sur la liberté individuelle car d’aucuns estiment que le médecin qui refuse de pratiquer l’euthanasie serait en quelque sorte contraint d’y participer indirectement, puisqu’il doit indiquer à qui le patient doit s’adresser.
En Espagne, la Comisión de Control y Evaluación — un organe administratif[48], sans équivalent dans les systèmes juridiques régissant la matière, créée dans chaque communauté autonome de l’Etat et composé d’au moins sept membres dont des médecins et des avocats — est compétente pour vérifier le respect des procédures par un double système de contrôles : ex ante et ex post. L’art. 10 de la loi espagnole prévoit, en effet, que la commission procède à un contrôle préventif des besoins et des antécédents cliniques du patient, à la suite duquel elle donnera ou non son approbation à la procédure. Dans les cinq jours qui suivent le décès du patient, puis, selon une procédure visant à préserver l’anonymat, un peu semblable à ce qui est prévu en Belgique, la commission procède à un contrôle ultérieur (article 12). Si la commission constate des irrégularités, elle peut ordonner au centre de santé d’ouvrir une enquête. Sur ce dernier aspect, en Espagne — mais aussi en Autriche — l’exercice du droit à l’objection de conscience est reconnu et, de plus, c’est la Comisión de Control y Evaluación qui est compétente pour évaluer la plainte du patient suite au refus motivé par le médecin d’accorder une aide à mourir.
Au Canada, même après les changements apportés par le projet de loi C-7, l’article 241.2 c.p. « n’a pas pour effet d’obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l’aide médicale à mourir », comme spécifié en son paragraphe 9.
D. Les propositions législatives italienne et française
Suite à l’ordonnance de la Cour constitutionnelle n. 208/2018, en Italie[49], deux voies différentes ont été empruntées : le Parlement s’est orienté vers la discipline de l’assistance médicale au suicide (discipline visant à ne pas inclure cette matière dans l’article 580 du code pénal et donc à la rendre légale), tandis qu’une question référendaire a été proposée sur le sujet de l’euthanasie. En ce qui concerne les travaux parlementaires, quatre projets de loi ont été présentés à la Chambre des députés en 2019[50], qui ont ensuite été fusionnés, avec d’autres, dans le texte unifié sur les dispositions relatives à l’aide médicale à mourir, projet de loi discuté pour la première fois à la Chambre le 13 décembre. Le projet de loi définit à l’article 2 la mort volontaire assistée — ou la mort causée par un acte autonome — par lequel il est mis fin à la vie d’une manière volontaire, digne et consciente, avec le soutien et sous le contrôle du Service national de santé. Dans le sillage des dispositions de la Cour constitutionnelle, la personne qui peut accéder à l’aide médicale à mourir doit être atteinte d’une pathologie irréversible de mauvais pronostic ou porteuse d’un état clinique irréversible, qui provoque des souffrances physiques et psychologiques qu’il trouve absolument intolérables.
La procédure référendaire suivait un autre scénario ; par la technique du découpage normatif, la question visait en effet à restreindre le champ d’application de l’art. 579 c.p. (meurtre de la partie consentante), dont la législation qui aurait résulté n’aurait pas puni le meurtre de la partie consentante que dans les cas limitativement énumérés par la loi. Dans le même temps, les limites envisagées par la Cour constitutionnelle — et tracées dans le seul cadre de l’euthanasie — ne seraient pas garanties. La Cour constitutionnelle italienne a déclaré le 15 février 2022, dans un communiqué de presse, la question référendaire irrecevable ; selon la Cour en effet, « à la suite de l’abrogation, bien que partielle, de la loi sur l’homicide par consentement, à laquelle la question vise, ne serait pas préservée la protection minimale constitutionnellement nécessaire de la vie humaine, en général, et en particulier de celle des personnes faibles et vulnérables ». Cependant, il convient de rappeler qu’une partie de la doctrine italienne reconnut que la “scriminante” procédurale ne s’appliquerait pas seulement à la norme sur l’aide au suicide — objet d’examen – mais également à celle relative au meurtre d’une partie consentante. En effet, la Cour constitutionnelle, avec l’ordonnance de 2018, ne semblerait pas faire de distinction entre le cas où le patient s’injecte la substance qui l’aide à mourir dignement et la situation où l’acte est directement réalisé par le médecin dès lors que le cœur du débat demeure le droit de mourir dignement, dans les conditions énumérées par la Cour, et de ne pas subir de discrimination par rapport aux autres patients qui ont la possibilité de s’autodéterminer. Une confirmation de cette ligne d’interprétation pourrait être envisagée dans le fait que le président de la Cour constitutionnelle, Giuliano Amato, lors de la conférence de presse du 16 février 2021, n’a pas exclu la possibilité que, en soulevant une question de légitimité constitutionnelle de l’art. 579 c.p., la question pourrait être résolue en adoptant la solution conçue pour l’art. 580 c.p. par l’arrêt n°. 242/2019.
L’art. 2 de la proposition de loi française, d’autre part, décrit un cadre juridique rigoureux permettant de rendre effective l’aide active à mourir dans le cas de pathologies aux caractères graves et incurables avérés, et infligeant une souffrance physique ou psychique. Il serait possible d’accéder à l’aide active à mourir à travers la rédaction de directives anticipées (art. 5) ou, en l’absence de directives anticipées, la personne de confiance — désignée avant que le patient ne puisse plus exprimer sa volonté (art. 4) — pourrait demander l’aide active à mourir (art. 8). De surcroît l’art. 6 prévoit d’instaurer une Commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de mourir dans la dignité chargée de tenir le registre national automatisé.
Conclusion
Il ne fait aucun doute que la fin de vie est un objet d’étude éthiquement sensible lié aux perceptions subjectives des différentes réalités juridiques. Cependant, les législateurs devraient prendre soin de discipliner l’organe – quel que soit son nom – chargé de vérifier (non seulement en aval, mais aussi en amont) le respect des conditions matérielles et procédurales décrites dans les lois. En fait, même là où cette discipline existe (en Belgique ou en Espagne), s’est posé la problématique qu’un défaut de vérification adéquate par ledit organe de contrôle puisse conduire à une application non rigoureuse des conditions strictes esquissées par le législateur. En l’absence, il y aurait un risque d’abus à l’instar des systèmes juridiques qui n’ont pas adopté de discipline détaillée et contraignante.
F. Camillieri
[1] Voir particulièrement A. Le Quinio, Recherche sur la circulation des solutions juridiques : le recours au droit comparé par les juridictions constitutionnelles, LGDJ, Paris, 2011. Plus généralement voir A. Le Quinio (dir.), Les réactions constitutionnelles à la globalisation, Bruylant, Bruxelles, 2016, not. p. 341.
[2] H. Muir Watt, « La fonction subversive du droit comparé », RIDC, n° 3, 2000, p. 503-527, p. 503.
[3] A. Le Quinio, Recherche sur la circulation des solutions juridiques : le recours au droit comparé par les juridictions constitutionnelles, LGDJ, Paris, 2011, p. 429-430.
[4] C’était déjà, d’une certaine manière, la posture du professeur Frédéric Sudre qui démontrait, en 2015, l’instrumentalisation du « consensus européen » par la Cour EDH pour déterminer la marge d’appréciation des États, (F. Sudre, « La mystification du “consensus” européen », JCP G, n° 50, 2015, doctr. 1369).
[5] BVerfGE 153, 182, 26 février 2020, §26-32.
[6] Idem, §26.
[7] CC colombienne C-233/2021, point 346, p. 87.
[8] Idem, point 347, p. 87.
[9] Idem, point 348-353, p. 88-89.
[10] Cour constit. portugaise, Acórdão n° 123/2021, 15 mars 2021, §27.
[11] Idem, §27.1.
[12] Ibid.
[13] Voir infra.
[14] Cour suprême du Canada, Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, §8.
[15] Idem, §9.
[16] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792, §423.
[17] Cour supérieure du Québec, Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792, §427.
[18] Haute Cour de justice, Conway v Secretary of State for Justice, [2017] EWHC 640, §123.
[19] Ibid.
[20] CC colombienne C-233/2021, point 164, p. 42.
[21] Cf. II de cette Chronique, A. Mauras.
[22] Idem, point 165, p. 43.
[23] Idem, point 404, p. 100-101.
[24] Idem, point 405, p. 101.
[25] Idem, point 406, p. 101.
[26] Cela n’est vrai qu’à une différence près qui est d’importance. Le juge allemand s’est prononcé sur le suicide assisté et le juge colombien sur l’euthanasie. Peut-être serait-il possible de distinguer des conditions plus strictes pour l’euthanasie que pour le suicide assisté, l’acte létal étant le fait de l’individu désirant mourir dans le cas du suicide assisté à la différence de l’euthanasie.
[27] Cf. II de cette Chronique, A. Mauras.
[28] BVerfGE 153, 182, 26 février 2020, §252-254.
[29] Idem, §255.
[30] Idem, §256.
[31] Idem, §257.
[32] Ibid.
[33] Ibid.
[34] E. Durkheim, Le suicide, Étude de sociologie [1897], Paris, PUF, 1969, p. 14.
[35] Cour constit. portugaise, Acórdão n° 123/2021, 15 mars 2021, §40.
[36] Corte cost., n. 207, 24 octobre 2018, §11.
[37] Ibid.
[38] Ibid.
[39] La proposition de loi soumise en avril 2021 est portée par Katrin Helling-Plahr membre du parti libéral FDP et par Karl Lauterbach membre du parti social-démocratie.
Bundestag, 19 avril 2021, “ Entwurf eines Gesetzes zur Regelung der Suizidhilfe ”, Drucksache 19/28691, disponible en ligne : https://dip.bundestag.de/vorgang/gesetz-zur-regelung-der-suizidhilfe/276704.
[40] Notamment, dans les débats parlementaires tenus en Assemblée plénière au Congrès des députés le 10 septembre 2020, entre les arguments présentés par les parlementaires qui s’opposent à la consécration du droit à l’euthanasie, se rappelle l’amendement défendu par le groupe VOX, propos portés par la députée Ruiz Solás. A l’appui de la position contraire à la discipline de l’euthanasie, il est fait référence à la discipline belge, estimant que l’Espagne aurait fini “par réformer la loi pour l’accommoder aux nouvelles demandes d’une classe politique à chaque fois plus égoïste et plus perverse. Pouvez-vous nous garantir, au cas où, qu’il ne va pas se produire ici, ce qu’il est en train d’arriver […] en Belgique, où l’euthanasie pratiquée pour des cas exceptionnels de maladie en phase terminale ou extrêmement douloureuse est désormais admise pour des maladies chroniques, voire même, pour des cas de dépression ou de solitude ? La Belgique est passée de 234 cas en 2003 à 2300 en 2017 […]. Il est terrible de penser qu’au moment le plus vulnérable de la vie, une partie de la société et ses représentants politiques insistent dans cette voie de solution et mettent les personnes âgées face au dilemme suivant, arrêter d’être une charge, au lieu de les considérer orgueilleusement parce qu’ils ont apporté beaucoup durant leur vie et qu’ils ont encore beaucoup à apporter ”.
[41] Au contraire, la loi belge a dépénalisé l’euthanasie sans modifier aucune disposition du code pénal, qui n’incrimine pourtant pas le comportement de ceux qui mettent fin à la vie d’autrui à la demande expresse de cette personne.
La Loi sur l’aide médicale à mourir de 2016, d’autre part, a introduit les articles 241.1, 241.2, 241.3 et 241.4 dans le Code criminel canadien, légalisant le cas d’aide au suicide en présence des conditions indiquées par la loi elle-même.
[42] Dans le débat parlementaire espagnol, l’euthanasie est décrite comme un nouveau droit de l’homme.
[43] M. Díaz y García Conlledo, S. BarBer Burusco, Participación en el suicidio y eutanasia. Esbozo del tratamiento penal en España, en Revista Nuevo Foro Penal, Universidad EAFIT, Medellín vol. 8, n. 79 julio-diciembre, 2012.
[44] Aussi, le conseil de l’Ordre des médecins soit la commission d’évaluation et de contrôle de l’euthanasie considère que l’assistance prêtée par un médecin au suicide d’un patient relève du champ d’application de la loi sur l’euthanasie, si les conditions qui y sont énoncées sont remplies. Voir J. Herremans, Mourir dans la dignité. La loi belge relative à l’euthanasie, une réponse légale, en Frontières, vol. 24, n° 1-2/2012, p. 79.
[45] La loi du 22 mars 2014 qui étend la pratique de l’euthanasie également aux mondes dotés de la capacité de discernement, en revanche, ne fait référence qu’à la souffrance physique et non à la souffrance mentale également.
[46] Dans tous les cas, la loi autrichienne à l’art. 1, § 12 interdit non seulement la possibilité de faire de la publicité pour l’assistance au suicide, mais il interdit l’assistance professionnelle au suicide, car “ il est interdit de proposer une assistance à des personnes souhaitant mourir ou de proposer une assistance à des personnes souhaitant mourir ou de la leur fournir si l’on se fait promettre ou si l’on accepte en échange, pour soi-même ou pour un tiers, des avantages économiques allant au-delà du remboursement des dépenses justifiées ”.
[47] Requête du 12 janvier 2022, n° 7727 (NL).
[48] La loi étatique, qui se limite à l’essentiel, délègue aux communautés autonomes le soin de définir plus en détail la matière. Voir P.Q. Cardinali, La legalizzazione dell’eutanasia in Spagna ed un confronto con la normativa sul “fine vita” in Italia, en Giurisprudenza penale, n. 4/2021, p. 3.
[49] Le législateur italien n’est intervenu en la matière, pour le moment, qu’avec la loi no. 219/2017, qui réglemente le testament biologique et la possibilité de refuser un traitement thérapeutique même s’il est vital.
[50] Les propositions de la loi n. 1586 et 1655 avaient posé des problèmes car, a priori, ils ne distinguaient pas l’assistance au suicide et l’euthanasie, puis, ils ne reconnaissaient pas le droit à l’objection de conscience (reconnu pourtant par le projet de loi soumis à l’examen de la Chambre) des médecins personnel et, enfin, ils ont omis d’exclure de l’application de la discipline les sujets souffrant d’une maladie mentale (avec pour conséquence que, comme dans le cas du Canada, il aurait pu être possible d’étendre le droit de mettre fin à leurs jours ).
La proposition de loi n. 1875 s’était révélé plus précis sous les profils qui viennent d’être mis en évidence et comme les deux autres il s’oriente vers la suppression de la peine d’aide au suicide (art.580 du code pénal) en présence de certaines conditions. En revanche, le projet de loi de 1888 ne reconnaissait pas le droit de l’individu à avoir droit à la vie et, par conséquent, seule l’application d’une circonstance atténuante serait envisagée pour ceux qui facilitent le suicide d’autrui ; celui-ci où le fait avait été commis “ contre une personne maintenue en vie uniquement au moyen d’un maintien en vie et souffrant d’une pathologie irréversible source de souffrances intolérables ” et l’auteur “ vit en permanence avec le patient et agit dans un état de trouble grave déterminé par le souffrance de la même chose « .
La proposition de loi n. 1875, à la différence des lois belge et espagnole, ne permet pas l’accès aux pratiques euthanasiques ou au suicide assisté par déclaration préalable.