Vulnérabilité et mobilité des personnes
CHAPITRE 4 – Vulnérabilité et mobilité des personnes
Les personnes qui traversent les frontières des Etats, pour des raisons diverses, font aujourd’hui l’objet, notamment en France, d’un traitement juridique rigoureux tant est sensible, dans l’opinion publique, la question de la gestion des flux migratoires. Les personnes n’ayant pas la nationalité française et se trouvant sur le territoire national ou cherchant à y entrer se retrouvent ainsi classées, en fonction de leur situation, au sein de plusieurs catégories juridiques (étranger en situation régulière, irrégulière, réfugié, demandeur d’asile…). Souvent vulnérables, ces personnes souffrent aussi de la sévérité et de l’extrême rigidité du régime juridique qui leur est appliqué. Le recours à la notion de vulnérabilité, de nature à favoriser une approche globalisante, pourrait permettre d’améliorer les garanties offertes à ces personnes en offrant une prise en charge plus casuistique.
CONTRIBUTIONS :
Débats
Les réfugiés et les demandeurs d’asile : illustration d’une disqualification à la protection.
Caroline LANTERO, Maître de conférences en droit public, Université Clermont-Auvergne.
Les libres propos qui suivent traduisent la façon dont ils ont été tenus lors de la table ronde et la volonté de démontrer qu’en certaines matières, la création de catégories juridiques de personnes que l’on dit vouloir protéger peut avoir comme effet de les rendre encore plus vulnérables. Et que, sans que l’équation ne soit toujours parfaitement exacte, les approches globalisantes peuvent au contraire avoir tendance à apporter de meilleures garanties.
I – Effets pervers de la sub-catégorisation
La protection du réfugié orchestrée par le droit international ne connait qu’un sujet : le réfugié. La création du demandeur d’asile comme objet juridique a eu pour effet de rétrograder les réfugiés au rang de « potentiels réfugies » (A). Puis, au sein des demandeurs d’asile, le droit a voulu isoler les plus vulnérables, isolant ainsi les autres des garanties (B).
A – Du réfugié au demandeur d’asile : le déclassement
Le réfugié dispose d’une protection internationale avec la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés qui donne une définition du réfugié et prévoit les conditions et modalités de sa protection. Ce texte universel reste le socle de la protection juridique avant, pendant et après la reconnaissance du statut.
Or, on rencontre plusieurs termes et on oppose généralement le réfugié au « demandeur d’asile » dont l’objectif est de se voir reconnaître le statut de réfugié afin de bénéficier de la protection juridique et de l’assistance matérielle prévues par la Convention de Genève.
L’invention du demandeur d’asile
L’expression « demandeur d’asile » est totalement absente de la Convention de Genève. Elle n’apparait qu’en 1985, au décours de la Convention Schengen, et infiltre le droit positif communautaire, qui s’inscrit alors déjà dans une recherche de protection des frontières extérieures et ne changera pas de cap.
La coexistence des terme « réfugié » et « demandeur d’asile » crée inévitablement une distinction et tend à leur donner une valeur hiérarchique et chronologique. La demande d’asile devient une étape très identifiée et le demandeur d’asile est regardé comme un réfugié « potentiel ». Or, le réfugié est en droit, la personne définie à l’article 1A2 de la Convention de Genève qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors de pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». A la lecture de cette définition, le demandeur d’asile peut donc être un réfugié. Pourtant, il n’aura le statut de réfugié que lorsqu’un État d’accueil, par l’intermédiaire d’une procédure administrative et/ou juridictionnelle, l’aura décidé. Dans l’attente, son statut parait indéfini et trouble. Pour y remédier, les Etats légifèrent sur les droits des demandeurs d’asile, leur en donnent d’ailleurs, ce qui leur permet de justifier la création de cette nouvelle catégorie, mais surtout de disposer d’une marge de manœuvre dont ils étaient privés avec l’intouchable Convention de Genève.
Mais la Convention de Genève avait tout prévu. En identifiant le « réfugié résidant régulièrement », elle vise celui qui s’est vu reconnaître le statut et lui reconnaît des droits spécifiques (art. 17, 19, 21, 23, 24 et 28 de la Convention). En identifiant le « réfugié se trouvant régulièrement sur le territoire », elle vise ce que l’on désigne désormais comme « demandeur d’asile » et lui reconnait des droits spécifiques (art. 18, 26, 27, 28, 32). En désignant le « réfugié » en général, elle vise toutes les situations.
Une sous-catégorie
Dès lors qu’au sein des candidats au statut de réfugié, il y nécessairement des individus qui ne satisfont pas à la définition de la Convention de Genève, l’expression « demandeur d’asile » devient, par abus de langage, la catégorie des « faux réfugiés » eux-mêmes rapidement considérés comme des fraudeurs. De cette utilisation du terme, une très nette différence est marquée. Chronologique d’abord, car la demande d’asile devient une étape vers le statut de réfugié. Hiérarchique aussi car le terme « réfugié » ne désigne plus désormais que celui à qui a été reconnu le statut (le vrai réfugié, le bon réfugié ») et celui qui demande de statut et dont on ne sait pas encore s’il le mérite.
En 1951, un réfugié était un réfugié. Depuis quelques décennies, un réfugié est un demandeur d’asile jusqu’à preuve du contraire. Il est donc un « non réfugié », voire un « faux réfugié » …jusqu’à preuve du contraire. Le réfugié de la Convention de Genève – a priori intrinsèquement vulnérable dès lors qu’il est une personne contrainte à la migration – a été déclassé par une sub-catégorisation.
B – Du demandeur d’asile au demandeur d’asile vulnérable
Mais cela ne s’arrête pas là. Le droit de l’Union européenne a considérablement évolué depuis 1985 et les personnes désignées comme « demandeurs d’asile » se sont, il est vrai, vues reconnaître un certain nombre de droits. Ceux-ci semblent mieux précisés que dans la Convention de Genève, où ils sont pourtant prévus si on veut la lire correctement. Au sein du régime d’asile européen commun notamment, une directive dite « Accueil » (Directive 2013/33/UE du 23 juin 2013) a énuméré des normes relatives aux modalités et conditions d’accueil des demandeurs d’asile tels que les soins de santé, les conditions matérielles d’accueil, l’éducation. Elle prévoit également qu’en matière d’accueil, les États membres doivent tenir compte « de la situation particulière des personnes vulnérables » (art. 21), et énumère les catégories concernées : « les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine ». Dans la loi de transposition française du 29 juillet 2015, cette évaluation de la vulnérabilité a été confiée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui doit procéder à cet examen « lors d’un entretien » (art. L744-6 du CESEDA). Or, là où les personnes identifiées comme vulnérables doivent bénéficier d’un accueil et d’un accompagnement renforcés, elles deviennent en pratique celles qui pourraient avoir accès à des conditions d’accueil, tout court. Le sous-dimensionnement chronique des moyens d’accueil (hébergement, accompagnement social) et l’impossibilité de garantir les droits proclamés implique de faire des choix. La vulnérabilité de certains demandeurs d’asile sous-tend ici que d’autres sont moins vulnérables, et que ceux-là bénéficieront moins, ou ne bénéficieront pas, des conditions d’accueil prescrites.
Le réfugié de la Convention de Genève est ainsi passé au tamis de la vulnérabilité à plusieurs reprises. Déclassé au rang de demandeur d’asile, ses conditions d’accueils seront mieux garanties s’il est identifié comme « vulnérables ». Ensuite, l’examen de sa demande d’asile pourra faire l’objet d’une attention et de « garanties procédurales » particulières si l’OFPRA estime que la personne est vulnérable (art. L 723-3 du CESEDA). Pour tous les autres. Les « non vulnérables », la mécanique de rationalisation des procédures (examen accéléré de la demande d’asile notamment) et des politiques d’accueil, leur sera applicable.
II – Revenir à la catégorie de « réfugié »… et savoir en sortir
La sub-catégorisation éloigne de plus en plus le réfugié de la Convention de Genève de la présomption de vulnérabilité intrinsèque à sa situation laquelle, pour mémoire, est celle d’une personne contrainte de fuir son pays (A). En outre, et inversement, le traitement juridique des réfugiés démontre que dès qu’on le sort de sa propre catégorie, sa protection gagne en effectivité (B).
A – La vulnérabilité intrinsèque du réfugié
Le propos tendant à dénoncer des reconnaissances de vulnérabilité est toujours délicat. C’est évidemment l’effet pervers de la catégorisation excessive qui est souligné, en tant qu’elle conduit finalement assez peu à toujours mieux protéger les personnes vulnérables, et plutôt à moins bien protéger des personnes identifiées comme moins vulnérables, en oubliant qu’elles le sont dès l’énoncé.
Il s’agit ici de rappeler que le réfugié de la Convention de Genève est déjà une catégorie juridique à part entière, qui s’intéresse déjà à des sujets intrinsèquement vulnérables. La Convention de Genève elle-même avait pour vocation de sortir du traitement catégoriel des réfugiés en œuvre jusqu’alors (divers arrangements et conventions propres aux réfugiés russes et arméniens, puis turcs, puis assyriens, puis provenant d’Allemagne, puis provenant d’Autriche), démonstration étant faite de l’échec des catégories. « Alors que les instruments internationaux antérieurs ne s’appliquaient qu’à des groupes particuliers de réfugiés, la définition du terme “réfugié” contenue dans l’article 1 de la Convention de 1951 est conçue en termes généraux », précise le HCR dans la note introductive de la Convention. Mais la Convention de Genève avait encore eu la faiblesse de limiter initialement son application aux évènements survenus avant 1951, ce qui a dû être rectifié par le protocole de New York de 1967. Désormais universel (à quelques exceptions près pour les Etats qui n’ont pas opté pour la levée de la limite géographie relative à la région d’origine des réfugiés), ce texte protège avant tout la personne contrainte de fuir son pays du fait d’une crainte objective de persécution. La CEDH a reconnu la vulnérabilité intrinsèque du demandeur d’asile (21 janv. 2011, M.S.S. contre Belgique et Grèce, n°30696/09), approche qui a d’ailleurs pu être critiquée comme trop globalisante[1].
A notre sens et sans asséner que tous les réfugiés sont vulnérables, il convient de revenir à l’esprit du texte international, à la définition même du réfugié qui, à la seule lecture de l’énoncé, doit laisser émerger une présomption de vulnérabilité. Celle-ci pourra être renversée lors de l’examen individuel de la situation de la personne. La globalisation de la vulnérabilité n’empêche pas l’individualisation de la protection, et le droit des réfugiés n’est d’ailleurs pas hostiles aux catégories (motifs de persécution, notion de groupe social, violences sexo-spécifiques). C’est essentiellement une question de posture de départ. Aujourd’hui, cette posture est de penser les choses à l’envers : il ne s’agit pas d’un demandeur d’asile suffisamment vulnérable pour bénéficier des conditions d’accueil et de garanties procédurales renforcées ; il ne s’agit pas d’un réfugié puisqu’il est demandeur d’asile.
B – L’élévation du réfugié au rang de justiciable « de droit commun »
Et inversement, moins on catégorise, plus la protection est effective. C’est parce que le réfugié est regardé comme un être humain qu’il a accès à la protection des droits de l’homme. C’est parce qu’il est regardé comme un justiciable et comme un administré, qu’il a accès aux garanties les plus essentielles. Ces droits-là sont protégés et bien mieux garantis que s’ils étaient invocables à partir d’un certain seuil de vulnérabilité. Quelques illustrations tirées d’une lointaine recherche[2] peuvent être fournies.
Le statut d’être humain du réfugié
Si l’attachement emblématique (parfois seulement proclamatoire certes) des États aux droits de l’homme n’a pas d’équivalent vis-à-vis du droit des migrants (notamment les migrants vulnérables que sont les réfugiés) parce qu’ils se confrontent à la souveraineté des États[3], des brèches leur sont ouvertes lorsque leur qualité de « migrants » (notamment non invités) s’efface au profit de leur seule qualité d’« humain ». Les principales protections juridiques au bénéfice des réfugiés doivent leur existence et parfois leur progrès, aux réflexions issues des droits de l’homme et/ou des droits « fondamentaux ». On connaît l’avancée considérable apportée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui s’applique selon un critère de justiciabilité et non de nationalité ou de régularité de la résidence (art. 1 de la Convention), et qui a conduit la Cour à reconnaître l’applicabilité de la Convention à toute personne physiquement présente sur le territoire des pays signataires (CEDH, 20 mars 1991, Cruz Varas et autres c. Suède, Série A 201 ; CEDH, 26 mars 1992, Beldjoudi c/ France, Série A n° 234-A). On se souvient – pour illustration, car les apports de la Convention au droit d’asile sont nombreux – également de l’interprétation très dynamique que la Cour a faite de l’article 3 de la Convention prohibant la torture ou toute peine ou traitement inhumains et dégradants, lequel est devenu un élément majeur de la protection des réfugiés et a contribué à consolider le principe de non-refoulement inscrit dans la Convention de Genève (CEDH, 30 oct. 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume Uni, Série A 215 ; CEDH, 15 nov. 1996, Chahal C/ Royaume-Uni, Recueil 1996-V; CEDH, 17 décembre 1996, Ahmed c/ Autriche, Recueil 1996-VI).
Le statut de justiciable du réfugié
L’une des meilleures protections réside dans les garanties procédurales offertes au réfugié dont la demande d’asile est examinée. On relève pourtant deux obstacles majeurs. Le premier est l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à un procès équitable) pour toutes les procédures relatives à l’asile (Conseil de l’Europe, Guide sur l’article 6 de la Convention, 2018). Le second est la tendance dans lequel s’inscrit le droit français, consistant à enfermer de nouveau et de plus en plus le réfugié dans sa catégorie juridique, sous l’impulsion du droit de l’Union européenne (Rétention, procédure accélérée, etc.). Néanmoins, et si dérogatoire soient-ils, les droits des réfugiés ne peuvent faire totalement l’impasse sur les grands principes gouvernant la justice. Dans une décision du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel utilise pour la première fois l’expression « garanties juridictionnelles de droit commun » ouvertes aux étrangers (CC, 3 septembre 1986, loi relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, DC n°86-216). Et dans une décision de 1993, il évoque à de nombreuses reprises les droits juridictionnels ouverts aux demandeurs d’asile, et précise que ces derniers « doivent bénéficier de l’exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés » (CC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, DC n°93-325). Quant aux droits de la défense, largement consacrés par le juge administratif, et validés constitutionnellement en tant que « Principe Fondamental Reconnu par les Lois de la République », le Conseil Constitutionnel, dans cette même décision de 1993 que la personne qui se réclame du droit d’asile doit être à même de les exercer. Ces principes
Il en va ainsi du droit à un recours effectif, qui comprend non seulement l’existence d’un recours, mais aussi son caractère suspensif sans lequel il est ineffectif (art. 13 C°EDH, CEDH, 26 avril 2007, Gebremedhin c/France, req. no 25389/05), du droit à un conseil pendant la procédure, etc. Au-delà de la réception de la Convention de Genève et des instruments de droits de l’homme pertinents pour la protection des réfugiés, les droits internes permettent surtout aux réfugiés de revendiquer l’application de leurs droits.
Situations de vulnérabilité et mobilité des personnes.
Gaëlle LICHARDOS, Maître de conférences, Institut catholique de Toulouse.
La vulnérabilité est un thème d’une vibrante actualité, récurrent quelle que soit la discipline[4] et de plus en plus étudié en Droit[5], malgré des débuts un peu timides[6]. Dès lors, l’essor des théories relatives aux droits et libertés fondamentales ainsi que les volontés sociales du renforcement de ces droits ont abouti à différents sens que l’on peut – juridiquement – donner à la vulnérabilité.
Cette vague de réflexion autour de la vulnérabilité et de sa (ses ?) possible(s) signification(s) en Droit amène un débat extrêmement prolifique, transcendant les différentes disciplines juridiques et permettant une mise en valeur des perceptions relatives au cadre plus général des droits et libertés fondamentales.
Sujet « à la mode », la vulnérabilité revient de plus en plus dans les éléments de langage, dans les réflexions sociétales et plus largement dans les groupements de pensée autour des droits et libertés. Il participe ainsi à une réflexion plus globale autour de la significations de ces derniers, revenant à une perception qui pourrait sembler individualiste ( la situation de vulnérabilité concerne un individu) alors même qu’il est question de prendre en compte en réalité un type de situation indépendamment de l’individu qui la subit : il y a là de quoi sembler incohérent alors même qu’il s’agit de pragmatisme juridique classique, délaissant la théorie au profit de la pratique. Autrement dit, les droits et libertés fondamentales ne peuvent exister uniquement dans les textes, ils doivent avoir une application pratique pour être effectifs, sous peine de rester lettre morte[7] : la situation de vulnérabilité en est le reflet.
Dans le cadre imposé ici, à propos des liens entre la vulnérabilité et la mobilité des personnes, un exemple semble être particulièrement parlant : celui des étrangers et des flux migratoires.
En ce qui concerne l’étranger, il faut ici distinguer plusieurs situations possibles et plus particulièrement deux : la situation régulière et la situation irrégulière, qui peuvent constituer plusieurs niveaux de gradation d’une potentielle situation de vulnérabilité. Un étranger en situation régulière, touristique par exemple, et un migrant fuyant la guerre et sans papiers ne vivent bien évidemment pas la même chose. Il existe alors nécessairement un certain nombre de garde fous qui permettent de prendre en compte un certain nombre de situations : les procédures d’asile politique par exemple. Cependant, c’est avant tout le juge – en toute logique – qui s’est particulièrement saisi des situations de vulnérabilité : le juge national bien sûr, mais tout particulièrement les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme.
En effet si l’on accepte l’idée d’une vulnérabilité qui serait situationnelle et proviendrait d’un rapport de force démesuré dont la partie forte abuse (définition retenue ici ainsi que dans nos précédents travaux) alors il est aisé de considérer qu’il existe en toute hypothèse des situations à forte probabilité de vulnérabilité en raison d’un déséquilibre démesuré sans pour autant que la situation de vulnérabilité soit constituée. Malheureusement, force est de constater que quand un déséquilibre est trop fortement marqué, l’abus est rarement loin.
Un certain nombre d’analyses de la vulnérabilité existent, que l’on pourrait distinguer en deux grands axes : une analyse catégorielle et une analyse situationnelle, avec toutes les variantes possibles autour de ces deux axes (analyses plutôt catégorielles avec acceptation de situations, analyses plutôt situationnelle avec inclusion de catégories, analyses exclusivement catégorielles etc.) (I). Le thème de la table ronde portant sur la question de la mobilité amène en conséquent à s’interroger sur la potentielle situation de vulnérabilité relative aux étrangers, point qui sera abordé autour de trois exemples (II).
I – Bref aperçu des différentes perceptions de la vulnérabilité en droit français
Le droit français est relativement obscur en matière de vulnérabilité, la confondant parfois (mais pas toujours) avec la faiblesse. Une première interrogation peut être ici évoquée quant à savoir si la faiblesse relèverait de caractères endogènes tandis que la vulnérabilité proviendrait d’une situation particulière et relèverait donc de l’exogène. Autrement dit, la vulnérabilité relève-t-elle de l’individu en soit ou de individu situé ?
Classiquement, c’est la première hypothèse, associée à une forme de pensée particulière, qui conduit à la perception catégorielle de la vulnérabilité.
Il existe en effet un phénomène nommé processus de catégorisation qui est bien connu notamment en psychologie sociale et qui est défini par Mme Sales-Wuillemin comme « processus (qui) renvoie à une activité mentale qui consiste à organiser et à ranger les éléments d’information – appelées données – qui sont collectés dans le milieu environnant »[8]. Elle précise de plus que « le processus de catégorisation nécessite une simplification de la réalité qui se fait grâce à deux mouvements complémentaires : accentuation des ressemblances entre les éléments d’une même catégorie et des différences entre les catégories»[9]. Sans développer plus, le phénomène de catégorisation n’est pas exclusif du droit et procède ainsi d’un certain schéma relativement inconscient.
Pour certains, la vulnérabilité serait ainsi catégorielle : sont vulnérables les enfants, les femmes enceintes, les personnes handicapées ou encore les personnes âgées[10]. On notera ici une forme de perception morale de la vulnérabilité : les catégories visées sont socialement perçues comme devant être protégées parce que faibles et bénéficient (à juste titre d’ailleurs) de préjugés positifs. L’appartenance à une catégorie comme déterminant le statut de « personne vulnérable » est cependant extrêmement restrictif et pose problème : une perception catégorielle de la vulnérabilité limite nécessairement le champ de celle-ci (tout en rassurant) : ce qui appartient à la catégorie est vulnérable, ce qui n’y appartient pas de l’est pas.
Pour d’autres elle est situationnelle : à ce titre la vulnérabilité n’est plus un caractère d’une personne en raison de son appartenance à une catégorie mais provient d’une situation spécifique, d’un déséquilibre démesuré dans un rapport de force (au sens large du terme), aggravé par un abus de celle-ci[11]. La sociologie, la psychiatrie, la philosophie et de façon générale les disciplines qui s’intéressent à l’humain se sont bien évidemment saisies de la question de la vulnérabilité et parlent de situation bien plus fréquemment qu’en droit. Par exemple, le psychiatre Paul Bizouard précise à propos de la vulnérabilité qu’« en ce sens, on peut parler d’une sorte de processus qui résulterait d’interactions entre les qualités propres à l’individu en développement et les événements ou situations plus ou moins déstabilisants, stressants qu’il peut être amené à rencontrer dans son environnement, au cours de son histoire »[12].
Enfin, d’aucuns considèrent qu’elle est à la fois catégorielle et situationnelle, la Cour européenne des droits de l’Homme acceptant à la fois de considérer comme vulnérables certaines catégories (larges) de personnes, mais aussi des situations spécifiques : les personnes sous le contrôle exclusif de l’Etat[13] par exemple ou encore les populations rom[14], la CJUE s’emparant beaucoup de la notion de consommateur ou de travailleur vulnérable[15].
Ceci amène un élément tout à fait particulier : la situation de vulnérabilité, si elle provient d’un déséquilibre et d’un abus, induit une relation mais ne relève pas nécessairement d’une relation interpersonnelle. En effet, la situation de vulnérabilité peut tout autant relever d’une relation entre deux individus que d’une relation entre deux personnes, physiques ou morales : rapport à l’Etat, rapport à une personne morale de droit public, de droit privé ou international etc.[16].
Il y a donc des arguments en faveur de la catégorisation (plus de lisibilité, facilité a priori de cibler la vulnérabilité, facilité d’utilisation pour tout un chacun) mais aussi des arguments en défaveur de celle-ci : la catégorisation exclue nécessairement en clivant entre ce qui est vulnérable et ce qui ne l’est pas. Il y a ainsi un phénomène d’inclusion exclusion en matière de vulnérabilité au sens catégoriel qui constitue actuellement un fondement de réflexion (quand bien même l’idée de situation de vulnérabilité se construirait progressivement).
Or, c’est nier ici une certaine réalité que de croire que catégoriser résout tous les problèmes : si ceci a pu être vrai un temps, une telle vision ne fonctionne tout simplement pas avec la diversité de problèmes actuellement posés en matière de droits et libertés fondamentales. Il s’agit alors d’interpréter la vulnérabilité comme relevant avant tout d’une situation, d’un élément exogène et ainsi d’élargir le champ d’étude des situations de vulnérabilité.
II – Trois exemples autour des liens entre situation de vulnérabilité et situation des étrangers
En premier lieu, il s’agira d’étudier succinctement les problématiques liées à la jungle de Calais : son installation comme son démantèlement ne peuvent que questionner du point de vue de la vulnérabilité la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’Homme) précisant que : « la logique de tri entre différentes catégories de personnes migrantes appliquée dans certains centres empêche un accueil inconditionnel et conduit à la fuite de certains, notamment les « dublinés », par peur d’être renvoyés à l’étranger. Elle est l’une des causes des situations de précarité et de vulnérabilités persistantes que déplorent les associations qui viennent en aide à ces personnes en errance et en danger »[17]. La CNCDH s’est ainsi largement préoccupée de la question, au travers notamment d’un avis mettant en évidence la situation de vulnérabilité des migrants[18] en raison de multiples facteurs tels que le « parcours migratoire et les conditions de vie »[19] des migrants, les jugeant « intrinsèquement vulnérables »[20] en raison de la situation de laquelle elles sont placées. Il est bien évident ici que la catégorie au sens classique du terme c’est-à-dire réduite au quadriptyque femme enceinte- personne âgée – enfant – personnes handicapées n’a plus lieu d’être : ces derniers sont concernés par la situation sans aucun doute, mais elle transcende ces catégories. Les migrants de la jungle de Calais étaient tous en situation de vulnérabilité, du fait du contexte dans lequel ils étaient placés et non plus de l’appartenance ou de la non appartenance à une catégorie.
En deuxième lieu, il est possible d’évoquer la question des mineurs migrants : peut-on considérer qu’il s’agit là d’une double situation de vulnérabilité qui serait à la fois catégorielle et situationnelle ? S’agit-il en réalité d’une seule situation avec multiplication de facteurs dont certain seraient endogènes et d’autres exogènes ? En tout état de cause, la question fait débat: actuellement, les interrogations sont fortes autour de la question de l’enfermement des mineurs en centre de rétention[21], faisant écho à l’affaire Mubilanzila Mayeka contre Belgique[22], la condition de migrant se mêlant à celle de mineur. Il y aurait ainsi une forme de présomption de vulnérabilité en raison de l’appartenance à une catégorie désignée vulnérable dans une situation appréciée comme relevant de la vulnérabilité : une double peine en quelque sorte.
Enfin, en troisième et dernier lieu, la question des flux migratoires peuvent être abordés de façon plus générale. Dans un premier temps, il semble utile de rappeler une évidence : la question des flux migratoires n’est pas récente et à toujours posé difficulté. D’aucuns auront la mémoire courte et oublierons avec une déconcertante facilité au moment où se posent les questions des flux migratoires des populations syriennes fuyant la guerre, que l’Europe, il n’y a pas si longtemps, était à feu et à sang, et connaissait aussi les flux migratoires. Ces flux migratoires, dont les causes sont multiples (guerre, économie, contextes sociaux, contextes environnementaux etc.) mettent en évidence une situation spécifique, de vulnérabilité qui transcende une fois de plus des caractères endogènes. Un exemple des flux migratoires bien connu, a malheureusement mis en exergue cette situation de vulnérabilité dont sont victimes les populations rom : « groupe vulnérable » aux yeux – entre autres – de la Cour Européenne, celle-ci leur a littéralement construit un statut de protection autour de l’idée de groupe particulièrement vulnérable, au regard de leur histoire[23], de leur perception par les autres groupes et de leur situation actuelle[24]. La question des catégories endogènes est ici transcendée par un contexte historique et actuel : c’est en réalité prendre la pleine mesure de la situation de vulnérabilité.
Finalement, ce qui est pris en compte en matière de vulnérabilité relève-t-il d’un caractère endogène ou bien une situation ? En effet la catégorisation passe par la reconnaissance de caractères en réalité dépendants de la personne victime d’une situation de vulnérabilité, au lieu de regarder au-delà de celle-ci pour étudier la situation dans laquelle elle est placée. Or, accepter de considérer la vulnérabilité comme un phénomène situationnel permet de compenser les insuffisances de la catégorisation, qui exclue nécessairement. Autrement formulé, substituer la situation de vulnérabilité aux personnes vulnérables permet non seulement de continuer de protéger ceux qui le sont déjà tout en incluant dans un champ de protection accrue toute une série de situations qui ne seraient pas nécessairement prises en compte.
Les accommodements raisonnables dans la lutte contre les situations de discrimination : solutions à une rupture d’égalité ?
Rémi BARRUE-BELOU, Maître de conférences en droit public, Université de La Réunion.
Le droit canadien, s’inspirant de pratiques utilisées par son voisin du Sud, a développé une jurisprudence conséquente relative à la mise en place de discriminations positives dans divers pans du droit. Ces mesures ont pour objet de compenser une situation de discrimination qui serait le résultat de l’application non différenciée de règles de droit à l’ensemble d’un groupe ou d’une population, ne prenant pas en compte les situations d’inégalité de fait. L’accommodement raisonnable peut alors être entendu comme un principe d’incitation d’adaptation de normes, de pratiques ou de politiques afin de prendre en compte des besoins particuliers dans les limites du raisonnable[25]. Plus précisément, l’accommodement raisonnable consiste en une obligation juridique, applicable dans une situation de discrimination et consistant à aménager une norme ou une pratique de portée générale, dans les limites du raisonnable, en accordant un traitement différentiel à une personne qui, sinon, serait pénalisée du fait de l’application de cette norme[26]. La Cour suprême canadienne considère donc que l’accommodement raisonnable est un compromis juridique entre la notion d’égalité et celle de discrimination. Elle est même inhérente au droit à l’égalité[27]. Elle lui a d’ailleurs reconnu une valeur quasi-constitutionnelle dans une décision Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration[28].
D’origine étatsunienne[29], le concept d’accommodement raisonnable a d’abord été utilisé pour des motifs religieux. Organisée autour de communautés, la société étatsunienne a été amenée à imposer des obligations dans sa législation afin d’accommoder les pratiques religieuses. Cela s’est notamment manifesté dans le Civil Right Act en 1972 ou dans le Rehabilitation Act de 1973, relatif au handicap. Véritablement apparue dans les années 80, la notion d’accommodement raisonnable a été intégrée au droit canadien. Dans le cadre de dispositions ayant pour objet de lutter contre les discriminations, des parlements provincial et national au Canada ont fait apparaître de telles mesures, leur reconnaissant une légalité par dérogation. C’est par exemple le cas de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou de l’article 11 du Code ontarien des droits de la personne[30] qui prévoient que des discriminations ne peuvent être constituées sur la base de la couleur de peau, la race, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, sauf dans les cas prévus par la loi, la grossesse, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un procédé pour pallier ce handicap.
En France, l’égalité est un principe fondamental à l’origine de la république et issus des idées révolutionnaires du XVIIIème siècle. Présent dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) et ayant une valeur constitutionnelle, l’égalité s’inscrit en faux contre toute forme de discrimination. A ce titre, même lorsque celle-ci est dite « positive », c’est-à-dire qu’elle a pour objet de venir compenser une situation d’inégalité (une situation de discrimination), elle contrevient à la logique française et rousseauiste du principe d’égalité. Pour autant, le droit français permet la mise en place de certaines formes de discriminations venant équilibrer une situation marquée par une inégalité.
A partir du concept d’accommodement raisonnable et au regard de la question de la gestion des situations de discrimination, deux notions semblent centrales afin de mesurer leur sens et leur portée : les notions d’égalité et de discrimination. Dans une perspective comparée s’appuyant sur les cas canadien et français, il s’agira de voir si l’outil juridique qu’est l’accommodement raisonnable peut servir de modèle à une gestion des cas souffrant de discrimination, en France.
I – La conception anglo-saxonne de l’égalité comme justification à l’application de discriminations positives
Comprendre la notion d’accommodement raisonnable et cerner ses conséquences implique d’abord de mesurer la perception de l’égalité en droit canadien afin de la situer vis-à-vis de la conception française (A) et ensuite afin de comprendre comment les accommodements raisonnables sont traités par les juges québécois et canadien (B).
A – Une conception canadienne de l’égalité fondamentalement différente de la conception française
En tant que mesure corrective, l’accommodement raisonnable ne peut être compris par un point de vue français qu’au regard de la conception canadienne de l’égalité.
Pour cela, il faut partir du postulat selon lequel il existe des inégalités de fait entre les individus, qu’elles soient sociales, physiques, culturelles ou religieuses. La composition de la société canadienne explique facilement cela du fait de son histoire et des mouvements d’immigration ayant eu lieu durant le XXe siècle. De nombreuses communautés (autochtones, francophone, anglophone, africaine, asiatique, juive, protestante, catholique, etc.) composent la population canadienne et existent en tant que telles, comme parties de la nation canadienne. Du fait de ces différentes composantes et de leurs caractéristiques propres (linguistiques, religieuses, culturelles, etc.) l’application du principe d’égalité suppose de permettre à chacun de pouvoir bénéficier d’une adaptation de certaines mesures générales, si cela ne constitue pas une différenciation injustifiée ou dénaturant la mesure en cause. Suivant cette logique, il ressort de la jurisprudence canadienne que l’égalité consiste à appliquer un traitement en fonction du mérite, de la situation et des capacités de chacun. Une réelle prise en compte des différences doit être effectuée[31]. L’accommodement raisonnable est ainsi un acte juridique pris après la survenance d’un litige et qui se justifie par l’application du principe d’égalité[32] dont la violation permet la mise en œuvre d’une mesure discriminatoire pour une catégorie limitée de personnes[33]. Le but est alors de compenser une inégalité de fait pour atteindre une égalité de traitement. Toutefois, si une obligation d’accommodement est reconnue par le droit, elle ne peut constituer qu’un moyen ponctuel d’atteindre une égalité réelle et non pas une finalité en soi. En cela, l’accommodement raisonnable a pour fonction de rétablir une égalité afin qu’une personne ou un groupe de personnes soit en capacité d’exercer un droit dans les mêmes conditions que les autres. Il est nécessaire, afin de ne pas entrer en contradiction avec le principe d’égalité, que l’aménagement ne soit pas excessif, tant sur le plan de l’atteinte à l’égalité que sur le plan de la durée de cette discrimination. Il ne doit donc pas conduire à l’établissement d’un droit spécifique et particulier dans son champ d’application. C’est cette même conception qui est retenue par la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée par l’assemblée générale des Nations unies qui reconnaît, à son article 2, l’importance des accommodements raisonnables (dénommés « ajustements raisonnables ») et les définit comme « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ». Ainsi, le traitement d’une situation d’inégalité par l’application de mesures correctives ne peut se réaliser qu’au cas par cas, par des mesures individualisées.
Cela change la vision de l’égalité qui devient teinté d’une volonté d’équité par un rétablissement d’un équilibre qui aurait été mis de côté par une égalité ne prenant pas en compte les différences. Rappelons que la conception française de l’égalité repose sur sa conception d’une souveraineté nationale – largement différente de la conception anglo-saxonne qui fonde la vision canadienne[34] – ne connaissant qu’une seule nation et excluant l’existence de peuples ainsi que de minorités[35]. A ce titre, le Conseil a expressément considéré que « le principe d’unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, a valeur constitutionnelle » et que « ces principes fondamentaux s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance »[36].
Le Conseil constitutionnel a dès lors toujours défendu une position ferme quant aux distinctions pouvant être établies par la loi. Il a par exemple rappelé l’unité du peuple français en annulant l’article 1er de la loi consacrant l’existence d’un « peuple corse, composante du peuple français », refusant ainsi les distinctions selon l’origine, la race ou la religion. De même, dans une décision Tests ADN du 15 novembre 2007, le Conseil a considéré comme contraire au principe d’égalité l’article de la loi sur l’immigration, l’intégration et l’asile envisageant la constitution de fichiers faisant apparaître « directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques » d’individus.
Principe fondamental issu des idées révolutionnaires de 1789, l’égalité est reconnue aux articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, au préambule ainsi qu’aux articles 1er, 2 et 3 de la Constitution de 1958. Citons également le Préambule de la Constitution de 1946, ayant, lui-aussi, valeur constitutionnelle[37]. Elle est également élevée au rang des principes généraux du droit par le Conseil d’État[38]. Suivant cette conception traditionnelle et historique, l’égalité a consisté pendant longtemps à ce que l’État se place dans une position de neutralité, tout comme il l’a fait avec le principe de laïcité. Pour reprendre la vision des professeurs Favoreu, Gaïa, Gevonthian, Mestre, Pfersmann, Roux et Scoffoni, ce principe ne crée pas uniquement un « droit à l’égalité », mais également un « droit à l’égalité des droits »[39]. À ce titre, il convient de considérer, malgré tout, une vision française moins stricte de l’égalité, depuis les années 2000, qui consiste à ne pas faire une application quasi-idéologique fondée sur la vision d’un individu abstrait et universel mais bien de prendre en compte des inégalités de fait, des situations dans lesquelles les individus ne sont pas sur un pied d’égalité, du fait de conditions physiques, sociales ou économiques. De ce postulat découle la possibilité d’établir des différences de traitement lorsqu’elles sont justifiées par des situations différentes et par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la norme qui les crée. Ces différences doivent alors être fondées objectivement et proportionnées. De là, découle la légalité de mesures compensatoires afin de corriger des inégalités issue de l’application du principe d’égalité. Suivant cela, la Constitution a fait l’objet d’adaptation, notamment en ce qui concerne l’égalité entre hommes et femmes (par la modification du second alinéa de l’article 1er et l’article 71-1, par la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République). Le Conseil d’État a malgré tout refusé de reconnaître l’existence d’un droit à la différence[40]. Toutefois, il faut noter le développement d’un contrôle de proportionnalité notamment pour les cas de discrimination[41], que cela concerne le handicap[42] ou l’âge[43], par exemple.
B – Le traitement des accommodements raisonnables par les juges québécois et canadien
Idée présente dans deux textes fondamentaux que sont la Charte des droits et libertés de la personne et dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, la notion d’accommodement raisonnable n’apparaît pas formellement. Toutefois, le juge va en faire une obligation en application du principe d’égalité dans sa décision Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c/ Simpsons Sears de 1985[44]. En l’espèce, le juge considère qu’une norme générale et neutre peut avoir des conséquences discriminatoires sur une personne du fait de sa pratique religieuse et qu’en conséquence, l’application du principe d’égalité impose de proposer une mesure dérogatoire à cette règle en permettant un traitement différentiel si celui-ci ne crée pas une situation disproportionnée. En effet, ce dernier aspect est essentiel puisque c’est par la proportionnalité de la mesure de réajustement que l’accommodement raisonnable ne sera pas considéré comme une contrainte excessive[45]. Cette caractéristique de contrainte excessive pourrait, si elle était démontrée, conduire à l’irrégularité de la mesure. Le juge de la Cour Suprême lui reconnaitra une valeur constitutionnelle dans la décision Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration de 1985. Cette décision a assis la position de juge consistant à établir une appréciation au cas par cas et de prendre des mesures individualisées dans la limite du raisonnable dont la mise en œuvre ne doivent pas conduire à une situation disproportionnée afin de compenser une inégalité pour atteindre une égalité.
L’affaire Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration va permettre d’illustrer très clairement la conception des accommodements raisonnables de la part du juge canadien, même si la vision du juge québécois s’en différencie quelque peu. Le contentieux porté devant le juge provincial va finalement aboutir devant la Cour suprême fédérale et marquera la jurisprudence.
Un élève d’une école publique au Québec de confession sikh orthodoxe fait tomber dans la cour de l’école le kirpan qu’il porte (couteau traditionnel sikh devant être porté en toute circonstance pour les sikhs orthodoxes). Le conseil des commissaires de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeois (la commission scolaire) se réunit afin de prendre une décision sur une éventuelle sanction à son égard : le port d’une arme étant prohibé par le code de vie de l’école. Cherchant à trouver une entente, elle fait savoir aux parents de l’intéressé que le port du kirpan ne peut être accepté que si celui-ci est placé dans son fourreau et cousu à l’intérieur de ses vêtements de façon sécuritaire afin d’empêcher qu’il puisse tomber. Cette décision est alors considérée comme un accommodement raisonnable en ce qu’elle déroge à l’interdiction de porter une arme dans un établissement scolaire prévue dans les statuts de l’établissement. Le conseil d’établissement refuse cet accommodement et après les décisions de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel du Québec, la Cour suprême va être saisie. Cette dernière va reconnaître la possibilité de porter le kirpan si certaines conditions sont remplies[46]. Rendue à l’unanimité, cette décision va notamment illustrer la méthode quasiment mathématique de la conception de la discrimination et de l’accommodement raisonnable en mettant à l’œuvre un test de proportionnalité (appelé « test de Oakes ») afin de considérer le degré d’atteinte à la Charte canadienne des droit et libertés. L’article 1er de la Charte énonce que les droits et libertés contenus dans la Charte « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». A ce titre et constatant une atteinte à la Charte, la Cour va analyser l’atteinte par le biais du test de Oakes. En effet, pour qu’une mesure restrictive soit conforme à la Charte, elle doit :
– être prescrite par une règle de droit (critère de légalité)
– viser un objectif suffisamment important (critère de l’objectif)
– être proportionnée (critère de proportionnalité). Ce dernier critère est lui-même composé de trois critères : existence d’un lien rationnel (la mesure doit permettre d’atteindre l’objectif de lutte contre la discrimination en cause, sans pour autant que cette mesure ne soit nécessaire), l’atteinte minimale (la mesure doit porter une atteinte minimale au droit ou à la liberté concernée) et la proportionnalité stricte (ou « pondération des effets » qui nécessite une bilan coûts-avantages au cas par cas de la mesure restrictive).
Selon les juges et suivant un raisonnement très libéral, il était nécessaire de savoir si la mesure d’accommodement raisonnable proposée ne portait pas une atteinte trop importante à la liberté de religion de l’élève. La Cour suprême va ainsi considérer que les conditions proposées par la Commission afin de pouvoir porter le kirpan au sein de l’établissement scolaire ne constituaient pas une atteinte excessive à la liberté de religion et qu’au sens de l’article 1er de la Charte[47], il n’existe pas d’interdiction du port du kirpan lorsque des accommodements raisonnables sont possibles. Elle rappelle également le caractère multiculturel de la société canadienne, protégé par la Charte[48].
Cette décision est considérée comme ayant atteint les limites de l’accommodement raisonnable en ce qu’elle n’a pas cherché à trouver un équilibre entre liberté de religion et l’ordre et la sécurité publics mais a considéré que seule la mesure portant le moins atteinte à la liberté de religion pouvait être permise. De plus, la Cour a établi une similitude entre accommodement raisonnable et atteinte minimale, ce qu’elle infirmera dans sa jurisprudence ultérieure[49]. La décision Multani, bien qu’excessive dans son raisonnement et dans son argumentation, permet de comprendre la notion d’accommodement raisonnable en tant que mesure dont l’objectif est de compenser une inégalité de fait en raison de l’application du principe d’égalité.
II – Les limites à la mise en œuvre des accommodements raisonnables comme moyen de lutte contre les situations de discrimination
Si les discriminations positives constituent un outil de compensation des situations d’inégalité, elles ne sont pas formellement consacrées par le droit français, qui admet malgré tout des mesures de dérogation au principe d’égalité (A). Il est alors pertinent de s’interroger sur le rapport entre égalité et équité dans leur lien avec les situations d’inégalités réelles (B).
A – Le traitement des discriminations positives dans le droit français
La notion de discrimination porte les mêmes éléments de définition en droit québécois, canadien et français. Droits québécois et canadien la considèrent comme le fait d’établir une distinction fondée sur un motif prohibé (la religion, le handicap, la couleur de peau, etc.)[50]. Il s’agit alors d’une discrimination directe. Mais il faut considérer également l’existence de discriminations indirectes qui consistent à imposer des obligations dont les effets vont créer des situations discriminatoires à l’encontre de certains des destinataires en raison d’une pratique religieuse, culturelle ou d’une croyance. Cela se concrétise, par exemple, par le fait d’imposer de travailler à quelqu’un dont la religion l’interdit, un jour précis[51]. Cette distinction entre discrimination directe et indirecte ne fait que reprendre la distinction établie par la Cour Permanente de Justice Internationale et par le droit de l’Organisation Internationale du Travail[52].
En droit français, la discrimination est entendue comme le traitement inégal et défavorable à l’égard d’individus ou de groupes d’individus en raison de leur apparence physique, de leur origine, de leur sexe ou de leur lien avec un mouvement de pensée, religieux, politique ou syndical, selon les articles 225-1 et s. du Code pénal et les articles L.1132-1 et s., L.1141-1 et s. ainsi que L.2141-5 du Code du travail. Le droit interne distingue également les discriminations indirectes qui sont vues comme des effets résultant de la mise en œuvre d’une norme dont le contenu est neutre, c’est-à-dire n’établissant pas de distinction entre les destinataires de la norme mais dont l’application en crée. Ainsi, si la discrimination directe concerne les motifs d’une règle qui créent une distinction, la discrimination indirecte, elle, concerne les effets d’une règle.
Au regard des définitions canadienne et française, on constate une conjonction évidente des deux conceptions de la discrimination. Pour autant, ces deux systèmes juridiques traitent-ils les discriminations de façon comparable ? Comment le juge français envisage les discriminations, notamment au regard du principe d’égalité et donc de la Constitution ? Pour cela, il convient d’analyser certains aspects du droit français.
Nous l’avons vu, le principe d’égalité tel qu’il est entendu par le droit français n’impose pas une égalité arithmétique et pure puisqu’il permet les différenciations. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs reconnu dans une décision Ponts à péages du 12 juillet 1979[53] et dans une décision Mutualisation de la CNCA du 7 janvier 1988[54]. A la lumière du droit français, plusieurs cas de discriminations positives sont en œuvre.
Premièrement, on note plusieurs cas ayant fait l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel et ayant été validés par celui-ci. On note d’abord des discriminations justifiées par la localisation géographique. Ainsi, dans une décision relative au statut fiscal de la Corse, le Conseil reconnaît comme conforme à la Constitution le fait que la Corse soit dotée d’un statut fiscal « destiné à compenser les contraintes de l’insularité »[55]. De même, il reconnaît la constitutionnalité d’une disposition législative favorisant l’accès des habitants de Nouvelle-Calédonie à la fonction publique de ce territoire[56]. Des discriminations sont ensuite justifiées par des critères sociaux, reposant sur l’âge ou sur des caractéristiques sociales[57]. On trouve enfin des discriminations reposant sur les mérites ou les besoins du service public, permettant de justifier l’existence du 3e concours d’accès à l’ENA[58]. De même, le Conseil a estimé que le législateur pouvait prévoir des cas de priorité de recrutement à l’égard d’étudiants répondant au statut de boursier mais seulement si cela se faisait à aptitudes égales et pour un profil souhaité préalablement déterminé[59]. Afin de justifier ces discriminations et donc une rupture d’égalité, il faut que des critères « objectifs et rationnels » soient utilisés et le Conseil a rappelé cette condition à de nombreuses reprises[60].
Deuxièmement, des discriminations positives contenues dans des dispositions législatives (n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle de la part du Conseil constitutionnel) ont été appliquées. Il en va notamment ainsi des mesures d’aides ou d’incitations en matière économique, éducative, de santé ou d’aménagement du territoire, fondées sur la nécessité de compenser un handicap individuel, social ou géographique. Parmi les nombreux cas que l’on pourrait évoquer, citons les divers dispositifs en faveur de l’emploi des jeunes, les dispositifs en faveur des handicapés avec des emplois réservés.
Troisièmement, les dernières révisions constitutionnelles ont conduit à inscrire dans le texte constitutionnel des dispositions mettent en œuvre des discriminations positives. La loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a ainsi inscrit le principe de parité a modifié l’article 3 de la Constitution (intégré ensuite à l’article 1er) en prévoyant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Le statut spécifique des collectivités d’outre-mer tenant compte des intérêts propres à chacune d’entre elles a également été constitutionnalisé aux articles 73 et 74 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Suivant cette disposition, des mesures peuvent être justifiées par des nécessités locales en faveur de la population en matière d’emploi (à la condition d’une « égalité de mérites »), de droits d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier. On peut aussi citer la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française qui reprend la loi organique du 19 mars 1999 permettant l’adoption de lois du pays dans des domaines relevant de la compétence de l’État par les assemblées de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. De plus, une loi du pays peut fixer des mesures favorisant la population locale pour chaque type et chaque secteur d’activité.
Des limites peuvent toutefois être établies à ces discriminations positives. Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois censuré des dispositions lorsqu’elles entrainaient une rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques[61].
B – Egalité versus équité
L’égalité, lorsqu’elle est appliquée en tant que principe de non-discrimination suivant la logique républicaine française, conduit à un traitement indifférencié de l’application des droits, ce qui ne permet pas de compenser des inégalités de fait. A ce principe d’égalité, il est possible de remplacer une logique et un principe d’équité dont l’idée sous-jacente semble conduire au même résultat. Toutefois, il apparaît, à l’aune de l’application de ce dernier principe et dans le contexte français, que ses effets ne répondent pas totalement aux attentes et aux lacunes de l’égalité. En effet, ce principe n’ayant qu’une application peu développée, souffre d’un réel flou normatif quant à sa mise en œuvre et quant à son interprétation, dans les faits. Il entraine même des effets contraires à une logique de cohésion nationale en établissant des différences à l’intérieur du groupe social.
L’égalité est perçue, en France, comme un principe politique et d’application du droit. Élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle et comme principe général du droit, sa mise en œuvre pratique se réalise à divers niveaux : égalité devant la loi, devant l’impôt, devant la justice, etc. Il consiste, comme nous l’avons vu, à appliquer une norme de manière identique à un groupe entier sans établir de distinction entre les membres de ce groupe, excluant, dès lors, toute forme de discrimination. L’égalité est donc d’abord un principe à valeur fondamentale et finalement très général entrainant, de fait, une obligation de précision pratique pour sa mise en œuvre concrète. Elle nécessite donc l’intervention d’une loi afin de servir de norme de référence réelle, applicable à un cas matériel. A côté de l’égalité, l’équité mérite d’être analysée afin de cerner ses différences avec l’égalité et mesurer ses matérialisations. Elle se définit comme le fait d’attribuer à chacun ce qui lui est dû, suivant une logique de justice naturelle. Comme pour l’égalité, les idées de justice et d’impartialité sont sous-jacentes à l’équité mais il faut y ajouter celle de prise en compte des mérites ou des conditions de chacun. Étymologiquement, le terme « équité » vient du latin aequitas qui signifie « égalité ». Il désigne une forme d’égalité ou de juste traitement suivant une idée de justice naturelle et d’éthique selon l’appréciation par chaque individu de ce qui lui est dû, dépassant le seul cadre du droit. L’équité vient donc potentiellement en complément de la règle de droit. Aristote, suivant ses réflexions sur justice distributive et justice corrective, explique que « la nature propre de l’équité consiste à corriger la loi, dans la mesure où celle-ci se montre insuffisante, en raison de son caractère général »[62]. L’équité serait donc l’instrument « naturel » de correction des inégalités de fait, l’outil permettant de compenser les cas dans lesquels l’égalité ne fait que reproduire des inégalités du fait d’une application mécanique voire mathématique de la règle de droit, justifiée par une attitude de neutralité souhaitée par les institutions, dans la logique républicaine française.
Dans le cadre d’une réflexion sur l’application des principes d’égalité et d’équité et les éventuels intérêts de chacun pour le cadre français et notamment dans le cadre des situations de discrimination, il convient d’abord de comprendre leurs statuts respectifs. Le principe d’égalité est issu des grandes idées révolutionnaires ayant été inscrit dans les textes fondamentaux (DDHC, Préambule de 1946, Constitution de 1958) puis ayant été reconnu comme un principe général du droit, sans pour autant avoir fait l’objet d’une concrétisation à proprement parlé, c’est-à-dire qu’en tant que principe général, il nécessite l’adoption de normes d’application[63]. Inversement, l’équité est souvent citée sans pour autant être systématiquement considérée comme un principe – tel que l’est l’égalité – et s’inscrit dans une logique de droit naturel. Comparativement moins présente dans les textes fondamentaux et dépourvue d’une reconnaissance à valeur fondamentale, l’équité fait l’objet d’une présence de plus en plus importante dans les textes. Elle est, d’ailleurs et pour cela, moins présente dans l’histoire juridique française. Au regard de ces deux conceptions, les implications de chacune ont des effets différents, ce qui interroge sur leurs pertinences respectives dans le cadre juridique français.
En terme d’application, ces deux notions n’ont donc pas une portée comparable. L’équité, peu présente dans les textes et plus récemment entrée dans la culture juridique française que l’égalité, n’est utilisée par le juge ou par le législateur en tant que norme de référence que rarement. Certes, sa prise en compte plus systématique par le juge ou par le pouvoir normatif réglementaire ou législatif permettrait une prise en compte des situations de fait, afin d’identifier les cas d’inégalité réelles et ainsi de considérer les situations individuelles. Elle conduit toutefois à une incertitude normative nécessaire pour permettre la prise en compte de toutes les situations qui se présenteront lors de l’application de la norme[64]. Des compensations à des cas de discrimination seraient alors plus systématiquement envisagées. Sociologiquement, cela conduirait à une vision de la société plus proche d’une conception populaire de la souveraineté, dans laquelle chacun est pris en compte en tant que titulaire d’une part égale du pouvoir. Cela a pour conséquence une conception individualiste du droit, créant des groupes par catégorisation : chaque individu ou chaque groupe d’individus est considéré suivant des caractéristiques (handicap, ethnie, groupe social défavorisé, etc.). C’est ce que l’on retrouve dans les sociétés multiculturelles (le Canada, nous l’avons vu, en est un exemple manifeste) dans lesquelles le communautarisme est mis en avant.
Cette conception de la société est en contradiction avec le cas français qui s’est construit, historiquement, sur une vision nationale de la souveraineté, c’est-à-dire sans distinction des différences dans l’application de la loi. L’intérêt d’une telle vision est de permettre une intégration plus forte, facilitant les conditions d’une assimilation culturelle à un système juridique et plus largement à des règles sociétales. Dans cette perspective, l’application du principe d’égalité implique l’édiction de normes générales et impersonnelles dont les dérogations sont exclues ou exceptionnelles. Le cas français permet toutefois la prise en compte de situations particulières dans l’application de la règle de droit. En effet, depuis la décision du Conseil d’État Société des concerts du conservatoire de 1951, il a été reconnu que si le principe d’égalité implique de traiter de manière identique des situations identiques, la différence de traitement est possible si elle est justifiée par des éléments liés à l’intérêt général ou avec la finalité du service, lorsque cela est justifié par l’existence de situations différentes.
Si le principe d’égalité ne conduit pas, en lui-même, à une égalité réelle, il envisage malgré tout des exceptions lorsque des différences de situations existent et qu’elles sont justifiées par des intérêts sociétaux et dépassant le cadre individuel. L’équité, elle, a une tendance, par sa nature même, à diviser la société en groupes, ce qui empêche tout phénomène intégrateur, si cher à la tradition républicaine française. La logique des accommodements raisonnables semble trouver peu de justification à une application française, qui, a déjà prévu des cas de discrimination positive[65]. Les exceptions à l’application uniforme de la loi ne trouvent de justification que de manière exceptionnelle, lorsque cela est nécessaire. Afin de permettre le traitement différencié pour compenser des inégalités de fait dont souffrent certains groupes minoritaires, des « actions positives »[66] ou des « discriminations compensatoires »[67] peuvent être souhaitables, limitées dans le temps et justifiées par l’intérêt général ou par le service public.
Débats
Débat autour de la situation du mineur étranger accompagné.
S’agissant du mineur étranger accompagné, quelle solution envisager si on maintient l’enfant sur le territoire ? Doit-on laisser également les parents aussi sur le territoire ou les exclure ?
En principe, on ne devrait pas pouvoir reconduire à la frontière et placer en rétention administrative un mineur même accompagné de ses parents. La justification de ces mesures d’éloignement est la protection de l’intérêt de l’enfant mais aussi le consentement des parents. Pour combler ce vide juridique, on se fonde sur cet intérêt mais cela peut se retourner contre l’enfant et la famille c’est-à-dire qu’au nom de l’intérêt de l’enfant, il reste avec ses parents qui vont en rétention administrative. Ces lieux de rétention ne sont pas adaptés pour eux. L’idée, serait alors de ne pas placer en rétention les familles mais d’appliquer d’autres solutions de sauvegarde comme par exemple l’assignation à résidence afin d’éviter les fuites. Dès qu’un étranger est interpellé, qu’il soit avec un enfant ou non, on pense qu’il veut s’enfuir mais cela peut se comprendre au vu des conditions de rétention ou encore du fait que l’individu ignore ce qu’il va advenir de lui. On peut par exemple prendre le cas des enfants originaires des Comores qui arrivent à Mayotte qui sont alors interpellés puis reconduits à leur point de départ.
Débat autour de la situation des mineurs isolés à Mayotte.
La seule véritable structure de prise en charge de ces mineurs isolés est l’Aide sociale à l’enfance. Un mineur étranger isolé, une fois qu’il est détecté, entre dans ce dispositif de protection de l’enfance. S’il n’y a pas de prise en charge par ces services, ce sont alors des associations qui interviennent. C’est le cas à Mayotte ou encore à Paris. Parfois ce sont même des habitants du quartier qui prennent en charge ces enfants même si ce n’est pas officiel. Un mineur qui est sur le territoire est de fait régularisé étant donné qu’il n’a pas besoin de titre de séjour. Actuellement est mise en place une répartition de ces enfants sur le territoire. Mayotte est un cas particulier car ce territoire n’a pas les structures et les moyens adaptés face à un flux migratoire qui est très important.
Débat autour de la catégorisation des publics vulnérables et du fléchage des subventions.
La catégorisation permet d’étiqueter des catégories de vulnérabilité. Cependant, ce travail de catégorisation tend aussi à déterminer quelle catégorie ne bénéficiera pas d’accompagnement de l’État ou d’un accompagnement moindre.
Signalons que la Cour européenne des droits de l’homme, dans la majorité des cas, ne prend plus en compte des catégories de personnes vulnérables mais des situations de vulnérabilité. La Cour européenne parle du caractère vulnérable inhérent aux demandeurs d’asile mais le juge pense que les demandeurs d’asile ne constituent pas un groupe suffisamment homogène pour que l’on puisse parler de groupe vulnérable. Ainsi, le demandeur d’asile est-il obligatoirement vulnérable ? On regarde systématiquement le demandeur d’asile comme une personne qui est potentiellement vulnérable.
L’affirmation d’une notion de vulnérabilité ne pourrait-elle pas conduire à l’abaissement du niveau de protection des personnes aujourd’hui protégées à travers des catégories ? C’est par exemple le cas où au sein même d’une catégorie, on va établir des niveaux de vulnérabilité différents.
On a de plus en plus l’impression aujourd’hui, qu’on a des catégories de vulnérabilités « spontanées » (comme par exemple les étrangers) mais aussi des catégories de vulnérabilité « créées » c’est-à-dire que l’on va créer cette vulnérabilité (exemple : vulnérabilité créée en plaçant les personnes dans des centres de rétention administrative). Cela pose en réalité une autre question qui est de savoir ce que peut faire ou non le droit. Par exemple, il est difficile pour le droit de devancer un phénomène social.
En matière du budget, la répartition va dépendre du niveau de protection que l’on veut mettre en place. Cela peut aboutir à des seuils par exemple comme on peut le voir au sujet des mineurs où il existe des seuils liés à l’âge de l’enfant et par ailleurs, la Cour Européenne des droits de l’homme fonde tout son contrôle sur ces seuils.
[1] PETIN J., La vulnérabilité en droit européen de l’asile, Thèse, Pau, 2016
[2] LANTERO C., Le droit des réfugiés, entre droits de l’Homme et gestion de l’immigration, Bruxelles, Bruylant, 2011, 613 p.
[3] SAROLEA S., Droits de l’homme et migrations – De la protection du migrant aux droits de la personne migrante, Bruxelles, Bruylant, 2006, 718 p.
[4] Le thème est abordé dans toutes les disciplines, quand bien même le mot ne serait-il pas attribué aux mêmes concepts : vulnérabilité des Hommes, mais aussi des animaux, de la nature, de structures matérielles comme immatérielles, reprenant ainsi le sens premier du terme : qui peut être blessé.
[5] On ne compte plus aujourd’hui le nombre d’études en droit sur la vulnérabilité : colloques, thèses, articles etc. Pour ne citer que les principales : COHET-CORDEY F., Vulnérabilité et droit, Le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, PUG, Grenoble, janvier 2000, Rapport de Médecins sans Frontières, Violences, vulnérabilité et migration : bloqués aux portes de l’Europe, un rapport sur les migrants subsahariens en situation irrégulière au Maroc, MSF, 13 mars 2013, DUTHEIL-WAROLIN L., La notion de vulnérabilité de la personne physique en droit privé, thèse soutenue en 2004, GUITARD V., Protection de la personne et catégories juridiques : vers un nouveau concept de vulnérabilité thèse soutenue en 2005, LICHARDOS G., La vulnérabilité en droit public, thèse soutenue en 2015.
[6] Rappelons à ce propos les mots de Frédéric COHET-CORDEY, « la vulnérabilité n’est pas, au sens technique du terme, une notion juridique et elle ne trouve dans le droit positif aucun pendant en donnant un reflet satisfaisant. (…) En droit, là même où la notion est expressément employée par le législateur, elle n’est nullement par lui définit » in COHET-CORDEY F., sous la direction de, Vulnérabilité et droit, le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, op.cit, p. 9
[7] V. à ce propos les travaux (entre autres) de BIOY X., Droits fondamentaux et libertés publiques, LGDJ, Lextenso éditions, de CHAMPEIL-DESPLATS V., « La notion de « droit fondamental » et le droit constitutionnel français », D., 1995, de DUPRE DE BOULOIS X., Droits et libertés fondamentaux, PUF, collection licence droit, FAVOREU L. et alii, Droit des libertés fondamentales, 6e édition, Dalloz, Précis, de HENNETTE-VAUCHEZ S. et ROMAN D., Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Dalloz, collection Hypercours, de LOCHAK D., Les droits de l’homme, La découverte, collection Repères, Paris, ou encore de de WACHSMANN P., Libertés publiques, 7e édition, Dalloz, collection Cours, Paris, 2013. De façon générale, les auteurs contemporains reconnaissent la nécessité de l’existence effective de droits et libertés fondamentales.
[8] SALES-WUILLEMIN E., La catégorisation et les stéréotypes en psychologie sociale, Dunod, Paris, 2006, pp. 1-4.
[9] Idem.
[10] Ce sont ici les catégories de personnes ciblées directement par le Code pénal. D’autres catégories peuvent être incluses, comme les personnes illettrées en droit de la consommation. Les catégories énumérées par le Code pénal ont cela d’intéressant qu’elles relèvent de la personne elle-même, d’un point de vue endogène.
[11] V. à ce propos nos travaux de doctorat, LICHARDOS G., La vulnérabilité en droit public, op.cit.
[12] BIZOUARD Ph., « Le concept de vulnérabilité en psychiatrie », in ROUVIERE F. et alii, (sous la direction de), Le droit à l’épreuve de la vulnérabilité, Bruylant, Bruxelles, 2011, pp. 151-160.
[13] La jurisprudence à ce propos est très abondante. Pour n’en citer que quelques-unes : CEDH, Gd. Ch., 27 juin 2000, Salman c. Turquie, requête no 21986/93, § 99; obs. VAN NUFFEL E., RTDH, 1er juillet 2001, pp. 845-885, CEDH, 27 août 1992, Tomasi c. France, requête no 12850/87, § 113; obs. SUDRE F., RSC, 1er janvier 1993, pp. 33-46, DECAUX E., JDI, 1er juillet 1993, pp. 740-744, DINTILHAC M., Rev. Pénit., 1er juillet 1997, pp. 87-97, CHIAVARIO M., Rev. Pénit., 1er juillet 1997, pp. 249-258, GARAY A., Gaz. Pal., 2 janvier 1998, pp. 6-8, LARRALDE J-M., RTDH, 1er avril 1999, pp. 277-300, VAILHE J., RTDH, 1er avril 1999, pp. 235-252, BENZIMRA-HAZAN J., JDI, 1er janvier 2000, pp. 118-120, COHEN-JONATAN G., RTDH, 31 mars 2001, pp. 665-688, COLLOMP E., Gaz. Pal., 27 juillet 2001, pp. 28-49, DANTI-JUAN M., Rev. Pénit., 1er décembre 2003, pp. 725-734, PUECHAVY M., RTDH, 1er janvier 2006, pp. 99-110 et CEDH, Gd Ch., 28 juillet 1999, Selmouni c. France, requête no 25803/94, § 87; obs. MILLET A-S., RGDIP, 1er octobre 1999, p. 948, MASSIAS F., RSC, 1er octobre 1999, pp. 891-904, BUISSON J., Procédures, 1et novembre 1999, pp. 13-14, SUDRE F., JCP G, 3 novembre 1999, 1985-1991, TURGIS S. et alii, L’Astrée, 1er décembre 1999, pp. 50-56, COHEN-JONATAN G., RGDIP 1er janvier 2000, pp. 181-203, TIGROUDJA H., RTDH, 1er janvier 2000, pp. 77-106, LAMBERT P., RTDH, 1er janvier 2000, p. 123, BENZIMRA-HAZAN J., JDI, 1er janvier 2000, pp. 118-120, LAMBERT P., JDE, 1er février 2000, pp. 34-42, RENUCCI J.-F., D., 4 mai 2000, pp. 179-180, SUDRE F. et alii, RDP, 1er juin 2000, pp. 699-738, DOURNEAU-JOSETTE P., Gaz. Pal., 8 février 2013, pp. 4-11.
[14] V. Par exemple : CEDH, 10 mars 2011, Kiyutin c. Russie, requête no 2700/10, §64 ; CEDH, 8 novembre 2011, V.C. c. Slovaquie, requête no 18968/07, §177-179. CEDH, 8 décembre 2009, Munoz Diaz c. Espagne, requête no 49151/07, §61 ; obs. GILLES D., SQDI, 1er janvier 2010, p. 190-194, COURISER Ph., JCP S, 29 juin 2010, pp. 30-34, DECAUX E., et TAVERNIER P., JDI, 1er juillet 2010, pp. 1039-1040 ; CEDH, Gd. Ch., 16 mars 2010, Orsus & autres c. Croatie, requête no 15766/03, § 148 ; obs. PICHERAL C., JCP G, 5 avril 2010, p. 718.
[15] L’Union Européenne travaille beaucoup dans le cadre de la règlementation liée au travail : ainsi, la travailleuse « enceinte, accouchée ou allaitante » est perçue comme une personne vulnérable, et à ce titre a le droit à un congé maternité : il ne s’agit pas de viser la femme enceinte systématiquement, mais bien de la replacer dans une situation particulière qui est celle de l’emploi. La femme enceinte, accouchée ou allaitante est ainsi dans une situation particulière quand elle travaille : c’est celle-ci qui est prise en compte, certes en raison de la grossesse, de l’accouchement ou de l’allaitement, mais surtout en raison de la situation dans laquelle est placée. Il n’y a ainsi pas de cadre général énonçant une vulnérabilité de la femme enceinte, mais bien une potentielle situation de vulnérabilité de la femme enceinte qui nécessite des mesures de protection, et notamment un droit à un congé maternité. V. la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail : « considérant que la vulnérabilité de la travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante rend nécessaire un droit à un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, et obligatoire un congé de maternité d’au moins deux semaines, réparties avant et/ou après l’accouchement » (quatorzième considérant). V. également CJCE, 18 mars 2004, María Paz Merino Gómez c. Continental Industrias del Caucho SA, affaire C-342/01, §, ; obs. IDOT L., Europe, 1er mai 2004, pp. 19-20, OMARJEE I., SSL, 12 juillet 2004, pp. 29-35, FISHELSON M.-D. et alii, Option finance, 4 octobre 2004, pp. 40-54, CJCE, 20 septembre 2007, Sari Kiiski c. Tampereen kaupunki, affaire C-116/06 ; obs. LHERNOULD J.-P. et alii, RJS, 1er décembre 2007, pp. 993-1002, LAULOM S., SSL, 28 janvier 2008, pp. 17-22, CJUE, 19 septembre 2013, Marc Betriu Montull c. Instituto Nacional de la Seguridad Social, affaire C-5/12 ; obs. ROBIN-OLIVIER S., RTDE, 1er avril 2014, pp. 530-541.
[16] Avant d’aller plus loin, il faut bien préciser un élément essentiel dans l’analyse de la vulnérabilité : tout l’intérêt de sa prise en compte (et c’est ce qui apparait implicitement ou explicitement tout au long des débats) revient bien évidemment à accroitre les protections à destination des personnes en situation de vulnérabilité, avec les risques que cela peut comporter.
[17] CNCDH avis du 17 octobre 2017 « alerte sur le traitement des personnes migrantes ».
[18] CNCDH, Avis sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis, 2 juillet 2015.
[19] Idem, p. 3
[20] Idem.
[21] V. par exemple le rapport annuel d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l’enfermement des enfants en 2012 ou encore son récent avis du 14 juin 2018 publié au JO. V. aussi l’avis de la CNCDH du 27 mars 2018 sur la privation de liberté des mineurs.
[22] CEDH, Mubilanzila Mayeka & Kaniki Mitunga c. Belgique, req no 13178/03, 1er janvier 2007 ; obs MUZNY P., D., 15 mars 2007, COURNIL C., RCDIP, 1er janvier 2008, pp. 35-59, LAMBERT P., Journal de droit européen, 1er février 2007, pp. 43-47, BOUSSUYT M. , RUDH, 31 décembre 2010, pp. 16-34.
[23] La Cour rappelle ainsi régulièrement les exactions dont ont fait l’objet les populations Roms . V. par exemple CEDH, Gd. Ch., 18 janvier 2001, Beard c. Royaume-Uni, requête no 24882/94, §104; obs. LECLERCQ-DELAPIERRE D., JDI, 1er janvier 2002, pp. 292-293 ; CEDH, Gd. Ch., Chapman c. Royaume-Uni, op.cit., §96; CEDH, Gd. Ch., Jane Smith c. Royaume-Uni, op.cit., §103; CEDH, Gd. Ch., Coster c. Royaume-Uni, op.cit., §107 ou encore CEDH, D.H. & autres c. République Tchèque, op.cit., §182 ; CEDH, 5 juin 2008, Sampanis & autres c. Grèce, requête no 32526/05, §72 « « du fait de leurs vicissitudes et de leur perpétuel déracinement, les Roms constituent une minorité défavorisée et vulnérable ».
[24] V. par exemple CEDH, 8 novembre 2011, V.C. c. Slovaquie, requête no 18968/07, §177-179 : « Les documents dont dispose la Cour indiquent que la pratique consistant à stériliser des femmes sans qu’elles aient au préalable donné leur consentement éclairé touche des personnes vulnérables appartenant à différents groupes ethniques. (…) À cet égard, la Cour conclu plus haut que l’État défendeur n’avait pas respecté l’obligation positive qui lui incombait au titre de l’article 8 de la Convention de garantir à la requérante une protection suffisante de nature à lui permettre, en tant que membre de la communauté rom, une communauté vulnérable (…) ».
[25] Voir SIMMARD J. et MORENCY M.-A., « Gouvernance et développement : Les approches législatives canadienne et québécoise », La Revue des Sciences de Gestion, 2009/5 n°239-240, p. 76.
[26] BOSSET P., « Les fondements juridiques et l’évolution de l’obligation d’accommodement raisonnable », in JEZEQUEL M., L’obligation d’accommodement : quoi, comment, jusqu’où ? Des outils pour tous, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse – Québec, Cat. 2.500.128, p. 7.
[27] Cour suprême, Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c/ Simpsons Sears [1985] 2 R.C.S. 536.
[28] Cour suprême, Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration [1985] 1 R.C.S. 177.
[29] Voir par exemple THERRIEN S., « La diversité religieuse et les institutions publiques : quelques orientations », in Solange Lefebvre, La Religion dans la sphère publique, Montréal, PUM, 2005, pp. 70-90.
[30] L.R.O. 1990 (Ontario), c. H.19.
[31] Voir Cour suprême, Colombie-Britannique (PSERC) c/ BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, p. 44.
[32] Voir Cour suprême, Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c/ Simpsons Sears [1985] 2 R.C.S. 536.
[33] LEFEBVRE S., « Le Canada et le Québec confrontés à la diversité ethno-religieuse », Hermès, La Revue, 2008/2 n° 51, p. 171 et 172.
[34] Sur la différence de conception de la souveraineté, voir G. DEMELEMESTRE, Les deux souverainetés et leur destin : Le tournant Bodin-Althusius, Paris, 2011, Editions du Cerf, 280 p. ; BARRUE-BELOU R., Analyse des outils fédératifs aux États-Unis, au Canada et au Brésil – Contribution à l’étude du fédéralisme, 2013, http://publications.ut-capitole.fr/16289/, pp. 353-412.
[35] Voir en ce sens, Conseil constitutionnel, 18 novembre 1982, Quotas par sexe, n°82-86 DC ; 9 mai 1991, Peuple corse, n°91-290 DC.
[36] Conseil constitutionnel, 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales et minoritaires, n°99-412 DC.
[37] « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».
[38] CE, Sect, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire, Rec. 151.
[39] FAVOREU L., GAIA P., GHEVONTIAN R., MESTRE J.-L., PFERSMANN O., ROUX A. et SCOFFONI G., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 20ème éd., 2018, p. 1040.
[40] Voir CE, Ass., 28 mars 1997, Sté Baxter, n°179049 : « le principe d’égalité n’implique pas que des entreprises se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des régimes différents ».
[41] Voir par exemple CE, Ass., 27 mars 2015, Quintanel, n° 372426.
[42] CE, Ass., 22 octobre 2010, Bleitrach, n°301572 (concernant les difficultés d’accès aux bâtiments de justice).
[43] Voir en ce sens, CE 13 mars 2003, Cherence, n°352393 (pour l’âge de mise en inactivité du personnel des industries électriques et gazières); CE 22 mai 2013, Kiss, n°351183 (limite d’âge de 65 ans pour un cadre d’emploi dans la fonction publique territoriale).
[44] Cour suprême, Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c/ Simpsons Sears (1985) 2 R.C.S. 536.
[45] La Cour suprême canadienne a considéré que devaient être considérées comme excessifs, les coûts de l’accommodement, l’entrave à l’exploitation de l’entreprise, ou encore l’atteinte aux droits des co-employés
[46] Le kirpan doit être porté sous ses vêtements ; être placé dans son fourreau de bois ; enveloppé et cousu au guthra ; dans une étoffe solide afin qu’il perde son aspect contondant ; le personnel doit pouvoir vérifier, de façon raisonnable, que les conditions imposées soient respectées ; que le requérant ne puisse en aucun temps se départir de son kirpan et que la disparition de ce dernier soit rapportée aux autorités de l’école immédiatement.
[47] « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».
[48] Article 27.
[49] Voir par exemple Cour suprême, Alberta c/ Hutterian Brethren of Wilson Colony, (2009) 2 R.C.S. 567.
[50] VERGE P., ROUX D., « Personnes handicapées : l’obligation d’accommodement raisonnable selon le droit international et le droit canadien », Droit social, 2010 p.965.
[51] Voir Cour suprême, Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c/ Simpsons Sears [1985] 2 R.C.S. 536.
[52] Se reporter à l’article 2 de la Convention n°111 de l’OIT et voir Ronald C. Craig, Systemic discrimination in employment and the promotion of ethnic equality, Leiden-Boston, Martinus Nijhoff, 2007, p. 41.
[53] Décision n°79-107DC.
[54] Décision n°87-232 DC.
[55] 20 décembre 1994, Statut fiscal de la Corse, n°94-350 DC.
[56] 30 août 1984, Statut du territoire de Nouvelle-Calédonie, n°84-178 DC.
[57] Conseil constitutionnel, 27 juillet 1989, Prévention des licenciements économiques, n°89-257 DC.
[58] Conseil constitutionnel, 14 janvier 1983, n°82-153 DC.
[59] Conseil constitutionnel, 24 avril 2003, n° 2003-471 DC.
[60] Parmi les multiples décisions, citons décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 (Loi de finances pour 1984), décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 (Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier), décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997 (Loi organique relative à la fiscalité applicable en Polynésie française), décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 (Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie).
[61] Voir par exemple décision du 29 juillet 1998, n°98-403 DC.
[62] ARISTOTE, Éthique de Nicomaque, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, livre V, chapitre X, p.147.
[63] V. BELLOUBET-FRIER N., « Le principe d’égalité », AJDA, 1998, pp. 152 et s.
[64] V. CAFARELLI F., Recherche sur le fondement juridique des discriminations compensatoires en droit public français, thèse, Montpellier, 2007, pp. 281 et s.
[65] V. CAFARELLI F., op. cit.
[66] V. BELLOUBET-FRIER N., op. cit.
[67] V. CAFARELLI R., idem.